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Qu’est-ce que la science

mercredi 29 août 2012, par Robert Paris

Qu’est-ce que la science

(extraits de « Rien ne va plus en physique » de Lee Smolin)

« La science marche car nous vivons dans un monde de régularités, mais également en raison de quelques particularités de notre constitution humaine. En particulier, nous sommes champions pour tirer des conclusions à partir d’une information incomplète. Nous observons sans cesse le monde, nous faisons ensuite des prédictions et nous en tirons des conclusions.

C’est ce que font les chasseurs-cueilleurs, et c’est aussi ce que font les physiciens des particules et les microbiologistes. Nous ne possédons jamais une information qui soit suffisante pour justifier entièrement les conclusions que nous en tirons. Etre capable d’agir sur la base de conjectures et d’intuitions, et de le faire en toute confiance alors que l’information que nous possédons tend vers quelque chose sans en constituer la preuve, est une capacité essentielle qui fait de qui la possède un homme d’affaire à succès, un bon chasseur, un bon agriculteur ou un bon scientifique. Cette capacité est en grande partie responsable du succès de l’espèce humaine.

Son coût est élevé : on se trompe facilement. (…)

Notre posture fondamentale ne peut être que la confiance, car si nous étions obligés de tout démontrer nous-mêmes, nous ne pourrions jamais croire autrui. Nous n’aurions, non plus, jamais fait quoi que ce soit : ni nous lever de notre lit, ni nous marier, ni devenir amis ou conclure des alliances. Sans la capacité de faire confiance, nous serions des animaux solitaires. Le langage n’est efficace et utile que parce que, la plupart du temps, nous croyons ce que disent les autres.

Ce qui est important – et dégrisant en même temps – est la fréquence à laquelle nous nous trompons. Et nous nous trompons non seulement individuellement, mais également en masse. La tendance d’un groupe humain à se mettre rapidement à croire quelque chose que les membres individuels du groupe, plus tard, verront comme évidemment faux, est réellement ahurissante. (…) Le consensus fait partie de nous, car il est essentiel à un groupe de chasseurs qui veut réussir sa chasse ou à une tribu souhaitant échapper à un danger imminent.

Par conséquent, pour qu’une communauté survive, il doit y avoir des mécanismes de correction : les anciens qui freinent l’impulsivité des plus jeunes, parce que, s’ils ont appris quelque chose de leurs longues vies, c’est la fréquence élevée avec laquelle ils se sont trompés ; les jeunes qui remettent en question les croyances tenues pour vraies et sacrées pendant des générations, quand ces croyances ne leur conviennent plus. (…)

Feyerabend a insisté sur le fait que les scientifiques ne doivent jamais être d’accord s’ils n’y sont pas obligés. Quand les scientifiques s’accordent trop rapidement, avant que les résultats et les données les y forcent, la science est en danger. Il faut alors se demander ce qui a exercé une telle influence sur les scientifiques, de sorte qu’ils sont parvenus à une conclusion prématurée. (…)

Une communauté se trouve souvent contrainte de penser d’une façon particulière en raison de son organisation. (…) Le problème de l’organisation est ainsi clairement posé : avons-nous un système qui permette à une personne de dénicher un faux présupposé, ou de poser la bonne question (…) Acceptons-nous des rebelles créatifs ou les excluons nous ? (…) Pendant les périodes normales, on a besoin de chercheurs qui, quelque soit leurs capacités d’imagination (parfois élevée), travaillent efficacement avec les outils techniques. Pendant les périodes révolutionnaires, on a besoin de visionnaires qui sauront montrer la voie dans l’obscurité. (…) Nous sommes dans une période révolutionnaire, mais nous essayons d’en sortir en utilisant l’organisation et les instruments inadéquats de la science normale. (…) La science n’a jamais été organisée d’une façon favorable aux visionnaires ; l’échec d’Einstein d’accéder à un poste universitaire n’en est pas le seul exemple. Mais, il y a un siècle, le monde académique était beaucoup plus petit et moins professionnalisé et il était plus commun de rencontrer des personnes extérieures au domaine, bien formées, possédant les connaissances nécessaires. (…)

Citons, par exemple, David Finkelstein, professeur émérite au Georgia Institute of Technology qui a passé toute sa vie à chercher la logique de la nature. (…) Quelqu’un qui n’écoute que sa voix intérieure et ignore presque tout le reste aurait-il pu obtenir aujourd’hui un poste de professeur dans une université de premier plan ? Pensonz donc ! (…) C’est un cliché de demander si le jeune Einstein pourrait être aujourd’hui recruté par une université. La réponse est évidemment non ; il n’a pas été embauché même de son temps.

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Messages

  • « On ne comprend pas ce qu’est la science de la chaussure quand on ne comprend pas ce qu’est la science. »

    Platon, dans « Théétète »

  • « À l’heure actuelle, quelle situation est faite dans le corps social de l’humanité à l’homme de science ? Dans une certaine mesure, il peut se féliciter que le travail de ses contemporains, même de façon très indirecte, ait radicalement modifié la vie économique des hommes parce qu’il a éliminé presque entièrement le travail musculaire. Mais il est aussi découragé puisque les résultats de ses recherches ont provoqué une terrible menace pour l’humanité. Car les résultats de ses investigations ont été récupérés par les représentants du pouvoir politique, ces hommes moralement aveugles. »

    Einstein, « À propos de la dégradation de l’homme scientifique », dans Comment je vois le monde

  • Poincaré dans « Science et Méthode » :

    « Le savant n’étudie pas la nature parce que cela est utile ; il l’étudie parce qu’il y prend plaisir et il y prend plaisir parce qu’elle est belle. Si la nature n’était pas belle, elle ne vaudrait pas la peine d’être connue, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue. Je ne parle pas ici, bien entendu, de cette beauté qui frappe les sens, de la beauté des qualités et des apparences ; non que j’en fasse fi, loin de là, mais elle n’a rien à faire avec la science ; je veux parler de cette beauté plus intime qui vient de l’ordre harmonieux des parties, et qu’une intelligence pure peut saisir. »

    Poincaré :

    “The Scientist does not study nature because it is useful to do so. He studies it because he takes pleasure in it ; and he take pleasure un it because it is beautiful. If nature were not beautiful, it would not be worth knowing and life would not be worth living…”

  • définition de la science soumise par l’American Physical Society :

    « La science agrandit et enrichit nos vies, ouvre notre imagination et nous libère des servitudes de l’ignorance et de la superstition. Les sociétés savantes soussignées désirent énoncer les préceptes de la science moderne qui sont responsables de son succès. La science est l’entreprise systématique d’acquérir des connaissances sur le monde, d’organiser et de synthétiser ces connaissances en lois et théories vérifiables. Le succès et la crédibilité de la science prend sa source dans la volonté des scientifiques de :

    – soumettre leurs idées et résultats à la vérification et la reproduction indépendante par d’autres scientifiques, ce qui nécessite l’échange complet et ouvert des données, procédés et matériel,

    – abandonner ou modifier les conclusions acceptées lors que confrontés à des évidences expérimentales plus complètes ou fiables.

    L’adhésion à ces principes procure un mécanisme d’auto-correction qui est le fondement de la crédibilité de la science. »

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