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Et si Platon, Démocrite, Socrate, Parménide, Zénon et les anciens philosophes Grecs revenaient…

samedi 17 septembre 2011, par Robert Paris

Et si Platon, Démocrite, Socrate, Parménide, Zénon et les anciens philosophes Grecs revenaient…

Introduction :

Nous donnons la parole ici à quelques anciens philosophes grecs de l’Antiquité qui pourront ainsi donner leur opinion sur les avancées de la science et de la philosophie en ce vingt et unième siècle. Nous recevrons Thalès, Pythagore, Platon, Anaxagore, Anaximandre, Démocrite, Zénon, Lucrèce, Epicure, Archimède, Aristote, Socrate, Parménide, Empédocle, Epicure, Epictète, Euclide ou Héraclite et bien d’autres. A vous la parole, philosophes de l’Antiquité, que vous soyez au pays des morts, au paradis ou aux enfers, avec Hadès ou avec Dionysos, sur le Styx, au Tartare à la plaine des Asphodèles ou aux Champs-Elysées, ou encore en promenade parmi nous sur terre, n’hésitez pas à nous communiquer vos observations sur comment on vit et comment on pense en 2014 sur la planète terre…

Tous les lecteurs du monde actuel peuvent également participer à cette conversation à travers le temps.

LE DEBAT DES ANCIENS PHILOSOPHES GRECS

 Parménide  : Permettez-moi de parler en premier, moi qui suis sans doute le plus inconnu aujourd’hui de toute la liste de philosophes fameux. Je tiens à combler une lacune : hommes du vingt-et-unième siècle, vous n’avez quasiment pas entendu parler de moi et je vais moi-même me présenter ! Mais je vais d’abord présenter nos amis qui participent à ce débat. Il serait bien trop long de rapporter tous leurs apports philosophiques je vais donc me contenter de rapporter leurs pensées qui peuvent sembler correspondre le plus à la conception moderne de la matière. Il convient cependant de rappeler que nous tous, philosophes de l’antiquité grecque c’est-à-dire qui habitions de l’Egypte à l’Asie en passant par l’Italie et la Perse, - n’oublions pas que l’on a appelé Grèce antique un monde qui couvrait toutes les rives de la Méditerranée -, avons commencé à raisonner sur le monde à une époque où les connaissances scientifiques étaient plus que ténues, où les possibilités d’expérimenter n’existaient quasiment pas, où le bagage scientifique était à peine naissant.
Je vois déjà les personnes hostiles à l’interférence de la philosophie en sciences s’interroger pourquoi demander à ces vieux philosophes de discuter des découvertes scientifiques récentes puisqu’ils ne pouvaient même pas, à l’époque où ils ont développé leur philosophie, en avoir la première notion ? En somme, pourquoi vouloir verser du vin nouveau dans d’aussi vieux tonneaux ? Eh bien, il est passé de l’eau sous les ponts depuis les premières philosophies grecques mais cela ne signifie pas qu’elles n’aient plus d’intérêt pour nous et les débats qui se sont déroulés dans la Grèce antique ont tellement agité les principes fondamentaux que les scientifiques modernes eux-mêmes sont amenés à s’y référer pour discuter de leurs idées sur la matière et son fonctionnement. On trouve des références à ces philosophes dans les écrits d’Heisenberg, de Bohr, de Schrödinger, d’Einstein et de bien d’autres. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la science moderne n’a même pas tranché définitivement leurs anciens débats. C’est justement ce que l’on va tenter de montrer dans ce débat.

 Socrate  : cher Parménide, tu me permettras une courte interruption pour rétablir un fait qui est peu connu de nos amis du siècle actuel. On dit que nous ne disposions pas de terrain d’expérience et que nous aurions tout pensé dans notre tête, de manière purement abstraite. Pour moi, qui ai toujours philosophé en amoureux des artisans et des arts, des métiers manuels, je ne puis laisser dire une telle contrevérité. J’ai moi-même pratiqué certains des artisanats qui caractérisaient la Grèce antique et je sais qu’ils sont à la base de bien des pensées des hommes sur la manière dont la nature se comporte. Les Grecs étaient marins et, comme tels, intéressés au climat, aux étoiles, au repérage dans le temps et l’espace. J’ai moi-même étudié la discontinuité en observant les sauts de puces, ce qui a donné tant de raisons de se gratter violemment contre moi à Aristophane ! Et j’ai également observé sur cette question hautement philosophique la démarche d’autres animaux pour savoir si le déplacement est continu ou discontinu. Et je ne suis pas le seul à m’être appuyé sur des observations pour étayer mes dires philosophiques, fussent-ils très abstraits et la discontinuité est effectivement une question très théorique et très abstraite. J’espère que la suite de notre débat rappellera combien la physique quantique est d’abord une remarque inattendue : matière, déplacement, énergie et changement sont tous fondamentalement discontinus ! C’est cela qui a gêné les scientifiques à la découverte des quanta…

Mais revenons à la Grèce antique. Je disais que je n’étais pas le seul à avoir fondé mes propos sur des observations, pour ne pas dire des expérimentations et je le prouve. Leucippe, ici présent, peut m’apporter son témoignage, lui qui observait les poussières en suspension dans l’air, dans un rai de lumière, s’agitant et se heurtant en tous sens, pour imaginer comment pouvaient se comporter ce qu’il appelait les unités sphériques de feu ou encore les atomes. Démocrite est encore bien plus un observateur, lui qui examine les couleurs, observe ce qu’il appelle l’effluve, c’est-à-dire les brumes se déplaçant dans l’air, les mouvements et changements du chaud et du froid. Lucrèce a étudié l’organe de l’œil pour comprendre le mécanisme de la vue. Anaximène a poursuivi l’étude de la transformation de la matière, examinant notamment les changements d’états de l’eau et de l’air, la vaporisation et la condensation, la formation de la vapeur d’eau, la pluie et des nuages. Si ce qu’on a appelé ensuite « la pensée ionienne » a théorisé qu’au début du Devenir, il y avait un principe matériel (l’arché primitive), ce n’est pas sans avoir observé aussi la matière réelle. La philosophie du devenir et du temps est liée à l’observation des cycles temporels, journaliers, saisonniers, annuels ou pluriannuels de la nature (terre, air, ciel). Ainsi, Thalès, suite à de nombreuses observations, tu as pu prédire l’éclipse du soleil du 28 mai 585 avant J.-C., (je reprends ici la datation actuelle pour le lecteur contemporain). Anaximandre, non seulement tu fabriques des cadrans solaires, mais ta contribution à l’étude du cosmos est prodigieuse avec notamment « la notice de la Souda ». Tu as, le premier, découvert les solstices, les équinoxes et l’horloge. C’est sur des observations que tu as fondé une première géométrie. Dans ton musée de Milet, Anaximandre, tu avais disposé tes appareils de mesure astronomiques, ta carte géographique de la Terre. Quant à toi, Thalès, si tu es connu pour avoir fait fortune par une heureuse spéculation sur les huiles d’olive qui t’a permis de construire ton monopole des moulins à huile, qui d’entre nous ne se souvient pas que ce succès n’était pas dû au hasard mais à tes études climatiques et végétales qui t’ont permis de prédire quand viendrait une fructueuse année à olives. C’est amusant que les hommes d’aujourd’hui n’aient retenu ton nom que pour un théorème mathématique très abstrait qui n’est pas de toi. Cependant, là encore, cela provient de ton aptitude à l’observation, puisque c’est l’image de toi en train de mesurer à l’aide d’un bâton la taille d’une ombre (en utilisant ce théorème) qui a amené à t’en attribuer la rédaction théorique alors que tu te servais surtout de sa réalisation pratique ! Mais, pour ce théorème comme pour bien des principes philosophiques abstraits, la réalité a souvent précédé la théorie, même s’il a fallu beaucoup de génie et d’imagination des humains pour trouver ces idées théoriques qui ne crèvent pas les yeux et ne découlent pas directement de l’observation ou de l’expérimentation.

Si notre ami Démocrite est connu aujourd’hui dans le monde comme inventeur de la notion d’atome, il n’en est qu’un des premiers défenseurs. Par contre, il a étudié de multiples sciences bien réelles pour lesquelles il n’est même pas cité. C’est dire comme la notoriété est trompeuse. Ainsi, Démocrite, tes quatre traités dits sur les teintures : « De l’or », « De l’argent », « Des pierres » et « Du porphyre » sont aujourd’hui inconnus. Ainsi également ton invention de la manière de ramollir l’ivoire, de traiter la pierre d’émeraude, et tout un tas d’autres techniques qui t’ont pourtant si bien servi dans tes relations avec les grands prêtres des temples égyptiens. Ainsi également tes travaux sur la clef de voûte dans les édifices qui tu as perfectionnée. Citons aussi tes travaux sur les teintures en blanc et en jaune, sur les décoctions de sels de cuivre, tes études sur l’utilisation de la cinabre avec le cuivre et de la calamine avec l’or. Tu as été un grand chimiste, même si l’homme d’aujourd’hui te prend pour un théoricien pur !

Thalès, tu es ainsi présenté dans les ouvrages modernes comme pur mathématicien dessinant des droites parallèles sur le sol pour concrétiser tes proportions égales, alors que tu te servais ce théorème pour mesurer la distance entre les bateaux en mer, ce qui a une très grande importance pour un pays qui est toujours sur les flots… Quant à Héraclite, présenté comme un dialecticien abstrait, tu avais surtout analysé des phénomènes concrets dans lesquels tu trouvais en même temps deux forces contradictoires, comme dans les sels formant dans les eaux des cristaux les effets contraires de la dissolution et de la cristallisation. C’est de là que tu tirais ton « la nature se réjouit des contraires, elle sait en tirer l’harmonie ».

Si chacun d’entre nous a eu sa propre idée sur ce que devait être le principe premier, ce qui nous caractérise quasiment tous, c’est que ce principe devait être matière ou énergie : eau pour Thalès, mouvement pour Anaximandre, feu pour les uns, air pour les autres, poussières atomiques pour les uns et éther pour les autres, ou plusieurs principes à la fois, mais toujours des principes de base réels et non mystiques. La plupart d’entre nous avons préféré la physique à la métaphysique, l’étude du monde à celle des dogmes religieux. Loin de chercher un créateur, nombre d’entre nous ont développé l’idée d’un monde matériel inengendré et en continuelle transformation. Plusieurs d’entre nous ont d’ailleurs affiché leur athéisme comme Thalès, Démocrite et Socrate. Démocrite, critiquant la peur religieuse des peuples, disait ainsi : « Lorsque les Anciens virent les événements dont le ciel est le théâtre, comme le tonnerre, les éclairs, la foudre, les conjonctions d’astres ou les éclipses de Soleil et de Lune, leur terreur leur fit penser que des dieux en étaient les auteurs. » Et tu as parfaitement su montrer que les lois de la nature n’avaient pas besoin de cette hypothèse des dieux…

Loin d’être plongés dans les mythes et les légendes qui emplissaient alors la Grèce, ce qui caractérise tous ceux qui sont ici, c’est le fait d’avoir pris pour devise que « la nature domine la nature », ton proverbe favori, Démocrite ! Les uns et les autres avons affirmé que le monde est fait d’actes matériels et pas de purs esprits.

Ainsi Thalès, le premier d’entre nous, a expliqué les éclipses non par les dieux mais par le fait que la lune passe devant le soleil et lui fait ombre, de même qu’il expliquait la lumière du soleil par le fait que la lune reflète les rayons solaires qui l’éclairent ou encore, toujours toi Thalès, qui exprimait que les astres sont comme des planètes faits de terre embrasée.

Pythagore, tu as eu une grande influence sur la philosophie grecque et pourtant, philosophiquement, tu fais plutôt exception en prenant pour principe de base un élément théorique : le nombre, et en construisant un groupe mystique autour de toi.

 Aristote  : c’est aller un peu vite en besogne que de faire de toutes les écoles de philosophie de la Grèce antique des fondateurs et des soutiens du matérialisme et de la philosophie dialectique. Je ne peux laisser passer une telle affirmation osée sans réagir. Comment occulter, par exemple, que Platon a été le véritable fondateur du christianisme, que je suis moi-même l’un des fondateurs de la conception métaphysique. C’est omettre également qu’une partie des premiers philosophes appelaient les atomes du nom d’ « idées », ce qui montre bien qu’ils savaient que le monde marche avec sa tête et pas seulement avec ses pieds. Ils avaient très souvent conçu un véritable idéalisme comme Anaxagore qui concevait un intellect divin fondateur du monde.

 Socrate  : Je doute que Platon, qui sourit et ne dit rien, soit en réalité bien certain d’avoir œuvré pour fonder le christianisme. C’est un peu comme si on disait que sa « République » avait fondé la république romaine ! Tu lui attribues là de bien drôles d’enfants ! Quant à Anaxagore qui piaffe d’irritation à mes côtés, il se souvient encore combien tu lui a vertement reproché d’avoir conçu l’intellect divin comme un fonctionnement purement mécanique, un peu comme le dieu d’Einstein ! Et aussi, tu as cherché à le ridiculiser d’avoir affirmé que « le propre de l’homme est d’avoir des mains ». Tu lui avais d’ailleurs répondu, souviens t’en, que « Il est plus logique de penser que c’est parce qu’il est plus raisonnable que l’homme a reçu des mains, car des mains sont des outils, et la nature dispense toujours à chacun, comme le ferait un homme raisonnable, ce dont il est capable de se servir. » Je trouve qu’il est vrai de considérer que le courant principal de la philosophie grecque a défendu, à l’opposé de ta métaphysique, Aristote, la dialectique de l’ordre et du désordre, celle qui fonde la dialectique de la matière et du vide, celle de la matière et de l’énergie, celle de la matière et du mouvement, celle des lois, des concepts, des définitions conçus comme rapport dialectique entre des forces opposées, à l’opposé de ta philosophie qui est véritablement celle d’un ordre naturel, permanent et immanent, comme tu l’exposes en écrivant dans ta « Physique », contre Anaxagore et Empédocle, que « Assurément, il n’est rien de désordonné dans les choses qui sont par nature et conformes à la nature, car la nature est cause d’ordre pour toutes choses. » Et, contrairement à nombre d’entre nous, tu as conçu le mouvement et le changement comme extérieurs à la matière, en quoi j’estime que la science moderne t’a donné entièrement tort. Tu écrivais ainsi dans le même ouvrage : « D’abord, aucun changement n’est éternel. Car tout changement est par nature de quelque chose qui va vers quelque chose… En outre, nous voyons que quelque chose peut être mû sans avoir à l’intérieur de soi aucun mouvement ; par exemple, les choses inanimées, dont aucune partie ni la totalité n’est en mouvement, mais en repos, sont mues à certains moments. Or il conviendrait que le mouvement soit toujours ou bien jamais, s’il est vrai qu’il n’advient pas alors il n’est pas. Ce genre de choses est du reste bien plus manifeste chez les êtres animés, car lorsque parfois il n’y a en nous aucun mouvement, et que nous nous reposons, à un certain moment nous bougeons et un début de mouvement se produit en nous de notre propre initiative, parfois même si rien n’est mû à l’extérieur. Nous ne voyons rien de semblable chez les choses inanimées, mais c’est toujours autre chose qui les meut de l’extérieur, tandis que l’animal, affirmons-nous, se meut lui-même. Par conséquent, si le tout est à un certain moment en repos, un mouvement adviendrait dans l’immobile, de lui-même et non de l’extérieur. Et si cela peut advenir dans un animal, qu’est-ce qui empêche que la même chose arrive dans le tout ? En effet, si le mouvement advient dans un petit organisme, il adviendra aussi dans un grand, et s’il advient dans l’univers, il adviendra aussi dans l’infini, pour autant que l’infini puisse être mû et être en repos tout entier… Il est ainsi nécessaire que tout ce qui est mû soit mû par quelque chose… »

Et il me semble que la théorie physique, relativiste et quantique, affirme au contraire que tout ce qui existe est en mouvement d’une part, que tout mouvement provient d’une capacité interne de la matière à être en mouvement, que matière et mouvement s’échangent dialectiquement et non diamétralement, ce qui détruit la conception métaphysique que tu défends Aristote. D’autre part, on a maintenant de multiples exemples en physique de matière inanimée qui change d’elle-même comme le noyau atomique instable qui se décompose en émettant de l’énergie, démontrant par là même que la matière se change en énergie, l’ordre en désordre. Les étoiles ne sont rien d’autre qu’un phénomène de transformation, en sens inverse, de noyaux légers en noyaux lourds qui fusionnent spontanément, sans aucune action extérieure, sans autre moteur que le mouvement interne de la matière. Et, là encore, énergie et mouvement, ces contraires se changent l’un dans l’autre. Leur opposition qui guide leur fonctionnement est donc bel et bien dialectique et non diamétrale

Une des manières, pour moi, de rappeler que la richesse culturelle et théorique de la Grèce antique est inséparable de la richesse matérielle, c’est de remercier tous les participants d’avoir ramené les productions agricoles de leur terroir afin d’enrichir la variété de notre banquet. Nous disposons, grâce aux origines diverses de nos amis, des produits agricoles d’Elée par Parménide et Zénon, d’Athènes par Socrate, Platon et Aristote, de Milet en Ionie (la Grèce d’Asie) par Thalès, Anaximandre et Anaximène, d’Ephèse par Héraclite, de Samos par Pythagore (qui nous rapporte également des produits d’Italie du sud où il réside) et Epicure, de Rome par Lucrèce, d’Alexandrie par Euclide, d’Agrigente par Empédocle et enfin, en espérant n’avoir oublié personne, d’Abdère par Démocrite et par Leucippe qui y a fondé son école (mais il rapporte aussi des produits d’Elée, sa région d’origine). Merci à tous pour les huiles d’olive de Milet, les vins de mer Egée, de Rhodes, de Cnide, de Cos, de Thasos, de Chios et de Lesbos, des figues de Carie et des amandes, des oignons, des grenades d’un peu partout…

 Parménide  : Mes amis, si vous êtes bien assis, avez tous une bonne boisson devant vous et êtes prêts à vous battre avec des mots, je vais donc introduire chacun de vous très brièvement et présenter vos mérites au lecteur de cette année 2014. Mais ne pouvant évidemment pas résumer en quelques mots toute la philosophie grecque, je vais seulement insister sur des points qui peuvent montrer le caractère moderne des anciennes pensées des uns et des autres.

On ne présente plus Thalès, d’autant que Socrate vient d’en dire quelques mots, lui qui bien au-delà du fameux théorème dont il n’est pas l’auteur comme vient de le rappeler Socrate, a été le premier à affirmer que la matière était substance concrète et objective et non mythe, doctrine, impression fugitive ou dogme. Anaximandre, très bon élève de ton maître Thalès, tu as rajouté ensuite que cette substance fondamentale n’était ni l’eau, ni l’air, ni aucune des substances composites qui nous entoure mais une substance primordiale sans âge, sans couleur, sans saveur mais, en même temps, fondement de toute la matière que nous connaissons et donc fondement de la couleur, de la saveur, de l’âge, etc… Anaximandre, tu as eu le mérite également de noter que le mouvement est éternel et que des mondes disparaissent sans cesse pendant que d’autres sont créés. Tout se transforme, disait-il, et la matière de base, au cours de ces transformations, ne change pas, elle est seulement échangée entre plusieurs substances. C’est grâce à toi, Anaximandre et en suivant tes bonnes leçons, que j’ai pu développer l’idée que la vérité sur le monde ne peut se contenter des réalités sensibles, que l’univers est éternel et infondé (inengendré par rien ni personne, même pas par un principe ou une apparition, fût-ce de matière). Et surtout que l’Univers est Un et non multiples, mais on y reviendra. Cela ne m’empêche pas d’y voir, comme Héraclite, des contradictions dialectiques (entre le mortel et l’immortel, entre l’être et le non-être, entre le jour et la nuit, entre la terre et le feu, on dira aujourd’hui entre la matière et l’énergie). Mais, malgré ces contradictions, j’estime toujours valable et riche l’idée que le monde est Un et que l’on ne peut, sans provoquer de lourdes erreurs spécifier une partie, en la considérant comme indépendante et séparable des autres… Voilà encore une question riche pour interroger la science moderne, notamment la physique, et j’espère que l’on ne s’en privera pas dans la suite du débat.

Mais il faut maintenant que je donne un coup de chapeau à notre ami Héraclite, assis à ma droite, pour avoir transformé radicalement le sujet même du débat en introduisant la notion du « devenir » et montrant que c’est cette notion qui était au centre de l’étude du monde. Pour toi, Héraclite, tout est sans cesse en devenir et c’est le développement dynamique qui explique l’existence même de l’univers. Et il trouve la source de cette dynamique dans le développement des contradictions dialectiques, un combat incessant dont les guerriers sont des forces de la nature opposées, se contredisant sans cesse mais, en même temps, faisant de leurs heurts un système unique qui contient en même temps ces forces contradictoires. Pour toi, Héraclite, - tu me contrediras si je trahis ta pensée -, la dialectique des opposés est la source même du changement et du mouvement de la matière, de toute la nature comme de la société humaine. Et ce n’est pas tout : notre ami Héraclite explique la matière par son caractère intimement dialectique : un composé contradictoire de matière inerte et de mouvement, ce dernier qu’il appelle « le feu » et que les scientifiques modernes appelleront l’énergie. Pour toi Héraclite, dialecticien sans pareil, ces deux notions s’opposent et se composent en même temps : pas de matière sans énergie et pas d’énergie sans matière. Et cependant, la matière résiste au mouvement (c’est la masse inerte) et le mouvement s’exerce pour forcer cette masse à se déplacer. On verra plus loin que c’est la pensée d’Héraclite qui m’a inspirée pour développer l’idée de l’unité du monde contre tous ceux qui prétendaient le diviser en parties séparées, en domaines qui ne se mêlaient nullement, comme ils séparaient et opposaient, diamétralement et non dialectiquement, matière et vide ou matière et énergie.

Héraclite, je ne résiste pas au plaisir de te citer au moins une fois, bien que je ne puisse absolument pas en faire autant pour chacun des participants. Tu as eu une parole en or : « Il faut connaître que toutes choses naissent selon discorde et nécessité. » Le monde n’a pas fini de peser la valeur d’une telle affirmation et t’en remercie !

J’en viens à Empédocle - ne grimace pas mon ami en craignant de ma part une présentation défavorable et partiale -, tu es resté fameux pour ta théorie des éléments. On sait que tu as développé, contre moi, l’idée du pluralisme de la matière, avec ses quatre éléments. Ne t’inquiètes pas, Empédocle, tu vas avoir toute latitude pour exposer ton point de vue bien mieux que je ne peux le faire et je t’inscris sur ma liste d’intervenants. Anaxagore a poursuivi mais lui a étudié le passage du pluriel à l’unité, et inversement, par la séparation et le mélange des substances différentes. Pour Anaxagore, la matière ne contient pas seulement des niveaux de quantité mais aussi des niveaux de qualité. Anaxagore découvre de nombreuses dualités : limité/illimité, air/éther, matière/énergie, visible/invisible, etc…

C’est toi, Anaxagore, qui a développé l’idée que tout au monde est formé à partir de la même base réelle, qu’il s’agisse de la matière ou de l’énergie (que nous appelions « le feu »). Il développe la pensée que l’on peut passer aussi bien de la matière à l’énergie que de l’énergie à la matière par des séries de transformations. On peut dire que la physique relativiste et quantique, et son sommet E = mc², soutient que la matière est de l’énergie et l’énergie peut se matérialiser également. On n’a pas retenu certes les formulations d’Anaxagore selon lesquelles on passe de l’air à l’eau, de l’eau à la pierre et de la pierre au feu, mais l’idée était lancée. Anaxagore, tu as également eu le mérite de donner ses premières leçons de philosophie à Socrate, même si les difficultés auxquelles tu t’étais heurté et les difficultés que connaissait la Grèce qui allait bientôt causer sa chute, ont amené Socrate à orienter ses études et ses leçons dans un tout autre sens que la recherche en physique et en philosophie des sciences.

Nous sommes vraiment revenus à la conception dialectique avec toi, Socrate, et tu l’as démontrée non seulement par ta capacité à contredire les adversaires de débat mais dans ta méthode de l’étude, de la définition, de la formation du concept. C’est toi qui as compris que la notion elle-même doit être intrinsèquement contradictoire, c’est-à-dire comprendre en son sein le combat entre forces adverses et associées. Ta vie elle-même, avec ses nombreuses contradictions vécues, intégrées par toi, est une démonstration dialectique, mais on en reparlera certainement puisque tu as marqué plus d’un d’entre nous…

 Socrate  : Je t’interrompt encore une fois, mais pas pour te contredire. Seulement pour me féliciter de me voir rapporté par quelqu’un d’autre que Platon, ce double face qui m’a fait passer auprès du public actuel pour ce que je ne suis pas !

 Platon  : Cher Socrate, mon maître et notre maître à tous sans doute aujourd’hui, ton serviteur Platon n’a eu que sa maigre capacité pour rendre tes propos mais je m’y suis employé assidument et je peux dire que, sans moi, ton existence et tes idées seraient restées enfouies dans les ténèbres du passé.

 Socrate  : Platon, c’est de mon vivant que tu as commencé à interpréter mes dires et que j’ai eu l’occasion d’annoncer publiquement que cet exposé n’était pas fidèle. Aujourd’hui, les gens n’ont quasiment que ton témoignage pour juger et c’est bien triste car tu as transformé une bombe philosophique en icône inoffensive, mon nom qui sentait le soufre a été changé en celui d’un sage vieillard sans danger pour l’ordre établir et ma pensée révolutionnaire en simple goût de la discussion sans fin. Je peux difficilement faire semblant d’en être satisfait ! C’est au point que les gens du monde actuel se demandent ce qui a pris à la jeune démocratie athénienne, à peine mise en place par le renversement de la tyrannie, pour avoir condamné à mort et tué un philosophe aussi paisible et peu dangereux, ce masque derrière lequel tu as couvert mon visage après ma mort afin de couvrir également ton rôle connu de disciple de Socrate de celui du sage et pas du révolutionnaire s’attaquant à l’ordre établi ! Tu as été jusqu’à effacer qu’en acceptant la condamnation d’Athènes, et même en la suscitant, j’ai moi-même et publiquement condamné Athènes. Mais je ne peux pas retarder trop longtemps notre débat avec des considérations personnelles et je repasse la parole à Parménide.

 Parménide  : Je vous cèderais volontiers ensuite la parole pour répondre à la question « qui est véritablement Socrate », qui, j’en suis sûr ne manquera pas de plaire aux lecteurs d’aujourd’hui. Est venu ensuite Démocrite, merci de ton salut, et tu as défendu, avec Leucippe, ton ami d’Abdère, la notion d’atomes, dont vous lui attribuez la création et qui signifie non sécable, et l’idée que toute la matière est fondée par des attachements entre atomes, ces éléments très petits et fondamentaux de la matière. Contrairement à moi, mais j’y reviendrais, tu as rejeté l’unité du monde et supposait une opposition diamétrale.

Chacun d’entre nous connaît bien entendu la géométrisation de l’univers conçue notamment par Platon, comme la mathématisation imaginée par Pythagore et ses disciples. Pour toi, Pythagore, tout est nombre et je ne crois pas trahir ta pensée en disant que la nature du monde, selon tes thèses, serait entièrement mathématique, idée que bien des physiciens contemporains reprennent souvent, considérant même parfois, à tort ou à raison, qu’il n’y aurait pas de sciences sans mathématiques et que les formules mathématiques seraient la seule réalité du monde. Cette thèse a eu des soutiens fameux comme celui de Galilée. Einstein, par contre, s’il manie avec aisance la physique mathématique, a toujours maintenu son soutien à l’idée « très grecque » si l’on peut dire, d’un principe de réalité fondé sur la matière et ce qui lui arrive au cours des transformations. On a pu penser que ta philosophie, Pythagore, et celle enseignée par ta fameuse école de philosophie, allait donner un fondement à l’idée d’un élément unique à la base de tout. Et cela aurait été le nombre. Mais finalement, les mathématiciens se sont heurtés aux mêmes dualités que les physiciens et les pythagoriciens ont dû reconnaître les couples de contraires associés : pair/impair, limité/illimité, continu/discontinu, point/ligne, trait circulaire/ trait droit, hasard/lois et j’en passe…

J’en viens à celui qui est resté le plus fameux d’entre nous pour le grand public, c’est toi Aristote ! Selon tes thèses, la matière est déterminée par trois choses : la forme, l’ordre et la position (nous autres grecs anciens, disons plutôt schéma, taxis et thésis). Tu reprends ainsi, Aristote, la philosophie de l’école d’Abdère mais en remplaçant par schéma ce que ces philosophes appelaient rythme or le terme de schéma est statique et représente une forme fixe alors que celui de rythme est au contraire dynamique. Cela montre bien dans quel sens allait se développer ta philosophie qui peut, à bon escient, être traitée de « philosophie de l’ordre » alors que la science contemporaine serait plutôt celle du couplage de l’ordre et du désordre. Mais, cherchant ce qui dans ta philosophie peut être tenu comme d’allure moderne, je retiendrai celle selon laquelle la logique de raisonnement et d’exposition sur les sciences provient de la logique de la nature elle-même, de son déterminisme, de ses lois.

Une autre de tes thèses, Aristote, a un retentissement moderne, c’est celle de potentiel, de monde en puissance. Aristote, qui est antidialecticien, oppose diamétralement la « causa materialis » à la « causa formalis », l’être en acte et l’être en puissance, en somme la chose ou sa substance et sa forme ou son formalisme descriptif. Il inaugure ainsi l’opposition moderne du substrat et de la forme, la dualité onde/particule, le dualisme du corps et de l’esprit de Descartes. La physique quantique notamment va souligner l’importance de ce qu’Aristote appelle « potentia » et montrer que l’univers ne se modifie pas à partir du monde en action mais du monde potentiel qui contient tous les états possibles à un instant donné. L’idée d’Aristote a donc reçu un soutien de la physique moderne, même si le débat continue pour savoir s’il faut opposer diamétralement ou dialectiquement l’onde et la particule, la matière en acte et en puissance, le virtuel et le réel, etc… Mais Aristote, tu es loin de t’en être arrêté là dans ta fureur antidialecticienne, tu as opposé diamétralement repos et mouvement, matière et vide, forme et substance, ou encore matière inerte et matière vivante et l’une des polémiques qui vont nécessairement en découler consiste à décider si les sciences modernes te donnent raison ou tort. Attend un peu, Aristote, tu n’as pas encore la parole et il faut que je fasse un peu respecter l’ordre des inscriptions, ce n’est pas à toi que je vais apprendre l’intérêt de l’ordre et de la discipline !

Les gens du vingt unième siècle ont entendu parler de vous tous, mes amis, mais ils n’ont pas entendu parler de moi, ils ne connaissent pas Parménide.

Pourtant, c’est justement contre moi que Démocrite a développé l’idée que la nature était divisée en deux sortes diamétralement opposées : la matière et le vide. Il lui semblait que le mouvement, pour exister, nécessitait un espace vide à occuper à chaque déplacement. C’est contre mes thèses qu’ont œuvré Platon et Aristote ainsi qu’Empédocle, pour ne citer que ceux-là.

Et je rends maintenant hommage à mon meilleur élève Zénon qui a su dépasser son maître et atteindre la notoriété dans le monde moderne puisque certains de ses paradoxes ont passé les siècles et que des lois de la physique moderne s’appellent principe de Zénon !

Dès ses débuts en philosophie, Zénon a su développer des arguments qui lui étaient propres sur une discussion que j’avais initiée sur l’Un et le Multiple. Il a utilisé une méthode originale à plus d’un égard : méthode du raisonnement par subdivision, méthode du raisonnement par l’absurde, méthode de l’exemple conceptuel, de l’expérience de pensée. Il a prouvé que le raisonnement par l’absurde peut démontrer qu’une hypothèse était infondée si ses conséquences sont absurdes. Ce type de raisonnement explique : supposons que tout soit divisible en parties et allons jusqu’au bout des conséquences et montrons que cela n’est pas possible car cela entraînerait que le mouvement des corps matériels est impossible. Ou encore, supposons que le temps, l’espace, la matière et l’énergie soient divisibles sans que cette opération de division soit limitée, en parties de plus en plus petites, cela signifierait certes que l’on aurait affaire à un continuum mais également que tout déplacement ou tout changement serait bloqué. Même si des auteurs nombreux ont rejeté ces raisonnements, cette remarque, aujourd’hui appelé l’ « effet Zénon », est vérifiée et il y a même une pratique quantique consistant à effectuer sans cesse des mesures qui entraîne le blocage du phénomène. Bien sûr, les détracteurs, comme Platon et Aristote, ont prétendu avoir compris que Zénon disait que le mouvement n’existe pas du tout alors qu’il a seulement démontré que l’existence du mouvement est contradictoire avec celle d’un univers continu et non dialectique, avec celle du bon sens. Le caractère renversant des paradoxes comme celui d’Achille et de la Tortue sont restés fameux et c’est le même étonnement qui s’est produit quand les physiciens quantiques ont été contraints de reconnaître la discontinuité fondamentale de l’univers.

Avant que Démocrite ne développe ses arguments, j’ai raisonné le premier sur la Terre qui nous porte, vous et moi. C’est moi qui, le premier, vous ai dit qu’elle est matière, qu’elle est ronde et qu’elle peut être divisée en zones climatiques (les deux pôles, les deux zones tempérées, les deux zones tropicales et la zone équatoriale)... Vous avez, par contre, considéré que l’étude de la matière aurait donné raison à mon principal adversaire, Démocrite, considéré à tort comme l’inventeur de l’atome et comme le père de la science moderne. Je trouve cette affirmation très étonnante. Peut-être est-ce surtout de l’ignorance des débats qui avaient lieu à l’époque et que je vais tenter de vous retracer.

Tout d’abord, sachez que le débat ne portait pas d’abord sur ce qu’est la matière, mais sur le vide (le néant plus exactement qui séparerait les éléments de matière)... et, plus exactement, sur son existence ou son inexistence. Existe-t-il, entre des zones où il n’y aurait que de la matière, des zones où il n’y aurait que du vide, comme l’affirmait Démocrite, ayant développé les idées d’Empédocle ? Est-ce qu’aujourd’hui la science moderne affirme que le vide est vraiment vide, comme le pensait Démocrite. Ou, au contraire, estime-t-elle qu’un espace-temps où il n’y a rien n’existe pas, comme je l’avais pensé et défendu ?

Bien sûr, Platon et Aristote se sont chargés de démolir nos thèses à tous deux, Démocrite et moi. Platon voulait même qu’on brûle définitivement les écrits de Démocrite. C’est dire ! Platon et Aristote, qui n’apportaient rien à la compréhension de la matière et du vide, ont cependant été largement plus diffusés dans le monde moderne que nous. Mais ses thèses à lui sur le monde, elles, se sont révélées totalement fausses ! Eh bien, il se trouve que dans les textes que vous écrivez au 21ième siècle, il reste bien plus fameux dans le grand public que Démocrite et moi !

Enfin, que tout cela ne vous empêche pas de lire ce qui suit et qui retrace un combat qui reste important pour la science et la philosophie. D’autant qu’il est certain que Démocrite, Platon et Aristote ne resteront pas sans réagir...

Ceci dit, bien que vous n’ayez entendu parler de moi que par les critiques acerbes et malhonnêtes de Platon et Aristote, je voudrais redire en quelques mots quel était mon raisonnement.

En premier, il s’agissait d’affirmer que le monde est un tout qui n’est pas simplement divisible en parties. Bien sûr, intellectuellement, on arrive à parler de parties. Cette description ne suffit pas car il s’avère que le tout n’est pas la somme des parties.

J’ai défendu que l’univers est matière, est intelligible, non créé, fini et physique, sans commencement et sans fin. Et, philosophiquement, je suis l’un des premiers à défendre que "le penser et l’être sont une même chose."

Ensuite, si on considère ainsi l’ensemble du monde, il n’interagit avec rien et donc ne peut rien recevoir ni rien donner à l’extérieur. Sa description temporelle et spatiale n’est plus possible...

Réfléchissez vous-mêmes si les sciences modernes me donnent ou non raison.

Le vide est-il complètement vide ? N’est-il pas plein de photons et de particules virtuelles ?

L’espace-temps est-il concevable sans ces particules ?

La matière existe-t-elle en dehors de ces particules virtuelles ? Et donc, y a-t-il d’un côté la matière et de l’autre le vide, comme le croyait Démocrite ?

Les raisonnements sur l’univers en tant qu’une unité, que j’ai ainsi débutés, ont donné naissance à la cosmologie et ce domaine est devenu une science qui a de nombreux développements modernes. Le fait de voir que la matière à petite échelle obéit aux mêmes lois que la matière à grande échelle en est un exemple.

Bien entendu, Platon et Aristote, en diffusant mes thèses pour les discréditer, n’ont pas maqué de souligner que j’avais déclaré que le mouvement et le changement ne sont qu’illusion. Cela peut sembler bien faux et dépassé au regard des sciences. Et pourtant, du point de vue de la matière, globalement, cela ne l’est pas. Quand l’eau passe de l’état solide à l’état liquide, pour la molécule, il ne s’est rien passé. Comme je raisonnais sur l’ensemble de l’univers et sur le principe qui préside à son fonctionnement, je soulignais qu’il n’y a ni changement ni mouvement en ce qui concerne ce principe. Quand le physicien actuel suppose qu’un quanta est toujours un quanta, hier et aujourd’hui, dans le vide ou dans la matière, sur la terre ou dans le soleil, philosophiquement, il raisonne comme moi !

Tous les philosophes grecs, à commencer par Platon et Aristote, qui ont opposé diamétralement la matière et le vide. Aristote a même tellement théorisé les oppositions diamétrales qu’il divise tout en opposés, séparés, sans connexion, sans composé, sans unité : la matière et le vide, la matière et l’énergie, le mouvement et l’immobilité, etc… Nous aurons l’occasion de discuter dans la suite de la validité de telles conceptions d’oppositions diamétrales au vu des connaissances actuelles…

Pour en venir à l’atome de Démocrite, les hommes du 21ième siècle le considèrent comme l’ancêtre de l’atome moderne. Quelle erreur ! Aux débuts de la physique, avant la physique quantique, on considérait effectivement l’atome comme la brique insécable de matière, mais, aujourd’hui, on considère qu’il n’y a pas d’insécable de matière. N’oubliez pas que le quanta n’est pas de la masse ni de la charge électrique mais une quantité physique appelée de l’action. N’oubliez pas, aussi, que l’on a montré que la matière n’est pas la somme des atomes. Il s’y rajoute des interactions. Enfin et surtout, la science moderne s’est détournée de cette philosophie scientifique appelée réductionnisme et qui consiste à penser qu’il ne faut pas raisonner sur l’ensemble mais découper en parties les plus infimes possibles. On s’est aperçus depuis que les parties ne possèdent pas les propriétés du tout et que ce dernier n’est pas la simple somme des parties. Quant à la possibilité de diviser en parties, je préfèrerais donner la parole à Zénon qui avait développé avec brio cette question. Il pourra nous dire si la physique moderne lui a donné raison.

Enfin, un dernier domaine où je prétend avoir été très moderne : j’ai considéré que l’on ne devait pas séparer science, philosophie et art. Et ce débat me semble tout à fait actuel...

 Zénon  : J’ai eu plus de chance de passer à la postérité grâce surtout à un de mes paradoxes, celui d’Achille et de la tortue. On se souvient de ce sportif musclé qui doit rattraper une tortue partie avant lui. Personne ne doute qu’il y arrive et pourtant… Pourtant, il doit d’abord combler la moitié de la distance, puis la moitié de la distance restante, puis encore la moitié de la moitié, etc… En tout cas, c’est ainsi que l’on est obligé de raisonner si on admet que l’on peut toujours diviser et diviser encore à l’infini. Dans ce cas, il peut continuellement se rapprocher de la tortue, la rattraper mais quand est-ce qu’il arrivera à son niveau, avant de la doubler. Apparemment jamais ! Bien sûr, ceux qui croient que l’ignorais qu’Achille doublait aisément la tortue ne sont pas bien malins. Pas besoin de raisonner pour cela. Je raisonnais pour discuter la nature même du temps, de l’espace, de la matière et du mouvement. Et, en particulier, je discutais la validité du raisonnement par dichotomie, en divisant sans cesse en deux les quantités.

Pouvait-t-on réellement le faire à l’infini ? N’oublions que, contrairement à votre époque, nous ne disposions pas de grands moyens techniques susceptibles de permettre des expériences sur la matière et nous devions seulement, comme l’avait fait, juste avant moi, Parménide, nous fier essentiellement au raisonnement. Cela nous menait déjà très loin. A votre époque, c’est plutôt l’inverse : on dispose de tellement de connaissances, de tellement de moyens technique, que l’on en oublie de raisonner, que cela n’est plus tellement à la mode. Dans l’ancienne Grèce, c’était un sport très à la mode et on y passait beaucoup de temps chez les citoyens libres. Les raisonnements de Parménide ont eu d’abord un grand succès pour finir rangés, très injustement, au magasin des curiosités. C’est le produit d’un combat des réductionnistes. Il n’y avait pas que les atomistes qui voulaient en finir avec les thèses de Parménide. C’est le cas de tous ceux qui cherchaient à décomposer la matière pour en comprendre le principe. Et c’était le cas, aussi, de tous les idéalistes qui, à la manière de Platon par exemple, voulaient donner à ce principe du monde une base idéaliste plutôt que matérialiste. La thèse de Parménide – l’univers est un tout, sur lequel on doit raisonner globalement – ou thèse holiste était une thèse matérialiste. Bien sûr, on peut se demander en quoi cette thèse serait aujourd’hui valide, dans un univers que l’on considère en expansion, qui se transforme sans cesse, qui a connu des transitions de phase avec changement qualitatif, etc… ?

Parménide a nié le vide et la physique a reconnu son existence, nous disent ses ennemis d’aujourd’hui. Mais la physique moderne a reconnu que le vide n’est pas rien. Or, le raisonnement signifiait que l’inexistant n’existe pas, soit exactement ce que disait Parménide… Les faux dialecticiens prétendaient que le monde était le fait de la lutte entre l’existant et l’inexistant. Parménide répondait que, par définition même, il n’y a pas d’inexistant. Donc ce que l’on appelle « le vide » n’est rien d’autre, comme la matière, qu’un existant… Il est de même nature que la matière nous disent les physiciens, puisque la matière elle-même est faite de particules et antiparticules du vide. Le vide est plein de matière et la matière est pleine de vide. Parménide combattait la vision mécanique de l’Univers. Quelle conception moderne ! Toute la physique a fini par abandonner la vision mécanique du monde. Qu’est cette vision ? Elle consiste à tout expliquer par des mouvements d’objets qui ne font que bouger sur un fond qui ne les contient pas. Cette conception a d’abord connu de grands succès : mécanique gravitationnelle, mécanique en astronomie des corps de l’espace, mécanique des fluides, vision mécanique de la pression et de la température des fluides, mécanique quantique, etc…. Mais cette vision a buté sur un mur. La mécanique suppose que les objets ne font que bouger d’un point à un autre, sans interagit avec un milieu matériel. La nouvelle conception quantique de la matière montre que la propriété « matière » saute d’une particule virtuelle à une autre. Ce n’est pas les objets qui se déplacent dans le vide, mais la propriété matière qui saute d’un corpuscule à un autre qui est élément de ce vide, ce qui est très différent. Le vide ne change pas dans ce mouvement, ni la matière.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que ce que nous voyons tous les jours n’existe pas. Mais c’est un effet apparent à grande échelle de ce qui se passe à petite échelle et qui est très différent. C’est quand même une illusion. On a voulu fonder la matière à la base sur cette illusion et cela n’a pas fonctionné. On ne peut même pas dire qu’il existe des atomes et des interactions entre eux. En effet, atomes et interactions fonctionnent tous deux sur la base des mêmes particules et antiparticules du vide. Il n’y a aucun monde avec des objets existant et d’autre inexistant. Particules et antiparticules existent tous deux. Leurs contradictions agissent mais elles ne sont des contradictions de l’existence et de la non-existence. Elles sont des contradictions au sein de l’existant. Pour les logiciens, une contradiction suppose l’impossibilité. C’est pour cela que j’ai écrit surtout des paradoxes insolubles pour leur démontrer que le monde a des contradictions irréductibles, qu’il est dialectique et n’obéit pas à la logique formelle du tiers exclus. Si l’on oppose de manière formelle mouvement et non-mouvement, matière et non-matière, espace et non-espace, on arrive à des impossibilités que j’ai illustrées de 80 manières. Certaines images mathématiques de la physique ont servi à cacher ces illusions de la philosophie logique formelle derrière des calculs que l’on appelle les infinitésimaux. Il y a l’infiniment petit et l’infiniment grand. En jonglant avec ces sortes d’infinis, en faisant croire qu’il s’agit de nombres, on a réussi à camoufler les problèmes de l’image du monde physique et non à les résoudre. Mais le zéro et l’infini n’existent pas davantage. Le réel n’est ni nul ni infini. Le tout est physique donc fini. Le rien est inexistant donc on ne peut en parler.

Voilà ce que disait Parménide. Bien sûr, cela n’empêche pas la physique de se servir des mathématiques avec bonheur, mais cela empêche de prétendre que le monde matériel « est » mathématique. J’ai montré par mes paradoxes que la division à l’infini est impossible physiquement. Sinon, le mouvement d’un objet immobile ne commencerait jamais et le mouvement d’un objet ne s’arrêterait jamais. La division à l’infini de la matière est niée par l’existence des particules et antiparticules. La division à l’infini du mouvement et de l’énergie est niée par l’existence du minimum d’action ou quantité de Planck. La division à l’infini des matière-espace-temps est niée par l’existence des minimas de Planck. L’infinité de l’Univers est niée par l’existence de l’énergie qui ne peut pas être infinie. L’expansion de l’Univers peut sembler dire qu’il y a un mouvement de type mécanique. Mais telle n’est pas du tout la thèse de la physique. Ce que l’on appelle, par un terme mal choisi, « l’expansion » n’est pas un mouvement vers l’extérieur. Quand on considère l’Univers entier, aucun mouvement vers un extérieur n’a de sens. La version de Parménide que ses détracteurs, comme Platon et Aristote, ont développée est mensongère. Ils lui prêtent l’idée que rien ne bouge, que tout est continu et que l’immuable explique tout. Oui, Parménide a dit que le mouvement mécanique est illusion, mais ce n’était pas pour dire que rien ne se transforme. Cela signifiait que le changement n’est pas un « simple » déplacement au sein du « rien » sans interaction avec un milieu matériel, que le changement est le fondement du non-changement. Les transformations internes ont pour but la non-transformation de l’ensemble de la structure.

Mes paradoxes ont suscité de nombreuses remarques en tous sens et encore plus de contre-sens. En effet, certains ont voulu y voir une démonstration directe alors qu’il s’agit d’une démonstration par l’absurde. Le but du paradoxe est d’arriver à une impossibilité. Il ne s’agit pas d’affirmer que cette impossibilité a lieu mais de contredire les hypothèses de départ. Il est absurde d’affirmer qu’Achille, ce brillant coureur, ne rattrapera pas la tortue. Inutile de me dire, avec un air sage, que j’ai tort et que le mouvement existe et qu’Achille va y arriver. C’est ridicule. Dites moi plutôt quelle hypothèses fausse ai-je utilisé. Tel est le but du paradoxe : nous permettre de sortir d’une vision erronée qui n’est pas évidente à contredire. Chacun de mes paradoxes casse un apriori communément admis et qui s’avère pourtant faux. Par exemple, une heure est égale à l’addition une après l’autre de soixante minutes. C’est évident. Mais le temps n’est pas une addition d’intervalles successifs obtenus par subdivision à l’infini. La molécule est faite d’atomes, mais elle n’est pas la somme de ses atomes. L’atome est fait d’un noyau et d’électrons mais il n’est pas la somme du noyau et des électrons. Le noyau est fait de protons et de neutrons mais il n’est pas la somme de ses protons et de ses neutrons.

 Platon  : A entendre mes deux prédécesseurs, les sciences et la philosophie du vingt-et-unième siècle leur aurait donné raison, notamment contre moi. Je comprends leurs arguments concernant la matière telle qu’elle est perçue aujourd’hui par la physique quantique notamment. C’est effectivement très nouveau et c’est très différent de ce que croit voir le commun des hommes quand il parle de matière. Il est vrai que cette physique a nié le non-existant auquel croyaient les philosophes avant Parménide et je lui en donne acte. Il est vrai que la physique quantique a donné en un sens raison à Zénon puisqu’elle affirme que l’on ne peut pas subdiviser à l’infini, ni la matière, ni l’espace, ni le temps, ni l’énergie, ni l’action. C’est un produit de la quantification. Et pourtant, je voudrais montrer que mes principales idées, loin d’être infirmées par cette physique, sont appuyées par elle. Tout d’abord, je ferais remarquer que je n’ai jamais contredit les idées précédemment citées qui n’étaient pas une préoccupation pour moi.

L’une des principales idées que j’ai développées est celle de l’existence de deux mondes, le monde de l’univers sensible (des ombres pour reprendre l’image de l’homme dans la caverne qui ne voit des projections de la réalité sur le fond de sa grotte) et celui de l’univers rationnel (auquel l’homme accède par son raisonnement et qui manipule des concepts). Le monde est imparfait et les idées sont parfaites. Les mathématiques, par exemple, sont du domaine des idées. On pourrait s’imaginer que la physique, ou étude de la matière, allait donner raison au point de vue matérialiste d’Anaxagore, selon lequel tout est matière. Eh bien non ! La physique quantique a renoncé aux descriptions en termes d’objets matériels se déplaçant et donné une simple description par des outils mathématiques, des objets purement mathématiques non descriptifs. La physique moderne est devenue purement mathématique et je m’en réjouis. Aucun récit à l’aide d’objets du type de ceux que l’on croit voir dans notre univers sensible ne convient pour décrire les événements qui se produisent dans les expériences de la physique quantique qui se posent la question de ce qu’est la matière à l’état fondamental ! Il convient, il me semble, de concevoir l’importance de cette situation qui faut prendre désormais comme incontournable. Zénon a raison de remarquer que la matière et le vide sont une seule et même chose et que le mouvement n’est pas un déplacement à proprement parler.

Parménide a raison de dire que le mouvement apparent de matière n’est pas un déplacement d’objets et aussi que le vide au sein duquel on croyait que la matière se déplace n’est pas le non-existant, le néant, vide de tout. Il rappelle même à juste titre que le vide et la matière sont le même milieu en termes de particules et d’antiparticules dites virtuelles. Ils ont raison de dire qu’il n’y a pas d’espace-temps dans ces particules virtuelles et que, ce n’est qu’en présence d’une propriété de masse qui n’est pas attachée à une particule virtuelle particulière, que la matière massive et que l’espace et le temps existent. La matière-espace-temps n’est donc pas un objet mais une qualité qui saute d’une particule à une autre. Je suis donc en droit de la considérer comme une idée abstraite, puisqu’elle ne s’attache pas particulièrement à une matière dont elle ne serait qu’une mesure quantitative. Finie la matière particulaire massive chargée d’expliquer la matière massive à notre échelle… Aucun récit en termes d’objets ne pourra remplacer le calcul mathématique à l’aide de concepts très différents de ceux de masse, de vitesse et d’énergie. C’est l’action et non l’énergie qui est quantifiée. Pas de déplacement tel que nous le concevons à notre échelle, de manière continue. La nature ne fait que des sauts : un, deux, trois quanta, telle est la description d’un phénomène même si il est aussi simple qu’un mouvement rectiligne ou une simple rotation. Tout est décrit par des sauts.

Effectivement, Parménide a raison de remarquer que l’univers dans son ensemble n’est pas un objet en déplacement, que le mouvement est illusion, qu’on ne peut pas se déplacer vers le néant. Le vide quantique n’est pas le « rien », le « néant », la non-existence. Sur ce point Parménide et Zénon ont raison. Le vide est formé de particules et antiparticules virtuelles, comme la matière et comme la lumière. Il n’y a pas déplacement de matière existante dans un non existant vide. Mais, sur ce point je n’étais pas intervenu et mon point de vue a, par contre, été confirmé : l’univers réel est celui des idées et pas celui des objets qui sont du domaine sensible et que j’appelle des ombres. Anaxagore, que certains croient le précurseur de la science moderne, est effectivement le fondateur de la philosophie matérialiste, ce qui est très différent. Il a supposé que tout est matière et que les idées ne sont que des reflets déformés de la réalité, alors que c’est l’inverse : l’idée parfaite et immuable admet un reflet pour les hommes qui est le monde sensible. La physique quantique a été contrainte de démolir l’univers sensible qui est celui de l’homme du commun.

Et ce n’est pas seulement vrai en physique quantique, mais dans l’ensemble des sciences. La psychanalyse, la psychologie, la neurologie nous montre que l’homme vit à la fois dans un univers conscient qui est relié à ses sens et d’un univers inconscient qu’il perçoit dans ses rêves, dans ses fantasmes, dans ses méditations. Il y a donc bel et bien un monde qui nous met des idées en tête et qui n’est pas directement dépendant de nos sens. D’autres sciences remarquent également que l’univers n’est pas fait d’objets. Ce ne sont pas les matériaux qui composent les gènes qui déterminent l’action de l’ADN, la molécule de la vie. Ce ne sont pas les seuls gènes et leur contenu moléculaire qui comptent mais surtout l’ordre d’action de ces gènes, la rythmologie de leur action. Et cette rythmologie n’est pas un objet.

La physique quantique me semble avoir surtout donné gain de cause à ma conception du monde issue des mathématiques. Bien des physiciens sont d’accord sur ce point : il n’y a pas d’autre réalité que les formes géométriques et les équations ! N’est-ce pas la géométrie que la chimie reprend pour exposer les formes des molécules : le tétraèdre régulier de la molécule de méthane par exemple. Ainsi, on y expose qu’à chaque molécule correspond une structure géométrique en trois dimensions !

 Pythagore : En mathématiques, l’existence de sommes infinies convergentes a réglé son compte définitivement à Zénon et à tous ses paradoxes. On peut diviser une dimension finie en une infinité de parties sans la moindre difficulté.

 Parménide : Eh bien non ! Si certains mathématiciens pensent avoir résolu ses paradoxes avec les sommes infinies convergentes, ils se trompent. En effet, de telles sommes supposent des termes tendant vers l’infiniment petit. Or, aucun paramètre physique, pas plus le temps, l’espace, la matière ou l’énergie ne peuvent tendre vers zéro. En effet, toutes ces quantités sont quantiques, ce qui signifie qu’elles ne peuvent descendre en dessous d’une quantité liée au quanta de Planck. Le temps de Planck, la distance de Planck, la masse de Planck sont des limites inférieures. D’ailleurs, l’idée de Zénon va bien au-delà car il discute aussi de la nécessité de mesurer à l’infini qui s’oppose à celle de laisser faire le mouvement. Effectivement, la physique quantique démontre que le phénomène ne se déroule pas si on mesure sans cesse. C’est ce qu’on appelle d’ailleurs en physique l’ « effet Zénon quantique » !! C’est Zénon qui a triomphé de ses détracteurs dans les sciences modernes !

 Platon : Tout comme Zénon a été l’élève brillant de Parménide, j’ai été ton élève, Socrate, et j’ai appris à l’ombre de ta dialectique. C’est pour ta philosophie que j’ai renoncé à l’art dramatique auquel je me destinais, en même temps que Xénophon a de même décidé de suivre ton enseignement. Nous avons été ta première classe. Et c’est ton enseignement qui m’a mené à la conception de la science guidée par les mathématiques, celle qui triomphe dans les sciences actuelles. C’est elle qui m’a aussi amené à l’idée de la caverne, celle qui montre que nous ne percevons que le reflet du monde réel, idée qui là aussi a eu une suite dans la physique actuelle. Les sciences reconnaissent en effet aujourd’hui le rôle de l’observateur en tant qu’interprète qui modifie ce qu’il observe en même temps qu’il l’observe.

 Socrate : Je te remercie de m’attribuer tes idées, ce que tu as déjà fait de mon vivant, et sans mon accord. J’ai eu l’occasion de t’en faire part en public, avant qu’Athènes ne décide que j’étais un personnage gênant. Rappelles-toi que je réagissais à tes comptes-rendus de mes idées par un « Je ne suis d’accord avec aucune des remarques que tu fais. » Tu le sais très bien mais, comme tu as rédigé toute ton œuvre en prétendant te cacher derrière moi, tu ne peux que continuer, même ici en ma présence… Oui, tu as été mon élève tant que, jeune athénien, tu étais prêt à rompre avec ton milieu familial, celui des grands propriétaires. Ensuite, tu as changé et tu as refusé de t’engager dans la voie que nous proposions, dans notre cercle révolutionnaire, pour renverser à la fois l’exploitation des esclaves, l’oppression des femmes, l’ostracisme à l’égard des étrangers. Loin d’avoir fondé les bases d’une philosophie scientifique, Platon, tu as plutôt fondé celle de la religion chrétienne.

Pour moi, c’est de toi, Héraclite, que j’ai été l’élève, toi qui affirmais que « Ce monde, aucun dieu ni aucun homme ne l’a créé, mais il fut, il est et il sera un feu éternellement vivant qui s’allume et qui s’éteint selon des lois. » Et aussi de toi, Parménide, parce que tu n’as jamais craint d’affronter l’opinion publique pour pousser jusqu’au bout tes raisonnements sans craindre ni l’impopularité, ni l’isolement, ni l’insuccès, ni même l’erreur théorique. Ta conception des parties et du tout, bien des physiciens s’y réfèrent sans le savoir…

- Démocrite : je crois que ce que le public actuel ignore le plus te concernant, Platon, alors que ton œuvre est probablement l’une des plus lues à l’époque moderne, c’est que toute ton œuvre est tournée contre moi et mes idées ! Si tu ne me cites jamais, tu passes ton temps à pourfendre mes conceptions… Selon moi, l’explication n’est pas à chercher dans une autre conception de la physique, de la compréhension de la nature, mais dans ta recherche d’une vérité supérieure à la matière, d’une métaphysique. Et c’est cette conception métaphysique qui guide tes conceptions en physique, mon cher Platon ! Alors que je vois dans les mouvements des atomes un effet du hasard et de la nécessité, tu cherches à affirmer que tout ce qui existe est nécessaire, est un produit d’actions directes de cause à effet. Et, au dessus du monde des atomes, tu places un autre monde, purement rationnel, qui est à la fois la mathématique rationnelle mais également un principe spirituel rationnel qui est le dieu unique du monde. L’idée qui ressort de ton explication du monde, est que ce dernier a été conçu dans un but et qu’il est le produit de la perfection. C’est une raison pour toi de refuser que le monde soit le produit de la dialectique des contradictions du hasard et de la nécessité.

suite à venir...

Portfolio

Messages

  • Tout d’abord, sachez que le débat ne portait pas sur la matière, mais sur le vide... et sur son existence.

    • Il n’y a aucun monde avec des objets existant et d’autre inexistant. Particules et antiparticules existent tous deux. Leurs contradictions agissent mais elles ne sont des contradictions de l’existence et de la non-existence. Elles sont des contradictions au sein de l’existant. Pour les logiciens, une contradiction suppose l’impossibilité. C’est pour cela que j’ai écrit surtout des paradoxes insolubles pour leur démontrer que le monde a des contradictions irréductibles, qu’il est dialectique et n’obéit pas à la logique formelle du tiers exclus. Si l’on oppose de manière formelle mouvement et non-mouvement, matière et non-matière, espace et non-espace, on arrive à des impossibilités que j’ai illustrées de 80 manières. Certaines images mathématiques de la physique ont servi à cacher ces illusions de la philosophie logique formelle derrière des calculs que l’on appelle les infinitésimaux. Il y a l’infiniment petit et l’infiniment grand. En jonglant avec ces sortes d’infinis, en faisant croire qu’il s’agit de nombres, on a réussi à camoufler les problèmes de l’image du monde physique et non à les résoudre. Mais le zéro et l’infini n’existent pas davantage. Le réel n’est ni nul ni infini. Le tout est physique donc fini. Le rien est inexistant donc on ne peut en parler. Voilà ce que disait Parménide. Bien sûr, cela n’empêche pas la physique de se servir des mathématiques avec bonheur, mais cela empêche de prétendre que le monde matériel « est » mathématique

  • Dans « La Nature et les Grecs », le physicien Erwin Schrödinger expose comment la physique quantique rejoint la notion de discontinu et de discret découverte par les philosophes grecs de l’Antiquité :

    « Les Grecs (...) devaient forcément, tôt ou tard, interpréter les changements de volume en termes de corps consistant en particules discrètes qui ne changent pas par elles-mêmes mais s’éloignent les unes des autres, laissant plus ou moins d’espace vide autour d’elles. C’était leur théorie atomique et c’est aussi la nôtre. (...) Même si nous avons accepté, à la suite des Grecs, l’atomisme de la matière ordinaire, nous semblons avoir fait un usage incorrect de notre familiarité avec le continu. Nous avons utilisé ce concept pour l’énergie mais le travail de Planck introduit un doute concernant la pertinence de cette utilisation. Nous utilisons également le continu pour l’espace et le temps ; on s’en passe difficilement en géométrie abstraite, mais il peut très bien se révéler inapplicable dans l’espace et le temps de la physique. » On voit que le physicien avait conscience que la discontinuité profonde restait à explorer. Rappelons que l’équation de Schrödinger, fondamentale en physique quantique, est une équation de fonctions continues et de paramètres continus, même si sa solution introduit des quantités discrètes donc discontinues. »

  • Il faut faire attention au sens très particulier que prend la notion d’état pour la théorie des systèmes dynamiques. Un paradoxe de Zénon permet de présenter la difficulté. Zénon demandait : « Soit une flèche en vol. À un instant, est-ce qu’elle est au repos ou en mouvement ? » Si on répondait qu’elle est en mouvement, il disait « Mais être en mouvement, c’est changer de position. À un instant, la flèche a une position, elle n’en change pas. Elle n’est donc pas en mouvement. » Si on répondait qu’elle est au repos, il disait « Mais si elle est au repos à cet instant, elle est aussi au repos à tous les autres instants, elle est donc toujours au repos. Elle n’est jamais en mouvement. Mais comment alors peut-elle passer d’une position à une autre ? » Il en concluait qu’il n’est pas possible de dire des vérités sur ce qui est en mouvement. Tout ce qui est en mouvement serait par nature mensonger et il n’y aurait pas de vérités à propos de la matière mais seulement à propos des grandes idées, pourvu qu’elles soient immuables. Le sens commun est exactement inverse. On croit plus couramment à la vérité de ce qu’on voit qu’aux vérités métaphysiques. La théorie des systèmes dynamiques rejoint le sens commun sur ce point.
    La notion d’état dynamique fournit une solution au paradoxe de Zénon : à un instant, la flèche est en mouvement, elle a une position mais elle est en train de changer de position, elle a une vitesse instantanée. Les nombres qui mesurent sa position et sa vitesse sont les valeurs de ses variables d’état. Les variables d’état sont toutes les grandeurs physiques qui déterminent l’état instantané du système et qui ne sont pas constantes a priori. On les appelle aussi les variables dynamiques. Si on prend une photo au flash, on ne voit pas que la flèche est en mouvement, mais on peut le détecter par d’autres moyens, par l’effet Doppler par exemple, sans avoir à mesurer un changement de position. L’état dynamique d’un système est un état instantané, mais c’est un état de mouvement. Il est déterminé par les valeurs de toutes les variables d’état à cet instant.

  • Bien sûr, on peut répondre cela au paradoxe de Zénon mais c’est supposer le problème d’avance résolu puisqu’on suppose à la fois définie la position et la vitesse. Seulement, la matière est formée de particules élémentaires (microscopiques), censées bouger avec les morceaux macroscopiques de matière et la physique quantique affirme que l’on ne peut pas connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule. Donc elle n’est pas dans un système dynamique et elle ne bouge pas. Le paradoxe de Zénon reste entier…

  • Démocrite :

    « L’apparition des formes vient d’essais qui accrochent les atomes les uns aux autres, selon les hasards. »

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