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Egypte : la démocratie ne peut venir que du prolétariat

dimanche 18 août 2013, par Robert Paris

Egypte : la démocratie ne peut venir que du prolétariat

Plus de morts en une semaine que pendant la répression de la révolution de 2011, Moubarak en liberté et Morsi en prison, voilà un symbole qui n’a pas échappé à la révolution égyptienne : les chefs militaires égyptiens n’avaient momentanément lâché Moubarak que contraints et forcés et pour faire de l’islamisme une pomme de discorde de la révolution sociale. En aidant les dirigeants islamistes à récupérer la révolution, ils ont pu ensuite prétendre sauver le peuple algérien de la dictature islamiste.

Ils trompent ainsi le peuple de plusieurs manières et d’abord en faisant croire que les islamistes sont le pire danger pour le pouvoir militaire. Pourtant quand la dictature militaire de Moubarak a reculé et lâché le dictateur, ce n’était pas devant une montée islamiste mais face à une explosion de grèves ouvrières. Il est important de ne jamais l’oublier faute de quoi on perd complètement la boussole des événements.

Les islamistes contribuent à la même tromperie puisqu’ils veulent faire croire exactement la même chose au peuple égyptien. Ils ne peuvent pas lui faire croire qu’ils sont contre l’exploitation, contre la surexploitation, contre la bourgeoisie capitaliste, contre l’ordre social en somme. Leur seul radicalisme ne peut qu’être politique et se cacher derrière la religion pour dénoncer le pouvoir militaire. Or ce n’est pas sur le terrain des idées et des mœurs que le pouvoir militaire viole le peuple égyptien mais comme force de répression et comme classe exploiteuse. Jamais les islamistes ne pourront dénoncer l’armée égyptienne en tant que telle et encore moins la bourgeoisie comme classe exploiteuse : ils visent au contraire à prendre la tête politique des deux !

Quiconque fait croire que l’enjeu de la lutte violente actuelle en Egypte est religieux – Islam contre laïcité – cherche à détourner la lutte du peuple égyptien et à empêcher tous les peuples, notamment ceux du Maghreb et du monde arabe, de comprendre les enjeux de l’affrontement actuel.

L’enjeu n’est pas qui va triompher des pro et des anti Morsi, ou des pro ou anti charia, car ce qui cause la violence de la lutte actuelle et son caractère particulièrement sanglant, c’est la nécessité pour les classes dirigeantes de détourner le peuple travailleur égyptien de la révolution pour le faire rentrer dans le rang. Le combat n’est nullement idéologique, religieux, spirituel mais c’est un combat de classe et dans lequel contrairement aux apparences, Morsi et les chefs de l’armée sont dans le même camp ! S’ils parviennent à leurs fins, calmer la révolution populaire, ils peuvent parfaitement s’entendre ensuite pour gouverner sur le dos du peuple égyptien…
La petite bourgeoisie, qui est l’une des ailes combattantes de la révolution, a ses propres illusions. Celle qui suit Morsi, en grande partie celle des campagnes, croit que l’enjeu est de faire respecter son choix électoral qu’elle prétend avoir été démocratique parce qu’il était organisé de manière classique dans le cadre bourgeois. Celle qui est anti Morsi, celle des villes, croit que les islamistes sont les principaux ennemis des droits démocratiques parce qu’ils vont réprimer la liberté de la vie civile au nom de la religion alors que le pouvoir militaire qu’ils soutiennent, pour une partie, n’a rien de démocratique non plus.

En fait, ils ignorent, comme toutes les petites bourgeoisies du monde, quelles sont les bases sociales réelles de la démocratie et de la dictature.

La démocratie abstraite, prônée par un camp comme par l’autre, est un drapeau aussi mensonger que l’idéologie ou la liberté ou encore les intérêts du peuple, dont se drapent les deux camps pour s’affronter. Aucun des deux camps ne peut dire au grand jour les intérêts réels, sociaux et économiques qui sont menacés par les révolution, par la simple et bonne raison que les deux sont aussi engagés dans la nécessité de les sauvegarder, c’est-à-dire de préserver l’exploitation du peuple travailleur égyptien.

Le fondement de la révolution égyptienne, comme de tous les grands mouvements populaires, est la lutte des classes, même si la conscience des masses populaires est parfois loin d’en avoir pris la mesure. Les travailleurs d’Egypte, comme ceux du reste du monde, sont encore canalisés, dirigés, trompés par des dirigeants réformistes, notamment syndicaux, qui leur font croire que leur lutte est purement revendicative et non politique ou encore qu’elle se limite à la chute de Moubarak. Comme on l’a déjà dit, l’explosion de grèves ouvrières a été la véritable cause de la chute du Raïs mais la classe ouvrière a repris ensuite le travail et laissé les autres forces sociales faire de la politique, du moins publiquement. Le drapeau de la classe ouvrière, au sens politique n’a été levé par personne, aucune organisation, aucune structure et, du coup, alors que les travailleurs étaient mobilisés, ils n’ont pas pu apparaître pour ce qu’ils sont : l’alternative à la domination bourgeoise-militaire. Mais, même si la plupart l’ignorent, ils sont apparus comme une menace mortelle pour la bourgeoisie égyptienne, et pour toutes les bourgeoisies. Et c’est cela qui explique la politique menée par les chefs de l’armée.

Le bain de sang a commencé en Egypte dans un affrontement direct qui oppose le pouvoir militaire aux islamistes. Tout est donc fait pour faire croire que le problème essentiel du peuple égyptien serait d’être pour ou contre la loi islamique, on encore pour le régime islamiste ou pour le régime militaire.

Mais cela est faux : l’essentiel du peuple égyptien n’est ni pour l’un ni pour l’autre et ce qui le motive est complètement ailleurs.

Ce sont d’ailleurs les chefs militaires qui ont favorisé dans un premier temps les islamistes et leur ont permis d’accéder au gouvernement, trouvant qu’ils étaient la moins mauvaise solution… pour eux face à la révolution populaire qui avait renversé Moubarak.

Quelle que soit la violence de l’affrontement actuel, il ne doit pas nous faire oublier cette entente précédente qui nous montre que les deux prétendus ennemis d’aujourd’hui peuvent parfaitement s’entendre demain sur le dos du peuple égyptien, après avoir détourné chacun de son, côté le sens de la révolution égyptienne.

C’est loin d’être la première fois qu’une telle politique (faire venir les islamistes vers le pouvoir puis leur déclarer la guerre) a été menée pour éradiquer des risques de révolution sociale et l’un des exemples les plus fameux est l’Algérie de 1988 à la « guerre civile ». On peut également citer la politique des chefs militaires pakistanais, tantôt pro tantôt anti islamisme radical, pour détourner des risques de révolution sociale…

L’Algérie est un très bon exemple de ce type de situation puisque le pouvoir militaire y a favorisé les islamistes après la révolte ouvrière et jeune de 1988 et a ensuite mené une véritable guerre antipopulaire sanglante sous le prétexte de combattre l’islamisme, avant de se réconcilier avec lui…

Comme le montre l’exemple algérien, chefs militaires et chefs islamistes peuvent parfaitement s’affronter violemment et pourtant servir les intérêts de la même classe sociale : la bourgeoisie. Ils sont du même bord sur le terrain essentiel : celui des classes sociales.

Car, en Algérie comme en Egypte, la menace essentielle qu’a levé la révolte, c’est celle d’une explosion ouvrière risquant d’entraîner derrière elle la jeunesse, les femmes, les paysans et la petite bourgeoisie.

C’est ce danger que, pour toutes les forces bourgeoises, il s’agit d’abord et avant tout d’éviter, en détournant les objectifs sociaux et politiques de la révolution vers la seule question islamiste, question qui permet de diviser les opprimés entre eux et de les opposer violemment…

Bien entendu, militaires et islamistes, les deux forces soi-disant opposées se réclament de la même démocratie bourgeoise, au nom de laquelle ils affirment devoir battre leur adversaire. Tous les deux affirment que la démocratie bourgeoise devrait être le vainqueur de la révolution contre Moubarak.

D’un côté, les chefs militaires affirment qu’ils défendent la démocratie car les islamistes voudraient se donner les pleins pouvoirs. Belle démonstration alors que les militaires n’ont jamais été contre concentrer en leurs mains les pleins pouvoirs : politiques, administratifs, civils, militaires, policiers, judiciaires et économiques en représentant l’essentiel et la partie la plus riche de la bourgeoisie égyptienne privée.

Quant aux chefs islamistes qui se targuent d’avoir obtenu la majorité aux élections bourgeoises et de représenter en conséquence l’essentiel du peuple égyptien, ils ne sont pas gênés pour utiliser leur pouvoir contre les libertés du peuple égyptien et pas contre la mainmise économique de la bourgeoisie militaire.

Au-delà de ce qui se passe dans la tête des manifestants de l’un et l’autre camp, les vraies questions dépassent largement celles liées à la religion à la laïcité ou à la démocratie. Dans la guerre entre islamistes et militaires, il s’agit bel et bien du partage des richesses et du pouvoir mais aucun des deux camps ne veut ni d’un pouvoir populaire ni d’une économie entre les mains des masses populaires.

Aussi bien chefs islamistes que chefs militaires veulent démolir toute forme d’organisation des travailleurs, des femmes et des jeunes, formes qui sont apparues au cours de la révolte contre Moubarak et qui peuvent se développer maintenant qu’il est apparu que la chute de Moubarak n’a rien réglé.

La crise de la domination bourgeoise en Egypte initiée par la chute de Moubarak pose des problèmes bien plus profonds et dramatiques que celle la dictature du Raïs. C’est celle de la mainmise de toutes les richesses par le clan militaire. C’est celle de la domination impérialiste favorisée par le régime militaire sur toute la région et notamment son soutien à Israël….

Cette crise est issue de la crise mondiale du capitalisme démarrée en 2007-2008, comme dans les autres pays du monde arabe, du Maghreb et d’Afrique.

C’est en effet à ce moment que la bourgeoisie égyptienne, soutenue jusque là financièrement à bouts de bras par les USA, a perdu pied alors qu’elle fait face à un peuple des plus prolétarisé du monde.

La crise sociale qu’a connue l’Egypte lors de la chute de Moubarak a été marquée par une explosion rapide des grèves qui n’a pu être interrompue que par l’abandon de Moubarak par la caste militaire. Il s’agissait de renoncer à la forme pour conserver l’essentiel du pouvoir.

La prétendue démocratie acceptée par les chefs militaires a consisté uniquement en l’élection dans un cadre bourgeois classique d’un président égyptien. Une première dans un pays qui avait toujours été, depuis l’indépendance, sous la coupe d’une dictature militaire sans élections.

Cependant, cette élection était loin de vouloir favoriser réellement l’expression démocratique des aspirations du peuple travailleur d’Egypte et même elle avait le but exactement inverse…

Ces aspirations du peuple travailleur ne peuvent que mener à remettre en question le détournement de toutes les richesses par la caste militaire-bourgeoise. Or jamais, au grand jamais ni les islamistes ni les leaders de la petite bourgeoisie n’ont fait le moindre pas dans ce sens. Bien entendu, l’impérialisme qui prône l’entente entre militaires et islamistes ne veut pas davantage d’une telle démocratie où le peuple travailleur décide car elle se tournerait directement contre lui et aurait un rôle considérable d’entrainement pour tous les peuples de la région...

Seule l’intervention politique de masse du prolétariat, organisé sur ses propres bases de classe, en comités, en conseils, en coordinations, sous toutes formes d’organisation autonome, indépendante du pouvoir, des partis bourgeois, des dirigeants syndicaux et des classes dirigeantes, seule cette intervention peut sortir la révolution de l’ornière….

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