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Darwin et D’Arcy Thompson

mardi 26 juin 2012, par Robert Paris

Une grosse erreur de Darwin

Stephen Jay Gould écrit dans « Le pouce du panda » ou « Les grandes énigmes de l’évolution » :

De nombreux évolutionnistes considèrent qu’une stricte continuité entre micro et macro-évolution constitue un ingrédient essentiel du darwinisme et corollaire nécessaire de la sélection naturelle. (...) Thomas Henry Huxley avait séparé la sélection naturelle du gradualisme et averti Darwin que son adhésion franche et sans fondement sûr au gradualisme pouvait saper son système tout entier. Les fossiles présentent trop de transitions brutales pour témoigner d’un changement progressif et le principe de la sélection naturelle ne l’exige pas, car la sélection peut agir rapidement. Mais ce lien superflu que Darwin a inventé devint le dogme central de la théorie synthétique. Goldschmidt n’éleva aucune objection contre les thèses classiques de la microévolution. Il consacra la première moitié de son ouvrage principal « Les fondements matériels de l’évolution » au changement progressif et continu au sein des espèces. Cependant, il se démarqua nettement de la théorie synthétique en affirmant que les espèces nouvelles apparaissent soudainement par variation discontinue, ou macro-mutation. Il admit que l’immense majorité des macro-mutations ne pouvaient être considérées que comme désastreuses et il les appela « monstres ». Mais, poursuivit Goldschmidt, une macro-mutation pouvait, par le simple effet de la chance, adapter un organisme à un nouveau mode d’existence. On avait alors affaire, selon sa terminologie, à un « monstre prometteur ». La macro-évolution résulte du succès, peu fréquent, de ces monstres prometteurs, et non de l’accumulation de menus changements au sein des populations. (...) Tous les paléontologistes savent que, parmi les fossiles, on ne compte que peu de formes intermédiaires ; les transitions entre les grands groupes sont particulièrement brutales. Les gradualistes se sortent habituellement de cette difficulté en invoquant le caractère extrêmement lacunaire des fossiles que nous possédons ; même si une étape sur mille survivait sous forme de fossile, la géologie n’enregistrerait pas le changement continu. (...) Même en l’absence de témoignages directs en faveur de ces transitions sans à-coup peut-on inventer une succession raisonnable de formes intermédiaires, c’est-à-dire des organismes viables, entre les ascendants et les descendants, dans les principales transitions structurelles ? (…) A quoi sert une moitié de mâchoire et une moitié d’aile ? (...) Si l’on doit accepter de nombreux cas de transition discontinue dans la macroévolution, le darwinisme ne s’effondre-t-il pas en ne survivant que comme une théorie concernant les changements adaptatifs mineurs au sein des espèces ? L’essence même du darwinisme tient en une seule phrase : la sélection naturelle est la principale force créatrice du changement évolutif. Personne ne nie que la sélection naturelle joue un rôle négatif en éliminant les inadaptés. Les théories darwiniennes sous-entendent qu’elle crée en même temps les adaptés. La sélection doit accomplir cette tâche en mettant en place des adaptations en une série d’étapes, tout en préservant à chaque phase le rôle avantageux dans une gamme de variations génétiques dues au hasard. La sélection doit gouverner le processus de création et non pas se contenter d’écarter les inadaptés après qu’une quelque autre force a soudainement produit une nouvelle espèce complètement achevée dans une perfection primitive. On peut très bien imaginer une théorie non darwinienne du changement discontinu , c’est-à-dire d’une modification génétique profonde et brutale créant par hasard (de temps à autre) et d’un seul coup une nouvelle espèce. Hugo de Vries, le célèbre botaniste hollandais, fut le défenseur de cette théorie. Mais ces notions semblent se heurter à des difficultés insurmontables. (…) Les perturbations apportées aux systèmes génétiques dans leur totalité ne produisent pas de créatures jouissant d’avantages inconnus de leurs descendants – et elles ne sont même pas viables. Mais toutes les théories du changement discontinu ne sont pas antidarwiniennes, comme l’avait souligné Huxley il y a près de cent vingt ans. Imaginons qu’un changement discontinu dans une forme adulte naisse d’une petite modification génétique. Les problèmes d’incompatibilité avec les autres membres de l’espèce ne se posant pas, cette mutation importante et favorable peut alors se répandre dans la population à la manière darwinienne. Imaginons que ce changement de grande ampleur ne produise pas de suite une forme parfaite, mais serve plutôt d’adaptation clef permettant à son possesseur d’adopter un nouveau modèle d’existence. La poursuite de cette nouvelle vie réussie demande un large ensemble de modifications annexes, tant dans la morphologie que dans le comportement ; ces dernières peuvent survenir en suivant un itinéraire progressif, plus traditionnel, une fois que l’adaptation clef a entraîné une profonde mutation des pressions sélectives. Les partisans de la synthèse actuelle ont donné à Goldschmidt le rôle de Goldstein en associant son expression imagée – le monstre prometteur – aux notions non darwiniennes de perfection immédiate résultant d’un profond changement génétique. Mais ce n’est pas tout à fait ce que Goldschmidt soutenait En fait, l’un de ses mécanismes entraînant la discontinuité des formes adultes reposait sur la notion de petit changement génétique sous-jacent. Goldschmidt était un spécialiste du développement de l’embryon. Il passa la plus grande partie du début de sa carrière à étudier les variations géographiques de la noctuelle « Lymantria dyspar ». Il découvrit que de grandes différences dans la répartition des couleurs des chenilles provenaient de petits changements dans le rythme du développement : les effets d’un léger retard ou d’un renforcement de la pigmentation au début de la croissance augmentaient à travers l’ontogenèse et entraînaient de profondes différences chez les chenilles ayant atteint leur plein développement. Goldschmidt parvint à identifier les gènes responsables de ces petits changements de rythme et démontra que les grandes différences que l’on observe à la fin du développement proviennent de l’action d’un ou de plusieurs gènes commandant les taux de changement agissant au début de la croissance. Il codifia la notion de « gène de taux de changement » (rate genes) en 1918 et écrivit vingt ans plus tard : « Le gène mutant produit son effet (…) en changeant les taux des processus partiels de développement. Il peut s’agir des taux de croissance ou de différenciation, des taux de production des éléments nécessaires à la différenciation, des taux de réactions entraînant des situations physiques ou chimiques précises à des moments précis du développement, des taux de ces processus responsables de la ségrégation des forces embryonnaires à des moments donnés. » (…) Selon ma propre opinion, très partiale, le problème de la réconciliation entre l’évidente discontinuité de la macro-évolution et le darwinisme est en grande partie résolu si l’on observe que les changements de faible ampleur survenant tôt dans le développement de l’embryon s’accumulent pendant la croissance pour produire de profondes différences chez l’adulte. En prolongeant dans la petite enfance le rythme élevé de la croissance prénatale du cerveau du singe, on voit sa taille se rapprocher de celle du cerveau humain. (...) En réalité, si l’on n’invoque pas le changement discontinu par de petites modifications dans les taux de développement, je ne vois pas comment peuvent s’accomplir la plupart des principales transitions de l’évolution. » Peu de systèmes présentent une résistance plus grande au changement que les adultes complexes, fortement différenciés, des animaux « supérieurs ». Comment pourrait-on convertir un rhinocéros adulte ou un moustique en quelque chose de foncièrement différent ? Cependant les transitions entre les groupes principaux se sont bien produites au cours de l’histoire de la vie. D’Arcy Wentworth Thomson (…) écrit dans « Croissance et forme » : « (...) Nous ne pouvons pas transformer un invertébré en vertébré, ni un cœlentéré en vert, par n’importe déformation simple et légitime (…) La nature passe d’un type à un autre. (…) Chercher des marchepieds pour franchir les écarts séparant ces types, c’est chercher en vain à jamais. » La solution de D’Arcy Wentworth Thomson était la même que celle de Goldschmidt : la transition peut se produire dans les embryons qui sont plus simples et plus semblables entre eux que les adultes fortement divergents qu’ils forment. Personne ne songerait à transformer une étoile de mer en souris, mais les embryons de certains échinodermes et de certains protovertébrés sont presque identiques. »"

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