Accueil > 10- SYNDICALISME ET AUTO-ORGANISATION DES TRAVAILLEURS - SYNDICALISM AND (...) > Renault-Flins et PSA-Aulnay : des articles du camarade Granier

Renault-Flins et PSA-Aulnay : des articles du camarade Granier

vendredi 10 février 2012, par Robert Paris

Granier dans la grève de Flins en 1995 (le film)

Granier dans la grève de Flins de 1985

La BDIC, Musée d’histoire contemporaine rend compte de la constitution du fond Daniel Bénard de documentation sur le mouvement ouvrier

En photo sur la page (à gauche) Daniel Bénard, dit Granier, lors de la grève des Presses de Renault-Flins en 1978 (film)

Qui était Granier ?

Sur les grèves à Renault-Flins et Lu-Belin (Evry)

L’exemple de Renault Flins : 25 ans d’histoire syndicale, ou l’évolution parallèle de la CGT et du PCF

La direction du PCF, jusqu’à sa "mutation" sous la direction de Robert Hue, se devait d’avoir des liens privilégiés avec le milieu ouvrier. Renault Flins faisait partie de la dizaine de grosses entreprises industrielles avec lesquelles elle était en lien direct. Elle y maintenait le contact avec quelques militants parfaitement fiables, court-circuitant les structures du parti, dans les deux sens. Ces liens CGT-PC font qu’on ne peut comprendre l’évolution et les virages de la CGT qu’en les mettant en parallèle avec la politique du PCF.

Avant 1968, le PCF faisait systématiquement exclure de la CGT les militants révolutionnaires. Dans les années qui ont suivi, une politique plus subtile consista à intégrer à l’appareil syndical, le plus souvent avec succès, ceux des militants gagnés à la contestation par la vague de 68.

Les purges des années 70

Pourtant dès 1974, avec les accords de l’union de la gauche derrière Mitterrand, le PCF s’est de nouveau soucié du danger que pourraient constituer des "gauchistes" tenant des positions dans des syndicats de grosses entreprises. A Flins l’affrontement était quasi permanent entre la direction de l’usine, assurée par un directeur ex-chef du personnel à SIMCA, et les ouvriers et les syndicats ouvriers. Mais pour dure que soit la vie syndicale, elle était réelle. La CGT avait alors 1100 adhérents payant une moyenne de sept timbres par an. A partir de 1975, dans les ateliers de tôlerie et presses, un petit journal syndical ronéoté paraissait chaque semaine.

L’appareil CGT a déclenché la purge en février 1976 à l’occasion des élections de délégués du personnel pour éliminer des listes tout ce qui ressemblait à des contestataires potentiels de la politique d’Union de la Gauche à venir. La CGT a perdu 2000 voix ; mais la bureaucratie a gardé la mainmise. A l’époque, un appel à un nouveau congrès fut lancé par 24 délégués et militants connus pour essayer de sauver le syndicat, mais rien n’y fit ; tous furent éliminés. Moins de trois ans après, en mai 1979, une nouvelle vague d’exclusions eut lieu, malgré les protestations de sections syndicales entières (peinture, mécanique...). Le PCF voulait être bien sûr qu’il ne restait personne qui puisse servir de point de ralliement à une opposition à la politique qu’il allait devoir faire mener à la CGT.

Le syndicat ne s’en est jamais remis : l’équipe militante a été brisée, les journaux syndicaux et comptes rendus d’activité ont été arrêtés, le nombre de syndiqués a dégringolé en flèche. Mais l’appareil du PC gardait le contrôle absolu de la situation. Et quand deux ans après le gouvernement d’Union de la gauche avec ministres PC est arrivé, la CGT Flins était normalisée et bien aux ordres.

La CGT contre les grèves

En 1982 et 83, ce fut la grève des chaînes de mécanique et des ouvriers d’entretien outillage, puis des caristes, puis des peintres… L’usine fut arrêtée pendant presque deux mois. Mauroy, premier ministre, parla de "grèves dirigées par les intégristes chiites". Le PC poussa l’appareil syndical à faire pression sur les militants CGT impliqués dans les grèves. Au sein du syndicat on disait que les grèves étaient "fomentées par la droite pour barrer la route au gouvernement de gauche". Le résultat le plus tangible fut le désarroi des militants d’atelier ne sachant plus quoi faire. Et aux élections suivantes la CFDT s’est retrouvée majoritaire avec une image de combativité et la réputation que dans les grèves, elle ne se dégonflait pas alors que la CGT avait le cul entre deux chaises.

Lors de la grève Talbot, fin 1983, ce sont les militants de l’appareil de Flins qui sont allés faire le coup de poing contre la CFDT. Il fallait sauver le gouvernement !

Dans cette période 81-84 la CGT Renault signa des accords et laissa passer sans rien dire ce qui se mettait en place : entre autres l’ordonnance de 1982 sur les horaires spéciaux de fin de semaine et les lois Auroux qui permettaient les dérogations au code du travail en matière d’horaires. Un nouveau virage se produisit pourtant en 1984, quand les ministres PC quittèrent le gouvernement. La CGT Flins, jusqu’à aujourd’hui, n’a plus signé aucun accord, même si elle ne s’est jamais donné les moyens réels de les combattre jusqu’à l’annulation.

Et il a fallu que la CFDT Flins effectue son "recentrage" dans les années 1985-90 pour que la CGT, redevenue plus revendicative aux yeux de la masse des travailleurs de l’usine, redevienne majoritaire sur l’usine, alors que la CFDT signait des accords (sur la troisième équipe notamment) et excluait massivement, elle aussi, ses contestataires... dont une bonne partie des militants exclus de la CGT en 76-79 qui s’étaient reconvertis quelques années après à la CFDT.


La fonte des effectifs syndiqués

Toutes ces trahisons et ces revirements ont profondément marqué les travailleurs à Flins. La plus grande partie de ceux-ci qui ont vécu ces 25 dernières années à l’usine, ont été syndiqués à un moment ou à un autre soit à la CGT soit à la CFDT ; puis ont laissé tomber, déçus, voire écœurés.

Il serait faux de croire que c’est par absence de combativité, même si entre 1983 et 1995 où il n’y a pas eu de grande lutte. En 1995, la grève a paralysé l’usine trois semaines, mais ni dans le cours de la grève ni après il n’y a eu d’adhésions aux syndicats ; quelques petites dizaines tout au plus, tous syndicats confondus.

En 25 ans, les effectifs syndiqués ont fondu. Vers 1985, ça a été le lancement de la politique "une carte, un timbre = un syndiqué". Les patrons avaient inventé le 0,2 % de la masse salariale pour subventionner les organisations syndicales qui assuraient par là leur vie matérielle, les cotisations ne devenant qu’un complément plus ou moins accessoire.

Il n’est un secret pour personne que le syndicat CGT (et c’est pire pour les autres) a bien moins de 200 cotisants réguliers, et encore par le biais des prélèvements automatiques (il s’est avéré nécessaire de le rendre obligatoire pour les mandatés). Pour afficher 7 à 800 syndiqués, il faut compter les "une carte, un timbre".

Après l’épisode 1981-84, le discours dans le syndicat a été qu’il ne faudrait jamais recommencer. Promis, juré, on ne se ferait plus avoir. Pourtant avec le gouvernement Jospin et la nouvelle participation des ministres PCF, rebelote. Mais dans l’équipe syndicale actuelle, bien que considérablement affaiblie, ça ne passe pas.

Car ces dernières années, l’influence du PC sur les militants n’est plus ce qu’elle était. Même parmi ceux qui ont toujours suivi le PC, Hue n’est pas une référence et ce que dit le PC est suspect. "Discipline de parti" connaît plus. Personne de Flins n’était sur la pelouse de la fête de L’Humanité en 1997 quand Hue s’est fait siffler ; mais pas mal de militants d’ici regrettent de n’en avoir pas été. Et quasi tous les militants du syndicat sont en hostilité déclarée à la loi Aubry... en mettant dans le même sac la nouvelle ligne syndicale tracée par Thibault.

un autre article de Granier

un troisième article de Granier

Un article de Mouvement communiste où il a milité jusqu’à son décès

Mouvement Communiste

Lettre numéro 26 octobre 2007

CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 :
RETOUR SUR LA GREVE
de Daniel Bénard

La grève de six semaines (du 28 février au 10 avril 2007) qui a eu lieu dans l’usine Citroën est caractéristique a plus d’un titre d’une minorité d’ouvriers de production de l’usine PSA Peugeot-citroën d’Aulnay-sous-Bois, en banlieue Nord de Paris.

Voici une grève qui démarre de façon minoritaire, comme la plupart des grèves dans
l’industrie automobile ces trente dernières années, et qui au bout de deux semaines ne s’étend pas, n’affecte pratiquement plus la production et qui perdure pendant plus d’un mois en quittant l’entreprise. Qu’était-il possible de proposer et de faire au bout des deux premières semaines ?

Voici une grève minoritaire où la direction adopte la position “ nous n’empêchons pas la grève mais vous ne bloquez pas la production ”, accord tacite respecté de part et d’autre.

Voici une grève où les grévistes s’organisent en comité de grève le plus démocratique
possible, et où, les dirigeants de la grève, les militants de Lutte Ouvrière (LO), jamais en contradiction avec les grévistes, font le choix délibéré de faire durer la grève en semant les illusions sur la publicité médiatique en période électorale, pour finalement ne rien obtenir en fin de grève.
Voilà donc une grève qui mérite qu’on y revienne en détail pour en faire non seulement le bilan, pour que les grévistes insatisfaits, après coup, puissent préparer la prochaine grève et pour montrer les limites des comités de grève s’ils ne se transforment pas, après la grève, en comité politique ouvrier.

Une partie de cette lettre comprend donc une critique politique de la pratique qu’a eu Lutte Ouvrière et telle qu’elle l’a parfaitement expliqué dans sa brochure “ Six semaines de lutte pour les salaires à Peugeot-Citroën Aulnay ”

Cette lettre, outre une chronologie, contient quatre textes :
« Discussion en fin de grève », discuté avec des camarades de l’usine qui ne sont pas
forcément d’accord avec certaines de nos conclusions, « Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière », qui est notre appréciation sur l’action du comité de grève, « VO/LO et les comités de grève », a été rédigé par un ancien militant de Lutte Ouvrière, « Les deux sources des erreurs de LO », qui identifie les raisons théoriques de la politique de LO, le démocratisme et le syndicalisme.

Chronologie

Fin février, la majorité des travailleurs des presses (un atelier situé à l’intérieur de l’usine de Citroën
Aulnay où la production a été sous-traitée à l’entreprise turinoise Magnetto) se met en grève et menace
d’arrêter toute l’usine. Après quelques jours de grève l’entreprise fait des concessions importantes :
100 euros net d’augmentation de salaire, 5 jours de congé supplémentaires, l’embauche de 10
travailleurs intérimaires et accorde même une prime de fin de grève de 75 euros.

Mercredi 28 février ― La grève démarre sur les chaînes de montage dans l’équipe de l’après midi.

Quelques travailleurs discutent des résultats de la grève Magnetto et décident de se mettre en grève.

Débrayage de l’équipe de nuit.

1er mars ― L’équipe du matin décide de poursuivre la grève. Sous l’impulsion de militants un comité de grève est formé.
2 mars ― Il y a quelques centaines de grévistes à la prise du travail de l’équipe du matin. Gefco Survilliers, un sous-traitant en charge de la logistique se met également en grève.

5 mars ― Les grévistes mettent fin à leur répartition par équipe et décident de tous venir à l’usine aux heures de l’équipe de jour.
6 mars. ― Manifestation de 300 grévistes de l’usine d’Aulnay à l’usine Citroën de Saint-Ouen (effectif 500). Les manifestants sont autorisés par la direction à traverser l’usine mais le travail reprend dès qu’ils ont quitté l’usine.

8 mars ― Les grévistes partent en manifestation à l’usine de Poissy (effectif 7 500), mais cette fois ils ne peuvent pénétrer à l’intérieur. Seuls quelques douzaines de travailleurs de Poissy débraient en soutien à leur camarade d’Aulnay, principalement des délégués. Création de la carte de gréviste.

9 mars ― Création d’une caisse de grève.
A partir de ce jour et pour le reste de la grève, ballades quotidiennes en dehors de l’usine vers des marchés, mairies, etc. dont nous ne recensons que quelques exemples

12 mars ― Manifestation à la préfecture de Bobigny.
Organisation d’une pétition en soutien aux grévistes à l’intérieur de l’usine d’Aulnay : 1 200 non grévistes vont la signer le premier jour.

13 mars ― Quelques centaines de grévistes manifestent à Paris et distribuent des tracts devant le siège de PSA.

21 Mars ― Le comité de grève élabore un “ programme d’action en direction de l’usine et des
habitants du département ”.

22 mars ― Les grévistes manifestent dans l’atelier de Magnetto, mais sans réussir à entraîner les ouvriers dans la lutte

9 au 22 mars ― Tentatives de débrayages ultra minoritaires dans diverse usines du groupe qui restent incapables d’affecter la production (Sochaux, Mulhouse, Trémery, Rennes, Sevelnord).

24 mars ― Organisation d’une manifestation à Paris avec un millier de participants.

26 mars ― PSA est condamné pour usage illégal de travailleurs intérimaires en remplacement des grévistes.

27 mars ― Manifestation dans la ville d’Aulnay. Grève chez deux fournisseurs, Lear et Faurecia. La grève de Faurecia qui durera 4 jours aura de vraies conséquences : pendant toute une période les voitures produites sortiront sans siège.

28 mars ― Débrayage de deux heures à Aulnay, appelé par les syndicats.

30 mars ― Nouvelle manifestation à Paris devant le siège de PSA avec la participation des grévistes de Lear.

2 avril ― Premiers versements de la caisse de grève. Chaque gréviste reçoit de 70 à 200 euros.

4 avril ― Fin de la grève à Lear, les grévistes obtiennent une augmentation de 47 euros.

6 avril ― Nouveau débrayage à Aulnay. Les grévistes organisent un barbecue géant devant l’usine.

10 avril ― Dernière manifestation devant le siège de PSA à Paris.
Les grévistes décident de suspendre la grève.

Résultats :
4 jours et demi de grève payés et une prime exceptionnelle de 125 euros pour tous, grévistes et nongrévistes.
Le tarif des transports d’entreprise sera diminué.
Les jours de travail supplémentaires, samedi et jours fériés ne seront pas obligatoires.

Discussions en fin de grève

La grève chez Citroën, du 28 février au 10 avril 2007, pose bien des problèmes et les
conclusions qu’en tire “ Lutte ouvrière ” dans la brochure sont bien insuffisantes et sélectives.
Pourquoi s’occuper de cette brochure ? Parce qu’il est notoire que les camarades qui ont joué un rôle moteur dans cette grève sont presque tous, pas exclusivement, des militants de LO existant à travers la CGT. En conséquence, ils portent la responsabilité de ce qu’a fait la grève (en bien et en moins bien). C’est tout à leur honneur, certes, mais cela ne doit pas nous dispenser d’en discuter
lucidement et de façon critique.

La grève a commencé spontanément sur les chaînes de montage, même si des militants
étaient présents. La CFDT, qui à signé un accord salarial la veille, est logiquement contre mais va malgré tout suivre le mouvement pour ne pas se mettre plus à dos les travailleurs. C’est l’annonce du succès clair et net des travailleurs de Magnetto qui a déclenché l’arrêt des chaînes. Évidemment, sur fond de grogne profonde et tenace depuis des années. En effet, Citroën n’a rien perdu de sa réputation historique et méritée de sale boîte : une entreprise qui paye mal, une maîtrise sélectionnée
à l’ancienne pour ses convictions anti-ouvrières et accessoirement pour ses compétences professionnelles, les deux allant rarement ensemble.

Très vite, il y avait 450 à 500 grévistes dans une usine qui compte 3 300 à 3 500 travailleurs en production. La grève est minoritaire, c’est un constat ; ce n’est ni une critique ni un jugement de valeur. Les travailleurs ont raison de poser les gants quand ça ne va pas, minoritaires ou pas. Et ceux à qui cela ne plaît pas n’ont qu’à poser les gants eux aussi, la grève deviendra moins minoritaire.
Mais à partir de ce constat, il faut déterminer lucidement ce qu’on fait pour que la grève englobe le plus de monde possible. La force de la classe ouvrière face aux patrons, c’est la grève
mais avec des grévistes, et la plus massive possible. Le nombre compte au moins autant que la combativité. C’est la conclusion qu’ont pu tirer des générations de travailleurs grévistes, bien souvent après des luttes formidables mais néanmoins défaites, comme la grève des presses de Flins en 1978, vaincue pour n’avoir pas entraîné la masse des travailleurs.

Les 500 camarades qui ont commencé la grève se devaient donc de trouver les moyens
d’entraîner les autres ouvriers et d’arrêter la production. Parce que d’abord et avant tout, une grève c’est l’arrêt de la production, l’arrêt de la production de valeur. C’est tellement évident qu’on ne le dit même plus, et pourtant c’est la base à partir de laquelle il faut concevoir les actions.

Les deux premiers jours donc, tout était arrêté ou presque. Et c’est peut-être là qu’on a raté quelque chose ; si on s’était installé sur les chaînes à 4 ou 500 gars et qu’on y soit resté, qu’auraient pu faire les valets des patrons ?

Mais cela ne s’est pas fait… Bon, on ne refait pas l’histoire. Quand on démarre, on va vite, très vite : on fonce pour essayer d’entraîner d’autres tronçons de la chaîne. C’est bien
compréhensible, puisqu’on veut être efficace immédiatement. On ne peut pas penser à tout, tout de suite.

Toute la première semaine et jusqu’au milieu de la deuxième, on a essayé de gagner de
nouveaux grévistes ; on sentait que l’ambiance de l’usine n’était pas défavorable, même les nongrévistes,
massivement, n’étaient pas hostiles (mais ils n’étaient pas en grève pour autant) et quand la maîtrise voulait recruter dans les secteurs de maintenance pour remplacer les grévistes, ça ne marchait pas. C’est vrai que plusieurs fois la maîtrise a elle-même retiré les non-grévistes vers d’autres secteurs face à la pression des grévistes.
Mais alors, pourquoi subitement, dès la fin de la deuxième semaine et pendant tout le reste de la grève, les dirigeants de la grève ont-ils poussé à sortir de l’usine et des ateliers pour aller à
l’extérieur, un peu partout ?

Soyons clairs, le comité de grève et la majorité des grévistes étaient d’accord (pas tous quand même, il y a des camarades qui ont senti qu’on changeait d’objectif). Et alors ? L’important est de déterminer dans quel sens tiraient les dirigeants de la grève. La démocratie formelle, du genre : “ C’est pas nous, c’est les grévistes ! ”, c’est de la foutaise. Concrètement, les militants de LO ont fait ce qu’il fallait pour que les ouvriers aillent ailleurs.

Et pourtant, si l’on avait des chances d’arrêter complètement l’usine, c’était en continuant la pression, en trouvant les bons arguments, en gérant la grève avec ce seul objectif : stopper la production, y compris, si la possibilité se présentait, de bloquer par la force. Au lieu de cela, on a laissé les non-grévistes et la direction réorganiser les chaînes pour les faire tourner et évidemment, c’est ce qui s’est passé.

Bien sûr il n’est pas certain que nous aurions réussi à gagner une partie des non-grévistes.

Rien n’est jamais joué d’avance mais les préoccupations auraient été différentes et on n’aurait pas laissé les mains libres à la Direction et à sa maîtrise.

Les deux premières semaines, il y a eu 6 à 7 000 voitures non fabriquées. Mais dès la
troisième semaine, les chaînes sortaient 1 000 voitures/jour ; il n’en manquait que 350 par rapport à la production normale. Et comme les ventes ne sont pas terribles en ce moment … Pour la direction, c’était gérable. Ensuite, la production est montée à 1 200 voitures/jour.
Au bout de deux semaines, les grévistes avaient perdu l’espoir de gagner le moindre gréviste supplémentaire et la majorité pensait qu’il était nécessaire de changer d’objectif, en médiatisant la grève.
Dans la brochure, page 28, il est expliqué que “ …pour la direction, il faut que les voitures sortent coûte que coûte ”. Bien sûr que les patrons, eux, ont une boussole. Ils savent que la grève, si elle arrive à arrêter la production, c’est mal barré pour eux. Pourquoi du côté des grévistes et en particulier des dirigeants de la grève n’y a-t-il pas cette volonté dans l’autre sens ?

Il y a six pages dans la brochure pour expliquer pourquoi il ne fallait pas bloquer les chaînes et pourquoi il fallait sortir de l’usine. Il est écrit, page 41, noir sur blanc : “ D’ailleurs, la direction de Citroën, elle-même, n’aurait pas été mécontente d’un tel blocage ” Et ce, après avoir expliqué que la direction voulait sortir des voitures coûte que coûte. Si quelqu’un a une explication, on est preneur !

Toute l’argumentation tourne autour de cette idée : bloquer la production, c’est donner des arguments aux huissiers et à la maîtrise pour sanctionner et briser la grève.

Mais soyons clairs : la plupart des grèves dans l’automobile, depuis 40 ans, en France, ont été minoritaires ; plus ou moins, c’est vrai, et toutes se sont trouvées face à ce problème.

La grève, c’est-à-dire ― répétons-le encore ― l’arrêt de la production, se trouve presque à chaque fois face aux agents patronaux patentés : huissiers, maîtrise, provocateurs, etc. Et ça n’est pas près de changer.

Si on ne veux pas gérer ce risque-là, alors il ne faut pas faire grève, ce n’est pas plus compliqué que cela.

Et toute la validité justement des militants qui sont en pointe dans la grève, c’est de gérer cela, au profit de la grève.

Comment neutraliser la chefferie ?

Comment retourner les hésitants ?

Comment éviter les provocations ?

Tous les camarades, que ce soit à Renault ou à Sochaux, à Cléon, à Flins ou ailleurs savent cela. La question n’est pas de fuir, mais de s’accrocher et de neutraliser l’ennemi. Quelquefois, on gagne, quelquefois on perd ou on finit sur des compromis, c’est la lutte des classes…

En fait, le changement d’orientation de la grève dès la deuxième semaine est le résultat d’un choix conscient. Dès ce moment, Julien déclarait à l’AFP (agence de presse) : “ en revendiquant sur nos salaires, on s’inscrit pleinement dans la campagne des présidentielles ”, et il ajoutait que “ la lutte des salariés d’Aulnay avait reçu le soutien d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot ”.

On comprend déjà mieux : la grève a été mise au service de la campagne électorale de
l’extrême-gauche. Pour cela, il fallait que la presse en parle (ce qui n’arrête pas la production). Il fallait se faire voir partout : dans les gares, sur les marchés, etc. Pendant ce temps, la direction et les non-grévistes sortaient 1200 voitures/jour. Il fallait aller aux portes des autres usines (ce qui n’a pas amené un gréviste de plus). Et tout ça pour que les candidats de gauche et de moins gauche viennent se faire applaudir devant les caméras et les journalistes. Même Royal y est allée, pour un peu on aurait eu Sarkozy.
Cela nous amène à quoi ? Du vent, du cinéma, mais pas le renforcement de la grève. Au
contraire, on pouvait constater chaque lundi qu’on était moins nombreux que la semaine précédente, jusqu’à se retrouver à 200 à la fin.

Le 3 avril, alors qu’il était évident que cette façon de mener la grève ne menait nulle part, Mercier, le représentant CGT, déclarait sur RTL : “ le soutien des candidats aux élections représente une aide importante face à la direction ”. Belles illusions ! Les chasseurs de voix aux élections soutiennent les grévistes comme la corde soutient le pendu ; avec la condition sous entendue que les grévistes abandonnent leur conscience de classe d’ouvrier en grève pour devenir des votants potentiels dans l’anonymat des urnes.
Qu’on se comprenne bien, il n’est pas faux en soi que les ouvriers sortent de l’usine pour
aller faire débrayer les camarades ailleurs. Mais encore faut-il qu’il y ait des grévistes et en nombre suffisant pour que ce soit un élément déclencheur. Quand 300 des 500 grévistes se sont déplacés à Saint-Ouen, c’était parfaitement juste. On pouvait espérer entraîner nos camarades de Saint-Ouen, usine qui n’est pas une grosse unité de production. Mais il a bien fallu constater qu’après le passage des grévistes dans les ateliers, l’usine tournait à nouveau normalement, comme si rien ne s’était passé.

On savait donc que la recherche d’un éventuel élargissement à l’extérieur d’Aulnay était
illusoire. Quand ensuite on est allé à Poissy, cela n’aurait eu de sens que si on avait été suffisamment nombreux, disons 2 ou 3 000 pour entrer dans l’usine, bloquer les chaînes et arrêter l’usine. Cela aurait été une véritable extension de la grève mais on était bien loin de cela. Et on le savait. Il ne s’est rien passé, ni à Poissy ni ailleurs. Par contre, pendant ce temps-là, nous n’étions pas à l’usine.

Là où, le nerf de la guerre, la production, sortait de plus en plus normalement.

Alors, au final, il nous reste quand même ce formidable sentiment d’avoir fait un sacré bras d’honneur, à Citroën. Nous savons maintenant que nous sommes plusieurs centaines dans l’usine, armés d’une véritable haine du système Citroën, et nous avons été capables de l’affirmer bien haut face aux valets patronaux. C’est un acquis considérable, qu’on a payé cher, mais qui vaut bien des sacrifices. Cependant, on ne peut pas se contenter de ce jugement de valeur.
En revanche, si les centaines de camarades concernés se mettent à réfléchir et à discuter sur les différents aspects de ce qui a été fait, si on se sert de l’expérience pour en tirer les enseignements, alors, dans les mouvements à venir, on sera beaucoup plus forts. Citroën aura beau aligner les huissiers, ses chefaillons ridicules, ses provocateurs et tous les crétins qui marchent avec eux, c’est le mouvement conscient des travailleurs en lutte qui aura le dernier mot.

Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière

La direction de la grève La lutte montre les limites de l’auto-organisation quand celle-ci n’est pas clairement inspirée par l’objectif stratégique de l’indépendance politique des travailleurs.

A la tête de la lutte, Lutte Ouvrière a mis les petits plats dans le grands pour que le comité de grève réponde formellement en tous points à l’exigence de la plus grande démocratie ouvrière. “ Nous avons élu un Comité de grève d’une centaine de travailleurs pour diriger la grève. Ainsi, toutes les décisions ont été discutées tout au long de la grève dans ce Comité qui se réunissait deux fois par jour, plus d’une heure à chaque fois. … Les propositions du Comité étaient adoptées par l’assemblée
générale qui se réunissait après chaque Comité. Tout a été discuté, de la plus petite décision aux plus importantes. … Le Comité de grève a permis d’organiser la grève dans l’unité et de répondre au coup par coup à la politique de la direction ”, a expliqué Philippe Julien, militant de LO et secrétaire de la CGT de PSA Peugeot-Citroën Aulnay, lors du meeting du 15 avril 2007, au Zénith, d’Arlette Laguiller, candidate à l’élection présidentielle française pour la formation trotskiste.
Ces propos correspondent à la vérité. Le fonctionnement du Comité de grève y est bien décrit.

La relation entre cet organisme et les quelques 400 à 500 grévistes ne s’est jamais interrompue tout au long des six semaines de conflit. A aucun moment, des ouvriers en lutte n’ont exprimé leur insatisfaction vis-à-vis du Comité. Pourtant, la dynamique de ce dernier a été l’un des facteurs qui ont empêché tout développement réellement autonome de la lutte et, surtout, la mise sur pieds des premiers éléments d’organisation politique indépendante dans l’usine. Le Comité de grève “ a été un
véritable laboratoire d’idées. Un ouvrier a d’ailleurs surnommé la salle où se réunissait le Comité :
L’école de la grève ”, a indiqué Philippe Julien.

C’est le point crucial. Quel genre d’idées a été élaboré dans cet organisme ? Proposé aux ouvriers grévistes dès le deuxième jour de grève par des militants de LO, il est d’emblée l’expression d’une grande ambiguïté : le Comité est certes un instrument des travailleurs mais plusieurs sections syndicales de l’usine, celles de la CGT, de SUD, de la CFDT et de l’UNSA, sont présentes en son sein en tant que telles. Ce n’est pas formel. Leur adhésion explicite coïncide avec la volonté de garder, Syndicats qui, sauf la CGT, avaient signé un accord salarial avec la Direction deux jours plus tôt.

par l’intermédiaire du Comité, le contact avec les travailleurs en lutte et de maintenir le conflit dans un cadre compatible avec l’action syndicale classique des élus et des délégués syndicaux de l’usine.
“ A la fin de la grève, alors que le Comité débat sur le fait de signer, ou pas, un protocole de fin de conflit avec la direction, un délégué de SUD explique sèchement que, quoi qu’il arrive, son syndicat ne signera pas l’accord. Un gréviste lui répond plus sèchement encore : Tu n’as pas compris encore ? C’est le Comité de grève qui dirige la grève. Pas les syndicats. Alors SUD fera ce que le Comité décidera ”, lit-on dans la brochure de LO dédiée à la lutte d’Aulnay. Ces propos reflètent bien
les relations qui se sont établies entre travailleurs en grève, syndicats et Comité.

Le délégué de SUD, en affirmant que son syndicat fera à sa guise dans un moment décisif du conflit comme celui de la reprise du travail, ramène le Comité à une simple fonction d’accompagnement des ouvriers dans leur grève. Instance certes d’expression libre des travailleurs mais pas organe doté de l’autorité complète sur le conflit. Au Comité, la gestion de l’intendance de l’agitation ; aux syndicats, le “ business ” central de la négociation et de l’orientation générale.
Quant à l’ouvrier qui s’insurge contre le délégué de SUD, il montre qu’il n’a pas compris le rôle réel des syndicats, institutions officielles de négociation du prix de la force de travail mais respectueuses de la domination générale du capital. Pour ce travailleur, le Comité est tout simplement le nouveau syndicat, plus démocratique et plus proche de lui, ou, mieux, la nouvelle Intersyndicale enfin ouverte aux ouvriers.
A aucun moment, la discussion sur la nature des syndicats, y compris dans leur version la plus combative, n’a été mise à l’ordre du jour de la réflexion entre travailleurs en lutte. Les dirigeants LO de la grève auraient difficilement pu apporter la lumière sur ce point sans saboter la position de CGT dont ils sont à la tête à Aulnay.
Aucune minorité ouvrière n’a, au travers de cette bataille pour le salaire, entrevu la possibilité de lui donner une dimension politique en la corrélant à la guerre de classe contre la dictature du capital dans l’usine et dans la société. La preuve ? Peu à peu mais inexorablement, les travailleurs en lutte ont abandonné le terrain de l’usine et de la production aux non grévistes et aux chefs. Incapables dès la deuxième semaine de grève de gagner des nouvelles adhésions à la grève parmi les ouvriers des lignes
de montage, les grévistes ont opté pour la lutte “ citoyenne ”, faite de manifestations extérieures à l’usine, de demandes de solidarité aux Mairies et d’appels de soutien aux candidats de gauche à l’élection présidentielle.
“ Vu que la grève ne s’étendait pas dans l’usine, la question s’est rapidement posée au Comité de grève et dans les assemblées générales : faut-il bloquer les chaînes et mettre en place des piquets de grève ? ”, s’interroge LO. La question est d’autant plus pertinente que, “ dès la deuxième semaine, un certain nombre de grévistes, de toutes les générations, y sont plutôt favorables ”, reconnaît l’organisation trotskiste.

Et encore : “ l’idée de bloquer les chaînes par la force va aller et venir, reculer et revenir sporadiquement tout au long de la grève. Finalement, cela s’est beaucoup discuté, et c’est démocratiquement que le Comité de grève a décidé de ne pas le faire ”. Voilà la réponse désarmante de LO : “ Bien sûr, les militants ouvriers ne peuvent qu’être favorables à ce que la production soit bloquée – ce qui touche le patron au coeur, c’est-à-dire au portefeuille. Mais à condition que ce blocage soit fait de façon consciente, et non imposé par une minorité contre l’avis de la majorité – et
moins encore à coups de matraques ”. Récapitulons. Oui au blocage, mais conscient et pas contre l’avis de la majorité.
Pour LO, la conscience émane exclusivement de l’organisation communiste, c’est-à-dire
d’elle-même. Or, les militants de LO ont systématiquement combattu dans le Comité et dans les assemblées générales toute proposition de durcissement du mouvement, prétextant que “ la direction de Citroën elle-même n’aurait certainement pas été mécontente d’un tel blocage – au point que quelques-uns de ses mouchards ne se privaient pas de militer sur ce terrain ”.

Le discours de LO s’embrouille un peu plus : bloquer la production touche le patron au coeur
… mais bloquer la production à Aulnay aurait fait le jeu du patron. Pas moyen, dans ces conditions, d’obtenir des titulaires de la conscience, le feu vert à la radicalisation du mouvement. Puis, il y a le fait incontournable que, dès la deuxième semaine, la lutte ne s’enracinait pas, avec une nette majorité de travailleurs de l’usine qui continuaient de travailler. Si la loi de la majorité était si astreignante, pourquoi persister dans un bras de fer qui a coûté si cher aux grévistes pour des gains matériels si limités ?

La solution proposée par LO pour répondre à cette nouvelle énigme est de “ sortir de
l’usine ”, autrement dit, laisser le champ libre au patron, et de mettre en place une caisse de solidarité.

La campagne électorale bat son plein. Plusieurs candidats, dont la socialiste Ségolène Royal, rendent visite aux grévistes aux portes de l’usine. L’illusion du battage médiatique s’installe. On se voit à la télé.
Puis, c’est l’érosion des bataillons déjà affaiblis des grévistes. Au fil des jours de grève, 300 d’entre eux, la mort dans l’âme, reprennent en catimini le travail. La solidarité de façade de la majorité des ouvriers de l’usine, ceux qui n’ont jamais cessé de travailler, disparaît. Le Comité de grève, sa démocratie interne, son ouverture, etc. n’y peuvent rien. Pas plus d’ailleurs que les militants “ conscients ” de LO.
La défaite est dans les têtes mais on préfère parler de victoire “ morale ”. Le Comité de grève disparaît naturellement avec la fin de la grève. Les syndicats prennent le relais. En parfaite intelligence. Des sursauts d’orgueil dans les ateliers se manifestent ici et là après la reprise. Des grèves localisées apparaissent. Signe que les grévistes sortent battus mais pas terrassés. Quant à leur expression politique indépendante dans l’usine, elle est toujours inexistante. A cet égard, la longue grève de six semaines aura été une nouvelle occasion perdue. Trop faible et isolée, la lutte défensive d’Aulnay n’a pas produit d’éléments organisés de conscience collective révolutionnaire.
LO, de son côté, n’a pas tort de se réjouir. Elle aura fait une nouvelle démonstration que l’autonomie politique de la classe ouvrière est l’affaire des groupes politiques et pas des travailleurs eux-mêmes. Dans la foulée, l’organisation trotskiste a apporté au syndicat un petit bol d’oxygène supplémentaire au moyen de l’exercice d’une réelle démocratie ouvrière formelle incarnée par le Comité de grève.

Une autre voie : les comités politiques

La voie des comités politiques d’usine, de chantier, de bureau et de quartier est radicalement différente. Elle suppose que des minorités d’ouvriers étendent la lutte jusqu’à lui donner une forme politique explicite, par l’organisation de comités. La compréhension, par ces comités, de la nature générale de lutte de classes est emblématique de tout combat défensif des travailleurs contre le capital.
Une séparation nette entre la lutte “ syndicale ” pour des revendications immédiates organisées par des instituts ad hoc et la lutte politique contre la dictature du capital dirigée par le parti dont émane la conscience révolutionnaire, ne traduit pas la réalité historique et toujours actuelle de la lutte de classes. Les ouvriers apprennent la critique du système qui les opprime en se battant pied à pied, sur leurs lieux d’exploitation, pour se défendre contre tel ou tel aspect particulier du système capitaliste.

Au cours de leur lutte, ils sont amenés à se doter d’instruments divers, théoriques et pratiques, pour affiner leur compréhension de l’ennemi et des rapports sociaux qui les accablent. La conscience, mieux, des éléments de conscience de soi, naissent ainsi des luttes dites quotidiennes ou élémentaires.

Ces éléments de conscience restent le plus souvent épars, non exprimés, et encore moins traduits en organisation surtout quand, comme dans le cas d’Aulnay, l’isolement et la faiblesse du camp des travailleurs en mouvement l’emportent.

Mais il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle négatif joué par les trop nombreux
représentants autoproclamés des ouvriers, de LO (dans le cas d’Aulnay) aux autres gauchistes (dans d’autres luttes), en passant par les syndicats et les grands partis de gauche. Sans exagérer l’impact de leur action de pompiers politiques – les travailleurs ont su les balayer à plusieurs occasions dans l’histoire du mouvement ouvrier -, ces formations oeuvrent sans relâche à ce que la double nature de la classe ouvrière, force de travail pour le capital et force motrice du dépassement des sociétés divisées
en classes opposées, se transforme en opposition inconciliable.
Les communistes, en revanche, agissent pour que cette double nature devienne le principal facteur de subversion du présent en transformant les nécessaires actions défensives en préparation de l’élan révolutionnaire et en oeuvrant à la constitution des organes prolétariens du parti de classe. Ce processus n’est en rien continu et ascendant. Il n’est pas encore partagé par les salariés. Les premières
minorités de travailleurs qui parviennent à s’installer sur le terrain politique indépendant sont combattues par le capital, ses Etats et ses appendices de gauche et d’extrême gauche avec la plus grande détermination.

Des reculs incessants et des défaites répétées viennent interrompre la constitution du
prolétariat en classe pour soi. Pourtant, la classe ouvrière continue de vivre et de s’étendre. Son potentiel révolutionnaire ne peut pas être tari une fois pour toutes. Le capital lui-même a bien appris la leçon en tentant régulièrement de l’utiliser pour assurer son propre développement. Mais la double nature de la classe ouvrière ne peut pas être supprimée. La révolution pointe son nez chaque fois que les travailleurs s’insurgent et luttent pour leurs propres intérêts immédiats. Saisir cette réalité, la
valoriser et la renforcer dans la mesure du possible est la tâche spécifique des communistes aujourd’hui.

LO et les comités de grève

Depuis toujours, l’organisation Lutte Ouvrière fait des comités de grève la pierre angulaire de son action au sein des luttes de classe. Pour elle, cette forme d’organisation permet aux travailleurs d’apprendre, naturellement grâce à l’intervention de l’organisation LO, à “ diriger eux-mêmes leurs luttes, à les prendre en mains dans les moindres détails ”. La formation trotskiste prétend que les comités de grève permettent aux salariés un “ apprentissage du pouvoir ouvrier ”, développent “ la
démocratie ouvrière ” dont ils sont “ l’école ” et font que les mouvements soient “ plus efficaces ” en cas de collision avec les organisations syndicales. Seule l’assemblée générale des grévistes est souveraine sur le comité de grève, “ véritable gouvernement ouvrier de la grève ”, souligne LO.

Avec le temps, en renforçant sa présence dans les appareils syndicaux, LO a mis beaucoup d’eau dans le vin de l’autonomie des comités de grève par rapport aux syndicats. Dans un texte interne plus récent de celui cité plus haut, on lit que “ le comité de grève ne doit pas apparaître comme une machine antisyndicale, mais comme une forme d’organisation à la fois plus unitaire et donc plus efficace, parfaitement adaptée à une situation de lutte où tout le monde, syndiqué ou non, participe ”.

Pourtant, dans le même écrit, LO définit toujours la fonction du syndicat comme “ pompier de l’ordre social ”, incapable “ d’aller au bout des luttes et de leurs possibilités ” car il ne veut aucunement “ compromettre réellement le fonctionnement de la machine d’exploitation bourgeoise ”.

Malgré cela, toutefois, en bons trotskistes, les militants de LO ne veulent pas, “ dans la grève ”, adopter “ une attitude gauchiste, antisyndicale ”. Et ce afin de “ tenir compte des sentiments des travailleurs et essayer d’entraîner les militants syndicaux et les syndicats dans le comité de grève aussi loin que possible dans le mouvement, tout en préparant les plus conscients au moment probable où les syndicats lâcheront le mouvement ”. LO fournit une clé de lecture supplémentaire, décisive
peut-être, de la relation entre syndicats “ pompiers sociaux ” et comités de grève en déclarant que, “ dans un pays comme la France, où les syndicats sont minoritaires dans la classe ouvrière, ils ne peuvent même pas prétendre représenter les travailleurs lorsqu’ils entrent en lutte ”. Les comités de grève, si l’on s’en tient à ce constat apparemment incolore, s’imposent afin de combler le défaut de représentativité des “ pompiers sociaux ”. Ils seraient donc des simples supplétifs des syndicats…. Ici,
on n’est probablement pas très loin de la vérité.
Quoi qu’il en soit des relations des comités de grève avec les syndicats, l’apprentissage du pouvoir ouvrier fait au travers de ces comités permettra de “ constituer l’avant-garde ouvrière, consciente, expérimentée, appelée demain à jouer un rôle décisif dans les combats de classe ”. Si l’on s’en tient à cela, le comité de grève, donc, est l’outil essentiel pour l’apparition et la formation de véritables militants ouvriers. A aucun moment, cependant, LO ne précise les tâches politiques qu’il assigne à ces organes. On dirait qu’il suffit que les travailleurs prennent leurs mouvements en mains
via ces comités et l’assemblée générale souveraine en les poussant de l’avant le plus possible pour qu’il en naisse l’avant-garde consciente et expérimentée, donc politique. Autrement dit, l’autonomie politique de la classe ouvrière serait le produit direct de la généralisation des comités de grève et de la démocratie ouvrière.
Quel que soit le moment de la longue histoire de LO, cette conception fondamentalement syndicaliste de l’indépendance politique des travailleurs représente le fil conducteur de son intervention dans les luttes. L’organisation trotskiste sous-estime clairement la capacité des syndicats de faire leurs, lorsque leur emprise est sérieusement menacée, les objectifs et même les formes de lutte les plus radicales des combats défensifs des salariés. Parallèlement, LO surestime leur représentativité
au sein de la classe en adoptant, au fil du temps, la tactique entriste classique des trotskistes arrosée d’appels constants à l’unité syndicale la plus large. Par-là, elle contribue à faire des comités de grève des Intersyndicales élargies aux travailleurs, où les confédérations peuvent être représentées en tant que telles. Elle oeuvre donc pour revitaliser les syndicats, définis pourtant par ailleurs comme des piliers de l’ordre capitaliste. Mais ces critiques, certes fondées, ne suffisent pas à définir la conception
lénifiante et essentiellement syndicaliste que LO a de la lutte de classes et du processus à l’organisation politique ouvrière.

VO/LO et les comités de grève

En la matière, et dans bien d’autres, l’élément fondateur est la grève d’avril-mai 1947 à
l’usine Renault de Billancourt.
Au fil du temps, VO/LO a un peu mythifié l’évènement qui ne se traduisit pas du tout par une victoire revendicative, contrairement à ce qui a été propagé par la suite. Bois écrivait d’ailleurs dans La révolution prolétarienne ( revue dirigée par Pierre Monatte) de juin 1947 que : “ nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de “prime” ”

Il n’empêche que politiquement, ce fut la grève la plus importante de l’immédiat après guerre qui conduisit Auriol, président de la république, à virer les communistes du gouvernement (avec le début de la guerre froide qui était là).
Cela dit, au niveau de l’organisation de la grève, son déclenchement et sa conduite, il y a nombre d’éléments qui sans avoir besoin d’être enjolivés, étaient exemplaires ; et ont été transmis comme tels à la génération des militants qui arrivaient à Voix Ouvrière (VO) dans les années 60-68.

Les camarades (essentiellement Pierre Bois qui était celui en qui les ouvriers avaient le plus confiance) avaient fait une assemblée du secteur Collas (départements 6 et 18) le mardi. Là, ils avaient fait voter la grève et élire le Comité de grève (CG), préparé à l’avance évidemment, et mandaté pour déclencher la grève. Ceci sans le syndicat évidemment. Le PCF était au gouvernement, et à Billancourt, la CGT avait la haute main sur tout ce qui se passait dans l’usine.
Le mercredi, les camarades ont organisé la “ répétition générale ”, pour déclencher le coup :
chaque camarade du CG devait s’entourer de quelques gars sûrs et recevait une affectation pour le matin du jour J : portes, compresseurs, distribution électrique, etc...

Le jour de la “ répétition ” a été fixé en fin de semaine, le jeudi ou vendredi, et ce jour-là, et sur place, les gars ont appris (sauf le Comité de grève qui savait puisqu’il l’avait décidé), que ce n’était pas la répétition, mais le début de la grève. L’ordre de grève était imprimé et distribué aux ouvriers qui arrivaient, tous les moteurs étaient arrêtés, etc.. C’était la grève.

Tout et dans le détail, avait été discuté à l’avance entre Bois et Barta et le premier cercle ; y compris le fait de démarrer en fin de semaine, ce qui permettait, si le coup ratait, de tenir jusqu’au vendredi soir et de reprendre le lundi avec le moins de casse possible.
Donc, ce schéma du CG indépendant du syndicat, organisant les ouvriers pour la grève de manière autonome, a servi de tétine à laquelle ont biberonné les quelques dizaines de militants VO de l’époque.

Pas question de syndicats, représentation directe des grévistes par eux-mêmes, assemblées avec pouvoir de décision, CG proposant et organisant l’application des décisions de l’assemblée. Le tout conçu selon le schéma bolcheviste, avec le ou les militants professionnels qui raisonnent le moyen et le long terme et qui s’appuient sur la démocratie directe et agissante des prolétaires.

Voilà ce qui a constitué la “ référence historique ” de VO/LO en matière de comité de grève.
Dans les décennies qui ont suivi, et encore maintenant, beaucoup de monde a discuté des CG : la Ligue, LO, l’AMR, la CFDT, etc... Les seuls a y avoir toujours été hostiles, sans nuances, sont les staliniens ; mais tout le monde y a mis des contenus plus ou moins fantaisistes, y compris LO, selon les périodes et les besoins opportunistes de la direction.

Pendant des années, après 47, il n’y a pas eu de grève avec CG indépendant (autonome). En France, ce sont les syndicats, et surtout la CGT, qui organisent les grèves, y compris les grèves très dures (1948-51), quelquefois et même souvent, avec des intersyndicales (alliances aux sommets entre syndicats avec ou sans participation des ouvriers). Qui n’ont absolument rien à voir avec les CG, expression de l’organisation autonome des ouvriers grévistes.

On ne trouvera nulle part quelque chose d’écrit sur cette conception car il n’y a jamais rien eu d’écrit. C’est de la mémoire transmise (et il n’y a plus grand monde pour la transmettre !)

Avant 68, nulle grève n’a été organisée en opposition aux syndicats avec CG autonome. Mai 68, n’en parlons pas. Nulle part de forme organisée indépendante des syndicats qui soit représentative réellement et formellement de la volonté des grévistes.
Après 68, c’est là que les “ gauchistes ”‘ ont beaucoup discuté des CG ; notamment les
“ conférences nationales ouvrières ” entre LO, le PSU, l’AMR, etc… en 1972. Mais on parlait de concepts, pas de réalité existante. Nous n’avions nulle par de CG.

LO défendant l’orthodoxie de la représentation directe des ouvriers indépendamment des syndicats et le schéma de type 1947 : et les autres défendant la nécessité d’y intégrer les “ forces organisées ” essentiellement les syndicats, pour être vraiment représentatifs de toutes des composantes de la grève. Discussions à n’en plus finir dont on trouvera peut-être les traces dans le journal LO de l’époque, mais qui n’étaient que des discussions de principe car jusque là, il n’y avait pas de CG, où que ce soit, avec ou sans les syndicats.

La première grève avec un comité représentatif indépendant des syndicats a été la grève Chausson de 1973. Là, des camarades de LO (à la CFDT) avaient organisé les grévistes en CG sans référence syndicale, complètement indépendant. C’était la bagarre ouverte avec les staliniens (puissants) le gourdin à la main.. Il y avait deux groupes. Un de chaque côté de la porte et qui, de toute évidence, étaient en guerre, l’un avec le CG, l’autre avec la CGT.

La même année, il y a eu la grève à l’EDF de Brest, et là, c’étaient des militants de la LCR qui étaient en pointe, et qui avaient organisé un Comité de grève à leur façon, avec tous les syndicats. Une brochure est parue à l’époque sur cette grève.
Les années 70-78 ont été les années de forte activité gréviste ; mais il y a eu très peu de CG indépendants des syndicats. Pour la maison LO, on était ferme sur les principes. Les choses ont évolué, en 1974, avec la grève des banques. LO avait décidé de présenter Arlette Laguiller aux présidentielles (toute l’extrême gauche voulait Piaget, lui ne voulait pas).

La grève des banques est arrivée en pré-campagne électorale. C’est pendant la grève
qu’Arlette Laguiller a déclaré sa candidature aux présidentielles. Ça s’est trouvé comme cela. Il y avait un os : Arlette Laguiller était connue comme dirigeante du syndicat FO sur la boîte et de “ pour que le CG ne soit pas confondu avec FO ” est sortie la formule : “ CG soutenu par les syndicats FO-CGT etc. ”.

Le “ CG soutenu par etc... ” a eu une influence importante pour pousser la grève au bout de ses possibilités mais les syndicats CGT-CFDT, etc... ont été eux aussi une composante importante de la direction de cette grève qui, dans la période, fut importante.
C’est donc là qu’est née la formule “ soutenu par les syndicats ” Formule qui d’ailleurs
convient très bien à la Ligue, la CFDT et tout le microcosme gauchiste.
Depuis, le peu de CG qui ont existé, ont le plus souvent repris cette formule. Évidemment, puisque tous les militants de LO, à de très rares exceptions, sont devenus des responsables syndicaux au moins localement. L’opportunisme organisationnel des dirigeants de LO n’a eu aucun problème à généraliser la formule. Mais, encore une fois, même sous cette forme avilie, il y a eu très peu de grèves avec CG, soutenu ou pas par les syndicats.

Sur le plan interne à l’organisation, les formulations, notamment les fiches servant de trame à la formation des militants, ont été très variables en fonction de l’opportunité des situations et de l’opportunisme de la direction. Ça a été des formulations de type Ligue : “ englober toutes les composantes de la grève ”, à des formulations plus indépendantes organisationnellement, mais jamais on n’a retrouvé des formulations comparables à l’avant 68 : “ autonomie représentative des grévistes par eux-mêmes, indépendante des syndicats ”.

Toutes ces formulations ont été présentées comme le moyen d’organiser les grévistes pour l’efficacité de la grève et par “ devoir moral ” vis à vis de “ nos conceptions ”. Lesquelles sur le fond ? Organisation ouvrière autonome des grévistes ou organisation des grévistes soutenue par les syndicats ? Ceci n’a jamais été rediscuté depuis 71-72. Et pour cause, dans les faits, LO s’est rallié aux concepts sociaux-démocrates de la Ligue et autres “ gauchistes ”
En revanche, ce qui n’a jamais changé est la conception suivante : la grève est un instant privilégié de la lutte des classes. Elle a un début et une fin. Que le CG se constitue avant ou pendant la grève, avec ou sans le soutien des syndicats, de toutes les façons, il se dissout à la fin de la grève.

Alors, à plusieurs reprises s’est posée la question : que faire ensuite ?
En 1947, Bois et les camarades, influencés en cela par Monatte, ont formé le SDR (Syndicat Démocratique Renault qui a cessé d’apparaître en 1950) pour répondre à cette situation. Des ouvriers qui ne voulaient pas en rester là posaient la question. Barta, lui, n’était pas d’accord et préconisait que les meilleurs ouvriers gagnés pendant la grève deviennent des cadres de l’UC (Union Communiste), y compris en sortant de l’usine si possible, pour se former.

On sait ce qu’il est advenu du SDR. Il y a eu jusqu’à 1 000 adhérents (Monatte visait les 5 000) MAIS, et c’est la toute la problématique, c’étaient des adhérents. Concrètement, tout le travail organisationnel reposait sur moins d’une dizaine de militants, qui ont rapidement succombé à la tâche. Ça a été la démonstration que l’esprit syndicaliste révolutionnaire de Monatte, Rosmer, etc..., était bien mort. Tué par le stalinisme ; et la conception de l’organisation d’adhérents, et non plus celle de l’organisation des prolétaires volontaires pour chercher la voix de l’émancipation avait envahi la conscience ouvrière.
Ensuite, au fil des décennies, tout a été fait. A la fin de la grève des cheminots de 86, LO a essayé de faire une organisation d’adhérents LO (cartes, timbres, etc...). Cela n’a pas duré six mois.
Dans bien des cas, et jusqu’à maintenant, les seules suites sont : soit le groupe LO (le futur parti), soit le syndicat que les militants dirigent. Les deux versions sans trop de succès. Très rares sont les grèves ou le groupe LO se renforce. Et même syndicalement, il est rare que le syndicat se renforce après la grève, victorieuse ou pas.

La dernière grève Citroën en est l’illustration, c’est la Ligue qui semble avoir recruté deux ou trois militants, et la CGT n’a pas plus de monde, plutôt moins, bien qu’une partie de la CFDT soit en train ou est passée à la CGT. À la dernière fête du syndicat, après la grève, il y avait 20 ouvriers en moins que celle de l’an dernier (où la participation était déjà plus faible que l’année précédente).

Le moralisme de LO transpire de tous ses pores. A ses yeux, lorsque les exploités ont droit à la parole, ils ne peuvent jamais être emportés par les idées dominantes et, surtout, par la puissante base matérielle de l’idéologie ennemie, la concurrence entre travailleurs sur le marché du travail et dans le procès de production. D’après cette vision, aucune bataille politique fondamentale ne traverse le corps prolétarien hormis celle pour la démocratie ouvrière, véritable levier de la conscience ouvrière
autonome.

“ L’organisation des prolétaires en classe, et par suite en parti politique, est sans cesse brisée par la concurrence des ouvriers entre eux ”, lit-on dans le Manifeste communiste. L’effort des travailleurs les plus conscients est défini par ce simple constat. Ils sont appelés, en dépit des facteurs dissolvants permanents de l’unité prolétarienne indépendante du capital, à mener bataille pour l’unification politique des classes opprimées dans une condition minoritaire de grand isolement la plupart du temps.

Cette minorité, issue elle-même des pics de la lutte de classes, ne respecte pas, a priori et pardessus tout, la démocratie ouvrière. Dans certaines circonstances, ce mécanisme peut être employé pour étouffer toute tentative de renversement de la situation de soumission au capital. La mobilisation directe de la majorité des travailleurs par ceux d’entre eux qui ont délibérément lié leur sort à la survie de l’ordre présent n’est pas une exception. Surtout dans les périodes historiques baignant dans une
relative paix sociale. Dans ces périodes, les luttes défensives ont plus de mal à générer des ferments d’indépendance de classe et, par conséquent, des éléments collectifs de conscience autonome.
Toutefois, c’est déjà dans ces phases difficiles que d’étroites minorités de travailleurs
insoumis se forment. La tâche des communistes est alors de préserver le maintien de ces minorités en aidant celles-ci par tous les moyens disponibles à accroître leur conscience révolutionnaire et à se doter d’une organisation politique embryonnaire.

“ Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour objectif la conquête, pour elle, du pouvoir politique. Il va sans dire que, pour y parvenir, il faut une organisation
préalable, suffisamment développée, de la classe ouvrière, organisation qui surgit des luttes économiques mêmes des ouvriers ”. (Karl Marx ; Lettre à Bolte ; novembre 1871)

La conscience et l’organisation des minorités ouvrières radicales, incarnées dans ce que nous nommons les comités politiques, ne tolèrent pas d’être conditionnées par un quelconque respect de l’opinion et des formes collectives majoritaires. Elles connaissent une seule limite : celle dictée par la nécessité absolue de préparer le terrain à la mutation révolutionnaire de pans larges du mouvement prolétarien. Mue qui ne dépend pas, pour l’essentiel, de l’action déterminée des minorités ouvrières
révolutionnaires mais qui peut être franchement accélérée par cette dernière.

“ Tous les mouvements sociaux du passé ont été le fait de minorités ou ont profité à des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité ” (Manifeste).

Aujourd’hui, les luttes se situent sur un terrain très défensif. Isolées, elles peinent à sécréter des éléments de conscience révolutionnaire partagée y compris par des secteurs très minoritaires de travailleurs. De plus, bon nombre d’entre elles sont menées par des secteurs réduits de salariés, à l’instar de celle d’Aulnay. Le strict respect de la démocratie ouvrière aurait imposé aux salariés en grève d’arrêter très vite toute agitation.

Pire, le principe démocratique, s’il avait été appliqué à la lettre aurait conseillé à ses
promoteurs de ne rien tenter du tout. Une minorité d’ouvriers en colère en a décidé autrement. A juste raison, jusqu’au moment où elle a quitté le strict terrain de l’usine pour s’insérer dans le débat électoral présidentiel en guise de succédané du combat à mener directement sur les lignes pour arracher la nette majorité des salariés encore au travail au contrôle pressant et bien ordonné de la maîtrise.
Dans ce cadre et incidemment, la tentative d’impliquer d’autres sites et d’autres usines dans le combat d’Aulnay n’a pu que révéler l’extrême faiblesse des grévistes vis-à-vis de leur ennemi le plus direct, la direction de ‘leur’ usine. L’ambiguïté de comportement de la direction LO du comité de grève réside entièrement ici. D’une part, elle en a été réduite à appliquer la sacro-sainte démocratie ouvrière à une minorité de plus en plus petite. D’autre part, le véritable culte qu’elle voue au respect de la loi de la majorité des travailleurs l’a conduite, face aux difficultés grandissantes et bien réelles
rencontrées sur les lignes, à éviter toute confrontation.

Dans ce dernier cas, cela aurait eu pour conséquence de remettre en cause sa vision pacifiée de la lutte au sein de la classe exploitée. Il n’était donc pas question de rechercher une explication claire et directe entre grévistes et non-grévistes. Une telle explication aurait pu prendre plusieurs formes, et pas nécessairement violentes : à l’image d’un piquet de grève simplement ‘filtrant’ aux portes. Rien de tout cela n’a été proposé par les syndicalistes de LO d’Aulnay. Conséquence : l’objectif permanent et
universel de toute lutte, “ l’union de plus en plus étendue des travailleurs ” (Manifeste), n’a pas été
atteint malgré l’adoption de la position de l’autruche vis-à-vis des non-grévistes.

Le syndicalisme forcené de LO.

Dans le développement de la conception de LO des comités de grève, pourtant considérés comme le lieu privilégié d’apprentissage du “ pouvoir ouvrier ”, la question de la formation et des instituts de la conscience politique collective autonome des travailleurs n’est jamais évoquée. Il n’est pas non plus question de la relation dynamique entre luttes défensives, ‘économiques’, et lutte politique. Enfin, on n’apprend pas grand-chose non plus sur les relations entre syndicats d’Etat -
“ pompiers de l’ordre social ”.

Il n’est guère dans notre intention de dresser une barrière, à la manière des léninistes
orthodoxes, entre luttes économiques et politiques. Toutefois, ces deux expressions de l’autonomie ouvrière ne sont pas réunies par un signe d’équivalence. Karl Marx fournit plusieurs pistes pour élucider ce rapport dynamique.

Dans la lettre à Bolte déjà citée, il qualifie tout d’abord de mouvement politique “ tout
mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose, en tant que classe, aux classes dominantes et s’efforce d’exercer sur celles-ci une pression du dehors ”. Trois éléments caractérisent donc tout mouvement politique prolétarien :

· La classe ouvrière se reconnaît en elle-même par delà les différences et les intérêts matériels divergents.

· La classe ouvrière se reconnaît pratiquement en tant que classe en s’opposant aux classes dominantes dans leur ensemble et pas seulement à certains secteurs de celles-ci.

· La classe ouvrière ne se cantonne pas à une opposition de Sa Majesté, faite de l’intérieur du système, en en respectant les limites structurelles. Elle exerce une pression indépendante, en dehors du système, et refuse de se soumettre aux raisons des classes dominantes.

Vitales pour améliorer le quotidien de l’exploitation voire seulement retarder son augmentation, les luttes économiques isolées des salariés sont à la fois le lieu naturel de naissance des mouvements politiques indépendants du prolétariat et leur négation dialectique. La résistance quotidienne, endémique, physiologique à l’exploitation n’est pas l’objectif principal des communistes, des ouvriers autonomes.
Dans Plus-value (1865), Karl Marx conseille les ouvriers de ne pas “ exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne ”. “ Qu’ils ne l’oublient pas ”, poursuit-il, “ Ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets ; ils ne peuvent que retarder le mouvement descendant mais non en changer la direction ; ils n’appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal ”.

Le premier facteur de différence entre luttes défensives et luttes politiques ouvrières se trouve dans leurs contenus respectifs : correctifs du système pour les premières ; indifférents aux compatibilités données du système ceux exprimés par les secondes.
Au XIXe siècle, la fameuse bataille internationale pour imposer la loi des 10 heures de travail par jour rentrait à plein titre dans le cadre du mouvement politique prolétarien. La revendication n’était pas, en soi et absolument, incompatible avec la survie du capitalisme. La preuve est amplement faite.

En revanche, au moment où ce combat a été mené, la satisfaction de cette revendication a remis en cause l’organisation du travail, le procès général de production, jusqu’à la forme de représentation politique des classes.

Cette bataille, par son impulsion formidable, a permis le passage de la manufacture à l’industrie moderne et d’une démocratie bourgeoise incomplète, pour la plupart réservée aux couches les plus fortunées de la population, à la république démocratique moderne, fondée sur le principe un homme, une voix. Le débouché de la bataille pour les 10 heures a été incontestablement réformiste mais le mouvement qui l’a portée avait des claires caractéristiques révolutionnaires. Tout mouvement doit être prioritairement jugé à sa dynamique et aux forces sociales qu’il incarne et pas à son épilogue ou
même, dans certaines limites, à ses objectifs formalisés.

Outre ce premier facteur discriminant, les ouvriers, enchaîne Karl Marx, doivent comprendre que “ le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la reconstruction économique de la société ”. La société du capital a fait preuve, depuis plusieurs siècles, d’une énorme capacité spontanée ou planifiée de transformation et, surtout, d’adaptation aux pressions de la société civile et des classes opprimées. Jouer toute la partie autour de revendications plus ou moins ingérable pour le capital, voue la lutte à un échec assuré. La recherche de l’objectif ‘fatal’ pour le capital n’est qu’un mirage.

Sans donner davantage de détails, Marx identifie ici l’un des points de force du système actuel de domination de classe : sa propension à inventer des “ formes sociales nécessaires pour la reconstruction ” de sa société. L’élaboration et le perfectionnement permanents de nouvelles formes, stratégies et instituts de commandement dans l’usine et dans la société s’est révélée être l’arme
absolue pour la conservation du système existant. Ce travail incessant invalide l’espoir typiquement réformiste d’obtenir, y compris au prix de la guerre de classe la plus âpre, “ un salaire équitable pour une journée de travail équitable ”.

Ce mot d’ordre à l’apparence si raisonnable et légitime, Marx le définit ouvertement comme “ conservateur ”. Il lui oppose celui, directement “ révolutionnaire ”, de l’“ abolition du salariat ”.
Voilà fixées les limites, très étroites en vérité, placées par Marx à l’horizon revendicatif des salariés.

Traduction : les objectifs avancés dans les luttes défensives ne doivent jamais contredire le but politique général de la disparition du régime fondé sur le travail salarié.

Et LO dans tout cela ? Voici sa réponse : “ Nous participons activement aux luttes des
travailleurs, même si ceux-ci présentent des revendications avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord : primes ; indemnités diverses ; augmentations hiérarchisées ; etc. ”. Seules sont exclues de son champ d’action les luttes pour des revendications “ carrément réactionnaires ”, type celles pour le licenciement des travailleurs immigrés.

Prisonniers de leur démocratisme à tout crin, après avoir défendu leur “ point de vue ”, les militants de LO “ se soumettent à la décision des travailleurs et respectent les revendications telles qu’elles sont formulées par eux ”. C’est le meilleur apprentissage du syndicalisme : jamais (ou presque) minoritaires ; toujours à la traîne de la majorité. Quant au “ point de vue ” spécifique à l’organisation trotskiste défendu avant que les choses sérieuses commencent, nous n’en saurons pas davantage. Nous n’en saurons rien non plus sur la position de LO sur l’orientation politique de la lutte
et de l’organisation défensive.

Les syndicats, jadis taxés de pompiers sociaux mais sans grandes conséquences pratiques dans le rapport entre l’organisation trotskiste et ces derniers, deviennent progressivement dans les écrits et les discours de LO des organes neutres dirigés par des bureaucrates qu’il faut conquérir. Aucune critique sur leur fonction intrinsèque n’est formulée à leur encontre. Ni avant, à l’époque des syndicats taxés de “ pompiers sociaux ”, ni après, quand ils prétendront que les comités de grève ne doivent pas
“ apparaître comme des machines antisyndicales ”.

Pourtant Karl Marx avait été suffisamment explicite à cet égard :
“ Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du capital ; ils se montrent en partie inefficaces par suite de l’emploi peu judicieux qu’ils font de leur puissance. Ils manquent généralement leur but parce qu’ils se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leurs forces organisées comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse,
c’est-à-dire pour abolir enfin le salariat ”. (Plus-value ; 1865)
A l’époque où Marx écrit ces lignes, les syndicats n’avaient pas encore été absorbés par l’Etat capitaliste. Ils étaient encore des instituts ouvriers indépendants du soi-disant intérêt général,
traduction idéologique des intérêts exclusifs des classes dominantes. Même dans ces circonstances, Marx n’épargne pas la critique du syndicalisme de classe qui déconnectait les luttes quotidiennes défensives des mouvements politiques du prolétariat. Il affirmait que les organisations défensives des ouvriers étaient “ plus importantes en tant que force organisée pour hâter l’abolition du système
même du salariat ” qu’en tant qu’instruments “ indispensables dans la guerre d’escarmouches quotidienne entre le capital et le travail ”. (Résolutions de l’AIT ; 1868)

Dit autrement et en tenant compte du contexte présent d’intégration achevée depuis près d’un siècle des anciens syndicats de classe aux Etats des pays capitalistes les plus développés, les organes ouvriers défensifs qui surgissent des luttes économiques les plus déterminées doivent comprendre, en utilisant encore les mots de Karl Marx, “ leur pouvoir offensif contre le système d’esclavage du salariat et contre le mode de production actuel ”. (idem) Il faut, en somme, qu’“ en dehors de leurs
buts primitifs ”, les syndicats (hier) et les organes défensifs autonomes (aujourd’hui) “ apprennent à agir de manière plus consciente en tant que foyers d’organisation de la classe ouvrière dans l’intérêt puissant de leur émancipation complète ”.

D’instituts qui se chargent de l’organisation de la résistance au capital, ces organes sont appelés à devenir, dans et par les combats défensifs, les représentants formels du processus de formation politique du prolétariat. Et ce en reconnaissant en priorité les limites intrinsèques d’une guerre qui s’attaquerait aux seuls effets de l’exploitation. De ces lieux privilégiés de l’émancipation ouvrière en devenir peuvent naître les embryons de l’organisation révolutionnaire préalable et stable du prolétariat, ce que nous appelons les comités politiques.

Les organes défensifs autonomes, tels les comités de grève, sont éphémères car expression directe de luttes qui ont un début mais aussi une fin. De plus, la grande capacité actuelle d’intégration à l’Etat des organisations nouvelles de défense des travailleurs rend pratiquement impossible la reconstitution de syndicats de classe durablement indépendants. Toutefois, l’apparition de ces instituts temporaires d’expression ouvrière offre aux travailleurs les plus déterminés la possibilité de se
constituer, dans leur sillage, en minorité directement organisée sur le terrain politique.

“ La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs ”. Et encore : “ Dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis ”. (Résolutions de l’AIT ; 1871)

L’articulation entre lutte économique et combat politique se fait tout d’abord dans l’usine même, sur les lieux de travail, et ne se conçoit pas comme négation sèche de l’une par l’autre ou inversement. La force et l’extension du tissu de comités politiques dépendent ainsi directement à la fois de la capacité à développer des mouvements défensifs amples et décidés et de la volonté d’unification politique que les minorités ouvrières conscientes issues sauront alors exprimer.
Cette dynamique et cette dialectique vitale de la classe exploitée n’intéressent guère LO, ancrée à la conception typiquement sectaire que le parti politique prolétarien est le fruit du recrutement et de l’action éclairante du groupe et que la défense quotidienne des travailleurs est de compétence exclusive des syndicats “ pompiers sociaux ” ou, parfois, de comités de grève fugaces et dévitalisés à la manière de celui d’Aulnay.

Bruxelles-Paris, le 3 octobre 2007
Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles
1, Belgique.
Consulter le site Internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com

Messages

  • Dans les années qui ont suivi, une politique plus subtile consista à intégrer à l’appareil syndical, le plus souvent avec succès, ceux des militants gagnés à la contestation par la vague de 68.

  • Le 3 avril 2007, alors qu’il était évident que cette façon de mener la grève ne menait nulle part, Mercier, le représentant CGT, déclarait sur RTL : “ le soutien des candidats aux élections représente une aide importante face à la direction ”. Belles illusions ! Les chasseurs de voix aux élections soutiennent les grévistes comme la corde soutient le pendu ; avec la condition sous entendue que les grévistes abandonnent leur conscience de classe d’ouvrier en grève pour devenir des votants potentiels dans l’anonymat des urnes

  • Daniel Bénard, ou Granier, ancien dirigeant de LO écrivait :

    « Ma lettre de rupture avec Lutte Ouvrière »

    « Depuis plus de 25 ans, LO s’est impliqué systématiquement dans toutes les élections (une par an en moyenne dans ce pays) et ce qui sert de direction politique à l’organisation a fini par y croire. Au dernier Comité Central, la version officielle devient que « les élections en changent pas tout, mais ça change quand même... ». Finalement, le thermomètre fait quand même un peu monter la température du malade... pas jusqu’à 42°, mais un petit 38,5 quand même !
    On trouve moyen, dans l’édito du journal du 15 janvier, de conclure à propos du projet de licenciements de Danone : « Mais à défaut de suffire pour faire reculer le patronat, les prochaines élections municipales nous permettront de montrer aux politiciens... etc ». La référence à la lutte nécessaire dans le paragraphe précédent, c’est la feuille de vigne pour la bonne conscience ; parce que les élections ne suffisent pas. J’ai proposé au dernier Comité Central qu’on affirme clairement et publiquement que les élections ne changeront rien au sort de la classe ouvrière. On se retrouve avec une formule dans laquelle ça n’est simplement « pas suffisant » bien que « ça change quand même des choses ». La voie électorale pour le changement à petits pas ? Ce sont les révolutionnaires que nous étions qui ont changé ; pas le piège illusoire que sont les élections. (...) Un camarade, qui est intervenu au CLT [cercle Léon Trotsky] de la salle, a fait remarquer que vouloir remédier aux maux engendrés par le système sans démolir le système, cela s’appelle le réformisme. Je partage son intervention. Lutte Ouvrière par des tas d’aspects est devenue une organisation réformiste ; et les raisonnements gestionnaires ressortent à tout bout de champ (...).

    Depuis plus de trois ans, très officiellement, LO a initié cette politique opportuniste vis-à-vis du PCF, ses militants et ses dirigeants. Je me suis exprimé plusieurs fois là-dessus de vive voix et par écrit. Mais trois ans après, ça donne quoi, cette orientation ? Il y a eu l’épisode des manifestations unitaires PCF-LO-LCR de fin 1999 interdisant toute critique du gouvernement puisque le PCF était impliqué. Bilan ? Par un tout autre cheminement, LO extrême-gauche de la gauche de la gauche (...).
    A force d’abaisser le niveau de la propagande avec l’objectif officiel de se faire comprendre, LO et sa direction actuelle est très en dessous du trait. Les grandes déclarations de fidélité historique à la révolution et au communisme, pour nécessaires qu’elles soient, ne prémunissent absolument en rien contre le charme persistant du réformisme au jour le jour et l’électoralisme insidieux. Ainsi, la discussion sur la formule « interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits » (et pourquoi préciser celles-là), qui pouvait paraître anodine, le devient beaucoup moins quand Arlette est amenée à répondre à un journaliste qui pose la question : « Toujours en colère contre les patrons ? » « Je ne suis pas en colère contre les patrons. Je défends les travailleurs lorsqu’ils sont attaquées par les patrons, ce qui est malheureusement très souvent le cas. » Ce n’est plus le système qu’on dénonce, seulement ceux qui exagèrent en quelque sorte (...).

    Quant à la critique de classe des appareils syndicaux, alors là, il faut remonter loin dans le passé pour trouver dans les bulletins, en quoi les syndicats dans les entreprises participent au système d’exploitation et trahissent les intérêts des travailleurs. Même au plan général des confédérations, LO en arrive à écrire (édito des bulletins du 15 janvier) : « Et c’est par la lutte d’ensemble de toute la classe ouvrière, que les organisations syndicales devraient s’employer dès maintenant à préparer et à organiser... » Si ça n’est pas entretenir des illusions sur les syndicats, qu’est-ce que c’est ? Comme si les travailleurs pouvaient s’en remettre aux syndicats pour organiser la lutte d’ensemble ! ».

    Le 10 février 2001, Granier.

  • BENARD Daniel. Pseudonyme : Granier

    Né le 3 septembre 1942 à Paris (XVIIe arr.), mort le 26 mars 2010 ; ouvrier chimiste de formation ; ouvrier métallurgiste ; militant syndicaliste CGT puis CFDT ; militant communiste ; militant de Voix ouvrière, puis Lutte ouvrière de 1964 à février 2001 ; membre d’une petite organisation, « Mouvement communiste ».

    Benard Daniel, fils de Gaston Benard et Marguerite Ponty naquit dans une famille ouvrière parisienne de six enfants ; Daniel était le cadet. Son père, fils d’ouvrier agricole, était éboueur à la ville de Paris, militant au Parti communiste. Sa mère s’occupait du foyer. Elle travailla occasionnellement comme femme de ménage. La famille de la mère venait de la petite bourgeoisie provinciale avec laquelle Marguerite rompit au moment son mariage.

    L’enfant évolua dans un quartier de Paris qui constituait un bastion du PCF. Son immeuble comptait une cellule du Parti communiste et la vie politique était scandée par les réunions de cellule ainsi que les ventes de l’Humanité au pied des immeubles et au porte-à-porte. Un portrait de Staline trônait dans l’entrée de l’appartement.

    Après son certificat d’études primaires, l’adolescent se dirigea vers une formation technique à l’école de chimie qui se situait à proximité du domicile familial. Bon élève, il obtint en 1959 un CAP de conducteur d’installation chimique. Il se distingua de ses frères et sœurs qui étaient peu diplômés. L’entrée rapide dans la vie professionnelle fut, dans la famille, prioritaire sur les études

    À seize ans et demi, son diplôme en poche, il fut embauché à l’entreprise Rhône-Poulenc à Vitry. Ouvrier chimiste qualifié, trois semaines plus tard, il était adhérent à la CGT et quelques mois plus tard à la JC. En 1959, il fut élu délégué du personnel. Son frère fut également militant PC ainsi que deux de ses sœurs. Demeurant chez ses parents jusqu’en 1964, il obtint rapidement des responsabilités au PCF. Il milita à Ivry-sur-Seine, dans la section de Maurice Thorez.

    Il échappa à la guerre d’Algérie car il ne fut mobilisé qu’en février 1962. C’est durant son service militaire qu’il découvrit l’ouvrage de Daniel Guérin sur Juin 36 grâce à des étudiants avec qui il fut incorporé. La manière dont le PCF et la CGT organisèrent la fin de la grève des mineurs le troubla également.

    De retour à Rhône Poulenc, il découvrit l’existence d’un bulletin publié par le groupe Voix ouvrière. Très rapidement il adhéra à ce petit groupe, où il fut immédiatement propulsé au comité central, puis au comité exécutif. Avec trois autres contacts, dont deux provenaient du PSU (tout en cotisant à Voix ouvrière), il s’attacha à la publication d’une feuille VO sur son entreprise. Parallèlement, dans le cadre de ses responsabilités à la commission jeune CGT, il prit parti pour les objecteurs de conscience dont la cause à cette période était popularisée par l’action de Louis Lecoin.

    Cela lui valut son exclusion du PCF en avril 1964 et en 1965 son exclusion du syndicat des techniciens de l’industrie chimique. Avec quelques autres militants, il forma un comité pour la démocratie ouvrière qui sortit durant quelques mois un bulletin sur l’usine. Ce fut le prétexte de son licenciement de l’entreprise pour « participation à des écrits injurieux envers la direction » en juillet 1966. Suivirent alors quatre mois de formation intellectuelle intense accompagnée par un militant qui encadra ses lectures à un rythme soutenu. Les principaux textes du marxisme classique, ainsi que des ouvrages de culture générale lui fournirent un bagage intellectuel auquel sa scolarité ne lui avait pas permis d’accéder.

    Il retrouva du travail à SKF dans le laboratoire des huiles. Son séjour ne durera que six mois. En effet, VO décida de faire apparaître publiquement ses militants dans plusieurs entreprises, dont SKF. Le jour du départ en vacances en juillet 1966, Benard fut victime d’une compression de personnel.

    En novembre 1967, il fut embauché à Delle-Alsthom. Après un court passage par la CGT, il fit partie des animateurs du comité de grève dans l’usine. Très actif durant la grève générale, il rassembla un noyau de jeunes ouvriers autour de lui et engagea la vingtaine de personnes dans la création d’une section CFDT. Durant quelques années, toute l’extrême gauche fut représentée dans cette usine très combative par divers groupes maoïstes, Lutte ouvrière, la Ligue communiste et l’OCI. Secrétaire du syndicat CFDT, il fut de toutes les mobilisations.

    En 1972, la branche Delle-Alsthom disparut de Saint Ouen. De nouveau sans emploi, après discussion collective au sein de l’organisation, un groupe de trois militants de LO s’embaucha à Renault-Flins. Il commença à y travailler en novembre 1973, comme ouvrier métallurgiste. Le groupe initial reçut le renfort de plusieurs militants de son organisation. Son adhésion à la CGT ne dura que quelques mois car il fut exclu en 1975, avec tout un groupe contestataire. Dans un courrier du 11 avril 1974, A. Halbeher, membre du bureau fédéral de la FTM-CGT indiqua la présence de cet « élément gauchiste » à un responsable du syndicat de Flins.

    C’est en militant sans appartenance syndicale qu’il accompagna le mouvement de grève des presses qui se déroula en 1978. Grève essentiellement conduite par des immigrés. Grève radicale mais minoritaire qui se conclut par un échec et le licenciement des animateurs.

    Après une tentative de créer une « CGT renouveau » avec un groupe de délégués CGT, la décision fut prise, au bout d’une très longue période, d’adhérer à la CFDT, dirigé alors par Daniel Richter. C’est en 1984 qu’il prit finalement sa carte à cette centrale.

    En 1992-1993, un conflit interne déchira le syndicat CFDT sur la question de la création d’une troisième équipe de nuit. Il fut exclu de la CFDT avec un groupe contestataire, qui finit par intégrer la CGT, après des négociations laborieuses.

    Les années qui suivirent connurent un déclin très marqué de la conflictualité et des affrontements avec la direction. Daniel Bénard fut de toutes les luttes syndicales au sein de l’entreprise. Il finit sa carrière professionnelle en 2000, en tant qu’ouvrier hautement qualifié sur mécanismes automatisés.

    Connu sous le pseudonyme de Granier au sein de Lutte ouvrière, Bénard a été en charge des infrastructures matérielles de la fête de Lutte ouvrière. Il fut également secrétaire de la fédération des usagers des transports en commun de la région parisienne, initiée par LO et le PSU en 1971. Il avait été candidat à de multiples occasions de 1969 à 1996, en particulier dans la région de Mantes-la-Jolie.

    Selon son témoignage, il commença à avoir des divergences avec son organisation à propos de sa stratégie électorale, en 1978. Quand apparut une fraction interne au début des années 1990 à propos de la nature de l’URSS, il s’en rapprocha, avant d’en devenir membre en 1993 Les divergences s’accumulèrent alors sur le fonctionnement interne de l’organisation, sur la politique de « main tendue au PCF », sur la question de la formation des jeunes recrues. Finalement, une polémique importante l’opposa à la direction de son organisation à propos des grèves de 1995, notamment dans son entreprise, à propos de la place et du rôle du comité de grève dont il fut un des animateurs.

    Il finit par rompre avec son organisation en rédigeant une lettre de démission, qui fit le tour de LO.

    En 2000, il rejoignit une petite organisation, « Mouvement communiste », et participa aux activités de ce regroupement.

    Ayant fait le choix de ne pas avoir d’enfant « car LO a correspondu à l’engagement de ma vie », il vécut avec une militante de LO. Dans un courrier à l’auteur, il indique « ma vie sentimentale personnelle ne regarde que moi ; et celles et ceux avec qui j’ai partagé quelques intimités ».

    Retraité depuis juin 2000, il acheta une vieille bâtisse en Normandie qu’il avait entièrement rénovée et alterna sa vie entre son logement parisien et sa maison provinciale. Au moment de notre rencontre, des problèmes de santé l’affectaient.

    Daniel Benard poursuivit son engagement jusqu’aux derniers moments de sa vie. Il décéda d’un cancer le 26 mars 2010.

    Maitron

  • Je vais te dire mon opinion : Granier était très entier et prêt à pourfendre ceux qui ne le comprenaient pas. Il n’avait pas toujours raison mais ceux qui le critiquaient étaient souvent des petits bonhommes comme moi. Mais lui, c’était un grand et tous le savaient. Tout le monde le savait, la direction de Renault comme la direction de la CGT, comme la direction du PCF, comme la direction de LO. Et ça les gênait car ils n’étaient pas trop sûrs de savoir, dans son combat, jusqu’où il était capable d’aller…

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.