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Révolutions de la Grèce antique

mercredi 23 janvier 2013, par Robert Paris

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  • Annie Schnapp-Gourbeillon, Aux Origines de la Grèce (xiiie-e siècles avant notre ère). La genèse du politique, Paris, Les Belles Lettres, 2002, 325 p.

    15 « Aux origines de la Grèce » y aurait-il autre chose qu’un « trou noir », béance du savoir, le nôtre, mais aussi noirceur de l’époque, entre la fin du xiiie et le début du viiie siècle avant notre ère ? De ces siècles obscurs (Anthony Snodgrass, The Dark Ages of Greece, Edimbourg, 1971), laminés par une dépopulation globale, on ne retient souvent que « l’avant », soudain disparu, le monde mycénien avec ses forteresses et ses tablettes inscrites en linéaire B, une écriture syllabique pour une langue qui est déjà du grec, et « l’après », le monde de la polis dont la « naissance » est identifiée par l’adoption de l’écriture alphabétique, la colonisation et la révolution de l’armement qui épaulerait la révolution de l’isonomie, partage égal du pouvoir et/ou égalité devant la loi.

    16 Spécialiste d’Homère et de l’archéologie de ces siècles dits « obscurs », l’auteur confronte les explications générales, souvent globalisantes, de ces ruptures fondamentales (en réalité surtout de la première) ainsi que de cet incroyable saut dans le vide que constituent ces quatre siècles, avec les résultats des recherches menées ces trente dernières années notamment par les archéologues. La part qui leur revient est évidemment énorme pour une période dénuée de sources écrites et l’ouvrage témoigne de l’intérêt à concilier une ambitieuse lecture historique avec une connaissance précise des sites et des méthodes d’analyses des fouilles. Le matériau accumulé, considérablement renouvelé, permet à Annie Schnapp de défendre avec la même hardiesse que celle qu’elle admirait chez son maître Henri Van Effenterre (La cité grecque et la défaite de Marathon, Paris, 1985), la thèse d’une émergence très ancienne de la polis archaïque et donc d’une continuité, culturelle, des Mycéniens aux Grecs dits « historiques ».

    17 La rupture fondamentale, celle de la chute des palais, entre 1300 et 1220 environ, est reconsidérée au vu de la géographie des destructions : les sites non palatiaux semblent intouchés ce qui plaide en faveur d’une transformation ciblée du mode de vie mycénien, celui de l’organisation palatiale. L’auteur tente alors une interprétation qui ne peut rester qu’hypothétique, celle d’un affranchissement de nobles guerriers d’abord enrôlés par les rois mycéniens, qui, se retournant contre leurs anciens maîtres, auraient constitué des micropouvoirs, structurellement en conflit car appuyés sur des armées de mercenaires. Cette interprétation permettrait de rendre compte de la transformation majeure observée par les archéologues, celle du régionalisme qui s’affirme au détriment de l’homogénéité de la koinè mycénienne. Comme Snodgrass naguère, A. Schnapp rejette donc l’historicité des prétendus envahisseurs doriens qui seraient venus en hordes déferler sur la civilisation mycénienne et ruiner pour plusieurs siècles la péninsule balkanique. Une lecture contextuelle des mythes postérieurs (rédigés à partir du viie siècle) lui permet de lire avec une certaine vraisemblance le mythe des conquérants doriens comme une construction idéologique des viiie-viie siècles, propre à Sparte et plus particulièrement à la dynastie dite des Héraclides, à ses besoins de légitimation territoriale, et à l’affirmation de sa spécificité politique face notamment à Athènes qui développe alors le mythe de son autochtonie. Les Âges obscurs, issus de la transformation interne et progressive (sur cinquante à cent ans) du monde mycénien, seraient donc l’œuvre des Mycéniens eux-mêmes, seulement « transformés » par leur propre histoire. Dès lors la continuité culturelle, repérée malgré de nombreuses difficultés d’interprétation, dans l’examen des sanctuaires, est tout à fait plausible. Divers éléments plaident en faveur d’une continuité cultuelle entre l’époque mycénienne et celle de la cité, notamment les pratiques rituelles et, parmi elles, le mode de partage des viandes. D’autres éléments apparaissent plus tardivement, comme la pratique du dépôt d’offrandes puis l’édification de temples construits (à la fin du ixe siècle). Plus étonnant, les travaux des archéologues de « l’école de Cambridge », notamment ceux de Catherine Morgan dans le sanctuaire d’Isthmia à côté de Corinthe, incitent à reculer la date d’apparition des lieux de culte. Les sanctuaires, qui servent grâce à leur position de carrefour, à organiser des rassemblements régionaux, sont liés à l’émergence de la forme politique de la polis. Leur apparition, entre le xiie et le xie siècle, témoignerait que, dès cette époque, s’opérait un investissement communautaire de l’espace, mouvement inséparable, dit-elle, de la souveraineté politique. Faudrait-il désormais dater la « naissance » de la polis des xiie-xie siècles ? Le titre de l’ouvrage le suggère : la « genèse du politique » se situe aux « origines », dans ces siècles malheureusement peu bavards. Et pour A. Schnapp la question de l’« invention » de l’alphabet est révélatrice des fausses nouveautés attribuées au viiie siècle, siècle qui constitue la seconde « rupture » traditionnelle qu’elle s’attache à critiquer. L’écriture alphabétique, voilà une révolution intellectuelle dont on ne peut nier la radicale originalité, mais qui trouve, semble-t-il, ses racines dans les Âges obscurs. D’abord parce que l’on peut supposer, avec un certain bon sens, que les premiers écrits ont été réalisés sur des supports mous et périssables, ce qui ferait remonter en amont la date de l’usage de l’écriture (ixe, voire fin xe siècle), ensuite parce que cette innovation sert, avant tout, à fixer les éléments d’une culture proprement liée à cette période : celle des seigneurs de la guerre, compagnons d’armes, de chasse et de banquets. La géniale invention d’Homère, à la fin du ixe ou au début du viiie siècle, aurait été justement d’adapter l’alphabet, d’origine phénicienne, aux besoins de l’épopée, afin de transcrire sa propre version de la Guerre de Troie et des Retours des guerriers, ceci à partir de la matière épique transmise par la tradition orale.

    L’hypothèse d’une continuité culturelle entre le monde mycénien et celui de la cité, autorisée par la réelle continuité archéologique des sites et des pratiques relevées sur ces sites, aboutit à rendre moins nets les contours de la polis naissante.

  • La réalité est partout la même : un accaparement de nombreuses et meilleures terres par l’aristocratie et les riches, un accroissement de l’esclavage.

    Dans le même temps, artisans et marchands représentent une part de plus en plus importante de la population urbaine. Pour l’exploitation minière comme dans le travail agricole et artisanal, l’emploi d’esclaves pris en Thrace ou en Asie mineure se développe.

    A partir du milieu du 7ème siècle, de nombreux mouvements sociaux, de fréquentes révolutions éclatent dans les villes grecques, particulièrement les plus prospères grâce au développement d’une économie marchande. Ceci dit, la base sociale générale de ces luttes, c’est la petite paysannerie libre.

    En 658, à Corinthe, la plus riche des polis archaïque, Kypsélos chasse le roi Patrocleidès (membre de l’aristocratie des Bacchiades). Il bénéficie pour cela d’un large soutien populaire parmi les paysans pauvres endettés mais aussi de petits artisans et commerçants.

    Il prend le titre de roi mais gouverne en faveur des couches populaires, met en place un embryon d’Etat avec une sorte d’impôt sur le revenu d’environ 10%, crée une monnaie corinthienne et fonde des colonies comptoirs commerciaux dans l’Adriatique (Leucate, Anactorion et Ambracie). Les auteurs anciens tiennent Kypsélos pour des meilleurs et des plus sages dirigeants politiques de la Grèce.

    Périandre, son fils qui lui succède en 627, a laissé un souvenir plus contrasté ; s’appuyant sur la plèbe, il casse toute velléité nobiliaire de reprendre le pouvoir et accentue la politique anti-aristocratique ; ses décisions comme l’interdiction d’acquérir un esclave et des mesures contre la prostitution laissent place à bien des supputations. De 658 à 585, Corinthe connaît une période florissante marquée en particulier par le développement de son commerce et de ses colonies.

    Sicyone (près de Corinthe, dans une riche vallée) connaît également son apogée durant la période des "tyrans" s’appuyant sur le peuple.

    Le premier d’entre eux se nomme Orthagoras, un chef militaire d’origine humble d’après les textes.

    Le plus connu de ses dirigeants fut Clisthène de Sycione (au pouvoir de 601 à 570) qui résolut la crise agraire en partageant les terres entre les paysans et adopta une orientation plus favorable au peuple qu’Orthagoras qu’il renversa. Les écrivains grecs nous ont fourni d’autant plus d’informations sur ce Clysthène de Sycione qu’il est le grand-père de Clisthène l’Athénien (initiateur du régime démocratique de cette grande cité) et l’arrière grand père de Périclès, encore plus connu. Il s’est peut-être appuyé sur des populations d’origine locale opprimées par les conquérants doriens. Sa révolution politique s’accompagna d’une révolution culturelle rejetant l’ancienne religion et lui substituant celle d’un dieu maudit : Dyonisos. Il mena par ailleurs une guerre politique, psychologique et parfois militaire contre la ville d’Argos qui avait des prétentions hégémoniques dans ce secteur de la Grèce. Nous savons par Hérodote que les jeunes nobles de toutes les cités "fiers d’eux-mêmes et de leur patrie se présentèrent comme prétendants".

    Athènes connaît, comme les autres, de graves problèmes sociaux durant la seconde moitié du VIIème siècle et début du VIème. Ils prennent particulièrement la forme d’une crise agraire car la grande majorité des paysans a un statut de demi-serf, symbolisé par des bornes territoriales et doit remettre une partie importante de la récolte aux mains des puissants de la cité, grands propriétaires. L’esclavage pour dette les guette en permanence.

    Les réformes importantes surviennent généralement durant les périodes révolutionnaires car les classes dominantes essaient ainsi d’éviter une confrontation plus dure.

    Solon, archonte de la ville et premier dirigeant politique athénien à s’être attaqué aux inégalités du monde agricole, est passé à la postérité. Il supprima l’esclavage pour dettes et fit disparaître toutes les bornes qui concrétisaient l’état de dépendance des agriculteurs vis à vis de leurs maîtres. Ceci dit, il ne peut être classé parmi les tyrans car il ne procéda à aucun partage de terre, ne toucha pas au vote censitaire qui maintenait la propriété du pouvoir politique au sein des classes riches, n’ouvrit même pas les magistratures aux nouvelles classes sociales issues du développement économique (artisans, commerçants...). Il ne fait pas de doute que Solon essaya de trouver un compromis viable mais mécontenta ainsi les riches furieux de perdre des privilèges et les pauvres qui restaient pauvres et marginalisés politiquement.

    D’ailleurs, de -582 à -580, Athènes connut une période caractérisée dans les textes contemporains d’anarchiai, période si troublée, si tendue, qu’aucune élection ne put être organisée.

    Or, cette paysannerie constitue le coeur de la mutation militaire en cours. La guerre de l’époque archaïque valorisait le noble combattant à cheval ou sur son char. A présent, le soldat type est un hoplite armé d’un bouclier et d’une lance, portant une cuirasse, intégré dans une cohorte. Les nombreux petits paysans armés en hoplite deviennent le facteur décisif des batailles.

    Des écrits nous apprennent que fréquemment, des chefs militaires de ces cohortes, avancent des programmes égalitaires pour résoudre la crise agraire puis se font porter au pouvoir à la tête du peuple.

    Jacques Serieys

  • Aristote montre dans « Constitution des Athéniens » que la constitution réformatrice de Solon n’a été acceptée des classes possédantes que sous la pression révolutionnaire :

    « Tout citoyen victime d’une injustice de la part d’un magistrat avait le droit de déposer une accusation devant l’Aréopage, en produisant la loi violée à son détriment. Mais, comme on l’a dit, les pauvres étaient soumis à la contrainte par corps pour dettes, et la terre était toujours entre les mains d’un petit nombre d’hommes. Un pareil régime et l’asservissement de la multitude au petit nombre soulevèrent le peuple contre les nobles. La lutte fut acharnée et les deux partis étaient depuis longtemps debout l’un contre l’autre, quand ils s’entendirent pour prendre Solon comme conciliateur et l’élire archonte… Devenu maître du pouvoir, Solon affranchit le peuple, en défendant que dans le présent et à l’avenir la personne du débiteur servît de gage. Il donna des lois et abolit toutes les dettes, tant privées que publiques. C’est la réforme qu’on appelle la délivrance du fardeau (seis‹xyeia), par allusion à la charge qu’ils avaient comme rejetée de leurs épaules. On a essayé d’attaquer Solon à ce sujet. Au moment en effet où il projetait l’abolition des dettes, il lui arriva d’en parler à l’avance à quelques-uns des nobles, et ses amis, selon la version des démocrates, firent, à l’encontre de ses projets, une manœuvre, dont il aurait aussi profité, ajoutent ceux qui le veulent calomnier. Ils s’entendirent pour emprunter de l’argent et acheter beaucoup de terre, et l’abolition des dettes survenant presque aussitôt, ils firent fortune. Ce fut, dit-on, l’origine de ces fortunes que dans la suite on fit remonter à une si haute antiquité… Dans toute la constitution de Solon, trois mesures semblent avoir été particulièrement favorables aux progrès de la démocratie : d’abord et surtout, l’abolition de la contrainte par corps pour dettes ; ensuite, la faculté donnée à chaque citoyen de poursuivre les auteurs des injustices commises au détriment de qui que ce fût ; enfin le droit d’en appeler au tribunal. Ce fut, dit-on, ce qui donna dans la suite tant de puissance au peuple ; car, rendre le peuple maître du vote, c’est mettre toute la constitution à sa merci. »

  • Aristote, Théorie générale des révolutions, dans « Politique » : lire ici

  • En 427 av. J.-C., la noblesse de Corfou (ou Corcyre) est anéantie par la révolution populaire avec une participation marquante des femmes.

    Voir le récit de de Thucyde

  • Moses Finley dans « Les premiers temps de la Grèce » sur le renversement révolutionnaire du pouvoir en Crête :

    « Le minoen récent II vit Cnossos au sommet de sa puissance… Ce fut une ère assez brève ; elle se termina par une catastrophe qui toucha l’ensemble de l’île. Un tremblement de terre a pu être un des facteurs, mais il n’est pas à lui seul une explication suffisante, car cette fois-ci, contrairement aux précédentes, il n’y eut pas de rétablissement (du pouvoir). La vie continua en Crête, mais l’âge de la puissance et des palais était passé à jamais… Peut-être une catastrophe naturelle fut-elle suivie par l’expulsion des maîtres grecs, sous le coup de quelque insurrection populaire qui balaya du même coup les vestiges d’une puissance insulaire déjà sérieusement affaiblie par les envahisseurs grecs un siècle auparavant.

    Il est possible de rapprocher la destruction de Kato Zakro, sur la côte est, de l’éruption volcanique de Santorin… Si lourdes qu’aient pu être les pertes en vies humaines, nulle conséquence naturelle ne pouvait interdire aux hommes de revenir quelques temps après et de s’installer à nouveau…

    Il faut donc qu’il y ait eu une cause sociale ou politique à l’abandon définitif de Kato Zakro. »

  • Lire aussi sur les révolutions de la Grèce antique : cliquer ici

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