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Art et révolution

jeudi 9 septembre 2010

Messages

  • Victor HUGO :

    « Le luxe est un besoin des grands états et des grandes civilisations. Cependant il y a des heures où il ne faut pas que le peuple le voie. Mais qu’est-ce qu’un luxe qu’on ne voit pas ? Problème. Une magnificence dans l’ombre, une profusion dans l’obscurité, un faste qui ne se montre pas, une splendeur qui ne fait mal aux yeux à personne. Cela est-il possible ? Il faut y songer pourtant. Quand on montre le luxe au peuple dans des jours de disette et de détresse, son esprit, qui est un esprit d’enfant, franchit tout de suite une foule de degrés ; il ne se dit pas que ce luxe le fait vivre, que ce luxe lui est utile, que ce luxe lui est nécessaire. Il se dit qu’il souffre, et que voilà des gens qui jouissent. Il se demande pourquoi tout cela n’est pas à lui. Il examine toutes ces choses non avec sa pauvreté qui a besoin de travail et par conséquent besoin des riches, mais avec son envie. Ne croyez pas qu’il conclura de là : Eh bien ! cela va me donner des semaines de salaire, et de bonnes journées. Non, il veut, lui aussi, non le travail, non le salaire, mais du loisir, du plaisir, des voitures, des chevaux, des laquais, des duchesses. Ce n’est pas du pain qu’il veut, c’est du luxe. Il étend la main en frémissant vers toutes ces réalités resplendissantes qui ne seraient plus que des ombres s’il y touchait. Le jour où la misère de tous saisit la richesse de quelques-uns... »

  • Ecoutez sur France Musique (91.7 FM à paris ou cliquezicipour trouver votre fréquence) mercredi à 14H00, le concert enregistré au théatre du Chatelet avec au programme : Atom Heart Mother des Pink Floyd et Désert d’Edgar Varèse.

    Orchestre de tous les répertoires, l’Orchestre Philharmonique de Radio France s’installe au côté d’un groupe rock et interprètera, pour tous les lycéens préparant le baccalauréat, Atom Heart Mother des Pink Floyd, co-composé par le musicien anglais Ron Geesin, présent pour l’occasion.
    Symbole des fusions musicales typiques des années 60/70, désireuse de faire exploser les barrières entre les styles, Atom Heart Mother est une magnifique rencontre entre la musique classique, le rock et la musique électroacoustique. Cette œuvre sera dirigée par Jean-Jacques Justafré.

    Traduction de l’article Nuclear drive for woman’s heart publié le 14 juillet 1970, à la une du journal The Evening Standard. C’est cet article qui inspira Pink Floyd pour trouver le titre définitif d’Atom Heart Mother !

    Le cœur d’une femme fonctionne à l’énergie nucléaire

    Hier, un pacemaker à énergie atomique a été implanté avec succès à l’hôpital National Heart de Londres. Le patient est une femme de 56 ans qui quittera l’hôpital dans une semaine. La petite pile atomique qui fourni l’énergie à la machine a été développée par les scientifiques de Harwell.

    Ce pacemaker est destiné à maintenir les battements de cœur des patients souffrant de « bloc cardiaque ». Il est conçu pour durer au moins 10 ans, après quoi il faut le remplacer. Les pacemakers actuels, fonctionnant à l’énergie chimique, ne durent que deux ans. Chaque année, environ 1300 pacemakers classiques sont implantés en Grande Bretagne.

    L’opération d’hier est le résultat de deux ans de développement intensif et de tests en laboratoire. Trois chiens ont également été implantés depuis février, deux à Londres et un à Glasgow. L’Amérique et la France ont conjointement développé des pacemakers nucléaires mais le modèle anglais est réputé plus efficace et moins cher.

    La source d’énergie du pacemaker anglais est une petite quantité (180 milligrammes) de plutonium 238 enfermé dans une capsule de quelques millimètres. La chaleur dégagée par le plutonium est utilisée pour produire de l’électricité au moyen de semi-conducteurs thermo-électriques miniatures. Cette électricité stimule les nerfs qui ne remplissent plus leurs rôles dans le cœur.

    D’autres pacemaker seront posés mais le nombre d’appareil sera limité pendant encore au moins un an et ils ne seront utilisés que pour des essais cliniques.

    Autre info sur cette chansonici

  • Le dix-neuvième siècle ne relève que de lui-même ; il ne reçoit l’impulsion d’aucun aïeul ; il est le fils d’une idée. Sans doute, Isaïe, Homère, Aristote, Dante, Shakespeare, ont été ou peuvent être de grands points de départ pour d’importantes formations philosophiques ou poétiques ; mais le dix-neuvième siècle a une mère auguste, la Révolution française. Il a ce sang énorme dans les veines. Il honore les génies, et au besoin, méconnus, il les salue, ignorés, il les constate, persécutés, il les venge, insultés, il les couronne, détrônés, il les replace sur leur piédestal, il les vénère, mais il ne vient pas d’eux. Le dix-neuvième siècle a pour famille lui-même et lui seul. Il est de sa nature révolutionnaire de se passer d’ancêtres.

    Étant génie, il fraternise avec les génies. Quant à sa source, elle est où est la leur ; hors de l’homme. Les mystérieuses gestations du progrès se succèdent selon une loi providentielle. Le dix-neuvième siècle est un enfantement de civilisation. Il a un continent à mettre au monde. La France a porté ce siècle, et ce siècle porte l’Europe.

    Le groupe grec a été la civilisation, étroite et circonscrite d’abord à la feuille de mûrier, à la Morée ; puis la civilisation, gagnant de proche en proche, s’est élargie, et a été le groupe romain ; elle est aujourd’hui le groupe français, c’est-à-dire toute l’Europe ; avec des commencements en Amérique, en Afrique et en Asie.

    Le plus grand de ces commencements est une démocratie, les États-Unis, éclosion aidée par la France dès le siècle dernier. La France, sublime essayeuse du progrès, a fondé une république en Amérique avant d’en faire une en Europe. Et vidit quod esset bonum. Après avoir prêté à Washington cet auxiliaire, Lafayette, la France, rentrant chez elle, a donné à Voltaire éperdu dans son tombeau ce continuateur redoutable, Danton. En présence du passé monstrueux, lançant toutes les foudres, exhalant tous les miasmes, soufflant toutes les ténèbres, allongeant toutes les griffes, horrible et terrible, le progrès, contraint aux mêmes armes, a eu brusquement cent bras, cent têtes, cent langues de flamme, cent rugissements. Le bien s’est fait hydre. C’est ce qu’on nomme la Révolution.

    Rien de plus auguste.

    La Révolution a clos un siècle et commencé l’autre.

    Un ébranlement dans les intelligences prépare un bouleversement dans les faits ; c’est le dix-huitième siècle. Après quoi la révolution politique faite cherche son expression, et la révolution littéraire et sociale s’accomplit. C’est le dix-neuvième. Romantisme et socialisme, c’est, on l’a dit avec hostilité, mais avec justesse, le même fait. Souvent la haine, en voulant injurier, constate, et, autant qu’il est en elle, consolide.

    Une parenthèse. Ce mot, romantisme, a, comme tous les mots de combat, l’avantage de résumer vivement un groupe d’idées ; il va vite, ce qui plaît dans la mêlée ; mais il a, selon nous, par sa signification militante, l’inconvénient de paraître borner le mouvement qu’il représente à un fait de guerre ; or ce mouvement est un fait d’intelligence, un fait de civilisation, un fait d’âme ; et c’est pourquoi celui qui écrit ces lignes n’a jamais employé les mots romantisme ou romantique. On ne les trouvera acceptés dans aucune des pages de critique qu’il a pu avoir occasion d’écrire. S’il déroge aujourd’hui à cette prudence de polémique, c’est pour plus de rapidité et sous toutes réserves. La même observation peut être faite au sujet du mot socialisme, lequel prête à tant d’interprétations différentes.

    Le triple mouvement littéraire, philosophique et social du dix-neuvième siècle, qui est un seul mouvement, n’est autre chose que le courant de la révolution dans les idées. Ce courant,-après avoir entraîné les faits, se continue immense dans les esprits.

    Ce mot, 93 littéraire, si souvent répété en 1830 contre la littérature contemporaine, n’était pas une insulte autant qu’il voulait l’être. Il était, certes, aussi injuste de l’employer pour caractériser tout le mouvement littéraire qu’il est inique de l’employer pour qualifier toute la révolution politique ; il y a dans ces deux phénomènes autre chose que 93. Mais ce mot, 93 littéraire, avait cela de relativement exact qu’il indiquait, confusément mais réellement, l’origine du mouvement littéraire propre à notre époque, tout en essayant de le déshonorer. Ici encore la clairvoyance de la haine était aveugle. Ses barbouillages de boue au front de la vérité sont dorure, lumière et gloire.

    La Révolution, tournant climatérique de l’humanité, se compose de plusieurs années. Chacune de ces années exprime une période, représente un aspect ou réalise un organe du phénomène. 93, tragique, est une de ces années colossales. Il faut quelquefois aux bonnes nouvelles une bouche de bronze. 93 est cette bouche.

    Écoutez-en sortir l’annonce énorme. Inclinez-vous, et restez effaré, et soyez attendri. Dieu la première fois a dit lui-même fiat lux, la seconde fois il l’a fait dire.

    Par qui ?

    Par 93.

    Donc, nous hommes du dix-neuvième siècle, tenons à honneur cette injure : — Vous êtes 93.

    Mais qu’on ne s’arrête pas là. Nous sommes 89 aussi bien que 93. La Révolution, toute la Révolution, voilà la source de la littérature du dix-neuvième siècle.

    Sur ce, faites-lui son procès, à cette littérature, ou son triomphe, haïssez-la ou aimez-la, selon la quantité d’avenir que vous avez en vous, outragez-la ou saluez-la ; peu lui importent les animosités et les fureurs ! elle est la déduction logique du grand fait chaotique et génésiaque que nos pères ont vu et qui a donné un nouveau point de départ au monde. Qui est contre ce fait, est contre elle ; qui est pour ce fait, est pour elle. Ce que ce fait vaut, elle le vaut. Les écrivains des réactions ne s’y trompent pas ; là où il y a de la révolution, patente ou latente, le flair catholique et royaliste est infaillible ; ces lettrés du passé décernent à la littérature contemporaine une honorable quantité de diatribe ; leur aversion est de la convulsion ; un de leurs journalistes, qui est, je crois, évêque, prononce le mot « poëte » avec le même accent que le mot « septembriseur » ; un autre, moins évêque, mais tout aussi en colère, écrit : Je sens dans toute cette littérature-là Marat et Robespierre. Ce dernier écrivain se méprend un peu ; il y a dans « cette littérature-là » plutôt Danton que Marat.

    Mais le fait est vrai. La démocratie est dans cette littérature.

    La Révolution a forgé le clairon ; le dix-neuvième siècle le sonne.

    Ah ! cette affirmation nous convient, et, en vérité, nous ne reculons pas devant elle, avouons notre gloire, nous sommes les révolutionnaires. Les penseurs de ce temps, les poètes, les écrivains, les historiens, les orateurs, les philosophes, tous, tous, tous, dérivent de la Révolution française. Ils viennent d’elle, et d’elle seule. 89 a démoli la Bastille ; 93 a découronné le Louvre. De 89 est sortie la Délivrance, et de 93 la Victoire. 89 et 93 ; les hommes du dix-neuvième siècle sortent de là. C’est là leur père et leur mère. Ne leur cherchez pas d’autre filiation, d’autre inspiration, d’autre insufflation, d’autre origine. Ils sont les démocrates de l’idée, successeurs des démocrates de l’action. Ils sont les émancipateurs. L’idée Liberté s’est penchée sur leurs berceaux. Ils ont tous sucé cette grande mamelle ; ils ont tous de ce lait dans les entrailles, de cette moelle dans les os, de cette sève dans la volonté, de cette révolte dans la raison, de cette flamme dans l’intelligence.

    Ceux-là mêmes d’entre eux, il y en a, qui sont nés aristocrates, qui sont arrivés au monde dépaysés en quelque sorte dans des familles du passé, qui ont fatalement reçu une de ces éducations premières dont l’effort stupide est de contredire le progrès, et qui ont commencé la parole qu’ils avaient à dire au siècle par on ne sait quel bégaiement royaliste, ceux-là, dès lors, dès leur enfance, ils ne me démentiront pas, sentaient le monstre sublime en eux. Ils avaient le bouillonnement intérieur du fait immense. Ils avaient au fond de leur conscience un soulèvement d’idées mystérieuses ; l’ébranlement intime des fausses certitudes leur troublait l’âme ; ils sentaient trembler, tressaillir, et peu à peu se lézarder leur sombre surface de monarchisme, de catholicisme et d’aristocratie. Un jour, tout à coup, brusquement, le gonflement du vrai a abouti, l’éclosion a eu lieu, l’éruption s’est faite, la lumière les a ouverts, les a fait éclater, n’est pas tombée sur eux, mais, plus beau prodige, a jailli d’eux, stupéfaits, et les a éclairés en les embrasant. Ils étaient cratères à leur insu.

    Ce phénomène leur a été reproché comme une trahison. Ils passaient en effet du droit divin au droit humain. Ils tournaient le dos à la fausse histoire, à la fausse société, à la fausse tradition, au faux dogme, à la fausse philosophie, au faux jour, à la fausse vérité. Le libre esprit qui s’envole, oiseau appelé par l’aurore, est désagréable aux intelligences saturées d’ignorance et aux fœtus conservés dans l’esprit-de-vin. Qui voit offense les aveugles ; qui entend indigne les sourds ; qui marche insulte abominablement les culs-de-jatte. Aux yeux des nains, des avortons, des astèques, des myrmidons et des pygmées, à jamais noués dans le rachitisme, la croissance est apostasie.

    Les écrivains et les poètes du dix-neuvième siècle ont cette admirable fortune de sortir d’une genèse, d’arriver après une fin de monde, d’accompagner une réapparition de lumière, d’être les organes d’un recommencement. Ceci leur impose des devoirs inconnus à leurs devanciers, des devoirs de réformateurs intentionnels et de civilisateurs directs. Ils ne continuent rien ; ils refont tout. A temps nouveaux, devoirs nouveaux. La fonction des penseurs aujourd’hui est complexe : penser ne suffit plus, il faut aimer ; penser et aimer ne suffit plus, il faut agir ; penser, aimer et agir ne suffit plus, il faut souffrir. Posez la plume, et allez où vous entendez de la mitraille ; voici une barricade ; soyez-en. Voici l’exil ; acceptez. Voici l’échafaud, soit. Qu’au besoin dans Montesquieu il y avait John Brown. Le Lucrèce qu’il faut à ce siècle en travail doit contenir Caton. Eschyle, qui écrivait l’Orestie, avait pour frère Cynégyre, qui mordait les navires ennemis ; cela suffisait à la Grèce au temps de Salamine ; cela ne suffit plus à la France après la Révolution ; qu’Eschyle et Cynégyre soient les deux frères, c’est peu ; il faut qu’ils soient le même homme. Tels sont les besoins actuels du progrès. Les serviteurs des grandes choses pressantes ne seront jamais assez grands. Rouler des idées, amonceler des évidences, étager des principes, voilà le remuement formidable. Mettre Pélion sur Ossa, labeur d’enfants à côté de cette besogne de géants : mettre le droit sur la vérité. Escalader cela ensuite, et détrôner les usurpations au milieu des tonnerres ; voilà l’œuvre.

    L’avenir presse. Demain ne peut pas attendre. L’humanité n’a pas une minute à perdre. Vite, vite, dépêchons, les misérables ont les pieds sur le fer rouge. On a faim, on a soif, on souffre. Ah ! maigreur terrible du pauvre corps humain ! le parasitisme rit, le lierre verdit et pousse, le gui est florissant, le ver solitaire est heureux. Quelle épouvante, la prospérité du ténia ! Détruire ce qui dévore, là est le salut. Votre vie a au dedans d’elle la mort, qui se porte bien. Il y a trop d’indigence, trop de dénûment, trop d’impudeur, trop de nudité, trop de lupanars, trop de bagnes, trop de haillons, trop de défaillances, trop de crimes, trop d’obscurité, pas assez d’écoles, trop de petits innocents en croissance pour le mal ! le grabat des pauvres filles se couvre tout à coup de soie et de dentelles, et c’est là la pire misère ; à côté du malheur il y a le vice, l’un poussant l’autre. Une telle société veut être promptement secourue. Cherchons le mieux. Allez tous à la découverte. Où sont les terres promises ? la civilisation veut marcher ; essayons les théories, les systèmes, les améliorations, les inventions, les progrès, jusqu’à ce que chaussure à ce pied soit trouvée. L’essai ne coûte rien ; ou coûte peu. Essayer n’est pas adopter. Mais avant tout et surtout, prodiguons la lumière. Tout assainissement commence par une large ouverture de fenêtres. Ouvrons les intelligences toutes grandes. Aérons les âmes.

    Vite, vite, ô penseurs. Faites respirer le genre humain. Versez l’espérance, versez l’idéal, faites le bien. Un pas après l’autre, les horizons après les horizons, une conquête après une conquête ; parce que vous avez donné ce que vous avez annoncé, ne vous croyez pas quittes. Tenir, c’est promettre. L’aurore d’aujourd’hui oblige le soleil pour demain.

    Que rien ne soit perdu. Que pas une force ne s’isole. Tous à la manœuvre ! la vaste urgence est là. Plus d’art fainéant. La poésie ouvrière de civilisation, quoi de plus admirable ! le rêveur doit être un pionnier : la strophe doit vouloir. Le beau doit se mettre au service de l’honnête. Je suis le valet de ma conscience ; elle me sonne, j’arrive. Va ! je vais. Que voulez-vous de moi, ô vérité,’ seule majesté de ce monde ? Que chacun sente en soi la hâte de bien faire. Un livre est quelquefois un secours attendu. Une idée est un baume, une parole est un pansement ; la poésie est un médecin. Que personne ne s’attarde. La souffrance perd ses forces pendant vos lenteurs. Qu’on sorte de cette paresse du songe. Laissez le kief aux turcs. Qu’on prenne de la peine pour le salut de tous, et qu’on s’y précipite, et qu’on s’y essouffle. N’allez-vous pas plaindre vos enjambées ? Rien d’inutile. Nulle inertie. Qu’appelez-vous nature morte ? Tout vit. Le devoir de tout est de vivre. Marcher, courir, voler, planer, c’est la loi universelle. Qu’attendez-vous ? qui vous arrête ? Ah ! il y a des heures où il semble qu’on voudrait entendre les pierres murmurer contre la lenteur de l’homme !

    Quelquefois on s’en va dans les bois. A qui cela n’arrive-t-il pas d’être parfois accablé ? on voit tant de choses tristes. L’étape ne se fournit point, les conséquences sont longues à venir, une génération est en retard, la besogne du siècle languit. Comment ! tant de souffrances encore ! On dirait qu’on a reculé. Il y a partout des augmentations de superstition, de lâcheté, de surdité, de cécité, d’imbécillité. La pénalité pèse sur l’abrutissement. Ce vilain problème a été posé : faire avancer le bien-être par le recul du droit ; sacrifier le côté supérieur de l’homme au côté inférieur ; donner le principe pour l’appétit ; César se charge du ventre, je lui concède le cerveau ; c’est la vieille vente du droit d’aînesse pour le plat de lentilles. Encore un peu, et ce contre-sens fatal ferait faire fausse route à la civilisation. Le porc à l’engrais, ce ne serait plus le roi, mais le peuple. Hélas, ce laid expédient ne réussit même pas. Nulle diminution de malaise. Depuis dix ans, depuis vingt ans, l’étiage prostitution, l’étiage mendicité, l’étiage crime, marquent toujours le même chiffre ; le mal n’a pas baissé d’un degré. D’éducation vraie, d’éducation gratuite, point. L’enfant a pourtant besoin de savoir qu’il est homme, et le père qu’il est citoyen. Où sont les promesses ? où est l’espérance ? oh ! la pauvre misérable humanité ! on est tenté de crier au secours dans la forêt ; on est tenté de demander appui, concours et main-forte à cette grande nature sombre. Ce mystérieux ensemble de forces est-il donc indifférent au progrès ? On supplie, on appelle, on lève les mains vers l’ombre. On écoute si les bruits ne vont pas devenir des voix. Le devoir des sources et des ruisseaux serait de bégayer : En avant ! on voudrait entendre les rossignols chanter des marseillaises.

    Après tout, pourtant, ces temps d’arrêt n’ont rien que de normal. Le découragement serait puéril. Il y a des haltes, des repos, des reprises d’haleine dans la marche des peuples, comme il y a des hivers dans la marche des saisons. Le pas gigantesque, 89, n’en est pas moins fait. Désespérer serait absurde ; mais stimuler est nécessaire.

    Stimuler, presser, gronder, réveiller, suggérer, inspirer, c’est cette fonction, remplie de toutes parts par les écrivains, qui imprime à la littérature de ce siècle un si haut caractère de puissance et d’originalité. Rester fidèle à toutes les lois de l’art en les combinant avec la loi du progrès, tel est le problème, victorieusement résolu par tant de nobles et fiers esprits.

    De là cette parole : Délivrance, qui apparaît au-dessus de tout dans la lumière, comme si elle était écrite au front même de l’idéal.

    La Révolution, c’est la France sublimée. Il s’est trouvé un jour que la France a été dans la fournaise, les fournaises à de certaines martyres guerrières font pousser des ailes, et de ces flammes cette géante est sortie archange. Aujourd’hui pour toute la terre la France s’appelle Révolution ; et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie. Je le répète, ne cherchez pas ailleurs le point d’origine et le lieu de naissance de la littérature du dix-neuvième siècle. Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poëmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution !

  • De façon générale, l’homme exprime dans l’art son exigence de l’harmonie et de ta plénitude de l’existence ‑ c’est‑à‑dire du bien suprême dont le prive justement la société de classe. C’est pourquoi la création artistique est toujours un acte de protestation contre la réalité, conscient ou inconscient, actif ou passif, optimiste ou pessimiste. Tout nouveau courant en art a commencé par la révolte. La force de la société bourgeoise a été, pendant de longues périodes historiques, de se montrer capable de discipliner et d’assimiler tout mouvement « subversif » en art et de l’amener jusqu’à la « reconnaissance » officielle, en combinant pressions et exhortations, boycottages et flatteries. Mais une telle reconnaissance signifiait au bout du compte l’approche de l’agonie. Alors, de l’aile gauche de l’école légalisée ou de la base, des rangs de la nouvelle génération de la bohème artistique, s’élevaient de nouveaux courants subversifs qui, après quelque temps, gravissaient à leur tour les degrés de l’académie.

    C’est par de telles étapes que sont passés le classicisme, le romantisme, le réalisme, le symbolisme, l’expressionnisme, le mouvement décadent... Mais le mariage entre l’art et la bourgeoisie ne demeura, sinon heureux, du moins stable qu’aussi longtemps que dura l’ascension de la société bourgeoise, qu’aussi longtemps qu’elle se montra capable de maintenir politiquement ci moralement le régime de la « démocratie », non seulement en lâchant la bride aux artistes, en les gâtant de toutes sortes de manière, mais également en faisant quelques aumônes aux couches supérieures de la classe ouvrière, en domestiquant les syndicats et les partis ouvriers. Tous ces phénomènes sont à mettre sur le même plan.

    Le déclin actuel de la société bourgeoise provoque une exacerbation insupportable des contradictions sociales qui se traduisent inévitablement en contradictions individuelles, donnant naissance à une exigence d’autant plus brûlante d’un art libérateur. Mais le capitalisme décadent est déjà incapable d’offrir les conditions minimales de développement aux courants artistiques qui répondent si peu que ce soit à I’exigence de notre époque. Il a une peur superstitieuse de toute nouveauté, car ce dont il s’agit pour lui n’est ni de s’amender ni de se réformer, c’est seulement une question de vie ou de mort. Les masses opprimées vivent de leur propre vie et la bohème est une base trop étroite. D’où le caractère de plus en plus convulsif des nouveaux courants, allant sans cesse de l’espoir au désespoir. Les écoles artistiques de ces dernières décennies, le cubisme, le futurisme, le dadaïsme, le surréalisme, se succèdent sans atteindre leur plein développement. L’art, qui est l’élément le plus complexe, le plus sensible et en même temps le plus vulnérable de la culture est le premier à souffrir de la décadence et du pourrissement de la société bourgeoise.

    Il est impossible de trouver une issue à cette impasse par les moyens propres à l’art. Il s’agit de la crise d’ensemble de la culture, depuis ses fondements économiques jusqu’aux plus hautes sphères de l’idéologie. L’art ne peut ni échapper à la crise ni évoluer à l’écart. Il ne peut assurer par lui-même son salut. Il périra inévitablement, comme l’art grec a péri sous les ruines de la société esclavagiste, si la société contemporaine ne parvient pas à se reconstruire. Cette tâche revêt un caractère entièrement révolutionnaire. C’est pourquoi la fonction de l’art à notre époque se définit par sa relation avec la révolution.

    Mais sur cette voie, justement, l’Histoire a tendu aux artistes un grandiose guet‑apens. Toute une génération d’intellectuels « de gauche » a, au cours des dix ou quinze dernières années, tourné ses regards vers l’Est, et, à des degrés divers, a lié son destin, sinon à celui du prolétariat révolutionnaire, du moins à la révolution triomphante. Mais ce n’est pas la même chose. Dans la révolution triomphante, il n’y a pas seulement la révolution, mais aussi la nouvelle couche privilégiée qui s’est hissée sur ses épaules. Au fond, l’intelligentsia « de gauche » a changé de maître. Y a‑t‑elle beaucoup gagné ?

    La révolution d’Octobre a donné une impulsion magnifique à l’art dans tous les domaines. La réaction bureaucratique, à l’inverse, a étouffé la création artistique de sa main totalitaire. Rien d’étonnant à cela ! L’art est fondamentalement émotion, il exige une sincérité totale. Même l’art courtisan de la monarchie absolue était fondé sur l’idéalisation et non sur la falsification. Tandis que l’art officiel en Union Soviétique ‑ et il n’en existe pas d’autre là‑bas ‑ partage le sort de la justice totalitaire, c’est‑à‑dire le mensonge et la fraude. Le but de la justice, comme celui de l’art, c’est l’exaltation du « chef », la fabrication artificielle d’un mythe héroïque. L’histoire humaine n’avait encore rien vu de semblable, tant par l’ampleur que par l’impudence.

    Léon Trotsky, 17 juin 1938

  • Wagner et la révolution de 1848 : quand Wagner était révolutionnaire !!! lire ici

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