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Onfray contre Freud, le débat

mardi 8 octobre 2013, par Robert Paris

Onfray contre Freud, le débat

Michel Onfray s’attaque à Freud dans une "psycho-biographie" de 600 pages où il l’accuse entre autres maux d’être partisan des régimes autoritaires, un être immonde, cupide, vicieux et menteur.

Onfray n’est ni nietschéen, ni pourfendeur de mythes, ni combattant matérialiste, ni anarchiste libéral, ni antistalinien, ni antifreudien : il est seulement pro-succès médiatique d’Onfray et il compte obtenir cet intérêt par le choc de ses déclarations incendiaires. Il lui faut pourfendre des héros !

Le seul titre de ce pavé divisé en cinq parties, "Le Crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne" (Grasset), à paraître le 21 avril, résume la thèse de l’auteur. Selon lui, Freud, le père de la psychanalyse, "n’a jamais soigné ni guéri ses patients". Il légitime "la misogynie et l’homophobie" et se révèle "un compagnon de route du césarisme fasciste autoritaire de son temps", dit-il à l’AFP. "Il a fait par exemple une dédicace élogieuse à Mussolini".
Tout cela n’est que mensonges et lectures évidemment malhonnêtes de textes qu’il suffit de relire ou de replacer dans leur contexte pour comprendre. Mais, pour se vendre, Onfray n’est pas à ça près…
Onfray affirme non seulement régler son compte à l’auteur au plan personnel, moral, politique et à celui de la méthode scientifique mais il prétend juger de la méthode psychanalytique elle-même. Pourquoi pas ? Il n’y a pas de tabou mais encore faut-il administrer des preuves et on en est loin…
Pour Onfray, la psychanalyse est pire qu’une erreur : une arnaque commise sciemment pas son auteur…
Onfray déclare ainsi :« Je ne conteste pas qu’elle (la psychanalyse) soigne parfois, je conteste qu’elle guérisse tout le temps. La psychanalyse guérit autant que l’homéopathie, le magnétisme, la radiesthésie, le massage de la voûte plantaire ou le désenvoûtement effectué par un prêtre, sinon la prière devant la grotte de Lourdes. La présence de nombreuses béquilles accrochées à Lourdes en témoignage du pouvoir de Bernadette Soubirous en apporte la démonstration : les guérisons psychosomatiques existent, mais elles ne sont pas la preuve de l’existence de Dieu ni celle que le Christ est ressuscité des morts le troisième jour, encore moins de la résurrection de la chair... On sait aujourd’hui que l’effet placebo constitue 30% des guérisons d’un médicament. Pourquoi la psychanalyse échapperait-elle à cette logique ? »

« La psychanalyse ne fournit aucune vérité scientifique universelle » déclare Onfray qui expose lui-même le but de son ouvrage :
« En fait, je propose une lecture nietzschéenne de Freud et, m’appuyant sur la préface du « Gai Savoir », qui affirme qu’une philosophie est toujours l’autobiographie de son auteur, qu’elle en constitue les confessions, j’invite le lecteur à me suivre dans le mécanisme de cette construction d’une discipline privée, d’une psychologie littéraire, d’une doctrine existentielle personnelle présentée comme une théorie universellement valable en vertu de la seule extension du désir de Freud à la totalité du monde. Pour le dire plus trivialement, Freud prend ses désirs pour la réalité et assène que ce qu’il affirme est vrai pour le monde entier du simple fait qu’il l’affirme. La méthode n’est guère scientifique, convenons-en… »

« Loin d’être universel, écrit-il, le complexe d’Œdipe manifeste le souhait infantile du seul Sigmund Freud » écrit Onfray (page 38). Et voilà patatrac : Onfray n’a qu’une phrase pour mettre par terre tout l’édifice dans sa propre tête…

Et ce n’est pas le seul passage où Onfray ramène à la seule histoire personnelle de Freud toute sa thèse : “Son monde intérieur, tourmenté et ravagé par l’inceste” (page 50). “Freud écrit sa vie sous le signe d’Œdipe. La grande passion incestueuse constitue sa colonne vertébrale existentielle.” (page 149). “Freud entretient d’étranges relations incestueuses avec ses filles.” (page 192). Quand sa fille Sophie se maria, il se déclara “orphelin” : “un père privé de sa fille parce que qu’elle entre dans le lit d’un autre homme.” (page 180). Il a aussi des sentiments “exagérément tendres” (c’est Freud qui parle) pour sa fille Mathilde. (page 192). Pendant des années, il psychanalyse son autre fille, Anna, à raison de cinq ou six séances hebdomadaires (page 241).“L’inceste, écrit Michel Onfray, aura donc été le grand fantasme de Freud” (page 235).
Freud y stigmatisé sans relâche comme un « sorcier postmoderne » , un « Rastignac viennois », un Diafoirus pervers, « phallocrate misogyne et homophobe », cupide, onaniste, incestueux, nihiliste, crypto-fasciste et même… antisémite. Sans doute espère-t-il, avec ce tombereau d’injures, conforter sa position de penseur « iconoclaste ». Mais d’où lui vient cette rage de dénoncer l’« homosexualité refoulée » de Freud, ses addictions au tabac ou à la cocaïne, son penchant pour l’adultère et la masturbation ? De la nécessité de faire parler de soi quitte à être vilipendé, d’être au cœur des média, de faire vendre ses ouvrages …

Selon Onfray, Freud est

p.47, obscédé de réussir, de gagner de l’argent, phobique des trains, angoisse de manquer de nourriture pour se nourrir, maussade, tabagique forcené.
p.49, falsificateur

p.102, crypto mnésique, de mauvaise foi, ambitieux, cupide, psychorigide, superstitieux, ingénu, cyclothymique, dépressif, angoissé, phobique, cocaïnomane (quel rapport !!)

p.140, opportuniste, envieux, intéressé, sûr de lui, hésitant !!, névrosé (d’où lui vient ce vocabulaire ?) avide de succès, avide de notoriété, avide d’argent, courant après la reconnaissance universitaire, croyant à la numérologie, croyant à l’occultisme, souscripteur de thèses les plus fantasques.

p. 156, jaloux, opportuniste, possessif, tyrannique

p. 157, petit performer sexuel !!, onaniste probable

p.163, adultérin, incestueux

p. 176, mégalomane

p.182 homosexuel refoulé

p.186 sans vergogne

p.228 il est antisémite

p.240, performatif (cet adjectif est utilisé par ailleurs à maintes reprises et de façon redondante par Onfray), addiction à la cocaïne, l’électrothérapie, le magnétisme.
Freud s’étant qualifié une fois de conquistador, l’auteur, reprends à son compte ce qualificatif en insistant sur la connotation péjorative du mot en pensant aux horreurs commises par les espagnols en Amérique du Sud, insistant ainsi sur les prétendus manquements éthiques de Freud.

C’est trop d’honneur…

Onfray a réussi à entraîner un emballement médiatique sur son nom (pour ne pas dire sur ses idées) et une vente record de son livre en menant une charge contre Freud.

Au-delà de l’intérêt financier pour Onfray, cela fait ainsi partie d’une offensive idéologique visant non à discuter Freud mais à le démolir. Dans ce domaine, la France n’est pas en pointe mais plutôt en retard sur le monde anglo-saxon car les idées de Freud ne plaisent pas du tout à l’idéologie dominante.
Les derniers ouvrages critiques édités en France ont pour auteurs : Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani (Le Dossier Freud. Enquête sur l’histoire de la psychanalyse, 2006), Jacques Bénesteau (Mensonges freudiens. Histoire d’une désinformation séculaire, 2002) ou encore le philosophe Michel Onfray (Le crépuscule d’une idole, 2010). Alain de Mijolla a publié un écrit sur Freud et la France (Freud et la France, 1885-1945, 2010) qui analyse les relations complexes entre Freud et les intellectuels français (analystes et médecins, mais aussi écrivains, journalistes, poètes ou philosophes) jusqu’en 1945.
Onfray vient donner le coup de pied de l’âne après Frank Sulloway, Mikkel Borch-Jacobsen, Sonu Shamdasani, Frederick Crews, Frank Cioffi, Han Israëls, Jacques Van Rillaer, Robert Wilcocks, Allen Esterson, Richard Webster, Richard Pollak, Patrick Mahony et bien d’autres… Mais Onfray fait mine de ne pas le savoir pour se donner l’air de Don Quichotte à l’attaque des moulins à vent…
On peut craindre que l’ouvrage d’Onfray dissuade quiconque de critiquer sérieusement la psychanalyse plutôt que d’ouvrir la voie à une critique sérieuse.

Voici un compte-rendu de l’ouvrage d’Onfray paru sur le net :

Le titre même de l’ouvrage, Le Crépuscule d’une idole - un petit clin d’oeil au grand pourfendeur de morale et saccageur d’idoles que fut Friedrich Nietzsche -, est suffisamment explicite : c’est à un déboulonnage en règle que nous allons assister. Le sous-titre (« l’affabulation freudienne ») et l’illustration de la couverture, une horreur marketing vaguement inspirée de Bruegel représentant Sigmund Freud vieillissant sur fond de rougeoiments infernaux et de bestiaire fantastique, précisent l’objet de cette descente en flammes : le père de la psychanalyse et la science de l’inconscient. En un peu plus de six cents pages, l’accusateur public Michel Onfray n’y va pas de main morte et passe au Kärcher la vie d’un homme et de sa pensée, marquées, selon lui, du sceau infamant d’ « affabulation de haute volée appuyée sur une série de légendes ».
Cette entreprise de déconstruction qui se veut démystificatrice - mais dont on entend surtout les résistances, pour ne pas dire les relents de haine - ne serait pas bien grave si elle n’avait recueilli dès le départ un étrange accueil médiatique - journaux, radios et télévisions étant curieusement toujours plus enclins à donner la parole à un anti-psy déclenchant la polémique qu’à rendre compte du travail de l’ombre des thérapeutes et de leurs publications cliniques. « Michel Onfray allume le Freud » (Paris Match) ; « Onfray déboulonne Freud » (Le Point), « Onfray et le fantasme antifreudien » (Le Monde), et tout à l’avenant, « pour » et « contre » impartialement pesés, dans la grande tradition des médias paresseux sans pensée réelle : l’incendie médiatique, promis avant la sortie de l’ouvrage, a bel et bien été allumé.
La charge n’est pas neuve. Depuis plus d’un siècle, les sirènes de l’anti-freudisme et des attaques contre la psychanalyse n’arrêtent pas de hululer dans le landerneau intellectuel et mondain, dans les cercles de la droite conservatrice comme dans les milieux thérapeutiques branchés (suivez mon regard du côté des Etats-Unis), essayant à la fois de sortir de l’histoire le fondateur dérangeant de la psychanalyse et de promouvoir des techniques alternatives comme les nouvelles thérapies comportementalistes et cognitives (TCC) en accord avec notre siècle pressé et hanté par son souci d’efficacité.
Plus neuf, en revanche, est le ton, oscillant entre causerie brillante et ricanements permanents, pinaillages et saillies parfois drôles, colportage de rumeurs (la fameuse et prétendue liaison de Freud avec Minna, la soeur de Martha, sa femme), interprétations des faits, erreurs factuelles et maniements de paradoxes. Bref, Onfray se livre à un jeu de construction, à une sorte de brillant Lego théorique qu’il s’efforce de faire tenir debout.
Avec un acharnement étrange, il cherche à régler définitivement son compte à Sigmund Freud, qu’il charge de toutes les tares : ambitieux, falsificateur, cupide, vaniteux, phobique, obsédé, psychorigide, incestueux, n’en jetez plus, le maître viennois aurait fait de ses propres obsessions le lit même de sa théorie, conférant à ses libidineux fantasmes personnels (occire son père, coucher avec sa mère) une valeur quasi universelle (le fameux complexe d’Œdipe) ! La liste des horreurs ne s’arrête pas là. Il aurait également « torturé » sa fille Anna au cours d’une analyse perverse de quatre années qui l’aurait irrémédiablement conduite à devenir homosexuelle. Il aurait sciemment falsifié ses travaux pour dissimuler tous ses échecs thérapeutiques (face à l’hystérie du « cas Dora » ou à la psychose insondable et délirante de « l’homme aux loups » par exemple), travestissant en permanence la vérité, sans arriver à guérir (?) le moindre patient. Ou pire, sans se soucier des morts qu’il avait sur la conscience.
Prétendument libérateur de la sexualité, Freud n’aurait fait, en réalité, que promouvoir la phallocratie normative et la misogynie triomphante, dénoncé l’onanisme et - tare suprême ! - l’homosexualité - qualifiée d’« ontologique » (?) par Onfray -, en bon petit-bourgeois épris d’ordre moral et de valeurs traditionnelles.
Si le thérapeute viennois - qualifié de « chamane », de « guérisseur » et de « sorcier postmoderne » - ne trouve jamais grâce aux yeux de Michel Onfray, que dire alors du citoyen Sigmund Freud ? Lui aussi reçoit son paquet. Passons sur ses sympathies supposées pour Mussolini (une dédicace malheureuse, peut-être ironique, en tout cas forcée, de son opuscule Considérations actuelles sur la guerre et la mort au dictateur, qualifié de... « grand héros de la culture » !) pour arriver à sa prétendue complicité silencieuse avec la peste brune de la Vienne des années 1930 et au soupçon de « science inégalitariste » sinon carrément « raciste » éclaboussant la théorie analytique quand elle se perd sur des considérations (dans Pourquoi la guerre ?) sur les « races non cultivées », les « couches attardées de la population » et la nécessité d’éduquer une frange supérieure d’êtres humains pour diriger les masses.
Mais il y a pire encore. Au cas où vous ne le sauriez pas, le très juif Sigmund Freud était... antisémite ! N’a-t-il pas demandé s’il pouvait ajouter cette petite phrase innocente - humour juif sans doute ! - au bas du document monnayé qui lui permit effectivement de partir in extremis d’Autriche, lui et quinze autres personnes de sa tribu : « Je puis cordialement recommander la Gestapo à tous » ? Plus sérieusement, Freud n’a-t-il pas œuvré contre sa propre communauté dans son ouvrage L’Homme Moïse et la religion monothéiste, quand il déchoit le prophète Moïse de son appartenance au peuple élu en le ravalant au rang de simple prêtre égyptien ? Quand il évoque la circoncision comme menace de castration pour les non-juifs, faisant de cette peur archaïque le moteur d’une réaction contre la communauté pratiquant ce rite ?
Il va donc de soi que, sortie d’un cerveau aussi pervers et malsain, la doctrine psychanalytique ne peut être qu’une « affabulation », le pur « produit d’une culture décadente fin de siècle qui a proliféré comme une plante vénéneuse », avec la complicité objective de charlatans pris dans un véritable « tourbillon d’hallucinations collectives ». Une « pseudo-science » reposant sur une « pensée magique dans laquelle le verbe fait la loi », avec des pratiques improbables et fluctuantes comme l’hypnose, l’imposition des mains, la balnéothérapie ou l’emploi de substances chimiques mortifères comme la morphine ou la cocaïne.
La communauté des pychanalystes, visée à travers ce pamphlet, n’a pas manqué de réagir, qui avec un sourire amusé, qui en levant les yeux au ciel, qui plus fermement, en lançant parfois même au passage quelques violentes diatribes, face à un Michel Onfray muré dans sa position de martyr (« témoin », en grec ancien), détaché, jouissant et impavide. Car il fallait bien répondre à ces vieilles lunes, démêler l’exactitude d’une information de son interprétation, recenser les erreurs factuelles (1) et pointer les vaticinations délirantes, en rappelant, au passage, quelques solides vérités concernant la psychanalyse et son père fondateur.
Premièrement, que la discipline s’est patiemment construite à partir d’un ensemble de faits cliniques lentement réunis, au prix de tâtonnements, de remises en question et même d’erreurs tragiques.

Deuxièmement, qu’elle n’est pas tombée du ciel - ou plutôt surgie des Enfers - comme un bloc de lave figée ; mais qu’elle possède une vie éruptive, perpétuellement remise en activité, aussi bien par Freud lui-même au cours de ses reformulations incessantes que par ses héritiers et continuateurs.

Troisièmement, qu’elle ne s’aborde pas à la va-vite, en quelques mois, au prix d’une lecture exhaustive, à marche forcée et bâclée (les vingt pages de bibliographie commentée en fin de volume en disent long sur la boulimie maladive de son auteur), mais qu’elle devient l’affaire de toute une vie.

Quatrièmement, qu’il faut être assez retors pour faire bon marché d’un simple revers de main de toute la souffrance humaine que la psychanalyse a apaisée depuis un siècle ; des patients non pas « guéris », mais libérés et sauvés ; sauvés d’eux-même, de leurs entraves et de leurs répétitions, à peu près réconciliés avec leur propre histoire, claudiquant un peu mieux dans la vie.

Cinquièmement, qu’on ne récrit pas certains faits de l’histoire et que cette opération porte un nom : le révisionnisme, dont des personnes assez peu recommandables se sont faites les champions.
Quant au personnage Freud, serait-il par hasard cet homme idéal dont il brosse le portrait dans Malaise dans la civilisation, « cet être débonnaire, au coeur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend (simplement) quand on l’attaque » ? Une icône parfaite, un saint auréolé, intouchable et vénéré, n’étant jamais victime des idéologies de son temps ? Quelle puérilité ! Calé dans le bon fauteuil du présent et bénéficiant des acquis scientifiques et culturels de quelques décennies, il est facile de juger les limites d’un homme âgé aux prises avec les enjeux de son époque - les pratiques médicales, les régimes politiques et toutes les horreurs qui se sont particulièrement accélérées au XXe siècle, dictatures, guerres et génocides. Après tout, Platon a bien défendu l’esclavage, Machiavel méprisé cyniquement le genre humain et Rousseau abandonné tranquillement ses enfants à l’assistance publique. Cela en fait-il pour autant des monstres ?

N’entre pas qui veut dans la citadelle freudienne. Comme Freud qui s’y reprit à quatre fois avant de pouvoir entrer dans Rome, la Ville éternelle, capitale de la chrétienté, Onfray reste inhibé, arrêté au seuil, en philosophe, en dialecticien, en volubile manieur de concepts qui a tout lu, tout vu, tout prévu, tout pensé, même « l’arsenal » des réfutations dont son livre allait faire l’objet, afin de marquer son mépris pour les arguments des membres du « tribunal révolutionnaire freudien » comme autant de lieux communs : tout refus d’analyse signale à coup sûr le névrosé ; toute critique de la psychanalyse émanant d’un tiers exclu du couple analyste/analysé est infondée, etc.
Dont acte... Il faut alors tirer les conséquences d’une telle posture toute-puissante et envisager en souriant la conséquence farfelue qu’elle implique : Michel Onfray n’a pas d’insconscient. Ce qui ne l’empêchera, naturellement, ni de rêver, ni de faire des lapsus, ni de réussir ses actes manqués, ni de renouveler ses symptômes (et de se bourrer de médicaments) ; pas plus que de déployer cette stratégie héroïque, pathétique et grosse comme un symptôme, pour ne pas être mis en face de lui-même. Mais il n’en saura probablement jamais rien... Toujours se souvenir avec émotion de l’adage ironique de Jacques Lacan, corrigeant Descartes : « Je pense où je ne suis pas, je suis où je ne pense pas. »
(1) L’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco et cinq universitaires vont publier le 27 mai aux éditions du Seuil Mais pourquoi tant de haine ?, réponse directe au livre de Michel Onfray.

C’est au chapitre VI de son livre — Le crépuscule d’une idole — que Michel Onfray s’acharne à accuser Freud de complaisance envers les nazis.

« La psychanalyse [sous le national-socialisme] ne fut pas persécutée pour elle-même. En revanche, les psychanalystes juifs le furent en tant que juifs — mais nullement comme analystes », ne craint-il pas d’affirmer à la page 549. J’avais déjà répondu dans une tribune du site du Nouvel Observateur à cette contre-vérité calomnieuse. Afin d’être plus précis, je rappellerai que le docteur Martin Staemmler, responsable sous le régime hitlérien du Rassenpolitisches Amt (Office des Politiques Raciales), professeur à l’Université de Kiel, puis recteur de l’Université de Breslau, coéditeur de la revue Volk und Rasse (Peuple et Race), écrit sans ambages en 1933 : « La psychanalyse freudienne constitue un exemple typique de la dysharmonie interne de la vie de l’âme entre Juifs et Allemands. [...] Et lorsqu’on va encore plus loin et que l’on fait entrer dans la sphère sexuelle chaque mouvement de l’esprit et chaque inconduite de l’enfant […], lorsque […] l’être humain n’est plus rien d’autre qu’un organe sexuel autour duquel le corps végète, alors nous devons avoir le courage de refuser ces interprétations de l’âme allemande et de dire à ces Messieurs de l’entourage de Freud qu’ils n’ont qu’à faire leurs expérimentations psychologiques sur un matériel humain qui appartienne à leur race ».

Dans ce texte qui, chose étrange, a échappé aux recherches du Contre-Philosophe, il apparaît que le nazisme, dès son arrivée au pouvoir, déclare la guerre à Freud et à la psychanalyse, qualifiée officiellement de « science juive » conçue par un « esprit dégénéré » — avis que partage Onfray.

Toujours à la page 549 de son livre, et ce, par un tour de passe-passe négationniste doublé d’une bourde — un lapsus ? — Onfray laisse penser que si Félix Boehm, l’aryen, remplace en 1933 Max Eitingon, le juif, à la direction de la Société de Psychanalyse de Berlin, c’est sur un ordre de Freud dicté dans une lettre d’avril… 1939 — six mois avant sa mort — et, partant, que la Société existera jusqu’à cette année, voire jusqu’à la fin de la guerre. Or, c’est bien Eitingon qui, désireux de sauver les meubles, c’est-à-dire de préserver l’existence de la Société, pense naïvement qu’il est judicieux de céder sa place à Boehm. Peine perdue, bien sûr, puisque les nazis, pressés de liquider la psychanalyse, ordonneront la dissolution de ladite Société en septembre 1933. Durant toute cette période d’aryanisation des sphères de la médecine mentale, qui dure quelques mois, Matthias Göring (le cousin de l’autre) fondera en 1934 la Société Générale Allemande de Médecine Psychothérapeutique — avant d’ouvrir en 1936 un Institut Allemand de Recherche en Psychologie et Psychothérapie qui portera son nom. Or, c’est très précisément à ce moment là que le mot même de « psychanalyse » disparaît en Allemagne du vocabulaire psychiatrique.

Dans ce chapitre VI, tout à sa jouissance de calomnier Freud, Onfray passe totalement sous silence le fait que de 1936 à 1940 l’Institut Göring est dirigé par C.-G. Jung, antisémite notoire, et qui, en tant que disciple exclu par Freud depuis 1912 et devenu son ennemi juré, a pour mission d’expurger de la psychologie « aryenne » toute référence aux fondements théoriques de la psychanalyse, à savoir : l’inconscient, la sexualité infantile, l’œdipe, la pulsion de mort et le mode même de la cure — autant de points de doctrine freudiens sur lesquels Onfray jette lui aussi le discrédit dans la continuité des psychothérapeutes nazis.

Si, sous le nazisme « la psychanalyse [peut] continuer à exister », comme le dit Onfray, c’est à la condition de n’être plus freudienne, mais jungienne. À la condition, donc, de n’être plus tout court — comme le prouve, par exemple, le fait qu’Erna Göring suive une « analyse didactique » au sein de l’institut de son mari avec un anti-freudien dénommé Werner Kemper — lequel, après la guerre, passé à l’est et devenu stalinien deviendra… pavlovien.

Quand, en mai 1933 le NSDAP fête son triomphe par les autodafés d’ouvrages de littérature et de science « juives », personne en Europe, à l’exception de Klaus Mann, le fils de Thomas Mann, ne s’imagine que les nazis brûleront bientôt nombre de leurs auteurs. Toutefois, Freud qui, dans ses travaux des années 1920, met en lumière l’existence d’une pulsion de mort et de soumission à l’œuvre dans psychisme humain, en observe les manifestations politiques et populaires dans le nazisme. « Le monde se transforme en une énorme prison. L’Allemagne est la pire de ses cellules […] », écrit-il à Marie Bonaparte le 22 juin 1933, un mois après l’arrivée d’Hitler.

Jusqu’à l’Anschluss, malgré la violence des nazis nationaux, les Juifs autrichiens, jouissent, si on peut dire, d’un sursis face aux persécutions. En mars 1938, les forces de la mort prennent le pouvoir. Le domicile de Freud est saccagé par la police. Sa fille, Anna, arrêtée par la Gestapo, est relâchée grâce à l’intervention de l’ambassadeur américain W.C. Bullitt. Deux de ses enfants et sa belle-sœur Minna ont déjà fui à Londres. Sur l’insistance de Marie Bonaparte, sa patiente, et grâce à son aide financière, Freud les rejoindra avec sa femme et sa fille. Avant de partir, les policiers lui demanderont de rédiger cette déclaration : « Je soussigné, Professeur Sigmund Freud, confirme qu’après l’Anschluss de l’Autriche au Reich allemand, j’ai été traité par les autorités allemandes, et la Gestapo en particulier, avec tout le respect et la considération dus à ma réputation scientifique, que j’ai pu continuer à poursuivre les activités que je souhaitais, que j’ai pu compter dans ce domaine sur l’appui de tous et que je n’ai pas la moindre raison de me plaindre ». Avec le sens de l’humour qui le caractérise, il ajoutera ce « codicille » à la déposition : « Je puis cordialement recommander la Gestapo à tous ! ». Mais, dirait Onfray, qui sait si, à ce moment, Freud n’est pas sincère ?

On assiste ces dernières années à une offensive idéologique en règle contre la psychanalyse de Freud. Elle est attaquées sur plusieurs fronts : de la part des classes dirigeantes, des chercheurs en sciences, des philosophes, des intellectuels, des psychologues de diverses écoles. Une des manières de combattre Freud consiste à lui opposer Jung en prétendant qu’il aurait davantage pris en compte l’homme dans sa diversité culturelle et idéologique. Il est vrai que Freud menait un combat idéologique qui est peu connu aujourd’hui et encore moins à la mode parmi les scientifiques : un combat philosophique matérialiste contre les spiritualismes, les religions, les mystiques et les conceptions magiques. Il est fort rare aujourd’hui de se souvenir que des auteurs comme Darwin, Freud, Einstein, Langevin, Pasteur, Prigogine ou Gould se sont battus non seulement pour leur thèse scientifique mais pour une philosophie matérialiste scientifique et contre toutes les conceptions philosophiques magiques et religieuses. Et c’est en grande partie ces prises de position publiques qui leur ont valu un grand nombre d’inimitiés, non seulement parmi les scientifiques mais dans la société établie….

Lorsque Freud a commencé ses recherches, tous les domaines du rêve à la « folie », de la névrose au fantasme, de l’inhibition psychologique à l’obsession appartenaient pour l’immense majorité des auteurs au spirituel, aux esprits, à l’âme, à l’immatériel. Le plus grand progrès que l’on doit à Freud est d’avoir sorti ce domaine de recherche au spiritualisme. Le principal « apport » de Jung consiste à l’y avoir rejeté !

Freud cherchait une base matérialiste aux névroses et au fonctionnement des rêves, des inhibitions, de l’ensemble du psychisme humain. A l’inverse, Jung va redonner un caractère mystique à tous ces phénomènes, ce qui le réconcilie avec toutes les autorités sociales et permet de développer une psychanalyse réactionnaire alors que celle de Freud se heurtait à toutes les institutions idéologiques de la société.

Pour Freud, il n’y a pas deux domaines matière et esprit mais un seul et ce sont des phénomènes réels qui sont à la racine des phénomènes imaginaires produits par le cerveau humain : phantasmes, rêves, névroses, imaginaire, peurs, etc… Pour Freud, le monde des idées issues du cerveau n’a rien de magique, d’évanescent, de spirituel et d’immatériel.

Notre problématique n’est pas la défense de Freud en tant que pensée ne devant pas évoluer, ne devant pas être critiquée. Freud lui-même n’a cessé de se critiquer durement en fonction de son expérience psychanalytique, pour la faire discuter et évoluer.

Messages

  • Dans son brûlot truffé d’erreurs et traversé de rumeurs, « le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne », Michel Onfray, qui n’est pas historien et ignore tout des travaux produits depuis quarante ans par les véritables historiens de Freud et de la psychanalyse (des dizaines d’essais dans le monde, dont les principaux sont traduits en français), se présente pourtant comme le premier biographe de Freud capable de décrypter des légendes dorées déjà invalidées depuis des décennies. Se transformant en affabulateur découvrant des vérités occultes qui auraient été dissimulées par la société occidentale - elle-même dominée par la dictature freudienne et par ses milices - il traite les Juifs, inventeurs d’un monothéisme mortifère, de précurseurs des régimes totalitaires, Freud de tyran de toutes les femmes de sa maisonnée et d’abuseur sexuel pervers de sa belle-sœur : homophobe, phallocrate, faussaire, avide d’argent, faisant payer ses séances d’analyse 450 euros.
    Il décrit le savant viennois comme un admirateur de Mussolini, complice du régime hitlérien (par sa théorisation de la pulsion de mort) et fait de la psychanalyse une science fasciste fondée sur l’adéquation du bourreau et de la victime. Tout en se déclarant proudhonien et parfois freudo-marxiste, il réhabilite le discours de l’extrême-droite française (Debray-Ritzen et Bénesteau, notamment) avec lequel il entretient une réelle connivence. De telles positions vont bien au-delà d’un simple débat sur Freud et la psychanalyse. Car à force d’inventer des faits qui n’existent pas et de fabriquer des révélations qui n’en sont pas, l’auteur de ce brûlot hâtif et brouillon favorise la prolifération des rumeurs les plus extravagantes : c’est ainsi que des médias ont déjà annoncé que Freud avait séjourné à Berlin durant l’entre-deux-guerres, qu’il avait été le médecin d’Hitler et de Göring, l’ami personnel de Mussolini et un formidable violeur de femmes.

    • pour autant que je m’en souvienne il y a plus de vingt ans, lors de recherches dans les bibliothèques américaines, je m’étais amusé à comparer les différentes versions de l’histoire de la "dédicace" à Mussolini. Autant dire que la façon dont l’hédoniste-de-service Michel Onfray, sans même se laisser arrêter par la crainte du ridicule, s’est ici posé en... découvreur, m’a irrésistiblement rappelé une formule de l’écrivain Henri Pollès, qui -dans un ouvrage qui est d’ailleurs consacré à l’Italie fasciste et n’est pas sans intérêt ("L’Opéra politique")- parlait de la modernité et de ses nouveautés d’antiquaire, sic...

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