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Les répercussions de la révolution d’Octobre en 1917-1919 en Pologne et en Hongrie

mardi 10 juillet 2012, par Robert Paris

Les répercussions de la révolution d’Octobre en 1917-1919 en Pologne et en Hongrie

Le mouvement ouvrier polonais et la révolution d’octobre

Par Felkys Tych

L’attitude du mouvement ouvrier polonais (le SDKPiL dont Rosa Luxemburg était dirigeante, le PPS-Lewica et le PPS) à l’égard de la Révolution d’Octobre était un des problèmes de la vie politique polonaise pendant les années 1917-1920…. La nouvelle de la Révolution d’Octobre est accueillie avec enthousiasme par le SDKPiL et par le Parti Socialiste Polonais de Gauche. Tandis qu’en Pologne même les deux partis ne pouvaient témoigner de leur soutien à la Révolution d’Octobre que par des déclarations politiques s’attachant à gagner les ouvriers polonais à la cause de la révolution bolchevique et à les entraîner à une action révolutionnaire dans le pays, de nombreux dirigeants et adhérents de ces deux partis, qui se trouvaient alors en Russie, apportaient à la Révolution un soutien direct, une participation active.

Dès les premiers mois de la Révolution de Février, les sociaux-démocrates polonais en Russie militèrent dans les rangs bolcheviques et identifièrent à tel point leur programme et leur activité avec ceux du parti bolchevique qu’ils ne considèrent même pas au début nécessaire de créer une organisation propre de la social-démocratie polonaise ; ils appartenaient aux organisations locales du parti bolchevique. Cependant conscients du fait que divers groupements bourgeois et socialistes de droite déployaient leur activité parmi l’émigration polonaise en Russie, ils ne pouvaient et, bien entendu, ne voulaient pas laisser leurs compatriotes aux seuls « soins politiques » des partis adverses.

Dans les mois qui suivirent les événements de février 1918, des formations militaires polonaises commencèrent à se constituer ; les sociaux-démocrates polonais combattirent énergiquement cette entreprise non seulement parce qu’ils étaient opposés à toute tentative visant à séparer les Polonais de la Révolution russe mais surtout parce qu’ils craignaient de voir ces formations militaires devenir, entre les mains d’un commandement réactionnaire, un instrument de lutte contre les forces de la révolution…
Pour les Polonais – ainsi que pour d’autres nationalités dont les territoires avaient fait partie de la Russie tsariste -, il y avait encore une question capitale : la Révolution d’Octobre et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes….

Pour Rosa Luxemburg la situation réelle de la révolution russe se résume au bout de quelques mois dans l’alternative : victoire de la contre-révolution ou dictature du prolétariat, Kalédine ou Lénine. Le parti de Lénine est le seul qui ait compris la loi et le devoir d’un parti vraiment révolutionnaire et qui, par le mot d’ordre « tout le pouvoir aux mains des ouvriers et des paysans » ait assuré la continuation de la révolution…

« Tout l’honneur révolutionnaire et la capacité d’action qui ont manqué à la démocratie socialiste en Occident, se sont retrouvés chez les bolcheviks. Leur insurrection d’Octobre n’a pas seulement sauvé effectivement la Révolution russe, elle a aussi sauvé l’honneur du socialisme international. »

Les thèses défendues par Maria Koszutska diffèrent peu de celles de Rosa Luxemburg : « Il était impossible de reculer devant cette épreuve historique et devant cette responsabilité non moins historique. Affirmer que la dictature du prolétariat n’aurait dû être réalisée qu’au moment où le développement capitaliste aurait atteint le maximum de son développement, c’est vouloir éviter les dangers menaçants durant la période intermédiaire, c’est s’imaginer que le socialisme pourrait, un jour, tel un fruit succulent, mûrir sur l’arbre capitaliste et tomber aux mains du prolétariat comme quelque chose de prêt et d’achevé. »

Comme on le voit les dirigeants et les écrivains politiques de la gauche révolutionnaire polonaise critiquaient les anciennes conceptions relatives aux conditions de la prise du pouvoir par le prolétariat, conceptions qu’ils avaient eux-mêmes rejetées mais que la droite, le centre, et parfois même la gauche de la social-démocratie européenne continuaient de défendre. (…)

De même que Maria Koszuska, Radek essayait de généraliser l’expérience russe qui « démontre que la révolution ne doit pas nécessairement commencer dans les pays au développement capitaliste le plus élevé. La révolution socialiste commence toujours dans les pays où l’organisation capitaliste est faible. Les Etats capitalistes dont les institutions d’oppression des masses sont les plus dégradées deviennent les terrains d’un bouleversement socialiste. » (…)

La signature de la paix de Brest-Litovsk par le gouvernement soviétique au début de l’année 1918 avait sans aucun doute provoqué au sein de la gauche socialiste en Pologne une sorte de crise, due à plusieurs raisons.

Tout d’abord, il apparut que la première des révolutions prolétariennes n’avait pas encore eu sur le plan extérieur des conséquences suffisamment dynamiques pour pouvoir porter le flambeau révolutionnaire en Europe, à l’instar de la Révolution française de 1789. La paix de Brest-Litovsk a fait apparaître les conséquences tragiques du manque d’élan révolutionnaire de la part du prolétariat occidental pour le soutien de la Révolution d’Octobre.

En second lieu, la signature du traité de Brest-Litovsk avait démontré que, même du point de vue intérieur, la Révolution d’Octobre n’avait pas été en mesure de mobiliser des forces suffisantes pour pouvoir repousser l’attaque allemande….
Troisièmement, le fait que le gouvernement prolétarien avait été obligé de traiter avec le gouvernement impérialiste allemand et d’accepter des conditions défavorables et humiliantes pour des révolutionnaires suscita de multiples réserves.

La gauche socialiste polonaise considérait que la Révolution russe allait marquer le début de la révolution européenne. Or, le traité de Brest-Litovsk enfermait, en quelque sorte, la révolution dans les frontières de la seule Russie et instituait une espèce de cordon sanitaire qui séparait ce pays du reste de l’Europe.

Dans l’opinion de la gauche socialiste polonaise la Révolution d’Octobre ne pourrait survivre si elle demeurait un phénomène isolé. C’est pourquoi, entre autres, il leur semblait qu’inciter à la révolution les soldats allemands dans leur marche à travers la Russie en 1918 était un problème bien plus important que celui d’éviter les revers militaires que la Russie révolutionnaire devait essuyer à cette occasion.

En mai 1918, J. Lenski déclara au cours d’un échange de vues à propos de la signature du traité de paix avec l’Allemagne : « Toute la signification de la révolution russe réside dans l’influence qu’elle exerce sur la révolution internationale. » (…)

La presse de la SDKPiL, en Pologne, soulignait que non seulement le fait de la révolution en Russie et son maintien au pouvoir constituaient des événements d’importance mondiale mais que plusieurs de ses conquêtes étaient dès lors d’une grande portée pour l’expérience du prolétariat international : « L’année 1917 constitue la suite de l’année 1905. Et, tout comme alors, le prolétariat de la Russie forge aujourd’hui des formes nouvelles et des armes nouvelles dans le feu du combat, qui n’est pas seulement le sien mais celui de l’ensemble du prolétariat international. En 1905, il a mis au point la grève politique générale et le prolétariat de l’Europe fit sienne cette méthode de lutte. En 1917, il a créé les Conseils d’ouvriers, de soldats et de paysans ; aujourd’hui presque toute l’Europe populaire adopte, à l’exemple de la Russie, cette forme d’organisation et de combat », écrit Radek.

En dépit des divergences, l’opinion qui prévalait au sein de la gauche socialiste polonaise peut être ainsi résumée : « La révolution socialiste ne pourra être victorieuse que sur l’ensemble du continent ; or, comme cette révolution ne saurait attendre qu’à son appel se lève le prolétariat du monde entier, les révolutions socialistes dans différents pays – produits de la désagrégation internationale du capitalisme – forment également un élément qui accélère la révolution. » (Radek dans « Développement du socialisme, de la science à l’action »)

Ainsi la révolution peut commencer dans chaque pays dans des circonstances favorables à sa victoire. Cependant elle ne pourra se maintenir au pouvoir à long terme qu’à condition d’être soutenue par d’autres révolutions, survenues dans d’autres pays.

On retrouve cette même idée chez Rosa Luxemburg : « En Russie le problème ne pouvait qu’être posé, mais il ne pouvait y être résolu. » Cependant le fait d’avoir « posé » en pratique le problème de la lutte du prolétariat pour le socialisme, d’avoir éveillé avec une telle force la capacité d’action du prolétariat, l’énergie des masses, la « volonté d’avoir le pouvoir dans le socialisme » a été souligné par Rosa Luxemburg comme un mérite impérissable des bolcheviks, les premiers « qui, par leur exemple, ont devancé le prolétariat mondial. »

Ailleurs, Rosa Luxemburg écrivait : « C’est ce qui est l’essentiel et c’est ce qui reste de la politique des bolcheviks. En ce sens il leur reste le mérite impérissable dans l’histoire d’avoir pris la tête du prolétariat mondial en conquérant le pouvoir politique et en posant dans la pratique le problème de la réalisation du socialisme, ainsi que d’avoir puissamment avancé dans le monde entier la confrontation entre le capital et le travail »

Les critiques à l’égard du traité de Brest-Litovsk dans les rangs de la gauche socialiste polonaise cessent de se manifester en automne 1918 seulement. Il apparut alors que la révolution loin de marcher à sa perte, réussissait, au contraire, à repousser victorieusement les attaques de la contre-révolution intérieure et extérieure (…)
Notons que, dès octobre 1918, la vague révolutionnaire montante dans toute l’Europe, principalement en Allemagne et en Autriche, ainsi que l’essor du mouvement révolutionnaire en Pologne même permettaient de croire à un changement radical de la situation.

La foi dans une matérialisation rapide de l’idée d’une Europe socialiste dicte également à la gauche socialiste polonaise son attitude à l’égard de l’Etat capitaliste polonais qui vient de naître. (…)

Au nom de la révolution internationale, européenne, il s’agit pour eux de lutter pour une union organique des territoires polonais avec le pays où la révolution vient d’être victorieuse. Ce mot d’ordre d’ « union avec la Russie révolutionnaire » qui fut bientôt repris par le Parti Socialiste Polonais de Gauche, devait constituer la première étape de la réalisation de l’union avec l’Europe révolutionnaire.

En automne 1918, lorsqu’il paraissait évident que la Pologne allait devenir une sorte d’oasis capitaliste dans l’Europe orientale et centrale révolutionnaire et une barrière contre-révolutionnaire chargée de séparer la Russie de l’Allemagne (où l’on jugeait la révolution imminente), la gauche socialiste polonaise se raffermit encore dans ses anciennes conceptions. La liberté nationale du peuple polonais, estimait-on dans ces milieux, sera bien mieux assurée dans la libre famille des nations socialistes d’Europe, où le problème des frontières aura disparu, de même que celui de la discrimination nationale et surtout celui d’une domination ou de l’hégémonie d’une nation sur une autre.

Cette intention de résoudre la question nationale par la voie révolutionnaire fut exprimée dans les résolutions adoptés par la conférence nationale de la SDKPiL, en novembre 1918 : « La dictature du prolétariat russe a mis fin à la politique des partages de la Pologne. La dictature du prolétariat allemand va également écarter tous les litiges nationaux. Là où la dictature du prolétariat détient le pouvoir, chaque nation reste libre. La République socialiste russe et, à sa suite, la République socialiste allemande libèreront non seulement le prolétariat mais aussi la Pologne et toute l’humanité.

Rappelons ici, une fois de plus, qu’au moment où la SDKPiL avait lancé pour la première fois le mot d’ordre de l’union avec la Russie révolutionnaire, les territoires polonais – malgré l’existence d’un pouvoir national embryonnaire sous forme d’un Conseil de Régence ou d’un Conseil d’Etat, créés par des autorités étrangères – se trouvaient toujours sous la domination allemande et autrichienne. L’indépendance de la Pologne était aussi éloignée que la débâcle des empires centraux. Dans cette situation on pouvait comprendre que devant le dilemme : l’union avec l’Allemagne impérialiste ou avec la Russie révolutionnaire, la gauche socialiste polonaise ait proposé cette dernière solution. Pour la SDKPiL, « l’indépendance » concédée par les empires centraux n’était en fait « qu’une annexion camouflée ».

La SDKPiL proclamait que, à l’exemple des bolcheviks, « il fallait rejeter toute distinction entre « ennemis » et « alliés » et montrer au prolétariat la nécessité d’une seule et unique distinction : le camp de la bourgeoisie internationale opposé à celui du prolétariat international. Ces deux camps ennemis, tendant vers des buts différents, excluant toute possibilité d’accord : camps de guerre et non pas de concorde. »

Dans cette division résolument dichotomique du monde conçue par la SDKPiL, il n’y avait plus de place pour des distinctions entre Etats capitalistes de caractère plus ou moins démocratique ou entre une paix plus ou moins juste, ou encore entre des Etats nationaux et des pays subissant une oppression nationale. Il n’y avait plus que le monde de la révolution et celui de la contre-révolution, le monde libéré de l’exploitation et des guerres et le monde de l’exploitation capitaliste dont les guerres, les conflits et les cataclysmes politiques, étaient les corollaires.

En novembre 1918, dans les milieux de la gauche socialiste polonaise, on était persuadé que l’Europe capitaliste « roule vers l’abîme avec une rapidité vertigineuse » alors que « le prolétariat veut prendre en main son héritage historique bien qu’il reste encore plus d’un ennemi à vaincre et plus d’une illusion dans ses propres rangs à enterrer. »

Parmi ces illusions figuraient en premier lieu le « faux brillant du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise », ainsi que le « mot d’ordre visant à créer de nouveaux Etats bourgeois » car ces Etats ne peuvent faire disparaître ni l’impérialisme, ni l’oppression nationale.

Dans ses conceptions sur l’indépendance de la Pologne, la gauche socialiste était absolument isolée et n’avait même pas réussi à gagner la majorité de la classe ouvrière, sans parler des autres couches de la société. En témoignent éloquemment les résultats des élections municipales des années 1916-1917, d’une part, et de ceux des élections à la Diète au début de 1919. Cette politique relevait soit d’une ignorance totale de l’état d’esprit de la population polonaise, laquelle n’admettait pas l’idée d’une union avec un Etat étranger, soit de la croyance qu’une minorité révolutionnaire était capable d’imposer sa volonté à la majorité lorsqu’elle estimait que cette volonté correspondait à l’intérêt des masses populaires du pays, même si celles-ci ne s’en rendaient pas encore compte. (…)

Le vaste mouvement en faveur des Conseils de Délégués Ouvriers en Pologne, qui devait servir de point d’appui à l’organisation de la lutte intérieure, n’aboutit cependant pas à la prise du pouvoir par les Conseils.

La majeure partie de la population voulait une Pologne indépendante et n’était pas mûre pour suivre la gauche révolutionnaire dans sa lutte pour une Europe socialiste. C’est ce facteur qui a pesé sur le déroulement de la situation politique à l’intérieur du pays. (…)

A la fin de l’année 1918 et dans les mois qui suivirent, Adolf Waeski était à peu près le seul à critiquer, et cela non pas seulement au sein de la SDKPiL mais également parmi les militants du PPS de gauche, les mots d’ordre « rien d’autre que la révolution ». Il écrivait en décembre 1918 que la SDKPiL « se flatte de n’admettre aucune étape intermédiaire même aujourd’hui. Rien d’autre que la révolution sociale. » (…)

Devant une telle appréciation de l’état des choses, le Conseil national (du Parti communiste constitué par l’unification de la SDKPiL et du PPS de Gauche) n’hésite pas à accepter l’idée d’une intervention armée des ouvriers russes venant en aide au prolétariat polonais dans sa lutte pour le pouvoir. (…)

Pourtant, au sein du parti communiste, on était loin de l’unanimité à ce sujet. En particulier, plusieurs militants en tête, penchaient pour l’idée dune guerre révolutionnaire. Julian Marchlewski était en minorité lorsqu’il se prononça à la séance du Comité central exécutif des groupements communistes polonais en Russie, tenue le 9 juillet 1919 à Minsk, pour des pourparlers de paix avec le gouvernement polonais. Dans le procès-verbal de ces débats, on peut lire que J. Marchlewski « a attiré l’attention sur la position de Lénine lequel estime actuellement qu’on ne saurait introduire le régime communiste par la force armée, à l’encontre des tendances de la population. (…) Le camarade Marchlewski démontre que l’entrée de l’Armée rouge aujourd’hui en Pologne aura des conséquences néfastes pour le communisme en Pologne. » (…)

La Révolution d’Octobre et la République des conseils en Hongrie

Par Balazs Nagy

(…) Ce fut la Révolution d’Octobre qui allait donner à ce mouvement l’impulsion décisive sur la base d’une radicalisation des masses : en 1917, il y avait 215.000 syndiqués contre 55.000 en 1916. A la fin de 1917 et au début de 1918 et au début de 1918, il y eut même des révoltes dans l’armée. Le 1er janvier 1918, une grève générale éclata, entraînant 300.000 ouvriers, en même temps que les grèves en Allemagne et en Autriche. C’est au cours de ce mouvement que les premiers Conseils ouvriers furent créés dans certaines usines. Ce mouvement sans précédent avait pris les groupements de l’opposition à l’improviste et était en avance sur la formation de sa direction politique.

Au cours de l’été 1918, les éléments les plus clairvoyants du Mouvement ouvrier hongrois commençaient à se regrouper et à se poser le problème de la nécessité d’un parti politique révolutionnaire. Sans aucun doute, c’est la Révolution russe qui leur avait fourni l’exemple. En automne quelques ouvriers et intellectuels révolutionnaires, venant d’horizons divers, mais subissant encore l’influence de Ernö Szabo, qui donnait de plus en plus la priorité à l’action syndicale, posaient les premiers jalons de la formation du parti des communistes de Hongrie.

A partir de 1917, un changement s’est opéré dans le sens que l’influence de la social-démocratie allemande et autrichienne a cédé la place de celle exercée par la Révolution russe. L’impact de cette révolution est tel qu’il déborde largement le cadre fixé et déterminé par la direction des syndicats et de la social-démocratie. C’est à partir de la Révolution d’Octobre que les grandes manifestations de masse, les révoltes de soldats et la formation des Conseils ouvriers commencent non seulement à se développer dans le pays, mais à dominer un mouvement ouvrier traditionnel et sagement subordonné à la bourgeoisie, aussi bien sur le plan politique que syndical. (…)

Pendant tout le mois d’octobre 1918 déjà, les manifestations, les mouvements de la classe ouvrière avaient pris un rythme et une ampleur sans précédent. Parallèlement, surtout sous l’influence de la Révolution russe, l’armée hongroise se décompose. Des centaines et des milliers de soldats ont déserté le front et sont rentrés les armes à la main en Hongrie dans le but de liquider un système qui leur avait infligé tant de souffrances. La désertion est devenue un mouvement de masse. Les soldats, sans retourner dans leurs foyers, sont restés ensemble en formant des Conseils de soldats. Ce sont ces soldats qui déclenchent la révolution le 31 octobre 1918. Ils occupent les points stratégiques de la capitale, acclamés par les ouvriers et toute la population travailleuse. On pouvait dire que la révolution était victorieuse sans un coup de fusil ou presque. (…)

L’arrivée du groupe hongrois formé en Russie et affilié au parti bolchevique fut décisive pour la création du parti communiste. Il a pris contact avec les différents groupes et notamment le tout petit parti formé par quelques ouvriers et intellectuels et, ensemble, ils ont créé le 23 novembre 1918, le parti des communistes de Hongrie. Le nouveau parti a réuni les trois tendances et groupements essentiels de l’opposition : les communistes qui, en Russie, avaient formé le groupe hongrois, l’ancienne opposition social-démocrate et les intellectuels anti-militaristes, plus ou moins affiliés au mouvement syndical. La politique du nouveau parti, dans la situation créée par la victoire de la révolution, mais victoire aboutissant à une prise du pouvoir par la coalition du parti social-démocrate et de la bourgeoisie radicale, fut conforme aux aspirations des masses. (…) Le parti avait déployé une propagande, une agitation pour introduire le contrôle ouvrier en vue de préparer la nationalisation des moyens de production. Il a revendiqué le désarmement de la bourgeoisie et l’armement du prolétariat, la concentration du pouvoir entre les mains des Conseils d’ouvriers et de soldats. Il a mené une lutte pour l’expropriation des grandes propriétés terriennes qui devaient être transformées en exploitations collectives, pour une alliance révolutionnaire avec la Russie soviétique et avec le prolétariat international. Ces revendications avaient exprimé les aspirations des masses travailleuses. Le nouveau parti était conscient du fait que la réalisation des revendications issues des problèmes quotidiens des masses n’était possible que grâce à la lutte pour la dictature du prolétariat et par la victoire de cette dictature. C’est grâce à une telle politique qu’au bout de quelques mois le nouveau parti était déjà enraciné dans la classe ouvrière. Néanmoins, il n’avait pas réussi à arracher la majorité à la social-démocratie. (…) La bourgeoisie s’était orientée vers la contre-révolution en alliance avec les puissances impérialistes et leurs alliés de l’Europe centrale et orientale. (…)

Au mois de janvier 1919 le gouvernement avait connu sa première crise en signant un traité avec les puissances impérialistes qui allaient occuper une grande partie du pays. Une radicalisation apparut dans les Conseils ouvriers qui avaient exigé un gouvernement social-démocrate homogène, c’est-à-dire une rupture avec les partis bourgeois. Le parti social-démocrate avait repoussé cette revendication, et était passé à la contre-attaque. Encouragé par le courant contre-révolutionnaire se manifestant en Allemagne par l’assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht (la social-démocratie au pouvoir suite à la révolution des conseils s’étant alliée au haut état-major et aux fascistes des corps francs), le 15 janvier 1919 il décide d’isoler les communistes. Les sociaux-démocrates avaient exigé l’exclusion des communistes des Conseils ouvriers, puis, grâce à une provocation policière, ils avaient réussi à interdire le parti communiste. Toute la direction fut emprisonnée et la liquidation totale du parti communiste commencée. (…)

L’incapacité du gouvernement bourgeois de satisfaire les revendications essentielles des travailleurs a miné son influence en le poussant d’une crise à une autre. (…) Submergé par une vague révolutionnaire, plongé dans une crise sans issue, il allait déclarer par la voix du comte Karolyi, président du Conseil : « Je transmet le pouvoir au prolétariat de Hongrie » Le 21 mars 1919 fut proclamée la République des Conseils hongrois. (…)

Au moment de la démission du gouvernement, la social-démocratie ne voulait pas transmettre le pouvoir, que la bourgeoisie abandonnait, au seul parti communiste. Elle avait exigé comme condition préalable la fusion du nouveau parti avec le parti social-démocrate (…) Lénine a demandé, de façon pressante à Bela Kun, de quelles garanties disposait le noyau communiste et Bela Kun lui-même pour le développement ultérieur du parti et pour vérifier la sincérité des sociaux-démocrates adhérents à ce parti. (…) Notons au passage une particularité de l’organisation socail-démocrate hongroise. Entre le parti social-démocrate et les syndicats il n’y avait pas de ligne de démarcation nette. Celui qui avait adhéré au syndicat, par là même devenait membre du parti. Au moment de l’unification, le nouveau parti était noyé non seulement dans la masse des ouvriers qui n’étaient que de simples militants syndicalistes, mais en plus, du fait même de la victoire de la révolution, des éléments douteux avaient envahi les syndicats, devenant ainsi membres du parti. (…) La fusion du parti avec les syndicats était d’autant plus dangereuse que ceux-ci étaient sous l’influence d’une bureaucratie très conservatrice dont l’existence n’a été menacée ni au cours de la poussée révolutionnaire ni même après la victoire de la révolution. Cette bureaucratie a suivi le mouvement de la même façon que la direction du parti social-démocrate tout en restant profondément hostile à la révolution. (…) La direction syndicale fut très fortement représentée, par exemple, dans le Conseil ouvrier de Budapest qui avait joué un rôle de premier plan après la prise du pouvoir. (…)

Au lieu de suivre le modèle bolchevique et de distribuer les terres aux paysans, le gouvernement de la République des Conseils s’est orienté, après la nationalisation des latifundia, vers la création des grandes exploitations collectives à la campagne. Ce faisant, il s’est rendu impopulaire auprès des paysans qui aspiraient au partage des grandes propriétés féodales et de ce fait n’ont pas participé en masse à la défense de la Révolution. (…)

Au mois d’avril 1919, à peine un mois après la proclamation de la République des Conseils, l’impérialisme représenté surtout par la France en Europe centrale et orientale, avait déclenché une offensive militaire contre la République des Conseils : les armées bourgeoises roumaines à l’Est, tchécoslovaques au Nord, françaises et serbes au Sud du pays. Une semaine après le déclenchement de cette offensive, seule restait libre une toute petite partie du pays et, tout au début du mois de mai, l’avant-garde ennemie n’était plus qu’à quelques kilomètres de Budapest. La première grande crise éclate au sein même de la direction. Le 2 mai, les sociaux-démocrates de droite soutenus par les centristes ont posé un ultimatum aux communistes : ils revendiquaient notamment la démission du gouvernement, la création d’un pouvoir de transition formé par les syndicats, pendant que le chef de l’armée, Böhm, dirigeant de la fraction de droite, suspendait les opérations militaires. (…)

Les communistes ont convoqué le Conseil ouvrier de Budapest et Bela Kun a posé l’alternative devant le Conseil : ou bien la classe ouvrière accepte la proposition de la droite de la direction et, dans ce cas, il faut renoncer au pouvoir, ou bien, comme il le pense lui-même ainsi que la fraction communiste de la direction du parti, la classe ouvrière se mobilise contre l’ennemi. Dans la discussion du Conseil ouvrier de Budapest eurent lieu les premiers grands affrontements entre la politique communiste et la politique social-démocrate représentée par les dirigeants syndicaux. Finalement, avec enthousiasme, le Conseil ouvrier a voté la résistance à une grande majorité. Il a décidé la mobilisation totale (…) En bloc, les travailleurs de nombreuses usines sont allés directement au front. (…) La contre-offensive a repoussé les armées ennemies et, au cours de son avance vers le Nord, au début du mois de juin 1919, la République slovaque des Conseils a été proclamée. (…)

Le premier congrès du parti s’est réuni le 12 et 13 juin, marqué par une lutte farouche entre les fractions communiste et social-démocrate. La fraction communiste avait dû entreprendre cette lutte sans avoir approfondi ni posé devant les masses les problèmes concernant le rôle réel de la social-démocratie. (…)

Au moment même où la République des Conseils a dû lutter sur tous les plans pour maintenir la dictature du prolétariat, au sein de ce parti unifié le problèmes sont devenus de plus en plus grave à tel point que des clivages de classe sont intervenus, et les communistes ont dû reconnaître qu’ils devaient repartir à zéro ou presque. (…)

C’est ainsi qu’en riposte aux tentatives de l’aile droite et des conciliateurs du parti, les communistes avaient imposé une contre-offensive contre l’armée roumaine qui progressait (…) La contre-offensive ne fut pas préparée. De plus, menée par un corps d’officiers à peine remanié et sans contrôle ouvrier, elle échoua et les Roumains passèrent immédiatement à l’offensive. Les communistes tentèrent une nouvelle mobilisation semblable à celle du début de mai, mais se heurtèrent à la fraction social-démocrate, qui obtint la démission du gouvernement, le 1er août, en faveur d’un gouvernement dit syndical. (…) En une semaine, il désarma le prolétariat, rétablit les rapports sociaux capitalistes dans les usines. (…) Après une semaine de pouvoir, il fut renversé par des groupes contre-révolutionnaires préparant le pouvoir fasciste de Horthy.

Sur la révolution hongroise de 1919

La révolution en Autriche

La vague révolutionnaire en Europe

Messages

  • Rosa Luxemburg écrivait : « C’est ce qui est l’essentiel et c’est ce qui reste de la politique des bolcheviks. En ce sens il leur reste le mérite impérissable dans l’histoire d’avoir pris la tête du prolétariat mondial en conquérant le pouvoir politique et en posant dans la pratique le problème de la réalisation du socialisme, ainsi que d’avoir puissamment avancé dans le monde entier la confrontation entre le capital et le travail »

  • Ces deux situations, Pologne et Hongrie, ont montré comment des révolutionnaires authentiques pouvaient se tromper d’orientation à la fois par gauchisme et opportunisme.

  • Trotsky et les gauches communistes allemands :

    La stratégie de la contre-révolution allemande et les éléments aventuriers de gauche

    Etudiez à ce point de vue toute l’histoire de la révolution allemande. En novembre 1918, la monarchie est renversée et le problème de la révolution prolétarienne est mis à l’ordre du jour. En janvier 1919, se déroulent des combats révolutionnaires sanglants de l’avant-garde prolétarienne contre le régime de la démocratie bourgeoise ; ces combats se renouvellent en mars 1919. La bourgeoisie s’oriente rapidement et élabore son plan stratégique : elle bat le prolétariat en le divisant. Les meilleurs chefs de la classe ouvrière : Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, tombent. Au mois de mars 1920, après la tentative de coup d’Etat contre-révolutionnaire de Kapp, brisé par une grève générale, une nouvelle insurrection partielle éclate : la lutte armée des ouvriers du bassin de la Ruhr. Le mouvement s’achève par un nouvel échec et en laissant de nouvelles et innombrables victimes. Enfin, au mois de mars 1921, nous avons encore une guerre civile, encore partielle, et une nouvelle défaite.

    Lorsque, en janvier et mars 1919, une partie des ouvriers allemands s’était révoltée et avait perdu ses meilleurs chefs, nous souvenant de notre propre expérience, nous avons dit : « Ce sont les journées de juillet du Parti Communiste allemand ». Vous vous rappelez tous les journées de juillet à Pétrograd en 1917... Pétrograd a devancé le pays, s’est jeté seul dans la bataille, la province ne l’ayant pas suffisamment soutenu, et il s’est trouvé encore dans l’armée de Kérensky des régiments arriérés pour étouffer le mouvement. Mais à Pétrograd même, la majorité écrasante du prolétariat était déjà avec nous. Les journées de juillet à Pétrograd sont devenues une prémisse de celles du mois d’octobre. Certes , nous avons commis aussi, au mois de juillet, certaines erreurs ; mais nous ne les avons pas érigées en système. Nous avons considéré les combats des mois de janvier et de mars de 1919 comme un « juillet » allemand. Toutefois ce « juillet », en Allemagne, n’a pas été suivi d’un « octobre », mais d’un mars 1920, soit d’une nouvelle défaite, sans même parler de petits échecs partiels et du massacre systématique des meilleurs chefs locaux de la classe ouvrière allemande. Lorsque, dis-je, nous avons vu le mouvement de mars 1920 et ensuite celui de mars 1921, nous n’avons pas pu ne pas dire : non, il y a trop de journées de juillet en Allemagne, nous voulons un « octobre ».

    Oui, il faut préparer un « octobre » allemand, une victoire de la classe ouvrière allemande. Et c’est ici que les problèmes de la stratégie révolutionnaire se posent devant nous dans toute leur ampleur. Il est parfaitement clair et évident que la bourgeoisie allemande, c’est-à-dire sa clique dirigeante, a poussé sa stratégie contre-révolutionnaire jusqu’au bout : elle provoque certaines fractions de la classe ouvrière, elle les pousse à l’action, elle les isole dans des régions particulières, elle les guette les armes à la main et en visant la tête : les meilleurs représentants de la classe ouvrière. Dans la rue ou dans une chambre de torture, dans un combat ouvert ou lors d’une soi-disant tentative de fuite, par l’arrêt d’une cour martiale ou bien de la main d’une bande illégale périssent des individus, des dizaines, des centaines, des milliers de communistes qui personnifient la plus haute expérience prolétarienne ; c’est une stratégie sévèrement calculée, froidement réalisée et qui s’appuie sur toute l’expérience de la classe au pouvoir.

    Et c’est dans ces conditions, quand la classe ouvrière allemande dans son ensemble sent instinctivement qu’on ne pourra pas avoir raison d’un tel ennemi avec des mains désarmées, que l’enthousiasme seul n’y suffit plus, mais qu’on a besoin encore d’un calcul froid, d’une claire vision des choses, d’une préparation sérieuse, et quand elle attend tout cela de son parti, on lui dit d’en haut : notre devoir est de n’appliquer qu’une stratégie offensive, c’est-à-dire d’attaquer à toute occasion car, voyez-vous nous sommes entrés dans une période révolutionnaire. C’est absolument comme si un commandant d’armée avait dit : « Puisque nous avons commencé la guerre, notre devoir est d’attaquer partout et toujours. » Un tel chef serait infailliblement battu, même s’il disposait de forces supérieures... Mieux encore ; il existe des « théoriciens », tels que le communiste allemand Maslow, qui arrivent à dire, à propos des événements de mars, des énormités : « Nos adversaires, dit Maslow, nous font grief, à propos de notre action de mars, de ce que nous considérons comme notre mérite, à savoir de ce que le Parti, en entrant dans la lutte, ne se soit pas posé la question de savoir s’il serait suivi de la classe ouvrière ». C’est une citation presque littérale ! Au point de vus des révolutionnaires subjectifs ou bien des socialistes-révolutionnaires de gauche, c’est parfait ; mais au point de vue marxiste, c’est tout simplement monstrueux !

    Les tendances aventureuses et la IVe Internationale

    Notre devoir révolutionnaire nous oblige à entreprendre une offensive contre les Allemands, ont déclaré les socialistes-révolutionnaires de gauche au mois de juillet 1918. Nous serons battus ? Qu’importe ! Notre devoir est de marcher en avant. Les masses ouvrières ne veulent pas ? Eh bien, on peut lancer une bombe contre Mirbach pour forcer les ouvriers russes à continuer la lutte dans laquelle ils doivent infailliblement périr. De tels raisonnements sont très répandus dans le groupement dit Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne (K.A.P.D.). C’est un petit groupe de socialistes-révolutionnaires prolétariens de gauche. Nos S.-R. de gauche recrutent, ou plutôt ont recruté, leurs partisans principalement parmi les intellectuels et les paysans ; telle est leur caractéristique sociale ; mais leurs méthodes politiques sont les mêmes : c’est un révolutionnaire hystérique, prêt à chaque moment à appliquer des mesures et des méthodes extrêmes sans compter avec les masses et avec la situation générale ; c’est l’impatience au lieu du calcul ; c’est une ivresse due à la phraséologie révolutionnaire ; tout cela caractérise aussi pleinement le Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne. Au Congrès , un des orateurs qui parlait au nom de ce parti, s’est exprimé en substance de la façon suivante : « Que voulez-vous, la classe ouvrière d’Allemagne est imbue (il a même dit verseucht, c’est-à-dire « empestée ») d’une idéologie de philistins, de bourgeois, de petits-bourgeois ; que voulez-vous qu’on en fasse ? Vous ne la pousserez pas dans la rue autrement qu’en ayant recours à un sabotage économique... « Et lorsqu’on lui avait demandé ce que cela signifiait, il expliqua : « A peine les ouvriers commencent-ils à vivre un peu mieux, qu’ils se tranquillisent et ne veulent plus de révolution ; mais lorsque nous troublons le mécanisme de la production, quand nous faisons sauter les fabriques, les usines, les voies ferrées, etc., la situation de la classe ouvrière empire, et par conséquent elle devient plus apte à la révolution. » N’oubliez pas que ceci est dit par un représentant d’un parti « ouvrier ». Mais c’est d’un scepticisme absolu !.. Il s’ensuit, si nous appliquons le même raisonnement à la campagne, que les paysans le plus conscients de l’Allemagne doivent incendier leurs villages, lancer le coq rouge à travers le pays entier, pour révolutionner ainsi les habitants des campagnes. On ne peut ne pas rappeler ici que, pendant la première période du mouvement révolutionnaire en Russie, vers 1860, lorsque les révolutionnaires intellectuels étaient encore incapables de toute action, enfermés qu’ils étaient dans leurs petits cénacles, et qu’ils se butaient continuellement à la passivité des masses ouvrières, c’est alors que certains groupements, tels les partisans de Netchaïeff, ont été amenés à penser que le feu et les incendies constituaient un véritable élément révolutionnaire de l’évolution politique russe... Il est tout à fait clair qu’un tel sabotage, dirigé, par son essence même, contre la majorité de la classe ouvrière, constitue un moyen anti-révolutionnaire qui crée un conflit entre la classe ouvrière et un parti « ouvrier » dont le nombre des membres est d’ailleurs difficile à déterminer ; il ne dépasse pas toujours 3 ou 4 dizaines de mille, tandis que le Parti Communiste Unifié compte, comme vous le savez, environ 400.000 adhérents.

    Le Congrès a mis à son ordre du jour la question du K.A.P.D. dans toute son acuité en demandant à cette organisation de convoquer, dans un délai de trois mois, un Congrès et de s’unir avec le Parti Communiste Unifié, ou bien de se placer définitivement en dehors de l’Internationale Communiste. Il y a tout lieu de croire que le K.A.P.D., tel qu’il est représenté par ses chefs actuels, aventuriers et anarchistes, ne se soumettra pas à la décision de l’Internationale et, se trouvant ainsi en dehors d’elle, essayera, probablement, avec d’autres éléments « extrémistes de gauche », de former une IVe Internationale. Notre camarade Kollontaï a soufflé, au cours de notre Congrès, un peu dans la même petite trompette. Ce n’est un secret pour personne que notre Parti constitue pour le moment le levier de l’Internationale Communiste. Cependant la camarade Kollontaï a présenté l’état de choses dans notre Parti de telle façon qu’il pourrait sembler que les masses ouvrières, avec la camarade Kollontaï en tête, seront obligées, un mois plus tôt ou plus tard, de faire une « troisième révolution » afin d’établir un « véritable » régime des soviets. Mais pourquoi une troisième et non pas une quatrième, puisque la troisième révolution faite au nom d’un « véritable » régime des soviets a eu déjà lieu au mois de février à Cronstadt ?.. Il y a encore des extrémistes de gauche en Hollande. Peut-être y en a-t-il encore dans d’autres pays. Je ne sais pas s’ils ont été tous pris en considération. Toujours est-il que leur nombre n’est pas extraordinaire et c’est le péril de devenir très nombreuse qui menacerait le moins la Quatrième Internationale, si par hasard elle était fondée. Certainement ce serait dommage de perdre même un petit groupement de bons militants ouvriers se trouvant, sans aucun doute, dans leur nombre. Mais si cette scission des sectaires doit s’accomplir, nous aurons dans le plus proche avenir non seulement l’Internationale 2 1/2 à notre droite, mais encore l’Internationale n°4, à notre gauche, dans laquelle le subjectivisme, l’hystérie, l’esprit d’aventure et la phraséologie révolutionnaire seront représentés dans leur forme la plus achevée. Nous aurons ainsi un épouvantail « de gauche » dont nous nous servirons pour enseigner la stratégie à la classe ouvrière. Chaque chose, comme vous voyez, a ainsi deux côtés : l’un positif et l’autre négatif.

  • La suite du texte de Trotsky :

    Les erreurs des gauches et l’expérience russe

    Cependant, à l’intérieur même du Parti Communiste Unifié, il y avait des tendances antimarxistes qui se sont fait jour d’une façon assez frappante en mars et après mars. J’ai déjà cité l’article étonnant de Maslow. Mais Maslow n’est pas seul. On publie à Vienne un journal, Communismus, organe de l’Internationale Communiste en langue allemande. Dans la livraison de juin de cette revue, nous trouvons un article qui étudie la situation dans l’Internationale et dans lequel nous lisons en substance ceci : « Le trait principal de la période révolutionnaire actuelle est que nous devons dans des combats partiels, même purement économiques, tels que les grèves, lutter les armes à la main. « Voici, camarades, une stratégie à l’envers !.. Pendant que la bourgeoisie nous provoque pour des combats partiels et sanglants, certains de nos stratèges veulent faire une règle de ce genre de bataille. N’est-ce pas monstrueux ? La situation objective en Europe est profondément révolutionnaire. La classe ouvrière le sent, et pendant toute cette période d’après-guerre, elle s’est jeté en avant pour lutter contre la bourgeoisie. Mais elle n’a nulle part obtenu la victoire, sauf en Russie. C’est alors qu’elle a commencé à comprendre qu’elle avait devant elle une tâche difficile et elle s’est mise à forger une arme pour la victoire : le Parti Communiste. Ce dernier a fait sur ce chemin, en Europe, au cours de cette dernière année, des pas de sept lieues. Nous avons maintenant de vrais partis communistes de masse en Allemagne, en France, en Tchéco-slovaquie, en Yougo-Slavie, en Bulgarie... Une poussée énorme ! En quoi consiste notre tâche la plus proche ? Elle consiste en ce que les partis conquièrent dans le plus bref délai la majorité des ouvriers industriels et une grand partie des ouvriers agricoles, et même les paysans pauvres, comme nous les avons conquis avant le mois d’octobre ; d’ailleurs, sans cette conquête, nous n’aurions pas eu notre victoire d’octobre. Cependant certains stratégistes à la manque disent que, l’époque étant maintenant révolutionnaire, notre devoir est de mener la lutte à chaque occasion, même une lutte partielle, avec des méthodes de révolte armée. Mais la bourgeoisie ne demande que cela ! Au moment où le Parti Communiste se développe avec une rapidité extraordinaire et étend de plus en plus ses ailes au-dessus de la classe ouvrière tout entière, la bourgeoisie provoque la partie la plus impatiente et la plus combative des ouvriers à une lutte prématurée, sans l’appui de la grande masse ouvrière, afin de battre le prolétariat en le fractionnant et de saper ainsi sa foi dans sa capacité de victoire sur la bourgeoisie. Dans ces conditions, la théorie de l’offensive continue et des luttes partielles menées avec les méthodes de révolte armée, est de l’eau pour le moulin de la contre-révolution. Voici pourquoi, au IIIe Congrès, le Parti russe, soutenu par tous les éléments les plus mûrs, a dit d’une voix ferme aux camarades de l’aile gauche : « Vous êtes des révolutionnaires excellents, vous allez vous battre et mourir pour le communisme, mais cela ne suffit point. Ce n’est pas assez que de se battre, il faut vaincre ! » Et pour cela, il faut mieux apprendre l’art de la stratégie révolutionnaire.

    Je pense, camarades, que la marche réelle de la révolution prolétarienne en Russie et, jusqu’à un certain point en Hongrie, est une des causes les plus sérieuses de la sous-estimation des difficultés de la lutte révolutionnaire et de la victoire en Europe. Nous avons eu chez nous, en Russie, une bourgeoisie historiquement arriérée, politiquement débile, assujettie au capital européen et ayant de faibles racines politiques dans le peuple russe. D’autre part, nous avons eu un parti révolutionnaire avec un long passé de travail souterrain, éduqué et trempé dans les combats et qui a profité consciemment de toute l’expérience de la lutte révolutionnaire européenne et universelle. L’état des paysans russes, par rapport à la bourgeoisie et au prolétariat, le caractère et l’état d’esprit de l’armée russe après la débâcle militaire du tsarisme, tout cela a rendu la révolution d’octobre inévitable et a énormément facilité la victoire révolutionnaire (bien que cela ne nous ait pas libérés des difficultés ultérieures, mais, au contraire, les ait préparées dans des proportions gigantesques). Vu la facilité relative de la révolution d’octobre, la victoire du prolétariat russe n’est pas apparue, aux milieux dirigeants des ouvriers européens, dans une mesure suffisante, comme un problème politique et stratégique et n’a pas été suffisamment bien comprise.

    L’essai suivant pour s’emparer du pouvoir a été fait par le prolétariat, sur une moindre échelle mais plus près de l’Europe occidentale, en Hongrie. Là, les conditions étaient telles que le pouvoir est tombé entre les mains des communistes presque sans aucune lutte révolutionnaire. Par cela même les problèmes de la stratégie révolutionnaire, au mouvement de la lutte pour le pouvoir, ont été réduits, naturellement, au minimum.

    D’après l’expérience de la Russie et de la Hongrie, non seulement les masses ouvrières, mais aussi les partis communistes des autres pays, ont compris avant tout que la victoire du prolétariat était inévitable et ils sont passés ensuite à l’étude directe des difficultés qui découlent d’une victoire de la classe ouvrière. Mais en ce qui concerne la stratégie de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir, elle semblait très simple et, pour ainsi dire, compréhensible d’elle-même. Ce n’est pas pur hasard si certains camarades hongrois éminents, ayant bien mérité de l’Internationale, font montre d’une tendance à une simplification excessive des problèmes de la tactique prolétarienne à l’époque révolutionnaire, en remplaçant cette tactique par un appel à l’offensive.

    Le IIIe Congrès a dit aux communistes de tous les pays : la marche de la révolution russe est un exemple historique très important, mais ce n’est nullement une règle politique. Et encore : seul un traître peut nier la nécessité d’une offensive révolutionnaire ; mais seul un simple d’esprit peut réduire à l’offensive toute la stratégie révolutionnaire.

  • Une calomnie répandue affirme que les dirigeants russes auraient abandonné sciemment la révolution hongroise aux forces armées pro-impérialistes, notamment roumaines et tchécoslovaques, ne lui apportant pas le soutien militaire de son armée rouge !

    Absolument pas ! C’est une affirmation absurde et fausse.

    Le comité exécutif de l’Internationale communiste (troisième internationale) déclarait le 18 mars 1919 :

    « En Hongrie, tout le pouvoir a été transféré à la classe ouvrière… Il n’y a pas de calomnies que ces messieurs les bourgeois n’aient inventé contre la République socialiste soviétique de Hongrie, tout comme ils l’ont fait pendant seize mois contre la République soviétique de Russie. Le gouvernement français a l’intention d’envoyer ses soldats en bataille contre les ouvriers hongrois, ainsi que des troupes roumaines et tchécoslovaques. Ce plan infernal réussira-t-il ? Le sort de la Hongrie travailleuse dans l’avenir immédiat et, dans une grande mesure aussi, le sort immédiat de la révolution prolétarienne dans tous les autres pays européens dépend de la réponse à cette question. Au nom de l’Internationale communiste, nous en appelons aux ouvriers de tous les pays pour venir en aide à nos frères, les ouvriers et les paysans de Hongrie. Ouvriers et soldats de France ! Les yeux des ouvriers du monde entier sont tournés vers vous. En ce moment, la bourgeoisie française est la plus réactionnaire de toute l’Europe… Ouvriers et soldats français, on vous force à agir en bourreaux, à étrangler la révolution socialiste hongroise. La bourgeoisie française veut se servir de vos mains pour étrangler la révolution prolétarienne à Budapest et ainsi pour conjurer la révolution prolétarienne qui mûrit à Vienne, Berlin, Paris et Londres… Que la révolution socialiste hongroise devienne un avertissement menaçant pour la bourgeoisie de tous les pays ! Bas les pattes devant la Hongrie rouge ! »

    Un télégramme du 18 avril 1919 en témoigne. Il est signé de Lénine et Trotsky et adressé à Rakovsky, à Kiev et aux dirigeants de l’Armée rouge en Ukraine :

    « Au président du Conseil des commissaires du peuple d’Ukraine, Rakovsky, au Commissaire du peuple aux affaires militaires Podvoisky, au Commandant du front ukrainien Antonov-Oseenko :

    « Nous considérons comme absolument essentiel que les principaux efforts des troupes ukrainiennes soient concentrés sur les lignes de progression du Donetz et en Bubovine en direction de Tchernovitz. Sur la ligne de progression du Donetz, c’est la question de l’élimination d’une menace majeure. Sur la ligne de progression de Tchernovitz, la question est d’alléger la situation de la Hongrie. »

    Un autre point a été déterminant, mis à part l’impossibilité des troupes russes d’intervenir directement…

    C’est l’absence de liaison entre la révolution hongroise et la révolution en Autriche et en Bavière, due à la trahison de la social-démocratie.

    En pleine révolution hongroise, une situation révolutionnaire se développait en Allemagne, et particulièrement en Bavière. Cela faisait suite à l’assassinat par un officier réactionnaire du dirigeant social-démocrate du gouvernement bavarois, Kurt Eisner. Le 7 avril 1919, la république de Bavière était proclamée par les dirigeants social-démocrates sous la pression de la révolution. Les communistes, dirigés par Léviné, n’étaient pas entrés dans ce gouvernement « de gauche ». Ce faux gouvernement des soviets tombait le 9 avril ! Le parti communiste qui, entre temps avait appelé à former des soviets et à armer les travailleurs, appela à constituer un gouvernement des soviets le 13 avril… Il dû abandonner le pouvoir le 29 avril… Le dirigeant communiste Léviné fut arrêté à Munich le 13 mai et condamné à mort.

    Bavière et Hongrie auraient pu joindre leurs révolutions. Ce sont les socialistes autrichiens, dits austromarxistes, qui portent la responsabilité de l’échec de la révolution d’Autriche-Hongrie-Bavière, sans parler de l’énorme responsabilité des sociaux-démocrates allemands, les « chiens sanglants » comme ils se sont appelés eux-mêmes en écrasant dans le sang les conseils ouvriers d’Allemagne !

    La réussite du combat ouvrier contre le putsch de Kapp aurait dû, comme la réussite du combat ouvrier en Russie contre le putsch de Kornilov, permettre la montée au pouvoir des conseils ouvriers et soldats. Mais la social-démocratie s’est mise en travers du mouvement ainsi que son appui immense dans les syndicats !

    Le comité exécutif de l’Internationale communiste lançait fit la déclaration suivant le 5 août 1919, lors de la chute de la Hongrie soviétique :

    « L’Internationale communiste, pleurant la chute de la République soviétique en Hongrie et la perte de son glorieux leader Tibor Samuely, appelle tous les prolétaires du monde à se rallier encore plus étroitement autour de la bannière du communisme pour renforcer encore l’offensive contre la forteresse capitaliste… La sanglante leçon de Hongrie a enseigné aux prolétaires du monde entier qu’il ne peut y avoir de coalition, de compromis avec les sociaux-capitulards ! La couche de misérables dirigeants opportunistes doit être balayée… »

  • « 
    La révolution sape rapidement tout ce qui est instable, elle use ce qui est artificiel ; les contradictions masquées par le bloc se découvrent sous la pression des événements révolutionnaires. Nous l’avons constaté par l’exemple de la Hongrie, où la dictature du prolétariat a pris la forme politique d’une coalition des communistes avec des opportunistes déguisés. La coalition s’est rapidement disloquée. Le parti communiste a chèrement payé l’incapacité révolutionnaire et la trahison politique de ses compagnons de route. Il est absolument évident qu’il aurait été plus avantageux pour les communistes hongrois de venir au pouvoir plus tard, après avoir préalablement laissé aux opportunistes de gauche la possibilité de se compromettre à fond. Une autre question est de savoir jusqu’à quel point cela était possible. En tout cas, le bloc avec les opportunistes, qui n’a masqué que provisoirement la faiblesse relative des communistes hongrois, les a en même temps empêchés de se renforcer au détriment des opportunistes et les a menés à la catastrophe.

    La même idée est assez bien illustrée par l’exemple de la révolution russe. Le bloc des bolcheviks avec les socialistes-révolutionnaires de gauche, après avoir duré quelques mois, a pris fin par une rupture sanglante. Il est vrai que c’est moins nous, communistes, qui avons fait les frais de ce bloc, que nos compagnons infidèles. Il est évident que ce bloc où nous étions les plus forts et où, par conséquent, nous ne risquions pas trop à tenter d’utiliser, pour un certain parcours historique, l’extrême-gauche de la démocratie petite-bourgeoise, devait être totalement justifié sur le plan tactique. Néanmoins, l’épisode des socialistes-révolutionnaires de gauche montre très clairement qu’un régime d’accommodements, d’accords, de concessions mutuelles - et c’est en cela que consiste le régime du bloc - ne peut tenir longtemps à une époque où les situations changent avec une extrême rapidité et où il faut la plus grande unité de vue pour rendre possible l’unité d’action. »

    Léon Trotsky

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