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Luttes de classe en Russie

vendredi 17 août 2012, par Robert Paris

Selon les informations publiées par le site Avtonom le 21 avril, le nombre de protestations ouvrières en Russie est le plus haut pour ce premier trimestre 2012 de ces cinq dernières années. En effet, selon les chiffres du Centre des droits sociaux du travail, il y a eu entre janvier et mars 2012, 61 actions de protestations ouvrières dont 23 grèves en Russie. Pour comparer, on comptait ces dernières années pour la même période 11 protestations ouvrières en 2008, 27 en 2009, 22 en 2010 et 53 en 2011.

Dans la vague de grèves qui a agité la Russie depuis le début de l’année, une usine s’est particulièrement distinguée : la Ford Motors Company de Vsevolojsk, près de Saint-Petersbourg, qui compte 2300 salariés. Ceux-ci avaient dès l’été 2005 lancé un mouvement de grève du zèle consistant à ralentir la production, ce qui leur avait fait obtenir une augmentation des salaires de 14,2%. Nouvelles grèves en mars et décembre 2006 qui ont fait passer leurs salaires moyens de 15 000 à 17 000 roubles (environ 500 €).

Pour répondre à l’accusation qu’ils étaient des privilégiés – les salaires ouvriers moyens en Russie étant de l’ordre de 300 € -, les travailleurs avaient publié les salaires de leurs directeurs d’atelier, payés jusqu’à vingt fois plus qu’un ouvrier et leurs dépenses : il n’est pas rare que les loyers prennent 40% des salaires dans la région de Saint-Petersbourg.

En février 2007, une nouvelle grève a été votée par 70% des ouvriers, obligés de se réunir en plein air, par un froid de -15°, la direction refusant de mettre un local à leur disposition. Les revendications allaient cette fois-ci au-delà des augmentations de salaires : les grévistes voulaient obtenir la régulation des normes de travail et appuyaient les propositions de leur syndicat lors des négociations sur l’accord collectif d’entreprise, qui avaient été toutes rejetées par la direction.

Ces propositions concernaient en particulier la transparence sur les normes de travail, le respect des mesures de sécurité, la mise en place de garanties sociales, et la limitation des externalisations de travaux (outsourcing).5 jours avant le déclenchement de la grève, la direction annonçait qu’elle concédait une augmentation de 14 à 20% des salaires.

Mais les « Fordovtsy » ne se laissent pas acheter pour une poignée de roubles et ils ont maintenu leur grève le 14 février. Résultat : la signature d’une convention collective d’un an.

Nouvelle grève d’avertissement le 6 Novembre, à la veille du 90ème anniversaire de la Révolution de 1917 : 1700 des 2300 travailleurs ont bloqué les chaînes de montage de la Focus Sedan, modèle fabriqué dans cette usine. Outre une nouvelle augmentation de salaire, ils réclamaient des aménagements des horaires de travail, notamment la réduction d’une heure pour les équipes de nuit (l’usine tourne en 3X8).

Le mouvement actuel de grève, commencé le 20 Novembre, suspendu le 21 et repris le 22 pour une durée illimitée, est le plus long dans l’histoire de l’usine. Revendication : une augmentation des salaires de 30% Au bout d’une semaine de grève, certains travailleurs ont repris le travail, ce qui a permis à la direction d ‘annoncer que la production reprendrait pour un tiers des effectifs, soit une équipe par 24 heures, avec un rythme de 100 véhicules par jour au lieu des 300 habituels.

Mais les grévistes ont plus d’un tour dans leur sac : leur syndicat a publié les numéros de téléphone des chefs des services et ateliers en appelant les ouvriers à saboter la production en occupant constamment les lignes téléphoniques et de fax.

À ce rythme, Ford va finir par déménager à l’autre bout du monde car, avec des salaires approchant les 700 €, l’ouvrier russe commence à devenir cher. Et le géant US se porte mal : en janvier 2007, il a annoncé des pertes record de 10 milliards d’€ en 2006 et est passé au troisième rang des ventes sur le marché US, derrière Toyota. 44 000 suppressions d’emplois et la fermeture de 16 usines sont prévues d’ici 2012. Dans ces conditions, les cadences de travail ont comme une tendance à devenir infernales, ce qui explique la révolte des ouvriers de l’ancienne Léningrad.

Et ceux-ci se sont donnés les moyens de mener leur lutte, en créant un nouveau syndicat indépendant il y a deux ans, dont le dirigeant est Alexei Etmanov, un soudeur de 34 ans, représentatif de la nouvelle génération ouvrière. À son initiative, le syndicat de l’usine Ford a quitté la fédération syndicale traditionnelle, la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), hostile à toute forme de lutte ouvrière, pour créer un syndicat libre et de lutte, auquel les deux tiers des ouvriers ont adhéré. Avec d’autres nouveaux syndicats émergents dans la branche (notamment celui de General Motors/AvtoVAZ à Togliattigrad, où une grève a eu lieu en août dernier), ils ont même formé, en juillet 2006 lors du Forum social de Russie, un nouveau syndicat des travailleurs de l’automobile.

Et les travailleurs de l’automobile ne sont pas les seuls à être entrés dans ce nouveau cycle de luttes. Des grèves ont eu lieu à l’usine de Coca Cola et à la brasserie Heineken de Saint-Petersbourg, chez les dockers du port, les chauffeurs des Postes et les cheminots de la compagnie Oktiabrskaïa.Presque vint ans après la disparition de l’URSS, la classe ouvrière russe est en train de perdre ses dernières illusions et de reprendre le chemin de la lutte de classe. Il était temps !

Luttes de classes en Russie

de : Marie-Anne


Lutte de classe en Russie : la réalité de l’exploitation capitaliste

En Russie, la croissance économique est tirée par les hydrocarbures. Les salaires, en 2010, y ont augmenté de 4,2% en termes réels après inflation. Mais cette moyenne ne doit pas cacher l’envers du décor : disparités, précarisation croissante du salariat russe, conditions de travail, exploitation de la main-d’oeuvre immigrée...

L’économie russe est considérée comme une « économie de transition », qui devrait toujours gérer son « héritage soviétique », c’est à dire principalement le rôle de l’Etat dans l’économie, là où l’orthodoxie libérale ne cesse de le confiner que dans un rôle bien précis, celui de gestionnaire du cadre qui permet aux firmes privées de faire leurs bonnes affaires.

Mais cette immixtion de l’Etat n’entre pas en contradiction avec l’intégration de la Russie dans le système capitaliste. Le pouvoir russe en accepte globalement les règles, même s’il a imposé son contrôle sur les secteurs jugés stratégiques. La privatisation n’est pas en cause, elle a d’abord bénéficié aux « oligarques » qui ont su se placer lors du changement de régime. Les multinationales s’implantent en Russie et leurs capitaux ont d’ores et déjà transformé certains secteurs comme l’automobile ou l’alimentaire.

Loin de constituer une réelle alliance avec les travailleurs, ce rôle accru de l’Etat est essentiellement au service du nationalisme des dirigeants, même si ces derniers évitent de heurter de front la classe ouvrière et tentent de se la concilier.

Une économie privatisée

L’économie a été privatisée ; les entreprises sont désormais gérées selon la recherche du pur profit, au détriment entre autres de l’économie des territoires, dont la spécialisation économique, à l’époque soviétique, dépendaient des décisions du pouvoir central. Ces spécialisations se réduisaient parfois se résumaient à une seule unité économique ; elles ont souvent disparu sans avoir été remplacées par quoi que ce soit. Par ailleurs, à l’époque soviétique, l’appartenance à une entreprise assurait l’intégration des citoyens, leur garantissant la sécurité de l’emploi et un certain accès à des œuvres sociales. Les citoyens sont désormais confrontés à l’incertitude des lendemains et les plus fragiles d’entre eux à la précarité.

Nestlé a acheté en 1998 la confiserie Altaï. Le 18 décembre 2010, les salariés apprennent qu’ils sont vendus -eux, l’entreprise, les marques- à une obscure société « offshore », dirigé par un ancien responsable de Nestlé-Russie. Une seule exception à cette braderie, la marque la plus rentable d’Altaï, le chocolat Ruzanna, reste la propriété de Nestlé. Interrogée par les syndicats sur le sort des salariés, Nestlé se retranche derrière le secret commercial et ignore la question qui lui est posée.

Certes le pouvoir russe intervient parfois pour limiter la casse, comme à Pikalyovo dans la région de Saint-Pétersbourg. La vie de cette petite cité de 22.000 habitants est liée à la présence de trois usines, produisant de l’oxyde d’aluminium, de la soude, de la potasse et du ciment. En 2009, une menace de fermeture avait conduit à de vives protestations ; près de 400 personnes avaient bloqué l’autoroute pour attirer l’attention des pouvoirs publics, et Vladimir Poutine était intervenu en négociant un accord avec les trois propriétaires pour le redémarrage des trois entreprises. Pour les travailleurs, le problème n’a rien à voir avec la crise, mais avec la privatisation qui a entraîné la division de cette unité économique en trois entreprises distinctes. La situation antérieure permettait de s’adapter en souplesse aux conditions du marché, mais depuis la division, les trois propriétaires ont mené chacun leur propre stratégie, ce qui a mis particulièrement en difficulté l’usine de fabrication d’oxyde d’aluminium.

Malgré la satisfaction de voir tourner les trois usines, tout le monde sait à Pikalyovo que le problème n’est pas résolu. En apparence, tout va bien : les usines ont embauché et le salaire moyen a augmenté de 30%. Mais beaucoup de contrats sont précaires, et de nombreux ouvriers ne savent pas s’ils seront renouvelés l’année suivante.

Ce serait près de 400 villes en Russie qui seraient ainsi confrontées au problème de la remise en cause de la mono-industrie. Dans la ville proche de Volkhov, l’entreprise de minérais Metakhim, produisant de la soude, a du réduire de moitié sa production du fait de difficulté d’approvisionnement en matière première. Au printemps 2011, l’entreprise FosAgro a racheté les deux usines de Volkhov et de Pikalyovo. Ce regroupement peut-il être le fer de lance d’une recomposition économique autour de la production minérale dans la région ? Rien n’assure que cela apporterait une quelconque garantie aux salariés, dont la mobilité et la « flexibilité » pourraient être requises pour rentabiliser au mieux l’ensemble. En attendant ce sont les travailleurs qui subissent les arriérés de salaire, les licenciements, la précarité liés à ces processus de transition et aux aléas des reconversions.

Du côté des services publics, s’ils ne sont pas tous privatisés, leurs règles de gestion s’apparentent à celles régissant le privé. Les 400.000 postiers sont mal payés, reconnaît la Direction, qui pour y remédier veut introduire le salaire aux pièces. Elle propose par ailleurs d’abonder un fonds de pension privé pour leur retraite, sans contribution des futurs bénéficiaires. Ce qui peut paraître pour un avantage consenti par l’Etat employeur participe en fait d’une démarche de remise en cause des retraites par répartition. De même pour les cheminots : un accord entre l’entreprise nationale de chemins de fer et ses salariés prévoit que l’entreprise effectue des versements à un fonds de capitalisation.

Partout dans le monde les fonds de retraite par capitalisation font courir de grands risques à leurs bénéficiaires, dont le niveau de vie dépend du rendement des actions placées ; mais le capitalisme en a cure, il lui est insupportable que de telles masses financières lui échappent et il n’a de cesse de combattre les systèmes par répartition, en Russie comme ailleurs.

Le recours à la main-d’oeuvre immigrée

Le capitalisme, en Russie, tire profit de l’exploitation de la main-d’oeuvre immigrée.

La Russie est terre d’immigration. Selon la Banque mondiale, ce serait 12,3 millions de migrants qui vivraient actuellement sur le sol russe. Officiellement, la Russie en reconnaît 5 millions. Les flux migratoires s’alimentent de l’effondrement des économies de l’ex-bloc soviétique : Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, la Moldavie et l’Ukraine. La plupart de ces migrants arrive illégalement. La délivrance des permis de travail par les autorités russes s’effectue de manière très restrictive et les régularisations sur place se font au compte-gouttes. De temps à autre la police ferme un atelier clandestin mais comme partout on peut s’interroger sur le calcul cynique qui consiste à laisser dans l’inexistence officielle des travailleurs dépourvus de tout droit et peu enclin à revendiquer les plus élémentaires de leurs droits.

Ces travailleurs sont contraints d’accepter n’importe quel travail, particulièrement dans des les secteurs comme la construction ou le nettoyage, avec des horaires allant parfois jusqu’à 14 h par jour, le tout pour un salaire équivalent à 300 € par mois, dont la plus grande partie est absorbée par la nourriture et les repas. Mais en vivant chichement ces travailleurs parviennent à envoyer des sommes non négligeables dans leur pays d’origine : en 2009, les travailleurs migrants tadjiks envoyé 1,5 milliard d’euros (2 milliards de dollars) à leurs familles - soit près de 40 de pour cent du produit national brut du Tadjikistan.

L’illégalité de ces travailleurs pourtant nécessaires à l’économie russe donne naissance à des filières qui acheminent ces migrants à prix d’or. Ils passent d’agents recruteurs en intermédiaires qui confisquent leur passeport tant que leur « dette » n’est pas remboursée. Sur place, ils peuvent également être victimes de policiers corrompus et d’attaques de groupes néo-nazis. Malgré cet accueil déplorable, la Russie devrait continuer à attirer à elle de nombreux migrants car sa population est vieillissante. Les démographes estiment la réduction de la population active d’ici 10-20 ans à plus de 10 millions de personnes.

En mai 2011, la Fédération des syndicats indépendants de Russie décide de soutenir la lutte des 250 travailleurs turcs employés à la construction d’un campus dans l’Ile Rousski, en face de Vladivostok. Ils se sont mis en grève car ils ne sont pas payés, ni approvisionnés en nourriture. Ils sont hébergés à huit dans des chambres de 12 m2, et totalement isolés. Conformément à la législation, les syndicats ne doivent défendre que des travailleurs en situation régulière. La publicité de l’affaire convainc la fédération de s’engager... Il faut dire que sur cette même ile, en 1992, quatre soldats moururent de faim, et dizaines d’autres furent hospitalisées, leurs commandants ne leur ayant pas envoyé à manger. Le scandale avait été national. De surcroît, ce campus est destiné à accueillir le sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en septembre 2012, et le Président Poutine a décidé de faire de l’Ile Rousski un vaste centre d’affaire international... Cette affaire étant sous les feux de l’actualité, les autorités -le bureau du procureur régional, le Service fédéral de sécurité et le Service fédéral des migrations- ont décidé de venir inspecter sur place. Mais hors circonstances exceptionnelles – en avril 2012, quinze migrants meurent dans l’incendie de leur baraquement- l’exploitation et les conditions de survie dont sont victimes les étrangers passent inaperçues. Même avec des papiers, ils préfèrent ne pas risquer leurs emplois en contactant un syndicat pour être défendus. Seules, des organisations spécialisées comme « Migration et droit » à Moscou, se mobilisent et dénoncent les conditions proches de l’esclavage dont ils sont victimes.

Les travailleurs s’organisent

Le rapport ambigu du pouvoir russe vis à vis du monde du travail

Le pouvoir russe, tout en acceptant les règles du jeu capitaliste, affecte de ménager la classe ouvrière. Dans le cadre d’une économie privatisée, le gouvernement se présente en garant du droit des travailleurs à revendiquer et exercer un rapport de force vis-à-vis des employeurs. En juillet 2011, le Président Medvedev, au cours d un meeting avec la Confédération du travail russe, déclare que la police n’a pas à s’opposer à l’activité légale des syndicats. Des instructions ont été données en ce sens ; les pressions exercées par les procureurs ou la police sont inacceptables, selon Medvedev, en réponse à l’intervention syndicale pour dénoncer les pressions subies par les syndicats et la dispersion de manifestations. La Russie va ratifier quinze conventions de l’Organisation du travail en 2011. La législation du travail russe doit s’aligner sur les normes internationales en la matière, ce qui est indispensable pour l’intégration du pays dans l’économie globale, a-t-il ajouté.

L’équipe au pouvoir effectivement bénéficie du soutien de la Fédération des syndicats de Russie. Après les manifestations moscovites hostiles à Poutine, un rassemblement s’est tenu fin janvier à Yekaterinbourg, la grande ville de l’Oural, en soutien au retour de ce dernier à la Présidence. Selon la police –que pour une fois on suspecterait plutôt de majorer les chiffres- le nombre de manifestants s’élèverait à 15.000 personnes, pour une ville de plus d’un million de personnes. La Fédération prévoit d’organiser 150 meetings dans tout le pays avant l’élection présidentielle. Il est difficile d’apprécier le réel soutien de la base à cet engagement syndical ; celui qui s’est tenu ensuite à Moscou n’a pas déplacé les foules.

Il semble que le gouvernement russe est prêt à faire des concessions aux bastions ouvriers, là où un collectif important peut faire jouer le rapport de force. En février 2011, les cheminots gagnent un accord qui leur assure le même niveau de rémunération et d’avantages qu’avant la crise et qui semblent leur offrir un minimum de garanties en matière d’indexation des salaires, de protection sociale, et de maintien d’avantages acquis. Il est à noter que pour la première fois, l’accord couvre la totalité de la compagnie.

En matière de droit du travail, la tendance est plutôt à la restriction des droits, associée à une forte répression syndicale. En novembre 2010, la Douma, le parlement russe, examine un projet de loi présentée par « Russie Unie », le parti de Poutine et Medvedev. Il s’agit de remettre en cause la protection dont bénéficient les délégués syndicaux… au nom de la mise en conformité avec la constitution, qui stipule l’égalité de tous devant la loi ! Des critiques soulignent l’usage qui pourrait être fait par des employeurs de ces nouvelles dispositions. Dans le même moment, le milliardaire Mikhail Prokhorov lance la proposition d’étendre la semaine de travail jusqu’à 60 h… ce qui provoque une levée de boucliers, et concentre l’attention publique sur l’outrance de cette dernière proposition.

L’ambiguïté du pouvoir se manifeste également à propos des agences de travail temporaires, dont les syndicats ont demandé l’interdiction. En novembre 2010, un projet de loi est déposé en ce sens par deux députés qui sont en même temps des responsables syndicaux, avec l’aval du gouvernement et malgré l’opposition des organisations patronales russes et des représentants des investisseurs étrangers comme la chambre de commerce américaine en Russie.

Les agences de travail temporaire en Russie ne font l’objet d’aucune législation, elles ne sont ni autorisées ni interdites. Selon des données collectées par les syndicats, les travailleurs dépendant de ces agences de travail se retrouvent souvent dans le cœur de la production et ils y occupent des postes permanents qui ont été externalisés. Ils sont souvent victimes de violations de leurs droits élémentaires, en matière de salaire ou de protection sociale. Ils sont utilisés comme arme anti-syndicale dans des conflits sociaux.

Le projet de loi sur l’interdiction du travail temporaire fut adopté en première lecture à la Douma, mais un nouvel examen de ce projet aboutit à la conclusion qu’il ne fallait pas le finaliser avant d’avoir consulté toutes les parties et entendu toutes leurs propositions. La situation n’a pas avancé depuis, mais il semblerait que le gouvernement s’orienterait plutôt vers un encadrement légal du travail temporaire que vers une interdiction, ou même une restriction, de son usage.

Une normalisation semble également s’esquisser en matière de réparation des accidents du travail. En juin 2011, la veuve d’un travailleur tué au travail atteint un niveau jamais atteint auparavant. La sécurité au travail est un réel problème en Russie. La presse se fait l’écho de graves accidents faisant de nombreuses victimes : 75 morts en août 2009 dans une unité hydro-électrique , plus de 90 suite à une explosion dans une mine de Sibérie (février 2011) ; 53 disparus dans une plateforme pétrolière en décembre 2011. La vétusté des installations ou leur manque d’entretien semble à chaque fois en cause. On imagine aisément que ces tragédies ne sont que la partie immergée de l’iceberg et que le nombre d’accidentés du travail isolés doit être considérable. Poutine dénonce les oligarques qui n’investissent pas, menace, mais ne prend guère de mesure concrète à leur encontre.

Dans leur combat, les syndicalistes ne se heurtent pas seulement aux directions, mais aussi à la police, à la répression de l’Etat, ce qui relativise les discours du pouvoir quant au droit des travailleurs de s’organiser pour défendre leurs intérêts. En mai, la police effectue une perquisition totalement illégale dans les locaux du syndicat interrégional des industries automobiles, à Kalouga dans la région de Moscou. Cette perquisition fait suite à une grève menée chez Benteler, un équipementier de Wolkswagen, et à tout le travail de mobilisation mené par le syndicat dans le secteur de l’automobile. Les médias contrôlés par l’administration régionale orchestrent une campagne de diffamation à l’encontre du syndicat. Les tentatives pour museler la presse syndicale appartiennent au même registre. En mai 2012, des saisies ont lieu dans les locaux du journal du syndicat Solidarité, au motif de diffusion de thèmes « extrémistes ».
Les travailleurs s’organisent

Sur toile de fond de répression syndicale, les luttes éclatent dans toute la Russie et dans divers secteurs d’activité. Le Centre pour les droits sociaux et du travail –financé par l’USAID, il faut le préciser- comptabilise les conflits sociaux en Russie : il serait à son niveau le plus élevé depuis cinq ans. Ce regain de la combativité serait lié aux contres-coups de la crise économique de 2008.


Dans le secteur de l’automobile

Les luttes agitent tout le secteur de l’automobile.

Dès 2007, une grève avait paralysé l’usine entre le 20 novembre et le 17 décembre à l’usine Ford de Vsevolozhsk, dans la Région de Saint-Pétersbourg. Cette lutte est un moment fondateur, car il donne naissance au syndicat interrégional des travailleurs de l’automobile, affilié à la Fédération internationale de la métallurgie (FIOM). Le syndicat inter-régional est en relation avec le syndicat canadien des travailleurs de l’automobile – CAW-. Les ouvriers russes de l’automobile disposent ainsi d’une instance de représentation, de mobilisation et de solidarité relativement efficace dans un contexte difficile. Ce syndicat qui a à sa tête Alexei Etmanov, leader de la grève de 2007.

Le syndicat interrégional s’est d’abord implanté dans la région de Saint-Pétersbourg, qui constitue un pôle de production automobile. Il aide les travailleurs des usines d’assemblages, les équipementiers, les sous-traitants : Nissan, General Motors, Nokian Tires, Hyundai et Faurecia, Jura Corp (qui fournit le câblage nécessaire aux installations Hyundai), à s’organiser et à définir le cahier de revendications à négocier avec la direction. Il édite un journal pour assurer la liaison entre les travailleurs de l’automobile et le distribue aux abords des usines, démarche syndicale mal tolérée par les directions qui tentent de la bloquer en dépêchant parfois ses gros bras. Mais ces réactions n’empêchent pas l’information de circuler, et, en créant l’incident, contribuent par elles-mêmes à faire de la publicité pour le syndicat.

Le syndicat inter-régional sert également de points d’appui pour d’autres usines éloignées du « berceau » du syndicat à Saint-Pétersbourg. Ainsi, à Samara, dans le sud de la Russie, une section syndicale s’est créée en février 2011 à Kinelagroplasta, un sous-traitant de l’automobile qui fabrique des pièces en plastique. En 2009, la situation des salariés se dégrade brutalement : licenciements sans indemnités et incertitude globale sur l’avenir des emplois, perte de rémunération et suppression des transports collectifs pour accéder à l’usine. Les travailleurs ont donc décidé de fonder un syndicat. Ils ont trouvé par internet les coordonnées du syndicat interrégional de l’automobile et ils sont entrés en contact avec un représentant qui les a aidés à créer leur section locale. Plus de la moitié des salariés de l’entreprise y ont adhéré. Le nouveau syndicat a entamé un processus de négociation pour obtenir une convention collective.

Enfin le syndicat inter-régional de l’automobile n’intervient pas seulement dans le champ de construction automobile stricto sensu mais étend la solidarité à des champs connexes. Il appuie les salariés de "Crossroads", qui appartiennent à une holding de sociétés opérant dans la distribution de détails. Les chauffeurs de « Crossroads », qui sillonnent les routes dans la région de Saint-Pétersbourg, ont fréquemment des accidents du fait de la violation des règles de sécurité par l’employeur. En avril, deux accidents mortels coup sur coup, mettent le feu aux poudres. Les salariés décident de réagir et constituent une section du syndicat inter-régional.

Cette implantation syndicale se gagne contre les manœuvres d’intimidation des employeurs, qui n’hésitent contre aucune forme de pression ou de chantage, pour contre-carrer l’apparition d’un acteur collectif susceptible de limiter l’exploitation subie par les salariés. Les Directions menacent de réductions de primes, de licenciements massifs, de fermeture de l’usine…quand ils apprennent la création de la section syndicale. Elles suscitent l’apparition de syndicats « jaunes » dont elles sont totalement assurées de la fidélité. Les pressions sont individuelles, les syndiqués sont convoqués un par un et on leur intime de signer des déclarations préparées stipulant leur départ du syndicat inter-régional, voire l’adhésion au syndicat « jaune ». Les responsables syndicaux sont particulièrement la cible des mesures répressives : blocage des promotions, affectations à des postes de travail difficiles, licenciements. Face à ces attaques dont ses sections sont l’objet, le syndicat joue la carte juridique contre ces pressions illégale en entamant des procédures, souvent couronnées de succès, celle de la solidarité (envois de fax de soutien, intervention de la FIOM…).

Les principales revendications sont les salaires, les conditions de travail, et en particulier les horaires. Les Directions ont actuellement une fâcheuse tendance à remodeler les horaires de travail en fonction des impératifs de la direction au détriment de la vie privée et du repos des ouvriers. La panoplie des moyens de lutte diffère selon le rapport de force, dans ce contexte tendu.

A General Motors le syndicat a proposé aux ouvriers de porter au poignet une bande de couleur rouge, pour protester contre la mise en place de nouveaux horaires, tout en distribuant des tracts aux arrêts de bus. Cette action a permis une avancée dans la mobilisation des travailleurs ; plus d’une centaine ont accepté de porter les bandes rouges durant une semaine de travail. Le syndicat a organisé une conférence de presse et l’affaire a fait l’objet d’un reportage dans la presse nationale. Les travailleurs ont recours à la grève du zèle, aux débrayages et à la grève continue, malgré les restrictions légales qui entourent cette dernière.

Chez Benteler, une grève de plusieurs semaines se dénoue avec l’appui de l’administration locale et débouche sur une proposition de hausse des salaires. Mais la direction veut faire inclure dans l’accord une « clause de non divulgation » que le syndicat refuse, entame une procédure pour faire déclarer la grève illégale (et est déboutée) et exerce à l’encontre des militants une répression accrue.

En revanche, à l’usine Ford de Saint-Pétersbourg, là d’où tout est parti, le syndicat a levé le mot d’ordre de grève prévue pour juin, suite à une négociation fructueuse. L’ancienneté et l’ancrage du syndicat ont dissuadé l’employeur de se lancer une nouvelle épreuve de force.

Mais en général les acquis sont le plus souvent modestes, et sujets à des retours de bâton de la part des directions. Les sections syndicales s’efforcent d’obtenir des accords collectifs mais les réelles concessions sont minimes. Les ouvriers de General Motors ont obtenu en avril 2011 une hausse de 10,5% : elle ne compense pas l’inflation et les salaires réels continuent de baisser.

A Kinelagroplast, les avantages supplémentaires accordés par l’accord collectif peinent à se démarquer de l’application stricte du code du travail. Quelques améliorations aux conditions de travail ont été apportées et quelques avantages connexes rétablis. . Ainsi, lorsque la température dépasse dans les ateliers les normes autorisées, les ouvriers peuvent partir 3 h avant l’horaire normal sans perte de salaire et ceux qui continuent à travailler sont payés double. Pour le syndicat, ces gains constituent de « petites » victoires, mais elles sont très significatives. Mais peu de temps après, la Direction soumet au syndicat un nouveau projet de convention collective qui projet prévoit, pour des raisons organisationnelles et technologiques, de réduire le nombre de salariés, de modifier les bonifications de salaire des travailleurs postés, qu’il met ensuite en œuvre de façon unilatérale. Le syndicat réagit, organise des réunions, et entame une procédure de conciliation qui aboutit à un nouvel accord, prenant en compte une partie des revendications des travailleurs.


Lutte des classes en Russie dans l’agro-alimentaire

Les luttes dans l’automobile ne sont pas isolées. D’autres secteurs sont aussi en mouvement.

La lutte contre le recours aux agences de main-d’œuvre dans l’agro-alimentaire

Ce secteur est globalement le fait d’entreprises transnationales. L’implantation syndicale y est difficile et fait face à une répression sévère. Les salariés luttent pour obtenir un minimum en matière de conditions de travail et d’application des normes légales en matière de rémunération.

En 2009, un syndicat s’implante à l’usine de fabrication de lait de conserve Verkhovski du groupe "Glavproduct", (elle-même détenue à 99% par l’américain Universal boissons). Avec l’appui du syndicat régional, ce syndicat réussit non seulement à se maintenir mais à gagner un nombre significatif d’adhérents qui lui ont permis d’établir le rapport de force. Ils ont réussi à arracher un certain nombre d’améliorations pour les ouvriers de l’usine. Malgré le refus de la direction d’entendre parler de la signature d’une convention collective, ils ont obtenu des vêtements de protection et la régularité des horaires de travail.

En 2012, l’arrivée d’un nouveau directeur donne aux ouvriers l’espoir d’être mieux écoutés, mais ils doivent vite déchanter. Ce directeur de combat s’est donné (ou a reçu) la mission de chasser le syndicat de l’usine. Il commence en février par licencier les deux responsables syndicaux, en toute illégalité, et ne ménage pas ses efforts pour imposer un « syndicat-maison » opposé aux véritables intérêts des travailleurs. Une procédure judiciaire est en cours pour faire annuler ces licenciements.

Mais la grande lutte des syndicats de ce secteur concerne le recours au prêt de main-d’œuvre, comme à l’usine Heineken de Saint-Pétersbourg. Les ouvriers ont fait grève à deux reprises en fin d’année 2011 pour l’amélioration des conditions de travail, contre l’annualisation des horaires et l’allongement des journées de travail, et l’externalisation de la main-d’œuvre : plus de 60% des salariés travaillant dans l’usine dépendent d’agences de main-d’œuvre. Les grévistes sont licenciés, mais le tribunal demande l’annulation de la sanction.

Scénario semblables dans les usines Baltika (Carlsberg) : à l’appel des syndicats, les ouvriers des différentes usines du pays, à Rostov, à Voronezh, à Yaroslavl et à Saint-Petersbourg, organisent des piquets de grève. Ils protestent contre la répression syndicale et en particulier le licenciement d’un responsable qui avait eu l’outrecuidance d’avoir porté, avec d’autres travailleurs, une réclamation devant l’Inspection du travail concernant des heures supplémentaires non payées. Mais la cible de leur action est l’extension de la précarité du travail et en particulier celle induite par la « vente » de main-d’œuvre. Outre la réduction des coûts, ce recours aux agences de travail est clairement une arme anti-syndicale, au côté de l’intimidation et du licenciement des militants.

Toutes les catégories de personnel y passent les unes après les autres, les chauffeurs, les gardiens, les ouvriers chargés de la mise en bouteille et ceux chargés du contrôle, de la maintenance… rien de tout cela ne colle vraiment avec l’image d’entreprise « socialement responsable » que Carlsberg veut donner d’elle-même auprès de ses salariés.

Instruit par l’exemple de Heineken, les syndicats de « Baltika » ont compris qu’ils devaient partir à l’offensive s’ils ne voulaient pas que la dégradation aille à son terme.

Parfois ce sont les salariés transférés à l’agence de main-d’œuvre qui déclenchent la lutte, comme à l’usine de fabrication de crème glacée "Inmarko" d’Omsk, appartenant à Unilever-Russie. Leur salaire et leurs indemnités maladie ont diminué, ils perdent des avantages connexes comme la prime de nuit. Le travail à la chaine est particulièrement intensif et ils n’en peuvent plus. Ces ouvriers transférés depuis un an à « Coleman Service » travaillaient pour la plupart depuis très longtemps à l’usine. Ils décident le 21 mai de se mettre en grève illimitée. Pour eux, c’est à Unilever de satisfaire leurs revendications. La grève les conduit à créer un syndicat dont l’assemblée constitutive a lieu le troisième jour de l’arrêt de travail. Ce dernier s’affilie au syndicat régional du commerce et à l’union locale d’Omsk. Il considère que sa tâche est d’offrir par la négociation collective des garanties sociales à tous les travailleurs qui s’impliquent dans l’entreprise, quel que soit leur employeur. Il dénonce le système de vente de main-d’œuvre comme une forme d’esclavage qui devrait être prohibée en Russie.

Unilever ne veut rien entendre et le bras de fer est engagé.


Solidarités dans le monde maritime

Le 15 mai 2012, la Douma a adopté une loi fédérale "Sur la ratification de la Convention de 2006 sur le travail maritime », édictée par l’Organisation internationale du travail. Cette loi doit franchir de nouvelles étapes avant de pouvoir être mise en application. Le syndicat des gens de mer mène une bataille acharnée pour que tous les textes régissant le travail des marins soient réunis dans un même acte législatif. Si les dispositions légales qui permettent à la Russie d’être conforme à la convention se trouvent dispersés dans la fragmentation et les niveaux des législations nationales, la portée de la ratification de la convention en sera affaiblie.

Le syndicat des gens de mer de la Russie s’inscrit dans la négociation avec le pouvoir et est prêt à participer aux instances de concertation mises en place par le gouvernement fédéral. Ils ont nombre de sujets de discussions à mettre sur la table : les « Règlements sur la certification », qui vont porter préjudice aux droits de milliers personnes, la simplification du régime des visas pour les marins russes et leur famille dans l’Union européenne, le droit des syndicats de visiter librement les équipages des navires dans les ports et les ouvriers dans les chantiers navals.

Une convention collective, signée par le syndicat et la Compagnie maritime de l’Extrême Nord, est applicable à tous les navires battant pavillon de la Fédération de Russie depuis le 1er juillet 2012. Elle s’est conclue après des mois de négociation avec les armateurs. Le principal acquis concerne les salaires, qui seront augmentés et indexés.

Le syndicat des marins intervient régulièrement pour les marins non payés, abandonnés par leur armateur , dans tous les ports du monde. Il a ainsi permis un certain nombre de rapatriements et la somme des salaires récupérés par les marins à l’aide du syndicat est loin d’être négligeable.

Le syndicat s’élève particulièrement contre le régime de la « coque nue » ; même lorsque le navire est exploité sous pavillon russe, il est plus difficile pour les marins de se faire payer et pour les syndicats de défendre leurs droits. Il est d’ailleurs fréquent que les véritables propriétaires soient russes, mais qu’ils interviennent par l’intermédiaire d’une société-écran. La vie à bord peut s’apparenter, dans les cas limites, à de l’esclavage, avec des salaires non payés, une fourniture d’eau et de nourriture insuffisante, de la maltraitance physique pour ceux qui osent se plaindre. Le syndicat des gens de mer s’est saisi d’une affaire ayant abouti à un décès ; il lutte pour que des poursuites soient engagées alors que le procureur se retranche derrière le fait que l’Etat russe ne peut intervenir si le bateau est étranger.

Pour assurer la protection de ses marins, le syndicat des gens de mer entre en relation avec leurs homologues dans tous les pays et leur demande d’intervenir. La tendance semble au renforcement de la coopération entre syndicats nationaux, pour une meilleure efficacité. Une réunion a eu lieu fin juin 2012 à Moscou entre le syndicat russe des gens de mer et l’Union des marins du Japon. Les deux syndicats se sont penchés sur le problème du versement des cotisations d’assurance maladie des marins russes par les armateurs japonais. Le syndicat nippon a promis d’intervenir et de vérifier que leurs armateurs nationaux s’acquitteront sans délai des contributions auxquelles ils sont soumis vis à vis des marins russes. Vis-à-vis des récalcitrants, ils veilleront à ce que leur soient refusé le « certificat vert » pour leurs bateaux, attestant que leurs équipages dépendent d’une convention collective et que celle-ci est respectée. D’autres méthodes de pression, comme le boycott, pourraient également être mise en œuvre.

La délégation japonaise était également intéressée pour échanger à propos des pavillons de complaisance. Elle a exprimé sa satisfaction de pouvoir prendre connaissance de la façon dont opère le syndicat russe et de pouvoir partager les expériences. Des idées ont germé et certaines vont se concrétiser à brève échéance : des représentants de la Fédération syndicale internationale du transport (ITF) et du syndicat des gens de mer russe seront impliqués dans la prochaine Semaine d’action syndicale dans les ports du Japon ; et réciproquement l’ITF et le syndicat japonais viendront partager leur expérience avec l’échelon régional du syndicat dans l’Est de la Russie.

Un travail à plus long terme est engagé entre les deux syndicats russes et japonais sur des dossiers de fond, comme par exemple les entreprises de main-d’œuvre et la question des propriétaires effectifs des navires.

Durant la semaine du 9 au 13 juillet 2012, les syndicats des gens de mer russes, nippons, coréens, taïwanais vont unir leurs efforts dans une opération de lutte contre les pavillons de complaisance. Ils se rendront sur les navires battant de tels pavillons pour vérifier les conditions de travail, le paiement régulier des salaires, la fourniture de vêtements marins et la présence d’équipements de sauvetage. Il a été en effet constaté une plus grande fréquence des accidents sur ce type de navires. Une centaine de morts de marins russes leur sont imputables ces dernières années. On peut constater qu’à l’heure actuelle, près de la moitié des navires à quai dans la région battent pavillon du Cambodge, de Saint-Vincent, du Belize, ou de la Mongolie.

Ils se sont également entendus pour apporter un soutien aux syndicats de marins de la côte ouest des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie, de Nouvelle-Zélande, de Hong Kong, du Pakistan, de l’Inde, d’Indonésie, de Singapour et des Philippines.

Les dockers eux aussi mobilisés pour leurs conditions de travail et leurs salaires, se heurtent à la répression syndicale. Les 1er et 2 juin, des manifestations ont eu lieu dans les ports de l’Est, à Nakhodka et Vladivostok, en particulier contre le recours au travail précaire et aux agences de main-d’oeuvre, et pour faire prendre en compte les revendications des travailleurs dans la convention collective. Si dans les ports de l’Ouest les discussions sont « paisibles », il n’en va pas de même sur la côte orientale. À Vladivostok 1300 dockers ont manifesté contre le projet de réorganisation du port et l’absence de prise en compte de leur point de vue : ils craignent que ce projet n’aboutisse à des diminutions de salaire. A Nakhodka, 300 dockers ont manifesté pour obtenir 10% d’augmentation de salaire ; le lieu n’étant pas autorisé pour une manifestation, ils ont craint que leur action soit déclarée illégale et ont limité à une demi-heure la durée de leur manifestation, qui pourtant n’est pas restée sans effet : le 18 juin, l’employeur a signé un accord sur une augmentation salariale de 4%. Mais avec l’entreprise "East Port" JSC ("East Port" - la plus grande compagnie d’arrimage de l’Extrême-Orient), le dialogue social a échoué. La direction du port n’est pas disposé à renoncer aux contrats à terme (désormais en équipes de 30 employés permanents ont 10 temporaires), ni d’appliquer les dispositions de la convention collective relative à la dotation des fonds d’un montant de 1% du total des salaires pour la réalisation d’activités culturelles, sportives et récréatives. Alors que « East Port » va payer à ses actionnaires 24,2 millions de roubles... Le syndicat s’est plaint auprès du procureur, de son côté l’administration reproche au syndicat de paralyser le port. Les 19 et 22 juin une perquisition a lieu au siège du syndicat, avec saisie des ordinateurs, des documents comptables... aboutissant à la mise en cause du dirigeant syndical Leonid Tikhonov pour détournement de fonds. Le syndicat dénonce une manœuvre pour l’empêcher de défendre jusqu’au bout les intérêts des travailleurs, en tentant d’intimider les militants et de le discréditer auprès des travailleurs. Le monde syndical russe a affirmé son soutien et l’Internationale des travailleurs des transports (ITTF) a été interpellée.

Il est à noter que la solidarité dépasse le cadre strict des métiers : en mai 2011, des dockers se sont mis en grève pour soutenir un capitaine et un ingénieur opérant sur un sous-marin nucléaire, mis en cause suite à un accident ayant provoqué une vingtaine de morts. Ils sont accusés de négligences et passibles de la cour martiale. Les dockers soutiennent l’équipage qui craint que les deux hommes ne deviennent des boucs émissaires, alors que le drame est le résultat de la corruption et de la désorganisation du secteur militaire.

Les luttes se déroulent dans tous les secteurs en Russie.

Dans les mines, les travailleurs ont obtenus des avantages substantiels, notamment en 2011 à Chelyabinsk, en matière de maintien de leur protection sociale, d’augmentation de salaire et de prévention des accidents du travail. Les mineurs se sont mobilisés à deux reprises, une première fois pour obtenir un accord et une deuxième fois pour le faire respecter.

En août 2012, un mouvement a eu lieu dans une autre mine à Kouzbass (oblast de Kemorovo). Le 7, les mineurs refusent de remonter à la surface après le quart de travail : ils ont des revendications en matière de durée du travail, d’augmentation substantielle de leur salaire et de prise en compte des accidents du travail. L’action semble avoir été très spontanée, et s’être déroulée en dehors du syndicat. L’employeur clame que les revendications n’ont pas été présentées officiellement et que l’action des grévistes était une violation aux règles de sécurité : quatre mineurs sont licenciés.

Dans l’industrie, le secteur automobile réussit, dans la difficulté, à engranger des gains et à obtenir des accords collectifs. Mais des conflits éclatent dans toutes les branches, du fait du recours à une main-d’œuvre extérieure, des conditions de travail dégradées ou de l’insuffisance des salaires. Les salariés d’une usine de production des pièces pour la télévision et la téléphonie dans la région de Kaliningrad ont entrepris une grève « sur le tas » du fait de retards de plus de deux mois dans les paiements des salaires (2 août).

Des conflits sont également signalés dans le secteur des services : pour citer des exemples actuels, dans la distribution (chaîne de magasins « Magnet »), au consulat de Finlande à Saint- (où les employés, outrés de devoir contribuer selon les règles finnoises et d’être écartés des avantages puisqu’ils sont russes, menacent de faire la grève des visas) ; dans le secteur des ambulances à Ivanovo (rebondissement d’un conflit ancien sur fonds de répression syndicale), dans le gardiennage-nettoyage dans la région d’Yamal, également pour des impayés de salaires...

Dans le secteur public, les enseignants sont depuis longtemps préoccupés par la dégradation de leur situation et les projets du gouvernement. En effet, du fait du vieillissement de la population, le nombre d’élèves chute et une réduction drastique des effectifs est programmée. Ils dénoncent la dégradation des conditions de l’enseignement public et redoutent la mise en place d’un système éducatif à deux vitesses avec de meilleures conditions d’éducation pour ceux qui auraient les moyens d’accéder à l’école privée. Le financement des activités para-scolaire a quasiment disparu et le gouvernement a dans ses cartons des projets de suppression de classes plutôt inquiétants. Les enseignants veulent une revalorisation de leurs salaires et une prise en compte de leur problème de logement en fonction de leurs différentes affectations.

Cet été, les enseignants sont vent debout contre la mise en œuvre brutale des projets gouvernementaux.

Cet été, un projet de loi devait être examiné par la Douma sur l’organisation de l’éducation nationale. Ses disposition affecte le mode de rémunération des enseignants et donnent tout pouvoir aux directeurs, qui sont en situation de traiter le personnel de la manière la plus arbitraire, jusqu’au licenciement.

Le syndicat des enseignants a proposé des amendements qui devront être examiné par la commission tripartite. Si comme le craignent le syndicat ces propositions sont rejetées par le gouvernement, les enseignants sont invités à alerter leurs députés. Une manifestation a déjà eu lieu le 1er juin pour dénoncer l’examen du projet par la Douma en été, où les enseignants sont dispersés. Les deuxième et troisième lecture du projet pourrait avoir lieu en septembre.

En mai et juin, la ville de Moscou a lancé un vaste plan de restructuration des établissements, entraînant le regroupement des écoles maternelles et primaires et des licenciements dans le personnel. Les enseignants sont touchés, ainsi que les cuisiniers, les infirmières, les psychologues, les orthophonistes, les gardiens et le personnel d’accueil. Ce processus de fusion est une machine de guerre à l’encontre du personnel, souvent en violation de leurs droits. Il est dit que les économies ainsi réalisées permettraient de verser des « primes d’incitation » pour les enseignants et leurs assistants.

Le 27 juin, parents et enseignants ont organisé une manifestation devant le ministère. Les parents dénoncent en outre la généralisation du passage à la restauration industrielle dont la piètre qualité a des conséquences sur la santé de leurs enfants.

Des faits semblables se sont également déroulé au même moment dans la ville de Perm, à 1400 km de Moscou. L’éducation est en danger en Russie.

Si tous les secteurs sont concernés par l’agitation sociale, toutes les régions de la Russie, de Saint-Pétersbourg à Vladivostok, du Nord, du Sud et du centre de la Russie sont également le théâtre de conflits sociaux.

L’amélioration de la situation économique depuis l’effondrement des années 1990 a entraîné une hausse des salaires réels mais le salariat russe subit à la fois certaines conséquences de l’héritage soviétique (villes de mono-industries qui ont perdu leur raison d’être, installations vétustes entraînant des accidents du travail…) tandis que l’insertion dans le système capitaliste a beaucoup accru leur vulnérabilité.

La législation du travail encadre très strictement le droit de grève, la protection des responsables syndicaux est menacée. En revanche la tentative syndicale d’obtenir l’interdiction, pour les entreprises, de recourir à des agences de prêt de main-d’œuvre, a été bloquée par le gouvernement. Le recours massif à une main-d’œuvre immigrée, souvent non régularisée, affaiblit le monde du travail dans son ensemble. Tous les « contre-feux » sont en place pour affaiblir les salariés russes et pour conserver une main-d’œuvre à bas coût.

Les luttes se déroulent sur fond de forte répression syndicale. Les travailleurs se mobilisent pour des augmentations de salaires, pour leur sécurité, pour le respect de leur vie privée à travers la régularité des horaires de travail, pour le paiement de leurs arriérés de salaire, pour la réintégration des militants syndicaux licenciés, et contre l’externalisation de leurs contrats de travail. Les conflits entraînent souvent des recours juridiques, et les décisions sont souvent favorables aux travailleurs ; mais ces décisions sont rarement appliquées « spontanément » par l’employeur, et les travailleurs doivent à nouveau se mobiliser.

Si les luttes sont signalées dans tous les secteurs, il est difficile d’apprécier leur capacité d’amener les employeurs à faire des concessions importantes. La concentration dans des bastions ouvriers, le soutien de fédérations internationales aident à construire le rapport de force. Au-delà des acquis obtenus, l’existence d’une structure comme, par exemple, le syndicat interrégional de l’automobile contribue à ancrer une structure de résistance parmi la population ouvrière. Par ailleurs, malgré l’importance de la main-d’œuvre étrangère, on trouve peu de témoignages de lutte de travailleurs immigrés, ou d’implication de syndicats russes vis-à-vis de cette main-d’œuvre surexploitée. Il y a peut-être là, pour le mouvement social russe, un champ de mobilisation à ouvrir pour changer la donne.


Valentin Urusov, militant syndical à ALROSA, la deuxième société mondiale de l’extraction de diamants, purge une peine de cinq ans d’emprisonnement suite à une procédure judiciaire truquée. Son vrai « crime » : faire adhérer plus d’un millier de ses collègues dans la ville isolée de Udachnyi en Yakoutie à un syndicat pour protester contre les bas salaires et les conditions de travail inhumaines. En 2008, Urusov a mené la première action industrielle des mineurs de diamant en Russie.

Valentin Urusov a été arrêté chez lui, conduit dans la taïga (forêt), roué de coups et menacé de mort puis contraint à signer une confession selon laquelle il était en possession de stupéfiants. Dans le procès qui s’ensuivit, Urusov a été reconnu coupable et condamné à six ans de prison. Malgré le fait que la cour d’appel a infirmé la condamnation et l’agent de police qui a supervisé son arrestation a plus tard été accusé d’abus de pouvoir et de fraude, le tribunal de première instance de Yakoutie a renouvelé son jugement, consentant seulement à réduire sa peine à cinq ans.

Valentin Urusov est maintenant dans une prison de Yakoutie, où son employeur ALROSA exerce encore un pouvoir presque illimité sur sa vie et son bien-être.


Alexei Etmanov, un des responsables du syndicat de Ford à Vsevelozhsk et coprésident du syndicat interrégional des travailleurs de l’automobile - ITUA - a été la cible de deux agressions brutales le 8 et le 13 novembre 13. A la suite des premières violences, le syndicat a reçu un coup de fil anonyme ordonnant à Etmanov d’arrêter ses activités syndicales sous peine d’y laisser sa vie. Personne n’a été poursuivie pour ces crimes et la police a suspendu son enquête. D’autres membres d’ITUA ont été agressés, dont Alexei Gramm et Sergei Brizgalov, deux militants du syndicat local de l’usine d’automobile de Taganrog. Ces incidents n’ont pas été davantage investigués.

La Fédération Internationale des Ouvriers de la Métallurgie lance une campagne pour défendre les syndicalistes d’ITUA. Elle exige que les autorités russes entreprennent une enquête impartiale et collective concernant tous les cas d’agression des syndicalistes en vue de désigner les coupables - ceux qui ont perpétré les actes et ceux qui les ont commandité.

Messages

  • RUSSIE – Une femme de 81 ans, arrêtée pour le vol de plaquettes de beurre dans un supermarché de Saint-Pétersbourg, est morte au commissariat, probablement d’une crise cardiaque.

  • En Géorgie, des travailleurs de la chimie font face à l’oppression. Autrefois modèle de l’entreprise à vocation sociale, le producteur d’engrais "Rustavi Azot", depuis l’arrivée d’un nouveau propriétaire début 2017, s’est retourné contre le syndicat local, le Syndicat des travailleurs de la métallurgie, des mines et de l’industrie chimique de Géorgie (TUMMCIWG ). Les employés de l’entreprise sont désormais persécutés et réprimés en raison de leur affiliation syndicale. Sous la pression de la haute direction de l’entreprise, les superviseurs d’atelier les obligent à démissionner de leur syndicat. Dans le but de saper le syndicat local, la direction a licencié illégalement 350 personnes en janvier-février 2017.

  • Plusieurs milliers de Russes ont manifesté dimanche à travers le pays contre un projet de relèvement de l’âge de départ à la retraite, malgré la promesse du président Poutine d’assouplir la réforme.

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