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Le 30 novembre 1938 et la classe ouvrière en France

mercredi 20 janvier 2016

Le 30 novembre 1938

Cette date évoque un triste souvenir pour de nombreux ouvriers. C’est, en effet, avec le 30 novembre 38 que commence le recul de la classe ouvrière qui aboutira à la guerre. Au moment où la C.G.T. se réunissait en Congrès à Nantes, au milieu de novembre 38, le gouvernement Daladier et Reynaud commençait sa politique d’écrasement de la classe ouvrière, par les décrets-lois. Ces décrets-lois étaient une première atteinte sérieuse aux conventions collectives chèrement acquises dans les combats de 36.

C’est à ce moment que Daladier "assouplit la loi de 40 heures". Une large brèche est taillée dans les Conventions Collectives, notamment en ce qui concerne le choix des délégués. Les Congressistes de Nantes "condamnent" les mesures gouvernementales, et organisent une journée de protestation nationale pour le 26 novembre. Mais si la C.G.T. envisage l’action, c’est que les ouvriers DEPUIS LONGTEMPS ONT DEJA ENGAGE L’ACTION.

En effet, durant le mois de novembre 1938, des grèves gigantesques éclatent dans tout le pays. C’est devant la poussée ouvrière que la C.G.T. organise la journée de protestation en vue de canaliser le mouvement. Mais les ouvriers sont impatients et ne peuvent attendre la protestation platonique du 26 novembre. Dans la région parisienne, dès le 24 novembre, la bagarre s’engage ; les ouvriers cessent le travail chez Renault, Caudron, Bloch et Blériot, à Billancourt, ainsi que dans de nombreuses autres usines.

C’est chez Renault que le conflit entre dans la phase la plus aigüe. Timbaud en donne la raison (Le Peuple du 25 nov.) :

"Aux usines Renault, on a affiché dans un atelier où on travaillait 32 heures depuis un an, un nouvel horaire comportant 40 heures en 6 jours. A l’usine des moteurs d’aviation on a indiqué qu’on n’appliquerait plus les Conventions Collectives de l’aviation, ce qui amènerait une diminution des salaires. Dans la matinée, un ouvrier a été renvoyé ainsi que deux militants ; en outre, et on ne saurait s’élever suffisamment contre cette mesure, la Direction voulait imposer de nouvelles élections de délégués sur la base des nouveaux décrets-lois, qui auraient dû signer l’acceptation des mesures inclues dans les décrets-lois."

En apprenant ces mesures, les ouvriers envoient aussitôt les délégués à la Direction, qui refuse de les recevoir. Immédiatement le travail cesse. Dans toutes les usines, les ouvriers sont expulsés par la police. Chez Caudron et chez Renault, les ouvriers tiennent l’usine et dans la journée du 24, 15.000 ouvriers occupent Renault. La police entre en action pour évacuer les lieux. Malgré les appels "au calme" des dirigeants syndicaux, les ouvriers refusent de quitter l’usine.

Devant la ténacité des ouvriers, Doury et Croizat lancent une mise en garde contre les provocateurs, comme si la provocation ne venait pas uniquement du patronat et de la police. Mais les ouvriers tiennent bon. Voici ce que quelques-uns racontent de ces journées :

 "Il y avait des types drôlement gonflés ; dans un secteur ne possédant qu’une issue par un souterrain, nous avons déposé plusieurs tonneaux d’essence. Lorsque les flics sont arrivés, des gars se sont élancés avec des torches enflammées, prêts à tout faire sauter. Devant cette menace, la police a reculé. Il y a eu de drôles de bagarres, des flics ont été tués et jetés à la Seine."

 "Ca a bardé, j’ai pris quelques coups de matraques. A la fin, nous avons dû céder. Les flics et les pompiers nous ont attaqués aux gaz par les toits. Sur le pont qui conduit dans l’île, il y a eu des bagarres sanglantes. Huit jours après, on a retrouvé à la passerelle de Suresnes des ouvriers noyés qui étaient encore empoignés avec des flics. Les journaux n’ont jamais parlé qu’il y avait eu des morts, mais il y en a eu des deux côtés."

 "Quand les flics se sont amenés, il y a eu des bagarres et beaucoup d’ouvriers se sont sauvés. A la fin, sur 28.000 ouvriers, nous n’étions plus que 280. Nous étions prisonniers dans un atelier où nous étions barricadés. Il y avait plusieurs issues que nous avions bouchées avec des chariots, des camions, et toute sorte de matériel. Nous avions approché des caisses de pignons et tous les flics qui se sont approchés en ont reçu. Pour ma part, j’avais obstrué les deux souterrains en y balançant des fenwiks (2 dans chaque). Les gardes-mobiles nous ont donné l’ordre de nous rendre, affirmant que nous n’aurions pas de sanctions. Nous avons refusé, alors ils ont commencé à nous charger. Ils ne réussirent pas à pénétrer dans l’atelier. Devant l’impossibilité de forcer nos barrages, ils nous attaquèrent aux gaz lacrymogènes par le toit. Je peux dire que tant qu’ils n’ont pas employé les gaz, pas un seul n’a pénétré dans l’atelier. Avec les gaz, nous dûmes capituler. Le sang me coulait de partout. Pour nous faire sortir, les mobiles n’avaient laissé qu’une petite porte ouverte et au fur et à mesure que nous sortions, on prenait un grand coup de matraque sur le crâne et menottes aux poignets, on était conduit dans les cars "Renault" par deux flics. Qu’est-ce qu’il y avait comme flics ! Ils avaient dû mobiliser tout Paris. Un gars s’est mis à engueuler le directeur, un nommé Augé, qui discutait avec les cognes. Les deux flics qui l’accompagnaient le matraquèrent, l’autre s’écroula. Ils le prirent comme un sac et le balancèrent dans le car, puis s’en retournèrent chercher d’autres prisonniers. Mais le copain n’était pas évanoui, c’était une feinte, et d’un seul coup il se mit à détaler à toute vitesse. Les flics coururent un peu après lui, mais ils avaient trop de boulot et le gars a réussi à filer. Ensuite les flics étaient tellement mauvais qu’ils se sont vengés sur nous.

On nous emmène d’abord au commissariat de Boulogne, puis dans un autre commissariat, puis dans un troisième où là c’était le passage à tabac. Après 10 minutes de "gymnastique", on en avait assez. On nous a jugé quelques jours après par paquets de 10. Inculpation : rébellion en bandes armées à la force publique. J’en ai eu pour trois mois de tôle. Après notre arrestation, nous pensions que la grève générale du 30 nous tirerait de là, mais nous avons été roulés par la C.G.T. Pendant que nous étions en cabane, la femme et les gosses ont été secourus par le Secours Rouge. Ils n’ont manqué de rien. Nous aurions mieux fait de continuer un peu plus longtemps en 1936 plutôt que de faire la bêtise de 1938."

Ce n’est donc qu’après des luttes sanglantes que les ouvriers abandonnèrent le terrain. Devant la provocation policière de chez Renault, la C.G.T. décide de transformer la journée de protestation du 26 novembre en une démonstration nationale. En même temps qu’elle déclare grève générale pour le 30 novembre, les dirigeants ouvriers craignent d’être débordés par le mouvement. C’est pourquoi, avant même de le déclencher, ils le ligotent. La C.G.T. affirme : "Quels que soient les circonstances et les événements, le travail devra reprendre le 1er décembre." Elle appelle à la grève "dans le calme, pas de provocations, pas d’occupations d’usines, pas de manifestations ni de réunions", autrement dit, pendant que le gouvernement prend toutes les mesures de répression, mobilisation, déploiement de police, etc... la C.G.T. appelle les ouvriers à rester chez eux et à laisser le gouvernement et son appareil de répression maîtres du pavé et des usines. Pendant ce temps 283 ouvriers arrêtés chez Renault sont poursuivis devant le tribunal sous l’inculpation de rébellion en bande armée, c’est-à-dire traités comme des bandits de droit commun. La grosse majorité d’entre eux fera 3 mois de prison ; il faudra attendre la fin de la guerre, c’est-à-dire 7 ans après, pour qu’ils soient réintégrés dans l’usine et il faudra attendre 1946 pour qu’ils soient réin-tégrés dans leur droit d’ancienneté.

Après la grève du 30 novembre qui a échoué en grande partie puisque les transports ont fonctionné avec un ordre de réquisition, la C.G.T. se félicité de son "succès" et conclut "tous les incidents ont été évités, c’est ce qu’il fallait".

Avant le 30 novembre, les ouvriers avaient encore assez d’énergie pour vaincre la bourgeoisie. Mais les chefs des organisations "ouvrières" ont tout fait pour endiguer le mouvement. Et si Jouhaux et les dirigeants réformistes ont trahi la classe ouvrière en donnant la possibilité à Daladier, Reynaud d’organiser la répression, les chefs staliniens ne l’ont pas moins trahie en usant de toute leur influence pour inviter les ouvriers à se ranger "dans le calme" derrière les mots d’ordre de Jouhaux, qu’on savait vendu à la bourgeoisie.

VAUQUELIN

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