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Réflexions sur la révolution sociale …

lundi 20 mai 2013, par Robert Paris

Réflexions sur la révolution sociale …

« Révolution prolétarienne et idéologie bourgeoise

« La composition de ce livre, complexe et imparfait en son architecture, est l’image même des circonstances dans lesquelles il est né : l’auteur s’efforce d’exposer une conception déterminée de la dialectique propre au processus révolutionnaire (...). Quiconque ne s’intéresse qu’aux aspects dramatiques d’une révolution fera mieux de laisser ce livre de côté. Mais celui qui, dans la révolution, voit autre chose et plus qu’un spectacle grandiose, celui qui la considère comme une crise sociale objectivement déterminée, régie par ses lois internes, trouvera peut-être quelque profit à lire les pages que nous lui soumettons. »

« Au moment où je publie cet ouvrage en français, je me résigne par avance à être accusé de dogmatisme, de casuistique, de prédilection pour l’exégèse des vieux textes et surtout d’un certain manque de « clarté ». Hélas, dans l’aversion que l’on éprouve pour la dialectique matérialiste, aversion si habituelle dans les milieux « de gauche » français, y compris bien entendu des rangs socialistes, s’exprime seulement une certaine forme de pensée officielle, un esprit conservateur qui a de profondes racines dans l’histoire de la bourgeoisie française. Mais ne doutons pas que la dialectique du processus historique n’ait raison des habitudes idéologiques de cette bourgeoisie, comme elle l’emportera sur la bourgeoisie elle-même. (...) une nouvelle révolution dans le domaine des idées qui n’est pas dissociable d’une révolution dans le domaine des choses. (...) »

« Mais c’est justement parce que la révolution est un « état de choses » - c’est-à-dire un stade du développement de la société conditionné par des causes objectives et soumis à des lois déterminées – qu’un esprit scientifique peut prévoir la direction générale du processus. Seule l’étude de l’anatomie de la société et de sa physiologie permet de réagir sur la marche des événements en se basant sur des prévisions scientifiques et non sur des conjectures de dilettante. Le révolutionnaire qui « méprise » la doctrine révolutionnaire ne vaut pas mieux que le guérisseur méprisant la doctrine médicale qu’il ignore ou que l’ingénieur récusant la technologie. »

Léon Trotsky

Préface à l’édition française de « La révolution permanente »

« Révolution, le plus grand pas fait pour l’affranchissement total du genre humain. »

L’historien Léonard Gallois

dans « Histoire pittoresque de la révolution française »

« La Révolution française est le premier essai de l’humanité pour prendre ses propres rênes et se diriger elle-même. (...) Les révolutions seules savent détruire les institutions depuis longtemps condamnées. En temps de calme, on ne peut se résoudre à frapper, lors même que ce qu’on frappe n’a plus de raison d’être. Ceux qui croient que la rénovation qui avait été nécessitée par tout le travail intellectuel du 18ème siècle eût pu se faire pacifiquement se trompent. On eût cherché à pactiser, on se fût arrêté à mille considérations personnelles, qui en temps de calme sont fort prisées ; on n’eût osé détruire franchement ni les privilèges ni les ordres religieux, ni tant d’autres abus. La tempête s’en charge. Le pouvoir temporel des papes est assurément périmé. Eh bien ! Tout le monde en serait persuadé qu’on ne se déciderait point encore à balayer cette ruine. Il faudrait attendre pour cela le prochain tremblement de terre. Rien ne se fait par le calme : on n’ose qu’en révolution. »

Ernest Renan dans « L’Avenir de la science, Pensées de 1848 »

« Prend la révolution française (...) Aussi naturel que la pluie qui tombe. D’abord, on ne le fait pas pour son plaisir. On le fait parce que quelque chose vous y pousse. (...) Tout aussi naturel que la pluie qui tombe. »

John Steinbeck dans « Les raisins de la colère »

« La nécessité de la révolution

« Il y a des époques dans la vie de l’humanité, où la nécessité d’une secousse formidable, d’un cataclysme, qui vienne remuer la société jusque dans ses entrailles, s’impose sous tous les rapports à la fois. (...) On sent la nécessité d’une révolution, immense, implacable, qui vienne non seulement bouleverser le régime économique basé sur la froide exploitation, la spéculation et la fraude, non seulement renverser l’échelle politique basée sur la domination de quelques-uns par la ruse, l’intrigue et le mensonge, mais aussi remuer la société dans sa vie intellectuelle et morale, secouer la torpeur, refaire les mœurs, apporter au milieu des passions viles et mesquines du moment le souffle vivifiant des passions nobles, des grands élans, des généreux dévouements. (...) Mais laissons dormir les indifférents et bougonner les pessimistes : nous avons autre chose à faire. Demandons-nous quel sera le caractère de cette révolution que tant d’hommes pressentent et préparent, et quelle doit être notre attitude en présence de cette éventualité. (...) La prochaine révolution aura un caractère de généralité qui la distinguera des précédentes. Ce ne sera plus un pays qui se lancera dans la tourmente, ce seront les pays de l’Europe. (...) Comme en 1848, une secousse se produisant dans un pays gagnera nécessairement les autres, et le feu révolutionnaire embrasera l’Europe entière. »

Pierre Kropotkine dans « Paroles d’un révolté »

« La révolution russe de 1905

« Nous devons veiller – et sauf nous il n’y aura personne pour le faire – à ce que le peuple connaisse ces journées pleines de vie, riches de contenu et grandes dans leur signification et par leurs effets d’une façon plus détaillée et plus approfondie… »

Illich Lénine dans la Préface de « La Mère » de Gorki

Une transformation qualitative

« La concentration de la production, le développement de la technique et l’élévation de la conscience des masses (…), ces processus se produisent simultanément ; ils ne se renforcent pas seulement l’un l’autre, mais aussi se retardent et se limitent mutuellement. Chacun de ces processus, à un niveau supérieur, exige un certain développement d’un autre de ces processus, à un niveau inférieur. Mais leur développement complet, pour chacun d’entre eux, est incompatible avec celui des autres. (…) Ces processus ne se développent pas isolément les uns des autres mais se limitent mutuellement jusqu’à atteindre un certain point qui dépend de multiples circonstances, mais est en tout cas très éloigné de leur limite mathématique, point à partir duquel ils subissent un changement qualitatif ; leur combinaison complexe engendre alors ce phénomène que nous appelons révolution sociale. »

Léon Trotsky dans « Bilan et perspectives »

La nature de la révolution en Russie ?

« Les gens qui pensent sommairement, ou qui ne pensent pas du tout, supposent qu’ils ont résolu la question en disant : en Russie se déroule actuellement « une révolution bourgeoise ». En réalité, la question se pose ainsi : quelle est cette révolution bourgeoise ? Quelles sont ses forces intérieures et ses perspectives futures ? Pendant la grande Révolution française, la principale force motrice était la petite bourgeoisie urbaine entraînant la masse paysanne. (...) Entre la Révolution du « Tiers Etat » en France et notre révolution (de 1905), il y a eu la Révolution allemande de 1848. Il y a eu la révolution allemande de 1848. Cette dernière était également bourgeoise. Mais la bourgeoisie allemande était incapable de remplir son rôle révolutionnaire. Pour caractériser les événements de 1848, Marx écrivait : « La bourgeoisie allemande se comporta de façon si débile, poltronne et lente, que quand elle se dressa contre l’absolutisme et le féodalisme, elle trouva devant elle la menace agitée par le prolétariat (. .) ». En lisant ce tableau caractéristique (...), ne reconnaissons-nous pas notre propre bourgeoisie et ses guides ? La bourgeoisie russe est entrée dans l’arène politique après la bourgeoisie allemande. Le prolétariat russe est incomparablement plus fort, plus indépendant et plus conscient que les travailleurs allemands de 1848. Le développement général européen a mis à l’ordre du jour la Révolution sociale. Toutes ces circonstances ont enlevé à la bourgeoisie libérale les derniers restants de confiance en soi et dans le peuple. (...) A la veille de la guerre, le prolétariat se trouvait au point culminant d’agitation révolutionnaire. Le nombre de travailleurs en grève en 1914 égalait celui des grévistes de 1905. (...) Le mouvement entre 1912 et 1914 se développa sur une plus grande échelle qu’au début du siècle. Comme il y a dix ans, la guerre stoppa le développement du mouvement ouvrier. La chute de l’Internationale frappa l’avant-garde du mouvement ouvrier. Trente et un mois s’écoulèrent, mois de défaites, de vie chère, de scandales, de faim (...) avant que les prolétaires ne descendent dans la rue. Et ils le firent contre le gré des libéraux bourgeois. Le 6 mars, à la veille de la grève générale, la presse invitait les travailleurs à ne pas troubler le cours normal de la production pour ne pas gêner les opérations militaires. Mais ceci ne retint pas les femmes affamées. Elles descendirent dans la rue en criant le slogan : « du pain et la paix ». Les ouvriers les soutinrent. (...) Les prolétaires de Pétersbourg n’étaient pas encore assez forts, assez organisés, n’avaient pas de contacts suffisants avec les prolétaires de toute la Russie, pour pouvoir conquérir le pouvoir. Mais ils étaient assez forts pour envoyer, du premier coup, le Tsarisme au musée historique. (...) Tous les efforts des libéraux pour écarter la lutte des classes (...) resteront lettre morte. »

Léon Trotsky

dans le journal « Die Zukunft » (avril 1917)

« Le passage du pouvoir d’Etat d’une classe à une autre est le caractère premier, principal, fondamental, d’une révolution, tant au sens strictement scientifique qu’au sens politique et pratique de ce concept. Le marxisme nous oblige à tirer un compte des plus exact, objectivement vérifiable, des rapports de classe et des particularités concrètes de chaque mouvement de l’histoire. »

Lénine

dans « Lettre sur la tactique » (avril 1917)

« Histoire de la révolution russe

« L’histoire d’une révolution, comme toute histoire, doit, avant tout, relater ce qui s’est passé et dire comment. Mais cela ne suffit pas. D’après le récit même, il faut qu’on voit nettement pourquoi les choses se sont passées ainsi et non autrement. Les événements ne sauraient être considérés comme un enchaînement d’aventures, ni insérés les uns après les autres, sur le fil d’une morale préconçue. Ils doivent se conformer à leur propre loi rationnelle. C’est dans la découverte de cette loi intime que l’auteur voit sa tâche. »

« Le trait le plus incontestable de la Révolution, c’est l’intervention directe des masses dans les événements historiques. D’ordinaire, l’Etat, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l’histoire est faite par des spécialistes du métier : monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais, aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l’arène politique. (...) L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. (...) »

« Il est impossible de comprendre, d’accepter ou de peindre la Révolution, même partiellement, si on ne la voit pas dans son intégralité, avec ses tâches historiques réelles qui sont les objectifs de ses forces dirigeantes. Si cette vue fait défaut, on passe à la fois à côté du but et de la Révolution. Celle-ci se désintègre en épisodes et anecdotes héroïques ou sinistres. On peut en donner des tableaux assez bien venus, mais on ne peut recréer la Révolution, et on ne peut, à plus forte raison, se réconcilier avec elle ; si, en effet, les privations et les sacrifices inouïs sont sans but, l’histoire est… une maison de fous. (...) Compte tenu de toutes les autres qualités nécessaires, seul deviendra poète de la Révolution celui qui apprendra à la comprendre dans sa totalité, à regarder ses défaites comme des pas vers la victoire, à pénétrer dans la nécessité de ses reculs, et qui sera capable de voir, dans l’intense préparation des forces pendant le reflux, le pathétique éternel de la révolution et sa poésie. »

Léon Trotsky

dans « Littérature et Révolution » (1924)

Russie février 1917

« La révolution semble à des chefs d’armée, entreprenants en paroles, indéfendable parce qu’elle est effroyablement chaotique : partout des mouvements sans but, des courants contraires, des remous humains, des faces étonnées et comme subitement abasourdies, des capotes claquant au vent, des étudiants qui gesticulent, des soldats sans fusil, des fusils sans soldats, des gamins tirant en l’air, le brouhaha de milliers de voix, des tourbillons de rumeurs déchaînées, de craintes injustifiées, de joies trompeuses… ; il suffirait semble-t-il de lever un sabre sur toute cette cohue et elle s’éparpillerait aussitôt sans demander son reste. Mais c’est là une grossière illusion d’optique. Un chaos seulement en apparence. Là-dessous a lieu une irrésistible cristallisation des masses sur de nouveaux axes. (...) Point de retour possible. »

Léon Trotsky

dans « La révolution russe » (1er tome « Février »)

Déterminisme révolutionnaire

« Il faut des circonstances absolument exceptionnelles, indépendantes de la volonté des individus ou des partis, pour libérer les mécontents des gènes de l’esprit conservateur et amener les masses à l’insurrection. Les rapides changements d’opinion et d’humeur des masses en temps de révolution, proviennent, par conséquent, non de la souplesse et de la mobilité du psychique humain, mais bien de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les circonstances objectives, jusqu’au moment où celles-ci s’abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d’idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l’œuvre de « démagogues ». (...) Cependant, les processus qui se produisent dans la conscience des masses ne sont ni autonomes, ni indépendants. N’en déplaise aux idéalistes et aux éclectiques, la conscience est néanmoins déterminée par les conditions générales d’existence. »

Léon Trotsky

dans la Préface à « Histoire de la révolution russe »

« C’est une vérité absolue que nous serons condamnés à périr si la révolution n’éclate pas en Allemagne. »

Lénine

Le 7 mars 1917, au 7e congrès du Parti bolchevik

« Les Lénine et Trotsky avec leurs amis ont été les premiers qui aient devancé le prolétariat mondial par leur exemple... Ce qu’un parti peut à l’heure historique fournir de courage, de force d’action, de coup d’œil révolutionnaire et de logique, Lénine, Trotsky et leurs camarades l’ont largement donné… En ce sens il leur reste le mérite impérissable dans l’histoire d’avoir pris la tête du prolétariat international en conquérant le pouvoir politique et en posant en pratique le problème de la réalisation du socialisme. Le bolchevisme est devenu le symbole du socialisme révolutionnaire pratique. »

Rosa Luxemburg

dans « La Révolution russe », 1918

« Nous sommes loin même de terminer la période de transition du capitalisme au socialisme. Nous ne nous sommes jamais leurrés de l’espoir de la terminer sans le concours du prolétariat international. »

Lénine - Troisième congrès des soviets – janvier 1918

« Qu’est-ce que les classes en général ? C’est ce qui permet à une partie de la société de s’approprier le travail de l’autre partie. Si une partie de la société s’approprie toute la terre, nous avons une classe de grands propriétaires fonciers et une classe de paysans. Si une partie de la société possède les fabriques et les usines, possède les actions et les capitaux, tandis que l’autre travaille dans des fabriques, nous avons une classe de capitalistes et une classe de prolétaires. Il n’a pas été difficile de chasser le tsar ; cela n’a demandé que quelques jours. Il n’a pas été très difficile de chasser les grands propriétaires fonciers, on a pu le faire en quelques mois ; il n’est pas très difficile non plus de chasser les capitalistes. Mais supprimer les classes est infiniment plus difficile. La lutte des classes continue, elle a seulement changé de forme. »

Lénine

« La poigne de fer du social-démocrate Noske écrasa à Berlin, en janvier 1919, le soulèvement des Spartakistes, comme s’intitulaient les Bolcheviks allemands, en souvenir de la révolte de l’esclave romain Spartacus. (…) Mais, le 2 mars 1919, (les Bolcheviks) créaient une troisième internationale, l’Internationale Communiste ou Komintern, destinée à prendre la relève de la seconde, passée avec armes et bagages à l’ennemi de classe. (…) Trois semaines plus tard, il annonçait au huitième Congrès du parti (bolchevik) la proclamation à Budapest par Bela Kun d’une « République des conseils » sur le mode russe. (…) Quelques jours plus tard, une République soviétique était proclamée à Munich. Mais l’assassinat de son chef, Kurt Eisner, devait rapidement mettre fin à son existence. Quant au régime communiste hongrois, il fut renversé au bout de 133 jours par les Roumains agissant pour le compte des Occidentaux. (…) Là comme ailleurs, la terreur blanche succéda vite à la terreur rouge. Entre-temps, l’agitation s’était développée parmi les soldats alliés débarqués en Russie. (…) Un officier mécanicien, André Marty, organisa une mutinerie dans l’armée française. Le 3 avril, Paris dut retirer d’Odessa son corps expéditionnaire. Les Anglais évacuèrent Bakou le mois suivant. »

André Fontaine

dans « Histoire de la guerre froide »

La révolution socialiste est mondiale

« Nous avons répété plusieurs fois que la révolution prolétarienne ne peut s’épanouir victorieusement dans les cadres nationaux. Cette affirmation pourrait sembler à quelques lecteurs niée par l’expérience de près de cinq ans de notre République Soviétique. Mais cette conclusion n’est pas fondée. Le fait que le Pouvoir Ouvrier ait pu se maintenir contre le monde entier, et dans un seul pays, d’ailleurs arriéré, témoigne des capacités colossales du prolétariat qui, dans des pays plus avancés, plus civilisés, accomplirait des miracles. Mais, dans le sens politique et militaire, en tant que gouvernement, nous ne sommes pas arrivés à la formation d’un Etat socialiste, et même nous ne nous en sommes pas approchés. La lutte pour la conservation du Pouvoir révolutionnaire a provoqué un abaissement extraordinaire des forces productrices ; or le Socialisme n’est imaginable que par leur accroissement et leur épanouissement. Les négociations douanières avec les Etats bourgeois (...) sont un témoignage éclatant de l’impossibilité d’une édification isolée du Socialisme dans les cadres nationaux. (...) L’élan grandiose de l’économie socialiste en Russie ne sera possible qu’après la victoire du prolétariat dans les principales nations européennes. »

Léon Trotsky

dans sa Postface de 1922 à « La guerre et la révolution »

« De la Commune de Paris à la révolution mondiale

« Les révolutions prolétariennes (...) interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà accompli pour le recommencer de nouveau (…) paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser de nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leur propre but, jusqu’à que soit créé enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière (...). Il est bon en ce 72e anniversaire de la Commune de Paris, de rappeler cette caractéristique des révolutions prolétariennes donnée par Marx en 1851. Les voies de l’histoire, et surtout de la révolution prolétarienne ne sont pas une ligne droite qu’on parcourt d’un seul trait à une certaine époque et qui assure, avec de lourds sacrifices, la victoire ou la défaite. Pour celui qui considère les événements seulement dans la période qui coïncide avec sa propre expérience, la courbe historique semble par moments redescendre à son point de départ ; mais pour celui qui les considère dans leur totalité historique, cette courbe indique la marche inéluctable du prolétariat vers le pouvoir et de la société vers le communisme. »

Albert Mathieu dit Barta, fondateur pendant la deuxième guerre mondiale du groupe trotskyste Union Communiste Internationaliste
dans la revue « Lutte de classes » (mars 1943)

… et sur les révolutions de la matière

« La chimie est une école de pensée révolutionnaire. Non parce qu’il y a une chimie des explosifs. Les explosifs ne sont pas toujours révolutionnaires. Non, parce que la chimie est, avant tout, la science de la transformation de la matière. La chimie est dangereuse pour chaque absolu, pour la pensée conservatrice enfermée dans les catégories immobiles. »

Exposé de Léon Trotsky

au congrès Mendeleïev de chimie en septembre 1925

« Cette bifurcation est un phénomène ponctué, critique, par lequel le système acquiert un comportement global nouveau et des propriétés nouvelles. »

Les physiciens Janine Guespin-Michel et Camille Ripoll

dans la revue « Sciences et Avenir » d’août 2005

« On assiste ainsi à une cascade de phénomènes de transition à caractère explosif présidant à l’émergence, pour lesquels la science du non linéaire fournit un modèle universel, la bifurcation (...) »

Le physicien Grégoire Nicolis

dans la revue « Sciences et Avenir » d’août 2005

« L’exemple canonique de la criticalité auto-organisée est le tas de sable. Un tas de sable présente un comportement en équilibre ponctué, pour lequel des périodes de stases sont entrecoupées par des éboulements. (...) Le tas de sable évolue d’une configuration à l’autre non pas de manière graduelle, mais au moyen d’avalanches catastrophiques. (...) L’évolution du tas de sable s’effectue par le biais de révolutions, comme l’histoire dans la vision de Karl Marx. C’est précisément parce que les états dynamiques sont suspendus dans l’état critique que tout arrive à travers des révolutions et non graduellement. De fait, la criticalité auto-organisée est une méthode inventée par la nature pour effectuer des transformations énormes sur des échelles de temps très courtes. (...) Les grands systèmes comportant un grand nombre de composants évoluent vers un état intermédiaire « critique », loin de l’équilibre, et pour lequel des perturbations mineures peuvent déclencher des événements de toutes tailles, appelés « avalanches ». La plupart des changements se produisent au cours de ces événements catastrophiques plutôt qu’en suivant un chemin graduel et régulier. »

Le physicien Per Bak dans « Quand la nature s’organise »

« Les particules ne sont pas des objets identifiables. (...) elles pourraient être considérées comme des événements de nature explosive. »

Le physicien Erwin Schrödinger

dans « Physique quantique et représentation du monde »

« La nature se présente à nous comme ces petites mouches des journées chaudes d’été, que nous voyons presque immobiles, soutenues par un battement d’ailes si vif qu’on le discerne à peine, et qui, soudain changent de place presque instantanément, en un vol bref et rapide, pour s’immobiliser un peu plus loin : les états stationnaires s’étalent devant nos yeux, mais pour apercevoir des transitoires, il faut les chercher. »

Le physicien Georges Lochak

dans sa préface à « La dégradation de l’énergie » de Bernard Brunhes

« La physique quantique traite de choses (...) qui subissent des transitions de phase. »

David Ritz Finkelstein

dans « Le vide » ouvrage collectif dirigé par Edgar Gunzig et Simon Diner

« La microphysique actuelle est essentiellement fondée sur la description minutieuse des états stationnaires (appelés aussi états quantiques), tandis qu’au sujet des transitions, on fait seulement des calculs statistiques. (...) Mais la transition elle-même, en tant que processus individuel, n’est pas décrite. De ce fait, on n’explique pas comment se maintiennent les états stationnaires, car pour expliquer leur étonnante stabilité, il faudrait comprendre ce qui se passe quand un système s’écarte d’un état stationnaire sous l’effet d’une perturbation (...) »

Le physicien Georges Lochak dans un article intitulé « Vers une microphysique de l’irréversible » de la « Revue du Palais de la Découverte »

« Un électron excité « tombe » vers un niveau inférieur en émettant un photon. (...) Einstein avait introduit la notion de transition spontanée par analogie avec celle de décomposition radioactive. »

Le physicien-chimiste Ilya Prigogine et la philosophe Isabelle Stengers

dans « Entre le temps et l’éternité »

« Les photons ne sont pas complètement descriptibles et subissent des transitions spontanées dans le vide. »

David Ritz Finkelstein

dans « L’éther adamantin », article de « Le vide »,
ouvrage collectif présenté par Edgard Gunzig et Isabelle Stengers

« Le radium, ce grand révolutionnaire du temps présent. »

Le physicien Henri Poincaré dans « La valeur de la science »

« La science ne concerne pas le statu quo mais la révolution. »

Le physicien Léon Lederman

dans « Si l’Univers est la réponse, quelle est la question ? »

« La physique ne tend-elle pas à nier le temps en faisant appel aux ’’idéaux immobiles’’ que sont les lois universelles ? La question reste posée de savoir si la physique a vocation à décrire l’immuable, ou bien si, au contraire, elle doit devenir la législation des métamorphoses. »

Les physiciens Etienne Klein et Michel Spiro dans « Le temps et sa flèche »

« Transitions et révolutions : un modèle

« Les sociétés humaines fournissent d’innombrables exemples de transitions brutales (...) On peut se demander légitimement si ce type de transition très rapide ne pourrait se comprendre de façon générale (...). Et puisque nous nous posons des questions sur les transitions (les changements brutaux) (...) cela fait penser à la dynamique des sociétés humaines. S’agissant de « révolution », il n’est pas absurde de penser à une transition dans un sens qui se rapproche de celui qu’il a dans les sciences exactes. (...) Ces systèmes présentent de temps en temps des comportements d’intermittence spatio-temporelle, séparés par de longues périodes de calme. Autrement dit, le paramètre de contrôle de tels systèmes n’est plus constant ; il croit mais très lentement au cours du temps, jusqu’à atteindre la valeur-seuil, et la bouffée d’intermittence spatio-temporelle qui se produit alors fait décroître la contrainte loin en dessous du seuil, à partir duquel elle recommence à croître jusqu’à la prochaine bouffée. »

Les physiciens Pierre Bergé, Yves Pomeau et Monique Dubois-Gance

dans « Des rythmes au chaos »

« Dans la nature rien n’est immuable. Tout est en perpétuel état de transformation, de mouvement et de changement. »

Le physicien David Bohm

dans « Causalité et hasard en physique moderne »

« Un photon de lumière aiguë vient frôler un atome de matière. Fugace télescopage au fin fond du réel. En surgissent deux électrons, un de chaque signe, vifs et rapides comme l’éclair, enfin presque ; ils ralentissent, courbent leur trajectoire, lancent des photons ; s’ils se rencontrent à nouveau, ils fusionnent l’un dans l’autre puis disparaissent en remettant, comme leur dernier soupir, deux furtifs grains de lumière. »

Le physicien Etienne Klein

dans « Sous l’atome, les particules »

« Nous avons étudié certains exemples qui semblent d’énormes sauts dans l’évolution biologique (...). Il se produit bien des révolutions. »

Le physicien Murray Gell-Man dans « Le quark et le jaguar »

« L’évolution, c’est le résultat d’une lutte entre ce qui était et ce qui sera, entre le conservateur et le révolutionnaire (...) »

Le biologiste François Jacob dans « La logique du vivant »

« Le déclenchement de l’influx nerveux résulte de la perméabilité de la membrane aux ions sodium. Le potentiel électrique commande cette ouverture de la membrane lorsqu’il franchit une valeur-seuil, il démasque des canaux au travers desquels les ions sodium s’engouffrent de « manière explosive » à l’intérieur de la cellule. »

Le neurophysiologiste Jean-Pierre Changeux

dans « L’homme neuronal »

« En donnant naissance à des protéines, les ARN ont agi en apprentis-sorciers. (...) L’apparition des protéines a donc, au sens propre comme au sens figuré, introduit une nouvelle dimension dans le développement de la chimie du vivant. Ces nouvelles macromolécules, capables de déployer dans l’espace des outils chimiques efficaces pour constituer des sites catalytiques spécifiques et performants, ont ouvert à l’évolution de vastes perspectives. Grâce à elles, l’organisation de la matière a pu franchir un pas décisif et révolutionnaire. »

Le chimiste Martin Olomucki

dans « La chimie du vivant »

Qu’entendons-nous par « révolution », dans le domaine de l’histoire des sociétés où ce terme est couramment employé ? « Lorsque la guerre de la Révolution éclata, les rois ne la comprirent point ; ils virent une révolte là où ils auraient dû voir le changement des nations, la fin et le commencement d’un monde. » répondait Chateaubriand dans « Mémoires d’Outre-Tombe ». Il ne faut donc pas y voir une simple révolte. Mais comment distinguer les deux ? Le grand écrivain français a appris de la Révolution de 1789 que la révolution sociale est la fin d’un monde et le commencement d’un monde nouveau. Comment cela est-il possible ? Cela ne peut se produire que si naissent au sein des masses opprimées des éléments de ce « monde nouveau », des formes de société, des objectifs, des organisations d’un type nouveau, une nouvelle conscience capable de finir par s’imposer. La révolution suppose l’émergence d’organisations indépendantes des masses populaires, défendant les intérêts de ces masses et représentant même confusément et embryonnairement ces intérêts. Telle est l’origine du nouveau pouvoir, de la nouvelle société : un changement d’état d’esprit des larges masses. La révolution sociale et politique est essentiellement une transformation de la conscience collective, même si bien des commentateurs y voient principalement une action violente et irrationnelle des masses. En 1789, la Révolution française a commencé quand les larges masses ont compris, en rédigeant les cahiers de doléance, qu’elles ne supportaient plus l’ancien ordre social et quand les classes dirigeantes ont compris, symétriquement, que rien ne pouvait plus fonctionner comme avant. C’est à ce niveau qu’un mécanisme objectif, objet d’examen par une étude scientifique, s’est mis en branle. La révolution est devenu une nécessité objective. Soulignant le rôle central et dynamique de la conscience révolutionnaire collective dans la révolution française, l’historien Jules Michelet l’expliquait dans « Histoire de la Révolution française » que « En attendant, tout ce qu’une longue étude des précédents de la Révolution, et de la Révolution même, nous conduit à croire, (...) c’est qu’entre la science véritable et la conscience populaire, il n’y a rien de contradictoire. » La compréhension de la révolution a besoin de science, car le mécanisme d’émergence [17] d’une conscience collective révolutionnaire est objectif, naturel devrait-on dire. L’émergence de la conscience collective au sein d’une société est aussi étonnante que l’émergence de la conscience individuelle apparaissant au sein de la multitude des connexions et des messages neuronaux d’un cerveau humain, autant que l’émergence de la civilisation au sein de la société agraire, de la vie dans la matière, d’une espèce nouvelle ou de l’invention d’un organe au sein du vivant, ou encore de la matière dans le vide. Il s’agit bien d’étudier la révolution comme on analyse scientifiquement un orage, une éruption volcanique ou un tremblement de terre, c’est-à-dire en tant que phénomène naturel, même si, dans ce domaine, intervient bien entendu la conscience humaine et l’action volontaire des individus, des organisations et des groupes sociaux.

La conscience d’intérêts communs au sein des classes en lutte n’est pas préexistante. Elle est sortie brutalement des chocs d’intérêts violemment contradictoires. D’où le caractère insensible de la montée révolutionnaire. Le moment de la crise n’est devenu une évidence qu’une fois celle-ci complètement développée et prête à exploser à la moindre étincelle. Si ce n’était pas le cas, aucune crise n’irait à son terme. Commentant le caractère particulier de l’irruption de la révolution sociale, le révolutionnaire Karl Marx remarquait malicieusement : « Bien creusé vieille taupe ! ». Il soulignait ainsi que la poussée de la crise révolutionnaire est moléculaire, insensible, souterraine et n’a rien d’un mécanisme facile à observer, à cerner et à prévoir. « Pas plus évident que l’herbe qui pousse », disait Lénine à propos du développement de la conscience révolutionnaire et de la progression de la crise sociale. Bien entendu, la structuration spontanée n’est pas seule à intervenir. La conscience de classe vient également de la progression des idées, de l’expérience passée, de l’organisation révolutionnaire, de l’existence de minorités d’avant-garde, de leur organisation, toutes choses qui n’apparaissent pas spontanément et ne sont pas issues directement des processus moléculaires. L’action des petits facteurs, d’une échelle inférieure, au sein d’un mouvement à grande échelle, n’est pas propre aux phénomènes sociaux, comme le montre la théorie du chaos déterministe qui emploie à ce propos l’expression de « sensibilité aux conditions initiales ». L’intervention des individus et des petits groupes dans l’Histoire n’enlève rien au caractère des phénomènes, même si elle modifie considérablement l’issue des événements. Comprendre ce mécanisme d’émergence d’une conscience sociale, là réside la difficulté de l’étude de la révolution. Ce mécanisme est aussi naturel que celui du volcan. Il s’agit de la formation, à partir de l’agitation des actions et des consciences individuelles, de l’apparition, brutale, d’un niveau supérieur, collectif. Le vivant nous donne de multiples exemples dans lesquels des fonctionnements individuels produisent un système collectif, dont les propriétés n’étaient pas présentes au sein des individus. La vie elle-même n’est pas le fait d’une cellule isolée. On ne décrirait pas autrement la construction d’une cohérence collective d’un grand nombre de petits aimants [18] (ferromagnétisme). Cette remarque n’enlève rien à la spécificité de la conscience humaine. Elle se rapporte seulement au mode de formation, brutal et révolutionnaire, de niveaux émergents, un mécanisme qui s’avère universel et fondateur de toute réalité dynamique. Les masses populaires participent de changements à grande échelle qui obéissent à des lois et font partie des mécanismes de l’univers. Ce sont des faits objectifs, même s’ils sont réalisés par des individus, en fonction de la conscience qu’ils ont des événements. « Comme le dit Friedrich Engels, « Personne ne sait la révolution qu’il fait. » écrit le physicien Etienne Klein dans « Petit voyage dans le monde des quanta ». Le révolutionnaire G.Munis explique dans son analyse de la révolution espagnole de 1936, « Leçons d’une défaite, promesse de victoire » : « Lorsqu’elles commencent un combat révolutionnaire dans un pays, les masses n’ont généralement pas conscience de la rupture historique qu’elles inaugurent ; elles voient seulement les causes les plus directes et les plus immédiates. C’est d’ailleurs ce qui permet à de nombreux imposteurs politiques de profiter de leur confiance alors qu’ils ne mériteraient que leur mépris. » Le facteur temps est alors un point essentiel. Si la pression des masses est suffisante, si la classe dirigeante n’a pas la capacité de réagir rapidement, si la voie en est préparée par des organisations révolutionnaires, les masses auront assez de temps pour prendre conscience de la signification de leurs aspirations et pour réaliser leurs véritables objectifs. La rapidité de la prise de conscience collective est déterminante pour ne pas laisser à la classe dirigeante le temps de se ressaisir et de se donner les moyens d’écraser la révolution.

Les phénomènes brutaux de la nature et de la société sont partout présents, même si certains poètes chantent « le calme de la nature » et si les laudateurs de l’ordre proclament la « solidité » de la matière, l’ « adaptabilité » de la vie, l’éternité des empires, la continuité des civilisations, des idéologies et des Etats. Prenant le contre-pied de cette thèse, nous affirmons que, dans tous les domaines, l’explosion est une phase essentielle des phénomènes : explosion de la structure de la matière nucléaire, explosion de l’étoile, explosion de la rafale de l’influx nerveux, explosion de l’émission de neurotransmetteurs, éruption volcanique, changement climatique brutal, explosion sociale, explosion des espèces au Cambrien, explosion de la civilisation, explosion de la révolution sociale, explosion économique, explosion démographique, etc…. Ce n’est pas en France que l’on devrait faire des efforts pour expliquer que l’Etat est une structure issue de la violence et non de la plume du législateur. Institutions sociales et politiques ne sont pas nés du respect des institutions mais de leur viol par la force des luttes de classes. On s’émerveille, en physique autant qu’en politique, que la destruction, par choc, de structures produise de nouvelles structures. Tous les jours, les accélérateurs explorent les résultats possibles des chocs entre particules qui produisent de nouvelles particules, plus ou moins éphémères. La brutalité de la fabrication d’une organisation nouvelle étonne, qu’il s’agisse d’un phénomène naturel ou social. Dans les deux cas, les hommes font appel à des explications mystiques, car l’explication naturelle d’une telle apparition restera cachée à quiconque considère la structure comme figée, existant de toute éternité et produite par une intentionnalité. Qu’un empire puissant et redoutable puisse être vaincu par des pauvres sans moyens est présenté comme incompréhensible et devant être plutôt expliqué par l’action divine et par des forces qui dépassent les opprimés . En effet, celui qui observe une structure sociale, dans laquelle il vit, ignore d’où elle vient et n’en imagine pas une autre qui l’a précédé, ni une autre qui pourrait la suivre. L’apparition de la ville et de la civilisation est sans doute l’une des émergences les plus étonnantes de l’évolution sociale. L’apparition de l’Etat, à distinguer nettement de la précédente, est tout aussi étonnante. Il est parfaitement étrange pour un homme de rechercher l’origine de l’Homme, comme pour un être de matière de concevoir l’apparition de la matière. C’est faire surgir l’univers du néant, la lumière du noir et la pensée de … rien. On croit toucher à l’irrationnel, au mystérieux, aux limites de l’entendement humain.

Mais là où la société répugne le plus à concevoir le changement brutal, c’est bien entendu dans le domaine social. Dès la plus ancienne antiquité des civilisations, c’est face aux menaces de la révolution sociale que les classes dirigeantes, comprenant que la conscience collective populaire avait une importance vitale pour la classe dirigeante, décidaient de s’occuper des croyances des opprimés qu’ils avaient jusqu’alors abandonnés à leurs convictions personnelles ou locales. Les religions d’Etat, développées dorénavant, tentaient de solidifier la domination de la classe dirigeante en prêtant à l’Etat un caractère éternel, comme les dieux, et en demandant à leurs astrologues et sorciers de fonder cette durabilité du pouvoir sur la tranquillité des étoiles du ciel et du mouvement régulier, apparemment éternel, du soleil et des planètes. Le caractère de la religion change fondamentalement avec l’apparition de l’Etat. Cela a été noté par les anthropologues comme le rappelle Alain Testart dans l’article « Des dieux à l’image des rois » de la revue « Les grands dossiers des sciences humaines » : « De tout temps, la figure des dieux a été modelée sur celle des rois. Et en retour, l’image des rois se pare de vertu divine. Mais la royauté divine n’est pas qu’un reflet de celle des humains. Les dieux représentent un modèle imaginaire plus tolérable du commandement humain. » Sur un autre plan, l’Etat avait besoin des dieux-rois pour justifier la légitimité des rois-dieux : faut d’une continuité terrestre de l’Etat, les dieux fournissaient une continuité dans le ciel.

Les religieux prétendaient trouver dans le ciel une stabilité qui n’existait ni dans le climat, ni dans l’activité agricole ou commerciale, ni dans la vie sociale et politique. Quête inutile ! Il n’y a rien d’éternel dans l’Univers, ni les galaxies, ni les étoiles, ni la matière. Il n’y a aucune loi non plus qui puisse revendiquer le statut d’éternité. La matière n’est pas plus stable que la vie ou la société humaine. Elle a eu une naissance. Elle a changé de forme. La loi de la gravitation, elle-même, n’a pas toujours existé. Elle n’est que l’un des pôles d’une des formes de la contradiction de la matière, une de ses étapes historiques. Le ciel étoilé, l’image même de la stabilité dans les anciennes religions, s’avère produit de l’agitation désordonnée de la matière et de la violence des chocs. Le soleil est le résultat des mouvements désordonnés des gaz hydrogène et hélium qui subissent des transitions radioactives vers des atomes plus lourds avec émission d’une grande quantité d’énergie. Les étoiles apparaissent et disparaissent. Les planètes, poussières de pierre et de gaz, piégées provisoirement sur des orbites, peuvent quitter à la longue leur système solaire. La nuit, apparemment calme, d’un ciel étoilé retentit (notamment par les ondes gamma et les particules émises) des explosions de ses étoiles, des collisions de ses galaxies et, probablement, de chocs encore plus rudes comme ceux concernant les trous noirs. L’infiniment petit n’est pas moins agité que l’infiniment grand. La matière qu’on pensait immobile et stable, au moins dans ses atomes dits élémentaires, contient, enfouie en son sein, non seulement le mouvement brownien de ses molécules s’entrechoquant, mais aussi toutes les explosions nucléaires de ses noyaux atomiques, tous les sauts quantiques de sa réalité microscopique, tous les chocs entre particules, par l’intermédiaire des photons lumineux, et tous ceux liés à l’effervescence du vide. Les agitations et les discontinuités brutales sont partout présentes, dans tous les domaines et à toutes les échelles. Comme l’avaient fait l’idéologie des religions d’Etat (du culte du Pharaon au christianisme, au confucianisme et à l’Islam), la science de l’époque montante de la bourgeoisie, le scientisme ou le positivisme, a diffusé un idéal scientifique fondé sur une idéologie de l’ordre, de la fixité, de la stabilité, du progrès et de l’équilibre, idéal qui s’avère totalement infondé avec les découvertes de la « nouvelle physique » pour reprendre l’expression du physicien Davies. Rechercher une philosophie concernant les sciences et l’histoire ne consiste pas à construire un nouveau scientisme, mais à concevoir un mode dynamique reposant sur l’agitation.

La notion d’objet fixe et stable (atome, particule, molécule, cristal) y est remplacée en physique par celle de structure dynamique globalement stable, c’est-à-dire un ordre issu du désordre collectif. Cette notion se retrouve dans tous les domaines à chaque fois qu’un ordre est produit à partir du bruit des chocs multiples. Les crises de la matière ne se contentent pas de détruire des structures : elles en construisent de nouvelles. Des particules se désintègrent, des noyaux atomiques cassent transformant une partie de leur matière en énergie, des matériaux se fissurent, des corps se dissolvent et des solides voient leurs structures se détruire. L’agitation de la matière saute ainsi d’un degré. Mais l’inverse se produit également. Des solutions cristallisent. L’énergie devient matière. Des liaisons moléculaires se structurent y compris à grande échelle. Des fluides se transforment en solides. Des structures magnétiques apparaissent brutalement. Diverses formes d’organisation apparaissent. Des solides cristallisent. Des réactions chimiques se couplent. La vie se forme. Elle multiplie les structures, les mécanismes, la diversité. La matière n’est pas non plus une « chose » fixe, qui s’opposerait, par sa constance, aux changements rapides du vivant. Au contraire, tous deux reposent sur des dynamiques extrêmement actives de changement.

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