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Le point de vue de Lutte Ouvrière sur le fascisme italien

lundi 22 juillet 2013, par Robert Paris

Il y a quatre-vingt-dix ans en Italie, la grève générale du début du mois d’août 1922 fut la dernière tentative de mettre un coup d’arrêt à la montée du fascisme. Son échec allait ouvrir la voie à la prise du pouvoir par Mussolini trois mois plus tard, en octobre, à l’issue de la Marche sur Rome. Mais elle démontra aussi que la classe ouvrière aurait eu toutes les possibilités d’empêcher la victoire du fascisme.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, entre 1919 et 1920, l’Italie avait été secouée par une vague révolutionnaire. Au cours de ce biennio rosso (les deux années rouges), la classe ouvrière occupa les usines et la paysannerie les terres. Mais en septembre 1920 il devint évident que les dirigeants réformistes du Parti socialiste italien (PSI) et les chefs syndicaux de la Confédération générale du travail (CGL) ne voulaient pas de la révolution. Mais la bourgeoisie, elle, voulut écarter tout risque et organisa la contre-offensive, finançant et armant les Faisceaux, qui allaient donner leur nom aux bandes fascistes de Mussolini.

Celles-ci regroupaient d’anciens officiers, des nationalistes désoeuvrés, des petits bourgeois ruinés, pour faire le coup de poing contre les syndicats et jouer les briseurs de grève. Tant que le prolétariat italien était à l’offensive, ces bandes n’eurent qu’une influence toute relative. Mais le reflux des luttes, après septembre 1920, leur laissa le champ libre.

LES PREMIÈRES OFFENSIVES FASCISTES

L’expédition punitive devint le mode opératoire du fascisme. Plusieurs centaines, voire des milliers de militants fascistes concentraient leurs forces sur une localité, saccageaient les sièges des partis et des syndicats ouvriers, détruisaient les rédactions des journaux de gauche, incendiaient les bourses du travail. Ils poussaient à la démission les municipalités socialistes, passaient à tabac ou assassinaient les militants.

La première grande offensive fasciste se déroula au début de 1921 en Emilie-Romagne, là où les syndicats paysans avaient réussi à imposer aux propriétaires terriens leur contrôle sur l’embauche de la main-d’oeuvre agricole. La terreur organisée par les bandes de Mussolini permit aux propriétaires de casser les reins des organisations ouvrières. Après quoi les bandes fascistes, enhardies, s’attaquèrent à de plus grandes villes, puis à celles du Nord.
Les bandes fascistes agissaient en toute impunité, avec la complicité active des autorités et le soutien des grands propriétaires terriens et des industriels. Souvent, à la veille d’une attaque, la police ou l’armée préparaient elles-mêmes le terrain en désarmant et en emprisonnant les militants. La justice fonctionnait à sens unique. Les fascistes coupables de meurtre étaient acquittés par les tribunaux, qui en revanche avaient la main lourde contre les militants ouvriers.
En moins de deux ans, Mussolini réussit à structurer ses bandes armées au sein d’un mouvement discipliné et centralisé qui devint le Parti national fasciste (PNF). Munies de fusils fournis par l’armée, commandées par des officiers de carrière, les bandes fascistes se déplaçaient en camions, compensant leur faible nombre par la mobilité.
Le mouvement fasciste passa ainsi de 17 000 adhérents en 1919 à 30 000 en 1920 et 310 000 fin 1921. Au cours du premier semestre de l’année 1921, les bandes fascistes incendièrent et détruisirent pas moins de 25 maisons du peuple, 59 bourses du travail, 86 coopératives, 43 ligues paysannes, 50 sections socialistes, plusieurs journaux ouvriers.

FORCE DU MOUVEMENT OUVRIER... ET PASSIVITÉ DE SES DIRIGEANTS

La classe ouvrière était affaiblie, mais en 1921 le mouvement ouvrier organisé représentait toujours une force importante. La CGL regroupait 2 320 000 syndiqués, le Parti socialiste italien 4 367 sections et 217 000 adhérents. Le mouvement coopératif socialiste comptait 25 000 coopératives de consommation, de production et de crédit. De son côté, la Confédération syndicale catholique revendiquait près d’un million d’adhérents. La très grande majorité de la population et de la classe ouvrière était profondément hostile au fascisme. Sans l’aide financière de la bourgeoisie et le soutien de l’appareil d’État, mais aussi sans la passivité des dirigeants ouvriers, les fascistes n’auraient pu faire grand-chose.

Les tentatives de répondre comme il se devait à la violence fasciste ne manquèrent pas. Ainsi apparurent les Arditi del Popolo, association d’anciens combattants issus des milieux populaires et socialistes, qui se proposait de combattre le fascisme les armes à la main. Cette tentative fut très vite désavouée par le Parti socialiste. Quant au Parti communiste d’Italie, né quelques mois plus tôt de la scission du Parti socialiste, en janvier 1921, il restait très minoritaire et ses jeunes dirigeants, Bordiga et Gramsci, ne surent et ne purent prendre les initiatives nécessaires, par manque d’expérience, face à la rapidité et à la violence avec laquelle le fascisme surgit.

Le développement de la violence fasciste posait la question d’organiser la défense de la classe ouvrière avec ses propres moyens. Cela aurait voulu dire impulser la création de milices ouvrières dans les usines, les quartiers, les villes, organiser et coordonner la défense des organisations ouvrières afin de rendre coup pour coup aux bandes fascistes. Mais Turati, leader des socialistes réformistes, justifia l’immobilisme de son parti en ces termes : « Il faut avoir le courage d’être un lâche. » À un maire socialiste confronté aux violences, il écrivit en avril 1921 : « Ne répondez pas aux provocations des fascistes, ne leur donnez pas de prétextes, ne répondez pas aux injures, soyez bons, soyez des saints. (...) Tolérez, compatissez, pardonnez aussi. » Alors que les fascistes s’apprêtaient à écraser la classe ouvrière, Turati lui conseillait de se laisser conduire à l’abattoir.
Durant le premier semestre de l’année 1922, les expéditions fascistes redoublèrent de violence. Souvent les travailleurs réagirent contre les attaques, mais sans coordination d’une ville à l’autre, le PSI et la CGL refusant d’envisager une riposte générale. Il fallut attendre le 31 juillet 1922 pour que l’Alliance du travail, qui regroupait les syndicats ouvriers les plus importants, dont la CGL, appelle à une grève générale. Le but de ce qu’on allait appeler la « grève légalitaire » n’était pas de préparer la classe ouvrière à écraser les fascistes, mais d’appeler au respect de la légalité bourgeoise... au moment même où la bourgeoisie donnait carte blanche aux fascistes.

Face à un mouvement ouvrier dont les chefs indiquaient d’avance les limites de leur action, les fascistes saisirent l’occasion de faire une démonstration, lançant un ultimatum exigeant des grévistes qu’ils reprennent le travail et intervenant directement dans un certain nombre d’endroits. Les chefs du Parti socialiste, de la CGL et de l’Alliance du travail capitulèrent rapidement, décidant la fin de la grève pour le 3 août à midi. En même temps les fascistes lançaient leurs troupes à l’assaut des villes ouvrières, d’autant plus courageusement qu’ils savaient qu’ils ne rencontreraient pas de résistance.

LES JOURNÉES DE PARME

Il y eut cependant une exception notable, à Parme. Sous la direction de membres des Arditi del Popolo et notamment du député socialiste Guido Picelli, les militants ouvriers socialistes, communistes, anarchistes organisèrent un véritable front pour la défense militaire de la ville. Celle-ci se couvrit de barricades tandis que la population se mobilisait pour soutenir les combattants, repoussant les assauts successifs d’une troupe de 15 000 fascistes dirigée par Italo Balbo, un des lieutenants de Mussolini. Au bout de cinq jours, ceux-ci, démoralisés, n’eurent plus d’autre choix que de battre en retraite.
À l’issue de cette grève du début août 1922, la démonstration était faite que les dirigeants du mouvement ouvrier italien n’appelleraient en aucun cas les travailleurs à se battre contre les fascistes. À l’inverse, l’exemple de Parme montrait que ces derniers n’avaient de courage que quand ils se sentaient les plus forts et qu’on aurait pu les vaincre, à condition de faire à l’échelle nationale ce qui s’était fait dans cette ville. Mais cela aurait signifié de la part des dirigeants socialistes être prêts à aller jusqu’au bout d’une contre-offensive ouvrière, en fait jusqu’à la révolution.

C’est ce dont ils ne voulaient à aucun prix, ouvrant la voie à la dictature de Mussolini, que la classe ouvrière italienne allait subir pendant plus de vingt ans.

Messages

  • Dommage que l’article n’aborde pas la question clef : la politique des révolutionnaires car là existait un parti communiste révolutionnaire.

    Lutte Ouvrière est pourtant un courant qui dit toujours que les révolutions ont échoué faute d’un parti et là la révolution a échoué avec un parti...

    Cela ne doit pas suffire, d’autant qu’il y avait un parti révolutionnaire en Hongrie, deux en Allemagne, etc...

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