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Incendies : Nawal Marwan, la femme qui chante

vendredi 5 août 2011, par F. Kletz

Incendies : Nawal Marwan, la femme qui chante

Incendies, film dirigé par Denis Villeneuve. With Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette, Rémy Girard.

Voici un film bouleversant et fort intéressant à plus d’un titre.
Les commentaires de ce film que j’ai lus sont particulièrement édifiants et passent à côté de ce qui me semble fondamental dans ce film.
Ce film retrace le destin d’une jeune femme de la campagne paysanne. Il se trouve que le village dont elle est originaire se trouve dans le Sud-Liban.

Un film de fiction ou un roman doivent-ils expliquer le contexte historique dans lequel la narration prend place ?

Certains reprochent au film de ne pas nous expliquer le contexte historique dans lequel prend place le scénario du film. Un film ou un roman qui parle de la vie doit-il s’encombrer de raconter et de réciter l’histoire ? Il nous retrace l’histoire d’un individu, ou plutôt, il crée, à partir de la réalité, un destin. Le film prend ainsi place dans un contexte historique : la fin des années 1960. Il nous plonge dans une réalité incompréhensible, et c’est tout l’honneur de ce film. Il ne s’embarrasse pas de l’ignorance du spectateur, il ne cherche pas à lui expliquer l’histoire. Il le plonge dans la vie. La vie réelle, s’entend, pas la vie remâchée par l’académisme ou le journalisme qui nous dit comment il faut penser.

En fait, ce film, dans ce qu’il évoque et survole l’histoire, tout en se centrant uniquement autour du destin d’une personne, Nwal Marwan, est profondément universel. Dans la singularité même d’un destin individuel, et donc singulier, c’est une histoire universelle de destins humains et plus particulièrement féminins qu’il réunit. L’histoire du Liban est intéressante à creuser, la militante réelle dont il s’est probablement inspirée est née en 1967, alors que le fils de Nawal Marwan nait en 1970.

La fiction réunit des éléments de la réalité. La fiction est loin d’être sans lien avec la réalité. La fiction retient ce qu’il y a d’universel et recompose, au travers d’un scénario, d’un suspens qui nous tient en haleine, les éléments clef que la réalité ne fournit pas puisque les clefs restent à décrypter.

Demander à ce film, ou à toute fiction de nous faire un cours d’histoire est une profonde incompréhension de ce que le roman et le film proposent.

Demander à un film d’être documentaire, c’est mépriser ce que l’œuvre d’art a de créatif, de message à faire passer, message élaboré ou non, volontaire et conscient ou inconscient. C’est également se leurrer sur la portée du documentaire ou du reportage. Tout reportage ou documentaire est toujours une vision subjective et partielle, voire partiale. Aucun reportage ni documentaire n’est « neutre », aucun n’est « objectif ». Une œuvre qui se veut engagée est bien plus véridique qu’une œuvre qui se veut neutre et objective. Un documentaire retient toujours seulement un seul aspect d’une réalité. La question qui demeure, c’est de savoir si dans cet aspect singulier, il fait passer quelque chose de l’universalité humaine ou pas.
Portée universelle de l’oppression de toutes les femmes au travers d’un destin unique.

La jeune femme est confrontée à ce que toutes les jeunes femmes subissent partout dans le monde : la prison de la famille. Tu n’as pas le droit d’aimer qui tu veux aimer, faute de quoi ton amour, on le tue, et le crime d’honneur te pend comme une épée de Damoclès au-dessus de ta tête. Le film dénonce en nous montrant tour à tour : l’oppression de la femme, l’utilisation des enfants pour les dresser à tuer en devenant des soldats, l’ignorance des enfants d’immigrés sur les conditions de vie de leur parents, l’incompréhension des jeunes générations face à un phénomène qui continue d’exister dans le monde.

Les quadras et les trentenaires d’aujourd’hui, éduqués dans l’ignorance de la guerre de classe et des événements mondiaux ne sont pas prêt à comprendre ce qui se passe dans des pays où la diplomatie des impérialistes laisse régner la terreur et la favorise.
Au travers de ce film, c’est un destin de femme qui subit violence sur violence et qui pourtant tient à la vie, malgré ses souffrances et son histoire. Le scénario est bien ficelé, le film prend le spectateur par la main jusqu’au moment où est révélé le drame profond de la vie de Nawal Marwan. Là, le drame est tellement profond qu’il est difficile d’accepter la vérité. La vérité fait mal, elle est dure à encaisser.
Voilà du grand cinéma comme trop peu souvent nous en voyons ces derniers temps. On sort de la salle en regrettant que le film ne continue pas. Et effectivement, le film pose un problème qui fait que l’on sort à la fois heureux d’être plongé dans un destin digne d’intérêt, qui nous élève, qui nous donne envie d’être courageux comme Nawal Marwam, de partager son envie de vivre, et à la fois fort amer d’avoir vécu la vie de cette femme, d’avoir découvert qui elle est vraiment et pourquoi lorsqu’elle comprend le secret de son destin, elle ne peut continuer à vivre tellement le drame de sa vie est insupportable.

F. Kletz

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