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« Hongrie 1956 » de Andy Anderson

vendredi 12 octobre 2012, par Robert Paris

Extraits de « Hongrie 1956 » de Andy Anderson :

« Le 6 mars 1953, le Kremlin annonça brusquement que Staline était mort après une courte maladie. Les travailleurs de l’Europe de l’Est estimèrent que le temps était venu de mettre fin à l’oppression que son régime leur avait imposée. Ils n’attendirent pas longtemps, la première manifestation de masse fut celle des ouvriers de Plzen, au début du mois de juin.

Plzen est l’un des plus grands centres industriels de Tchécoslovaquie. La grande fabrique d’armes et de véhicules Skoda y est implantée. La manifestation, qui fut tout à fait spontanée, eut d’abord lieu pour protester contre l’échange de la monnaie. Mais, au fur et à mesure qu’elle se propageait, des exigences politiques se firent jour, une plus grande participation à la gestion des usines, l’abolition du travail aux pièces, la démission du gouvernement et des élections libres. Au moment où la manifestation avait presque atteint la dimension d’une révolte (ainsi, des soldats en uniforme s’y étaient joints et la foule avait occupé l’Hôtel de Ville), des troupes arrivèrent de Prague et l’insurrection fut rapidement réprimée. Des insurrections spontanées qui éclatèrent par la suite dans d’autres régions de Tchécoslovaquie et dans d’autres pays-satellites furent écrasées immédiatement, avant même d’avoir eu droit à la « une » des journaux nationaux et étrangers. Deux semaines plus tard, le 17 juin 1953, les travailleurs de Berlin-Est se révoltaient. Les ouvriers quittèrent en masse les usines (…) La révolte commença par une manifestation des ouvriers du Bâtiment sur la Stalin Allee. Abandonnant l’outil, ils marchèrent sur le centre-ville pour présenter leurs revendications. Les travailleurs des transports abandonnèrent leurs tramways et les chauffeurs de camions laissèrent leurs véhicules sur place pour rejoindre la manifestation. (…) Les travailleurs ne furent soumis qu’après avoir livré des combats sanglants contre les chars russes. Pendant plusieurs jours cette révolte attira l’attention du monde entier, non seulement parce qu’elle était menée par des travailleurs dont les revendications étaient autant politiques qu’économiques, mais aussi à cause de l’intervention directe et brutale de la Russie. (…) Cependant, la dernière des choses que souhaitait Moscou, à ce moment-là, c’était de se montrer faisant usage des chars et des baïonnettes de l’Armée Rouge pour étouffer la révolution en Europe orientale. (…)

En Hongrie, au début du mois de juillet 1953, Malenkov lui-même « conseilla » à Rakosi de se retirer pour un certain temps à l’arrière-plan de la scène politique. Imre Nagy, qui avait été ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de 1944, ministre de l’Intérieur en 1946, et qui avait, d’une manière ou d’une autre, survécu aux différentes purges, devint premier ministre. Son discours traça les grandes lignes du nouveau programme. (…) Il fallait accorder plus d’intérêt à l’industrie légère et aux biens de consommation. (…) Une ferme collective pouvait être dissoute sur un vote de la majorité de ses membres. Les tribunaux d’exception devaient être abolis. (…) De nombreux prisonniers politiques furent remis en liberté. (…)

Objectivement, les concessions de Nagy avaient été relativement minces. Mais, pour le Kremlin, il allait encore trop vite. Le 18 avril 1955, l’Assemblée Nationale décida par un vote « unanime » de relever Nagy de sa fonction. Le peuple hongrois se raidit en voyant Rakosi revenir à l’avant-plan. (…) La plupart des concessions accordées au cours des vingt mois qu’avait duré le gouvernement Nagy furent dès lors soumises à la « tactique du salami » et furent petit à petit retirées. (…) Après la clémence relative du régime de Nagy, le brusque retour à l’heure de 1953 provoqua une résistance de la classe ouvrière plus intense que jamais. Des mesures toujours plus sévères furent nécessaires pour « discipliner » les masses. (…)

Au 20e Congrès du Parti Communiste russe qui se tint en février 1956, les « révélations » de Krouchtchev sur Staline provoquèrent un tremblement de terre politique. Les fondations des partis communistes du monde entier en furent ébranlées. (…) Krouchtchev était-il au courant du ferment qui allait grandissant en Pologne et en Hongrie, avant même le 20e Congrès ? Savait-il que ce ferment affectait même le parti communiste polonais ? Comprenait-il le danger potentiel que cela représentait, tant pour son propre régime que pour celui des satellites ?

Toujours est-il qu’en Pologne, au matin du 28 juin 1956, les ouvriers de la fabrique de locomotives Zispo, à Poznan, se mirent en grève et descendirent dans la rue. Ce n’était pas sur un coup de tête. Plusieurs semaines auparavant, un comité avait été élu, qui avait présenté un cahier de revendications à la direction. Certaines de ces revendications étaient prévisibles : augmentation des salaires, diminution des prix, abaissement des cadences dans le travail à la production. Mais la direction s’effraya quand ces « simples ouvriers » critiquèrent la manière dont l’usine était gérée et quand ils exigèrent une organisation différente du travail dans les divers ateliers. (…) Les négociations traînèrent en longueur, sans donner le moindre résultat. A la fin, les ouvriers démasquèrent le procédé et, par milliers, envahirent les rues de la ville. Au fur et à mesure que la nouvelle se répandait, les travailleurs des autres entreprises se réunissaient, discutaient et votaient pour se joindre au mouvement. Le caractère politique des manifestations se révéla alors. Les pancartes portées dans les défilés réclamaient des choses comme « Pain et liberté », « les Russes dehors », « Abolition du travail aux pièces », etc.
D’autres gens, se mettant sous la direction des ouvriers, se joignirent à eux. Les manifestations de Poznan prirent bientôt la physionomie d’une insurrection à grande échelle. Les chars et les troupes russes entourèrent la ville, mais n’y entrèrent pas. Le gouvernement fit plutôt intervenir les chars polonais. (…) le sang des travailleurs coula dans les rues. Deux jours plus tard, la révolte était écrasée. (…) Il y eut des grèves de solidarité dans plusieurs autres villes, mais elles furent rapidement isolées et n’atteignirent pas les proportions du mouvement de Poznan.

Frappée et désarçonnée, la bureaucratie polonaise accusa des « provocateurs » et des « agents secrets à la solde des Etats-Unis et de l’Allemagne de l’Ouest » d’être à l’origine de la révolte. Mais, le 18 juillet, au cours d’une réunion du Comité Central du parti, le premier secrétaire Edward Ochab déclara : « Il est nécessaire de rechercher avant tout les causes sociales de ces incidents qui sont, pour notre Parti tout entier, un signal d’alarme qui témoigne d’une sérieuse perturbation dans les relations entre le Parti et les différents secteurs de la classe ouvrière. » (…)

Gomulka, excommunié et emprisonné en 1951, sous résidence surveillée depuis 1954, fut réintégré dans le parti. (…) Le 21 octobre, le Politburo polonais fut élu et, comme prévu, Gomulka devint le premier secrétaire du parti. Des remaniements durent immédiatement opérés dans le gouvernement, l’armée et le parti. Rokossovki donna sa démission et retourna à Moscou où il obtint sur le champ le poste de ministre de la Défense.

Gomulka n’avait triomphé que tant qu’il représentait les aspirations du peuple polonais. La base de son pouvoir était en fait extrêmement fragile. Les intérêts qu’il représentait étaient ceux de la bureaucratie polonaise. Tout en suivant l’action indépendante des travailleurs polonais et leur exigence incessante d’une plus grande participation dans la conduite de leur propres affaires, la base de la bureaucratie – même purgée des es éléments pro-russes – demeurait faible et instable. (…) En échange d’une restitution partielle de ses propriétés confisquées, l’Eglise mit son influence au service de Gomulka.
A partir du printemps 1956, l’escalade rapide de la tension en Pologne fut accompagnée d’un développement similaire en Hongrie. (…) En avril 1956, le « Cercle Petôfi » fur fondé par les Jeunesses communistes (principalement des étudiants). (…) Le gouvernement Rakosi interdit alors ces réunions, ce qui ne fit qu’empirer les choses. L’interdiction fut bien vite levée. (…) Bientôt, les réunions du Cercle Petôfi attirèrent des milliers de personnes. (…)

Rakosi, qui était à Moscou, revint subitement à Budapest. (…) Il dressa une liste des noms les plus connus parmi les politiciens et les écrivains. Mais, avant que la première phase (les arrestations) ne fut mise en train, les Russes expliquèrent à Rakosi que son projet serait l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres d’une situation déjà explosive. (…) Les Hongrois apprirent la démission de Rakosi le 18 juillet. Ils apprirent en même temps que Janos Kadar et le social-démocrate György Marosan, récemment réhabilités, avaient été nommés membres du Politburo. C’étaient les premières des quelques concessions mineures qui furent accordées pendant le mois d’août, dans cette situation tumultueuse, ces concessions devaient se révéler insignifiantes et même tout à fait inadéquates. Les souffrances des travailleurs avaient été trop longues et trop dures pour qu’ils se fassent des illusions sur des modifications au niveau de la classe dirigeante ou pour qu’ils se laissent acheter par quelques sous de plus dans leur enveloppe de paie. (…)

Le cercle Petôfi était devenu, bien que pas tout à fait consciemment, le porte-parole des désirs du peuple travailleur de Hongrie. (…)

Le groupe dirigeant, qui se sentait plus que jamais hors du coup, essaya de s’attirer les sympathies en organisant des funérailles pompeuses pour Laszlo Rajk. Nombre de ceux qui avaient mis en scène son procès et son exécution en tant que « titiste-fasciste » déploraient maintenant avec indignation la « diffamation » du camarade Rajk qui avait été « condamné et exécuté bien qu’innocent ». (…) Plus de 200.000 personnes assistèrent à ces funérailles, et à ce moment-là, les dirigeants ne virent pas clair ; ils ne comprirent pas que la demande d’une réhabilitation de Rajk était tout à fait symbolique, car le peuple n’avait pas oublié la brutalité de la police secrète de Rajk. (…)

Pendant le mois de septembre et le début d’octobre, les travailleurs étaient devenus actifs. Ils réclamaient une « autogestion ouvrière effective » dans les usines. (…) Le noyau de cette remarquable conscience politique des ouvriers se trouvait dans la zone industrielle très dense de l’île de Csepel (au sud de la ville, sur le Danube, entre Buda et Pest, surnommée Csepel-la-rouge). (…)

Le cercle Petôfi fit siennes les revendications des travailleurs, mais ses membres ne se rendaient pas encore compte de leurs implications révolutionnaires. (…) Le Cercle Petôfi appela à manifester en masse le 23 octobre, « pour exprimer notre profonde sympathie et notre solidarité à l’égard de nos frères polonais » dans leur lutte pour la liberté. (…) Une foule de plusieurs milliers de personnes s’était rassemblée sous la statue de Petôfi et rejoignait maintenant la manifestation. (…) Un petit nombre de travailleurs avaient quitté leur travail pour l’occasion, assez conscients et décidés. (…) La manifestation était terminée. Pour quelque raison inconnue, les gens se dirigèrent vers la place Kossuth Lajos, où se trouve le Parlement. (…) La foule devait maintenant approcher les 100.000 personnes. (…) peut-être pensaient-ils à ce que Gerö venait de dire : « la manifestation des étudiants avait été une tentative de détruire la démocratie … Les intellectuels avaient accumulé les calomnies contre l’Union soviétique… » Tout cela était un mensonge éhonté. (…) Quand cette masse compacte parcourut les rues, plusieurs autres milliers de personnes s’y joignirent, pour la plupart des ouvriers qui rentraient chez eux après le travail. (…) Un groupe de manifestants décida de se rendre aux abords du grand parc municipal de Budapest où se trouvait l’Homme d’acier, une statue de Staline qui faisait huit mètres de haut. (…) Ils mirent la corde au cou de « Staline ». Des centaines de mains impatientes saisirent la corde. (…) Une délégation se rendit à la Radio, rue Brody Sandor, suivie de 100.000 personnes, pour exiger que leurs revendications soient diffusées. (…) La décision spontanée des manifestants de se rendre à la Maison de la Radio sensibilisait particulièrement les travailleurs. (…) Les premiers rangs étaient maintenant tout contre le cordon des A.V.O. (…) Le mitrailleuses firent feu. (…) La révolution hongroise avait commencé. (…) Ceux qui, un peu plus tôt, avaient quitté les fabriques d’armes y retournèrent. Leurs camarades des équipes de nuit les aidèrent à charger des camions d’armes réquisitionnées pour la cause : revolvers, fusils, fusils mitrailleurs et munitions. Puis, de nombreux ouvriers des équipes de nuit quittèrent les usines et se rendirent rue Brody Sandor pour aider à distribuer les armes et pour se joindre à la foule, dont le nombre ne cessait d’augmenter. De nombreux policiers remirent leurs armes aux ouvriers et aux étudiants, puis se tinrent à l’écart ; quelques-uns se joignirent même à la manifestation. (…)

Pendant que les combats se poursuivaient dans la rue Brody Sandor et que l’on s’efforçait de prendre possession de la Maison de la Radio, des milliers de travailleurs et d’étudiants formaient de groupes dans les rues environnantes. Ces groupes s’éparpillèrent dans la ville pour établir des barrages de contrôle et occuper quelques-unes des places principales. (…) Il faut bien souligner que, si la situation avait atteint à ce moment-là les dimensions d’une insurrection armée, elle n’avait aucunement été projetée ou organisée. (…)

Durant les premières heures du mercredi 24 octobre, ouvriers et étudiants mouraient dans les rues pour la liberté suprême, de décider comment faire fonctionner la société. Entre temps, les dirigeants manoeuvraient en coulisse. (…) Gerö invita Nagy à le remplacer (…) A 7H30 du matin, la radio fit mention de Nagy comme « président du conseil des ministres », le terme officiel pour désigner le premier ministre. (…) A 8H du matin, on annonça la décision (…) du gouvernement de demander l’aide des unités militaires russes en garnison en Hongrie. (…)

Imre Nagy était sans doute le premier ministre du gouvernement qui fit appel aux troupes russes. (…) Malgré cela, les intellectuels croyaient encore en lui. L’une des causes principales de leur naïveté était leur manque de contact avec les ouvriers. Il y avait, dans une certaine mesure, une gêne et une suspicion réciproques entre ces deux classes sociales. Mais l’action, la révolte proprement dite, les avait réunis comme rien d’autre n’aurait pu le faire. Ce sont les travailleurs qui, le matin du mercredi 24 octobre, sauvèrent la lutte d’une défaite totale. Ils considéraient en effet que l’alternative Nagy était à côté de la question. Dans la société qu’ils entrevoyaient (…) il n’y avait de place ni pour un premier ministre, ni pour un gouvernement de politiciens professionnels, ni pour des fonctionnaires ou des patrons qui leur donnent des ordres. La décision de Nagy de faire intervenir les chars russes ne fit que renforcer le moral et la résolution des travailleurs. Ils étaient maintenant plus que jamais décidés à combattre jusqu’au bout quel que fût le résultat.
Des milliers de gens avaient passé les premières heures du mercredi dans les rues ou dans les meetings. Un conseil révolutionnaire de travailleurs et d’étudiants fut constitué à Budapest et siégea en permanence. Et, pendant ce temps, Radio-Budapest continuait à déverser les mensonges : « La révolte est sur le point de s’effondrer, des milliers de rebelles se sont rendus aux autorités ; ceux qui ne se rendent pas seront sévèrement châtiés. « (…)

A 8H30, à Budapest, la nouvelle courait que des ouvriers avaient déjà été engagés dans des combats avec des chars russes. (…) Juste après 9 heures, Nagy fit à la radio une déclaration où, personnellement, en tant que premier ministre, il demandait que l’on mette fin aux combats et que l’on rétablisse l’ordre. (…)

Les chars russes avaient commencé à entrer dans la ville par différents points pendant la matinée du 24 octobre. Certaines unités furent immédiatement attaquées par les ouvriers et les étudiants. D’autres ne furent attaquées qu’après avoir occupé des positions stratégiques et ouvert le feu. (…) A présent la bataille faisait rage dans tout Budapest. (…) Les tanks de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, les « tanks ouvriers » tiraient des « obus ouvriers » qui déchiquetaient les corps des ouvriers hongrois. (…) Avant la fin de la semaine, ces quelques milliers d’étudiants et d’ouvriers avaient mis quelques trente chars russes hors de combat. (…) Pendant les accalmies, ils s’asseyaient et fumaient une cigarette en causant boutique – c’est-à-dire de la révolution qui était leur affaire. (…)

La caserne Kilia était sous le contrôle d’une unité de l’armée hongroise sous les ordres du colonel Pal Maléter, qui s’était mis au côté du peuple. Les hommes de Maléter étaient estimés par un grand nombre de travailleurs et d’étudiants. (…) Parallèlement, on assistait à l’extension de la grève générale.

La grève commença le matin du mercredi 24. Elle se propagea rapidement dans les usines de la banlieue industrielle de Budapest, à Csepel, aux usines Ganz, Lancz, Etoile Rouge ; elle s’étendit ensuite aux autres centres industriels du pays : Miskols, Gyor, Szolnok, Pécs, Debrecen. A Budapest, la quasi-totalité de la population s’était insurgée. Dans les régions industrielles, par contre, la révolution était presque exclusivement le fait des ouvriers. Partout, les travailleurs formaient des conseils : dans les usines, les aciéries, les centrales électriques, les mines, les dépôts de chemin de fer. Partout, ils discutaient à fond leurs programmes et leurs revendications. Partout, ils prenaient les armes et, en bien des endroits, ils s’en servaient. (…) Il y avait à présent des centaines de Conseils Ouvriers de par le pays. Le nombre des membres de ces conseils variait considérablement de même d’ailleurs que leurs programmes. Cependant, dans tous ces programmes, on retrouvait certaines exigences communes : abolition de l’A.V.O., retrait total des forces russes, liberté civile et politique, gestion ouvrière des usines et des industries, création de syndicats indépendants, liberté absolue pour tous les partis politiques et amnistie générale pour tous les insurgés. Les divers programmes demandaient aussi l’augmentation des salaires et des pensions (…)

Le jeudi 25 octobre, les Conseils avaient déjà commencé à établir des liens entre eux. Dans les villes, des Conseils Centraux (généralement connus sous le nom de Conseils Révolutionnaires) étaient composés de délégués de tous les conseils de la région. (…) A la fin de la journée, les Conseils détenaient, en dehors de l’Armée Rouge, le seul pouvoir réel dans le pays. (…) Ce jeudi 25 marqua une sorte de tournant. Il sembla que le gouvernement était en train de céder. (…) Le conseil de Miscolsc n’était pas opposé à Nagy, mais au contraire il proposa qu’il soit le premier ministre. Mais cela ne l’empêcha pas de faire exactement le contraire de ce que voulait Nagy quand celui-ci supplia les rebelles de déposer les armes et de reprendre le travail. (…) A la fin de la semaine, les Conseils avaient pratiquement mis sur pied une république des conseils. (…)

Nagy prit à nouveau la parole à Radio-Budapest (toutes les autres stations de radio du pays – Miskolc, Gyor, Pécs, Szeged, Debrecen et Magyarovar – étaient désormais sous le contrôle des Conseils Révolutionnaires). Il annonça des concessions : l’A.V.O. serait dissoute et le gouvernement « réorganisé ». Il promit un cessez-le-feu (…). A la fin de la semaine, beaucoup de gens commençaient à penser que la révolution était victorieuse. Les chars russes n’attaquaient plus, et le bruit courait qu’ils allaient peut-être quitter Budapest. Et pourtant les travailleurs se défiaient toujours de Nagy. (…) Le lundi 29 octobre, les délégués de tous les Conseils du pays, réunis à Gyor, adressèrent à Nagy une résolution énergique qui réaffirmait leurs revendications. Ce message prenait presque la valeur d’un ultimatum.

Le mardi matin, très tôt, Radio-Budapest confirma que l’Armée Rouge allait se retirer. (…) Les unités de l’Armée Rouge commencèrent à quitter Budapest à 16 heures. Mais les travailleurs restaient méfiants. A Gyor, les délégués des Conseils proclamèrent immédiatement qu’il fallait continuer et renforcer la grève générale jusqu’à ce que le dernier soldat russe ait quitté le pays. (Il y avait déjà eu une reprise du travail dans quelques usines). On n’envisagerait l’éventualité d’une reprise du travail que lorsque les négociations sur les autres revendications seraient entamées. (…) Dans certains quartiers de Budapest et dans le reste du pays, les travailleurs restèrent en armes et attachés à leurs organisations. On se trouvait en face d’une situation classique de « double pouvoir ». (…)

L’Armée Rouge ne s’était retirée de Budapest que pour occuper des positions à l’extérieur de la ville. Celle-ci était encerclée par les chars russes. Au moment, des troupes soviétiques fraîches pénétraient par divisions entières dans la partie nord-est du pays. (…) Cent-dix kilomètres seulement les séparait encore de Budapest. Dès que les Conseils Révolutionnaires, les Conseils Ouvriers et les autres organismes autonomes du nord-est de la Hongrie apprirent ces mouvements des troupes russes, ils en informèrent les autres Conseils du pays. Ils adressèrent plusieurs ultimatums à Nagy (…)

Le soir du 1er novembre, la délégation du gouvernement (qui comprenait Pal Maléter, le communiste estimé de tous (…) qui était maintenant ministre de la Défense, ainsi que son chef d’Etat-Major, le général Istvan Kovacs) était toujours en train de négocier le retrait de l’Armée Rouge (…).

Le samedi 3 novembre, à 14H18, Radio-Budapest annonça : « La délégation soviétique a promis que les trains transportant des troupes ne passeront plus la frontière hongroise. » (…) Plusieurs membres du dernier cabinet de Nagy étaient persuadés que les Russes n’attaqueraient pas. (…) Les ouvriers ne partageaient pas cet optimisme. La grève générale était maintenant totale. Les ouvriers contrôlaient vraiment la situation. (…) Peu avant minuit, le colonel Pal Maléter et le général Kovacs furent arrêtés par les officiers de l’Armée Rouge, alors qu’ils participaient encore officiellement aux « négociations ». (…)

Le dimanche 4 novembre, à quatre heures du matin, Budapest fut réveillée par l’explosion des obus qui tombaient sur le centre de la ville. Des centaines de canons postés sur les hauteurs de Buda ouvraient le feu. (…) L’attaque fut menée simultanément dans tout le pays. Toutes les grandes villes furent pilonnées par l’artillerie. Mais les habitants ne se laissèrent pas prendre de panique. (…) Dès le premier coup de feu, ils furent galvanisés et prêts à l’action. (…) les barricades furent reconstruites (…) Les chars furent immédiatement attaqués par la population. (…) Les mêmes scènes se déroulèrent dans les autres grandes villes de Hongrie. Partout, les gens combattaient avec plus de courage et dans des conditions bien plus difficiles que dix jours auparavant. Il y avait en effet maintenant dans le pays quinze divisions blindées russes – six mille chars. (…)

Malgré un bombardement intense, tous les arrondissements ouvriers de Budapest – Cespel-la-Rouge, Ujpest, Kobainya – et Denapentele étaient toujours aux mains des travailleurs. (…) Les nouvelles troupes russes ne faisaient pas de sentiment à l’égard des Hongrois ; elles avaient été convenablement endoctrinées : les rebelles étaient des « fascistes » et des « capitalistes bourgeois ». (…)

A ce stade, Janos Kadar (…) constitua ce qu’il appela un nouveau « Gouvernement des Ouvriers et des Paysans ». Ce gouvernement fit immédiatement une déclaration demandant au gouvernement russe « une aide pour liquider les forces contre-révolutionnaires et rétablir l’ordre. » (…)

La résistance armée à grande échelle prit fin le samedi 10 novembre. Des dizaines de chars russes hors de combat se trouvaient éparpillés dans tout Budapest. Dans les villes, la résistance armée organisée par les groupes de travailleurs et de jeunes prit fin le 14 novembre. (…) Et les Hongrois n’étaient toujours pas vaincus. Les Conseils ouvriers se renforcèrent. Ils proclamèrent leurs revendications demeuraient inchangées. (…) Le vendredi 16 novembre, Kadar fut contraint d’entamer des négociations avec les conseils. Les délégués de certains conseils acceptèrent de demander aux travailleurs de reprendre le travail. A condition qu’un certain nombre de leurs revendications soient satisfaites immédiatement (…)

Le Conseil Ouvrier Central de Budapest devait se réunir au Stade National le 21 novembre. (…) Les tanks russes bloquèrent les rues qui mènent au Stade National. (…) De nombreux membres importants des comités de base furent arrêtés. (…) Le 7 décembre, on tire sur des manifestants dans les villes industrielles. Les arrestations en masse parmi la base des Conseils Ouvriers se poursuivent. (…) Le 8 décembre, 10.000 personnes manifestent contre l’arrestation de deux membres du Conseil ouvrier de la ville de Salgoiarjan. …Etc…

9 décembre Manifestations à Budapest …

11 décembre dans la ville d’Eger, des manifestants libèrent de force des membres emprisonnés du Conseil Ouvrier.

12 décembre, à Eger, la police tire sur une foule importante de manifestants …

Des tracts et des affiches révolutionnaires sont imprimés et distribués…

Grève générale de deux jours massivement suivie…

15 décembre La peine de mort pour fait de grève est remise en vigueur.

26 décembre György Marosan, social-démocrate et ministre dans le gouvernement Kadar, déclare que si c’est nécessaire le gouvernement mettra à mort 10.000 personnes pour prouver que c’est lui le vrai gouvernement, et non les Conseils Ouvriers. (…)

Au début de janvier 1957, les membres des conseils qui n’avaient pas encore été arrêtés commencèrent à démissionner. (…)

Le massacre des Hongrois, la destruction des organisations qu’ils avaient construites pendant la brève période de liberté et la totale reprise en mains de tous les aspects de leur vie par la bureaucratie marqua la fin d’une époque : l’ère pendant laquelle les bureaucrates russes avaient partiellement réussi à se faire passer pour les défenseurs du socialisme et les champions de la classe ouvrière. »



Extraits de « l’Humanité », quotidien du Parti Communiste Français, du 25 octobre 1956 :

« Les difficultés inévitables n’ont pas manqué dans les pays de démocratie populaire, spécialement en Pologne et en Hongrie. Ces deux pays ont été ravagés, pillés pendant les années de guerre. Les destructions ont été incommensurablement, infiniment plus élevées que dans notre propre pays. Par ailleurs, les longues années de guerre froide ont obligé ces pays à un lourd mais nécessaire effort de défense. Tout révolutionnaire comprend cela, ce qu’il en découlait des conditions de vie parfois difficiles pour les travailleurs. (…) Les forces réactionnaires hostiles au socialisme, misant sur l’ensemble de ces éléments brièvement énumérés depuis le début de cet article, ont pensé que l’occasion était venue de passer à l’attaque en profitant de la volonté affirmée de tous les Partis Communistes et Ouvriers de corriger les erreurs commises dans le passé et dans des domaines divers. (…) Les dirigeants hongrois, par exemple, ont qualifié à juste titre de « groupes contre-révolutionnaires » les éléments qui ont provoqué les troubles d’hier à Budapest. (…) Les travailleurs de France approuveront toujours les mesures prises dans les pays qui construisent le socialisme pour sauvegarder et consolider les conquêtes révolutionnaires contre les forces hostiles à la société nouvelle. » Signé : Marcel Servin

Extraits de la déclaration du Bureau Politique du Parti Communiste Français du 4 novembre 1956 :

« Après deux semaines de confusion politique, la cause du socialisme triomphe en Hongrie. (…) Barrant la route à ceux qui furent les alliés de Hitler, aux représentants de la réaction et du Vatican que le traître Nagy avait installés au gouvernement, la classe ouvrière hongroise dans un sursaut énergique a formé un gouvernement ouvrier et paysan qui a pris en main les affaires du pays. (…) Le Parti Communiste Français approuve pleinement la conduite du gouvernement ouvrier de Hongrie. (…) Face à l’offensive acharnée et bestiale des fascistes, des féodaux et de leurs alliés les princes de l’Eglise pour restaurer en Hongrie le régime terroriste de Horthy, il eût été inconcevable que l’armée des ouvriers et des paysans de l’URSS ne répondit pas à l’appel qui lui était adressé alors que les meilleurs fils de la classe ouvrière hongroise étaient massacrés, pendus, ignoblement torturés. (…) »

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