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Quelques idées fausses sur l’évolution darwinienne des espèces ou l’évolution comme philosophie

vendredi 15 novembre 2013, par Robert Paris

Quelques idées fausses sur l’évolution darwinienne des espèces ou l’évolution comme philosophie

Très peu de sujets scientifiques ont connu (ou subi) une telle vulgarisation mais depuis très longtemps, depuis le début, il y a une grande distance entre les découvertes des sciences et le discours sur les sciences qui est diffusé dans le grand public. En particulier en ce qui concerne l’évolution des espèces, le darwinisme. Et cela pour de nombreuses raisons. La philosophie qui découle des études du vivant est un enjeu considérable sur le plan politique et social et les classes dirigeantes tiennent à conserver leur mainmise sur ce domaine. Aux USA, par exemple, la question de l’évolution pose encore de gros problèmes et est l’objet de luttes menées essentiellement par les organisations religieuses. C’est le cas dans toutes les régions du monde où les classes dirigeantes ont plus que jamais besoin des religions comme béquilles de l’ordre social. Pour la plupart des religieux, la notion même d’évolution entre en contradiction avec celle de création par dieu. Elle contredit également l’idée de jardin créé par dieu pour l’homme. L’évolution des espèces ne donne nullement une place à part à l’homme. L’homme actuel n’est rien d’autre, au point de vue de l’évolution, qu’une espèce comme une autre. Toutes les recherches sur un caractère particulier qui donnerait une supériorité à l’homo sapiens ont échoué. Toute tentative scientifique de séparer l’homme d’un côté et l’animal de l’autre s’est révélée impossible.

Dès l’époque du dévoilement des découvertes de Darwin, ces questions étaient sulfureuses et elles le restent. Les religieux n’ont nullement abandonné leur combat contre les idées de Darwin et il convient de prendre conscience que Darwin lui-même menait un combat matérialiste, un combat contre la religion qu’il connaissait d’autant mieux qu’il avait dû rester religieux et qu’il ne croyait plus en dieu. Pour faire passer l’idée d’évolution des espèces dans le grand public, en évitant de heurter les a priori philosophiques que les classes dirigeantes tiennent à imposer, bien des dérives ont été rajoutées à cette idée qui ont pour nom : gradualité, transformation globale d’une espèce en une autre avec disparition de la précédente inadaptée, régularité d’une évolution très lente, action d’une force du progrès, sens d’une adaptation, sélection des meilleurs, linéarité, continuité, déterminisme sans hasard, ordre génétique, pouvoir absolu des gènes, amélioration des espèces, supériorité d’espèces nouvelles sur d’autres espèces plus anciennes. Philosophiquement, la recherche d’un seul facteur expliquant le fonctionnement du vivant est un échec. A chaque niveau, on assiste dans le fonctionnement du vivant non pas à la mise en évidence d’un facteur mais d’un combat entre des contraires : conservation et variation au sein du mécanisme génétique, vie et mort au sein des gènes et des protéines de la cellule vivante, transformation et conservation au niveau de la liaison entre l’enfant et ses parents, transformation et conservation également dans la relation entre une espèce et son environnement, dialectique de l’intérieur et de l’extérieur à chaque niveau hiérarchique du vivant. Tous les réductionnismes prenant un seul niveau comme base du fonctionnement ont échoué que ce niveau soit l’espèce, l’individu, la cellule vivante, l’ADN, le gène,… Il n’y a pas un principe unique à la base du fonctionnement du vivant mais, au contraire, des éléments contradictoires à chaque niveau. Darwin avait souligné la contradiction entre environnement et être vivant, entre hasard et nécessité, entre variation et sélection....

Ainsi, on entend souvent dire que l’adaptation à l’environnement rend une espèce plus forte alors qu’elle rend également une espèce plus faible, plus fragile en cas de changement rapide du milieu. Ce caractère contradictoire de tous les éléments du vivant a une base fondamentale : la vie est fondée sur la mort et la mort sur la vie….

Diderot soulevait déjà cette problématique dans son « Encyclopédie » dans son article « Naître » où il écrivait :

« Venir au monde. S’il fallait donner une définition bien rigoureuse de ces deux mots, naître et mourir, on y trouverait peut-être de la difficulté. Ce que nous en allons dire est purement systématique. A proprement parler, on ne naît point, on ne meurt point ; on était dès le commencement des choses et on sera jusqu’à leur consommation. Un point qui vivait s’est accru, développé jusqu’à un certain terme, par la juxtaposition successive d’une infinité de molécules. Passé ce terme, il décroit, et se résout en molécules séparées qui vont se répandre dans la masse générale et commune. »

L’immunologue Ameisen souligne l’interpénétration à tous les niveaux de la vie et de la mort dont l’évolution n’est qu’un des mécanismes. L’élimination ne concerne pas seulement les espèces mais, d’un côté, les individus, les cellules, tous les produits biochimiques et, d’un autre, les groupes d’espèces, les écosystèmes, les coévolutions entre espèces. L’élimination est indispensable au processus du vivant. La mort cellulaire est indispensable au processus vivant de la cellule. Le cancer est une maladie qui affecte le processus naturel de la mort cellulaire. On ne peut pas considérer la disparition des espèces ou groupes d’espèces comme s’il s’agissait d’un phénomène extérieur étranger au fonctionnement du vivant alors que tout ce fonctionnement est pénétré de processus permanents d’élimination de l’essentiel de ses produits, de la simple molécule biochimique au branchement d’espèces. Et l’élimination concerne à chaque fois non une fraction infime mais les 99% de tout ce qui est produit par l’activité du vivant. Le vivant est souvent présenté comme un mécanisme très stable qui serait seulement perturbé par l’agitation extérieure produisant des chocs et des destructions d’espèces. Au contraire, le vivant est un mécanisme loin de l’équilibre (thermodynamique dite de Prigogine) dans lequel la capacité de produire de l’énergie provient justement du fait qu’il s’agit d’un phénomène dans lequel un ordre est fondé sur le désordre. L’évolution ne fait pas que perturber des espèces qui existaient depuis un certain nombre d’années. L’espèce émerge de cette agression permanente du vivant en son propre sein. Même s’il y a un relatif conservatisme de l’espèce (les pommiers donnent des pommes qui redonnent des pommiers), l’espèce est le produit d’un combat interne entre conservation et transformation, pas seulement d’une conservation. Même le mécanisme génétique ne privilégie pas directement une espèce. La génétique, introduite après coup dans la notion d’évolution puisque Darwin ignorait tout de la biochimie, a mené à ses propres idéologies trompeuses dont celle qui prétend que chaque espèce aurait un ADN ne pouvant produire que cette espèce. A l’ours des gènes d’ours, à la mouche des gènes de mouche. De même, on a propagé l’idée que chaque caractère correspondrait à un gène et inversement. Tout cela est généralement faux. Un gène de mouche peut très bien agir au sein du mécanisme d’un ours. Même les gènes de levure de boulanger peuvent agir sur la génétique de l’homme ! Les différences entre le contenu biochimique des gènes entre espèces sont souvent minimes et n’expliquent nullement des différences considérables entre les fœtus et encore plus considérables entre les adultes de l’espèce.

La sélection n’est nullement à l’œuvre uniquement au niveau des espèces. Le mécanisme aveugle de destruction de l’essentiel du matériel vivant se produit sans cesse et à tous les niveaux. La « lutte pour la vie » est synonyme de lutte pour la mort puisque l’essentiel disparaît à chaque moment. Un homme adulte n’a quasiment plus une seule molécule de son enfance tout en étant le produit de l’enfant et du fœtus. Sans cette destruction, nous n’aurions ni nos formes, ni nos organes, ni leurs fonctions. L’apoptose ou « suicide cellulaire » sculpte en effet notre corps lors de sa formation en détruisant une masse de cellules. Chaque organe est lui-même un produit contradictoire entre forces dialectiquement opposées.

L’ordre de l’espèce comme celui de l’organe ou du système (système nerveux, système sanguin, etc) est émergent et l’émergence est le produit d’une contradiction dialectique entre éléments et forces opposés. L’opposition dialectique entre ordre et désordre est permanente au sein du vivant et est le fondement de sa dynamique. Ceux qui ont cru voir la dynamique du vivant dans le seul ADN ont appris que l’ADN est une molécule inactive (entièrement inhibée) et que, sans la contradiction des protéines de l’environnement, elle ne peut pas être désinhibée. Et ce n’est qu’un exemple. La génétique n’est pas un ordre mais une combinaison d’ordre et de désordre. L’espèce n’est pas davantage un ordre mais également le produit d’un affrontement entre ordre et désordre. Le désordre n’est pas seulement extérieur (l’environnement) mais intérieur. La génétique a souvent été présentée comme un photocopieur qui se contente de maintenir à l’identique. Ensuite, on a dit que la génétique introduisait des petites erreurs progressives s’instillant lentement. En fait, la génétique, comme les autres mécanismes du vivant, est fondée sur la négation dialectique (destruction, inhibition, combat des contraires, etc). On ne peut jamais interpréter la vie en termes de « pour » mais en termes de « contre ». On ne peut pas voir dans une apparition de nouvel organe, de nouvelle espèce, de nouveau mécanisme du vivant, de nouveau fonctionnement d’un organe un objectif, un but, un positif. On ne peut qu’y voir la destruction d’un ancien fonctionnement, un processus négatif, la destruction d’un ordre ancien. Comme on le voit l’erreur fondamentale concernant la conception de l’évolution du vivant est philosophique. La société en place refuse de voir dans l’évolution la destruction brutale d’un ancien ordre. Elle feint d’y voir une transformation lente, graduelle, et surtout positive alors que rien dans les éléments d’étude ne nous montrent un tel rôle en positif. Darwin, lui-même, n’avait nullement développé l’idée d’une évolution positive et montrait plutôt une action en aveugle de la sélection. Il est impossible par exemple de dire que l’apparition de l’aile avait tel ou tel but. Ou encore que le gros cerveau s’est développé pour telle ou telle raison. Donner un but à une évolution naturelle est un geste purement idéologique, l’attribution d’une morale, d’un sens, d’une intentionnalité, à un phénomène qui n’a rien à voir avec cela. On a vu aussi apparaitre avec ce type de conceptions des idées de domination d’espèces ou de groupes d’espèces du type de l’ « ère des dinosaures » ou de l’ « ère des mammifères » alors que ces deux époques n’avaient rien à voir avec cela. Il faudrait plutôt parler toujours et encore de l’ère des insectes et même de l’ère des bactéries. La notion de domination d’une espèce ou d’un groupe d’espèce soi-disant plus évolué n’a pas de sens, mis à part les buts idéologiques de leurs auteurs. Cette notion de domination successive d’espèces ou de groupes d’espèces est présenté comme équivalent à l’évolution alors qu’il ne s’agit nullement de cela. L’évolution ne fait pas disparaître l’espèce souche… Il s’agit bien entendu d’un but de justification de la « domination de l’homme ». Cependant, malgré ces discours, la domination de l’homme sur les insectes ou sur les bactéries n’a nullement été prouvée. Quant aux dinosaures, ils ne peuvent absolument pas être présentés comme ayant été vaincus par les mammifères, même pas indirectement, c’est-à-dire par une compétition des qualités des deux groupes d’espèces !!! Il y avait certainement plus de « concurrence pour la vie » au sein de chaque groupe qu’entre eux… Et, si quelque chose a avantagé les mammifères, c’est plus des faiblesses que des forces, faiblesses qui amenaient par exemple les mammifères à rester de très petite taille. La conception « positive » de la vie et de son évolution laisse au contraire entendre que des facteurs positifs entraîneraient une évolution positive, sous-entendu d’accroissement numérique et d’accroissement de la domination. L’exemple des bactéries, et leur durabilité, montre bien que la pérennité n’est nullement synonyme d’évolution structurelle et de complexification. La complexification du vivant ne s’est nullement produite dans un contexte où les êtres non complexifiés disparaissaient. La taille n’est pas davantage un facteur en soi positif. Même la taille du cerveau ne l’est pas puisque des espèces d’hominidés ayant un cerveau plus grand en volume que le nôtre (celui d’homo sapiens) ont disparu.

Stephen Jay Gould écrit dans « Cette vision de la vie » :

« L’interprétation populaire de l’évolution contient au moins deux hypothèses erronées, si répandues et ancrées (certes inconsciemment) dans les explications conventionnelles que nombre de faits évidents, immédiatement compréhensibles au niveau de leur simple description, apparaissent très souvent dans le discours médiatique sous une forme confuse dont les « vulgarisateurs scientifiques » considèrent à tort qu’elles expriment la pensée réelle des scientifiques, ou, plus cyniquement, qu’ils décident de présenter comme des équivalents littéraires des légèretés musicales des autoradios aux heures de pointe.

Dans ce contexte, l’évolution apparaît avant tout comme la transformation corps et âme d’un organisme en un autre. Ainsi, les poissons deviendraient des amphibiens en « conquérant » la terre ferme, tandis que les singes délaissent la sécurité de leurs arbres pour finalement devenir des humains en affrontant les dangers au sol à l’aide d’une arme tenue de leurs mains libérées et d’une petite lueur d’intelligence émanant d’un organe élargi situé à l’arrière de leurs yeux.

Puis, et c’est la seconde composante de cette vision transformationnelle, des descendants remportent la victoire grâce à leur valeur intrinsèque face à la sélection naturelle. Car « plus tard » ne peut que signifier « meilleur » ; jusque là la terre cède devant les métaphores de conquête ou de colonisation et que les savanes africaines, pour la première fois dans l’histoire de la planète, résonnent des sons du progrès désormais exprimés par la voix du langage réel.

Or l’évolution procède par embranchements, et non par métamorphose d’une forme à une autre, l’ancien disparaissant dans le triomphe du nouveau… En outre, la plupart des nouveautés, du moins à leurs débuts, croissent comme de minuscules brindilles sur des buissons vigoureux et persistants, et non comme des réalisations plus sophistiquées d’ancêtres qui ont donné leur maximum à un organisme qui transcende la médiocrité de leurs êtres.

Les amphibiens et leurs descendants ont certes bien réussi sur la terre ferme, mais les nageoires sont supérieures aux pieds dans le buisson des vertébrés ; la majorité de ses pousses (espèces) y sont des poissons. Je ne nie pas le succès actuel des humains et la nouveauté intéressante qu’ils représentent. Mais Homo sapiens n’occupe qu’une petite branche sur un modeste rameau de primates comprenant quelque deux cent espèces, et même nos sous-groupes les moins apparentés, tant au niveau de l’évolution qu’à celui de la géographie (disons les San du sud de l’Afrique et les Sami du nord de la Finlande), présentent très peu de divergence génétique, tandis que deux populations d’une même espèce de chimpanzés, séparées de seulement quelques centaines de kilomètres sur la terre africaine, ont développé entre elles un nombre bien plus considérable de différences génétiques.

Ce fait a priori surprenant apparaît pourtant évident si on se replace dans le cadre d’une évolution arborescente. Tous les êtres humains descendent d’ancêtres communs qui vécurent en Afrique il y a moins de 200.000 ans malgré leur dispersion ultérieures aux quatre coins du globe. Les deux populations de chimpanzés, bien que restés géographiquement proches, se sont séparés de leur ancêtre commun il y a bien plus longtemps, de sorte que l’évolution a eu beaucoup plus de temps pour développer des différences génétiques entre ces deux groupes.

Enfin, à l’échelle la plus vaste, on ne peut comprendre ce principe d’une émergence de la nouveauté par embranchement – et non par transformation globale de tous les ancêtres en descendants plus sophistiqués – que si l’on prend conscience que les bactéries composent aujourd’hui encore la majeure partie de l’arbre de la vie – et notamment son tronc basal, qu’elles ont-elles-mêmes construit dès l’apparition de la vie cellulaire – et que tous les règnes multicellulaires ne forment que quelques branches – pas forcément toutes saines – à l’extrémité d’un même rameau. »

Quiconque prétend se poser les grandes questions qui interrogent l’humanité doit inévitablement interroger également les philosophies, c’est-à-dire les reprendre et en reprendre la critique. Les questions de la conservation et du changement, de la vie et de la mort, de l’inerte et du vivant, de la formation des systèmes (vivants et non-vivants), du changement graduel et du changement brutal (la gradualité suppose que le seul changement provienne de l’accumulation de tout petits changements insensibles), de la linéarité et de la non-linéarité de l’évolution (la linéarité suppose que les hommes succèdent aux grands singes, ce qui signifierait que ces derniers disparaissent au moins au sein d’une zone d’apparition de la nouvelle espèce), de la non-préexistence ou de la préexistence des principes particuliers (idée qui préexiste à la réalité matérielle) d’une espèce à naître (ou d’un individu à naître), la question de la prédétermination (fatalisme sous couvert d’une loi absolument déterministe sans place au hasard) ou de la non-prédétermination (ordre émergent du désordre sans fatalisme) de la succession des systèmes (par exemple des espèces ou des groupes d’espèces), la question de l’héritage génétique conçu ou non comme seul pilote de l’espèce (d’où l’idée qu’un ADN égale une espèce et que l’épigénétique n’aurait aucun rôle pilote), l’idée du progrès, du positif, de l’adaptation, de la réussite des plus aptes au lieu de l’idée dialectique de la négation, de la contradiction, du rôle pilote de l’inhibition et de la destruction, etc…

On ne peut pas se contenter d’observer la vie, il convient de la penser et les philosophies ne sont pas indifférentes. Prétendre qu’on n’aurait aucun a priori philosophique est erreur ou mensonge. En tout cas, cela nuit pour s’orienter. Nous ne pouvons pas parler de nos observations sans utiliser des concepts abstraits qui supposent des philosophies. Par exemple, raisonner sur les pré-hominidés est une manière de prétendre qu’ils devaient nécessairement mener aux hominidés et ces derniers aux hommes et à l’homme actuel. Ce n’est nullement l’observation qui nous a dit cela. C’est une espèce de fatalisme qui n’est même pas présent au sein de la conception de Darwin de l’évolution ! L’observation montre que l’évolution n’a pas donné les mêmes résultats sur le continent européen et sur le continent australien, séparés depuis longtemps. Donc il n’y a pas une seule évolution possible des espèces et aucun fatalisme (fût-il prétendument fondé scientifiquement sur une « loi » de l’évolution) à une succession particulière. Il n’y a aucune loi de cause à effet entre une espèce et une espèce suivante, aucune possibilité de prédire la suite de l’évolution et même pas, à l’envers, le passé « originel » des espèces. Il n’y a pas non un concept préexistant d’homme ou d’hominidé (ou d’autres espèce) en dehors de la succession réelle des espèces d’êtres vivants. Ce n’est pas un concept idéel d’homme qui aurait cheminé au sein des hominidés jusqu’à nous dans le but de produire l’homme actuel. Le vivant n’a aucun type de « but ». Toutes les philosophies finalistes, même celles des scientifiques athées, rejoignent… finalement l’idée de la création d la nature comme un jardin pour l’homme et construit par la volonté d’un esprit supérieur. Qu’il y ait eu une création volontaire et consciente ou plusieurs ne change pas fondamentalement le caractère de ce finalisme. Pourtant, ni l’évolution, ni aucun fonctionnement du vivant ne permet de prétendre que quelque chose se soit produit « dans le but », « pour fabriquer ceci », « pour réagir à cela », « pour permettre de résoudre tel problème ». Il n’y a pas une conscience cachée dans l’évolution ni dans aucun mécanisme du vivant ou de l’inerte. Il n’y a pas davantage d’éléments démontrant une conscience cachée dans le passage de l’inerte au vivant. Ceux qui survalorisent tel ou tel changement, par exemple l’apparition de l’homme ou de la vie, comme s’il ne pouvait pas être produit spontanément par la matière ne font pas qu’observer les transformations de cette matière. Sinon, ils constateraient que les sauts d’un état à un autre, loin d’être une exception, sont la règle, au sein de l’inerte comme au sein du vivant. Ils remarqueraient que conservation et changement ne s’opposent pas de manière diamétrale (et donc métaphysique) mais s’entremêlent et se composent tout en se combattant, de manière dialectique. Le changement dit graduel n’est rien d’autre qu’une forme de conservation globale du système. La conservation n’est rien d’autre qu’un combat, une négation, face à des tendances transformatrices déjà présentes au sein du système et de son mode de conservation. L’ordre est de même fondé sur le désordre (émergence), les lois sur le hasard, la continuité apparente n’existerait pas sans la discontinuité ni la symétrie d’u ordre sans la rupture de symétrie qui fonde cet ordre. Etc, etc….

Certes, les raisonnements dialectiques n’ayant rien de spontané, ni intellectuellement (scientifiquement par exemple), ni socialement, il est bien plus courant de lire des évolutionnistes métaphysiciens, fatalistes, idéalistes, continuistes, linéaristes, prédéterministes, etc, que le contraire. D’où la nécessité de souligner que la science de l’évolution doit repenser sa philosophie…

Gould soulignait le caractère dialectique de la thèse de Darwin (dans « La structure de la théorie de l’évolution » :

« Pratiquement tous les biologistes antidarwiniens acceptaient que la sélection naturelle intervint réellement, mais ils la considéraient comme un mécanisme mineur et négatif, seulement capable de jouer le rôle du bourreau… Darwin souligna que la sélection naturelle, qui avait certes un rôle négatif et se caractérisait, il le reconnaissait, par une faible intensité, avait, néanmoins, la capacité, sous certaines conditions appliquées à la nature de la variation, de promouvoir des caractères évolutifs nouveaux. Autrement dit, la sélection naturelle pouvait créer… Certains aspects de la théorie de Darwin innovaient sur le plan philosophique… mettant l’accent sur la complexité et l’interaction : il s’agit notamment du mécanisme proposé par Darwin d’une interaction entre hasard et nécessité, en ce qui concerne la gamme des variations s’offrant à l’action de la sélection. »

Stephen Jay Gould écrit dans « Le pouce du panda » :

« Toutes les grandes théories de la spéciation s’accordent à reconnaître que la divergence s’effectue rapidement au sein de populations très réduites. (...) Le processus (de spéciation) peut prendre des centaines voir des milliers d’années. (...) Mais mille ans, ce n’est qu’un infime pourcentage de la durée moyenne d’existence des espèces invertébrées. (...) Eldredge et moi faisons référence à ce mécanisme sous le nom de système des équilibres ponctués. (...) Si le gradualisme est plus un produit de la pensée occidentale qu’un phénomène de nature, il nous faut alors étudier d’autres philosophies du changement pour élargir le champ de nos préjugés. Les fameuses lois de la dialectique reformulées par Engels à partir de la philosophie de Hegel, font explicitement référence à cette notion de ponctuation. Elles parlent par exemple de ‘’ la transformation de la quantité en qualité ‘’ La formule laisse entendre que le changement se produit par grands sauts suivant une lente accumulation de tensions auquel un système résiste jusqu’au moment où il atteint le point de rupture. (...) Le modèle ponctué peut refléter les rythmes du changement biologique (...) ne serait-ce qu’à cause du nombre et de l’importance des résistances au changement dans les systèmes complexes à l’état stable. (...) « L’histoire de n’importe quelle région de la terre est comme la vie d’un soldat. Elle consiste en de longues périodes d’ennui entrecoupées de courtes périodes d’effroi. »

Gould souligne, dans le même ouvrage, l’importance des conceptions philosophiques dans la théorie de l’évolution :

« Nous avons tendance à penser que le progrès de nos recherches ne dépend que de l’observation « directe », et que nous n’avons guère à nous soucier, contrairement à d’autres biologistes, de problèmes conceptuels tels que l’interprétation de phénomènes se déroulant à une échelle trop petite ou évoluant trop rapidement. La plupart d’entre nous ricaneraient si on leur proposait de travailler avec un philosophe professionnel, considérant une telle entreprise au mieux comme une agréable perte de temps, au pire comme l’aveu que notre propre clarté de pensée laisse à désirer. Et, cependant, les problèmes conceptuels posés par des théories invoquant des causes opérant à plusieurs niveaux simultanément, des effets propagés vers le haut et vers le bas, des propriété émergentes (ou non) à des niveaux supérieurs, des interactions entre processus aléatoires et processus déterministes, et des facteurs prévisibles ou contingents, se sont révélés si complexes et si peu familiers aux personnes ayant appris à traiter les modèles plus simples de causalité unilinéaire que la biologie utilise depuis des siècles qu’il leur a fallu se tourner vers des collègues ayant explicitement appris à penser avec rigueur ces questions. »

L’évolution du vivant nous pose autant de problèmes philosophiques que la physique quantique, pour ne prendre que cet exemple d’une philosophie indispensable au sein d’une science dite dure. Ce n’est pas seulement parce que le vivant et l’homme ont été investis par les religions. C’est surtout parce que nous devons y penser le changement et qu’il faut nous départir d’une philosophie du figé comme abstraction, par exemple d’un concept éternel et abstrait d’homme (ou de vie) qui n’a aucune existence réelle mais qui est communément reconnue et diffusée….

Inversement, les sciences comme celles de l’évolution proposent de multiples exemples d’une dialectique des contraires qui n’est nullement reconnue diffusée comme conception philosophique dans le grand public ni parmi les auteurs scientifiques ou philosophes pour des raisons sociales et politiques qui tiennent surtout à l’intérêt des classes dirigeantes.

Si le mécanisme du vivant n’était pas dialectiquement contradictoire (une génétique mêlant conservation et transformation, transmission à l’identique et variation, création de nouveauté et suppression du non-soi par l’immunologie, action contradictoire des protéines sur les gènes puisque l’attachement inhibe les gènes inhibiteurs de l’ADN), il ne serait pas possible que la suppression massive d’espèces donne autre chose que des impasses du vivant. Il ne serait pas possible que cela donne de la nouveauté et en particulier de la nouveauté structurelle (nouveaux organes, nouvelles fonctions, nouveaux modes d’existence). Le stress (agression notamment climatique) qui inhibe les inhibiteurs hsp ne fait qu’ouvrir la possibilité de création de nouveauté (qui existait déjà au sein du fonctionnement génétique). Nous avons affaire sans cesse à des négations dialectiques au sein de contradictions coexistant dans le système génétique. L’ADN est certainement la molécule la plus contradictoire puisque chacun des gènes actifs et inactivé par d’autres gènes. Le même ADN pourrait également permettre de produire d’autres espèces si le mécanisme de contrôle hsp n’éliminait pas systématiquement le non-soi. Dans tous les mécanismes du vivant, l’immunologue Ameisen rappelle que l’action est toujours négation de la négation, comme il l’affirme dans son ouvrage « La sculpture du vivant ».

Le refus de la contradiction dialectique amène nombre d’auteurs et tout le grand public a considérer le changement d’espèce comme une espèce de miracle alors que le vivant ne parvient à maintenir la production d’une même espèce que par des interventions permanentes de destruction du non-soi. Sans cesse, la tendance spontanée de l’être vivant consiste à produire des molécules qui ne sont pas adaptées à l’espèce. Il n’y a donc aucun étonnement à constater, dès que les mécanismes de protection sont occupés à la défense face à une agression extérieure (stress), que la nouveauté se met à être produite.

Le caractère étonnant (carrément miraculeux) de la production d’espèces nouvelles n’existe qu’à partir du moment où on considère l’espèce comme fixe, stable, naturellement définitive, fondée sur un ADN propre à l’espèce et ne pouvant produire qu’une seule espèce. Ce dogme ne correspond nullement à la réalité.

Comme la particule quantique, l’être vivant est une superposition d’états virtuels et l’état actuel n’est que l’un des états possibles. La superposition signifie que les contraires coexistent et ne se détruisent pas mutuellement. L’apparence fixité de l’espèce n’est nullement inscrite dans l’ADN et de nombreux gènes sont capables de sauter d’une espèce à une autre comme les gènes d’une espèce sont parfaitement capables de fonctionner sur de multiples autres espèces.
Il n’y a pas de frontière étanche entre les espèces. C’est pour cela que l’évolution est possible. L’espèce n’est qu’un ordre émergent au sein du désordre génétique. Cet ordre n’est pas seulement fondé sur le contenu de l’ADN en termes de gènes mais sur l’ordre (un véritable rythme) des interactions (entre gènes et protéines) au cours du développement du fœtus. C’est ordre qui détermine par exemple le plan de construction de l’être vivant. En faisant interagir les mêmes gènes et protéines dans un autre ordre, on obtient un autre être vivant.

Le vivant est une rythmologie (phénomène épigénétique plutôt que génétique) mais les rythmes génétiques diffèrent sans cesse. Il n’y a pas un rythme unique de l’évolution. Certaines espèces n’évoluent pas et d’autres évoluent beaucoup. Cela aussi témoigne du fait qu’il n’y a pas un seul mécanisme à l’œuvre, mécanisme qu’on pourrait appeler « force d’évolution » mais des interactions contradictoires avec des sauts d’échelle liés à l’existence de multiples niveaux d’organisation du vivant.

Croire à une espèce de force d’évolution unique a un caractère animiste car cela suppose qu’une espèce de volonté pousserait les espèces à changer toutes de la même manière dans une direction prédéterminée.

Ce qui est clair, c’est que la vie est un seul et même phénomène, que sa pérennité provient de sa capacité à changer de forme en sautant rapidement d’une forme à une autre, en allant plus vite que les agressions extérieures. Le meilleur exemple de ce type de phénomène est la production de nouveauté par les bactéries agressées dans les hôpitaux par les antibiotiques et les divers produits chimiques nettoyants. C’est l’agression biochimique qui ouvre la possibilité des variations de l’espèce et la transformation ne se fait pas sur des temps immémoriaux mais à toute vitesse. Le changement d’espèce brutal existe même si des tout petits changements (pour conserver l’essentiel) existent aussi. C’est ce qui a amené Stephen Jay Gould à distinguer des macroévolutions de la microévolution. En somme, on est amenés à considérer que l’histoire des espèces est pleine de changements brutaux et fondamentaux, créateurs de nouveauté structurelle, que l’on est amené à traiter plutôt de révolution que d’évolution. D’où la nécessité d’une pensée des révolutions, d’une dialectique des contraires…

Une évolution non-linéaire, discontinue et par bonds

La dialectique, c’est la vie

La dialectique de Hegel et les sciences

Des contradictions dynamiques

Messages

  • « Nous ne représentons plus qu’une espèce. Voici quelques centaines de milliers d’années il existait une demi-douzaine d’espèces d’êtres humains. Voici seulement 30 000 ou 40 000 ans il en existait peut-être encore trois, avec Neandertal en Europe et Homo erectus en Asie. Aujourd’hui nous nous débrouillons bien, nous sommes nombreux, mais nous sommes tout seuls... »

    Stephen Jay Gould

  • « Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. »

    Charles Darwin

  • Une conférence à suivre en film concernant le caractère révolutionnaire de la théorie de Darwin et sa version actuelle : ici

  • Je ne crois à aucune loi fixe du développement, obligeant tous les habitants d’une région à se modifier brusquement, ou simultanément, ou à un égal degré. (....) La variabilité de chaque espèce est tout à fait indépendante de celle des autres. L’accumulation par la sélection naturelle, à un degré plus ou moins prononcé, des variations qui peuvent surgir, produisant ainsi plus ou moins de modifications chez différentes espèces, dépend d’éventualités nombreuses et complexes, telles que la nature avantageuse des variations, la liberté des croisements, le taux de reproduction, les changements lents dans les conditions physiques de la contrée, et plus particulièrement de la nature des autres habitants avec lesquels l’espèce qui varie se trouve en concurrence. (...) Comme tous les êtres organisés, éteints et récents, qui ont vécu sur la Terre peuvent être tous classés ensemble, et ont tous été reliés les uns aux autres par une série de fines gradations, la meilleure classification, la seule possible d’ailleurs, si nos collections étaient complètes, serait la classification généalogique ; le lien caché que les naturalistes ont cherché sous le nom de système naturel n’est autre chose que la descendance."

    Darwin dans "L’origine des espèces"

  • « Darwin s’est efforcé en vain de trouver un progrès dans l’évolution, alors que celui-ci ne découlait nullement de façon directe du fonctionnement du mécanisme central de sa théorie, la sélection naturelle. »


    Stephen Jay Gould
    , « La structure de la théorie de l’évolution »

  • « Les faits ne « parlent pas d’eux-même » ; ils sont interprétés à la lumière de la théorie. La pensée créatrice, dans les sciences autant que dans les arts, est le moteur du changement. La science est une activité essentiellement humaine, non l’accumulation mécanique, automatique d’information objectives qui conduirait, grâce aux lois de la logique, à des conclusions inévitables. »

    Darwin et les grandes énigmes de la vie (1977), Stephen Jay Gould

  • « Les naturalistes assignent, comme seules causes possibles aux variations, les conditions extérieures, telles que le climat, l’alimentation, etc. Cela peut être vrai dans un sens très limité, comme nous le verrons plus tard ; mais il serait absurde d’attribuer aux seules conditions extérieures la conformation du pic, par exemple, dont les pattes, la queue, le bec et la langue sont si admirablement adaptés pour aller saisir les insectes sous l’écorce des arbres. Il serait également absurde d’expliquer la conformation du gui et ses rapports avec plusieurs êtres organisés distincts, par les seuls effets des conditions extérieures, de l’habitude, ou de la volonté de la plante elle-même, quand on pense que ce parasite tire sa nourriture de certains arbres, qu’il produit des graines que doivent transporter certains oiseaux, et qu’il porte des fleurs unisexuées, ce qui nécessite l’intervention de certains insectes pour porter le pollen d’une fleur à une autre.

    Il est donc de la plus haute importance d’élucider quels sont les moyens de modification et de coadaptation. »

    Darwin, L’Origine des espèces

  • « Je dois faire remarquer que j’emploie le terme de lutte pour l’existence dans le sens général et métaphorique, ce qui implique les relations mutuelles de dépendance des êtres organisés, et, ce qui est plus important, non seulement la vie de l’individu, mais son aptitude ou sa réussite à laisser des descendants. On peut certainement affirmer que deux animaux carnivores, en temps de famine, luttent l’un contre l’autre à qui se procurera les aliments nécessaires à son existence. Mais on arrivera à dire qu’une plante, au bord du désert, lutte pour l’existence contre la sécheresse, alors qu’il serait plus exact de dire que son existence dépend de l’humidité. On pourra dire plus exactement qu’une plante, qui produit annuellement un million de graines, sur lesquelles une seule, en moyenne, parvient à se développer et à mûrir à son tour, lutte avec les plantes de la même espèce, ou d’espèces différentes, qui recouvrent déjà le sol. Le gui dépend du pommier et de quelques autres arbres ; or, c’est seulement au figuré que l’on pourra dire qu’il lutte contre ces arbres, car si des parasites en trop grand nombre s’établissent sur le même arbre, ce dernier languit et meurt ; mais on peut dire que plusieurs guis, poussant ensemble sur la même branche et produisant des graines, luttent l’un avec l’autre. Comme ce sont les oiseaux qui disséminent les graines du gui, son existence dépend d’eux, et l’on pourra dire au figuré que le gui lutte avec d’autres plantes portant des fruits, car il importe à chaque plante d’amener les oiseaux à manger les fruits qu’elle produit, pour en disséminer la graine. J’emploie donc, pour plus de commodité, le terme général lutte pour l’existence, dans ces différents sens qui se confondent les uns avec les autres. »

    Darwin, L’Origine des espèces

  • Le paléoanthropologue Ian Tattersall écrit dans "L’émergence de l’homme" :

    "Il n’est pas de meilleur exemple que l’histoire du cerveau des vertébrés pour démontrer que le changement évolutif n’a pas simplement consisté en une amélioration graduelle au cours des âges : l’évolution du cerveau ne s’est pas ramenée à la simple addition de quelques connexions, pour aboutir finalement, au bout des temps, à une grande et magnifique machine. L’évolution a, en fait, fonctionné sur un mode opportuniste, affectant de façon assez anarchique des structures cérébrales anciennes à des fonctions nouvelles, et ajoutant de nouvelles structures ou élargissant les anciennes au petit bonheur. (...) Les facultés humaines sont de nature émergentes. (...) Les aptitudes à la parole et à l’écriture sont localisées chacune dans un hémisphère opposé du cerveau. (...) Le changement évolutif survenu dans notre passé s’est opéré sur un mode sporadique. (...) Dans le domaine anatomique aussi bien que technique, l’histoire de notre lignée a reposé sur l’addition, par moments, d’innovations, et non sur une montée graduelle vers la perfection."

  • Ian Tattersall, dans « L’émergence de l’homme » :

    « Pour comprendre le processus évolutif il me semble, comme à tant d’autres, nécessaire de reconnaître non seulement l’existence, mais aussi l’importance, de la hiérarchie dans l’organisation biologique. Cette hiérarchie part du niveau des gènes, pour ensuite concerner celui des organismes individuels, puis celui des populations locales, des espèces et peut-être même au-delà. Tous ces niveaux jouent un rôle dans le processus évolutif, mais chacun de sa propre façon. Les mutations affectant les gènes et leurs recombinaisons fournissent le phénomène de variation élémentaire sur lequel la sélection capitalise. En assurant le succès reproductif (ou le fiasco) des organismes individuels, en fonction de leurs caractéristiques héritables plus ou moins favorables, la sélection naturelle conduit les populations locales à s’adapter à des environnements spécifiques. Pratiquement par définition, ces dernières sont les seules à bénéficier d’un habitat relativement homogène auquel l’adaptation est possible ; pour cette raison, les populations locales sont les vrais points de départ de l’innovation évolutive… Les traits nouveaux apparaissent chez les organismes individuels assurément ; mais c’est seulement l’établissement de ces traits en tant que norme au sein d’une population qui constitue l’innovation dans un sens évolutif véritable. (…) Il convient de noter ici deux points supplémentaires. L’un est que les mécanismes d’isolement – qui semblent nécessiter une restructuration du patrimoine génétique collectif de la population d’une façon autre que ne le réalise l’établissement de nouvelles caractéristiques physiques – ont plus de chances de se manifester dans des populations petites et déjà quasi isolées. En effet, le patrimoine génétique collectif d’une petite population est foncièrement moins stable que celui des grandes, puisque dans ces dernières toute innovation qui apparaîtra sera « étouffée » par l’inertie des génotypes établis. L’autre point est que l’acquisition des mécanismes d’isolement n’est pas nécessairement la même chose que l’acquisition de nouvelles adaptations. (…) Toutes les innovations morphologiques qui s’établissent au sein d’une population ne représentent pas nécessairement des adaptations dans un sens strict. De très nombreux facteurs aléatoires peuvent intervenir dans l’acquisition de nouveaux traits morphologiques, surtout dans les petites populations. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’une importante caractéristique qui s’est fixée par hasard dans la population reste à jamais à l’abri de toute sélection. Non seulement les conditions d’environnement locales peuvent changer, de sorte que les caractéristiques de ce genre peuvent devenir « utiles », mais à partir du moment où une population locale et l’espèce souche dont elle provient sont isolées génétiquement, les deux espèces maintenant indépendantes peuvent être libres d’entrer en compétition, si elles viennent un jour à entrer de nouveau en contact. Dès lors, le phénomène de tri va se placer à un autre niveau. Et, comme Eldredge et Gould l’ont suggéré, cela conduit à prendre en compte la survie différentielle des espèces en concurrence, afin d’expliquer les tendances à long terme dans les archives fossiles. Cependant la survie différentielle des espèces n’est pas toujours, elle non plus, une question d’excellence de l’adaptation. L’environnement peut être relativement stable ou ne pas l’être ; mais lorsqu’il change, il le fait généralement de façon assez rapide, à une vitesse que l’adaptation par la sélection naturelle a sans doute du mal à suivre. Lorsque des changements de ce type surviennent, la qualité de l’adaptation d’une espèce donnée à son ancien habitat ne compte pas beaucoup, et tous les avantages compétitifs qu’elle possédait peuvent être annulés d’un seul coup. »

  • L’ADN, c’est à la fois la conservation et la transformation...

    Après presque un an passé dans l’espace, l’astronaute américain Scott Kelly n’a plus exactement le même profil biologique et génétique que son frère jumeau resté sur Terre.
    Les voyages dans l’espace sont stressants et ont des effets profonds sur le corps humain. C’est ce que révèle une étude menée sur l’astronaute américain, Scott Kelly, qui a passé l’an dernier 340 jours dans la station spatiale internationale (ISS), et son frère jumeau, resté sur Terre. Leur mission avait pour but d’étudier et de comparer les effets de l’espace et ceux de la vie normale sur le corps humain. Les premiers résultats indiquent que l’ADN est modifié après un voyage dans l’espace.

    Le stress du vol spatial. Les chromosomes de Scott Kelly sont devenus plus longs que ceux de son frère jumeau. Selon les experts, cela est sans doute lié au stress ressenti dans l’espace. Le voyage, la vie en micro-pesanteur, la nourriture lyophilisée et l’exposition aux radiations - dans l’espace, il y a beaucoup plus de radiations que sur Terre - sont sources d’angoisse. "Le vol spatial a un effet direct sur la partie la plus importante de l’expression génétique", atteste Michel Viso, du CNES, le centre d’études spatial.

    Des radiations très dangereuses. "On est soumis à de nombreuses radiations pendant le vol spatial. Cela peut détruire des parties de l’ADN, créer des mutations qui peuvent évoluer en lésions. Cela peut se traduire par la difficulté dans la reproduction, mais surtout par l’apparition de cellules cancéreuses. Cela fait partie des risques majeurs des voyages très longs et très lointains, notamment vers Mars", indique le chercheur.

    Envoyer des hommes sur Mars, c’est précisément l’objectif des prochaines dizaines d’années. Or, le voyage jusqu’à la planète rouge prend plusieurs mois. La NASA réfléchit donc à des méthodes pour permettre de garder les astronautes en bonne santé pendant des vol spatiaux de longue durée. Cette découverte majeure pourrait également permettre aux scientifiques de mieux connaître les maladies terrestres, et éventuellement, de les traiter.

  • Jean-Claude Ameisen dans « La structure du vivant » :

    « Les modifications accidentelles, aléatoires, qui surviennent dans la structure, la composition et donc la nature des informations que contiennent les gènes, ont constitué, depuis son origine, un des moteurs essentiels de l’évolution et de la diversification du vivant. Ce sont ces changements qui ont fait naître, depuis quatre milliards d’années, les innombrables métamorphoses des espèces qui ont atteint le temps présent et de toutes celles qui ont soudain disparu à jamais. Les altérations, les erreurs, les substitutions, les duplications, dans les lettres, les mots, les phrases et les livres de la bibliothèque des gènes, sont intrinsèquement inévitables. Elles sont dues à des agressions extérieures, des rayons ultraviolets, des radiations, des variations brusques de température et à des erreurs que commet une cellule lors des phénomènes de copie, de dédoublement de l’ADN, qui précèdent le dédoublement cellulaire. La dérive de l’information génétique est, elle aussi, une forme de « péché originel » du vivant. »

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