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La dialectique, un simple mode de pensée ?

dimanche 6 octobre 2013, par Robert Paris

La dialectique, un simple mode de pensée ?

La dialectique, un simple mode de pensée ou un mode d’existence de la réalité, c’est certainement la première question qui mérite d’être posée. Une grande partie du courant qui se réclame du marxisme a tenu à s’en tenir à une version qu’il considère comme plus soft et plus respectueuse de l’indépendance des sciences qui est celle d’une simple pensée dialectique. En somme, il renonce à l’idée que l’univers soit dialectique. Il prétend même parfois que ce serait une pensée religieuse ou idéaliste puisque cela signifierait que le monde matériel obéirait à un principe abstrait. Mais c’est l’inverse qui est vrai : opposer une pensée dialectique et un univers réel qui ne le serait pas, c’est considérer l’opposition pensée/réalité comme une opposition diamétrale et non dialectique.

Ce qui caractérise l’opposition dialectique, c’est le combat entre pôles opposés dans lequel la lutte est tellement permanente que les pôles s’entremêlent, s’interpénètrent, ne sont plus séparables. Et effectivement, pensée et réalité ne sont pas des mondes séparés, que l’on peut aisément distinguer, isoler l’un de l’autre. En permanence, il y a un combat entre le monde et notre compréhension de celui-ci.

Il est impossible de distinguer les chaises et notre pensée sur elles. Se fondant sur cet entremêlement, certains ont même été jusqu’à prétendre qu’il n’y avait pas d’autre réalité que notre pensée. Ils nient l’existence d’un monde objectif, indépendant de l’homme. Ils en oublient même qu’une telle manière de raisonner nie aussi l’existence réelle des autres hommes et ne reconnait qu’une seule existence humaine elle-même d’ailleurs très irréelle puisqu’elle n’est que pensée ! Cependant la difficulté existe en effet.

Nous ne pouvons pas en effet prétendre que la pensée soit identique à la réalité, ni même que les deux avancent unies. Les idées et la réalité mènent un combat l’une contre l’autre. La connaissance du réel, son observation, ne se contente pas de nous aider à acquérir des idées justes. Elle nous entraîne aussi dans des erreurs et des illusions. Et la pensée ne cesse pas de se heurter à des faits nouveaux issus de la réalité. La seule réalité que nous connaissions est un mixage permanent et contradictoire entre nos idées sur le monde et sa réalité objective. Dans ces conditions, opposer de manière diamétrale pensée et réalité mène à des impasses : soit à la négation du réel de manière complètement idéaliste, soit à la négation complète et positiviste de discuter du réel, soit au matérialisme pur et non dialectique qui nie l’étude de la philosophie sur le monde. Dans tous les cas, cela mène à un échec de la pensée humaine sur le fonctionnement du monde.

En séparant ainsi étude scientifique du monde et philosophie sur le monde, la pensée dominante contemporaine a stérilisé les deux. On assiste à la contradiction actuelle : une masse de connaissance scientifique plus grande que jamais et une incapacité philosophique plus grande que jamais d’englober ces connaissances dans une vaste conception théorique et philosophique. Plus que jamais, les philosophes s’écartent des sciences et les sciences de la philosophie, pour le plus grand malheur des deux…

Rares sont les courants, y compris ceux se revendiquant du marxisme, qui recherchent une fusion entre science et philosophie. Ils prétendent que cela nous ramènerait au « matérialisme dialectique » du stalinisme.

Mais le stalinisme n’a jamais réellement défendu un matérialisme dialectique. La simple prétention d’ériger en dogme la « pensée de Lénine » n’a rien de commun avec un quelconque matérialisme. Le rejet de la « révolution permanente » et la défense du « socialisme dans un seul pays » sont en rupture directe avec les thèses politiques comme philosophiques de Marx.

Quel rapport entre révolution permanente et dialectique direz-vous ? Eh bien, c’est la dialectique des rapports entre les classes. Le métaphysicien en politique affirme qu’ou bien on est pour la démocratie ou bien on est pour la révolution prolétarienne. Le dialecticien explique qu’on est pour les deux à la fois en même temps. C’est dans la mesure où le prolétariat est capable de prendre la tête des luttes démocratiques de l’ensemble du peuple qu’il peut prendre la tête de la révolution sociale, et du coup lancer la révolution prolétarienne. Et cela même si les luttes démocratiques se fondent sur des illusions petites bourgeoises qui sont contradictoires avec le rôle révolutionnaire du prolétariat. Celui qui ne voit que des oppositions diamétrales entre démocratie et dictature, entre révolution et réaction, entre prolétariat et petite bourgeoisie, entre révolution prolétarienne et révolution bourgeoise, raisonne en métaphysicien (l’inverse du dialecticien) et nie l’idée marxiste de « révolution permanente ».

Ainsi, les staliniens ont prétendu que, dans certains pays arriérés, il fallait en passer par une étape démocratique et nationale dans laquelle on ne devait pas faire avancer la révolution prolétarienne. Cette prétendue « étape démocratique bourgeoise nationale » a permis au stalinisme de servir de drapeau à toutes les forces sociales et politiques hostiles au prolétariat.

Ce n’est pas parce qu’un écrit a été publié sous le nom de Staline et qui prétend défendre le matérialisme dialectique, que le stalinisme s’est mis ainsi une telle étiquette, comme celle du communisme international et du prolétariat communiste, qu’il en est réellement le défenseur. En politique, il faut savoir distinguer entre ce que les courants s’autoproclament et leur réalité.

Staline débute son « La matérialisme dialectique et le matérialisme historique » par ces mots :

« Le matérialisme dialectique est la théorie générale du parti marxiste-léniniste. »

Amusant de ramener la compréhension générale du monde au seul programme d’un parti…

La référence à Hegel est envoyée en deux phrases :

« En définissant leur méthode dialectique, Marx et Engels se réfèrent habituellement à Hegel, comme au philosophe qui a énoncé les traits fondamentaux de la dialectique. Cela ne signifie pas, cependant, que la dialectique de Marx et Engels soit identique à celle de Hegel. »

Trop penseur l’ami Hegel dont Marx disait qu’on ne pouvait rien comprendre sans l’étudier à fond et qui estimait qu’il aurait voulu avoir le temps de traduire Hegel en langage simplifié…

Sur les conséquences historiques de la dialectique des sociétés, là aussi le panorama dressé par Staline est intéressant à relever :

« S’il est vrai que le monde se meut et se développe perpétuellement, s’il est vrai que la disparition de l’ancien et la naissance du nouveau sont une loi du développement, il est clair qu’il n’est plus de régimes sociaux « immuables », de « principes éternels » de propriété privée et d’exploitation ; qu’il n’est plus « d’idées éternelles » de soumission des paysans aux propriétaires fonciers, des ouvriers aux capitalistes. Par conséquent, le régime capitaliste peut être remplacé par un régime socialiste, de même que le régime capitaliste a remplacé en son temps le régime féodal. »

Curieux les passages de la dictature du prolétariat au socialisme puis au communisme, qui existent dans tous les textes de Marx et Engels, ont disparu. Le régime de la bureaucratie échappe au changement perpétuel ou voudrait y échapper…

Les oppositions formelles et non dialectiques caractérisent la philosophie stalinienne où on peut lire :

« le matérialisme philosophique marxiste est par sa base l’exact opposé de l’idéalisme philosophique. »

Exact opposé veut dire diamétralement opposé et non dialectiquement opposé. Voir ici

Il n’y a pas moins dialectique que le stalinisme qui passe son temps à classer de manière métaphysique les pensées, les courants, les combats, les sociétés. Ses critères s’appellent le progressisme, l’étatisme, le nationalisme, concepts qui sont fondés sur des conceptions métaphysiques et antidialectiques. Le stalinisme a divisé le mouvement ouvrier en affirmant que quiconque ne le soutenait pas intégralement était un ennemi mortel. Pour ou contre a été sa philosophie fondamentale et il a prétendu que cela recouvrait « pour ou contre le communisme » ou « pour ou contre le prolétariat ».

Si Marx, Engels ou Lénine avaient défendu de telles conceptions, jamais ils n’auraient participé à la révolution bourgeoise tout en mettant en même temps en avant le rôle socialiste du prolétariat.

Le stalinisme a mis en avant le « chacun dans son pays » qui a été à l’inverse de la contagion internationale qui est à la base de la « révolution permanente ». C’est l’interdépendance des luttes dans chaque pays qui assure l’avancée du mouvement international du prolétariat et non des luttes séparées. Là encore, la pensée stalinienne n’a rien de dialectique : elle se contente d’opposer diamétralement le national et l’international au lieu de les mêler inextricablement.

Les absurdités du stalinisme dans sa relation avec les sciences ne doivent pas nous amener à rejeter le matérialisme dialectique marxiste comme l’ont fait les intellectuels depuis le biologiste Monod, après avoir encensé sa prétendue version stalinienne.

Staline n’a pondu un ouvrage prétendument matérialiste dialectique que parce que cela était nécessaire à son opération de mainmise sur les idées et le mouvement communistes et sur l’Etat ouvrier russe. Avant de devenir le représentant de la bureaucratie, personne ne se serait attendu à voir Staline écrire un ouvrage philosophique et il est certain que son ouvrage philosophique n’est nullement écrit de sa propre main.

Bien entendu, l’affaire Lyssenko ou les autres inepties attribuées par les staliniens au marxisme comme les prétentions maoïstes de dicter leur contenu aux recherches scientifiques sont ridicules mais elles ne sont nullement le produit de la conception de Marx. Pas plus qu’on ne doit attribuer les pseudo-théories mystiques des magnétiseurs aux scientifiques qui ont découvert le magnétisme de la matière !

Mis à part la prétendue dialectique de Staline qui transforme le marxisme en religion et en articles de police de la pensée, on trouve également un prétendu marxisme des sociaux-démocrates car certains d’entre eux, bien qu’aussi ennemis jurés des révolutions et du prolétariat que les staliniens, se sont eux aussi affirmés les continuateurs de Marx et Engels… La théorie marxiste, y compris ses racines dialectiques dans la philosophie de Hegel, sont des produits de la révolution, qu’elle soit populaire, bourgeoise ou prolétarienne et ne peut rien à voir avec la réaction stalinienne ou social-démocrate. Alors que le réformisme « haïssent la révolution comme le pécher » (propos d’un dirigeant social-démocrate allemand en 1918), les idées marxistes ne peuvent s’accommoder de la haine contre l’intervention autonome des masses ouvrières et populaires que l’on trouve aussi bien chez les staliniens que chez les sociaux-démocrates.

Ces deux courants contre-révolutionnaires ont eu beau conserver parfois l’apparence du drapeau, de la revendication de la continuité, ils n’ont fait que transformer ses thèses révolutionnaires en dogme religieux pour couvrir leurs crimes. La dialectique a été alors chargée de justifier « tout et son contraire » et le marxisme d’affirmer que le capitalisme devait être réformé !

Pour tous sont qui veulent véritablement préparer l’action révolutionnaire du prolétariat, la philosophie indispensable n’est pas une pensée coupée de la réalité, une pensée politique coupée de la pensée scientifique, une science coupée de toute philosophie, et une philosophie coupée des objectifs politiques et sociaux.

La dialectique matérialiste que nous devons rechercher est celle qui régit le fonctionnement réel du monde.

La suite

Messages

  • Lénine – Carnets philosophiques (1914) –

    « La dialectique est un processus infini d’approfondissement de la connaissance par l’homme des choses, phénomènes, processus, etc., allant des phénomènes à l’essence et d’une essence moins profonde à une essence plus profonde ».

    « Lorsque l’intelligence humaine saisit une chose donnée, qu’elle en fait une image (= un concept), ce n’est pas un acte simple, direct, mort, ce n’est pas un reflet dans un miroir, mais un acte complexe, double, en zigzag. »

  • dialecte de nos oralités de nos écrits de nos oeuvres nous nous réveillons le matin avec ces nécéssités de survivre. la dialectique est ce mode de pensée qu’exprime la pulsion de chercher et de trouver. il nous faut des résultats. Le chacun pour soi individualiste c’est l’immunité de la stratégie variable adaptée au temps non relatif de la mécanique classique du temps qu’il nous reste à vivre.L’éxact du calcul est devenu flou en physique avec cette mathématiques relativiste d’improbabilité de figer le réel pour le mieux observer comme s’il s’agissait d’un objet fixe. Rien est tel aux échelles du vivant du micro ou macro cosmos.

    Langage de recherche la dialectique s’emploie à améliorer sa propre vie et celles des autres
    nous sommes tous des sociaux en quéte d’absolu pour amèliorer en temps réel le système.
    l’idéalisme nous entraine a reconnaitre l’érreur monde sans cesse a performer.Evidence humaniste épuisante au quotidien.

    • Merci de cette contribution !

      Mais la dialectique est-elle un langage de recherche ou un langage de pensée ?

      Bien sûr, l’homme ne peut jamais se départir du langage pour penser la dialectique comme pour penser toute chose mais ces choses sont elles seulement du langage pour autant ? Qui dirait que la matière est langage ? Eh bien pas davantage la dialectique du monde !

  • Marx écrit dans Le Capital :

    « C’est la négation de la négation. Elle rétablit non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur les acquêts de l’ère capitaliste, sur la coopération et la possession commune de tous les moyens de production, y compris le sol. Pour transformer la propriété privée et morcelée, objet du travail individuel, en propriété capitaliste, il a naturellement fallu plus de temps, d’efforts et de peines que n’en exigera la métamorphose en propriété sociale de la propriété capitaliste qui, de fait, repose déjà sur un mode de production collectif. »

  • Engels écrit dans l’Antidühring :

    « si un grain d’orge de ce genre trouve les conditions qui lui sont normales, s’il tombe sur un terrain favorable, une transformation spécifique s’opère en lui sous l’influence de la chaleur et de l’humidité, il germe : le grain disparaît en tant que tel, il est nié, remplacé par la plante née de lui, négation du grain. Mais quelle est la carrière normale de cette plante ? Elle croît, fleurit, se féconde et produit en fin de compte de nouveaux grains d’orge, et aussitôt que ceux-ci sont mûrs, la tige dépérit, elle est niée pour sa part. Comme résultat de cette négation de la négation, nous avons derechef le grain d’orge du début, non pas simple, mais en nombre dix, vingt, trente fois plus grand. Les espèces de céréales changent avec une extrême lenteur et ainsi l’orge d’aujourd’hui reste sensiblement semblable à celle d’il y a cent ans. Mais prenons une plante d’ornement plastique, par exemple un dahlia ou une orchidée ; traitons la semence et la plante qui en naît avec l’art de l’horticulteur : nous obtiendrons comme résultat de cette négation de la négation non seulement davantage de semence, mais aussi une semence qualitativement meilleure, qui donne de plus belles fleurs, et toute répétition de ce processus, toute nouvelle négation de la négation renforce ce perfectionnement. - Ce processus s’accomplit, de même que pour les grains d’orge, pour la plupart des insectes, par exemple les papillons. Ils naissent de l’œuf par négation de l’œuf, accomplissent leurs métamorphoses jusqu’à la maturité sexuelle, s’accouplent et sont niés à leur tour, du fait qu’ils meurent, dès que le processus d’accouplement est achevé et que la femelle a pondu ses nombreux oeufs. Que chez d’autres plantes et d’autres animaux le processus ne se déroule pas avec cette simplicité, qu’ils ne produisent pas une seule fois, mais plusieurs fois, des semences, des oeufs ou des petits avant de dépérir, cela ne nous importe pas pour l’instant ; nous voulons seulement démontrer ici que la négation de la négation se présente réellement dans les deux règnes du monde organique. »

  • La question de savoir s’il y a lieu de reconnaître à la pensée humaine une vérité objective n’est pas une question théorique, mais une question pratique. C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité, et la puissance de sa pensée, dans ce monde et pour notre temps. La discussion sur la réalité ou l’irréalité d’une pensée qui s’isole de la pratique, est purement scolastique.

  • « La dialectique dite objective règne dans toute la nature, et la dialectique dite subjective, la pensée dialectique, ne fait que refléter le règne, dans la nature entière, du mouvement par opposition des contraires qui, par leur conflit constant et leur conversion finale l’un en l’autre ou en des formes supérieures, conditionnent précisément la vie de la nature. »

    Friedrich Engels

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