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La fausse déstalinisation de Nikita Khrouchtchev

vendredi 25 octobre 2013, par Robert Paris

Les documents du secrétariat de Staline montrent que Khrouchtchev participa à des réunions avec lui dès 1932. Les deux se lièrent d’amitié : Khrouchtchev admirait le dictateur et chérissait les rencontres informelles avec lui et les invitations à la datcha de Staline tandis que Staline appréciait son jeune subordonné. À partir de 1934, Staline lança une campagne de répression politique connue sous le nom de Grandes Purges au cours de laquelle des millions de personnes furent exécutées ou envoyées au goulag. Au centre de cette campagne se trouvaient les Procès de Moscou, une série de procès truqués destinés à éliminer de hautes personnalités politiques et militaires. En 1936, Khrouchtchev exprima son soutien total aux procès :

« Tous ceux qui se réjouissent des succès de notre pays, des victoires de notre parti mené par le grand Staline, ne trouveront qu’un seul mot convenable pour les mercenaires, les chiens fascistes du gang zinovievo-trotskyste. Ce mot est exécution. »

Khrouchtchev participa à la purge de nombreux amis et collègues de l’oblast de Moscou. Sur les 38 officiels de premier plan du Parti à Moscou, 35 furent exécutés et les trois survivants furent envoyés dans d’autres régions de l’URSS. Sur les 146 secrétaires du Parti des villes et des districts de Moscou et de la province, seuls 10 survécurent aux purges40. Dans ses mémoires, Khrouchtchev nota que presque tous ses collaborateurs furent arrêtés. Selon le protocole du Parti, Khrouchtchev devait approuver ces arrestations et il ne fit pas grand-chose pour sauver ses amis et collègues43.

Les dirigeants du Parti recevaient un quota « d’ennemis » à dénoncer et à arrêter. En juin 1937, le Politburo fixa un quota de 35 000 ennemis à arrêter dans la province de Moscou et 5 000 d’entre-eux devaient être exécutés. En réponse, Khrouchtchev demanda que 2 000 paysans aisés ou koulaks vivant à Moscou soient exécutés dans le cadre du quota. Deux semaines après avoir reçu l’ordre du Politburo, Khrouchtchev rapporta à Staline que 41 305 « éléments criminels et koulaks » avaient été arrêtés et que 8 500 méritaient la mort.

Khrouchtchev n’avait aucune raison de considérer qu’il était à l’abri des purges. En 1937, il avoua son rapprochement avec le trotskisme en 1923 à Kaganovitch qui, selon Khrouchtchev, « blêmit » (car les erreurs de son protégé pouvaient affecter sa position) et lui conseilla de le dire à Staline. Le dictateur accueillit la confession avec calme et après avoir conseillé Khrouchtchev de la garder secrète, il lui suggéra de raconter l’affaire lors d’une conférence du Parti à Moscou. Khrouchtchev fut ovationné et immédiatement réélu à son poste. Khrouchtchev raconta dans ses mémoires qu’il avait également été dénoncé par un collègue arrêté. Staline informa Khrouchtchev de l’accusation en personne et attendit sa réponse. Khrouchtchev supposa dans ses mémoires que si Staline n’avait pas été convaincu de sa réponse, il aurait été qualifié d’ennemi du peuple et traité en conséquence. Néanmoins, Khrouchtchev devint un membre non votant du Politburo en janvier 1938 et un membre à part entière en mars 1939.

À la fin de l’année 1937, Staline nomma Khrouchtchev à la tête du parti communiste en Ukraine et il quitta Moscou pour Kiev, redevenue la capitale ukrainienne, en janvier 1938. L’Ukraine avait été le lieu de larges purges et parmi les victimes figuraient des professeurs de Stalino pour lesquels Khrouchtchev avait un grand respect. Les rangs de la hiérarchie du Parti n’avaient pas été épargnés et le Comité central d’Ukraine avait été tellement décimé qu’il n’atteignait même plus le quorum. Après l’arrivée de Khrouchtchev, le rythme des arrestations s’accéléra. Tous les membres du Politburo et du secrétariat ukrainien furent arrêtés à l’exception d’un seul. Presque tous les fonctionnaires et les commandants de l’Armée rouge furent remplacés. Durant les premiers mois qui suivirent la nomination de Khrouchtchev, tous ceux qui avaient été arrêtés furent condamnés à mort.

Le biographe de Khrouchtchev, William Taubman, suggère que dans la mesure où celui-ci avait à nouveau été accusé à tort alors qu’il se trouvait à Kiev, il devait effectivement savoir que certaines dénonciations étaient fausses et que des innocents étaient condamnés à tort. En 1939, Khrouchtchev déclara au XIVe congrès du Parti ukrainien : « Camarades, nous devons démasquer et détruire sans relâche tous les ennemis du peuple. Mais nous ne devons pas accepter qu’un seul honnête bolchevique soit blessé. Nous devons lutter contre les calomniateurs ».

La mort de Staline fut annoncée le 6 mars 1953 de même que la composition du nouveau gouvernement. Malenkov était le nouveau président du conseil des ministres (premier ministre) et Beria (qui consolida son emprise sur les services de renseignement), Kaganovitch, Boulganine et l’ancien ministre des affaires étrangères, Molotov devenaient premiers députés (vice-présidents). Les membres du Præsidium du Soviet suprême qui avaient récemment été promus par Staline furent écartés. Khrouchtchev fut relevé de ses fonctions de chef du Parti à Moscou pour qu’il puisse se concentrer sur des taches non spécifiées au sein du Comité central. Le New York Times lista Malenkov et Beria en première et seconde place en termes d’influence parmi les dix membres du Præsidium alors que Khrouchtchev était classé dernier.

Le 14 mars, Malenkov démissionna néanmoins du secrétariat du Comité central car ses collèges craignaient qu’il n’acquière trop de pouvoir. Le principal bénéficiaire fut Khrouchtchev qui fut élu premier secrétaire du Parti par le Comité central. Avant même l’enterrement de Staline, Beria avait lancé une série de réformes dont l’ampleur était comparable à celles de Khrouchtchev durant sa période au pouvoir et même à celles de Mikhaïl Gorbatchev, 30 ans plus tard. Les propositions de Beria étaient destinées à dénigrer Staline et à lui faire porter la responsabilité de ses propres crimes. Une proposition, qui fut adoptée, amnistiait plus d’un million de prisonniers. Une autre, qui fut repoussée, prévoyait de relâcher le contrôle de l’Allemagne de l’Est au sein d’une Allemagne unie et neutre en échange d’un dédommagement de la part de l’Allemagne de l’Ouest ; Khrouchtchev considérait cette idée comme anti-communiste. Khrouchtchev s’allia donc avec Malenkov pour bloquer la plupart des propositions de Beria tout en rassemblant le soutien d’autres membres du Præsidium. Leur campagne contre Beria fut aidée par les craintes d’un coup d’état militaire planifié par Beria et, selon ce qu’écrivit Khrouchtchev dans ses mémoires, par la conviction que « Beria était en train d’aiguiser ses couteaux contre nous ». Le 26 juin 1953, Beria fut arrêté lors d’une réunion du Præsidium. Il fut jugé en secret et exécuté en décembre 1953 avec cinq de ses plus proches associés. Beria fut le dernier perdant d’une lutte de pouvoir soviétique à payer de sa vie sa chute.

La lutte de pouvoir au sein du Politburo (rebaptisé Præsidium du Comité central en 1952) ne fut pas résolue par l’élimination de Beria. Le pouvoir de Malenkov se trouvait dans l’appareil politique civil, qu’il cherchait à étendre en réorganisant le gouvernement et en lui donnant plus de pouvoir aux dépens du Parti. Il tenta également d’obtenir le soutien du public en baissant le prix des produits de base et en abaissant le montant des souscriptions d’obligations d’État qui étaient depuis longtemps étaient imposées aux citoyens. De son côté, Khrouchtchev, dont la base du pouvoir reposait sur le Parti, chercha à le renforcer. Si dans le système soviétique, le Parti devait être l’entité dominante, il avait perdu beaucoup de son influence sous Staline qui avait accaparé l’essentiel du pouvoir pour lui-même et pour le Præsidium. Khrouchtchev vit qu’avec un Præsidium divisé par les luttes d’influence, le Parti et son Comité central pouvaient retrouver leur pouvoir d’antan. Khrouchtchev rassembla le soutien des membres importants du Parti et il parvint à nommer ses sympathisants à la tête des principales instances de pouvoir qui entrèrent ensuite au sein du Comité central.

Khrouchtchev se présentait comme un activiste pragmatique prêt à vaincre tous les obstacles à la différence de Malenkov qui semblait plus terne. Il fit ouvrir au public le Kremlin de Moscou, une décision qui fut appréciée du peuple. Si Malenkov et Khrouchtchev voulaient tous deux réformer l’agriculture, les propositions de Khrouchtchev étaient plus larges et incluaient la campagne des terres vierges destinée à implanter des centaines de milliers de jeunes volontaires dans des fermes en Sibérie occidentale et dans le nord du Kazakhstan. Malgré des succès initiaux, le projet fut à terme un désastre pour l’agriculture soviétique. De plus, Khrouchtchev disposait d’informations compromettantes sur Malenkov tirées des dossiers secrets de Beria. Alors que les procureurs soviétiques enquêtaient sur les atrocités de Staline vers la fin de son règne, dont l’affaire de Leningrad, ils découvrirent des preuves de l’implication de Malenkov. En février 1954, Khrouchtchev remplaça Malenkov sur le siège d’honneur lors des réunions du Præsidium ; en juin, Malenkov cessa d’être au sommet de la liste des membres du Præsidium, qui était à présent organisée alphabétiquement. L’influence de Khrouchtchev continua de s’accroître avec l’allégeance des principaux représentants locaux du Parti et le placement de ses candidats à la tête du KGB.

Lors d’une réunion du Comité central en janvier 1955, Malenkov fut mis en accusation pour son implication dans les atrocités et le comité vota une résolution l’accusant d’avoir participé à l’affaire de Leningrad et d’avoir facilité l’accession de Beria aux postes de responsabilité. Lors d’une réunion du Soviet suprême le mois suivant, Malenkov fut destitué en faveur de Boulganine à la surprise des observateurs occidentaux. Malenkov resta au Præsidium en tant que ministre des centrales électriques. Selon le biographe de Khrouchtchev, William Tompson, « la position dominante de Khrouchtchev au sein des membres de la direction collective ne faisait plus aucun doute ».

Après la mise en retrait de Malenkov, Khrouchtchev et Molotov avaient initialement travaillé ensemble en bonne entente et le ministre des affaires étrangères de longue date proposa même que Khrouchtchev et non Boulganine remplace Malenkov comme premier ministre. Les deux hommes n’avaient cependant pas les mêmes vues politiques. Molotov s’opposait à la campagne des terres vierges et proposait d’augmenter les rendements dans les régions agricoles existantes par des investissements importants ; Khrouchtchev considérait que cette stratégie n’était pas possible du fait du manque de ressources et de main d’œuvre qualifiée. Ils s’opposaient également au sujet de la politique étrangère ; peu après sa prise de pouvoir, Khrouchtchev signa un traité de paix avec l’Autriche qui entraîna le retrait des forces d’occupation soviétiques. Molotov était réticent mais Khrouchtchev organisa la venue d’une délégation autrichienne à Moscou pour négocier le traité. Bien que Khrouchtchev et les autres membres du Præsidium attaquèrent Molotov lors d’une réunion du Comité central au milieu de l’année 1955 en l’accusant de mener une politique étrangère néfaste à l’URSS, Molotov conserva son poste.

À la fin de l’année 1955, des milliers de prisonniers politiques étaient rentrés chez eux et ils témoignèrent de leurs expériences du goulag. La poursuite des enquêtes sur les abus commis révéla l’ampleur des crimes commis par Staline à ses successeurs. Khrouchtchev était persuadé qu’une fois retirée la tache du stalinisme, le Parti inspirerait à nouveau confiance au peuple. À partir d’octobre 1955, Khrouchtchev fit pression pour que les crimes de son prédécesseur soient dévoilés aux délégués du prochain XXe congrès du parti communiste. Certains de ses collègues dont Molotov et Malenkov s’opposaient à une telle divulgation et ils le persuadèrent de faire ses remarques au cours d’une session fermée au public.

Le XXe congrès du Parti commença le 14 février 1956 et dans le discours d’ouverture, Khrouchtchev dénigra Staline et demanda aux délégués de se lever en l’honneur des dirigeants communistes décédés depuis le précédent congrès. Au matin du 25 février, Khrouchtchev délivra ce qui fut connu sous le nom du « discours secret » devant une assemblée limitée aux délégués soviétiques et interdite à la presse. Durant quatre heures, il démolit la réputation de Staline. Khrouchtchev nota dans ses mémoires que « le congrès m’écouta en silence. Comme le dit le proverbe, on aurait pu entendre une mouche voler. C’était si soudain et inattendu ». Il dit aux délégués :

« C’est ici que Staline a montré à de nombreuses reprises son intolérance, sa brutalité et son abus de pouvoir... Il a souvent choisi le chemin de la répression et de la destruction physique, pas seulement contre ses véritables ennemis mais aussi contre des individus qui n’avaient commis aucun crime contre le Parti ou le gouvernement soviétique. »

Le discours secret, s’il ne changea pas fondamentalement la société soviétique, eut de larges effets. Le discours fut un des facteurs ayant mené aux soulèvements en Pologne et à la révolution hongroise plus tard dans l’année et les défenseurs de Staline organisèrent quatre jours d’émeutes (en) dans sa Géorgie natale en juin pour demander la démission de Khrouchtchev et son remplacement par Molotov. Dans les réunions où le discours secret fut lu, les communistes condamnèrent de manière encore plus virulente Staline (et Khrouchtchev) et demandèrent même des élections multipartites. Cependant, Staline ne fut pas publiquement dénoncé et son portrait resta affiché dans toute l’URSS et même dans le bureau de Khrouchtchev au Kremlin.

Rapport secret de Nikita Khrouchtchev

Présenté au XXe Congrès du Parti Communiste de l’Union soviétique (1956)

Le culte de la personnalité

Camarades,

Dans le rapport du Comité central du Parti au XXe Congrès, dans un certain nombre de discours prononcés par des délégués au Congrès, ainsi que lors de réunions plénières du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique, pas mal de choses ont été dites au sujet du culte de la personnalité et de ses conséquences néfastes.

Après la mort de Staline, le Comité central du Parti a commencé à appliquer une politique tendant à expliquer brièvement, mais d’une façon positive, qu’il était intolérable et étranger à l’esprit du marxisme-léninisme d’exalter une personne et d’en faire un surhomme doté de qualités surnaturelles à l’égal d’un dieu. Un tel homme est supposé tout savoir, penser pour tout le monde, tout faire et être infaillible.

Ce sentiment à l’égard d’un homme, et singulièrement à l’égard de Staline, a été entretenu parmi nous pendant de nombreuses années.

Le but du présent Rapport n’est pas de procéder à une critique approfondie de la vie de Staline et de ses activités. Sur les mérites de Staline suffisamment de livres, d’opuscules et d’études ont été écrits durant sa vie. Le rôle de Staline dans la préparation et l’exécution de la révolution socialiste, lors de la guerre civile, ainsi que dans la lutte pour l’édification du socialisme dans notre pays est universellement connu. Chacun connaît cela parfaitement.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est une question qui a une importance pour le Parti actuellement et dans l’avenir. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir comment le culte de la personne de Staline n’a cessé de croître, comment ce culte devint, à un moment précis, la source de toute une série de perversions graves et sans cesse plus sérieuses des principes du Parti, de la démocratie du Parti ; de la légalité révolutionnaire.

En raison du fait que tout le monde ne semble pas encore bien comprendre les conséquences pratiques, résultant du culte de l’individu, le grave préjudice causé par la violation du principe de la direction collective du Parti du fait de l’accumulation entre les mains d’une personne d’un pouvoir immense et illimité, le Comité central du Parti considère qu’il est absolument nécessaire de remettre au XXe Congrès du parti communiste de l’Union soviétique tout le dossier de cette question.

Permettez-moi tout d’abord de vous rappeler que les classiques du marxisme-léninisme dénonçaient très sévèrement toute manifestation du culte de l’individu. Dans une lettre adressée à un militant allemand, Wilhelm Bloss , Marx écrivait :

"Mon hostilité au culte de l’individu a fait que je n’ai jamais publié, durant l’existence de l’Internationale, les nombreux messages en provenance de différents pays qui reconnaissaient mes mérites... et m’ennuyaient. Je n’y ai même pas répondu, sauf quelquefois pour réprimander leurs auteurs. Lorsque nous avons adhéré, Engels et moi, à la société secrète des communistes , ce fut à la condition que serait banni de ses statuts tout ce qui se rapportait à l’adoration superstitieuse de l’autorité. Par la suite, Lassalle fit exactement le contraire."

Quelque temps plus tard, Engels écrivait :

"Marx et moi avons toujours été hostiles aux manifestations publiques concernant les individus, sauf dans les cas où elles avaient un but important. Et nous nous sommes énergiquement opposés aux manifestations nous concernant personnellement."

La grande modestie du génie de la révolution, Vladimir Ilitch Lénine, est connue. Lénine a toujours souligné le rôle du peuple en tant que créateur de l’histoire, le rôle directeur et organisateur du Part, en tant qu’organisme vivant et créateur, ainsi que le rôle du Comité central.

Le marxisme ne nie pas le rôle des chefs de la classe laborieuse dans la direction du mouvement de libération révolutionnaire.

Tout en attachant une grande importance au rôle des dirigeants et organisateurs des masses, Lénine stigmatisa sans merci toute manifestation du culte de l’individu, combattit inexorablement les idées étrangères au marxisme sur le "héros" et la "foule", ainsi que tous les efforts tendant à opposer le "héros" aux masses et au peuple.

Lénine nous a enseigné que la force du Parti dépendait de son indissoluble unité avec les masses. Il nous a appris que derrière le Parti se trouvaient les ouvriers, les paysans et les intellectuels.

"Seul prendra et conservera le pouvoir," disait Lénine, "celui qui croit dans le peuple, celui qui se baigne dans la fontaine de la vivante puissance créatrice du peuple."

Lénine parlait avec fierté du parti communiste bolchevik en tant que dirigeant et éducateur du peuple. Il demandait que les questions les plus importantes soient soumises au jugement des ouvriers compétents, au jugement de leur Parti. Il disait :

"Nous croyons en ce jugement, nous voyons en lui la sagesse, l’honneur et la conscience de notre époque."

Lénine s’opposa énergiquement à toute tentative ayant pour but de minimiser ou d’affaiblir le rôle dirigeant du Parti dans la structure de l’Etat soviétique. Il élabora les principes bolcheviks de la direction du Parti ainsi que les normes de la vie du Parti, soulignant que les principes fondamentaux de la direction du Parti résidaient dans son caractère collégial. Déjà au cours des années pré-révolutionnaires, Lénine appelait le Comité central du Parti un collège de chefs, gardien et interprète des principes du Parti.

"Au cours des périodes situées entre les différents Congrès, soulignait Lénine, le Comité central garde et interprète les principes du Parti."

Mettant en évidence le rôle du Comité central du Parti, ainsi que son autorité, Vladimir Ilitch disait :

"Notre Comité central s’est constitué en un groupe étroitement centralisé et exerçant une haute autorité."

Durant la vie de Lénine, le Comité central du Parti fut la réelle expression de la direction collective du Parti et de la Nation. Etant un militant marxiste-révolutionnaire, toujours inflexible sur les questions de principe, Lénine n’imposa jamais par la force ses opinions à ses collaborateurs. Il essayait de les convaincre. Patiemment, il expliquait ses opinions aux autres. Lénine veilla toujours avec diligence à ce que les normes de la vie du Parti fussent réalisées, à ce que le statut du Parti fût observé, à ce que les Congrès du Parti et les sessions plénières du Comité central eussent lieu à intervalles appropriés.

V.I. Lénine ne se contenta pas de contribuer grandement à la victoire de la classe laborieuse et des paysans, à la victoire de notre Parti et à l’application des idées du communisme scientifique à la vie. Son esprit perspicace se manifesta dans le fait qu’il détecta à temps en Staline les caractéristiques négatives qui eurent plus tard de graves conséquences. Craignant pour l’avenir du Parti et de l’Union soviétique, V.I. Lénine jugea parfaitement Staline. Il souligna qu’il était nécessaire d’envisager d’enlever à Staline son poste de secrétaire général parce qu’il était excessivement brutal, qu’il n’avait pas une attitude convenable à l’égard de ses camarades, qu’il était capricieux et abusait de ses pouvoirs.

En décembre 1922, dans une lettre au Congrès du Parti , Vladimir Ilitch écrivait :

"Après avoir assumé les fonctions de secrétaire général, le camarade Staline a accumulé entre ses mains un pouvoir démesuré, et je ne suis pas certain qu’il soit toujours capable d’en faire usage avec la prudence nécessaire."

Cette lettre - document politique d’une extraordinaire importance, connu dans l’histoire du Parti comme le "Testament de Lénine" - a été distribuée aux délégués du XXe Congrès du Parti. Vous l’avez lue, et sans aucun doute vous la relirez souvent. Vous réfléchirez sur ses mots clairs qui expriment l’inquiétude de Vladimir Ilitch concernant le Parti, le peuple, l’Etat et la gestion future de la politique du Parti . Vladimir Ilitch disait :

"Staline est excessivement brutal, et ce travers, qui peut être toléré entre nous et dans les contacts entre communistes, devient un défaut intolérable pour celui qui occupe les fonctions de secrétaire général. De ce fait, je propose que les camarades étudient la possibilité de priver Staline de ce poste et de le remplacer par un autre homme qui, avant tout, se différencierait de Staline par une seule qualité, à savoir une plus grande patience, une plus grande loyauté, une plus grande politesse, une attitude plus correcte à l’égard des camarades, un tempérament moins capricieux, etc."

Ce document de Lénine avait été communiqué aux délégués du XIIIe Congrès du Parti, qui examinèrent la question d’éloigner Staline de son poste de secrétaire général. Les délégués se déclarèrent en faveur du maintien de Staline à son poste, espérant qu’il tiendrait compte des remarques critiques de Vladimir Ilitch et corrigerait les défauts qui motivaient la sérieuse inquiétude de Lénine .

Camarades ! Le Congrès du Parti doit être informé de deux nouveaux documents qui confirment le caractère de Staline tel que l’avait décrit Vladimir Ilitch Lénine dans son "Testament". Ces documents sont une lettre de Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa à Kamenev qui était à cette époque à la tête du Politburo et une lettre personnelle de Vladimir Ilitch à Staline .

Je vais vous les lire :

"Léon Borisovitch ! A la suite d’une courte lettre que m’a dictée, avec l’autorisation des médecins, Vladimir Ilitch, Staline est entré hier dans une violente et inhabituelle colère contre moi . Ce n’est pas d’hier que je suis au Parti. Au cours de ces trente années je n’ai jamais entendu d’aucun camarade un mot grossier. Les affaires du Parti et celles d’Ilitch me sont aussi chères qu’à Staline. J’ai besoin aujourd’hui d’un maximum de sang-froid. Ce que l’on peut - et ce que l’on ne peut pas - discuter avec Ilitch je le sais mieux que n’importe quel médecin, parce que je sais ce qui le rend ou ne le rend pas nerveux. En tout état de cause je le sais mieux que Staline.

Je m’adresse à vous et à Gregory comme à de vieux camarades de Vladimir Ilitch et vous supplie de me protéger contre des ingérences brutales dans ma vie privée, de viles invectives et de basses menaces. Je n’ai aucun doute quant à ce que sera la décision unanime de la Commission de contrôle, de laquelle Staline a jugé bon de me menacer. Quoi qu’il en soit, je n’ai ni force, ni temps à perdre dans cette stupide querelle. Je suis un être humain, et mes nerfs sont tendus à l’extrême .

N. Kroupskaïa."

Nadejda Konstantinovna avait écrit cette lettre le 23 décembre 1922. Deux mois et demi après, Vladimir Ilitch Lénine adressait à Staline la lettre suivante en en envoyant des copies à Kamenev et à Zinoviev :

"Cher camarade Staline,

Vous vous êtes permis d’appeler cavalièrement ma femme au téléphone et de la réprimander d’une façon grossière. En dépit du fait qu’elle vous ait dit qu’elle acceptait d’oublier les propos qui avaient été échangés, elle a néanmoins mis Zinoviev et Kamenev au courant. Je n’ai pas l’intention d’oublier si facilement ce qui a été fait contre moi, et il est inutile que j’insiste sur le fait que je considère comme dirigé contre moi ce qui a été fait contre ma femme. Par conséquent, je vous demande d’examiner attentivement si vous êtes d’accord pour vous rétracter et vous excuser ou si vous préférez que nos relations soient rompues. Sincèrement,

Lénine, 5 mars 1923 . "

(Vive émotion dans la salle.)

Camarades, je ne commenterai pas ces documents. Ils parlent éloquemment d’eux-mêmes. Staline ayant pu agir de cette façon du vivant de Lénine, ayant pu agir à l’égard de Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa, que le Parti connaît bien et apprécie hautement en tant que compagne fidèle de Lénine et comme combattante active pour la cause du Parti depuis sa création, on peut facilement imaginer comment Staline traitait les autres gens. Ce côté négatif n’a cessé de se développer et dans les dernières années avait pris un caractère absolument insupportable.

Ainsi que l’ont prouvé les événements ultérieurs, l’inquiétude de Lénine était justifiée : dans la première période qui a suivi la mort de Lénine, Staline prêtait encore attention à ses conseils [à ceux de Lénine], mais plus tard il commença à ignorer les graves avertissements de Vladimir Ilitch.

Quand on analyse la façon d’agir de Staline à l’égard de la direction du Parti et du pays, quand on s’arrête à considérer tout ce que Staline a commis, il faut bien se convaincre que les craintes de Lénine étaient justifiées. Le côté négatif de Staline, qui, du temps de Lénine, n’était encore que naissant, s’était transformé dans les dernières années en un grave abus de pouvoir par Staline, qui a causé un tort indicible à notre Parti.

Nous devons étudier sérieusement et analyser correctement cette question afin d’être à même de prévenir toute possibilité d’un retour, sous quelque forme que ce soit, de ce qui s’est produit du vivant de Staline, qui ne tolérait absolument pas la direction et le travail collectifs et qui pratiquait la violence brutale, non seulement contre tout ce qui s’opposait à lui, mais aussi contre tout ce qui paraissait, à son esprit, capricieux et despotique, contraire à ses conceptions.

Staline n’agissait pas par persuasion au moyen d’explications et de patiente collaboration avec des gens, mais en imposant ses conceptions et en exigeant une soumission absolue à son opinion. Quiconque s’opposait à sa conception ou essayait d’expliquer son point de vue et l’exactitude de sa position était destiné à être retranché de la collectivité dirigeante et voué par la suite à l’annihilation morale et physique. Cela fut particulièrement vrai pendant la période qui a suivi le XVIIe Congrès , au moment où d’éminents dirigeants du Parti et des militants honnêtes et dévoués à la cause du communisme sont tombés, victimes du despotisme de Staline .

Nous devons affirmer que le Parti a mené un dur combat contre les trotskistes, les droitiers et les nationalistes bourgeois et qu’il a désarmé idéologiquement tous les ennemis du léninisme. Ce combat idéologique a été conduit avec succès, ce qui a eu pour résultat de renforcer et de tremper le Parti. Là, Staline a joué un rôle positif.

Le Parti a mené une vaste lutte idéologique et politique contre ceux qui, dans ses propres rangs, avançaient des thèses antiléninistes, qui représentaient une ligne politique hostile au Parti et à la cause du socialisme. Cela a été une lutte opiniâtre et difficile, mais nécessaire, car la ligne politique, aussi bien du bloc trotskiste-zinoviéviste que des boukhariniens, conduisait en fait à la restauration du capitalisme et à la capitulation devant la bourgeoisie mondiale . Considérons un instant ce qui serait arrivé si, en 1928-1929, la ligne politique de la déviation droitière ou l’orientation vers le "socialisme à pas de tortue" ou vers le koulak, etc., avait prévalu parmi nous. Nous ne posséderions pas maintenant une puissante industrie lourde, nous n’aurions pas les kolkhozes, nous nous trouverions désarmés et faibles devant l’encerclement capitaliste .

C’est pour cette raison que le Parti a mené un combat idéologique inexorable et a expliqué à tous les membres du Parti et aux masses non inscrites au Parti le mal et le danger des propositions antiléninistes de l’opposition trotskiste et des opportunistes de droite. Et cette grande oeuvre d’explication de la ligne du Parti a porté ses fruits ; les trotskistes et les opportunistes de droite ont été isolés politiquement ; la très grande majorité du Parti a soutenu la ligne léniniste et le Parti a pu éveiller et organiser les masses ouvrières pour l’application de la ligne du parti léniniste et pour édifier le socialisme.

Il est intéressant de noter le fait que, même pendant que se déroulait la furieuse lutte idéologique contre les trotskistes, les zinoviévistes, les boukhariniens et les autres, on n’a jamais pris contre eux des mesures de répression extrêmes. La lutte se situait sur le terrain idéologique. Mais quelques années plus tard, alors que le socialisme était fondamentalement édifié dans notre pays, alors que les classes exploitantes étaient généralement liquidées, alors que la structure sociale soviétique avait radicalement changé, alors que la base sociale pour les mouvements et les groupes politiques hostiles au Parti s’était extrêmement rétrécie, alors que les adversaires idéologiques du Parti étaient depuis longtemps vaincus politiquement, c’est alors que commença la répression contre eux.

C’est exactement pendant cette période (1936-19371938) qu’est née la pratique de la répression massive au moyen de l’appareil gouvernemental, d’abord contre les ennemis du léninisme - trotskistes, zinoviévistes, boukhariniens - depuis longtemps vaincus politiquement par le Parti, et également ensuite contre de nombreux communistes honnêtes, contre les cadres du Parti qui avaient porté le lourd fardeau de la guerre civile et des premières et très difficiles années de l’industrialisation et de la collectivisation, qui avaient activement lutté contre les trotskistes et les droitiers pour le triomphe de la ligne du parti léniniste.

Staline fut à l’origine de la conception de l’ "ennemi du peuple’" . Ce terme rendit automatiquement inutile d’établir la preuve des erreurs idéologiques de l’homme ou des hommes engagés dans une controverse ; ce terme rendit possible l’utilisation de la répression la plus cruelle, violant toutes les normes de la légalité révolutionnaire contre quiconque, de quelque manière que ce soit, n’était pas d’accord avec lui ; contre ceux qui étaient seulement suspects d’intentions hostiles, contre ceux qui avaient mauvaise réputation. Ce concept d’ "ennemi du peuple" éliminait en fait la possibilité d’une lutte idéologique quelconque, de faire connaître son point de vue sur telle ou telle question, même celle qui avait un caractère pratique. Pour l’essentiel et en fait la seule preuve de culpabilité dont il était fait usage, contre toutes les normes de la science juridique actuelle, était la "confession" de l’accusé lui-même ; et comme l’ont prouvé les enquêtes faites ultérieurement, les "confessions" étaient obtenues au moyen de pressions physiques contre l’accusé.

Cela a conduit à des violations manifestes de la légalité révolutionnaire et au fait que de nombreuses personnes, parfaitement innocentes, qui, dans le passé, avaient défendu la ligne du Parti, devinrent des victimes.

Il faut bien dire qu’en ce qui concerne les personnes qui, de leur temps, s’étaient opposées à la ligne du Parti, il n’y avait souvent pas suffisamment de raisons sérieuses pour leur annihilation physique. La formule "ennemi du peuple" avait été créée précisément dans le but d’anéantir physiquement ces individus.

C’est un fait que de nombreuses personnes qui plus tard ont été supprimées en tant qu’ennemies du Parti et du peuple, avaient collaboré avec Lénine de son vivant. Certaines de ces personnes avaient commis des erreurs du vivant de Lénine, mais malgré cela Lénine avait profité de leur travail, il les avait corrigées et il avait fait tout son possible pour les maintenir dans les rangs du Parti ; il les incitait à suivre son exemple.

Sous ce rapport, les délégués du Congrès du Parti devraient se familiariser avec une note inédite de V.I. Lénine adressée au Bureau politique du Comité central en octobre 1920. Soulignant les devoirs de la Commission de contrôle, Lénine écrivait que la commission devait se transformer en un véritable "organe du Parti et en conscience prolétarienne" :

"En tant que tâche particulière de la commission de contrôle, il est recommandé d’établir des rapports profonds, personnels, et quelquefois même thérapeutiques en quelque sorte, avec les représentants de ce qu’on appelle l’opposition, ceux qui ont traversé une crise psychologique en raison d’un échec dans leurs tâches au sein des soviets ou du Parti. Il faudrait faire un effort pour les rassurer, leur expliquer le problème de la façon qu’on emploie avec des camarades, leur trouver (en évitant de donner des ordres) une tâche à laquelle ils sont psychologiquement aptes. Les conseils et les règles en ce qui concerne cette question doivent être formulés par le bureau de l’organisation du Comité central, etc."

Chacun sait combien Lénine était intraitable envers les ennemis idéologiques du marxisme, envers ceux qui déviaient de la ligne correcte du Parti. Mais, en même temps, Lénine, comme cela ressort du document ci dessus, dans sa méthode de direction du parti, exigeait le contact le plus intime du Parti avec ceux qui avaient montré de l’indécision ou une dissidence provisoire à l’égard de la ligne du Parti, mais qu’il était possible de ramener dans la voie du Parti. Lénine conseillait d’éduquer patiemment ces gens sans recours aux méthodes extrêmes.

La sagesse de Lénine dans ses rapports avec les gens était évidente dans son travail avec les cadres.

Staline se caractérisait par des rapports tout différents avec les gens.

Les traits de Lénine - le travail patient avec les gens, la persévérance et le soin apportés à leur éducation, sa faculté d’amener des gens à lui obéir sans user de la contrainte, mais bien plutôt par l’influence idéologique qu’il exerçait sur eux - étaient absolument étrangers â Staline. Il [Staline] avait renoncé à la méthode léniniste consistant à convaincre et à éduquer ; il avait abandonné la méthode de la lutte idéologique pour celle de la violence administrative, des répressions massives et de la terreur. Il agissait, sur une échelle toujours plus grande et d’une manière toujours plus inflexible, par le truchement d’organismes punitifs, violant souvent en même temps toutes les normes existantes de la moralité et de la législation soviétiques.

Le comportement arbitraire d’une personne encouragea et permit l’arbitraire chez d’autres. Des arrestations et des déportations massives de plusieurs milliers de personnes, des exécutions sans procès et sans instruction, créèrent des conditions d’insécurité, de peur et même de désespoir.

Cela bien entendu ne contribua pas à l’unité dans les rangs du Parti ni parmi les différentes couches de la classe laborieuse, mais au contraire entraîna l’expulsion du Parti, puis l’élimination de militants loyaux mais qui ne plaisaient pas à Staline.

Notre Parti a lutté pour l’application des idées de Lénine, pour l’édification du socialisme. Ce fut un combat idéologique. Si, au cours de cette lutte, les principes léninistes avaient été observés et si la fidélité du Parti à ces principes avait été alliée adroitement à un souci constant pour les hommes, si ces hommes n’avaient pas été écartés mais mis au service de notre cause, nous n’aurions certainement pas connu cette brutale violation de la légalité révolutionnaire, et des milliers de personnes n’auraient pas été victimes de la méthode de terreur. On aurait eu recours alors à des méthodes extraordinaires seulement à l’égard de ceux qui avaient réellement commis des actes criminels contre le système soviétique.

Rappelons quelques faits historiques.

Dans les jours qui précédèrent la révolution d’Octobre, deux membres du Comité central du parti bolchevik - Kamenev et Zinoviev - se déclarèrent hostiles aux projets de Lénine pour une révolte armée. De plus, le 18 octobre, ils publièrent dans le journal menchevik Novaïa Jizn un article dans lequel ils déclaraient que les bolcheviks prenaient leurs dispositions en vue d’une insurrection armée et qu’ils considéraient ce projet comme très aventureux. Kamenev et Zinoviev révélaient ainsi à l’ennemi la décision du Comité central de susciter une révolte, et ce dans un proche avenir .

Ce fut une trahison à l’égard du Parti et de la révolution. A ce sujet, Vladimir Ilitch Lénine écrivait :

"Kamenev et Zinoviev ont livré à Rodzianko et à Kerenski la décision du Comité central de leur parti sur l’insurrection armée."

Il souleva devant le Comité central la question de l’expulsion du parti de Zinoviev et de Kamenev .

Cependant, après la grande révolution socialiste d’Octobre, Zinoviev et Kamenev reçurent, comme on le sait, de hautes fonctions. Lénine leur confia des postes où ils exécutèrent pour le Parti des tâches très importantes. Ils prirent une part active au travail des principaux organismes du Parti et des soviets. Il est bien connu que Zinoviev et Kamenev commirent un certain nombre d’autres graves erreurs du vivant de Lénine. Dans son "Testament", Lénine soulignait "que le rôle de Zinoviev et de Kamenev en octobre n’était certainement pas accidentel". Cependant, il ne posa jamais la question de leur arrestation et encore moins de leur liquidation.

Maintenant, prenons l’exemple des trotskistes. Aujourd’hui, avec un recul historique suffisamment long, nous pouvons parler de la lutte contre eux avec un calme complet et pouvons analyser cette question avec une objectivité suffisante. Après tout, autour de Trotski se trouvaient des gens dont l’origine n’était pas précisément bourgeoise. Un certain nombre d’entre eux appartenaient à l’intelligentsia du Parti, d’autres étaient recrutés parmi les ouvriers. Nous pouvons citer de nombreuses personnes qui, à un moment de leur vie, rejoignirent les trotskistes. Ces mêmes personnes cependant prirent une part active au mouvement ouvrier avant la révolution, pendant la révolution socialiste d’octobre, et aidèrent à cimenter la victoire de la plus grande des révolutions. Beaucoup d’entre elles rompirent avec le trotskisme et revinrent aux principes léninistes. Etait-il nécessaire de les faire disparaître ? Nous avons la conviction profonde que, si Lénine avait vécu, cette méthode extrême n’aurait pas été appliquée contre la plupart d’entre eux.

Il ne s’agit là que de quelques faits historiques seulement. Mais peut-on dire que Lénine ne décida pas d’employer même les moyens les plus sévères contre les ennemis de la révolution lorsque cela fut nécessaire ? Non, personne ne peut le dire. Vladimir Ilitch exigeait une attitude intransigeante à l’égard des ennemis de la révolution et de la classe laborieuse, et lorsque cela était nécessaire, il avait recours à la manière forte. Vous n’avez qu’à vous souvenir de la façon dont Lénine combattit les organismes socialistes révolutionnaires de l’insurrection antisoviétique, les koulaks contre-révolutionnaires, en 1918, et les autres. Il employa sans hésitation les méthodes les plus extrêmes contre les ennemis. Toutefois, il n’avait recours à ces méthodes que contre les véritables ennemis de classe, et non contre ceux qui commirent des fautes ou des erreurs mais qu’il était possible de récupérer par l’influence idéologique et même de maintenir aux postes dirigeants. Lénine n’eut recours aux méthodes sévères que dans l’extrême nécessité : lorsque les classes exploitantes existaient toujours et s’opposaient vigoureusement à la révolution, lorsque la lutte pour la survivance revêtait les formes les plus aiguës, y compris même une guerre civile .

Staline, d’autre part, eut recours aux méthodes extrêmes et aux répressions massives alors que la révolution était déjà victorieuse, alors que l’Etat soviétique était consolidé, ’que les classes exploitantes étaient déjà liquidées, que les relations socialistes étaient solidement enracinées dans tous les secteurs de l’économie nationale, alors que notre parti était consolidé politiquement et qu’il s’était renforcé tant au point de vue numérique qu’idéologique.

Il est clair que dans toute une série de cas, Staline démontra son intolérance, son comportement brutal et abusa de ses pouvoirs. Au lieu de prouver la justesse de sa politique et de mobiliser les masses, il choisit fréquemment la voie de la répression et de l’annihilation physique, non seulement contre ses véritables ennemis, mais aussi contre des individus qui n’avaient commis aucun crime contre le Parti et le gouvernement soviétique. Nous ne voyons en cela aucune marque de sagesse, mais bien une manifestation de cette force brutale qui, jadis, avait tant alarmé Vladimir Ilitch Lénine.

Plus tard, notamment après qu’eut été démasquée la bande de Béria, le Comité central se pencha sur une série d’affaires montées par cette bande . Un très vilain tableau se dessina alors des intentions brutales et de l’attitude injustifiée de Staline. Ainsi que le prouvent les faits, Staline, faisant usage de son pouvoir illimité, se permit de nombreux abus, agissant au nom du Comité central sans demander l’avis des membres du Comité, ni même des membres du Politburo du Comité central ; souvent même, il ne les informait pas de ses décisions personnelles au sujet de problèmes très importants du Parti et du gouvernement .

En ce qui concerne le culte de la personnalité, il nous faut d’abord montrer à chacun le tort que cela a causé aux intérêts de notre Parti.

Vladimir Ilitch Lénine avait toujours insisté sur le rôle et l’importance du Parti en tant que dirigeant du gouvernement socialiste des ouvriers et paysans ; il voyait là la condition préalable essentielle d’une édification victorieuse du socialisme dans notre pays. Soulignant la grande responsabilité du parti bolchevik comme parti dirigeant de l’Etat soviétique, Lénine appelait au respect le plus scrupuleux de toutes les règles de la vie du Parti ; il appelait à la mise en oeuvre des principes de direction collégiale du Parti et de l’Etat.

La direction collégiale découle de la nature même de notre Parti, qui est basé sur les principes du centralisme démocratique.

"Cela signifie, disait Lénine, que toutes les questions du Parti sont résolues par tous les membres - directement ou par leurs représentants - qui, sans exception, sont soumis aux mêmes règles ; de plus, tous les membres administratifs, tout le collège dirigeant, tous ceux qui ont une fonction dans le Parti, sont élus, ils doivent rendre compte de leurs activités et sont amovibles."

On sait que Lénine lui-même était un exemple de la plus stricte observation de ces principes. Il n’y avait pas de problème, aussi important fût-il, dont Lénine décidait par lui-même sans demander l’avis et l’approbation de la majorité des membres du Comité central ou des membres du Bureau politique du Comité central.

Dans les périodes les plus difficiles pour notre Parti et notre pays, Lénine jugea nécessaire de convoquer régulièrement les Congrès, les conférences du Parti et les sessions plénières du Comité central, où les questions les plus importantes étaient toutes discutées et où des résolutions, soigneusement mises au point par l’ensemble des dirigeants, étaient approuvées.

Nous pouvons rappeler, par exemple, l’année 1918 - alors que notre pays était menacé d’une attaque des interventionnistes impérialistes. Dans cette situation, le VIIe Congrès du Parti fut convoqué pour discuter d’un problème vital qui ne pouvait être ajourné : celui de la paix. En 1919, alors que la guerre civile faisait rage, le VIIIe Congrès s’est réuni et a adopté un nouveau programme du Parti, pris des décisions sur des problèmes aussi importants que ceux des rapports du Parti avec les masses paysannes, de l’organisation de l’Armée rouge, du râle dirigeant du Parti dans les soviets, de la modification de la composition sociale du Parti, d’autres encore.

En 1920, le IXe Congrès fut organisé et jeta les bases des principes directeurs de la politique du Parti dans le domaine du développement économique. En 1921, le Xe Congrès adopta la nouvelle politique économique de Lénine et la Résolution historique intitulée "De l’unité du Parti".

Durant la vie de Lénine, les Congrès du Parti ont été régulièrement convoqués ; toujours, lorsqu’un tournant radical dans le développement du Parti ou de la Nation prenait corps, Lénine considérait comme une nécessité absolue que le Parti discutât de fond en comble toutes les questions relatives à la politique intérieure ou extérieure et des questions concernant l’évolution du Parti et du gouvernement.

Le fait que Lénine ait adressé ses derniers articles, ses dernières lettres et ses dernières remarques au Congrès, en tant qu’instance suprême du Parti, est caractéristique. Dans les périodes séparant les Congrès, le Comité central du Parti, agissant comme autorité collective suprême, observait méticuleusement les principes du Parti et mettait en oeuvre sa politique.

C’est ainsi que les choses se passaient du vivant de Lénine.

Ces principes léninistes sacrés du Parti ont-ils été appliqués après la mort de Lénine ?

Alors que pendant les quelques premières années qui suivirent la mort de Lénine, les Congrès et réunions plénières du Comité central eurent lieu plus ou moins régulièrement, plus tard, lorsque Staline commença progressivement à fonder son pouvoir, ces principes furent brutalement violés. Cela fut particulièrement évident pendant les quinze dernières années de sa vie. Etait-ce une situation normale alors que durant ce laps de temps, notre Parti et la Nation ont vécu des événements d’une telle importance ? Ces événements exigeaient catégoriquement que le Parti adoptât des résolutions relatives à la défense pendant la guerre patriotique et à la reconstruction pacifique après la guerre. Or, même après la fin de la guerre, il n’y eut pas de Congrès pendant des années .

Les sessions plénières du Comité central ne furent convoquées que rarissimement. Il suffirait de mentionner que pendant toute la durée de la guerre patriotique, il n’y eut pas une seule session du plénum du Comité central .

Il est vrai qu’il y eut une tentative de convocation du plénum du Comité central en octobre 1941, les membres du Comité central de toutes les parties du pays ayant été appelés à Moscou. Ils attendirent deux jours l’ouverture du plénum, mais en vain. Staline ne voulut ni rencontrer les membres du Comité central ni leur parler. Ce fait montre combien Staline était démoralisé dans les premiers mois de la guerre, et avec quelle arrogance et quel mépris il traitait les membres du Comité central. Pratiquement, Staline ignorait les règles de la vie du Parti et piétinait le principe léniniste de direction collective du Parti.

L’autoritarisme de Staline à l’égard du Parti et de son Comité central se révéla pleinement après le XVIIe Congrès du Parti, qui eut lieu en 1934 .

Ayant à sa disposition de nombreux renseignements faisant la preuve d’intentions brutales à l’égard des cadres du Parti, le Comité central a créé une commission sous le contrôle du présidium du Comité central ; elle a été chargée d’enquêter et d’établir ce qui avait rendu possible les répressions de masse contre la majorité des membres du Comité central et les suppléants élus au XVIIe Congrès du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique.

La Commission avait eu connaissance d’une grande quantité de matériel des archives du NKVD et d’autres documents, établissant de nombreux faits relatifs à la "fabrication" de procès contre des communistes, à de fausses accusations, à de criants abus contre la légalité socialiste - qui eurent pour conséquence la mort d’innocents. Il devint évident que de nombreux activistes du Parti, des soviets et de l’économie qui avaient été traités d’ennemis en 1937-1938 ne furent en fait jamais ni des ennemis, ni des espions, ni des saboteurs, mais toujours d’honnêtes communistes ; on n’avait fait que les accuser de ces crimes, et, souvent incapables de supporter plus longtemps des tortures barbares, ils s’accusaient eux mêmes (sur l’ordre des juges d’instruction, des falsificateurs) de toutes sortes de crimes graves et improbables. La Commission a présenté au présidium du Comité central un matériel important et documenté relatif aux répressions massives contre les délégués du XVIIe Congrès du Parti et contre les membres du Comité central élus à ce Congrès. Cc matériel a été étudié par le présidium du Comité central.

Il a été établi que des cent trente-neuf membres et suppléants du Comité central du Parti qui avaient été élus au XVIIe Congrès, quatre-vingt-dix-huit avaient été arrêtés et fusillés, c’est-à-dire 70 % (pour la plupart en 1937-1938).

(Indignation dans la salle.)

Quelle était la composition du XVIIe Congrès ? On sait que 80 % des délégués du XVIIe Congrès avaient adhéré au Parti pendant les années de conspiration qui ont précédé la révolution et pendant la guerre civile, c’est-à-dire avant 1921 ; du point de vue de l’origine sociale, les délégués du Congrès étaient essentiellement des ouvriers (60 % des votants).

Pour certaines raisons, il eût été inconcevable qu’un Congrès composé de la sorte élise un Comité central dont la majorité se serait révélée constituée d’ennemis du Parti. La seule raison pour laquelle 70 % des candidats élus du XVIIe Congrès ont été dénoncés comme des ennemis du Parti et du peuple fut que d’honnêtes communistes ont été calomniés, que les accusations portées contre eux étaient fausses et que la légalité révolutionnaire fut gravement violée.

Un sort identique fut réservé non seulement aux membres du Comité central, mais aussi à la majorité des délégués du XVIIe Congrès ; des mille neuf cent soixante six délégués, soit avec droit de vote, soit avec voix consultative, mille cent huit personnes, c’est-à-dire nettement plus que la majorité, ont été arrêtées sous l’accusation de crimes contre-révolutionnaires. Ce fait même montre combien folles et contraires au bon sens étaient les accusations de crimes contre-révolutionnaires portées, comme on peut en juger maintenant, contre une majorité des participants au XVIIe Congrès du Parti.

(Indignation dans la salle.)

Il faut se souvenir que le XVIIe Congrès est connu historiquement sous le nom de "Congrès des vainqueurs". Les délégués au Congrès avaient été des artisans actifs de l’édification de notre Etat socialiste ; nombre d’entre eux avaient souffert et combattu pour la cause du Parti pendant les années pré-révolutionnaires dans la conspiration et sur les fronts de la guerre civile ; ils avaient combattu leurs ennemis avec vaillance et avaient souvent regardé la mort en face. Comment peut-on alors supposer que ces gens pouvaient être à "double face" et avaient rejoint le camp des ennemis du socialisme à l’époque qui a suivi la liquidation politique des zinoviévistes, des trotskistes et des droitiers, et après les grandes réalisations de l’édification socialiste ?

C’était la conséquence de l’abus de pouvoir par Staline qui commença à utiliser la terreur de masse contre les cadres du Parti .

Pour quelle raison les répressions de masse contre les activistes n’ont-elles cessé d’augmenter après le XVIIe Congrès ? C’est parce que, à l’époque, Staline s’était élevé à un tel point au-dessus du Parti et au-dessus de la Nation qu’il avait cessé de prendre en considération le Comité central ou le Parti. Alors qu’il avait toujours tenu compte de l’opinion de la collectivité avant le XVIIe Congrès, après la totale liquidation politique des trotskistes, des zinoviévistes et des boukhariniens, au moment où cette lutte et les victoires socialistes avaient conduit à l’unité du Parti, Staline avait cessé, à un point toujours plus grand, de tenir compte des membres du Comité central du Parti et même des membres du Bureau politique. Staline pensait que, désormais, il pouvait décider seul de toutes choses et que les figurants étaient les seuls gens dont il ait encore besoin ; il traitait tous les autres de telle sorte qu’ils ne pouvaient plus que lui obéir et l’encenser.

Après l’assassinat criminel de S.M. Kirov , commencèrent les répressions de masse et les brutales violations de la légalité socialiste. Le soir du 1er décembre 1934, sur l’initiative de Staline (sans l’approbation du Bureau politique, qui fut acquise par hasard deux jours plus tard), le secrétaire du Présidium du Comité central exécutif, Enoukidzé , signait la directive suivante :

1. "Ordre est donné aux organismes d’instruction d’accélérer l’étude des procès de ceux qui sont accusés de préparation ou d’exécution d’actes terroristes.

2. Ordre est donné aux organes judiciaires de ne pas suspendre l’exécution des sentences de mort relatives aux crimes de cette catégorie afin d’étudier les possibilités de grâce, du fait que le Présidium du Comité central exécutif de l’URSS ne considère pas possible de recevoir les pétitions de cette nature .

3. Ordre est donné aux organismes du commissariat des Affaires intérieures d’exécuter les sentences de mort contre les criminels de la catégorie ci-dessus immédiatement après le prononcé de ces sentences."

Cette directive devint la base des actes massifs d’abus contre la légalité socialiste. Au cours de nombreux procès les accusés durent répondre de "la préparation" d’actes terroristes ; cela les privait de toute possibilité de réexamen de leurs procès, même lorsqu’ils déclaraient devant le tribunal que leurs "aveux" leur avaient été arrachés de force et que, d’une manière convaincante, ils apportaient la preuve de la fausseté des accusations portées contre eux .

Il faut avouer que jusqu’à maintenant les circonstances entourant l’assassinat de Kirov dissimulent beaucoup de choses qui sont inexplicables et mystérieuses et exigent un examen des plus attentifs. Il y a quelque raison de croire que le meurtrier de Kirov, Nikolaïev, a été aidé par l’un de ceux dont la mission était de protéger la personne de Kirov . Un mois et demi avant le meurtre, Nikolaïev avait été arrêté en raison de son attitude suspecte, mais il avait été libéré et n’avait même pas été fouillé. Le fait que le tchékiste chargé de la protection de Kirov, qui devait être interrogé le 2 décembre 1934, ait été tué dans un "accident" d’automobile où les autres occupants de la voiture n’ont pas été blessés, constitue une circonstance extraordinairement suspecte. Après l’assassinat de Kirov, de très légères peines ont été prononcées contre de hauts fonctionnaires du NKVD de Léningrad, mais ils ont été fusillés en 1937. On peut supposer qu’ils ont été fusillés afin de faire disparaître les pistes qui auraient conduit aux organisateurs de l’assassinat de Kirov .

(Mouvements dans la salle.)

Les répressions de masse s’accrurent d’une façon extraordinaire à partir de la fin 1936 .

Un télégramme de Staline et Jdanov, daté de Sotchi le 25 septembre 1936, avait été adressé à Kaganovitch, Molotov et d’autres membres du Bureau politique. Le texte du télégramme était le suivant : "Nous estimons absolument nécessaire et urgent que le camarade Iejov soit désigné au poste de commissaire du Peuple aux Affaires intérieures, Iagoda a définitivement fait la preuve qu’il était incapable de démasquer le bloc trotskiste-zinoviéviste. La Guépéou a quatre ans de retard dans cette affaire. Cela a été remarqué par tous les militants et par la majorité des représentants du NKVD" .

A franchement parler, il nous faut souligner le fait que Staline n’avait pas rencontré les militants et que par conséquent il ne pouvait connaître leur opinion.

Le fait pour Staline d’exprimer l’opinion que le NKVD avait quatre ans de retard dans l’application de la répression de masse et qu’il était nécessaire de "rattraper" le travail négligé avait directement poussé les fonctionnaires du NKVD sur la voie des arrestations et des exécutions de masse.

Il nous faut dire que cette opinion avait également été imposée à la réunion plénière de février-mars du Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique en 1937. La résolution plénière l’avait approuvée sur la base du rapport de Iejov :

"Les leçons découlant de l’activité nuisible, de la diversion et de l’espionnage des agents nippo-germano-trotskistes", déclarant que "le plénum du Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique considère que tous les faits révélés par l’enquête sur la question d’un centre trotskiste antisoviétique et ses partisans dans les provinces prouvent que le commissariat du Peuple des Affaires intérieures a pris un retard d’au moins quatre ans dans la tentative de démasquage des ennemis du peuple les plus inexorables" .

A cette époque, les répressions de masse étaient accomplies sous le mot d’ordre de la lutte contre les trotskistes. Les trotskistes constituaient-ils alors un tel danger pour notre Parti et l’Etat soviétique ? Il faut se souvenir qu’en 1927, à la veille du XVe Congrès, l’opposition trotskiste-zinoviéviste n’avait recueilli que quatre mille voix, alors que sept cent vingt-quatre mille se prononçaient pour la ligne du Parti. Pendant les dix ans qui s’étaient écoulés entre le XVe Congrès et le plénum de février-mars du Comité central, le trotskisme avait été complètement désarmé ; de nombreux anciens trotskistes étaient revenus sur leurs opinions antérieures et travaillaient, dans divers secteurs, à l’édification du socialisme. Il est clair que dans la situation de la victoire socialiste il n’existait aucune base pour la terreur de masse dans le pays.

Le rapport de Staline au plénum de février-mars du Comité central en 1937 : "Lacunes dans le travail et les méthodes du Parti pour la liquidation des trotskistes et des autres hypocrites", contenait un essai de justification théorique de la politique de terreur de - masse, sous le prétexte que plus on avance vers le socialisme, plus doit, soi-disant, s’intensifier la lutte des classes. Staline affirmait que l’histoire et Lénine le lui avaient enseigné.

De fait, Lénine avait enseigné que l’application de la violence est nécessitée par la résistance des classes exploitantes, et cela s’appliquait à l’époque où les classes exploitantes existaient et étaient puissantes. Dès que la situation politique de la Nation se fut améliorée, lorsqu’en janvier 1920 l’Armée rouge s’empara de Rostov et remporta ainsi une très importante victoire sur Denikine, Lénine donna des instructions à Djerjinski , afin de mettre un terme à la terreur de masse et d’abolir la peine de mort. Lénine avait justifié cet important geste politique de l’Etat soviétique de la façon suivante, dans son rapport à la séance de Comité central exécutif du 2 février 1920 :

"Nous avons été contraints d’avoir recours à la terreur en raison de la terreur pratiquée par la coalition au moment où de fortes puissances mondiales ont lancé leurs hordes contre nous, ne reculant devant aucun moyen. Nous n’aurions pas duré deux jours si nous n’avions répondu aux actes des officiers et des gardes blancs d’une façon impitoyable ; cela signifiait l’usage de la terreur, mais nous y étions contraints par les méthodes terroristes de l’Entente.

Mais une fois parvenus à une victoire décisive, avant même la fin de la guerre, immédiatement après la prise de Rostov, nous avons renoncé à la peine de mort et avons prouvé ainsi que nous entendions exécuter notre propre programme conformément à nos promesses. Nous dirons que l’utilisation de la violence est née de la décision de réduire à l’impuissance les exploiteurs, les gros propriétaires terriens et les capitalistes ; dès que nous y fûmes parvenus, nous avons abandonné l’usage de toutes les méthodes d’exception. Nous l’avons prouvé dans la pratique" .

Staline s’est écarté de ces préceptes clairs et nets de Lénine. Staline permit au Parti et au NKVD d’employer la terreur de masse alors que les classes exploiteuses avaient été liquidées dans notre pays et qu’il n’y avait plus de raison sérieuse pour employer des mesures exceptionnelles de terreur de masse.

Cette terreur était en fait dirigée non pas contre les vestiges des classes exploitantes vaincues, mais contre les honnêtes travailleurs du Parti et de l’Etat soviétique ; on portait contre eux des accusations mensongères, diffamatoires et absurdes d’ "hypocrisie", d’ "espionnage", de "sabotage", de préparation de "complots" imaginaires, etc.

Au plénum du Comité central de février-mars 1937, de nombreux membres s’interrogeaient en fait sur la justesse de la ligne établie en ce qui concerne les répressions de masse, sous le prétexte de combattre l’ "hypocrisie". Le camarade Postychev exprima ses doutes d’une façon très pertinente. Il déclara :

"Après mûre réflexion, je pense que les dures années de lutte sont révolues, les membres du Parti qui ont perdu leur volonté de résistance ont "flanché" ou rejoint le camp de l’ennemi ; les éléments sains ont combattu pour le Parti. C’étaient les années d’industrialisation et de collectivisation. Je n’ai jamais cru possible que, cette rude époque passée, Karpov et des personnes de son genre se retrouvent dans le camp de l’ennemi [Karpov faisait partie du Comité central d’Ukraine et Postychev le connaissait bien]. Et maintenant, il ressort des témoignages apportés que Karpov avait été recruté en 1934 par les trotskistes. Personnellement, je ne crois pas qu’en 1934 un honnête adhérent du Parti, qui avait mené une lutte incessante contre les ennemis, pour le Parti et pour le socialisme, puisse se trouver dans le camp ennemi. Je ne le crois pas... Je ne puis imaginer comment il serait possible d’oeuvrer pour le Parti pendant les années difficiles et, en 1934, rejoindre les trotskistes. C’est une chose bizarre..."

(Mouvements dans la salle.)

Se servant de la formule de Staline, à savoir que plus on approche du socialisme et plus on a d’ennemis, et s’appuyant sur la résolution du plénum du Comité central de février-mars adoptée sur la base du rapport de Iejov - les provocateurs qui s’étaient infiltrés dans les organes de sécurité de l’Etat, de concert avec les carriéristes sans conscience, commencèrent à couvrir du nom du Parti la terreur de masse contre les cadres du Parti, les cadres de l’Etat soviétique et les citoyens soviétiques ordinaires. Il suffit de dire que le nombre des arrestations basées sur l’accusation de crimes contre-révolutionnaires avait décuplé entre 1936 et 1937.

On sait que d’éminents militants du Parti ont été victimes de mauvais traitements. Les statuts du Parti, approuvés au XVIIe Congrès, étaient basés sur les principes léninistes exprimés au Xe Congrès. Ils disaient que, pour appliquer une sanction extrême comme l’exclusion du Parti d’un membre du Comité central, d’un suppléant du Comité central et d’un membre de la Commission de contrôle :

"Il est nécessaire de convoquer un plénum du Comité central et d’y inviter tous les membres suppléants du Comité central et tous les membres de la Commission de contrôle" ; il n’y a que si les deux tiers des membres de cette assemblée générale de dirigeants responsables du Parti le jugent nécessaire que peut être prononcée l’exclusion d’un membre ou d’un suppléant du Comité central.

La majorité des membres et des suppléants du Comité central élus au XVIIe Congrès et arrêtés en 1937-1938 avaient été exclus irrégulièrement grâce à une interprétation abusive des statuts du Parti, car la question de leur expulsion n’avait jamais été étudiée par le plénum du Comité central.

Et quand il fut procédé à l’examen des cas de certains de ces soi-disant "espions" et "saboteurs" on découvrit que leurs procès avaient été fabriqués. Les aveux de culpabilité de nombre de ceux qui avaient été arrêtés et accusés d’activité hostile avaient été obtenus à l’aide de tortures cruelles et inhumaines.

D’autre part, Staline, comme nous l’ont dit des membres du Bureau politique de l’époque, ne leur avait pas montré les déclarations de nombreux accusés, activistes politiques, quand ils avaient rétracté leurs aveux devant le tribunal militaire et demandé un examen objectif de leur cas. Il y eut de nombreuses déclarations de ce genre et nul doute que Staline en eut connaissance. .

Le Comité central tient pour absolument nécessaire de mettre le Congrès au courant de nombreux "procès" ainsi montés contre les membres du Comité central du Parti élus au XVIIe Congrès.

Un exemple de vile provocation, d’odieuse falsification et de violation criminelle de la légalité révolutionnaire est le procès de l’ancien suppléant au Bureau politique du Comité central, l’un des plus éminents militants du Parti et du gouvernement soviétique, le camarade Eiche, qui avait adhéré au Parti en 1905 .

(Sensation dans la salle.)

Le camarade Eiche a été arrêté le 29 avril 1938 sur la base de documents calomnieux, sans le consentement du procureur de l’URSS qui n’est finalement parvenu que quinze mois après l’arrestation.

L’instruction du procès d’Eiche a été conduite d’une façon qui constituait une violation brutale de la légalité soviétique et était assortie de préméditation et de falsification.

Eiche a été contraint sous la torture de signer un procès-verbal antidaté d’aveux, préparé par les juges instructeurs et dans lequel on l’accusait, lui et plusieurs autres militants éminents, d’activité antisoviétique.

Le 1er octobre 1939, Eiche avait envoyé une déclaration à Staline dans laquelle il démentait catégoriquement sa culpabilité et demandait la reprise de son procès. Dans cette déclaration, il écrivait :

"Il n’y a pas de détresse plus amère que de se trouver dans la prison d’un gouvernement pour lequel je me suis toujours battu."

Une seconde déclaration d’Eiche, adressée à Staline le 27 octobre 1939, a été conservée. Dans ce document, il cite des faits convaincants et dément les accusations calomnieuses portées contre lui, prouvant que cette accusation provocatrice a été d’une part, l’oeuvre des véritables trotskistes dont il avait sanctionné l’arrestation alors qu’il était premier secrétaire du Comité central de la région de Sibérie occidentale et qui conspirèrent pour se venger de lui, et d’autre part le résultat de la basse falsification des documents par les juges d’instruction.

Dans cette déclaration Eiche écrivait :

"... Le 25 octobre de cette année, j’ai été informé que l’enquête ouverte sur mon cas était terminée, et l’on m’a permis de prendre connaissance des documents de cette enquête. Si j’avais été coupable, ne serait-ce que d’un centième des crimes dont on m’accuse, je n’aurais pas osé vous adresser cette déclaration avant mon exécution. Mais je ne suis pas coupable d’une seule des choses que l’on me reproche. Ma conscience est pure même de l’ombre d’une bassesse. Jamais de ma vie je ne vous ai dit un mensonge, et même aujourd’hui, où je suis presque dans la tombe, je ne mens pas. Mon cas est un exemple typique de provocation, de calomnie, de violation des bases élémentaires de la légalité révolutionnaire.

Les aveux que l’on a fait figurer dans mon dossier ne sont pas seulement absurdes mais ils contiennent également certaines calomnies à l’égard du Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique et du conseil des commissaires du Peuple, parce que de justes résolutions du Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique, et du conseil des commissaires du Peuple qui n’ont pas été prises sur mon initiative - elles l’ont été en dehors de ma participation - ont été présentées comme des actes hostiles d’organisations contre-révolutionnaires accomplis sur ma suggestion...

Je veux parler maintenant de la partie la plus infâme de ma vie et de ma grave culpabilité à l’égard du Parti et à votre égard... Tel est l’aveu de mon activité contre-révolutionnaire. Voici la vérité : Ne pouvant pas endurer les tortures auxquelles je fus soumis par Ouchakov et Nikolaiev - et particulièrement par le premier, qui savait que mes côtes brisées ne s’étaient pas ressoudées convenablement et me donnaient de violentes douleurs -, j’ai été obligé de m’accuser et d’accuser les autres .

La majeure partie de mes aveux m’a été suggérée ou dictée par Ouchakov et le reste provient de mes souvenirs personnels se rapportant aux documents du NKVD de Sibérie occidentale. J’en revendique l’entière responsabilité. Si certaines parties de l’histoire fabriquée par Ouchakov et que j’avais signées ne cadraient pas entre elles, on m’obligeait à en signer une nouvelle version. La même chose a été faite à l’égard de Roukhimovitch qui fut d’abord désigné comme membre du réseau de réserve, et dont le nom disparut plus tard sans que l’on m’informât de quoi que ce soit à ce sujet. Ce fut aussi le cas pour le chef du réseau de réserve, prétendument créé par Boukharine en 1935. Au début, j’inscrivis mon nom, puis on me donna l’ordre de mettre celui de Mejlaouk . Il y eut d’autres incidents similaires .

Je vous demande et vous supplie de bien vouloir examiner de nouveau mon cas, non dans le but d’épargner ma vie, mais afin de démasquer la vile provocation qui s’enroule autour de nombreuses personnes comme un serpent, en raison surtout des mensonges criminels et d’un esprit de bassesse. Je ne vous ai jamais trahi. Je n’ai jamais trahi le Parti. Je sais que je vais mourir grâce à l’oeuvre vile et mesquine des ennemis du Parti et du peuple, qui ont monté la provocation contre moi."

Il semblerait qu’une déclaration aussi importante eût mérité d’être étudiée par le Comité central. Cependant, rien ne fut fait, et la déclaration fut transmise à Béria, tandis que le camarade Eiche, membre suppléant du Politburo, continuait à subir de terribles sévices.

Le 2 février 1940, Eiche fut traduit devant le tribunal. Il nia sa culpabilité et déclara ce qui suit :

"Dans mes soi-disant aveux, pas un seul mot n’a été écrit par moi, à l’exception des signatures, au bas des procès-verbaux, qui m’ont été arrachées. J’ai avoué sous la contrainte exercée sur moi par le juge instructeur qui n’a cessé de me torturer depuis le jour de mon arrestation. Après, j’ai commencé à écrire toutes ces stupidités. Pour moi, la chose la plus importante est de dire au tribunal, au Parti et à Staline que je ne suis pas coupable. Je n’ai jamais été coupable d’aucune conspiration. Je mourrai en croyant à la justesse de la politique du Parti, comme je l’ai cru durant toute ma vie."

Le 4 février, Eiche était fusillé. (Indignation dans la salle.) Il a été définitivement établi depuis que l’affaire Eiche avait été montée de toutes pièces. Eiche a été réhabilité à titre posthume.

Le camarade Roudzoutak , membre suppléant du Bureau politique, membre du Parti depuis 1905, qui passa dix ans dans un camp tsariste de travaux forcés, est complètement revenu, devant le tribunal, sur les aveux qui lui avaient été arrachés par la force. Les procès verbaux de la séance du collège de la cour militaire suprême renferment la déclaration suivante faite par Roudzoutak :

"... La seule demande qu’il ait faite au tribunal est que le Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique soit informé qu’il existe au NKVD un centre, non encore liquidé, qui fabrique artificieusement des procès, qui oblige des personnes innocentes à passer des aveux ; il n’y a aucun moyen de prouver sa non-participation à des crimes attestés par les aveux de diverses personnes. Les méthodes d’instruction sont telles qu’elles obligent les gens à mentir et à calomnier entièrement des personnes innocentes en plus de celles qui sont déjà accusées. Il demande à la cour d’être autorisé à mettre le Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’URSS au courant de ces faits par écrit. Il assure le tribunal qu’il n’a personnellement jamais eu de mauvais desseins à l’égard de la politique de notre Parti car il avait toujours été d’accord avec la politique du Parti dans tous les domaines de l’activité économique et culturelle."

Il n’a été tenu aucun compte de la déclaration de Roudzoutak, en dépit du fait que Roudzoutak avait été, à une époque, le président de la Commission centrale de contrôle qui avait été créée conformément à l’idée de Lénine, dans le but de lutter pour l’unité du Parti...

C’est de cette façon que fut abattu, victime d’une brutale préméditation, le chef de cet organisme hautement autorisé du Parti ; il n’a même pas été convoqué devant le Bureau politique du Comité central parce que Staline ne voulait pas lui parler. La sentence contre lui a été prononcée en vingt minutes, et il a été fusillé.

(Indignation dans la salle.)

Après une étude attentive de ce cas en 1955, il a été établi que l’accusation contre Roudzoutak était mensongère et qu’elle était fondée sur des documents calomnieux. Roudzoutak a été réhabilité à titre posthume.

On peut juger de la façon dont les anciens fonctionnaires du NKVD fabriquaient des "centres antisoviétiques" et des "blocs" divers en recourant à des méthodes provocatrices par la confession du camarade Rozenblum, membre du Parti depuis 1906, qui a été arrêté en 1937 par le NKVD de Léningrad .

Au cours de l’examen, en 1955, du cas Komarov , Rozenblum a révélé les faits suivants :

"Lorsque Rozenblum avait été arrêté en 1937, il avait été soumis à de terribles tortures pendant lesquelles ordre lui fut donné d’avouer des renseignements faux à son sujet et au sujet d’autres personnes. Il avait alors été conduit dans le bureau de Zakovski , qui lui avait offert la liberté à condition qu’il passe devant le tribunal de faux aveux de "sabotage, espionnage et diversion dans un centre terroriste de Léningrad", aveux qui avaient été fabriqués en 1937 par le NKVD. (Mouvements dans la salle.) Avec un cynisme incroyable, Zakovski avait expliqué le vil "mécanisme" de la création artificielle de "complots antisoviétiques" fabriqués .

Afin de m’en donner une illustration, a déclaré Rozenblum, Zakovski m’a donné plusieurs variantes possibles de l’organisation de ce centre et de ses ramifications. Après m’en avoir détaillé l’organisation, Zakovski m’a déclaré que le NKVD préparerait le procès de ce centre, notant que le jugement serait public.

Devant le tribunal devaient être amenés quatre ou cinq membres de ce centre : Choudov, , Ougarov , Smorodine , Pozern , Chapochnikova (femme de Choudov) et d’autres, ainsi que deux ou trois membres des ramifications de ce centre...

... Il faut que le procès du centre de Léningrad repose sur des bases solides, et pour cela des témoins sont nécessaires. L’origine sociale et la position dans le Parti des témoins ne joueront pas un mince rôle.

Toi-même, me dit Zakovski, tu n’auras pas besoin d’inventer quoi que ce soit. Le NKVD te préparera un projet pour chacune des ramifications du centre ; tu devras l’étudier soigneusement et bien te souvenir de toutes les questions que pourra te poser le tribunal, ainsi que des réponses. Ce procès sera prêt dans quatre à cinq mois, peut-être six. Pendant ce temps, tu te prépareras afin de ne compromettre ni l’instruction ni toi-même. Si tu "tiens le coup ", tu sauveras ta tête et tu seras nourri et habillé aux frais du gouvernement jusqu’à ta mort."

(Mouvements dans la salle.)

Voilà le genre de choses abjectes qui étaient pratiquées à ce moment-là.

La falsification des procès était pratiquée sur une plus grande échelle encore dans les provinces. Le siège du NKVD de l’oblast de Sverdlov " avait découvert" ce qu’on appelait l’ "état-major de l’insurrection dans l’Oural" - organisation du bloc des droitiers, des trotskistes, des social-révolutionnaires, des chefs de l’Eglise - dont le chef était prétendument le secrétaire du Comité du Parti de l’oblast de Sverdlov, membre du Comité central du PC (bolchevik) soviétique, Kabakov , qui appartenait au Parti depuis 1914. Les dossiers de l’instruction montrent que dans presque tous les "krai ", oblasti et républiques, il était supposé exister des organisations droitières et trotskistes d’espionnage, de terreur, de diversion et de sabotage qui, généralement et pour des raisons inconnues, étaient dirigées par les premiers secrétaires locaux ou des comités centraux du PC des oblasti ou des républiques .

(Mouvements dans la salle.)

Plusieurs milliers d’honnêtes et innocents communistes sont morts par suite de cette monstrueuse falsification, de ces "procès", en raison du fait qu’on acceptait toutes sortes de "confessions" calomnieuses, et en conséquence de la pratique consistant à forger des accusations contre soi-même et les autres. De la même façon ont été fabriqués les procès contre d’éminents serviteurs du Parti et de l’Etat - Kossior , Choubar , Postychev, Kossarev et d’autres .

Dans ces années ont été accomplies sur une grande échelle des répressions qui ne reposaient sur rien de tangible et qui ont eu pour résultat de lourdes pertes dans les cadres du Parti.

L’injuste méthode qui consistait à faire préparer par le NKVD des listes de personnes dont le cas était du ressort de la juridiction du tribunal militaire, et dont les sentences étaient préparées à l’avance, était admise. Iejov envoyait ces listes à Staline personnellement afin qu’il approuve le châtiment proposé. En 1937-1938, trois cent quatre-vingt-trois de ces listes contenant les noms de plusieurs milliers de serviteurs du Parti, des soviets, des Komsomols, de l’armée et de l’économie avaient été envoyées à Staline. Il avait approuvé ces listes .

Une grande partie de ces procès ont été maintenant révisés et un grand nombre d’entre eux ont été frappés de nullité parce qu’ils étaient sans fondement et falsifiés. Il suffit de dire que de 1954 à nos jours, le collège militaire de la cour suprême a réhabilité sept mille six cent soixante-dix-neuf personnes, dont de nombreuses à titre posthume .

Les arrestations en masse de fonctionnaires du Parti, des soviets, de l’économie et de l’armée ont fait un mal énorme à notre pays et à la cause du progrès socialiste.

Les répressions de masse ont eu une influence négative sur l’état politico-moral du Parti, créé une situation d’incertitude, contribué à la propagation des soupçons maladifs et semé la méfiance parmi les communistes. Toutes sortes de diffamateurs et de carriéristes déployaient leur activité.

Les résolutions du plénum de janvier du Comité central du PC (bolchevik) de l’Union soviétique, en 1938, avaient dans une certaine mesure apporté une amélioration aux organisations du Parti. Mais une large répression a aussi existé en 1938 .

C’est uniquement parce que notre Parti dispose d’une telle puissance politico-morale qu’il lui a été possible de survivre aux difficiles événements de 1937-1938 et d’éduquer de nouveaux cadres. Mais il ne fait cependant aucun doute que notre marche en avant vers le socialisme et vers la préparation de la défense du pays aurait été beaucoup plus réussie n’eussent été les pertes énormes de cadres subies à la suite des répressions massives, sans fondement et mensongères de 1937-1938.

C’est avec raison que nous accusons Iejov des pratiques basses de 1937. Mais il nous faut répondre à ces questions : Iejov aurait-il pu arrêter Kossior, par exemple, à l’insu de Staline ? Y a-t-il eu un échange de vues ou une décision du Bureau politique à ce sujet ? Non, il n’y en a pas eu, comme il n’y en a pas eu en ce qui concerne d’autres cas de ce genre. Iejov aurait-il pu décider de questions aussi importantes comme le sort d’aussi éminentes personnalités du Parti ? Non, ce serait faire preuve de naïveté que de considérer tout cela comme étant l’oeuvre de Iejov seul. Il est clair que la décision sur ces questions a été prise par Staline et que, sans ses ordres et son consentement, Iejov n’aurait jamais pu agir ainsi.

Nous avons étudié leurs cas et avons réhabilité Kossior, Roudzoutak, Postychev, Kossarev et d’autres. Quelles furent les raisons de leur arrestation et de leur condamnation ? L’examen des témoignages prouve qu’il n’y en avait pas. Eux, comme beaucoup d’autres, avaient été arrêtés à l’insu des procureurs. Dans une telle situation, il n’y avait pas besoin d’autorisation, car quelle sorte d’autorisation pouvait-il y avoir alors que Staline décidait de tout par lui-même ? Dans ces cas, il était le procureur en chef. Non seulement Staline consentait à ces arrestations, mais, de sa propre initiative, il lançait des mandats d’arrêt. Il faut que ces choses soient dites, afin que les délégués au Congrès puissent juger par eux-mêmes en toute connaissance de cause, et tirer les conclusions qui conviennent.

Les faits prouvent que nombre d’abus ont été commis sur les ordres de Staline sans tenir compte des règles du Parti et de la légalité soviétique. Staline était un homme très méfiant, maladivement soupçonneux : c’est notre travail avec lui qui nous l’a appris. Il était capable de regarder quelqu’un et de lui dire : "Pourquoi vos regards sont-ils si fuyants aujourd’hui ?", ou "Pourquoi vous détournez-vous autant aujourd’hui et évitez-vous de me regarder droit dans les yeux ?" Cette suspicion maladive créait chez lui une méfiance généralisée, même à l’égard de travailleurs éminents du Parti qu’il connaissait depuis des années. Partout et en toute chose, il voyait des "ennemis", des "gens à double face" et des "espions ".

Possédant un pouvoir illimité, il se livrait à l’arbitraire et annihilait les gens moralement et physiquement. La situation créée était simple : on ne pouvait plus manifester sa propre volonté.

Quand Staline disait que tel ou tel devait être arrêté, il fallait admettre comme un fait qu’il s’agissait d’un "ennemi du peuple". Et la clique de Béria, responsable des organes de la sécurité de l’Etat, se surpassait pour prouver la culpabilité de la personne arrêtée et le bien fondé des documents qu’elle falsifiait. Et quelles preuves étaient offertes ? Les confessions des gens arrêtés. Les juges enquêteurs acceptaient ces "confessions". Et comment se peut-il qu’une personne confesse des crimes qu’elle n’a pas commis ? D’une seule manière, à la suite de l’application de méthodes physiques de pression, de tortures, l’amenant à un état d’inconscience, de privation de son jugement, d’abandon de sa dignité humaine. C’est ainsi que les "confessions" étaient obtenues .

Quand la vague d’arrestations massives commença à se ralentir, en 1939, et que les leaders des organisations territoriales du Parti commencèrent à accuser les membres du NKVD d’user de pression physique sur les sujets arrêtés, Staline adressa le 20 janvier 1939 un message en code aux secrétaires des Comités régionaux, aux Comités centraux des partis communistes des républiques, aux commissaires du Peuple des Affaires intérieures et aux chefs des organisations NKVD. Le télégramme disait :

"Le Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique explique que l’application des méthodes de pression physique pratiquées par le NKVD est permise depuis 1937, selon autorisation du Comité central des partis communistes (bolcheviks) de toutes les républiques. Il est connu que tous les services bourgeois de contre-espionnage usent de méthodes d’influence physique contre les représentants du prolétariat socialiste, et qu’ils en usent sous leurs formes le", plus scandaleuses. La question se pose de savoir pourquoi les services de contre-espionnage socialistes devraient se montrer plus humanitaires contre les agents effrénés de la bourgeoisie, contre les ennemis mortels de la classe laborieuse et des ouvriers des kolkhozes. Le Comité central du parti communiste de l’Union soviétique considère que la pression physique devrait encore être employée obligatoirement à titre d’exception, à l’égard d’ennemis notoires et obstinés du peuple, comme une méthode à la fois justifiable et appropriée" .

Ainsi Staline avait sanctionné au nom du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique la plus brutale violation de la légalité socialiste : la torture et l’oppression, qui ont conduit comme nous l’avons vu au meurtre et à l’auto-accusation de gens innocents.

Récemment - quelques jours seulement avant le présent Congrès - nous nous sommes rendus à la session du Présidium du Comité central et avons interrogé le juge enquêteur Rodos qui, à l’époque, avait interrogé Kossior, Choubar et Kossarev. C’est un vil personnage à la cervelle d’oiseau et complètement dégénéré moralement. Et c’est cet homme qui décidait du sort d’éminents membres du Parti ; il rendait aussi des jugements politiques en ces questions, puisque, ayant établi leur "crime", il fournissait â l’appui des dossiers dont pouvaient être tirées d’importantes implications politiques .

La question se pose : un homme de ce niveau intellectuel pouvait-il seul faire l’instruction de façon à prouver la culpabilité de gens comme Kossior et autres ? Non, il ne le pouvait pas sans des directives spéciales. A la session du Présidium du Comité central, il nous a dit :

"On m’avait dit que Kossior et Choubar étaient des ennemis du peuple, et pour ce motif, en tant que juge enquêteur, j’avais à leur faire confesser qu’ils étaient bien tels."

(Indignation dans la salle.)

Il ne pouvait le faire qu’au moyen de longues tortures, et c’est ce qu’il fit, recevant des instructions détaillées de Béria. Nous devons dire qu’à la session du Présidium du Comité central, il’ déclara cyniquement : "Je pensais exécuter les ordres du Parti." Ainsi, les ordres de Staline quant à l’emploi des méthodes de pression physique à l’égard des individus arrêtés se trouvaient en pratique exécutés.

Ces faits et nombre d’autres montrent que toutes les normes relatives à la solution correcte des problèmes par le Parti étaient réduites à néant, et que tout dépendait de la volonté d’un seul homme.

La Grande Guerre Patriotique

La puissance accumulée entre les mains d’un seul homme, Staline, entraîna de graves conséquences pendant la grande guerre patriotique.

Quand nous nous reportons à beaucoup de nos romans, films et "études scientifiques" historiques, le rôle de Staline dans la guerre patriotique apparaît comme entièrement imaginaire. Staline aurait, en effet, tout prévu. L’armée soviétique, sur la base d’un plan préparé de longue date par Staline, aurait employé la tactique de ce qu’on nomme la "défense active", tactique qui, dans le cas de l’armée soviétique, prétend-on, et grâce uniquement au génie de Staline, se serait transformée en offensive et aurait soumis l’ennemi. La victoire épique remportée grâce à la force des armées de terre des soviets, grâce à son peuple héroïque, est attribuée (uns ce type de romans, de films et d’ "études scientifiques" au seul génie stratégique de Staline .

Il nous faut analyser soigneusement la question, car elle a une portée considérable non seulement du point de vue historique, mais spécialement du point de vue politique, éducatif et pratique.

Sur ce chapitre, quels sont les faits ?

Avant la guerre, notre presse et tout notre travail politico-éducatif étaient caractérisés par un ton bravache ; qu’un ennemi viole le sol soviétique sacré, et pour chacun de ses coups il en recevra trois ; et nous battrons cet ennemi sur son propre sol, remportant la victoire sans beaucoup de dommage pour nous-mêmes. Mais ces déclarations positives n’étaient pas fondées dans tous les secteurs sur des faits concrets, qui eussent réellement garanti l’immunité de nos frontières.

Pendant la guerre et après la guerre, Staline avança la thèse selon laquelle la tragédie dont notre pays avait fait l’expérience dans la première phase de la guerre était le résultat de l’attaque-surprise des Allemands contre l’Union soviétique. Mais, camarades, ceci est tout à fait inexact. Dès que Hitler se fut emparé du pouvoir en Allemagne, il s’assigne la tâche de liquider le communisme. Les fascistes le disaient ouvertement ; ils ne cachaient pas leurs plans.

Afin d’atteindre ces buts agressifs, toutes sortes de pactes et de blocs furent créés, comme le fameux axe Berlin-Rome-Tokio. Plusieurs faits de la période d’avant guerre montrent qu’Hitler préparait une guerre contre l’Etat soviétique et il avait concentré d’importantes forces armées et des unités blindées près des frontières soviétiques.

Des documents ont maintenant été publiés qui montrent que le 3 avril 1941 Churchill, par l’entremise de son ambassadeur en URSS, Cripps, avertit personnellement Staline que les Allemands avaient procédé au regroupement de leurs forces armées dans l’intention d’attaquer l’Union soviétique ; il va de soi que Churchill n’agissait pas du tout en raison de son sentiment d’amitié envers la nation soviétique . Il avait en l’occurrence ses propres visées impérialistes : amener l’Allemagne et l’URSS à une guerre sanglante, et par là renforcer la position de l’empire britannique. De la même façon exactement, Churchill affirmait dans ses messages qu’il cherchait "à l’alerter et à attirer son attention sur le danger qui le menaçait" .

Churchill a insisté à maintes reprises sur ce point dans ses dépêches du 18 avril et des jours suivants. Cependant, Staline ne prit pas garde à ces avertissements. Qui plus est, il ordonna de ne pas ajouter foi à des indications de ce genre, afin de ne pas provoquer le déclenchement d’opérations militaires.

Nous devons affirmer que les informations de cet ordre, relatives à la menace d’une invasion armée allemande du territoire soviétique, arrivaient aussi de nos propres sources militaires et diplomatiques, et cependant, comme on savait que l’autorité supérieure était prévenue contre de telles indications, on n’envoyait les données qu’avec crainte, en les entourant de formules de réserve.

Ainsi, par exemple, les informations envoyées de Berlin, le 6 mai 1941 par -l’attaché militaire soviétique, le capitaine Vorontsov, disaient :

"Le citoyen soviétique Bozer a signalé à l’attaché naval adjoint que selon une déclaration d’un certain officier allemand du QG de Hitler, l’Allemagne se prépare à envahir l’URSS le 14 mai par la Finlande, les pays baltes et la Lettonie. En même temps, Moscou et Léningrad seront soumis à de violents raids, et des parachutistes atterriront dans les villes frontières..."

Dans son rapport du 22 mai 1941, l’attaché militaire adjoint à Berlin, Khlopov, communiquait que

"l’attaque de l’armée allemande est, paraît-il , prévue pour le 15 juin, mais il est possible qu’elle commence dans les premiers jours de juin."

Un câble de notre ambassade à Londres, daté du 18 juin 1941, disait :

"Pour l’instant, Cripps est intimement convaincu du caractère inévitable d’un conflit armé entre l’Allemagne et l’URSS, qui ne commencera pas plus tard que la mi-juin. Selon Cripps, les Allemands ont actuellement concentré cent quarante-sept divisions (y compris de l’aviation et des unités du train) le long des frontières soviétiques" .

Malgré ces avertissements particulièrement graves, les mesures nécessaires n’étaient pas prises pour préparer le pays comme il le fallait à se défendre et l’empêcher d’être pris au dépourvu .

Avions-nous le temps et la possibilité de réaliser cette préparation ? Oui, nous avions le temps et les possibilités. Notre industrie était déjà si développée qu’elle était à même de fournir complètement à l’armée soviétique tout ce dont elle avait besoin. Ceci est prouvé par le fait suivant : pendant la guerre, bien que nous ayons perdu près de la moitié de notre industrie et d’importantes régions de production industrielle et agricole, par suite de l’occupation ennemie de l’Ukraine, du Caucase nord et d’autres secteurs occidentaux du pays, la Nation soviétique a encore réussi à organiser la production de l’équipement militaire dans les parties orientales du pays, y transférant du matériel retiré des régions industrielles occidentales, et à procurer à nos forces armées tout ce qui leur était nécessaire pour anéantir l’ennemi .

Si notre industrie avait été mobilisée de façon adéquate et en temps voulu pour fournir à l’armée le matériel nécessaire, nos pertes de guerre auraient été nettement réduites. Mais cette mobilisation n’a pas été entreprise à temps. Dès les premiers jours de la guerre, il était manifeste que notre armée était mal équipée, que nous n’avions pas assez d’artillerie, de tanks et d’avions pour repousser l’ennemi.

La science et la technologie soviétiques avaient produit avant la guerre d’excellents modèles de tanks et de pièces d’artillerie. Mais la production en série de ces modèles ne fut pas organisée, et en fait nous n’avions commencé à moderniser notre équipement militaire qu’à la veille de la guerre. Résultat : au moment de l’invasion ennemie, nous ne disposions ni de l’ancien matériel auparavant employé pour la production d’armements, ni du nouveau matériel par lequel il devait être remplacé. La situation était spécialement mauvaise pour la DCA. Nous n’avions pas organisé la production de munitions antitanks. Nombre de régions fortifiées s’étaient révélées indéfendables lors de l’attaque, parce que l’ancien armement avait été évacué et que le nouveau n’était pas encore disponible.

Cette constatation ne jouait pas seulement pour les tanks, l’artillerie et les avions. Au début de la guerre, nous n’avions même pas un nombre suffisant de fusils pour armer les effectifs mobilisés. 7e rappelle qu’en ces jours, j’ai téléphoné de Kiev au camarade Malenkov en lui disant :

"Nous avons dans la nouvelle armée des volontaires qui demandent des armes. Envoyez-nous-en."

Malenkov me répondit :

"Nous ne pouvons vous envoyer des armes. Nous envoyons tous nos fusils à Léningrad et il faut vous armer vous-mêmes..."

(Mouvements dans la salle.)

Telle était la situation des armements.

A ce sujet, nous ne pouvons oublier, par exemple, le fait suivant. Peu avant l’invasion de l’Union soviétique par l’armée hitlérienne, Korponos, chef du district militaire spécial de Kiev, qui fut plus tard tué sur le front, écrivit à Staline que les armées allemandes étaient sur le fleuve Bug, se préparaient à une attaque et lanceraient probablement à brève échéance leur offensive. Il proposait qu’une vigoureuse défense soit organisée, que trois cent mille personnes soient évacuées des régions frontalières et que plusieurs points forts soient organisés en ces régions, avec fosses antitanks, tranchées pour les soldats, etc.

Moscou répondit à cette proposition en alléguant que ce serait une provocation, qu’il ne fallait entreprendre aux frontières aucun travail préparatoire de défense, ni fournir aux Allemands le moindre prétexte d’entamer une action militaire contre nous. Ainsi, nos frontières furent insuffisamment préparées à repousser l’ennemi.

Quand les armées fascistes eurent effectivement envahi le territoire soviétique et que les opérations militaires furent en cours, Moscou ordonna qu’il ne soit pas répondu au tir allemand. Pourquoi ? Parce que Staline, en dépit de faits évidents, pensait que la guerre n’avait pas encore commencé, que ce n’était là qu’une action de provocation de la part de plusieurs contingents indisciplinés de l’armée allemande, et que notre réaction pourrait offrir aux Allemands un motif de passer à la guerre.

Le fait qui suit est également connu. A la veille de l’invasion du territoire de l’Union soviétique par l’armée hitlérienne, un certain citoyen allemand franchit notre frontière et indiqua que les armées allemandes avaient reçu ordre de lancer l’offensive contre l’Union soviétique dans la nuit du 22 juin, à 3 heures. Staline en fut informé immédiatement, mais même cet avertissement fut ignoré.

Comme vous le voyez, tout fut ignoré : les avertissements Comme certains commandants d’armées, les déclarations de déserteurs de l’armée ennemie et même les hostilités ouvertes de l’ennemi. Est-ce là un exemple de la vigilance du chef du Parti et de l’Etat à ce moment historique particulièrement significatif ?

Et quels furent les résultats de cette attitude insouciante, de ce mépris des faits établis ? Le résultat fut que dès les premières heures, dès les premiers jours, l’ennemi avait détruit, dans nos régions frontalières, une grande partie de notre armée de l’air, de notre artillerie et autres équipements militaires. Il anéantit un grand nombre de nos cadres militaires et désorganisa notre état-major. Par conséquent, nous fûmes dans l’impossibilité d’empêcher l’ennemi de pénétrer profondément à l’intérieur du pays.

Des conséquences très graves, surtout dans les premiers jours de la guerre, résultèrent de l’élimination par Staline de nombreux chefs militaires et de fonctionnaires politiques entre 1937 et 1941. Pendant ces années, la répression fut instituée contre certaines parties des cadres militaires, commençant à l’échelon des commandants de compagnies et de bataillons et allant jusqu’aux plus hautes sphères militaires. Durant cette époque, les chefs qui avaient acquis une expérience militaire en Espagne et en Extrême-Orient furent presque tous liquidés .

Cette politique de vaste répression contre les cadres militaires eut également pour résultat de saper la discipline militaire parce que, durant de nombreuses années, on avait appris aux officiers de tous grades et même aux soldats, dans le Parti et les cellules des jeunesses communistes, à "démasquer" leurs supérieurs en tant qu’ennemis cachés. (Mouvements dans la salle.) Il est naturel que ceci ait eu une influence négative sur l’état de la discipline militaire dans la première période de la guerre.

Et, comme vous le savez, nous avions avant la guerre d’excellents cadres militaires qui, sans le moindre doute, étaient loyaux au Parti et à la patrie.

Qu’il suffise de dire que ceux d’entre eux qui survécurent aux sévères tortures auxquelles ils furent soumis dans les prisons se sont comportés dès les premiers jours de la guerre comme de véritables patriotes et combattirent héroïquement pour la gloire de la patrie. Je pense ici aux camarades Rokossovsky qui, ainsi que vous le savez, a été emprisonné ; Gorbatov, Meretskov, qui sont délégués au présent Congrès ; Podlas, un excellent commandant qui tomba sur le front, et à tous les autres. Cependant, de nombreux commandants périrent dans les camps et les prisons, et l’armée ne les revit jamais plus .

Tout cela a conduit à la situation qui existait au début de la guerre et qui constituait la grande menace contre notre pays.

On aurait tort d’oublier qu’après les premières défaites et les premiers désastres sur le front, Staline pensa que c’était la fin. Dans l’un de ses discours de l’époque, il déclara :

"Tout ce que Lénine avait créé, nous l’avons perdu à jamais."

Après cela, Staline ne dirigea pas effectivement - et pendant longtemps - les opérations militaires et cessa de faire quoi que ce soit. Il ne reprit la direction active qu’après avoir reçu la visite de certains membres du Bureau politique, qui lui dirent qu’il était nécessaire de prendre certaines mesures immédiatement afin d’améliorer la situation sur le front .

Par conséquent, le danger menaçant suspendu sur notre patrie dans la première période de la guerre était dû largement aux erreurs de Staline lui-même quant aux méthodes par lesquelles il dirigeait la Nation et le Parti.

Cependant, nous ne parlons pas seulement du moment où la guerre commença, moment qui conduisit à une désorganisation sérieuse de notre armée et nous valut de lourdes pertes. Même après le début de la guerre la nervosité et l’hystérie manifestées par Staline, se répercutant sur les opérations militaires effectives, causèrent à notre armée de graves dommages.

Staline était loin de comprendre la situation réelle qui se développait sur le front. Ce qui était naturel puisque pendant toute la guerre patriotique, il n’avait jamais visité aucune partie du front ou aucune ville libérée, à l’exception d’une courte tournée sur la route de Mojaïsk, pendant une période de stabilisation du front. A cet épisode ont été dédiées de nombreuses oeuvres littéraires pleines de fantaisies de toutes sortes, et autant de tableaux. Simultanément, Staline s’immisçait dans les opérations et lançait des ordres qui ne tenaient pas compte de la situation véritable à un point donné du front et qui ne pouvaient que se traduire par d’immenses pertes d’effectifs.

Je me permettrai à ce propos de noter un fait caractéristique qui illustre la façon dont Staline dirigeait les opérations sur les lignes. Nous avons, parmi les participants au Congrès, le maréchal Bagramian qui fut (chef des opérations au quartier général du front sud-ouest, et peut corroborer ce que je vais vous dire .

Quand la situation devint exceptionnellement grave pour notre armée en 1942, dans la région de Kharkov, nous avions à juste titre décidé d’arrêter une opération dont l’objectif à l’époque aurait pu avoir pour l’armée de fatales suites si elle avait été continuée.

Nous en fîmes part à Staline, indiquant que la situation réclamait des changements dans les plans opérationnels pour empêcher l’ennemi d’anéantir une importante concentration de nos troupes.

Contrairement au sens commun, Staline rejeta notre suggestion et donna ordre de poursuivre l’opération qui visait à encercler Kharkov, malgré le fait qu’à l’époque de nombreuses concentrations militaires étaient elles-mêmes menacées d’encerclement et d’anéantissement.

Je téléphonai à Vassilevsky et m’exprimai comme suit :

"Alexandre Mikhaïlovitch, prenez une carte [Vassilevsky était présent] et indiquez au camarade Staline l’état de la situation."

Il y a lieu de noter que Staline dressait ses plans en utilisant un globe terrestre .

(Remous dans la salle.)

Oui, camarades, c’est à l’aide d’un globe terrestre qu’il établissait la ligne du front. J’ai dit au camarade Vassilevsky :

"Montrez-lui l’état de la situation sur une carte ; dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons pas mener à bien les opérations qui avaient été envisagées. La décision primitive doit être modifiée dans l’intérêt de la cause."

Vassilevsky répondit que ce problème avait été déjà étudié par Staline et qu’il n’était pas disposé à revoir Staline à cc sujet, car ce dernier ne voulait plus accepter de discuter au sujet de l’opération en question.

Après ma conversation avec Vassilevsky, je téléphonai à Staline à sa villa. Mais Staline ne répondit pas au téléphone ; c’était Malenkov qui était à l’appareil. Je dis au camarade Malenkov que je téléphonais du front et que je désirais parler personnellement à Staline. Staline me fit savoir, par l’entremise de Malenkov, que je pouvais m’adresser à ce dernier. J’insistai à nouveau que je désirais informer Staline personnellement au sujet de la grave situation qui existait pour nous sur le front. Mais Staline ne jugea pas utile de prendre le récepteur et me fit à nouveau savoir que je devais m’adresser à lui par l’intermédiaire de Malenkov, bien qu’il se trouvât à deux pas de l’appareil.

Après avoir "écouté" de cette façon notre plaidoyer, Staline dit : "Ne changez rien à ce qui a été décidé."

Et qu’est-ce qui résulta de tout ceci ? Le pire de ce que nous pouvions attendre. Les Allemands encerclèrent nos concentrations de troupes et -nous perdîmes en conséquence des centaines de milliers de soldats. Tel est le "génie" militaire de Staline. Voilà ce qu’il nous en coûta .

(Mouvements dans la salle.)

Après la guerre, lors d’une réunion à laquelle assistaient Staline ainsi que des membres du Bureau politique, Anastase Ivanovitch Mikoïan fit ressortir que Khrouchtchev devait avoir eu raison à l’époque, quand il téléphona au sujet de l’opération militaire de Kharkov. Mikoïan ajouta qu’il avait été malheureux que la suggestion de Khrouchtchev ne fût pas retenue .

Vous auriez dû voir la fureur dans laquelle entra Staline. Comment pouvait-on supposer que Staline n’avait pas eu raison ! N’était-il pas, après tout, un "génie", et un génie ne peut qu’avoir raison ! Tout le monde peut se tromper, mais Staline pensait qu’il avait toujours raison. Il n’admettait jamais avoir commis une erreur, petite ou grande, bien qu’il en commît plus d’une tant en matière de théorie qu’au cours de son activité pratique. Lorsque le Congrès du Parti sera achevé, nous aurons probablement à réexaminer plusieurs opérations militaires du temps de guerre et à les présenter sous leur vrai jour.

Les tactiques auxquelles tenait Staline, sans toutefois être familier avec la conduite des opérations militaires, nous ont coûté beaucoup de sang, jusqu’au moment où nous parvînmes à arrêter l’adversaire et à déclencher l’offensive.

Les militaires n’ignorent pas que depuis la fin de 1941, plutôt que de déclencher de grandes manoeuvres opérationnelles qui auraient pris l’ennemi de flanc et permis de pénétrer dans ses arrières, Staline demandait que l’on procédât à des attaques frontales incessantes et que l’on capturât un village après un autre. Ces tactiques se traduisaient pour nous par de grandes pertes, jusqu’au moment où nos généraux, sur lesquels reposait tout le poids de la conduite de la guerre, parvinrent à modifier la situation et à venir à des manoeuvres opérationnelles souples. Cette nouvelle tactique devait immédiatement permettre d’importants changements sur le front en notre faveur.

Après notre grande victoire sur l’ennemi, qui nous coûta si cher, Staline n’hésita pas à dégrader plusieurs des commandants qui contribuèrent tellement à la victoire, car Staline ne pouvait pas admettre la possibilité que des services rendus sur le front fussent portés au crédit d’autres personnes que lui-même.

Staline aimait beaucoup connaître l’opinion que l’on professait sur le camarade Joukov, en tant que chef militaire . Il me demanda souvent mon opinion sur Joukov. Je lui répondais :

"Je connais Joukov depuis longtemps ; c’est un bon général et un bon chef militaire."

Après la guerre, Staline se répandit en commentaires défavorables à l’égard de Joukov. Il disait, entre autres :

"Vous avez loué Joukov, mais il ne 1e mérite pas. On raconte que Joukov, avant de déclencher une opération, procédait de la sorte : Il prenait un peu de terre dans sa main, la sentait et déclarait : nous pouvons commencer l’attaque, ou au contraire : cette opération envisagée ne peul être déclenchée."

Je lui répondais, à cette époque :

"Camarade Staline, j’ignore qui a inventé ceci, mais la chose n’est pas vraie."

Il est possible que ce soit Staline qui ait inventé cette anecdote, dans le but de minimiser le rôle et le talent militaire du maréchal Joukov.

Staline a beaucoup tenu à se faire passer pour un grand chef militaire. De diverses manières, il s’efforça d’inculquer dans le peuple l’idée que toutes les victoires remportées par la Nation soviétique durant la grande guerre patriotique devaient être uniquement attribuées au courage, à l’audace et au génie de Staline. Tout comme Kouzma Kryouchkov, "il vêtit de la même robe sept personnes en même temps" .

(Mouvements dans la salle.)

Dans le même ordre d’idées, reportons-nous, par exemple, à nos films historiques et militaires, ainsi qu’à quelques créations littéraires. C’est écoeurant. Il ne s’agit que de propager le thème d’après lequel Staline était un génie militaire. Souvenons-nous du film la Chute de Berlin . Ici, c’est Staline seul qui agit ; il transmet des ordres dans une salle où l’on remarque plusieurs chaises inoccupées. Seul, un homme s’approche de lui et lui fait part de quelque chose. Il s’agit de Poskrebychev, son loyal portebouclier .

(Rires dans la salle.)

Où sont donc les chefs militaires, et le Bureau politique, et le gouvernement ? Que font-ils et de quoi s’occupent-ils ? Rien ne le dit dans le film. Staline agit pour tout le monde ; il ne compte sur personne, ne demande l’avis de personne. C’est sous ce faux décor que tout est présenté à la Nation. Pourquoi ? Afin de pouvoir auréoler Staline de gloire, contrairement aux faits et contrairement à la vérité historique.

On ne peut s’empêcher de se poser la question : où se trouvent donc les militaires qui supportaient le poids de la guerre sur leurs épaules ? Ils sont absents du film. Staline présent, il ne restait plus de place pour personne.

Ce n’est pas Staline, mais bien le Parti tout entier, le gouvernement soviétique, notre héroïque armée, ses chefs talentueux et ses braves soldats, la Nation soviétique tout entière qui ont remporté la victoire dans la grande guerre patriotique.

(Tempête d’applaudissements prolongés.) Les membres du Comité central, les ministres, nos chefs économiques, les dirigeants de la culture soviétique, les administrateurs des organisations territoriales, du Parti et des soviets, les ingénieurs, les techniciens, chacun d’eux à sa place de travail, ne ménagea ni sa force, ni son savoir afin de rendre possible la victoire sur l’ennemi.

Nos meilleurs militants firent preuve d’un héroïsme exceptionnel. Toute notre classe ouvrière, notre paysannerie kolkhozienne, l’intelligentsia soviétique qui, sous la direction des organisations du Parti, surmontèrent d’indicibles privations et consacrèrent toutes leurs forces pour la défense de la patrie, sont auréolées de gloire.

Nos femmes soviétiques accomplirent, de leur côté, de grands actes de bravoure ; elles s’attelèrent au travail de production dans les usines, dans les kolkhozes et dans divers secteurs économiques et culturels. De nombreuses femmes prirent part sur le front même aux combats.

Quant à notre brave jeunesse, elle contribua sans limites, tant sur le front qu’à l’arrière, à la défense de la patrie soviétique et à l’annihilation de l’ennemi.

Immortels sont les services rendus par les soldats soviétiques, nos chefs et les militants politiques de tous rangs ; après la perte d’une considérable partie de l’armée dans les premiers mois de la guerre, ils n’ont pas perdu la tête et ont pu se réorganiser pendant que se déroulaient les combats ; ils ont créé et consolidé, pendant la guerre, une armée forte et héroïque, et ils ne se sont pas contentés de résister à un ennemi puissant et expérimenté, mais l’ont encore vaincu.

Les actions magnifiques et héroïques de centaines de millions de gens de l’Est et de l’Ouest pendant la lutte contre la menace de soumission au joug fasciste, à laquelle nous avions à faire face, resteront pendant des siècles et des millénaires dans la mémoire de l’humanité reconnaissante.

(Tonnerre d’applaudissements prolongés.)

C’est à notre parti communiste, aux forces armées de l’Union soviétique, et aux dizaines de millions de Soviétiques mobilisés par le Parti que revient la part essentielle de la fin victorieuse de la guerre, dans laquelle ils ont joué un rôle de premier plan.

Camarades, venons-en à d’autres faits. L’Union soviétique est à juste titre considérée comme un modèle d’Etat multinational parce que nous avons, dans la pratique, assuré l’égalité des droits et l’amitié de toutes les nations qui vivent dans notre vaste patrie.

D’autant plus monstrueux sont les actes, dont Staline fut l’inspirateur, et qui constituent des violations brutales des principes léninistes fondamentaux de la politique des nationalités de l’Etat soviétique. Nous voulons parler des déportations massives de peuples entiers, y compris tous les communistes et Komsomols sans exception ; ces mesures de déportation n’étaient justifiées par aucune considération militaire .

Ainsi, dès la fin de 1943, quand se produisit une brèche sur tous les fronts de la grande guerre patriotique au bénéfice de l’Union soviétique, la décision fut prise et mise à exécution de déporter tous les Karatchais des terres sur lesquelles ils vivaient . A la même époque, fin décembre 1943, le même sort advint à toute la population de la république autonome des Kalmouks. En mars 1944, tous les Tchetchènes et tous les Ingouches ont été déportés et la république autonome tchetchène-ingouche liquidée. En avril 1944, tous les Balkars ont été déportés dans des endroits très éloignés du territoire de la république autonome kabardo-balkare et la république elle même fut rebaptisée république autonome kabarde . Les Ukrainiens n’évitèrent ce sort que parce qu’ils étaient trop nombreux et qu’il n’y avait pas d’endroit où les déporter. Sinon, ils auraient été déportés eux aussi .

(Rires et mouvements dans la salle.)

Non seulement un marxiste-léniniste, mais tout homme de bon sens ne peut comprendre comment il est possible de tenir des nations entières responsables d’activité inamicale, y compris les femmes, les enfants, les vieillards, les communistes et les komsomols, au point de recourir contre elles à la répression massive et de les condamner à la misère et à la souffrance en raison d’actes hostiles perpétrés par des individus ou des groupes d’individus.

A la Fin de la Guerre

A la fin de la guerre patriotique, la nation soviétique célébra avec fierté les victoires magnifiques remportées grâce à d’immenses sacrifices et des efforts colossaux. Le Parti était sorti de la guerre encore plus uni ; dans le feu des combats, les cadres du Parti s’étaient trempés et durcis. Dans ces conditions, personne n’aurait même pensé à la possibilité d’un complot dans le Parti.

Et c’est précisément à cette époque qu’est née l’affaire dite de Léningrad. Comme cela a maintenant été établi, il s’agissait d’un coup monté. Parmi ceux dont la vie a été sacrifiée se trouvaient les camarades Voznessenski, Kouznetsov, Rodionov, Popkov et d’autres .

Comme on le sait, Voznessenski et Kouznetsov étaient des dirigeants éminents et compétents. Ils avaient été à une certaine époque très proches de Staline. Il suffit d’indiquer que Staline avait fait de Voznessenski le premier vice-président du Conseil des ministres et que Kouznetsov avait été élu secrétaire du Comité central. Le fait même que Staline avait confié à Kouznetsov le contrôle des organismes de la sûreté de l’Etat prouve la confiance dont il jouissait .

Comment se fait-il que ces personnes aient été dénoncées comme ennemis du peuple et liquidées ?

Les faits prouvent que "l’affaire de Léningrad" est aussi la conséquence de l’arbitraire dont Staline faisait preuve à l’encontre des cadres du Parti.

S’il avait existé une situation normale au Comité central et au Politburo, des affaires de ce genre auraient été examinées conformément à la pratique du Parti, et les faits s’y rapportant y auraient été appréciés ; une telle affaire, comme d’autres, n’aurait pu se produire.

Nous devons dire qu’après la guerre la situation ne fit que se compliquer. Staline devint encore plus capricieux, irritable et brutal ; en particulier, ses soupçons s’accrurent, sa folie de la persécution atteignit des proportions incroyables. A ses yeux, de nombreux militants devinrent des ennemis. Après la guerre, Staline ne fit que se séparer davantage de la collectivité. Il décidait de tout, tout seul, sans considération pour qui ou pour quoi que ce fût.

Cette incroyable suspicion fut habilement exploitée par l’abject provocateur et vil ennemi Béria, qui avait assassiné des milliers de communistes et de Soviétiques loyaux. L’ascension de Voznessenski et de Kouznetsov avait inquiété Béria. Comme nous l’avons maintenant établi, c’est précisément Béria qui avait "suggéré" à Staline la fabrication par lui-même et ses hommes de confiance de matériaux sous forme de déclarations et de lettres anonymes, ainsi que de bruits et racontars divers.

Le Comité central du Parti a étudié cette prétendue "affaire de Léningrad" ; les innocents qui ont souffert sont maintenant réhabilités, et l’honneur a été rendu à la glorieuse organisation du Parti de Léningrad. Abakoumov et d’autres, qui avaient fabriqué ce procès, ont été envoyés devant un tribunal ; leur procès a eu lieu à Léningrad et ils ont été traités comme ils le méritaient .

Une question se pose : comment se fait-il que la vérité sur cette affaire ne nous apparaisse que maintenant, et pourquoi n’avons-nous rien fait avant, du vivant de Staline, afin d’empêcher la suppression de vies innocentes ? C’est parce que Staline avait personnellement contrôlé l’ "affaire de Léningrad" et que la majorité des membres du Bureau politique à cette époque ignoraient tout des circonstances de ces affaires et par conséquent ne pouvaient intervenir.

Lorsque Staline eut reçu certains documents de Béria et d’Abakoumov, sans étudier ce matériel calomnieux, il ordonna une enquête sur "l’affaire" de Voznessenski et Kouznetsov. Leur sort était dès lors scellé.

Tout aussi instructif est le cas de l’organisation nationale Mingrelian, qui existait soi-disant en Géorgie . Comme on le sait, des résolutions concernant cette affaire avaient été prises en novembre 1951 et mars 1952 par le Comité central du parti communiste de l’Union soviétique. Ces résolutions ont été adoptées sans discussion préalable au Bureau politique. Staline les avait dictées personnellement. Elles formulaient de graves accusations contre de nombreux communistes loyaux. En se basant sur des documents falsifiés, on avait établi qu’il existait en Géorgie une soi-disant organisation nationaliste dont le but était la liquidation du pouvoir soviétique dans cette république, avec l’aide des puissances impérialistes .

Un certain nombre de militants responsables du Parti et des soviets furent arrêtés en conséquence. Comme cela a été prouvé ultérieurement, il ne s’agissait en réalité que de calomnies contre l’organisation géorgienne du Parti.

Nous savons qu’il y a eu à une certaine époque, en Géorgie comme en plusieurs autres républiques, des manifestations de, nationalisme bourgeois. La question se pose : était-il possible qu’au moment où ont été prises les résolutions auxquelles il vient d’être fait allusion, les tendances nationalistes aient progressé au point qu’il ait existé un danger de voir la Géorgie se détacher de l’Union soviétique et se joindre à la Turquie ?

(Mouvements dans la salle et rires.)

Cela est, bien entendu, une folie. Il est impossible d’imaginer comment de telles idées pouvaient pénétrer dans l’esprit de qui que ce fût. Chacun sait comment la Géorgie s’est développée dans les domaines économique et culturel sous le gouvernement soviétique.

La production industrielle de la République de la Géorgie est de vingt-sept fois supérieure à ce qu’elle était avant la révolution. Plusieurs industries nouvelles ont été créées en Géorgie qui n’existaient pas avant la révolution : fonderies, huileries, fabriques de construction de machines, etc. L’analphabétisme, qui atteignait 78 % de la population en Géorgie pré-révolutionnaire, n’existe plus depuis longtemps.

S’ils comparaient la situation dans leur république avec celle qui est faite aux masses laborieuses de Turquie, les Géorgiens pourraient-ils jamais aspirer à s’unir à la Turquie’ ? En 1955, la Géorgie a produit dix-huit fois plus d’acier par habitant que la Turquie. La Géorgie produit neuf fois plus d’énergie électrique que la Turquie. D’après le recensement de 1950, 65 % de la population totale de la Turquie est illettrée. Parmi les femmes, 80 % sont illettrées. La Géorgie possède dix-neuf institutions d’études supérieures, fréquentées par trente-neuf mille étudiants environ, soit huit fois plus qu’en Turquie (pour mille habitants). La prospérité de la classe laborieuse, de Géorgie a énormément augmenté sous l’administration soviétique.

Il est évident qu’à mesure que l’économie et la culture se développeront et que la conscience socialiste des masses augmentera en Géorgie, 1a source à laquelle puise le nationalisme bourgeois se tarira.

Comme l’a prouvé la suite des événements, il n’existait pas d’organisation nationaliste en Géorgie. Des milliers de personnes innocentes furent victimes de l’arbitraire et de l’anarchie. Tout cela se produisit sous la direction "géniale" de Staline, le "grand fils de la nation géorgienne", comme les Géorgiens aiment appeler Staline .

(Mouvements dans la salle.)

L’obstination de Staline se manifesta non seulement dans le domaine des décisions qui concernaient la vie intérieure du pays, mais également dans celui des relations internationales de l’Union soviétique.

Le plénum de juillet du Comité central a étudié en détail les raisons qui provoquèrent le conflit avec la Yougoslavie. Le rôle qu’y a joué Staline a été scandaleux. Les problèmes posés par l’ "affaire yougoslave" auraient pu être résolus grâce à des discussions entre partis et entre camarades. Il n’existait pas de fondement sérieux de nature à justifier la suite prise par cette "affaire". Il était tout à fait possible d’empêcher la rupture des relations avec ce pays. Cela ne signifie pas toutefois que les chefs yougoslaves aient été exempts d’erreurs ou d’imperfections. Mais ces erreurs et imperfections ont été amplifiées d’une manière monstrueuse par Staline, ce qui amena une rupture des relations avec un pays ami.

Je me souviens des premiers jours du conflit entre l’Union soviétique et la Yougoslavie, époque à laquelle il commença à être artificiellement gonflé. Un jour, arrivant de Kiev à Moscou, je fus invité à rendre visite à Staline, qui, me montrant la copie d’une lettre envoyée à Tito, me dit : "Avez-vous lu ceci ?"

Sans attendre ma réponse, il déclara : "Il me suffira de remuer le petit doigt et il n’y aura plus de Tito. Il s’écroulera."

Nous avons payé cher ce "geste du petit doigt". Cette déclaration reflétait la folie des grandeurs de Staline, mais il agissait précisément de cette manière : "Je lèverai le petit doigt... et il n’y aura plus de Kossior", "Je lèverai le petit doigt une fois encore et il n’y aura plus de Postychev ni de Choubar", "Je lève encore une fois le petit doigt et Voznessenski, Kouznetsov et maints autres disparaissent".

Mais cela n’a pas marché avec Tito. Quelles que soient l’intensité et la manière dont Staline a remué non seulement le petit doigt, mais tout ce qu’il pouvait remuer, Tito ne s’est pas écroulé. Pourquoi ? La raison en est que dans ce cas de désaccord avec les camarades yougoslaves, Tito avait derrière lui un Etat et un peuple qui avaient été à la rude école des combats pour la liberté et l’indépendance, un peuple qui soutenait ses dirigeants.

Vous voyez à quoi conduisait la mégalomanie de Staline . Il avait perdu conscience de la réalité ; il manifestait son arrogance et ses soupçons non seulement envers les individus de l’Union soviétique, mais envers des partis et des nations entières.

Nous avons soigneusement examiné le cas de la Yougoslavie, et nous avons trouvé une solution convenable qui est approuvée par les peuples de l’Union soviétique et de la Yougoslavie, aussi bien que par les masses laborieuses de toutes les démocraties populaires et de toute l’humanité. Il a été procédé à la liquidation des rapports anormaux avec la Yougoslavie dans l’intérêt de l’ensemble du camp du socialisme, dans l’intérêt de la consolidation de la paix dans le monde entier.

Rappelons "l’affaire du complot des médecins". (Mouvements dans la salle.) En fait, il n’y avait pas d’ "affaire" en dehors de la déclaration de la doctoresse Timachouk, qui avait probablement été influencée ou avait reçu des ordres de quelqu’un - après tout c’était une collaboratrice officieuse des organismes de sécurité d’État - pour écrire à Staline une lettre dans laquelle elle avait déclaré que les médecins appliquaient prétendument une thérapeutique impropre .

Cette lettre a suffi à Staline pour lui permettre de conclure immédiatement qu’il existait des médecins qui complotaient en Union soviétique. Il ordonna l’arrestation d’un groupe d’éminents spécialistes en médecine et donna son opinion personnelle quant à la conduite de l’enquête et la méthode à utiliser pour interroger les personnes arrêtées. Il dit que l’académicien Vinogradov devait être mis aux chaînes, qu’un autre devait être battu. L’ancien ministre de la Sécurité d’Etat, le camarade Ignatiev assiste à notre Congrès en qualité de délégué. Staline lui dit brutalement :

"Si vous n’obtenez pas de confession de la part des docteurs, nous vous trancherons la tête."

(Tumulte dans la salle.)

Staline fit personnellement venir le juge chargé de l’enquête, lui donna des instructions et des conseils sur les méthodes d’interrogatoire à utiliser. Ces méthodes étaient simples : battre, battre et encore battre.

Peu après l’arrestation des médecins, nous, membres du Bureau politique, reçûmes les procès-verbaux les concernant ; c’étaient des aveux de culpabilité. Après la distribution de ces procès-verbaux, Staline nous dit :

"Vous êtes aveugles comme des chatons. Qu’arrivera-t-il sans moi ? Le pays périra parce que vous ne savez vas comment reconnaître des ennemis."

Le cas fut présenté de telle sorte que personne ne pouvait être en mesure de vérifier les faits sur lesquels les investigations étaient basées. Il n’était pas possible d’essayer de Contacter les personnes qui avaient reconnu leur culpabilité et de vérifier les faits.

Nous sentions cependant que le cas des médecins arrêtés était douteux. Nous connaissions certains d’entre eux personnellement parce qu’ils avaient eu l’occasion de nous soigner. Quand nous vînmes à examiner ce "cas" après la mort de Staline, nous trouvâmes qu’il avait été inventé du commencement à la fin.

Ce "cas" ignoble fut monté par Staline. Il ne disposa pas cependant du temps nécessaire pour le mener à bonne fin (du moins comme il entendait cette fin), et c’est pour cette raison que les médecins sont encore en vie. Actuellement, tous sont réhabilités ; ils occupent les mêmes fonctions qu’auparavant. Ils soignent des personnalités haut placées, y compris des membres du gouvernement. Ils possèdent toute notre confiance et ils accomplissent leur tâche honnêtement, tout comme ils le faisaient dans le passé.

Un rôle spécialement bas a été joué par un ennemi féroce de notre parti, Béria, agent d’un service d’espionnage étranger dans l’organisation de certaines affaires sales et honteuses. Béria avait gagné la confiance de Staline. De quelle manière ce provocateur parvint-il à atteindre une situation au sein du Parti et de l’Etat, de façon à devenir le premier vice-président du Conseil des ministres de l’Union soviétique et le membre du Bureau politique du Comité central ? Il est maintenant prouvé que ce scélérat a gravi les différents échelons du pouvoir en passant sur un nombre incalculable de cadavres .

Existait-il des indices indiquant que Béria était un ennemi du Parti ? Il en existait, en effet. Déjà en 1937, lors d’un plénum du Comité central, l’ancien commissaire du Peuple à la Santé publique Kaminski , déclarait que Béria travaillait pour les services d’espionnage du Moussavat . Le plénum du Comité central avait à peine achevé ses travaux que Kaminski était arrêté et fusillé. Est-ce que Staline avait examiné la déclaration de Kaminski ? Non, parce que Staline avait confiance en Béria et que cela lui suffisait. Et, lorsque Staline croyait en quelqu’un ou en quelque chose, personne ne pouvait avancer une opinion contraire. Quiconque aurait osé exprimer une opinion contraire aurait subi le sort de Kaminski .

Il existait également d’autres indices.

La déclaration que fit le camarade Snegov au Comité central du Parti est intéressante. Disons, entre parenthèses, que Snegov a été réhabilité il y a peu de temps après avoir passé dix-sept années dans des camps de prisonniers. Dans sa déclaration, Snegov écrivait :

"En ce qui concerne la réhabilitation proposée de l’ancien membre du Comité central Kartvelichvili-Laurentiev , j’ai confié au représentant du Comité de la sécurité d’Etat une déposition détaillée relative au rôle joué par Béria dans l’affaire Kartvelichvili, ainsi qu’aux motifs criminels qui ont guidé son action .

Je considère qu’il est indispensable de rappeler ici un fait important relatif à ce cas et de le communiquer au Comité central, car je n’ai pas jugé utile de joindre le document le concernant au dossier des investigations.

Le 30 octobre 1931, lors d’une session du Bureau d’organisation du Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique, Kartvelichvili, secrétaire du Comité régional transcaucasien, présenta un rapport. Tous les membres de l’exécutif de ce Comité régional étaient présents ; d’eux tous, je suis le seul encore vivant. Pendant cette session, J.V. Staline proposa à la fin de son discours de réorganiser le secrétariat du Comité régional transcaucasien de la façon suivante : premier secrétaire, Kartvelichvili ; deuxième secrétaire, Béria (c’était la première fois dans l’histoire du Parti que le nom de Béria était mentionné en tant que candidat pour une fonction dans le Parti). Kartvelichvili répondit qu’il connaissait bien Béria et que pour cette raison il refusait catégoriquement de travailler avec lui. Staline proposa alors de laisser la question en suspens, ajoutant qu’elle pourrait être résolue d’elle même en cours de travail. Deux jours plus tard, la décision avait été prise d’accorder à Béria le poste en question et d’éloigner Kartvelichvili de la région transcaucasienne. Ce fait peut être confirmé par les camarades Mikoïan et Kaganovitch, qui étaient présents lors de cette réunion."

C’était un fait très connu que les relations entre Kartvelichvili et Béria étaient depuis longtemps mauvaises. Cela remontait à l’époque où le camarade Sergo [surnom populaire d’Ordjonikidze] déployait son activité dans la région transcaucasienne. Kartvelichvili était le plus proche collaborateur de Sergo. Ses relations tendues avec Kartvelichvili poussèrent Béria à créer de toutes pièces un "cas" Kartvelichvili .

Il est caractéristique de noter que dans ce "cas", Kartvelichvili fut accusé d’avoir fomenté une action terroriste contre Béria.

L’acte d’accusation de Béria contenait une description de ses crimes. Certaines choses devraient toutefois être rappelées, étant donné qu’il est possible que certains délégués au Congrès n’aient pas eu l’occasion de lire ce document. Je voudrais rappeler les méthodes bestiales de Béria dans les cas de Kedrov et de Goloubiev, ainsi que dans celui de la mère adoptive de Goloubiev, Batourina. Toutes ces personnes étaient désireuses d’informer le Comité central des activités perfides de Béria. Elles furent toutes fusillées sans jugement et la sentence ne fut prononcée qu’après leur exécution .

Voici que le vieux communiste Kedrov écrivit au Comité central par l’entremise du camarade Andreiev (le camarade Andreiev était alors un des secrétaires du Comité central)

 : "Je fais appel à vous du fond d’une triste cellule de la prison Lefortovo. Que mon cri d’horreur atteigne vos oreilles ; ne demeurez pas sourds à mon appel ; prenez-moi sous votre protection. Je vous supplie de faire en sorte que le cauchemar des- interrogatoires cesse. Montrez que mon cas était basé sur une erreur.

Je suis innocent. Je vous prie de me croire. Le temps prouvera que je dis la vérité. Je ne suis pas un agent provocateur de l’Okhrana tsariste. Je ne suis pas un espion. Je ne suis pas un membre d’une quelconque organisation antisoviétique, comme le font croire certaines dénonciations. Je ne suis coupable d’aucun crime envers le Parti ou le gouvernement. Je suis un vieux bolchevik sans tache. J’ai honnêtement combattu pendant près de quarante ans dans les rangs du Parti pour le bien et pour la prospérité de la Nation.

Aujourd’hui, à l’âge de soixante-deux ans, je suis menacé par les juges chargés de l’instruction de subir des pressions physiques encore plus sévères, cruelles et dégradantes. Ils (les juges) sont désormais incapables de se rendre compte de leur erreur et de reconnaître que leurs procédés sont illégaux et qu’ils ne devraient pas être permis. Ils s’efforcent de justifier leur attitude en me décrivant comme un ennemi endurci et demandent en conséquence qu’on use à mon égard de méthodes répressives accrues. Mais que le Parti sache que je suis innocent et que rien ne peut transformer un fils loyal du Parti en ennemi, même jusqu’au moment où il rendra son dernier soupir.

Mais je ne vois pas d’issue. Je sens que de nouveaux et puissants coups me menacent. Mais tout a cependant une limite. J’ai été torturé à l’extrême. Ma santé est ébranlée, ma force et mon énergie sont en train de faiblir, la fin approche. Mourir dans une prison soviétique et être qualifié de traître à la patrie, que peut-il y avoir de plus monstrueux pour un honnête homme ? Et, en effet, comme tout cela est monstrueux ! Mon coeur ressent une amertume et une peine insurpassées. Non, non, cela n’arrivera pas, cela ne peut pas arriver. Je le crie. Ni le Parti, ni le gouvernement soviétique, ni le commissaire du Peuple L.P. Béria ne permettront une aussi cruelle, une aussi irréparable injustice. Je suis absolument certain que si un examen objectif, serein, sans colère et sans les redoutables tortures venait à être entrepris, il serait facile de prouver combien sont sans fondement les accusations portées contre moi. Je crois profondément que la vérité et la justice triompheront. Je le crois, je le crois."

Le vieux bolchevik camarade Kedrov avait été reconnu innocent par le collège militaire. Mais, malgré cela, il a été fusillé sur l’ordre de Béria.

(Indignation dans la salle.)

Béria a aussi traité cruellement la famille du camarade Ordjonikidze. Pourquoi ? Parce qu’Ordjonikidze avait essayé d’empêcher Béria de mettre à exécution ses plans honteux. Béria s’était débarrassé de tous ceux qui auraient pu le gêner. Ordjonikidze avait été de tout temps un adversaire de Béria et ne l’avait pas caché à Staline. Au lieu d’examiner cette affaire et de prendre les dispositions nécessaires, Staline permit la "liquidation" du frère d’Ordjonikidze et poussa Ordjonikidze lui-même au suicide . (Indignation dans la salle.) Tel était Béria.

Béria a été démasqué par le Comité central du Parti peu de temps après la mort de Staline. Une procédure judiciaire circonstanciée permit d’établir que Béria avait commis des crimes monstrueux. Béria fut, en conséquence, fusillé.

La question se pose de savoir comment Béria, qui avait "liquidé" des dizaines de milliers de personnes, n’a pas été démasqué pendant que Staline était en vie ? Il n’avait pas été démasqué plus tôt parce qu’il avait su utiliser très habilement les faiblesses de Staline. Alimentant sans cesse ses soupçons, Béria aidait Staline dans tout et agissait avec son appui.

Autoglorification

Camarades, le culte de la personnalité a atteint de si monstrueuses proportions, surtout en raison du fait que Staline lui-même, utilisant toutes les méthodes concevables, a encouragé la glorification de sa propre personne . Cela est étayé par de nombreux faits. Un des exemples les plus caractéristiques de cette autoglorification et du manque absolu de modestie de Staline est la publication, en 1948, de sa Biographie abrégée . Staline y est flatté et glorifié à l’égal d’un dieu et considéré comme un sage infaillible, "le plus grand des chefs", "le plus grand stratège de tous les temps".

On en arriva à ne plus trouver de mots suffisamment forts pour chanter davantage ses louanges.

Il est inutile de citer quelques exemples d’adulation pris parmi tous ceux qu’on rencontre dans ce livre. Qu’il me suffise d’ajouter que toutes ces adulations avaient été approuvées par Staline lui-même et qu’il en avait ajouté d’autres, écrites de sa propre main, sur le projet de texte du livre .

S’était-il efforcé, dans ces notes manuscrites, de refroidir l’ardeur des thuriféraires qui avaient rédigé sa Biographie abrégée ? Bien au contraire ! Il prit soin de faire ressortir que dans certains passages du livre, les éloges qui lui étaient prodigués n’étaient pas, à son avis, suffisants.

Voici quelques exemples de "corrections" apportées par Staline, de sa propre main :

"Dans cette lutte contre les sceptiques et les capitulards, contre les trotskistes, les zinoviévistes, les boukhariniens et les kamenévistes, le noyau dirigeant du Parti devait, après la mort de Lénine, trouver un motif d’union définitive. Ce noyau dirigeant allait, sous la bannière de Staline, rallier le Parti aux mots d’ordre du disparu et conduire le peuple soviétique sur la large voie de l’industrialisation du pays et de la collectivisation de l’économie rurale. Le chef de ce noyau dirigeant et le guide du Parti et de l’Etat était le camarade Staline."

Voilà ce qu’écrivait Staline lui-même ! Puis, il ajoutait :

"Quoiqu’il assumât ses fonctions de chef du Parti et du peuple avec une habileté consommée et jouît de l’appui sans réserve du peuple soviétique tout entier, Staline ignora toute vanité, prétention ou glorification personnelle."

Où et quand a-t-on vu un chef chanter ses propres louanges ? Est-ce là un procédé digne d’un chef de type marxiste-léniniste ? Non. C’est justement contre de telles pratiques que se sont élevés Marx et Engels. Ces procédés étaient également fortement condamnés par Vladimir Ilitch Lénine.

Dans le projet de cette Biographie abrégée, on pouvait lire la phrase suivante : "Staline est le Lénine d’aujourd’hui." Cette phrase apparut trop faible à Staline, aussi, de sa propre main, la changea-t-il en :

"Staline est le digne continuateur de l’oeuvre de Lénine, ou, comme on le dit dans notre Parti, Staline est le Lénine d’aujourd’hui."

Vous voyez comme cela est bien exprimé, non par le peuple mais par Staline lui-même !

Il est possible d’indiquer plusieurs appréciations de ce genre à sa propre louange écrites de la main de Staline dans le projet de texte de ce livre. C’est d’une manière particulièrement généreuse qu’il se couvrait lui même de louanges relatives à son génie militaire, à son art de la stratégie.

Je citerai encore un additif rédigé par Staline sur le thème du génie militaire stalinien.

"La science soviétique de la guerre moderne a fait de nombreux progrès entre les mains du camarade Staline. Le camarade Staline a mis au point la théorie des facteurs permanents qui décident de l’issue des guerres, de la défense active- et des lois de la contre-offensive et de l’offensive, de la collaboration de l’ensemble des services et des armes dans la guerre moderne, du rôle des masses de chars lourds et de l’aviation dans la guerre moderne, ainsi que de l’artillerie comme le plus formidable des services armés. Aux divers stades de la guerre, le génie de Staline a trouvé les solutions justes qui tenaient compte de toutes les circonstances de la situation."

(Mouvements dans la salle.)

Et plus loin, Staline écrit :

"La maîtrise militaire de Staline s’est déployée tant dans la défense que dans l’attaque. Le génie du camarade Staline lui permettait de deviner les plans de l’ennemi et de les mettre en échec. Les batailles dans lesquelles le camarade Staline a dirigé les armées soviétiques sont de brillants exemples de l’habileté opérationnelle militaire."

C’est de cette façon qu’était écrite la louange de Staline en tant que stratège. Par qui ? Par Staline lui même, non dans son rôle de stratège, mais dans le rôle d’un auteur-éditeur, l’un des principaux rédacteurs de sa biographie autolaudative.

Camarades, tels sont les faits. Il nous faudrait plutôt dire les faits honteux .

Et encore un fait sur la même Biographie abrégée de Staline. Comme on le sait, le Précis de l’histoire du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique a été écrit par une commission du Comité central du Parti .

Ce livre, entre parenthèses, a été également imprégné du culte de l’individu et a été écrit par un groupe désigné d’auteurs. Ce fait se reflétait dans la formule suivante figurant sur les épreuves de la Biographie abrégée de Staline :

"Une commission du Comité central du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique, sous la direction du camarade Staline et avec sa participation la plus active, a préparé un Précis dé l’histoire du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique."

Mais, même cette phrase ne donnait pas satisfaction à Staline. La phrase suivante la remplaça dans la version définitive de la Biographie abrégée :

"En 1938 parut le livre Histoire du parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique, précis écrit par le camarade Staline et approuvé par une commission du Comité central du PC (b.) de l’Union soviétique."

Est-il possible d’ajouter quoi que ce soit ?

(Mouvements dans la salle.)

Comme vous le voyez, une métamorphose surprenante avait transformé l’oeuvre d’un groupe en un livre écrit par Staline. Il n’est pas nécessaire de dire comment et pourquoi cette métamorphose se produisit.

A ce propos, une question me vient à l’esprit : si Staline est l’auteur de ce livre, pourquoi a-t-il eu besoin de tant encenser la personne de Staline et de transformer toute la période de l’histoire de notre glorieux parti communiste après la révolution d’Octobre en une action du "génie de Staline"

Ce livre reflétait-il d’une façon convenable les efforts du Parti dans la transformation socialiste du pays, dans l’édification de la société socialiste, dans l’industrialisation et la collectivisation du pays, ainsi que d’autres mesures prises par le Parti qui, sans dévier, suivit la voie établie par Lénine ? Ce livre parle principalement de Staline, de ses discours, de ses rapports. Tout, sans la moindre exception, est lié à son nom.

Et quand Staline affirme qu’il a lui-même écrit le Précis de l’histoire du PC (b.) de l’Union soviétique, on doit pour le moins s’en étonner. Un marxiste-léniniste peut-il écrire ainsi sur lui-même, adressant au ciel l’éloge de sa propre personne ?

Ou bien examinons la question des prix Staline . (Mouvements dans la salle.) Les tsars eux-mêmes n’avaient jamais créé de prix portant leur nom .

Staline avait désigné comme étant le meilleur un texte d’hymne national de l’Union soviétique qui ne contient pas un mot sur le parti communiste ; mais il contient l’éloge suivant, sans précédent, de Staline :

"Staline nous a éduqués dans l’esprit de la fidélité au peuple.

Il nous a inspirés dans l’accomplissement de notre travail grandiose et dans nos actes."

Dans ces vers de l’hymne, toute l’activité du grand parti léniniste dans les domaines de l’éducation, de la direction et de l’inspiration est attribuée à Staline. Cela constitue, bien entendu, une nette déviation du marxisme-léninisme, un avilissement et une dépréciation nets du rôle du Parti. Il nous faut ajouter pour votre information que le Présidium du Comité central a déjà adopté une résolution concernant la composition d’un nouveau texte de l’hymne, dans lequel se reflètent le rôle du peuple et le rôle du Parti .

(Applaudissements vigoureux et prolongés.)

Et est-ce à l’insu de Staline que de nombreuses villes et entreprises ont pris son nom ? Est-ce à son insu que des monuments à Staline ont été élevés dans tout le pays - ces "monuments commémoratifs pour un vivant" ? C’est un fait que Staline lui-même avait signé le 2 juillet 1951 une résolution du Conseil des ministres de l’URSS concernant l’érection, sur le canal Volga-Don, d’un impressionnant monument à Staline ; le 4 septembre de la même année, il avait publié un décret accordant trente-trois tonnes de cuivre pour la construction de ce monument massif. Quiconque a visité la région de Stalingrad a certainement vu l’immense statue qui y est édifiée, et cela dans un lieu que ne fréquente presque personne. Des sommes considérables ont été dépensées pour l’édifier, alors que les gens de cette région vivaient depuis la guerre dans des huttes. Jugez vous-mêmes : Staline avait-il raison lorsqu’il écrivait dans sa biographie que :

"... Il ne se permettait... même pas le moindre soupçon de suffisance, de fierté ou d’autoglorification" ?

De même, Staline avait donné des preuves de son manque de respect pour la mémoire de Lénine. Ce n’est pas un hasard si malgré la décision prise depuis plus de trente ans de construire un palais des soviets comme monument à la gloire-de Vladimir Ilitch, ce palais ne fut jamais construit, sa construction toujours ajournée et le projet abandonné.

Nous ne pouvons manquer de rappeler la Résolution du 14 août 1925 du gouvernement soviétique concernant "la fondation de prix Lénine pour le travail éducatif ". Cette Résolution avait été publiée dans la presse, mais jusqu’à maintenant il n’y a pas de prix Lénine. Cela aussi doit être corrigé.

(Applaudissements tumultueux et prolongés.)

Du vivant de Staline, grâce aux méthodes connues dont j’ai fait mention, et en citant des faits extraits par exemple de la Biographie abrégée de Staline, tous les événements ont été expliqués comme si Lénine n’avait joué qu’un rôle secondaire, même pendant la révolution socialiste d’Octobre. Dans de nombreux films et dans de nombreux ouvrages littéraires la personnalité de Lénine était présentée d’une façon inexacte et dépréciée d’une façon inadmissible.

Staline aimait à voir le film 1919, l’année inoubliable , dans lequel on l’apercevait sur le marchepied d’un train blindé et où il défaisait pratiquement l’ennemi avec son propre sabre. Que Kliment Iefremovitch , notre cher ami, trouve le courage nécessaire et qu’il écrive la vérité sur Staline ; après tout, il sait comment s’est battu Staline. Il sera difficile au camarade Vorochilov d’entreprendre ce travail, mais il serait bon qu’il le fît . Chacun s’en féliciterait, le peuple comme le Parti. Même ses petits-fils l’en remercieraient .

(Applaudissements prolongés.)

En parlant des événements de la révolution d’Octobre et de la guerre civile, on avait créé l’impression que Staline avait toujours joué le rôle principal, comme si toujours et partout Staline avait suggéré à Lénine ce qu’il fallait faire et comment il fallait le faire. Mais c’est calomnier Lénine.

(Applaudissements prolongés.)

Je ne pécherai probablement pas contre la vérité quand je dirai que 99 % des personnes présentes avaient très peu entendu parler de Staline et savaient peu de chose de lui avant l’année 1924, alors que Lénine était connu de tous ; tout le Parti, toute la Nation, des enfants jusqu’aux vieillards à barbe blanche, tout le monde le connaissait.

(Applaudissements tumultueux et prolongés.)

Tout cela a besoin d’être revu à fond, en sorte que l’histoire, la littérature et les beaux-arts reflètent d’une façon convenable le rôle de V.I. Lénine et les faits grandioses de notre parti communiste et du peuple soviétique, du peuple créateur.

(Applaudissements.)

Camarades ! Le culte de l’individu a provoqué l’emploi de principes erronés dans le travail du Parti et dans l’activité économique ; il a conduit à la violation des règles de la démocratie intérieure du Parti et des soviets, à une administration stérile, à des déviations de toutes sortes, dissimulant les lacunes et fardant la réalité. Notre Nation a donné naissance à de nombreux courtisans et spécialistes du faux optimisme et de la duperie.

Il ne faut pas oublier non plus que, du fait de l’arrestation de nombreux dirigeants du Parti, des soviets et de l’économie, maints militants avaient commencé à travailler d’une façon hésitante, montré une prudence excessive, craignant tout ce qui était nouveau ; ils avaient peur de leur ombre et commençaient à faire preuve de moins d’initiative dans leur travail.

Prenez par exemple les Résolutions du Parti et des soviets. Elles étaient préparées d’une façon routinière, souvent sans tenir compte de la situation concrète. On était arrivé au point que les militants, même dans les réunions les moins importantes, lisaient leurs discours. Il en résultait un danger de formalisme dans le travail du Parti et des soviets, et la bureaucratisation de tout l’appareil.

La répugnance de Staline à considérer les réalités de l’existence et le fait qu’il n’était pas au courant du véritable état de la situation dans les provinces peuvent trouver leur illustration de la façon dont il a dirigé l’agriculture.

Tous ceux qui ont pris un tant soit peu d’intérêt aux affaires nationales n’ont pas manqué de constater la difficile situation de notre agriculture. Staline, lui, ne le remarquait même pas. Avons-nous attiré l’attention de Staline là-dessus ? Oui, nous l’avons fait, mais nous ne fûmes pas appuyés par lui. Pourquoi ? Parce que Staline ne s’est jamais déplacé, parce qu’il n’a pas pris contact avec les travailleurs des villes et des kolkhozes. Il ignorait quelle était la situation réelle dans les provinces.

C’est à travers des films qu’il connaissait la campagne et l’agriculture. Et ces films avaient beaucoup embelli la réalité dans le domaine de l’agriculture.

De nombreux films peignaient sous de telles couleurs la vie kolkhozienne, que l’on pouvait voir des tables crouler sous le poids des dindes et des oies. Évidemment, Staline croyait qu’il en était effectivement ainsi.

Vladimir Ilitch Lénine voyait tout autrement la vie. Il était toujours près du peuple. Il avait l’habitude de recevoir des délégations paysannes et de parler souvent dans des réunions tenues dans des usines. Il visitait aussi des villages et prenait contact avec les paysans.

Staline, en revanche, s’était séparé du peuple et ne se rendait nulle part. Cela a duré des dizaines d’années. Sa dernière visite à un village remonte à janvier 1928, époque à laquelle il visita la Sibérie au sujet d’une question de livraison de céréales. Comment donc aurait-il pu être en mesure de juger quelle était la situation dans les provinces ?

Lorsqu’il fut informé, au cours d’une discussion, que la situation de l’agriculture était difficile et que celle de l’élevage et de la production de viande était spécialement mauvaise, une commission fut formée et chargée du soin de rédiger une Résolution intitulée "Moyens à employer en vue d’accroître l’élevage dans les kolkhozes et les sovkhozes". Nous mîmes sur pied ce projet.

Naturellement nos propositions à l’époque n’envisageaient pas toutes les possibilités, mais nous avions cependant préconisé des méthodes en vue d’accroître l’élevage dans les kolkhozes et les sovkhozes. Nous suggérions alors d’augmenter les prix du bétail, afin de stimuler par ce biais l’initiative des travailleurs des kolkhozes, des stations de machines et tracteurs et des sovkhozes. Mais notre projet ne fut pas accepté ; il allait être entièrement écarté en février 1953.

Il y a plus. Au cours de l’examen de ce projet, Staline proposa que les taxes payées par les kolkhozes et par les travailleurs des kolkhozes fussent portées à quarante milliards de roubles. Selon lui, la paysannerie était aisée et le travailleur kolkhozien n’aurait qu’à vendre un poulet de plus pour être en mesure de payer cet impôt.

Imaginez ce que cela signifiait. Assurément, quarante milliards dé roubles est une somme que les travailleurs des kolkhozes n’avaient pas réalisée pour tous les produits qu’ils avaient vendus au gouvernement. En 1952, par exemple, les kolkhozes et les travailleurs des kolkhozes avaient reçu vingt-six milliards deux cent quatre-vingts millions de roubles pour l’ensemble des produits qu’ils avaient livrés et vendus au gouvernement.

L’attitude de Staline était-elle alors fondée sur des renseignements dé quelque nature que ce fût ? Évidemment non.

Dans ces cas-là, les faits et les chiffres ne l’intéressaient pas. Si Staline disait quoi que ce soit, il s’imaginait qu’il en était ainsi - après tout, c’était un "génie", et un génie n’a pas besoin de compter, il n’a qu’à jeter un regard et immédiatement il peut dire ce qu’il devrait en être. Quand il exprime son opinion, chacun doit la répéter et admirer sa sagesse.

Mais quelle était la somme de sagesse contenue dans la proposition d’élever la taxe agricole à quarante milliards de roubles ? Aucune, absolument aucune, car la proposition n’était pas fondée sur une estimation effective de la situation, mais sur les idées fantasques d’une personne qui n’avait aucun contact avec la réalité. Actuellement, nous sommes en train de sortir lentement d’une situation agricole difficile. Les discours des délégués au XXe Congrès nous ont tous satisfaits ; nous sommes heureux que de nombreux délégués aient pris la parole, qu’il existe les conditions requises pour l’accomplissement du VIe Plan quinquennal pour l’élevage, non pas dans la période de cinq ans, mais en deux ou trois ans. Nous sommes certains que les engagements du nouveau plan quinquennal seront tenus avec succès.

(Applaudissements prolongés.)

Camarades ! Si nous critiquons aujourd’hui d’une façon aiguë le culte de l’individu, qui était si répandu du vivant de Staline, et si nous parlons des nombreux phénomènes négatifs engendrés par ce culte tellement étranger à l’esprit du marxisme-léninisme, diverses personnes pourront demander : comment cela fut-il possible ? Staline a été à la tête du Parti et du pays pendant trente ans, et de nombreuses victoires ont été remportées de son vivant. Peut-on le nier ? A mon avis, cette question peut seulement être posée de cette façon par ceux qui sont aveuglés et hypnotisés sans espoir par le culte de l’individu, par ceux qui ne comprennent pas l’essence de la révolution et de l’Etat soviétique, par ceux qui ne saisissent pas d’une manière léniniste le rôle du Parti et de la Nation dans le développement de la société soviétique.

La victoire de la révolution socialiste a été remportée par la classe ouvrière et par la paysannerie pauvre, avec le soutien partiel des paysans moyens. Elle a été remportée par le peuple, sous la conduite du parti bolchevik. Le grand service rendu par Lénine a consisté dans le fait qu’il a créé un parti militant de la classe ouvrière, mais il était armé de la connaissance marxiste des lois du progrès social et de la science de la victoire prolétarienne dans la lutte contre le capitalisme, et il a trempé comme l’acier le Parti dans le creuset de la lutte révolutionnaire des masses populaires. Dans ce combat, le Parti a toujours défendu les intérêts du peuple, il est devenu son guide expérimenté et a mené les masses laborieuses au pouvoir, à la création du premier Etat socialiste.

Vous vous souvenez bien des sages paroles de Lénine disant que l’Etat soviétique est fort en raison de la conscience des masses, que l’histoire est créée par les millions et les dizaines de millions de gens qui constituent le peuple.

Nous avons obtenu nos victoires historiques grâce au travail d’organisation du Parti, aux nombreuses organisations de province, aux sacrifices consentis par notre grande Nation. Ces victoires sont le résultat de l’immense effort et de l’action de la Nation et du Parti dans leur ensemble ; elles ne sont pas du tout le fruit de la direction de Staline, comme on l’avait raconté pendant la période du culte de l’individu.

Si nous voulons étudier cette question en marxistes et en léninistes, il nous faut alors déclarer sans équivoque que la direction, telle qu’elle était pratiquée durant les dernières années de Staline, était devenue un obstacle sérieux sur la voie du développement social de l’Union soviétique.

Souvent, Staline laissait dormir pendant des mois des problèmes d’une exceptionnelle importance pour la vie du Parti et de l’Etat, et dont la solution ne souffrait pas de retard. Sous la direction de Staline, nos relations pacifiques avec d’autres nations avaient été souvent menacées, car les décisions d’un seul pouvaient provoquer et provoquaient en fait souvent de grandes complications.

Dans les dernières années, quand nous sommes arrivés à nous libérer de la pratique nuisible du culte de l’individu et que nous avons pris plusieurs mesures appropriées dans le domaine de la politique intérieure et extérieure, chacun a pu constater comme l’activité reprenait, combien progressait l’activité créatrice des larges masses laborieuses, comme tout cela a agi favorablement sur le développement de l’économie et de la culture.

(Applaudissements.)

Des camarades pourront nous demander : Où étaient les membres du Politburo du Comité central ? Pourquoi ne se sont-ils pas élevés à l’époque contre le culte de l’individu ? Et pourquoi ne le fait-on que maintenant ?

Tout d’abord, il nous faut tenir compte du fait que les membres du Politburo avaient des opinions différentes sur ces problèmes à des époques différentes. A l’origine plusieurs d’entre eux avaient soutenu activement Staline, parce que Staline était l’un des plus forts marxistes et que sa logique, sa puissance et sa volonté influençaient dans une grande mesure les cadres et le travail du Parti.

On sait que Staline, après la mort de Lénine, notamment pendant les premières années, avait activement combattu pour le léninisme contre les ennemis de la théorie léniniste et contre ceux qui s’en écartaient. S’appuyant sur la théorie léniniste, le Parti, avec à sa tête le Comité central, entama sur une grande échelle l’oeuvre d’industrialisation socialiste du pays, de collectivisation agricole et de révolution culturelle. A cette époque, Staline acquit une grande popularité et de nombreuses sympathies, ainsi qu’un large soutien. Le Parti devait combattre ceux qui tentaient de conduire le pays en dehors de la voie léniniste correcte ; il devait combattre les trotskistes, les zinoviévistes, les droitiers et les nationalistes bourgeois. Cette lutte était indispensable. Mais, plus tard, Staline, abusant de plus en plus du pouvoir, entama la lutte contre d’éminents chefs du Parti et du gouvernement, et commença d’avoir recours aux méthodes terroristes contre d’honnêtes citoyens soviétiques. Comme nous l’avons déjà montré, c’est ainsi que Staline traita des leaders éminents du Parti et du gouvernement, tels que Kossior, Roudzoutak, Eiche, Postychev et de nombreux autres.

Protester contre des suspicions et des accusations sans fondement avaient pour conséquence de faire tomber l’opposant sous le coup de la répression. C’est ce qui a caractérisé la chute du camarade Postychev.

Dans l’un de ses discours, Staline avait exprimé son mécontentement de Postychev et lui avait demandé : "Qu’êtes-vous vraiment ?"

Postychev avait nettement répondu : "Je suis bolchevik, camarade Staline, bolchevik."

Cette affirmation fut d’abord considérée comme la preuve d’un manque de respect à l’égard de Staline ; plus tard, elle fut tenue pour acte préjudiciable, ce qui eut pour conséquence l’exécution de Postychev, qui fut dénoncé, sans aucune raison, comme un "ennemi du peuple" .

Dans la situation qui existait alors, je me suis souvent entretenu avec Nikolaï Alexandrovitch Boulganine. Un jour que nous étions tous deux en voiture, il dit :

"Il est quelquefois arrivé que quelqu’un se rende chez Staline, à son invitation, comme ami. Et quand il a pris place avec Staline, il ne sait pas où on l’enverra par la suite, chez lui ou en prison."

Il est clair que ces conditions mettaient tous les membres du Bureau politique dans une situation très difficile. Et quand on considère également le fait que dans les dernières années, le Comité central n’était pas convoqué en sessions plénières et que le Bureau politique ne se réunissait que de temps en temps, on comprendra alors combien il était difficile pour un membre du Bureau politique de prendre position contre tel ou tel procédé injuste, contre les erreurs et les lacunes graves dans l’exercice de la direction.

Comme nous l’avons déjà expliqué, de nombreuses décisions étaient prises soit par une personne seule, soit d’une façon indirecte, sans que l’on procédât à des discussions collectives. Le triste sort du camarade Voznessenski qui fut victime de la répression stalinienne, est connu de tous. Il est caractéristique de noter que la décision d’écarter Voznessenski du Bureau politique fut prise d’une manière détournée sans qu’aucune discussion ait eu lieu. C’est de la même manière que furent prises les décisions concernant l’élimination de Kouznetsov et de Rodionov des postes qu’ils détenaient.

L’importance du rôle du Politburo du Comité central avait été réduite et son travail avait été désorganisé par suite de la création, dans son sein, de diverses commissions, désignées sous les noms de : "commission des cinq", "commission des six ", "commission des sept" et "commission des neuf". Voici, par exemple, une résolution adoptée par le Bureau politique le 3 octobre 1946 :

1. "La commission des Affaires étrangères du Politburo ("commission des six") sera chargée à l’avenir, en plus des questions relatives aux Affaires étrangères, des problèmes ayant trait à la construction intérieure et à la politique intérieure ;

2. La "commission des six" s’adjoindra le président de la commission d’Etat pour la planification économique de l’URSS, le camarade Voznessenski, et sera désormais désignée sous le nom de "commission des sept"."

Signé : (Staline)

Quelle terminologie de joueurs de cartes !

(Rires dans la salle.)

Il est évident que la création au sein du Politburo de pareilles commissions ("commission des cinq", "commission des six", "commission des sept", "commission des neuf") n’était pas conforme au principe de la direction collective. De cette manière, certains membres du Politburo n’ont pas été en mesure de participer à des délibérations ayant entraîné des décisions d’une grande importance.

Un des plus anciens membres de notre Parti, Kliment Iefremovitch Vorochilov, se trouva dans une position presque intenable. Pendant de nombreuses années, il fut privé du droit d’assister à des réunions du Bureau politique. Staline lui interdit de prendre part à ces réunions et de recevoir des documents. Toutes les fois que le Bureau politique devait se réunir -et que le camarade Vorochilov venait à le savoir, ce dernier s’empressait de téléphoner et de demander s’il lui serait permis d’y assister. Parfois, Staline l’y autorisait, mais il ne manquait pas, dans ce cas, de montrer son mécontentement.

Du fait de son extrême méfiance, Staline en vint jusqu’à imaginer, ce qui était absurde et ridicule, que Vorochilov était un agent anglais.

(Rires dans la salle.)

C’est vrai - un agent anglais. On installa chez lui un dispositif spécial d’enregistrement pour-écouter tout ce qui s’y disait.

(Indignation dans la salle.)

Par une décision unilatérale, Staline avait également évincé un autre homme du travail du Politburo : Andréi Andreievitch Andreiev. C’est là un des actes les plus débridés d’arbitraire.

Venons-en au premier plénum du Comité central qui a suivi le XIXe Congrès . Staline, dans son allocution au plénum, s’en est pris à Viatcheslav Mikhaïlovitch Molotov et à Anastase Ivanovitch Mikoïan. Il a laissé entendre que ces vieux militants de notre Parti s’étaient rendus coupables de crimes évidemment sans fondement. Il n’est pas exclu que si Staline était resté à la barre quelques mois de plus, les camarades Molotov et Mikoïan n’auraient pas prononcé de discours au présent Congrès.

Staline avait, de toute évidence, le dessein d’en finir avec tous les anciens membres du Bureau politique. Il avait souvent déclaré que les membres du Bureau poli tique devraient être remplacés par des hommes nouveaux.

Sa proposition, formulée après le XIXe Congrès et portant sur l’élection de vingt-cinq personnes au Présidium du Comité central, visait à l’élimination des anciens membres du Bureau politique et à l’entrée de personnes moins expérimentées, qui l’auraient encensé de toutes les manières.

On peut supposer que, cela avait aussi pour objet la liquidation future des anciens membres du Bureau politique, ce qui aurait permis de recouvrir d’un voile de silence tous les actes honteux de Staline, actes que nous étudions à présent.

Camarades ! Afin de ne pas répéter les erreurs du passé, le Comité central s’est déclaré résolument contre le culte de l’individu. Nous considérons que Staline a été encensé à l’excès. Mais, dans le passé, Staline a incontestablement rendu de grands services au Parti, à la classe ouvrière, et au mouvement international ouvrier.

Cette question se complique du fait que tout ce dont nous venons de discuter s’est produit du vivant de Staline, sous sa direction et avec son concours ; Staline était convaincu que c’était nécessaire pour la défense des intérêts de la classe ouvrière contre les intrigues des ennemis et contre les attaques du camp impérialiste.

En agissant comme il l’avait fait, Staline était convaincu qu’il agissait dans l’intérêt de la classe laborieuse, dans l’intérêt du peuple, pour la victoire du socialisme et du communisme. Nous ne pouvons pas dire que ses actes étaient ceux d’un despote pris de vertige. Il était convaincu que cela était nécessaire dans l’intérêt du Parti, des masses laborieuses, pour défendre les conquêtes de la révolution. C’est là que réside la tragédie !

Camarades ! Lénine avait souvent fait ressortir que la modestie devait être une des qualités essentielles d’un véritable bolchevik. Lénine lui-même était la personnification vivante de la plus grande modestie. Nous ne pouvons pas dire que nous avons suivi cet exemple de Lénine sous tous les rapports. Qu’il me suffise de rappeler que de nombreuses villes, usines et entreprises industrielles, des kolkhozes et des sovkhozes, des institutions culturelles, se sont vu octroyer par nous un titre - si je puis m’exprimer ainsi - de propriété personnelle. N’ont-ils pas reçu, en effet, le nom de tel ou tel membre du gouvernement ou du Parti bien que tous fussent encore actifs et en parfaite santé. Plusieurs d’entre nous ont accepté de voir leurs noms donnés à diverses villes, à des entreprises, à des kolkhozes. Nous devons rectifier cela.

(Applaudissements.)

Mais nous devons le faire calmement et lentement. Le Comité central discutera de la question et examinera soigneusement le moyen d’éviter des erreurs et des excès. Je me souviens de quelle façon l’Ukraine vint à apprendre l’arrestation de Kossior. La station d’émission de Kiev avait l’habitude de commencer ses programmes ainsi : "Ici, Radio-Kossior". Quand, un jour, les programmes omirent de mentionner le nom de Kossior, tout le monde fut convaincu que Kossior devait être en difficulté, qu’il avait probablement été arrêté.

Si l’on venait aujourd’hui à prendre la décision de procéder à des changements de noms, les gens croiraient que les camarades dont des entreprises, des kolkhozes, des villes portent les noms ont également subi un mauvais sort et qu’ils ont été arrêtés .

(Mouvements dans la salle.)

L’autorité et l’importance d’un chef sont évaluées en fonction du nombre de villes, d’entreprises industrielles et d’usines, de kolkhozes et de sovkhozes qui portent son nom. N’est-il pas maintenant grand temps que nous éliminions cette "propriété privée" et "nationalisions" les usines, les entreprises industrielles, les kolkhozes et les sovkhozes ?

(Rires. Applaudissements. Voix : "C’est juste !")

Cette décision ne pourra qu’être favorable à notre cause. Après tout, le culte de la personnalité se manifeste aussi de cette manière.

Nous devrions examiner très sérieusement la question du culte de la personnalité. Aucune nouvelle à ce sujet ne devra filtrer à l’extérieur ; la presse spécialement ne doit pas en être informée. C’est donc pour cette raison que nous examinons cette question ici, en séance à huis clos du Congrès. Il y a des limites à tout. Nous ne devons pas fournir des munitions à l’ennemi ; nous ne devons pas laver notre linge sale devant ses yeux. Je pense que les délégués au Congrès comprendront et évalueront à leur juste valeur toutes les propositions qui leur seront faites.

(Applaudissements tumultueux.)

Camarades, nous devons abolir le culte de l’individu d’une manière décisive une fois pour toutes. Nous devons tirer des conclusions appropriées concernant le travail idéologique, théorique et pratique.

Il est donc nécessaire dans ce but :

1. De condamner et d’extirper, en bolcheviks, le culte de l’individu, car il est étranger au marxisme-léninisme et n’est pas en harmonie avec les principes relatifs à la direction du Parti et avec les normes de la vie du Parti. Nous devons également lutter inexorablement contre toutes tentatives qui tendraient à restaurer cette pratique d’une manière ou d’une autre.

Il nous faudra aussi mettre effectivement en pratique dans notre travail idéologique les thèses les plus importantes de la science marxiste-léniniste relatives au peuple, en tant que créateur de l’histoire et de tous les bienfaits matériels et spirituels de l’humanité, au rôle décisif du Parti marxiste dans la lutte révolutionnaire pour la transformation de la société, à la victoire du communisme.

Dans cet ordre d’idées, nous serons obligés d’examiner d’une façon critique, en nous plaçant sous un angle marxiste-léniniste, les idées erronées qui ont été largement répandues au sujet du culte de l’individu dans le domaine de l’histoire, de la philosophie, de l’économie et des autres sciences, ainsi que dans ceux de la littérature et des beaux-arts, et d’y apporter les corrections nécessaires. Il est indispensable qu’un nouveau manuel d’histoire de notre Parti rédigé conformément à l’objectivité scientifique marxiste, soit publié dans l’avenir immédiat, de même qu’un manuel sur l’histoire de la société soviétique, ainsi qu’un livre sur la guerre civile et la grande guerre patriotique.

2. Il faudra poursuivre d’une façon systématique et conséquente le travail accompli par le Comité central du Parti durant les dernières années. Les caractéristiques de ce travail ont été les suivantes : observation minutieuse, dans toutes les organisations du Parti, de la base au sommet, des principes léninistes relatifs à la direction du Parti ; observation surtout du principe essentiel de la direction collective ; observation des normes de la vie du Parti telles qu’elles sont décrites dans les statuts du Parti ; et, enfin, large pratique de la critique et de l’autocritique.

3. Il faudra remettre en vigueur d’une manière complète les principes léninistes de la démocratie socialiste, tels qu’ils sont exprimés dans la Constitution de l’Union soviétique, et lutter contre l’arbitraire des individus qui abuseraient de leur pouvoir. Le mal occasionné depuis longtemps par des actes qui ne tenaient aucun compte de la légalité socialiste révolutionnaire, et qui étaient dus à l’influence négative du culte de l’individu, devra être complètement réparé.

Camarades ! Le XXe Congrès du parti communiste de l’Union soviétique a rendu manifeste, avec une force nouvelle, l’inébranlable unité de notre Parti, sa cohésion autour du Comité central, sa détermination de réaliser une grande tâche : la construction du communisme.

(Applaudissements tumultueux.)

Le fait aussi de présenter dans toutes leurs ramifications les problèmes soulevés par le culte de l’individu, lequel est étranger au marxisme-léninisme, ainsi que ceux relatifs à la liquidation de ses conséquences, démontre la grande force morale et politique de notre Parti.

(Applaudissements prolongés.)

Nous sommes convaincus que notre Parti, armé par les Résolutions historiques du XXe Congrès, mènera le peuple soviétique vers de nouveaux succès, vers de nouvelles victoires, en suivant la voie tracée par Lénine.

(Applaudissements tumultueux et prolongés.)

Vive la bannière victorieuse de notre Parti, le léninisme !

(Applaudissements tumultueux et prolongés qui s’achèvent par une ovation. Tous se lèvent.)

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