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La guerre monétaire du Japon

mardi 5 février 2013, par Robert Paris

La guerre monétaire du Japon

Par Peter Symonds

Le nouveau gouvernement du Parti libéral démocrate (Liberal Democratic Party, LDP) a commencé à appliquer un programme nationaliste agressif sur deux fronts. Une expansion de l’armée libérée de toute contrainte constitutionnelle est en train d’être complétée par une politique monétariste unilatérale visant à affaiblir le yen et à faire augmenter les exportations aux dépens des concurrents du Japon.

Soumise à une pression intense de la part du premier ministre Shinzo Abe, la Banque du Japon (BoJ) a annoncé mardi 22 janvier qu’elle allait relever « le plus tôt possible » son objectif d’inflation de 1 à 2 pour cent par des achats d’actifs divers [obligations diverses et autres titres financiers] – une politique conforme à celle de la politique monétaire expansionniste (« quantitative easing ») pratiquée par la Réserve Fédérale américaine.

Cependant, la banque centrale qui a été jusqu’ici réfractaire aux exigences en faveur d’un assouplissement monétaire, a reporté l’achat d’obligations au mois de janvier de l’année prochaine. Les marchés monétaires ont réagi en conséquence. Après avoir, depuis novembre, fait baisser la valeur du yen de 12 pour cent par rapport à celle du dollar américain du fait de la nouvelle politique monétaire d’Abe, les marchés misent maintenant, suite à l’annonce de la BoJ, sur une plus forte valeur du yen.

Abe a salué la décision de la banque centrale en disant que c’était « un pas vers un audacieux assouplissement monétaire ». Cette décision ne sera toutefois pas la dernière. Abe avait prévenu lors de la campagne électorale du mois dernier qu’au besoin il légiférerait pour forcer la BoJ à appliquer sa politique monétaire. De plus, il a l’occasion d’installer à la tête de la BoJ un nouveau gouverneur lorsque le mandat du gouverneur sortant s’achèvera.

La décision de la BoJ a immédiatement suscité des mises en garde de la part des adversaires économiques du Japon selon lesquelles cela pourrait déclencher une série de dévaluations compétitives – une « guerre des monnaies ». Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, a dit que si les autres pays faisaient de même, il serait « difficile de croire qu’il sera aisé de contrôler les tensions qui s’ensuivront. » Michael Meister, membre influent du parti allemand au pouvoir (CDU) a prévenu que la décision pourrait « créer une spirale qui nous ferait du mal à tous, » en indiquant que Berlin pourrait recherchait le soutien du G20 afin d’exercer des pressions sur le Japon.

S’exprimant dans le Financial Times, le ministre japonais de l’Economie, Akira Amari, a réfuté les inquiétudes exprimées par Jens Weidmann, président de la Banque centrale allemande, la Bundesbank, quant aux « infractions alarmantes » remettant en cause l’indépendance de la BoJ. Rejetant cette accusation, Akira a déclaré : « L’Allemagne est le pays dont les exportations ont le plus profité du système de taux de change fixe dans la zone euro. Elle est mal placée pour faire des critiques. »

Les mesures du gouvernement Abe sont dictées par l’aggravation de la crise économique du pays. La stagnation persistante suite à l’éclatement des bulles spéculatives de l’immobilier et au niveau de la bourse à la fin des années 1980 est en train de coïncider avec l’effondrement économique mondial qui a débuté avec la crise financière de 2008. Des tentatives répétées pour promouvoir la croissance au moyen de programmes de travaux publics ont échoué. Le résultat est une dette publique insoutenable qui se situe actuellement à 240 pour cent du produit intérieur brut, soit le plus haut niveau de n’importe quel autre pays industrialisé.

L’un des facteurs de la capacité du Japon à maîtriser la tempête économique est son énorme excédent commercial, mais sa balance commerciale est devenue nettement négative au cours de ces deux dernières années. En 2012, le Japon a connu son plus important déficit commercial de tous les temps. Les exportations ont chuté pour l’ensemble de 5,8 pour cent et de 15,8 pour cent avec la Chine dans le contexte de vives tensions au sujet du conflit autour des îles en Mer de Chine orientale. Les importations ont augmenté, notamment celles de l’énergie, après la catastrophe nucléaire de Fukushima et de la fermeture des centrales nucléaires.

La vulnérabilité économique inhérente au Japon est en train d’être révélée au grand jour. En tant que nation insulaire, le capitalisme japonais a toujours été lourdement tributaire des marchés d’exportation et de l’accès à des matières premières bon marché. L’atmosphère de désespoir qui entoure la politique monétaire agressive du gouvernement Abe et les nouvelles mesures de relance économique, font écho à la réaction du Japon dans les années 1930.

Durement touché par la Grande Dépression et le marasme spectaculaire des exportations, le gouvernement japonais qui était entré en fonction en décembre 1931 avait mis fin à la parité yen/or en augmentant fortement les dépenses publiques, notamment les dépenses militaires et en réduisant les taux d’intérêt dans le but de favoriser les affaires. La valeur du yen avait plongé de 60 pour cent par rapport au dollar américain et de 44 pour cent par rapport à la livre sterling anglaise.

Ecrivant dans le journal britannique The Daily Telegraph, le rédacteur d’affaires Ambrose Evans-Pritchard a décrit la politique d’Abe comme suit : « une copie de ce qui s’était produit au début des années 1930 sous Korehiyo Takahashi [ministre des Finances], le premier de son époque à ignorer les règlements et à sortir son pays de la Grande Dépression… Il y a peu de gens qui contestent que le Japon a été de 1932 à 1936 le fer de lance de l’expérience [économique] mondiale la plus réussie. Le truc était de frapper un grand coup et de combiner toutes les formes de relance, chacune renforçant l’autre. »

Pour ce soi-disant « succès », il a toutefois fallu payer un prix terrible. La politique de Takahashi avait été conforme à la politique protectionniste (« beggar-thy-neighbour ») qui était appliquée de plus en plus souvent par toutes les puissances impérialistes en exacerbant considérablement les tensions géopolitiques. De plus, le programme économique du Japon s’était accompagné d’une répression policière d’Etat contre la classe ouvrière sur le plan national et d’une agression militaire à l’étranger pour se procurer des marchés et l’accès aux matières premières. L’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931 et de la Chine en 1937 avaient préparé le terrain au déclenchement de la guerre du Pacifique en 1941 qui eut des conséquences dévastatrices pour la classe ouvrière.

De nos jours, le gouvernement droitier d’Abe est en train de poursuivre un mélange tout aussi dangereux de politique économique nationaliste et de militarisme – et il n’est pas le seul. Le recourt du gouvernement Obama à un assouplissement quantitatif monétaire illimité et à son agressif « pivot vers l’Asie » dans le but de contenir la Chine ont encouragé Abe a joué son propre rôle dans le développement de la guerre des monnaies et aussi à remilitariser le Japon. Au bout d’une décennie de guerres néocoloniales menées par les Etats-Unis au Moyen-Orient et une ruée sur l’Afrique, la classe dirigeante japonaise a conclu qu’une armée forte était nécessaire pour garantir ses intérêts économiques et stratégiques.

Ce glissement vers une guerre mondiale encore plus dévastatrice s’accompagne en ce moment d’une incitation à un nationalisme pernicieux dans chaque pays. L’unique force sociale qui puisse empêcher une guerre est la classe ouvrière internationale, au moyen d’une lutte unifiée pour l’abolition du système de profit et de la division du monde en Etats-nations rivaux, et pour l’établissement d’une économie socialiste planifiée qui satisfasse les besoins sociaux de l’ensemble de l’humanité.

Messages

  • c’est le Japon qui a mis le feu aux poudres. Pour faire baisser le yen et redonner un peu de tonus à son économie, le Japon a quelque peu violenté sa banque centrale. Sous la pression du gouvernement, celle-ci a adopté une cible d’inflation de 2%. En plus des achats de titres prévus pour 2013 (440 milliards de dollars), elle a aussi décidé de mettre en place dès 2014 une politique d’achats de titres d’une durée indéterminée pour 145 milliards de dollars par mois, soit près de deux fois les achats mensuels réalisés par la Fed dans le cadre de son fameux "QE3".
    Ce volontarisme, inédit par son ampleur, a vite produit ses effets : le yen s’est déprécié de près de 20% depuis début octobre 2012. Un ajustement brutal qui a pris à froid les autres membres du G20 et notamment les concurrents du Japon sur les marchés mondiaux.

    Sans surprise, l’Allemagne, l’un des premiers exportateurs mondiaux a été une des premières à monter au créneau. Le Ministre de finances, Wolfgang Schauble a dit se faire beaucoup de souci à cause de la stratégie japonaise. Les taux de changes ne doivent pas être manipulés, a-t-il ajouté. Plus sbyllin, mais tout aussi remonté, le Président de la BCE, Mario Draghi, a parlé d’une décision bien peu coopérative. Enfin, Paris tente depuis peu d’ouvrir un débat sur le niveau trop élevé de l’euro, qui renchérit ses exportations et risque de pénaliser ses efforts pour regagner en compétitivité.
    Le Japon, de son côté, se défend de toute aggression via les taux de change : "nous appliquons simplement des mesures vigoureuses pour vaincre la déflation et la récession", explique le ministre nippon des Finances, Taro Aso. Mais personne n’est dupe. D’autant que le nouveau Premier ministre Shinzo Abe ne cachait pas son envie de faire baisser le yen pendant sa campagne électorale.
    A court terme, la dévaluation compétitive japonaise va créer de sérieux remous dans l’industrie. Les parts de marché de Sony , Toyota, Nissan vont se redresser au détriment de leurs concurrents chinois, coréens et allemands. C’est d’ailleurs ce qui explique le rebond récent de la bourse de Tokyo. La baisse du yen va aussi relancer la spéculation et notamment les opérations de yen carry trade, qui avaient défrayé la chronique en 2007. Enfin et surtout, plusieurs pays comme la Chine, le Brésil ou la Corée, voudront répliquer à la dévaluation japonaise en faisant baisser à leur tour leur monnaie, ou bien en prenant des mesures protectionnistes. De quoi gripper le commerce mondial et sérieusement envenimer les relations internationales.

    De la guerre économique à la guerre monétaire et à la guerre tout court...

  • Le yen japonais s’est déprécié d’environ 20 % depuis novembre, favorisant la hausse de la Bourse de Tokyo, un mouvement dont le gouvernement de Shinzo Abe espère qu’il permettra à l’économie nippone de sortir de la récession. Parallèlement, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la zone euro poursuivent des politiques monétaires très accommodantes, caractérisées par des taux d’intérêt historiquement bas et des promesses d’achats massifs d’obligations sur les marchés.

  • L’excédent courant du Japon s’est réduit de 4,3 % en mars sur un an, à cause de la dépréciation du yen qui relève le coût des importations d’hydrocarbure. Confirmant le risque que fait peser un yen faible sur l’économie japonaise, alors que la plupart des réacteurs nucléaires du pays sont encore à l’arrêt.

    On pouvait s’y attendre. Tokyo a annoncé vendredi une réduction de 4,3 % en rythme annuel de son excédent courant en mars en raison de la hausse du montant de sa facture énergétique. Ainsi le Japon commence-t-il à payer les effets du ralentissement de l’économie mondiale et de sa politique monétaire accomodante. Ce alors que le pays n’a pas de marge de manoeuvre pour faire baisser sa facture énergétique sinon celle de redémarrer ses centrales nucléaires à l’arrêt depuis la catastrophe de Fukushima.

    En ordonnant l’arrêt pour maintenance des 50 réacteurs nucléaires encore en état de fonctionner dans le pays après la catastrophe de Fukushima, Tokyo a en effet ouvert une Boîte de Pandore. Aujourd’hui, seuls deux réacteurs ont été autorisés à fonctionner à nouveau et les électriciens japonais ont été contraints de faire tourner leurs centrales thermiques à plein régime pour compenser la baisse de la production d’électricité. Faisant exploser les importations d’hydrocarbures.

    En attendant, le Japon tente de consommer moins. Le pays a importé un peu moins de pétrole et de gaz naturel liquéfié en mars 2013 qu’à la même période l’an dernier. Mais la dépréciation du yen causée par la politique ultra-accomodante poursuivie depuis quelques semaines par la Bank of Japan (BoJ) sous l’impulsion du Premier ministre nippon Shinzo Abe est venue accélérer l’augmentation de la facture. Depuis novembre, le yen s’est déprécié de 25 % par rapport au dollar et a passé la barre symbolique des 100 yens pour un dollar. Son plus bas depuis quatre ans.

    Le problème, c’est que dans le même temps, la baisse de la valeur du yen n’a pas suffit à doper les exportations de l’archipel. Elles ont presque stagné en mars en ne progressant que de 0,3 %. Le gain de compétitivité offert par un yen déprécié a permis de les faire progresser à destination des États-Unis, dont l’économie est elle aussi inondé par un afflux massif de liquidités en provenance de la Fed, la banque centrale américaine. Mais le ralentissement en Chine et en Europe est venu plomber les effets de la politique monétaire de la BoJ.

    Au final, la balance commerciale du Japon, historiquement habitué aux excédents commerciaux, a enregistré un déficit de 219,9 milliards de yens (1,7 milliards d’euros). Elle était quasiment à l’équilibre l’an dernier à la même période. Sans reprise en Europe, accusée par les États-Unis de plomber l’économie mondiale en raison des politiques de consolidation budgétaire considérées comme excessives, les effets du yen faible sur les exportations risquent d’être minimisés, même si la BoJ compte sur un redémarrage de la Chine dans les mois à venir.

    Certes, les comptes courants restent dans le vert grâce au solde toujours largement positif du compte des revenus, qui reflète les rendements des investissements japonais à l’étranger. L’anticipation d’un afflux de liquidités provoqué par la BoJ a notamment favorisé l’appétit des investisseurs japonais à l’étranger. Le solde du compte des revenus a d’ailleurs fortement progressé en mars.

    Mais la fonte continue de l’excédent courant depuis plusieurs années et qui s’accélère avec l’affaiblissement du yen sur le marché des changes a de quoi inquiéter. La balance des transactions courantes est en effet un indicateur très fiable pour mesurer la bonne santé d’une économie par rapport au reste du monde.

    Pour l’heure, le Japon est toujours épargnant net, ce qui lui permet de financer sa dette publique sans risque. La dette publique japonaise est d’ailleurs détenue à 93% par des résidents. Mais avec la réduction continue de ce bas de laine accélérée par la politique inflationniste menée par la BoJ, le Japon pourrait perdre rapidement ce statut de privilégié. Faisant peser un risque nouveau sur le financement de sa dette publique abyssale qui, en représentant 230% du PIB japonais, est la plus élevée au monde. D’autant plus que celle-ci devrait progresser de manière importante avec la mise en place d’un plan de relance par la commande publique sans précédent.

    Pour se sortir de ce mauvais pas, la BoJ disait fin avril espérer "l’enclenchement d’un cercle vertueux entre la production, les revenus et les dépenses, porté par les commandes publiques et les exportations". Autrement dit, selon elle, l’effet des commandes publiques record que va passer Tokyo devrait être amplifié par l’inflation censée faire fondre l’épargne et favoriser la consommation en berne depuis des années.

    La BoJ voit par ailleurs dans le renchérissement des produits importés un moyen de favoriser l’achat de produits japonais par les résidents et de favoriser in fine la production locale. Elle compte aussi sur un improbable rebond de la demande chinoise pour favoriser ses exportations. Or la croissance chinoise a plutôt tendance à se tasser. Reste la question du ralentissement en Europe. Peut-être le ministre des Finances japonais se ralliera-t-il à l’opinion des États-Unis, pour qui la consolidation budgétaire qui a cours en zone euro pénalise la reprise mondiale, lors du G7 des Finances ce week end au Royaume-Uni.

    Ce qui est sûr, c’est que la question de la balance commerciale est cruciale pour l’avenir du financement de la dette publique japonaise et sur ce plan, la reprise du nucléaire ne suffira pas. Car le mouvement de fonte de l’excédent courant avait déjà court avant la politique inflationniste de la BoJ et l’arrêt des réacteurs nucléaires. En 2012, le solde excédentaire des transactions courantes représentait 1,5% du PIB nippon, contre 4% en 2008. En favorisant la baisse du yen dans un contexte de ralentissement généralisé, le Japon, bien que renouant avec la croissance, joue avec le feu.

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