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Makarenko, un pédagogue russe

mercredi 9 octobre 2013, par Robert Paris

"La tâche du pédagogue est d’aborder chaque être humain avec une hypothèse optimiste au risque de se tromper."

"La plus grande exigence possible à l’égard de chaque individu mais aussi le plus grand respect possible de chaque individu. Aucun but d’éducation qui soit purement individuel sans être aussi un but collectif, partagé et appuyé par la collectivité. Une collectivité scolaire autogérée, auto-disciplinée et rejetant les châtiments corporels et psychologiques. Et aussi sans aucune barrière infranchissable entre l’école et le monde extérieur. L’homme ne peut pas vivre sur terre s’il n’aperçoit pas devant lui quelque chose de réjouissant, élever l’homme c’est faire naître en lui des lignes perspectives d’après lesquelles s’organiseront ses joies de demain."

"Dans mon rapport sur la discipline je m’étais permis de douter des thèses universellement admises à cette époque qui voulaient que le châtiment ne forme que des esclaves, soutenaient qu’il faut laisser le champ libre à l’instinct créateur de l’enfant pour s’en remettre avant tout à l’organisation et à la discipline spontanées. Je m’étais permis d’avancer l’affirmation, indubitable pour moi que, tant que les traditions n’étaient pas nées et qu’il ne s’était pas formé un premier acquis d’accoutumance au travail et à la vie en commun, l’éducateur avait le droit et le devoir de ne pas s’interdire le recours à la contrainte. J’affirmais également qu’il était impossible de faire reposer route l’éducation sur l’intérêt, parce que l’éducation du sentiment du devoir se trouvait fréquemment en contradiction avec l’intérêt de l’enfant, tel, du moins qu’il le comprenait. J’exigeais une éducation susceptible de donner un homme bien trempé et fort, capable de s’acquitter d’un travail même déplaisant et ennuyeux, s’il répond aux intérêts de la collectivité.
En conclusion, je défendais l’idée d’une collectivité animée d’un esprit puissant, rigoureux, si nécessaire, et c’était sur elle, uniquement, que je fondais tous mes espoirs."

"Nous passâmes le reste de la journée à dresser les plans de notre existence future. Mais eux n’accordaient qu’une indif-férence polie à mes propositions, ne pensant qu’à se débarrasser de moi au plus vite. Au matin, Lidia Pétrovna arriva chez moi, tout émue, et me dit : Je ne sais pas comment leur parler...je leur dis : il faut aller chercher de l’eau au lac, et il y en a un, celui qui est coiffé comme çà, en train de mettre ses bottes, et qui me fourre une semelle sous le nez, en me disant : "voyez comme le bottier les a faites trop étroites". Les premiers jours ils s’abstinrent même de nous outrager, mais nous ignoraient simplement. Le soir, ils s’absentaient librement de la colonie et revenaient le matin, accueillant avec un sourire discret les remontrances que je leur faisais dans le pur esprit de "l’éducation sociale" officielle. Au bout d’une semaine un inspecteur de police judiciaire vint arrêter Bendiouk pour assassinat de nuit et cambriolage. Mortellement effrayée par cet événement, Lidia Pétrovna pleurait, retirée dans sa chambre, et n’en sortait que pour de-mander à tout le monde : Mais qu’est-ce que c’est que çà ? Comment est-ce donc possible ? Il sort et il tue quelqu’un ? Ekatérina Grigorievna fronçait les sourcils, avec un sourire grave : Je ne sais pas, Anton Sémionovitch [Makarenko], sérieusement, je ne sais pas...Peut être qu’il faudrait simplement s’en aller. Je ne sais quelle attitude il est possible de prendre ici... Les bois déserts, qui entouraient notre colonie, les cubes vides de nos bâtiments, la dizaine de châlits, la hache et la pelle qui constituaient notre matériel, et cette demi-douzaine de pupilles qui rejetaient catégoriquement non seulement notre ministère pédagogique, mais toute forme de civilisation, tout cela, à vrai dire, ne s’accordait en aucune façon avec notre précédente expérience scolaire..."

"Il n’y a pas de moyens infaillibles comme il n’y a jamais de moyen radicalement mauvais. Tout dépend des circonstances, des particularités de l’individu et de la collectivité, du talent et de la préparation des éducateurs, du but le plus proche proposé, de la conjoncture présente ; en fonction de tout ceci, le champ d’application de tel ou tel moyen peut s’élargir jusqu’à généralisation complète, ou se rétrécir jusqu’à négation totale. Il n’y a pas de science plus dialectique que la pédagogie, et c’est pourquoi les données de l’expérience y ont une importance capitale."

"L’autorité ne procède que de la responsabilité."

Anton Makarenko

Qui était Makarenko

L’éducation morale dans la pédagogie de Makarenko

Naît en Ukraine en 1888 sous le règne d’Alexandre III
Fils d’ouvriers.

Instituteur à 17 ans, enseigne le russe. Se fait remarquer par ses qualités de chercheur.

Est influencé par Gorki. Lit Marx, Engels.

En 1914 entre à l’institut pédagogique de Potlava.

En 1917 est directeur d’école secondaire après avoir été professeur d’histoire.

En 1920, à la suite de la révolution, c’est la guerre civile, il y a de nombreux délinquants.

Il organise une colonie de mineurs grands délinquants : la "colonie Gorki" près de Potlava.

Elle va se constituer malgré des heurts et des rixes. Il va en parler dans "Les poèmes pédagogiques" (1935-1936) et dans le film de Ekk "le chemin de la vie". La colonie garde des routes et fait la police dans le secteur, elle se consacre à la construction de sa propre maison et à l’implantation d’une activité agricole. Il y a jusque 97 jeunes. En 1924 il y en a 120. La colonie va s’enrichir d’un agronome avec qui il va écrire son expérience. Celle ci va être centrée sur l’économie de la colonie. L’élevage va se développer, des ateliers se montent

En 1926 sa colonie est transférée au monastère de Kouriage où une colonie de 280 enfants terrorisait la population.

La colonie possède une usine montée suivant les derniers progrès de la technique et une université ouvrière.

En 1935 il sera nommé vice directeur des colonies de travail. Il milite pour le droit de vote des femmes. Apporte sa voix aux opposants du totalitarisme tant par rapport au nazisme qu’au communisme.
« Les poèmes pédagogiques" sont sa publication la plus intéressante car il y note pendant 8 ans tous les jours avec minutie, détails, humour, toute sa recherche pédagogique.

Il demande, comme Korczak, à ses collaborateurs d’en faire autant.
Il correspond avec Maxime Gorki[1], avec ses anciens élèves.

En 1927 il épouse Galina Salko responsable à la commission de la délinquance.

Entre 1930 et 1935 il publie et est reçu à la Société des écrivains.
En 1936 il remet sur pieds en moins d’un mois une autre colonie abandonnée, près de Kiev.

Il meurt en 1939 à Moscou.

Il aura tiré d’une expérience vécue dans une colonie de jeunes délinquants, les grands principes de sa méthode de rééducation d’adolescents marqués par la guerre et la révolution.

Ses idées pédagogiques

Makarenko a vigoureusement réagi
contre les tentatives des pédologues visant à établir les normes du développement de la
personnalité de l’enfant à partie des thèses générales, non vérifiées par l’expérience, de la
sociologie, de la psychologie, de la biologie et des autres sciences. « C’est l’induction à partir de
l’expérience qui doit être la base [...] de la règle pédagogique. Seule la totalité de l’expérience,
vérifiée dans son déroulement même et dans ses résultats, seule la comparaison de pans entiers
de l’expérience peuvent nous fournir les données requises pour choisir et décider. »

"Je définis en peu de mots nos objectifs : propreté, travail, étude, une vie nouvelle et un nouveau bonheur humain. Les jeunes vivent dans un pays heureux où il n’y a ni seigneurs ni capitalisme, où l’homme peut grandir libre et se développer dans une activité joyeuse"[2].

Pour lui les bases de l’éducation sont :

Les intérêts de la communauté d’enfants et d’adultes qui composent la colonie. Cette dernière est un ensemble achevé d’individus qui se sont organisés. C’est "la communauté saine" qui est à la base. C’est quand elle est mauvaise que se crée la délinquance.
Les notions d’honneur et de devoir sont importantes.
Les jeunes perçoivent peu à peu que la collectivité les protège et qu’ils doivent la protéger. Cette idée de la communauté se crée par les événements, les traditions, ce qui fait l’identité de la communauté, les souvenirs communs. Les jeunes gagnent ainsi une certaine fierté.

"L’homme ne peut pas vivre sur terre s’il n’aperçoit pas devant lui quelque chose de réjouissant, élever l’homme c’est faire naître en lui des lignes perspectives d’après lesquelles s’organiseront ses joies de demain."

Les décisions sont prises collectivement et quelquefois avec toute l’institution.

Il emploie souvent le terme d’esthétique, au sujet par exemple de la discipline. La politesse est importante entre les membres.
Le pédagogue est là pour surveiller que la discipline entre les enfants ne soit pas trop dure.

On est dans le présent des faits on n’éduque pas pour plus tard. Cela rappelle Dewey.

Par rapport à l’éducation familiale Makarenko pense cette dernière doit donner des notions d’ordre, d’honnêteté, de précision, dévouement et de justice. Elle doit apprendre à l’enfant à avoir conscience de ses responsabilités. Importance d’un climat familial joyeux.

L’éducation commence au tout premier âge, "ce qui n’a pas été fait avant trois ans est difficile à redresser, il faut élargir l’horizon à partir de la mère, exploiter son attention, par contre se méfier de la précocité. L’organisation de la vie familiale est importante. » C’est ce qu’il cherche dans la constitution des groupes de ses colonies.

Autre dimension : le travail qui régénère l’homme. Il associe donc l’instruction générale au travail productif. Le travail coopératif est la base. Par le travail l’homme se fabrique lui-même.
C’est l’activité qui fait l’éducation. L’action met la vérité en évidence, la raison n’aboutit à rien.

A partir du jeu, donner à l’enfant confiance dans ses forces et l’amener par des transitions adroites à des attitudes justes envers son travail.

Makarenko croit au fait qu’il faut être vrai avec les jeunes enfants délinquants.

La pédagogie est le résultat d’une expérience ; [3]la théorie est là pour vérifier.

L’éducation sociale passe avant tout, avant l’éducation individuelle et même familiale.

L’homme se crée lui-même. Mais "l’homme est difficile à comprendre ; il y a un mystère dans l’homme". Il nie Dieu, mais s’efforce de donner un sens à la vie.

Quelques nuances : Il se pose des questions sur l’efficacité de sa méthode et cherche lui-même un sens à ce qu’il fait.
Les chefs ne doivent pas injecter des idéaux au prolétariat mais doit les éveiller.

Il récuse le principe Rousseauiste d’une nature humaine originellement positive.

Il est pour prendre en considération l’intérêt de l’enfant, mais se méfie des pédagogies basées sur l’attrait.

Par contre est très proche de Rousseau par rapport à l’éducation morale où c’est l’expérience qui guide l’enfant dans ses apprentissages de la vie.

Il refuse de réduire la situation éducationnelle à la seule relation éducateur éduqué. Cela ne l’empêche pas de souligner l’importance de l’individualité au sein d’un groupe car l’intérêt personnel doit pouvoir s’exprimer au sein d’un groupe.

Il est nécessaire de prendre en considération : la personnalité des acteurs, la qualité des relations interpersonnelles et la joie !
Par ailleurs, il trouve intéressant l’inachèvement dans lequel se trouvent les choses et les événements, cela rend possible leur orientation qui deviennent des buts et non des conséquences et surtout la liberté entre les deux permet une interaction constructive.
Importance de l’enseignement de l’art, des sciences de l’histoire.
En référence à Gorki il refuse de s’attarder à la dimension morbide de l’homme, il veut rendre l’homme heureux.

L’éducation fait partie d’un système d’ensemble, donc elle bouge.

L’organisation des colonies

Elles reprennent les idées ci-dessus. C’est une reproduction en petit de la société bolchevique des années 1920.

Quand un enfant arrive à la colonie on ne lui parle pas de son passé, on ne désire pas qu’il en fasse cas, par contre on lui parle de là où il est né. On lui propose ainsi de se situer nouvellement dans le temps.

Makarenko insiste sur la nécessité de réorganiser le travail collectif et d’associer la colonie aux tâches les plus urgentes de la société. Les jeunes délinquants vont par exemple participer à des expéditions punitives contre des distillateurs clandestins.[4]
Importance "des traditions dans l’organisation de la colonie qui a son histoire, sa gloire" Les jeunes montent la garde autour de la colonie, protègent la forêt contre les pillards.
A la faveur de ces tâches une conversion profonde s’opère chez les individus, la loi de la jungle et de la violence est bannie, l’intérêt individuel s’identifie de plus en plus à l’intérêt collectif, tandis que des aspirations nouvelles se manifestent dans les activités professionnelles et les comportements de loisir.
L’organisation se construit autour de "détachements spéciaux" qui sont des groupes d’enfants d’âge divers, où il y a des responsables nommés “commandants ”qui doivent vivre parmi les autres.
L’organisation plus générale est basée sur le principe d’auto direction, avec des assemblées générales sous la tutelle d’un conseil de collectivité qui comprend des représentants des commissions. Chaque éducateur est responsable de 2 ou 3 détachements. Pour prendre une décision Makarenko fait souvent appel à toute la colonie
Les enfants sont donc les sujets de leur propre organisation et éducation.

Agriculture, élevage, préparation des champs, l’enrichissement de la colonie se fait aussi avec des ateliers de fabrication de montres qui sont les productions comme dans une entreprise.
Personne n’est dispensé des travaux de récolte de pommes de terre. Les activités des enfants sont les pratiques agricoles, domestiques, techniques...
L’école est une société en réduction, l’enfant y est un membre de communauté. Il y apprend l’esprit de service, on lui donne les moyens de se conduire de manière efficace.

"Actuellement où le collectif n’est qu’un instrument qui permet à l’individu de se résoudre,
dans la post-modernité rien ne vaut la peine de se sacrifier, il ne reste que la stimulation sensorielle afin de ne pas s’ennuyer complètement.
Il ne reste que les petites histoires de chacun... et de chaque jour,
cette pédagogie peut-être intéressante."
Octavi Fullat I Genis "Les quinze pédagogues-Makarenko"

Makarenko fut l’un des fondateurs de la pédagogie institutionnelle. Ses idées seront reprises par C. Freinet Celestin Freinet 1896-1974 et F. Deligny[5].

Bibliographie
 Gotovitch L. ; "Makarenko pédagogue patricien" ; PUF ; 1996
 Makarenko A.S. ; traduction de Champenois J."Le livre des parents" ; ed. en langues étrangères, Moscou
 Makarenko A.S."Oeuvres choisies", tome 2 "Les drapeaux sur les tours" ; ed. du progrès ; Moscou ; 1967
 Makarenko A.S. "Poèmes pédagogiques" I II III ; éditions en langues étrangère, Moscou ; 1935
 Makarenko A.S. "L’éducation dans les collectivités d’enfants" ed. C.E.M.E.A
Librairie russe, 67 bd Beaumarchais ; Paris

[1] Ecrivain russe, 1868-1936

[2] La plupart des citations viennent des « Poèmes pédagogiques »

[3] Son ouvrage principal ne fera que retransmettre son expérience

[4] Ce fait « délinquant » fut contesté d’autres pédagogues

[5] Fernand Deligny, éducateur français, né le 7 novembre 1913 et mort le 18 septembre 1996


Extrait de "Les drapeaux sur les tours" de Makarenko :

De nombreux vols ont étés commis à la colonie du premier mai (nom fictif), le suspect principal en est Ryjikov. Comme ses autres camarades, il a commis de nombreux larcins avant d’être pris en charge par la colonie mais il a persisté après son intégration. Il a déjà été pris la main dans le sac mais la colonie l’a réintégré sans le moindre problème. Ryjikov est toujours intégré à la colonie et est maintenant commandant de jour (une sorte de responsable des autres colons).

Depuis plusieurs mois, les vols ne sont pas élucidés fautes de preuves, la situation devient de plus en plus problématique car la colonie produit maintenant les premières perceuses électriques fabriqués en URSS.

Filka se leva avec la gravité qui sied à un rapporteur, s’avança jusqu’au bureau de Torski, et remarquant le regard trop gai de Lida Talikova, baissa les yeux un instant :

-Ce matin, commença-t-il, nous arrivons à l’atelier, Vania Galtchenko et moi, avant la sonnerie du lever…

-Pour huiler le Keystone, fit entendre, comme à part soi, la voix enrouée de Vorgounov.

Les chefs d’équipe se mirent à rire, tandis que Filka sérieux acquiesçait d’un signe de tête :

-Oui, oui. Avons-nous le droit d’huiler notre shapping ?

-Mais pas avec de l’huile volée ! dit Igor.

Filka se retourna vers le président :

-Vitia, je demande…à ne pas être insulté.

-Parle, parle, répondit Vitia, ne fais pas cas des insultes.

-Arrivés tous deux à l’atelier, on se dit : allez au travail. On commençait à peine, que de la fonderie entrent Ryjikov et Bankovski. On se cache en vitesse derrière la Samson Werke d’Igor et…

Dans la salle du conseil on entendit subitement un fracas, un bruit de coup, un tumulte inattendu et ce cri de Zyrianski :

-Non ! Je t’ai à l’oeil !

Projeté avec force du seuil jusqu’au milieu de la pièce, Ryjikov s’y abattit malencontreusement, la face contre le parquet, et lorsqu’il se releva, sa bouche était en sang. Tous se dressèrent et Zakharov (directeur de la colonie) cria :

-A l’ordre colons ! Zyrianski, de quoi s’agit-il ? Bratzan, relève celui-là.

Mais Ryjikov se releva de lui-même, et debout à la même place se mit à essuyer d’une manche sa bouche ensanglantée. A son bras gauche était noué l’éclatant brassard de soie du commandant de jour. Zyrianski vint à lui rapidement, tira violemment et le brassard lui resta dans la main. D’un geste brusque il le jeta sur le sol en sifflant au visage de Ryjikov :

-Jusqu’au brassard rouge que tuas souillé canaille !…De quoi il s’agit ? Il voulait se sauver ! Mais je le surveillais depuis le matin. Il s’était assis près de la porte : on voyait qu’il flairait du mauvais pour lui au conseil.

-Assez Zyrianski. Personne ne sait rien encore. Et Torski, ce disant, adressa un signe de tête à Filka. Ryjikov demeura ainsi debout au milieu de l’assemblée ; il était difficile de s’imaginer que quelqu’un lui eût permis de s’asseoir à son coté.

(…)

-On s’est cachés, comme je vous dis, derrière le Samson et on reste là assis. Alors il y a Bankovski qui dit à Ryjikov : hier Béglov s’est occupé des fraises jusque bien avant dans la nuit, et elles sont ici, tiens ces fraises. Alors, ils y sont allés aussitôt, avec des pince-monseigneur… Ils en ont un lot, faut voir. En cinq secs, ils ouvrent le placard de Semion, et ils les prennent. Après, Ryjikov demande : tu as vendu les pieds à coulisse ? Et Bankovski de répondre : non, je ne les ai pas vendus, c’est sans importance. Tel quel, il a dit : c’est sans importance ! Ryjikov alors se met à rire : Ah ! On va bien s’amuser à présent, que les fraises ont filé ! Mais Bankovski lui, ne rit pas du tout ; il dit comme ça, rudement : on voit maintenant tout un tas de traîne-guenilles qui s’avisent de bâtir des usines. Là dessus, il ne dit plus rien, mais tout le temps il avait l’air mauvais. Tandis que Ryjikov, pas une miette, il ne faisait que rire. Et puis ils sont partis, avec les fraises : Bankovski les a emportées dans ses poches. Nous, du coup, on en a oublié l’huilage du shaping, et on a filé raconter la chose à Aliocha, et ensuite à Alexéi Stépanovich.

(…)

-Que pouvez-vous dire, Bankovski ?

Bankovski leva un visage, blème sans doute, mais nullement effrayé :

-Je n’ai rien à dire ; on sait ce que c’est les racontars d’un gamin.

Zyrianski lui éclata de rire en pleine figure :

-Il n’a rien à dire et nous n’avons rien à lui demander. Il faut immédiatement perquisitionner dans sa chambre.

-Mais en avons nous le droit ?

-Nous le ferons avec ou sans droit. Mais Bankovski nous y autorisera peut-être ? Vous permettez, citoyen Bankovski ?

(…)

-Rijykov à peut être quelque chose à nous dire ?

A la stupéfaction générale, Ryjikov leva un de ces visages pitoyables qui demandent et implorent la compréhension, la sympathie. Les yeux clignotants, les traits contractés, avec une mine de martyr, il…eh bien, il raconta aux chefs d’équipe un tas de choses intéressantes. Peut-être comptait-il se gagner les colons par sa sincérité ou tout mettre sur le dos de Bankovski, toujours est-il qu’après sa confession, aucune obscurité ne subsistait plus. Les manteaux, le rideau du théâtre, la montre d’argent et l’innombrable outillage disparus avaient cessé de présenter autant de mystères. C’était lui qui avait glissé les clefs anglaises dans les affaires de Lévitine et il avait par deux fois mis le feu au stade. Rejikov débitait son récit d’une voix monocorde et douloureuse, sans entrain et sans se perdre dans les détails, mais sans oublier ses battements de paupière et ses piteuses grimaces :

-Bankovski a dit : si on pouvait leur faire suspecter les chefs d’équipe ! Que leurs soupçons se tournent contre eux !… Et j’ai acquiescé. Ensuite j’ai volé la montre à Volenko et je voulais aussi fourrer quelque chose dans les affaires de Zyrianski, parce que Bankovski me le demandait tout le temps, mais enfin je lui ai dit : avec Zyrianski, personne ne le croira.

Lorsqu’il eut finit, Zakharov demande :

-Pourquoi as-tu agi…pour l’argent ?

-Qu’ai-je à faire de l’argent ? C’est Bankovski qui me poussait tout le temps. En me parlant de mon père, il disait : ton père vivait bien, mais toi, à présent, tu es fichu, c’est la faute aux Soviets. Et je l’ai écouté, par bêtise, naturellement, et j’ai fait tout ce qu’il voulait. Mais mon père, qu’est ce qu’il est pour moi ? Je n’y pense même pas.

-Tiens, tu m’attendris, déclara Zyrianski, j’en ai les larmes aux yeux, tu vois ?

Ryjikov regarde les yeux de Zyrianski et se détourna : il n’y avait rien vu que la plus implacable condamnation.

Au bout d’une heure arriva Kreutzer (l’ingénieur en charge de l’usine), que Zakharov avait appelé par téléphone. Il entra, comme toujours plein d’entrain et prêt à rire, mais ne rit pourtant pas cette fois et dit en répondant au salut de tous :

-Bonjour mes amis ! Vous l’avez pincé ? Vous avez perquisitionné ? Parfait ! Les fraises sont retrouvées ? Les pieds à coulisses ? Bon. Laissez-moi avoir avec eux une petite conversation en particulier. Il me suffira d’ailleurs de causer avec Bankovski seul : deux mots.

Dans le bureau de Zakharov, il ne passa pas plus de cinq minutes en tête-à-tête avec Bankovski et dit en revenant :

-Ce n’est qu’un des fils de l’affaire. Le NKVD démêlera l’écheveau. Il faut les expédier en ville. Alexéi Stépanovitvh, désignez six solides gaillards, qui ne les laissent pas échapper.

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