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Quelles leçons nous tirons des révolutions du passé et des révolutions actuelles ? Quel avenir pour la révolution ?

jeudi 5 janvier 2012, par Robert Paris

Où en est la révolution du Maghreb et du monde arabe. Certains la disent enlisée, arrêtée, transformée par l’intervention impérialiste en Libye. Certains s’interrogent même : était-ce vraiment une révolution qui a débuté en Tunisie et en Egypte ? Certes, le dictateur est tombé, mais pas l’Etat qui maintenait cette dictature. La classe dirigeante n’est pas tombée, ni la dictature de l’impérialisme sur ces pays. Pire, la bourgeoisie impérialiste s’est dit favorable à ces « révolutions ». Pour certains, cela prouverait qu’il n’y a eu aucune révolution. Où a-t-on vu des soviets ouvriers ou d’autres formes d’organisation autonomes des travailleurs révolutionnaires ? On nous rappelle encore que les travailleurs n’ont pas pris les armes et encore moins le pouvoir, qu’ils n’en avaient ni les moyens, ni même l’intention. Comment cela pourrait être une révolution, disent certains, puisqu’il n’y a pas d’organisation révolutionnaire, ni de buts affirmés de renversement du système. Ce ne serait, selon eux, ni une révolution prolétarienne ni une révolution socialiste, tout au plus un petit soulèvement démocratique dirigé par la petite bourgeoisie du style place Tahrir… Tel n’est pas notre avis. Selon nous, la révolution contre le système capitaliste a commencé, même si elle a encore bien du chemin à parcourir...

Quel est le critère d’une révolution ? Comment la distinguer d’une révolte ? Est-ce le niveau de conscience, de mobilisation, de lutte ? Est-ce les classes qui participent au mouvement ? Est-il nécessaire que les prolétaires soient en tête ? Est-ce le caractère des revendications populaires ? est-ce le fait que les aspirations populaires dépassent les capacités des classes dirigeantes de les satisfaire ?

Le critère numéro un d’une révolution n’est pas à chercher du côté des opprimés mais de celui des oppresseurs. Ce sont eux qui sont en crise. C’est leur système qui ne parvient plus à fonctionner et cela bien avant que cela se traduise par des mouvements sociaux. La situation révolutionnaire est celle où le système n’est pas seulement contesté par les opprimés mais ne fonctionne plus, y compris pour les oppresseurs. Eux-mêmes se sentent menacés. Et toutes les classes sociales sont bouleversées, pas seulement les prolétaires.
On nous dit parfois : ou bien c’est une révolution prolétarienne ou bien c’est un simple mouvement démocratique. Nous répondrons d’abord que la révolution n’est pas ou prolétarienne ou démocratique, bourgeoise ou petite-bourgeoise. Elle est contradictoire. Elle est toujours tout à la fois, touche toutes les classes sociales de manière très contradictoires tout en faisant croire aux opprimés que tous ceux qui se mobilisent veulent la même chose. Elle se transforme en cours de route car les classes opprimées n’étaient nullement préparées à se voir révolutionnaires. Elles n’avaient jamais imaginé qu’elles pouvaient faire une révolution et en sont les premières surprises. Les masses sont d’autant plus tiraillés et surprises que leurs buts même sont contradictoires et ceux de la société aussi. La révolution est même un point extrême des contradictions internes qui existaient au sein de la société. Et sa victoire apparente (renversement du dictateur par exemple) ne signifie pas que la contradiction soit dénouée : elle produit de nouvelles contradictions.

Dans la révolution russe, on n’a pas une révolution prolétarienne « pure », mais, en même temps, une révolution paysanne, une révolution des nationalités et une révolution démocratique petite-bourgeoise à perspectives nationales bourgeoises. Au départ, c’est la classe bourgeoise qui devrait vouloir développer la révolution démocratique mais elle préfère s’accrocher au tsarisme féodal parce qu’elle craint le prolétariat. Comme le prolétariat est l’aile marchante de la révolution démocratique, qu’il s’organise et prend le pouvoir, il ne peut pas s’en tenir aux tâches démocratiques bourgeoises et est contraint d’aller vers la révolution prolétarienne internationale. Cependant, il n’en pas immédiatement conscience et il se croit d’abord satisfait par le renversement du tsarisme et l’établissement d’une démocratie. Donc l’aile révolutionnaire socialiste internationaliste, le prolétariat, se prend pour l’aile marchante de la démocratie bourgeoise. En même temps, la révolution n’est pas russe, car la crise est internationale et est celle du système capitaliste et liée à la guerre mondiale. Toutes les classes sont bouleversées, mises en mouvement, par la révolution, mais les unes vont vers la droite et les autres vers la gauche.

Parfois, les classes opprimées n’ont pas conscience de représenter un danger révolutionnaire dans la situation parce que les classes dirigeantes ont anticipé la situation et ne l’ont pas laissé se développer. Elles réalisent alors une contre-révolution préventive. C’est le cas de l’Algérie 1988-1990. C’est le cas de l’Allemagne de 1933. La contre-révolution est un signe de la situation révolutionnaire. C’est une situation qui ne peut basculer que d’un côté ou de l’autre, aux deux extrêmes. Même si les masses ne se voient pas encore révolutionnaires, les classes dirigeantes, elles savent que la situation est bloquée. Elles peuvent choisir de faire mine de reculer d’abord (front populaire de 1936, démocratisation à l’algérienne, démocratisation et négociations de paix du Rwanda, par exemple). Puis, c’est le fascisme ou le bain de sang de la contre-révolution préventive.

Ce n’est pas la conscience révolutionnaire des masses qui nous dit d’abord qu’il s’agit d’une situation révolutionnaire mais le comportement des classes dirigeantes. Ce sont elles qui sont d’abord en crise.

Dans la révolution débutée en Tunisie, en Egypte, au Maghreb et dans le monde arabe, c’est le comportement des classes dirigeantes en 2001 et 2007 qui nous indique qu’il s’agit d’une situation révolutionnaire car c’est la domination de classe qui est en crise. Ce n’est pas une simple récession doublée d’une faillite boursière ou financière ou d’un krach. Ce sont les limites de fonctionnement du système qui sont atteintes. Le choix de retarder la crise en déversant des masses de capitaux étatiques nous indiquent la profondeur de la crise révolutionnaire. Les classes dirigeantes, préférant retarder l’effondrement pour se préparer politiquement face aux opprimés révoltés, choisissent de semer des illusions et de se préparer en semant des haines dérivatives : contre les pays voisins soi-disant causes de la crise, contre les pays qui se développent soi-disant à notre détriment, en somme contre la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, ou contre la Chine…

Leur perspective : guerre ou fascisme, tout en présentant les choses comme un effort pour sortir l’économie de la crise et relancer chaque pays.

Ils savent qu’aucune relance économique n’est possible, que l’on est seulement en train de déplacer et d’aggraver les trous financiers. Il s’agit d’une tromperie à grande échelle.

Les perspectives trompeuses sont soit le réformisme du type on va arranger le système, soit du type nationaliste, xénophobe, faute des pays voisins, des étrangers, de la concurrence…

La montée contre-révolutionnaire est une preuve que l’on ne peut aller que vers le socialisme ou vers la barbarie. Il s’agit donc bien d’une situation de crise révolutionnaire du système.

Qu’est-ce qui permet de reconnaitre une situation révolutionnaire, par exemple d’une révolte ? Est-ce le niveau de combativité et d’organisation des opprimés, en l’occurrence particulièrement des prolétaires ? Est-ce leur conscience de la nécessité d’aller jusqu’au bout, jusqu’au renversement du système, jusqu’à la prise du pouvoir par les travailleurs sous l’égide d’un parti révolutionnaire prolétarien ? Aucune de ces réponses n’est vraiment exacte. Une révolte peut être très radicale et très auto-organisée et une révolution peut ne pas l’être. Les participants d’une révolte peuvent être très conscients ou ne pas l’être. Non, ce qui caractérise une situation révolutionnaire c’est d’abord et avant tout la crise de la domination de la classe dirigeante, le fait que celle-ci ne parvienne plus à diriger comme avant, que le système de domination ait atteint ses limites. Le thermomètre premier d’une situation révolutionnaire est à mettre dans le derrière de la classe dirigeante. En 1789, on connait les cahiers de doléance, les assemblées populaires qui s’érigent « en permanence », la grande peur liée à la révolte des villes et des campagnes. Mais ce n’est pas le début des événements : c’est la révolte nobiliaire de 1787 qui a lancé la révolution en France car le nobles ne voulaient plus ou ne pouvaient plus payer les impôts et c’est eux qui ont imposé les Etats Généraux pour que les autres Etats paient à leur place. Alors que la royauté était leur pouvoir, ils l’ont ainsi déstabilisé. Ce sont les classes dirigeantes égyptiennes qui ont affaibli le pouvoir du pharaon, entraînant une révolte populaire et, du coup, la suppression du pouvoir pharaonique et la mise en cause des riches eux-mêmes. Il en va de toutes les révolutions : les classes dirigeantes sont elles-mêmes en crise.

Quelles leçons nous tirons des révolutions du passé et des révolutions actuelles ? Quel avenir pour la révolution ?

Avec la crise du système capitaliste mondial, avec les révolution de Tunisie et d’Egypte, du Maghreb et du monde arabe, nous sommes entrés à nouveau dans une ère des révolutions à l’échelle planétaire. Il importe d’en comprendre la signification et de l’intégrer dans l’histoire des révolutions du monde.

1°) Commençons par préciser ce que nous entendons par révolution. Voir l’article suivant : Qu’est-ce qu’une révolution ?. Nous remarquons que les révolutions sont des phases exceptionnelles de la vie sociale qui représentent une part très brève du temps historique. Et nous remarquons aussi qu’elles sont des phases extrêmement étonnantes y compris pour leurs participants qui estiment généralement que « c’est incroyable ce que nous avons pu faire », que « qui aurait cru que… », etc… Cela souligne que ce qui se passe dans ces périodes ne ressemble nullement à ce qui se passe en dehors et que cela n’a nullement été préparé par la situation précédente. Personne n’avait prévu. Personne ne peut prévoir ce qui va se passer. On n’est pas préparé aux révolutions et on ne prétend pas ici s’y préparer car il n’y a pas deux révolutions qui se ressemblent.

2°) Mais alors quelles leçons tirer du passé ? On pourrait croire qu’il faut répondre : aucune ! Puisqu’une révolution n’est pas prédictible, puisque les révolutions ne se répètent pas, puisqu’il n’y a pas deux révolutions identiques, pourquoi parler de leçons pour le présent et pour l’avenir ? La connaissance scientifique des lois ne suppose pas nécessairement la prédiction de la suite des événements. Le vulcanologue et le climatologue connaissent les lois de leur domaine mais ils ne peuvent pas prédire. Par contre, cela permet de comprendre ce que l’on voit ou que l’on mesure. Celui qui participe à une révolution a besoin d’une connaissance des lois pour comprendre la révolution à laquelle il participe. Parce que les événements que l’on voit ne sont pas limpides, parce qu’on ne voit que la partie émergée de l’iceberg, parce qu’on ne participe qu’au début des événements et qu’ils ne disent pas la suite, ils ne parlent pas par eux-mêmes. Ils doivent être décryptés. C’est la connaissance scientifique des lois qui est ici nécessaire et indispensable pour ne pas participer aveuglément à notre propre histoire.

3°) Il ne s’agit donc pas de chercher dans les révolutions du passé des règles à appliquer directement au présent et au futur. Cela ne peut correspondre à la réalité de la révolution qui est toujours un événement, une singularité de l’Histoire. Mais, attention, imprédictibilité et singularité ou événement ne veut pas dire indéterminisme, non obéissance à des lois. Nous prétendons au contraire qu’il y a des lois et que ces lois ne sont pas celles des périodes calmes. Les transitions obéissent à d’autres lois que celles de l’ordre stable.

4°) Mais s’il y a des lois, pourquoi nous dire qu’on ne peut pas établir des règles, qu’on ne peut pas prédire ? Parce que ces lois obéissent à ce que l’on appelle la sensibilité aux conditions initiales. Elles sont des lois concernant la société, des grands groupes d’hommes, mais dépendent de l’action des minorités et donc d’un petit nombre d’hommes. Cela veut dire que des petits facteurs agissent. Par exemple, on peut dire justement qu’à tel moment la révolution française a dépendu de ce qui se discutait au club des Jacobins, soit une fraction très minime des masses en action et encore plus minime de l’ensemble de la société française. Comme on ne peut pas prédire ce que l’échelon inférieur (ici l’individu ou des petits groupes) va faire, on ne peut pas connaitre la suite des événements. Certains philosophes et historiens ont appelé ce facteur de l’Histoire "le nez de Cléopâtre", d’autres "l’action des Grands Hommes". Mais cela va plus loin, c’est l’importance de l’événement (du temps court) dans le temps long historique, l’importance des petits groupes d’hommes ou "minorités agissantes" dans l’action des grandes masses et même l’importance de certains dirigeants de la lutte et des masses en action et de certaines classes sociales. Nous verrons qu’un petit nombre de travailleurs conscients détenteurs d’une direction politique peut être déterminante dans des périodes de transition des révolutions prolétariennes.

5°) Tout d’abord, rappelons ce que sont les révolutions pour l’Histoire. Ce ne sont pas seulement des orages impressionnants et peu fréquents. Ce sont les locomotive d’une Histoire qui, pour le reste, sombre dans la stagnation. La société ne change pas graduellement ni continûment. Elle change brutalement. Les barrages que les classes dirigeantes ont mis méthodiquement ont le même résultat que le frottement a pour les plaques continentales terrestres en mouvement : il n’y a mouvement que brutalement. les révolutions sont les tremblements de terre de l’écorce sociale de l’histoire des sociétés. Comparer les mouvements sociaux révolutionnaires à un volcan, un orage ou un fleuve qui sort de son lit n’est pas un hasard. La révolution est un phénomène naturel au sein du domaine social et humain.

6°) Quel est "le frottement" de l’écorce sociale des sociétés humaines ? Ce sont tous les conservatismes sociaux. On peut lister : les Etats et leur action répressive ou oppressive, l’idéologie dominante, la situation de dépendance et l’idéologie des classes dominées. En effet, il ne faut jamais oublier que les opprimés ont appris à justifier leur propre dépendance, sans quoi la vie de tous les jours leur serait intenable. Quand cette écorce éclate, le chambardement est impressionnant et le plus rapide et impressionnant est justement celui des consciences des opprimés. La passivité politique et sociale relative des opprimés en temps normal est brutalement rompue. La passivité politique et sociale relative des opprimés en temps normal est brutalement rompue. La classe la moins active politiquement devient la plus active. La moins organisée devient la plus organisée même si elle ne l’est pas, ni immédiatement ni spontanément, avec la conscience de sa situation et de son rôle.

7°) En tout cas, nous retenons que la société et les peuples ne peuvent plus fonctionner comme autrefois. Ce qui avait cours auparavant, sans même quasiment de contestation, n’est plus viable. En un temps relativement bref, des changements qui auraient semblé parfaitement irréalistes deviennent possibles. Quelques jours suffisent à renverser un régime et quelques années ensuite à changer de fond en comble une société, un mode de fonctionnement social, un système. C’est d’autant plus étonnant que les principaux acteurs de ce changement sont les premiers étonnés et se disent : certes, nous avons la révolution mais c’est la révolution qui nous a fait. Cela signifie qu’ils constatent que c’est le cours des événements qui les a amené à faire des choses dont ils ne se seraient jamais cru capables et qu’ils n’avaient même pas imaginé. En fait, les acteurs principaux des révolution ont eux-mêmes un certain retard sur leurs propres actes. Il va leur falloir les intégrer, leur donner une signification, des perspectives.

8°) Que ce soit, consciemment ou partiellement de manière inconsciente, au travers des révolution, les peuples opprimés font l’Histoire alors que le reste du temps ils pensaient être juste là pour la subir. Inversement, les classes dirigeantes perdent, momentanément peut-être mais de manière éclatante et cuisante, le fil de leur direction de la société et se mettent à subir les événements. Bien des gens vont dire ensuite : regardez, rien n’a vraiment changé en oubliant que c’est l’essentiel qui a changé. Ce sont les opprimés qui ne sont plus les mêmes. La société, le fonctionnement politique, économique et social n’est pas encore modifiée en profondeur et l’ancienne société est toujours bien là. Parfois, ses institutions fondamentales sont encore loin d’avoir réellement été détruites mais la base même de la cohésion de la société, la passivité des opprimés, est détruite. Comme les historiens ont pu l’écrire, nul ne peut dire si un peuple qui, comme un fleuve, est sorti de son lit, y rentrera jamais, ni où s’arrêteront les bouleversements que le cours de ce fleuve, devenu impétueux, réalisera sur son passage. Dans l’immédiat, les moyens de le canaliser n’existent pas.

9°) Les révolutions ne sont pas de simples coups de colère passagers. Elles peuvent être trompées, jugulées, canalisées mais elles ne s’éteignent pas tout simplement et tranquillement parce qu’elles ont été mues par des mouvements réels du magma sous-jacent et parce que ces forces en profondeur vont devoir trouver une manière de s’exprimer en surface jusqu’aux limites des forces en question. L’activité superficielle n’est pas en permanence l’ébullition mais elle ne fait que manifester partiellement l’énergie des forces sous-jacentes qui sont en jeu. Le volcan peut sembler s’arrêter momentanément de rejeter de la lave mais cela ne dit pas à quel stade il en est de son activité qui, elle, peut n’en être qu’à ses débuts. L’arrêt apparent peut être le prélude d’une explosion encore plus violente et d’une remise en route beaucoup plus dangereuse.

10°) La première tâche des révolutions étant de changer l’état des couches les plus opprimées, ce qui mesure la profondeur de la révolution sociale, c’est à quel point elle amène les opprimés à s’organiser à la base sous la forme de cotés locaux, puis régionaux ou nationaux. Ensuite, il importe de savoir quelles aspirations réelles fondent cette ébullition des masses opprimées. Les buts profonds des opprimés vont bien au-delà de ceux exprimés en premier. Les groupes sociaux qui donnent une expression au mouvement, au début de celui-ci, ne sont généralement pas ceux qui lui donnent sa force et ses perspectives. Au départ, la révolution sociale ne va trouver à s’exprimer qu’au travers de mots anciens, de canaux anciens et de buts qui proviennent du vieux monde. Cela ne signifie pas que la révolution va se limiter à ce stade préliminaire. Elle a commencé par s’étonner elle-même. Elle se cherche. Elle ne sait pas d’avance où elle va. Elle ne sait pas non plus où réside sa force même si elle en constate directement l’importance et l’effet. Elle expérimente et, ensuite seulement, elle en tire des leçons. Elle n’a pas d’idée préconçue de son rôle parce que, la veille encore, elle ne l’imaginait pas et elle était encore moins organisée en vue de telles tâches. Ces balbutiements ne signifient pas que l’enfant à naître soit non viable mais seulement qu’il naît.

11°) L’organisation des opprimés naît comme un enfant. Cela signifie qu’elle émerge d’un monde où elle n’existait quasiment pas. La multiplication de comités, de conseils, d’associations, de piquets, de groupes de défense est le symptôme déterminant des révolutions. C’est aussi le thermomètre qui permet de mesurer les hauts et les bas du mouvement social. Il y a la multiplication de ces groupes, il y a la participation massive, il y a leur ramification, il y a leur poids social et politique parmi les opprimés. Il y a ensuite leur capacité à mettre tout sous leur contrôle. Il y a à la fin leur capacité à détruire l’Etat existant et à construire leur propre Etat. Ce dernier point n’est que l’aboutissement et non le commencement d’une révolution.

12°) Le point crucial à relever concernant les lois des révolutions est qu’elles sont des lois de la lutte des classes. C’est loin d’être une évidence, y compris aux yeux des acteurs principaux de la révolution. Il y a, dans les révolutions, des débuts unanimistes du peuple qui peuvent induire tout le monde en erreur. L’objectif premier, le renversement du dictateur par exemple, peut être porté par tout le peuple, sans distinction de classes, et pourtant refléter des distinctions fondamentales sur les motifs et les buts. Mais, au début, les peuples révolutionnaires ne veulent surtout pas souligner ce qui divise mais mettre en avant ce qui les unit. Ils sont tout étonnés de se retrouver dans la rue, d’être au coude à coude, de s’embrasser, avec des gens qu’en temps normal ils n’auraient jamais côtoyés. Ce sentiment, qui fait certes partie de l’élan révolutionnaire, est aussi son ennemi car l’alliance des classes est une illusion. Au sein même de la révolution, plusieurs classes qui ne visent pas au même but ou visent à des buts opposés sont conjointement en action.

13°) La capacité des masses à mettre en avant des objectifs correspondant aux nécessités de l’heure dépend directement de celle d’une petite fraction, celle de l’avant-garde révolutionnaire des travailleurs et des jeunes, de sa capacité à identifier le sens des mouvements révolutionnaires (montée des masses ou décrue momentanée), les buts et les perspectives de la révolution, à les défendre auprès des masses et à y gagner l’ensemble du mouvement. Elle ne doit pas hésiter à démasquer les faux amis et les dangers que la révolution doit rencontrer et non pas épouser les illusions des masses.

14°) Ces tâches, ces objectifs premiers, sont loin d’être évidentes. Elles ne sont pas le catalogue des revendications populaires. Elles ne correspondent pas nécessairement aux mots d’ordre les plus populaires parmi les masses, même si elles ont un lien avec ceux-ci. Les tâches de la révolution doivent correspondre à un moment de celle-ci dans lequel elles permettent à la classe révolutionnaire de montrer qu’elle, et elle seule, offre de réelles perspectives à l’ensemble des masses en lutte. Elles ont donc un but politique de classe.

15°) Armé de la connaissance du caractère de la révolution, de ses perspectives et défendant publiquement les tâches de l’heure, l’avant-garde révolutionnaire se doit de pénétrer directement les masses pour y défendre infatigablement l’ensemble de ces points de vue que nous appellerons le programme des révolutionnaires. Ce programme doit être mis à l’ordre du jour, point par point, dans tous les comités où il peut l’être. Il doit être débattu, voté, amendé, mis en discussion publique.

16°) Le premier point qui doit être clair aux yeux de l’avant-garde révolutionnaire s’appelle « la question de l’Etat ». C’est la principale mystification des masses opprimées. On peut la résumer sous la forme de l’adage mensonger : « l’Etat, c’est nous ! ». Cette erreur fondamentale des opprimés, grave dans les périodes calmes, est mortelle dans les périodes révolutionnaires.

Partout dans le monde, même dans les pays qui se disent les plus démocratiques, l’ »intérêt d’Etat » justifie que les forces spéciales arrêtent arbitrairement, torturent et assassinent des nationaux comme des étrangers. Même ces fameux « états démocratiques » ont un jour ou l’autre écrasé dans le sang une révolte populaire, une grève ouvrière, une révolution et sont prêtes à le refaire demain. C’est là leur rôle principal. Dans des sociétés où « tuer son prochain » est considéré comme le crime numéro un, on reçoit triomphalement des armées qui ont été aux quatre coins du monde avec autorisation de tuer. Les assassins galonnés sont partout des héros. Le peuple a de nombreuses illusions sur ses militaires. Ils ne sont pas siens mais des assassins payés pour tirer sur le peuple.

Il doit être clair, aux yeux de l’avant-garde révolutionnaire comme à ceux de tous les travailleurs conscients et de tous les jeunes qui souhaitent changer leur sort, que l’Etat actuel – quel que soit le pays ou le régime - est un Etat bourgeois et donc n’est rien d’autre que l’Etat au service de la classe exploiteuse et, comme telle, n’est rien d’autre qu’une bande d’hommes en armes qui servent à préserver l’exploitation contre les masses populaires. Il doit être clair également que les plus larges masses doivent, au travers de leurs expériences, comprendre ce rôle fondamental de l’Etat qui ne vise ni un « intérêt du pays » ni un « intérêt du peuple ». Le caractère violent, injuste, dictatorial, corrompu, profiteur de l’Etat n’est pas « anormal », dû à tel ou tel dirigeant, dû à tel ou tel dysfonctionnement, à telle ou telle mafia liée au pouvoir. L’Etat est ainsi parce que c’est ainsi qu’il servait la classe dirigeante. Il peut changer de forme mais cela ne changera pas le fond. Au contraire, il changera de forme pour préserver le fond qui est de défendre les intérêts des exploiteurs. L’ « intérêt général », cet Etat ne pourra jamais le défendre, ni d’ailleurs aucun autre Etat car il n’y pas d’intérêt qui soit général, c’est-à-dire commun aux exploiteurs et aux exploités. Il importe, dès les premières phases de la révolution, que soit mise en évidence le rôle de l’Etat et son caractère de classe, au service d’une seule classe : celle du capitalisme mondial qui domine le monde. Cela souligne que ce rôle n’est pas purement national et ne peut pas l’être. Il en découle que le combat, lui aussi, n’est pas et ne peut pas être purement national. Nous n’avons pas un problème en Egypte et un problème en Tunisie, un problème aux USA et un problème en Grèce. C’est le même système que nous avons tous en face de nous quelque soient les faces différentes que nous présente ce système suivant l’angle d’où on le perçoit.

L’Etat est d’abord et avant tout l’adversaire de la révolution. Les grandes vagues révolutionnaires de l’Histoire (voir ici les dates) ont toutes connu un développement international depuis la plus haute antiquité, avant même l’histoire écrite. L’Etat n’a pas toujours existé. Quand les inégalités se sont tellement accrues et que les moyens de production se sont développés avec leur corollaire la division du travail et la division de la société en classes, l’Etat n’existait pas. La Grèce antique n’avait pas d’Etat. Bien avant, les classes dirigeantes ont prospéré en Egypte ou en Mésopotamie bien avant que naisse un Etat. L’Etat n’est pas apparu comme un progrès de l’ensemble de la société mais du fait de l’expérience des classes dirigeantes. En l’absence d’une force armée spécialisée dans la répression anti-populaire, le développement des richesses, des villes et du grand commerce a mené à un enrichissement considérable des classes dirigeantes, à de grandes civilisations, à des accumulations de richesses monumentales mais, à un moment, cette inégalité a entraîné une très grande instabilité sociale et, dans des circonstances politiques déterminées, des révolutions sociales violentes. En l’absence de force spéciale de répression, les classes dirigeantes ont été balayées. Toute une étape de la société a connu des formes d’organisation avancées de la société sans posséder un Etat. Des rois pouvaient même être élus sans que des hommes soient placés au dessus du peuple avec droit de vie et de mort. Des civilisations sont ainsi tombées dans le passé sans de grands affrontements parce que les classes dirigeantes des villes et les rois locaux n’étaient pas protégés par cette force spéciale. Les classes dirigeantes ont alors sacrifié une partie de leur fortune et de leur pouvoir qui a été donné à un pouvoir central, l’Etat, quelle qu’en soit la forme, royauté, tyrannie, démocratie… La forme a parfois changé au cours de l’histoire sans que change la classe qui dirigeait, le plus souvent la classe des grands maîtres d’un grand nombre d’esclaves, et, plus tard la classe des seigneurs maîtres des serfs et propriétaires de père en fils du droit de porter les armes et d’hériter des paysans et des terres, enfin de la classe bourgeoise puis capitaliste.

Cette histoire a pris des formes diverses suivant les régions du monde, les pays, les époques mais cette histoire obéit à des lois communes au monde entier. Il n’y a pas plus un capitalisme asiatique qu’un capitalisme russe ou européen. Il y a bien sûr des histoires variées suivant les pays, mais ces histoires obéissent aux mêmes lois économico-sociales. La nature de l’Etat dépend d’abord et avant tout non de considérations nationales, culturelles, locales, nationales ni régionales mais sociales et internationales. L’empire capitaliste est mondial. L’impérialisme domine intégralement le monde et cela indépendamment des régimes, des personnalité gouvernantes ou de la forme des Etats.

17°) De ces considérations générales sur l’Etat découlent des lois qui concernent les classes opprimées en lutte. Jamais, au grand jamais, elles ne doivent croire qu’un Etat dont on a viré le dictateur est devenu un autre Etat, ou qu’il peut être vraiment au service du peuple. L’Etat est notre premier et principal ennemi. C’est lui qui nous a réprimés. C’est lui qui nous a tués. Ne dites pas que c’est uniquement le chef de l’Etat et sa cour qui étaient pourris mais que, « normalement », l’Etat aurait dû nous laisser manifester. Non, l’Etat était dans son rôle en nous réprimant, en nous tuant. La norme de l’Etat bourgeois, c’est de défendre la bourgeoisie de toutes les manières qui seront nécessaires, y compris les pires, le fascisme, la terreur d’Etat, le massacre, la guerre civile. S’il recule momentanément sous les coups de l’action des masses, cela ne veut pas dire que l’Etat est devenu plus proche du peuple mais qu’il tient compte de circonstances nouvelles et agit avec habileté. Il retrouvera son rôle violent contre la population quand cela nécessaire et astucieux. L’adversaire direct de la révolution est l’Etat. Il est le garant de la continuité pour les classes dirigeantes alors que la révolution symbolise justement la discontinuité sociale et politique. Tout Etat, même démocratique est notre ennemi direct. Il est le tueur des peuples révolutionnaires.

18°) La démocratie n’est pas un mot d’ordre à rejeter. C’est certainement un objectif réel des masses qui doit être pris en compte dans le programme des révolutionnaires. Cependant, il ne doit pas servir à tromper les masses populaires en leur faisant croire que cette démocratie est la même pour toutes les classes, que l’Etat bourgeois a cessé d’être bourgeois parce qu’il a ravalé sa façade démocratique. Non, opprimés et oppresseurs n’ont pas la même idée de la démocratie et ne la veulent pas également. Revendiquer des droits démocratiques est certes indispensable mais cela ne veut pas dire qu’on va prétendre que l’on aura démocratisé l’Etat. On ne démocratise pas une armée, ni une prison, ni la police, ni la justice, ni des généraux. On obtient momentanément des droits en fonction d’un rapport de forces ou d’une situation. C’est très différent. Et d’abord, quand on se dit révolutionnaire, on n’attend rien de l’Etat et on ne dit pas aux masses populaires en lutte que l’Etat doit nous donner ceci, ou qu’il doit nous faire cela. On dit que l’on va, par notre rapport de forces, imposer ceci ou cela. Ce n’est pas du tout pareil. Il n’y a rien de bon à parler à la poule de gentils renards, de renards démocratiques, qui vont venir gentiment parlementer dans le poulailler… Il n’y a rien de bon à faire croire aux brebis que des bons bergers vont remplacer les mauvais et mieux nous garder, jusqu’au moment où ces bergers estimeront que c’est le moment de nous amener à l’abattoir. Nous ne sommes ni des brebis ni des poules et nous n’avons pas besoin de discours mensongers pour nous faire plumer ou dépouiller.

Les revendications démocratiques doivent être discutées et bien formulées mais l’Etat démocratique est un leurre, un attrape-nigaud et il ne doit jamais faire partie des programmes des révolutionnaires, pas plus qu’une constitution dite démocratique ou qu’un "Etat de droit". Tous ses termes sont déjà mensongers et trompeurs. Le bâton de la répression, la mitrailleuse ou le tank éventuellement, ne sont pas démocratiques et ne peuvent jamais l’être, pas plus que la banque, la prison, la bourse, l’huissier ou le policier.

On ne réforme pas l’Etat des exploiteurs et des oppresseurs, on le détruit, on le renverse quand on en a la force.

Ceux qui parlent de le réformer, de le transformer, de l’améliorer nous mentent. Ce sont des gens qui se trompent ou des gens qui nous trompent.

19°) Le second point crucial est celui des classes dirigeantes. Il ne s’agit pas des hommes politiques, des chefs des administrations, des média ou du gouvernement. Non, il s’agit des chefs et des propriétaires des sociétés, des immeubles, des commerces, des transports, des banques, des assurances, des bourses, des trusts, de la finance, de l’armée, de la police et de la religion. Ces gens-là sont liés entre eux par mille liens et souvent ils font partie des mêmes familles ou exercent en même temps différents rôles. Ce qui les guide est l’intérêt économique bien entendu avant toute considération politique ou idéologique. Ou plutôt leur idéologie et leur politique sont déterminés en premier par des intérêts de classe et pas par un culture, une religion, une ethnie, une région ou des idées. Ce sont ces classes-là qui nous jettent dans la misère, nous exploitent, nous rejettent dans le chômage, le manque de logement d’éducation, de santé, etc… L’Etat n’est que leur paravent, leur bouclier, leur béquille éventuellement. Nous ne devons jamais oublier qu’ils mentent lorsqu’ils affirment avoir fait la richesse d’un pays. Et tout d’abord, les exploiteurs et les exploités ne sont pas du même monde, ne font pas partie du même pays. Et moins que jamais dans une phase de révolution qui va nécessairement exacerber à un moment ou à un autre tous les conflits de classe.

20°) S’il doit être clair que notre adversaire n’est pas un parti, un clan, une caste mais une classe sociale liée au système capitaliste mondial, il doit l’être aussi que l’organisation de notre lutte doit être indépendante de cette classe et de son Etat. Ni les représentants de l’Etat ni ceux de la bourgeoisie ne doivent appartenir aux comités des masses populaires en lutte. Les opprimés ont besoin de s’organiser, c’est-à-dire de se choisir des délégués en leur propre sein pour débattre de leurs problèmes et discuter de leurs solutions entre eux.
Les délégués élus des conseils, des comités, des piquets, des milices, de quartier, d’usine, de bureau, d’école, de campagne doivent être des gens issus de ces quartiers, de ces usines, de ces bureaux, de ces écoles, de ces campagnes et pas des « personnalités indépendantes », des « experts », des techniciens », des « spécialistes ». Ils ne sont pas des intermédiaires entre le peuple révolutionnaire et l’Etat, entre exploiteurs et exploités. Ils n’ont pas à négocier avec les classes dirigeantes, ni avec leurs représentants politiques ou militaires. Les élus du peuple travailleurs doivent avoir pour but de se réunir, non avec la classe adverse, mais avec notre classe, celle du peuple travailleur. L’assemblée des délégués est une assemblée de décision du peuple travailleur qui débat des moyens de lutte, des buts de la lutte, des forces adverses, des programmes d’action, etc… Les délégués du peuple travailleur ne sont pas des émissaires chargés de plaider notre cause auprès des classes dirigeantes. Ce ne sont pas des avocats, des négociateurs ni des représentants chargés de participer au gouvernement bourgeois. Une telle participation signifierait seulement la mise sous tutelle bourgeoise du mouvement populaire et non la mise sous tutelle populaire de l’Etat ni sa démocratisation.

21°) Le peuple travailleur doit d’abord se constituer lui-même. Il sort d’une époque où sa voix a été étouffée, où il n’a pas pu mesurer lui-même ses propres aspirations, ses forces, ses faiblesses. Il a besoin, au travers de l’organisation en comités, de se mesurer, de s’éduquer, de se transformer, de percevoir la révolution, d’en être conquis, d’être pénétré de ses buts, de prendre conscience de ses possibilités, de les débattre. Il lui faut du temps pour se former à son nouveau rôle et devenir ainsi une classe capable de se diriger elle-même avant d’être capable de diriger toute la société. Les classes bourgeoises ne sont pas nées, elles non plus, avec la capacité de diriger la société. Elles ont appris au cours des révolutions, ont transformé ainsi leur point de vue de départ au cours des années de révolution. Aucune classe ne nait avec la capacité de se diriger et de diriger la société. La révolution doit être une école du peuple travailleur en vue de sa transformation en classe dirigeante capable de diriger toute la société et d’abord de prendre la tête de toutes les couches opprimées.

Que le peuple travailleur se porte consciemment à la tête de l’ensemble des opprimés n’est pas évident ni spontané. Cela ne peut qu’être le travail de la minorité qu’est l’avant-garde révolutionnaire, des travailleurs conscients et des militants qui ont fait ce choix politique et social. Ce qui est spontané, c’est la revendication politique populaire contre un dictateur dans laquelle le peuple travailleur ne se sent qu’une fraction de la révolution, ni plus radicale ni plus en pointe que les autres. Ce qui est spontané aussi, c’est l’action syndicale revendicative dans laquelle les travailleurs tentent d’arracher des concessions économiques aux classes dirigeantes. Mais cette action syndicale revendicative, même lorsqu’elle participe du mouvement révolutionnaire, ne suffit pas à porter la classe ouvrière à la tête de tous les opprimés. Et si, par extraordinaire, les événements font tous seuls du peuple travailleur l’aile marchante de la révolution, même si des syndicats se retrouvent ainsi portés en tête de celle-ci, cela ne remplacera nullement l’action politique consciente des travailleurs que ces syndicats, même s’ils n’étaient pas bureaucratisés et instrumentalisés par l’Etat et les patrons, ne seraient nullement capables de mener. Et cela parce que la tâche en question n’est pas syndicale mais politique.

De longue date, tout a été fait pour présenter aux travailleurs la politique comme extérieure à l’action de leur classe. La révolution est une intervention directe et politique des masses sur le terrain politique, mais le poids du passé est énorme et ne sera pas secoué du premier coup. Et il n’est pas dit que les masses en tirent du premier coup qu’elles devront mener elles mêmes leur propre politique. L’adage selon lequel « je ne fais pas de politique » a été réservé aux couches populaires. Les classes bourgeoises et petites bourgeoises ne se disent pas cela !

Or, pour que les travailleurs se portent à la tête de l’ensemble des opprimés, il est indispensable que leurs assemblée débattent sans cesse de politique, que les travailleurs aient la volonté de comprendre la politique, et surtout qu’une politique ouvrière révolutionnaire soit défendue par l’avant-garde révolutionnaire dans ces assemblées populaires.

Même dans les révolutions qui, dans le passé, avaient mis en branle les plus grandes masses prolétariennes, il n’y avait rien de spontané à ce que les travailleurs mettent en avant leurs propres objectifs, leur permettant de donner la direction à l’ensemble de la révolution. Il n’y avait, par exemple, rien de spontané à ce que l’ouvrier russe accorde une grande importance à la libération des peuples opprimés par l’empire tsariste et ce lien entre l’action prolétarienne des capitales et les droits des peuples opprimés a été une des clefs du succès de la révolution. Une autre révolution qui a connu une participation massive des travailleurs menant à des victoires momentanées a été la révolution d’Espagne de 1936. Mais, cette fois, le lien entre l’action prolétarienne et l’indépendance du peuple marocain colonisé n’a pas été défendue par l’avant-garde révolutionnaire ni mise, du coup, en avant par le peuple travailleur qui menait pourtant l’action révolutionnaire contre l’armée fasciste. Du coup, cette dernière a pu s’organiser à partir du Maroc pour écraser la révolution.

Ce n’est bien entendu qu’un exemple. Mais ce seul exemple suffit à montrer que la manière dont le peuple travailleur peut s’emparer des aspirations démocratiques est très différente de la manière dont les couches bourgeoises et petites bourgeoises se parent du drapeau de la démocratie.

22°) Tout le monde parle de démocratie mais il importe d’y donner un contenu concret et direct. On voit tout de suite la distance entre la démocratie prolétarienne et la pseudo-démocratie bourgeoise. La bourgeoisie estime en effet parfaitement démocratique que le patron d’usine décide en fonction de ses propres intérêts que des milliers d’ouvriers de son usine perdent leur emploi alors que c’est leur travail qui a fait les profits de l’entreprise. Toutes les sociétés démocratiques capitalistes le voient de la même manière. Suivant la classe à laquelle nous appartenons, nous ne voyons pas de la même manière ce qui est démocratique et ce qui ne l’est pas et nous n’avons aucun intérêt à camoufler ces divergences de vue.

Par exemple, la dictature s’appuie sur des bandes d’hommes en armes qui arrêtent, torturent, tuent. Imposer le droit du peuple à s’organiser en milice d’auto-défense armée est un moyen de faire de la lutte contre la dictature une étape vers le pouvoir aux travailleurs. Les droits démocratiques, c’est aussi le droit du soldat à s’organiser et à faire de la politique. Les généraux ont ce droit et ils en abusent. Si nous voulons que le soldat cesse d’obéir à sa hiérarchie quand celle-ci lui commande de tirer sur le peuple révolté, ce n’est en demandant à l’Etat lui-même – lui qui nous envoyé ses tueurs - d’en décider que l’on l’obtiendra, ce n’est pas en modifiant des textes juridiques ou en demandant des belles déclarations en ce sens à de nouveaux politiciens au pouvoir que l’on l’obtiendra. Il faut que les comités de travailleurs des villes et des campagnes, de jeunes, de femmes, de chômeurs, etc, soient liés aux comités de soldats de bas ne comprenant aucun gradé. Il faut soutenir la lutte des soldats de base pour leurs revendications et les assurer de l’appui populaire. Il faut que le soldat qui souhaite refuser de réprimer se sente appuyé, qu’il soit persuadé qu’il sera protégé par les masses populaires et violemment combattu sinon.

Les aspirations démocratiques, telles qu’elles sont défendues par le peuple travailleur, doivent inclure certaines des aspirations politiques et sociales des plus pauvres parmi les couches petites bourgeoises : accès à la terre, fournitures de moyens d’irrigation de graines et d’engrais pour les petits paysans, remise des dettes, interdiction des expulsions des petits boutiquiers, accès à l’enseignement pour tous, à la santé pour tous, au logement pour tous, pas de passe-droit dans les démarches administratives et étatiques, etc…

Mais, direz-vous, dans tout cela vous ne nous dites pas quelle démocratie vous voulez ? Car cette démocratie là, celle du peuple travailleur, ne pourra jamais être octroyée par l’Etat bourgeois même réformé. La démocratie du peuple travailleur c’est : tout le pouvoir aux comités populaires, d’ouvriers, de paysans, de jeunes, de femmes, de chômeurs, de soldats.
Comment pourrait-on parler de démocratie là où les armés n’appartiennent qu’aux généraux, les usines aux patrons, les biens aux capitalistes et le droit de faire de la politique et de décider à une minorité liée aux profiteurs ?

Non ! La démocratie doit être sociale et cela suppose que les opprimés décident directement en politique. Ils n’ont pas besoin pour cela d’être représentés par des partis bourgeois et des politiciens bourgeois, quelle que soit leur couleur politique.

Bien entendu, dès que l’on parle de supprimer l’Etat bourgeois et de mettre en place le pouvoir aux travailleurs, la plupart des travailleurs sont eux-mêmes défavorables ou sceptiques. Pas de police égale insécurité. Pas d’armée égale attaque des armées étrangères et plus d’indépendance nationale. Pas de bourgeoisie égale pas de travail. Plus d’Etat égale plus de règles et c’est le chaos violent et nullement porteur de bien-être et de paix.

23°) On mesure ainsi que le poids social et politique des classes dirigeantes, même en période révolutionnaire, es t encore considérable dans les consciences. Les opprimés, même quand ils sont en première ligne de la révolution, et même quand les classes dirigeantes ont fait montre de toute leurs horreurs, n’ont pas spontanément confiance dans leur capacité collective diriger la société. Ils n’ont aucune raison d’avoir naturellement cette confiance car rien dans la vie sociale ne les y pousse. Ils n’ont jamais l’occasion de participer réellement aux décisions et de mesurer cette capacité à diriger.

L’histoire des révolutions montre pourtant que les opprimés au pouvoir ont été bien plus capables que les classes bourgeoises à mettre en place une société dépourvue d’insécurité et de violence. Paris sous la Commune prolétarienne de 1871 était bien calme que le Paris bourgeois. Avant que toutes les bourgeoisie du monde n’attaquent militairement l’Etat ouvrier russe en y menant une atroce guerre civile par le moyens de leurs armées, la Russie ouvrière était bien plus sécurisée pour les peuples que celle des tsars avec ses pogromes, son arbitraire policier et ses répression continuelles.
Pour l’avant-garde révolutionnaire, pour tous les travailleurs conscients, pour tous ceux qui veulent militer jusqu’au bout pour la liberté, il doit être clair qu’il n’y a pas d’autre révolution démocratique que celle qui mène au pouvoir direct des opprimés se gouvernant eux-mêmes. Car la liberté ne se donne pas. Aucun Etat ne peut nous donner la liberté si nous, opprimés, n’agissons pas consciemment pour imposer cette liberté.

24°) La révolution n’est pas une action, une fois, puis on rentre chez soi, le travail fait, en ayant remis le pouvoir à des « démocrates » qui vont gouverner à notre place pour qu’on s’occupe « tranquillement » de notre emploi, de nos études, de nos familles…

La révolution, c’est l’action permanente des masses qui ne rentrent pas tranquillement chez elles une fois le dictateur tombé et qui continuent à rester organisés dans leurs comités révolutionnaires, qui continuent à contrôler tout ce qui se passe, tout ce qui se décide, se mobilisent à nouveau dès que c’est nécessaire et restent organisés dans ce but. La révolution est permanente en un autre sens aussi. Les objectifs de la révolution s’approfondissent au fur et à mesure de la révolution par la transformation de la conscience des obstacles, des ennemis et des tâches.

25°) Il n’y a pas une étape démocratique de la révolution qui serait suivie, plus tard, d’une étape socialiste. Du moment que les travailleurs agissent sur la base d’une politique de classe, en agissant pour la démocratie telle qu’ils la conçoivent, ils avancent vers le pouvoir au travailleur et vers le socialisme.

Il doit être clair aux yeux de l’avant-garde révolutionnaire que les aspirations qui débutent les révolutions ne peuvent être réalisées que par le pouvoir aux travailleurs, ce qui nécessite la destruction du pouvoir des exploiteurs.

En ce sens, les revendications des débuts de la révolution ne peuvent être celles qui seront mises en avant par la suite, puis encore après. La révolution avance ou elle recule mais elle ne peut rester en place. C’est la dynamique révolutionnaire qui caractérise ses lois : la révolution tient tant qu’elle avance.

26°) Cependant aucune linéarité, aucune régularité, aucune continuité ne caractérise ce mouvement. Les masses ne sont pas remontées une fois pour toutes, sans recul de la mobilisation, sans recul de la conscience, sans déception, sans erreur, sans défaite. Les masses souhaitent une victoire collective rapide qui leur permettra de s’occuper à nouveau de leurs affaires personnelles. Elles peuvent quitter rapidement la scène de l’action collective si on est parvenu à leur faire croire qu’à nouveau, pour toute une période, il fallait attendre, faire confiance, soutenir le nouveau pouvoir, lui donner sa chance, etc... Les masses ne demandent pas mieux que d’espérer que les classes dirigeantes ont fini par les comprendre, que des éléments éclairés de l’ancien appareil d’Etat ou de nouveaux dirigeants vont enfin accéder à leurs demandes, au moins les plus urgentes. Cela ne signifie pas que les masses sont bêtes, sont faciles à duper, ne méritent pas de se faire confiance. Cela signifie simplement que l’ordre social a tenu pendant de longues années, à l’échelle mondiale, et que toutes ces années ont implanté durablement l’idée que le pouvoir bourgeois mondial est éternel.

Pourtant, le simple fait que l’ère des révolutions soit revenue après l’effondrement capitaliste mondial de 2008 est le symptôme que la domination bourgeoise de la société a fait son temps. Cela ne suffit pas à produire de manière automatique une nouvelle conscience prolétarienne et surtout pas la conscience de la nécessité pour les opprimés de se gouverner eux-mêmes. Il faudra bien des batailles, et bien des défaites, pour reconstruire une conscience communiste révolutionnaire du prolétariat. Et cela ne viendra pas tout seul sans l’intervention des minorités militantes préparées politiquement et ayant fait des choix sociaux et politiques clairs.

27°) Quels sont ces choix ? Que peut être la volonté politique et sociale de ces minorités révolutionnaires pour qu’elles apportent aux masses travailleuses une direction politique leur permettant d’assumer les tâches historiques qui reviennent aux prolétaires ? Voici un article qui le résume : ce que nous voulons et ce dont nous ne voulons plus

L’internationalisme est le premier critère de ces minorités révolutionnaires. Cela signifie d’abord que ces minorités soient débarrassées des préjugés communs aux masses populaires sur « notre pays », « notre nation », « notre Etat », « notre culture », « notre glorieux passé national », « notre peuple » et autres balivernes communément propagées parmi les opprimés. Cela suppose une culture historique qui ne se limite pas aux périodes que nous sommes en train de vivre. Les activistes révolutionnaires qui méprisent la connaissance de l’Histoire et de la Philosophie ont peut-être toutes les bonnes intentions du monde mais ils envoient les peuples vers toutes les impasses que l’Histoire déjà expérimenté. Bien sûr, les événements ne se reproduisent jamais à l’identique mais cela n’empêche pas un individu d’apprendre à l’aide similitudes et d’acquérir ainsi une certaine expérience. La connaissance des luttes sociales et révolutionnaires dépasse les frontières nationales et nécessite de dépasser les préjugés nationalistes.

A l’époque impérialiste à laquelle nous appartenons, le caractère de la lutte des classes est déterminé par deux forces fondamentales : l’impérialisme et le prolétariat. Ce sont deux classes qui ne sont pas seulement nationales, mais internationales et mondiales. La bourgeoisie peut bien avoir des caractéristiques typiques dans tel ou tel pays, elle n’en fait pas moins partie d’un partage mondial du travail, des affaires, des marchés, des profits. Le prolétariat peut avoir des caractéristiques sociologiques différentes d’un pays à l’autre et même d’une région ou d’une corporation à l’autre. Il n’en est pas moins une seule et même classe mondiale. C’est aussi ce qui en fait l’adversaire numéro de la classe dirigeante du monde.

Mais, surtout, comme la bourgeoisie capitaliste est au cœur de l’impérialisme, le prolétariat qui fonde, par son travail, la plus-value capitaliste, est au cœur de la lutte contre l’ordre social impérialiste en place. Les prolétaires ne sont pas nécessairement les plus nombreux, les plus actifs à tous moments. La jeunesse est souvent plus active, plus bruyante, plus confiante, plus éruptive, mais elle ne représente pas, seule, une perspective sociale différente de celle des classes dirigeantes.

28°) C’est en termes de perspectives que le prolétariat communiste est la seule alternative à l’impérialisme du capitalisme. C’est la seule classe capable de proposer de sortir du système, même si la conscience de cette capacité ne sera pas spontanée. Certaines couches petites bourgeoises, particulièrement des campagnes, peuvent être plus nombreuses ou plus paupérisées que le prolétariat, mais leurs aspirations sociales ne sortent pas du système.

Les prolétaires sont très loin de vouloir spontanément en sortir, bien entendu. Mais ils ont montré maintes fois, au cours de l’Histoire, qu’ils en avaient la capacité.

Loin de montrer que c’était une lubie sans perspective, ces expériences historiques ont montré que les classes dirigeantes craignaient le prolétariat communiste comme la mort.

Bien entendu, si nous sommes, partout dans le monde, sous la coupe de la classe capitaliste, c’est que ces révolutions communistes et prolétariennes ont été vaincues. Mais des défaites ne sont pas la preuve d’une absence de perspective. La bourgeoisie a subi de milliers de défaites dans son combat contre la noblesse et les royautés et elle n’en a pas moins fini par triompher et son système a partout battu la société féodale, à tel point que la classe bourgeoise ne craint plus nulle part d’être renversée par la féodalité. Et la classe bourgeoise n’avait pas plus spontanément confiance dans ses capacités politiques et sociales que le prolétariat. Ce sont les bourgeois français qui avaient pris le pouvoir à Paris en 1356 (pas en 1789 !) qui ont renversé et tué leur chef Etienne Marcel parce qu’ils estimaient ne pas pouvoir se passer des nobles et des rois. Ce sont les bourgeois anglais venus au pouvoir avec Cromwell, cent cinquante ans avant la « révolution française », qui ont renoncé à se pouvoir pour s’entendre avec la noblesse et remettre en place une royauté constitutionnelle. La conscience d’un rôle historique dépend aussi des minorités d’avant-garde. Pas de révolution française sans les Robespierre, les Saint-Just, les Marat. Pas de révolution prolétarienne allant jusqu’au bout sans militants communistes révolutionnaires.
Mais faut-il que ces minorités conservent le terme de « communiste » alors que ce terme a été dévoyé par les dictatures quasiment fascistes des pays staliniens ?

Est-ce que quelqu’un propose de supprimer le mot « liberté » parce que les anciens pays coloniaux qui menaient les peuples colonisés à la baguette terroriste, en ont été les premiers défenseurs ?
La question dépasse largement le terme et le rôle assurément néfaste des mensonges des staliniens et des nationalistes qui ont dévoyé ce terme et de la bureaucratie qui a usurpé d’abord le pouvoir en Russie après l’isolement et le recul de cette révolution.

29°) La question est la suivante : quelle perspective maintenant que le capitalisme a historiquement fait son temps, atteint ses limites, et n’est plus capable d’offrir d’avenir à l’humanité ?

Mais, direz-vous, voilà une affirmation bien audacieuse. Le retour des révolutions signifie-t-il que le capitalisme est définitivement mort ? N’est-ce pas une manière de prendre ses désirs pour des réalités et de croire que le travail de renversement de la classe dirigeante serait déjà fait alors qu’il n’est même pas abordé ni mis à l’ordre du jour par les événements ?

Croyez-vous qu’à l’époque de Cromwell, il était évident que le système de domination de la classe des propriétaires terriens avait fait son temps ni que la bourgeoisie capitaliste devait apparaitre et gouverner ?

Croyez-vous qu’en 1356, il était évident, à part à une avant-garde dont Etienne Marcel faisait partie, que la bourgeoisie devait s’organiser en tant que classe, porter les armes et gouverner ? D’où avait-il tiré ses idées ce Marcel ? De la connaissance historique des révolutions de Gand, du Brabant, des Pays-Bas, de Hollande… qu’il connaissait en tant que grand négociant de tissus de luxe… et que leader politique de la grande bourgeoisie parisienne.
Sans cette audace révolutionnaire, l’avant-garde n’est rien. La « grande révolution française » s’est faite grâce aux circonstances par lesquelles la noblesse et la royauté ont été renversés, mais il a fallu pour cela une intervention consciente des minorités militantes révolutionnaires : ceux qui ont dit « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes », « Le roi a convoqué des Etats généraux pour voter l’impôt mais nous décidons de nous transformer en assemblée représentant l’ensemble du peuple français », « Nous appelons les comités des Etats généraux à se réunir en permanence pour surveiller et contrôler », ou encore « Qu’est-ce que le tiers état ? Il n’est rien ! Que doit-il devenir ? Tout ! ».

Cela résulte de l’action des minorités militantes. Comme la prise de pouvoir par la Commune de Paris en 1871. Ou comme la prise du pouvoir par les soviets en Octobre 1917.

Etait-il clair que la révolution débutée en 1789 allait donner le pouvoir à la bourgeoisie, supprimer les droits féodaux de l’Ancien régime et démolir la royauté ? Certainement pas ! Mais cela n’aurait jamais eu lieu sans l’action politique des minorités révolutionnaires au sein du peuple mobilisé en permanence. La révolution permanente est indispensable au progrès de la conscience révolutionnaire et la connaissance des lois de la révolution permanente, développées par Marx et Trotsky, est indispensable aux militants politiques communistes.
Une classe sociale qui est amputée de sa direction révolutionnaire ne peut pas jouer son rôle historique, même si les circonstances historiques générales sont là, même si les circonstances sociales et politiques locales sont favorables, même si les classes dirigeantes sont assez mal dirigées elles-mêmes ou dans une grave crise de leur domination.

Les débuts des révolutions sociales qui ont démarré au Maghreb et dans le monde arabe doivent sonner le tocsin et réveiller les militants qui, partout dans le monde, aspirent à donner une perspective nouvelle à la libération de l’humanité de toutes les oppression et de toute exploitation.

Certes, participons à toutes les mobilisations mais n’oublions pas que notre tâche nécessite l’étude des situations révolutionnaires du passé.

Certes il importe de former politiquement et socialement l’avant-garde mais pourquoi lui donner des objectifs qui n’entrent pas dans les intentions de départ des masses en lutte, y compris du prolétariat, à savoir les buts communistes de la suppression de la propriété privée des grands moyens de production et des finances. Formulé autrement, cela signifie qu’on ne voit pas pourquoi cette avant-garde devrait pousser le prolétariat à bâtir le communisme alors que cela n’entre nullement au départ dans les projets des prolétaires. Cela semble contradictoire tout autant que de vouloir absolument que les travailleurs gouvernent directement alors qu’ils n’en ont pas l’intention. Ou encore qu’ils suppriment l’Etat bourgeois alors qu’ils ne le souhaitent pas spécialement.

Bien sûr, le malade ne souhaite pas spontanément qu’on l’opère, la femme ne demande pas qu’on lui ouvre le ventre si la naissance se passe mal. Nous n’avons pas spontanément conscience de ce qui est nécessaire pour nous soigner. Nous n’avons pas non plus spontanément la connaissance de nos maladies même si nous les vivons.

D’autre part, la révolution est le produit de contradictions portées à l’extrême. Parmi ces contradictions, il y a celles, économiques et sociales, qui ont préparé la crise de la société bourgeoise, il y a celles, politiques, économiques et sociales qui ont mené le pays au bord du chaos et il y a aussi celles de la conscience des prolétaires.
Les contradictions signifient que des forces contraires croissent en même temps. Bien malin qui peut dire laquelle va l’emporter. Celui qui croit que le monde n’obéit pas à des contradictions inséparables et dynamiques dira : ou bien le prolétariat est révolutionnaire ou bien il ne l’est pas ; les deux étant pour lui incompatibles. Ou bien le prolétariat est communiste ou il ne l’est pas. Ou bien il est porteur d’un autre système que le capitalisme ou il ne l’est pas. Ou bien il veut prendre le pouvoir, ou bien il ne le veut pas.

Le dialecticien ne pense pas que le monde fonctionne ainsi.
La dynamique, les changements radicaux, les sauts, les discontinuités, les révolutions sont possibles parce que les masses, comme la réalité sociale et politique qui nous entoure, sont contradictoires au sens dialectique et non au sens diamétral.

Chaque situation contient en germes son opposé. Les deux peuvent croitre ensemble. Le prolétariat peut grandir en importance sociale, à mesure que la bourgeoisie grandit. La crise révolutionnaire de la conscience des masses peut grandir à mesure que la crise de la domination de la bourgeoisie se développe et devient évidente.
Le basculement, brutal et qualitativement discontinu, est possible parce que la situation contenait déjà un état et son opposé, même si cet opposé était encore en germes, en développement ou dans une situation dominée ou virtuelle.

Il n’y a pas de miracle dans le fait de croire que le prolétariat deviendra un jour communiste et révolutionnaire parce que cela correspond à une situation objective : les classes dirigeantes, en période révolutionnaire, ne parviennent plus à gouverner la société, ne trouvent plus de solutions, détruisent elles-mêmes l’ordre qu’elles avaient toujours cherché à défendre. En cas de crise, les intérêts individuels de la classe dirigeante entrent en contradiction avec leurs intérêts collectifs. Cette contradiction avait toujours existé mais elle prend un caractère paroxystique du fait de la crise sociale et politique.
Dans la crise mondiale du système, la contradiction du système qui explose provient du fait que le capital, qui ne croit que grâce à la plus-value issue des investissements productifs, se met à ne plus investir dans le capital productif. Les capitalistes individuels n’ont plus intérêt à y investir quitte à couper la branche sur laquelle ils sont assis.
La révolution sociale n’est pas un simple produit d’une contradiction diamétrale du type riches et pauvres, oppresseurs et opprimés, exploiteurs et exploités. Sinon, les pays les plus pauvres ou les quartiers les plus pauvres auraient depuis longtemps explosé.
Dans la révolution prolétarienne, la crise peut être enclenchée par des couches non prolétariennes. La révolution communiste par des masses qui n’étaient nullement communistes au départ. Et le petit peuple de Paris de 1871, avant la révolution, ne suivait pas au départ le prolétariat qui, pour sa part, ne visait pas du tout à diriger une révolution communiste.

Il en va de même dans la révolution russe. Les Russes n’étaient pas naturellement ou par éducation communistes ni révolutionnaires. C’est la dialectique de la dynamique historique qui a soulevé les masses leur démontrant leur capacité révolutionnaire et les mettant en face du choix : prendre la tête des événements ou être écrasés. Or, si le prolétariat prend la tête des événements, il est objectivement une force communiste qui aura tendance à mettre sous contrôle collectif les grands moyens de production. Là aussi, il doit aller vers cela ou être battu.

La connaissance des lois dialectiques de la dynamique sociale et historique est indispensable aux militants qui veulent œuvrer de manière révolutionnaire consciente.

Le monde est dialectique. Ce n’est pas un discours philosophique qui l’est.

Celui qui n’est pas dialecticien regarde le monde comme figé. Il oppose l’inerte et le vivant de manière diamétrale. Ou encore la matière et la lumière. Ou les objets et le vide.

Si l’inerte peut produire les matériaux du vivant, si la matière peut émettre de la lumière, si la cellule vivante peut s’autodétruire, c’est que toutes ces situations étaient contradictoires dès leur naissance. La vie contient à l’intérieur d’elle-même son mécanisme de destruction non comme ennemi mais comme un mécanisme indispensable à son fonctionnement. La bourgeoisie a absolument besoin de développer un prolétariat et absolument besoin de lui imposer un mode d’existence qui va le pousser, un jour ou l’autre, à la révolution communiste. La matière s’oppose à la lumière mais, en même temps, la matière est en un sens un peu lumière et la lumière est en un sens un peu matière. Dans la même logique par laquelle le vide est un peu matière et la matière est faite de vide.

Lors des sauts, des discontinuités de la nature et de la société, il y a création mais pas miracle. Il y a émergence mais d’états qui existaient déjà en virtuel.

La dialectique révolutionnaire est sans cesse à l’œuvre dans les situations de crise sociale. Il importe de la comprendre pour interpréter les événements que nous vivons : des masses qui passent, brutalement et sans prévenir, sans transition, du désespoir suicidaire à l’allégresse révolutionnaire, de la passivité maximale au maximum d’activité politique et sociale. Si on comprend ces discontinuités révolutionnaires et leur logique, on est en état de développer le programme révolutionnaire. Sinon, ce n’est pas un parti révolutionnaire que l’on construit mais un parti conservateur qui restera en retard sur les événements et ne fera que contresens sur contresens, même avec la meilleure bonne volonté du monde…
Les situations révolutionnaires sont les plus pleines de contradictions violentes : à la fois, elles sont proches du triomphe de la révolution et de la victoire de la pire contre-révolution, à la fois les masses sont prêtes de basculer vers l’avant et de rejet er en arrière, à la fois une étape peut être celle d’un saut vers l’avant et si celui-ci n’est pas réalisé à temps il peut devenir le moment du pire recul. Les périodes calmes étaient celles des « justes milieux », de la conservation, de la stabilité, et elles ne nous ont nullement préparé philosophiquement à l’ère des révolutions. C’est à nous de nous éduquer pour les comprendre et prétendre y naviguer avec succès.

Bien entendu, c’est au travers de son intervention au sein des masses qu’une avant-garde se forme et s’éduque. Elle a beaucoup à apprendre de la science révolutionnaire mais aussi beaucoup d’enseignements à tirer de l’intelligence des masses qu’elle ne doit jamais négliger.

De tout ce qui précède on ne peut bien entendu pas déduire mécaniquement ce qu’il faut dire ou faire ici ou là, ce qui va se passer dan tel ou tel pays ni comment va se développer la révolution mondiale. Nous laissons ce type de discours aux prédicteurs. Nous nous contentons de tenter d’intervenir en acteurs conscients des lois du monde afin de le transformer. C’est déjà incroyablement passionnant et enthousiasmant.


La définition de la situation révolutionnaire :

« Ceux d’en bas ne veulent plus

Ceux d’en haut ne peuvent plus

Ceux du milieu basculent avec ceux d’en…bas…

L’existence d’une force de transformation révolutionnaire : conscience, organisation de secteurs les plus mobilisés, direction bref, un ou des partis révolutionnaires…pour renverser l’ordre établi ».

Lénine

"La révolution dans son ensemble est un brusque tournant histo­rique. A y regarder de plus près, nous y découvrons une série de tournants d’autant plus brusques et critiques que les événements révolutionnaires se déroulent à une cadence plus folle. Chacun de ces tournants est avant tout une épreuve très importante pour les diri­geants du parti. Schématiquement la tâche ou plus exactement les objectifs de ce dernier portent sur les éléments suivants : comprendre à temps la nécessité d’une nouvelle étape ; y préparer le parti ; prendre le tournant sans couper le parti de la masse qui se meut encore en vertu de l’inertie de la période précédente. A ce propos il faut se rappeler que la révolution distribue avec beaucoup de parcimonie aux dirigeants du parti la matière première essentielle : le temps. Lors d’un tournant trop brusque la direction centrale peut se trouver en opposition avec le parti lui-même, le parti peut se trouver en opposition avec la classe révolutionnaire ; mais, d’autre part, le parti et la classe qu’il dirige, qui suivent le courant d’hier, peuvent prendre du retard dans la solution d’une tâche urgente posée par la marche objective des événements, et chacune de ces perturbations de l’équilibre dynamique risque d’être mortelle pour la révolution."

Léon Trotsky dans "Comment la Révolution s’est armée ?"

"Dans une société prise de révolution, les classes sont en lutte. Il est pourtant tout à fait évident que les transformations qui se produisent entre le début et la fin d’une révolution, dans les bases économiques de la société et dans le substratum social des classes, ne suffisent pas du tout à expliquer la marche de la révolution même, laquelle, en un bref laps de temps, jette à bas des institutions séculaires, en crée de nouvelles et les renverse encore. La dynamique des événements révolutionnaires est directement déterminée par de rapides, intensives et passionnées conversions psychologiques des classes constituées avant la révolution.

C’est qu’en effet une société ne modifie pas ses institutions au fur et à mesure du besoin, comme un artisan renouvelle son outillage. Au contraire : pratiquement, la société considère les institutions qui la surplombent comme une chose à jamais établie. Durant des dizaines d’années, la critique d’opposition ne sert que de soupape au mécontentement des masses et elle est la condition de la stabilité du régime social : telle est, par exemple, en principe, la valeur acquise par la critique social-démocrate. Il faut des circonstances absolument exceptionnelles, indépendantes de la volonté des individus ou des partis, pour libérer les mécontents des gênes de l’esprit conservateur et amener les masses à l’insurrection.

Les rapides changements d’opinion et d’humeur des masses, en temps de révolution, proviennent, par conséquent, non de la souplesse et de la mobilité du psychique humain, mais bien de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu’au moment où celles-ci s’abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d’idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l’œuvre de " démagogues ".

Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l’âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l’ancien régime. C’est seulement le milieu dirigeant de leur classe qui possède un programme politique, lequel a pourtant besoin d’être vérifié par les événements et approuvé par les masses. Le processus politique essentiel d’une révolution est précisément en ceci que la classe prend conscience des problèmes posés par la crise sociale, et que les masses s’orientent activement d’après la méthode des approximations successives. Les diverses étapes du processus révolutionnaire, consolidées par la substitution à tels partis d’autres toujours plus extrémistes, traduisent la poussée constamment renforcée des masses vers la gauche, aussi longtemps que cet élan ne se brise pas contre des obstacles objectifs. Alors commence la réaction : désenchantement dans certains milieux de la classe révolutionnaire, multiplication des indifférents, et, par suite, consolidation des forces contre-révolutionnaires. Tel est du moins le schéma des anciennes révolutions.

C’est seulement par l’étude des processus politiques dans les masses que l’on peut comprendre le rôle des partis et des leaders que nous ne sommes pas le moins du monde enclin à ignorer. Ils constituent un élément non autonome, mais très important du processus. Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur.

Les difficultés que l’on rencontre dans l’étude des modifications de la conscience des masses en temps de révolution sont absolument évidentes. Les classes opprimées font de l’histoire dans les usines, dans les casernes, dans les campagnes, et, en ville, dans la rue. Mais elles n’ont guère l’habitude de noter par écrit ce qu’elles font. Les périodes où les passions sociales atteignent leur plus haute tension ne laissent en générai que peu de place à la contemplation et aux descriptions. Toutes les Muses, même la Muse plébéienne du journalisme, bien qu’elle ait les flancs solides, ont du mal à vivre en temps de révolution. Et pourtant la situation de l’historien n’est nullement désespérée. Les notes prises sont incomplètes, disparates, fortuites. Mais, à la lumière des événements, ces fragments permettent souvent de deviner la direction et le rythme du processus sous-jacent. Bien ou mal, c’est en appréciant les modifications de la conscience des masses qu’un parti révolutionnaire base sa tactique. La voie historique du bolchevisme témoigne que cette estimation, du moins en gros, était réalisable. Pourquoi donc ce qui est accessible à un politique révolutionnaire, dans les remous de la lutte, ne serait-il pas accessible à un historien rétrospectivement ?

Cependant, les processus qui se produisent dans la conscience des masses ne sont ni autonomes, ni indépendants. N’en déplaise aux idéalistes et aux éclectiques, la conscience est néanmoins déterminée par les conditions générales d’existence. Dans les circonstances historiques de formation de la Russie, avec son économie, ses classes, son pouvoir d’État, dans l’influence exercée sur elle par les puissances étrangères, devaient être incluses les prémisses de la Révolution de Février et de sa remplaçante - celle d’octobre. En la mesure où il semble particulièrement énigmatique qu’un pays arriéré ait le premier porté au pouvoir le prolétariat, il faut préalablement chercher le mot de l’énigme dans le caractère original dudit pays, c’est-à-dire dans ce qui le différencie des autres pays."

Léon TROTSKY.

dans la préface à l’histoire de la révolution russe - février

Quelles perspectives, quels obstacles, quels pièges, quel avenir pour la révolte sociale en Algérie et en Tunisie qui touche au coeur toutes les capitales de Ammam à Rabat et de Beyrouth à Damas

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