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Débarquement de juin 1944 : Massacres et manipulations capitalistes

samedi 7 juin 2014, par Robert Paris

Débarquement de juin 1944 : Massacres et manipulations capitalistes

La classe dominante ne lésine devant aucune dépense lorsqu’il s’agit de mettre en place des spectacles visant à faire accepter leur sort aux exploités et aux opprimés. Déjà, dans la Rome antique, les Empereurs savaient qu’il fallait fournir à la plèbe du pain et du cirque ("panem et circenses") pour qu’elle accepte son sort. Et quand le pain se faisait rare, on en rajoutait un peu sur le cirque. Dans la chrétienté, les fastes de la messe avaient fondamentalement le même objectif. Mais là aussi, comme avec les jeux du cirque, il ne s’agissait pas seulement de fournir aux opprimés une petite dose de divertissement afin de leur faire oublier leur triste quotidien. Il s’agissait aussi de chanter la toute puissance et la toute bienfaisance des autorités du moment. De ce point de vue, la bourgeoisie n’a rien inventé, mais elle a développé et sophistiqué ce genre de spectacles avec tous les moyens que lui donnent tant l’expérience des anciennes classes exploiteuses que la maîtrise de la science et de la technologie que la société capitaliste a permise. Au quotidien, grâce en particulier à la télévision, le "bon peuple" a droit à toutes sortes de "reality shows", tournois sportifs et autres célébrations des fastes de la société actuelle (y compris les mariages princiers, plusieurs siècles après le renversement du pouvoir politique de l’aristocratie !). Et quand le calendrier s’y prête, alors on célèbre les grands événements historiques afin, non seulement "d’amuser le peuple" mais de lui bourrer le crâne d’un maximum de mensonges et de fausses leçons à propos de ces événements. Le 60e anniversaire du débarquement allié du 6 juin 1944 en a été un nouvel exemple ; un exemple particulièrement significatif.

Tous les journalistes qui ont couvert "l’événement" l’ont constaté : les cérémonies de 60e anniversaire du débarquement ont dépassé en faste, en participation des "personnalités", en "couverture médiatique" et en "ferveur populaire" celles du cinquantenaire. C’est un paradoxe que ces mêmes journalistes ont essayé de comprendre. Les explications ont été variées et quelques fois un peu surprenantes : c’est parce que ces cérémonies permettent de sceller l’amitié retrouvée entre la France et les États-Unis après la brouille liée à la guerre en Irak ; ou bien parce que c’était la dernière fois qu’on verrait participer les rescapés de cet épisode de l’histoire, ces vieux messieurs couverts de médailles qui, une fois dans leur vie de mineur des Appalaches, de paysan de l’Oklahoma ou de chauffeur-livreur de Londres, feraient l’objet de la gratitude universelle, seraient considérés comme des V.I.P. Les communistes ne célèbrent pas le débarquement de juin 1944, comme ils pourraient le faire pour la Commune de Paris de 1871 ou la Révolution d’octobre 1917. Cependant, il leur appartient à l’occasion de cet anniversaire et des cérémonies qu’il l’ont entouré de rappeler ce que fut vraiment cet événement, ce que fut sa signification afin d’opposer à la marée des mensonges bourgeois une petite digue au service de la petite minorité qui, aujourd’hui, peut les entendre.

La plus grande opération militaire de l’histoire

Jamais avant le 6 juin 1944, l’espèce humaine, dont l’histoire est pourtant riche en guerres, n’avait réalisé une opération militaire de l’envergure du débarquement allié en Normandie. Ce sont 6939 bâtiments qui, dans la nuit du 5 au 6 juin, ont traversé la Manche dont 1213 navires de guerre, 4126 bâtiments de débarquement, 736 bâtiments de servitude et 864 navires marchands. Au dessus de cette armada,11590 appareils zèbrent le ciel : 5050 chasseurs, 5110 bombardiers, 2310 avions de transport, 2600 planeurs et 700 avions de reconnaissance. Sur le plan des effectifs, ce sont 132715 hommes qui sont débarqués le "Jour J", ainsi que 15000 américains et 7000 britanniques qui ont été parachutés la veille derrière les lignes adverses par 2395 avions. Malgré leur énormité, ces chiffres sont encore loin de représenter toute l’ampleur de l’opération militaire. Avant même le débarquement, des dragueurs de mines avaient tracé cinq immenses chenaux permettant le passage de l’armada alliée. Le débarquement lui-même ne vise qu’à établir une tête de pont permettant de débarquer des troupes et des moyens matériels en quantité bien plus considérable. C’est ainsi que, en moins d’un mois, ce sont un million et demi de soldats Alliés qui sont débarqués avec tout leur équipement, notamment des dizaines de milliers de véhicules blindés (le tank Sherman à lui seul a été construit à 150 000 exemplaires). Pour ce faire, des moyens matériels et humains ahurissants sont mobilisés. Pour que les navires puissent décharger leur cargaison ou leurs passagers, il faut aux Alliés un port en eau profonde tel que Cherbourg ou Le Havre. Mais comme ces villes ne sont pas prises d’emblée, ils créent de toutes pièces au large de deux petites localités, Arromanches et Saint-Laurent, deux ports artificiels en acheminant d’Angleterre des centaines de caissons flottants en béton qui ensuite ont été immergés pour servir de digues et de quais (opération "Mulberry"). Pendant quelques semaines, Arromanches est devenue le plus grand port du monde avant que le relais ne soit passé à Cherbourg qui est pris par les Alliés un mois après le débarquement et dont le trafic s’élève alors au double de celui du port de New York en 1939. Enfin, dès le 12 août, les Alliés peuvent commencer à utiliser PLUTO (Pipe Line Under The Ocean), un pipe line sous-marin assurant l’approvisionnement en carburant depuis l’île de Wight jusqu’à Cherbourg. Ces moyens matériels et humains démesurés sont en soi un véritable symbole de qu’est devenu le système capitaliste, un système qui engloutit en vue de la destruction des quantités ahurissantes de moyens technologiques et de travail humain. Mais au-delà de son côté démesuré, il faut rappeler que l’opération "Neptune" (nom de code désignant le débarquement en Normandie), préparait un des plus grands carnages de l’histoire (l’opération "Overlord", l’ensemble des plans militaires en Europe occidentale à la mi-1944). Le long des côtes de la Normandie on peut voir ces immenses alignements de croix blanches témoins du terrible tribut payé par toute une génération de jeunes américains, anglais, canadiens, allemands, etc. dont certains avaient à peine 16 ans. Ces cimetières militaires ne comptabilisent pas les civils, femmes, enfants, vieillards, qui ont été tués lors des affrontements et dont le nombre, dans certains cas, est presque aussi élevé que celui des soldats tombés dans les combats. La bataille de Normandie, pendant laquelle les troupes allemandes ont tenté d’empêcher les troupes Alliées de prendre pied puis de progresser en France se solde par des centaines de milliers de morts au total.

Les vérités que la bourgeoisie veut cacher

Tous ces éléments, les discours et commentaires des médias bourgeois ne les cachent en aucune façon. On a même l’impression que les commentateurs en rajoutent lorsqu’ils évoquent la terrible boucherie de cet été 1944. Cependant, c’est dans l’interprétation de ces faits que se trouve le mensonge. Les soldats qui ont débarqué le 6 juin 1944 et les jours suivants sont présentés comme les soldats de la "liberté" et de la "civilisation". C’est ce qu’on leur avait dit avant le Débarquement pour les convaincre de donner leur vie ; c’est ce qu’on a dit aux mères de tous ceux que la mort a frappés au sortir de l’enfance ; c’est ce qu’ont déclaré une nouvelle fois les politiciens qui, en nombre, ont fait le déplacement sur les plages normandes le 6 juin 2004, les Bush, Blair, Poutine, Schröder, Chirac. Et les commentateurs de rajouter : "où en serions-nous si ces soldats n’avaient pas fait ces terribles sacrifices ? Nous serions encore sous la botte du nazisme !" Tout est dit : cette boucherie, aussi effroyable qu’elle fut, était un "mal nécessaire" pour "sauver la civilisation et la démocratie". Face à ces mensonges, qui sont partagés unanimement par tous les ennemis d’hier (le chancelier allemand avait été invité aux cérémonies) et que reprennent pratiquement toutes les forces politiques, de la droite la plus réactionnaire aux trotskistes, il est indispensable de réaffirmer quelques vérités élémentaires.

La première vérité à affirmer, c’est qu’il n’y avait pas dans la Seconde Guerre mondiale un "camp de la démocratie" contre un "camp du totalitarisme", à moins de continuer à considérer que Staline était un grand champion de la démocratie. À cette époque, c’est ce que prétendaient d’ailleurs les partis dits "communistes", et les autres partis ne faisaient pas beaucoup d’efforts pour les démentir. Les véritables communistes, pour leur part, dénonçaient depuis des années le régime stalinien, fossoyeur de la révolution d’Octobre 1917 et fer de lance de la contre-révolution mondiale. En réalité, il y avait dans la Seconde Guerre mondiale, tout comme dans la Première, deux camps impérialistes qui se disputaient les marchés, les matières premières et les zones d’influence du monde. Et si l’Allemagne, comme lors de la Première Guerre mondiale, apparaissait comme la puissance agressive, "celle par qui la guerre arrive", c’est tout simplement parce qu’elle avait été la plus mal lotie dans le partage du gâteau impérialiste à la suite du traité de Versailles concluant la première boucherie impérialiste, un traité qui avait aggravé encore à son détriment le partage qui lui était déjà défavorable avant 1914 du fait du retard avec lequel elle était arrivée sur la scène impérialiste (des petits pays comme la Hollande ou la Belgique avaient un empire colonial plus vaste que celui de l’Allemagne).

La deuxième vérité est celle-ci : malgré tous les discours sur "la défense de la civilisation", ce n’est pas cette dernière qui préoccupait les dirigeants Alliés qui ont pu faire preuve, à l’occasion, d’une barbarie tout à fait comparable à celle des pays de l’Axe. Et nous ne parlons pas seulement du Goulag stalinien qui valait bien les camps nazis. Les pays "démocratiques" se sont également illustrés dans ce domaine. Nous n’allons pas ici passer en revue l’ensemble des crimes et actes de barbarie commis par les valeureux "défenseurs de la civilisation" (à ce sujet voir notamment notre article "Les massacres et les crimes des ’grandes démocraties’" dans la Revue internationale n° 66). Il nous suffit de rappeler qu’avant la Seconde Guerre mondiale, et même avant l’arrivée des nazis au pouvoir, ces pays avaient "exporté" leur "civilisation" vers les colonies non seulement par le goupillon mais aussi, et surtout par le sabre, les canonnières et les mitrailleuses, sans compter les gaz asphyxiants et la torture. Quant aux preuves indiscutables de "civilisation" dont les Alliés ont fait preuve aux cours de la Seconde Guerre mondiale, rappelons quelques un de leurs hauts faits d’arme. Les premiers qui viennent à l’esprit, ce sont évidemment les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945 où fut employée pour la première et unique fois de l’histoire l’arme atomique tuant en une seconde près de cent mille civils et plus de cent mille autres au terme de mois et d’années de souffrance. Mais le terrible bilan de ces bombardements n’est sont pas seulement dû au fait qu’ils ont fait appel à une arme nouvelle, encore mal connue.
C’est avec des moyens totalement "classiques" que les fers de lance de la civilisation ont massacré des populations uniquement civiles : - bombardements de Hambourg en juillet 1943 : 50 000 morts ; - bombardement de Tokyo en mars 1945 : 80 000 morts ; - bombardement de Dresde les 13 et 14 février 1945 : 250 000 morts. Ce dernier bombardement est particulièrement significatif. À Dresde il n’y avait ni concentration militaire, ni objectif économique ou industriel. Il y avait surtout des réfugiés venant des autres villes qui avaient déjà été rasées. En outre, la guerre était déjà gagnée par les Alliés. Mais pour ces derniers il fallait provoquer la terreur dans la population allemande, et particulièrement parmi les ouvriers, afin qu’il ne leur prenne pas l’idée de recommencer ce qu’ils avaient fait à la fin de la Première Guerre mondiale : des combats révolutionnaires en vue de renverser le capitalisme. Au procès de Nuremberg qui s’est tenu après la guerre ont été jugés les "criminels de guerre" nazis. En fait, ce qui leur a valu leur condamnation, ce n’est pas tant l’ampleur de leurs crimes que le fait qu’ils appartenaient au camp des vaincus. Sinon, à leur côté, il aurait fallu voir Churchill et Truman principaux "décideurs" des massacres évoqué ci-dessus. Enfin, il faut affirmer une dernière vérité face à l’argument suivant lequel l’humanité aurait connu des souffrances bien pires encore si les Alliés n’étaient pas venus libérer l’Europe. En premier lieu, la ré-écriture de l’histoire est en général un exercice vain. Bien plus féconde est la compréhension de pourquoi l’histoire a pris tel cours plutôt que tel autre. Comme dans le cas présent ("si les Alliés avaient perdu la guerre"), cet exercice est en général effectué par ceux-là qui veulent justifier l’ordre existant qui serait finalement le "moins mauvais" ("La Démocratie est la pire forme de gouvernement à l’exception de toutes les autres", Churchill). En réalité, la victoire de la "démocratie" et de la "civilisation" lors de la Seconde Guerre mondiale n’a aucunement mis fin à la barbarie du monde capitaliste. Depuis 1945, il y a eu autant de victimes de la guerre qu’au cours des deux guerres mondiales réunies. En outre, le maintien en place d’un mode de production, le capitalisme, dont les deux guerres mondiales, de même que la crise économique des années 30 et la crise actuelle font la preuve qu’il a fait son temps, a valu à l’humanité la poursuite et aujourd’hui l’aggravation de toutes sortes de calamités particulièrement meurtrières (famines, épidémies, catastrophes "naturelles" dont on pourrait éliminer les conséquences dramatiques, etc.). Sans compter que le système capitaliste, en se perpétuant, hypothèque de plus en plus l’avenir de l’espèce humaine en détruisant de façon irréversible l’environnement et en préparant de nouvelles catastrophes naturelles, notamment climatiques, aux conséquences effrayantes. Et si le système capitaliste a pu survivre plus d’un demi-siècle après la Seconde Guerre mondiale, c’est que la "victoire de la Démocratie" a représenté une terrible défaite pour la classe ouvrière ; une défaite idéologique qui est venu parachever la contre-révolution qui s’était abattue sur elle après l’échec de la vague révolutionnaire des années 1917-1923. C’est justement et principalement parce que la bourgeoisie, avec l’aide de tous les partis politiques qui se prétendent "ouvriers" (des "socialistes" jusqu’aux trotskistes, en passant par les "communistes"), a réussi à faire croire aux ouvriers des principaux pays capitalistes, notamment ceux des grandes concentrations industrielles d’Europe occidentale, que la victoire de la Démocratie était "leur victoire" que ces derniers n’ont pas engagé des combats révolutionnaires au cours et à la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme ils l’avaient fait lors de la Première. En d’autres termes, la "victoire" de la Démocratie, et notamment le Débarquement qu’on a tant encensé ces derniers jours, a donné un sursis au capitalisme décadent, lui permettant de poursuivre pendant plus d’un demi siècle son cours catastrophique et barbare. Voila une vérité dont aucun média ne s’est fait l’écho, évidemment. Au contraire, le zèle tout particulier avec lequel tous les puissants du monde et leurs larbins ont célébré ce "grand moment de la Liberté" est à la hauteur de l’inquiétude nouvelle que la classe dominante commence à ressentir face à la perspective d’une reprise des combats de la classe ouvrière à mesure que la crise du capitalisme fera chaque jour plus la preuve de la faillite historique de ce système et de la nécessité de le renverser. Et justement, il est un autre enseignement très important que les opérations "Neptune" et "Overlord" doivent apporter à la classe ouvrière : c’est l’immense compétence dont est capable la bourgeoisie pour faire croire à ses mensonges.

Le rempart des mensonges

A la conférence de Téhéran qui s’est tenue entre les principaux dirigeants Alliés en décembre 1943, Churchill a déclaré à Staline : "En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonges". Ce n’était pas une nouveauté. Au 6e siècle avant Jésus-Christ, le stratège chinois Sunzi énonçait déjà ainsi les règles principales de l’art de la guerre : "Imposer sa volonté à l’adversaire, l’obliger à se disperser ; agir du fort au faible, et en secret, mais être renseigné en permanence sur l’adversaire ; feindre, car tout acte de guerre est fondé sur la duperie". (L’art de la guerre, Flammarion, Paris, 1972) Et pour s’assurer du succès de la plus grande opération militaire de l’histoire, "Neptune", il fallait mettre en oeuvre une des entreprises de mystification les plus vastes qui aient jamais existé. Cette entreprise avait pour nom de code "Fortitude" et elle visait a induire les dirigeants allemands en erreur au moment du débarquement. Son élaboration avait été confiée à la Section de Contrôle de Londres (LCS), un organisme secret créé par Churchill et auquel collaboraient les principaux responsables des renseignements anglais et américains. Nous n’allons pas énumérer ici l’ensemble des moyens qui ont été mis en oeuuvre afin de tromper l’état-major allemand. Nous nous contenterons d’en signaler les plus significatifs. Au cours de la première moitié de 1’année 1944, l’évolution de la guerre avait permis aux dirigeants allemands de comprendre que les Alliés allaient ouvrir un front en Europe occidentale. En d’autres termes, qu’ils allaient débarquer dans cette zone. Là dessus, les Alliés savaient bien qu’il était impossible de tromper leur adversaire. Cependant, la question restait posée du moment et surtout du lieu précis de ce débarquement et l’objectif des "Moyens spéciaux" (terme utilisé par les britanniques) était de faire croire que celui-ci allait avoir lieu à une date et en un lieu autres que le 6 juin 1944 sur les plages normandes. Théoriquement, le débarquement pouvait avoir lieu en n’importe quel point de la côte entre le Golfe de Gascogne et la Norvège (c’est-à-dire plusieurs milliers de kilomètres). Cependant, dans la mesure où c’est en Angleterre que les Alliés avaient installé l’essentiel de leurs moyens militaires, il paraissait logique que le débarquement ait lieu quelque part entre la Bretagne et la Hollande. Plus précisément, Hitler était persuadé qu’il aurait lieu dans le Pas-de-Calais, là où les côtes anglaises sont les plus proches du continent, ce qui devait permettre à la chasse anglaise, dont le rayon d’action était limité, de participer aux combats. Grâce à leurs moyens d’espionnage, les Alliés avaient eu connaissance de cette conviction des dirigeants allemands et le but central de "Fortitude" était qu’ils la conservent le plus longtemps possible, y compris après le Débarquement en Normandie qui devait être interprété comme une diversion préparant le véritable Débarquement dans le Pas-de-Calais. Et le fait est que pendant plusieurs semaines, Hitler a attendu ce dernier ce qui l’a conduit à refuser d’envoyer vers la Normandie d’énormes moyens militaires basés dans le Nord de la France et en Belgique. Quand il a compris de quoi il retournait, il était trop tard : les Alliés avaient réussi à débarquer suffisamment d’hommes et de matériel pour leur permettre de remporter la bataille de Normandie et de commencer leur offensive vers Paris puis vers l’Allemagne. Les Alliés n’ont pas lésiné sur les moyens pour tromper leur adversaire. Certains des moyens employés étaient d’ailleurs assez cocasses : c’est ainsi qu’un acteur provincial dans le civil, Meyrick Edward Clifton James, a joué en mai 1944 le plus grand rôle de sa vie en étant présenté comme le maréchal Montgomery, le militaire anglais le plus prestigieux de la Seconde Guerre mondiale, à qui avait été confiée la direction opérationnelle du Débarquement. Sosie presque parfait de "Monty", soigneusement habillé et maquillé par des spécialistes, James est arrivé le 26 mai à Gibraltar avant de rejoindre Alger, ce qui avait pour objectif de faire croire que le débarquement des Alliés dans le sud de la France (qui finalement a eu lieu le 15 août en Provence) devait précéder celui du nord-ouest. (1) Il existe une foule d’autres épisodes de ce type, même si moins "folkloriques". Cependant, le moyen le plus décisif destiné à convaincre les dirigeants allemands que le débarquement aurait lieu dans le Pas-de-Calais est la constitution du FUSAG (Premier groupe d’armée des États-Unis) commandé par le général Patton, un des officiers supérieurs américains les plus en vue, et qui s’est installé dans le Sud-Est de l’Angleterre, donc face au Pas-de-Calais. La particularité de ce groupe d’armée, supposé comporter un million d’hommes, c’est qu’il était complètement fictif. Les tanks que les avions de reconnaissance allemands avaient pu photographier étaient des baudruches gonflables, les avions étaient en bois, les baraquements militaires en carton, etc. Quant aux messages radio qui partaient de ce rassemblement militaire, ils empruntaient la voix d’acteurs américains et canadiens de confiance. (2) Parmi les autres moyens employés pour renforcer la conviction allemande sur le débarquement dans le Nord de la France, certains révèlent tout le cynisme dont est capable la classe dominante. C’est ainsi que des agents de la "France libre" travaillant pour les britanniques ont été envoyés saboter des canons allemands qui défendaient cette partie de la côte. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’ils allaient être livrés à la Gestapo par ceux-là même qui leur avaient confié cette mission afin qu’ils parlent sous la torture et communiquent des informations supposées "sensibles". (3) Ce qui frappe lorsqu’on prend connaissance des "moyens spéciaux" employés par les deux camps de la Seconde Guerre mondiale, et particulier les Alliés, c’est l’incroyable machiavélisme qui a été mis en �uvre pour tromper l’ennemi. Un des chapitres du livre de référence sur les opérations d’intoxication de la Seconde Guerre mondiale, "Bodygard of Lies" ("La Guerre secrète", en français) de Anthony Cave Brown, s’intitule d’ailleurs "Fortitude Nord, les machiavéliques stratagèmes". De fait, pendant longtemps, le gouvernement américain a tenté de cacher ces moyens (par un mémorandum du 28 août 1945, le président Truman a interdit toute divulgation d’information sur ce sujet). Les sphères dirigeantes de la classe dominante ne sont pas intéressées à ce qu’on soupçonne le degré de machiavélisme dont elles sont capables, surtout dans une période historique où la guerre est permanente. Après tout, si un stratagème n’a pas été éventé, il peut rendre de nouveaux services. Ainsi, l’attaque japonaise contre la base navale de Pearl Harbor, en décembre 1941, avait été voulue et favorisée par les dirigeants anglais et américains pour "forcer la main" à la population américaine et aux secteurs bourgeois qui étaient hostiles à l’entrée en guerre des États-Unis. Cette réalité a toujours été démentie par les autorités américaines (qui l’ont entourée jusqu’à aujourd’hui d’un "rempart de mensonges"). Si, comme c’est fortement probable, l’attaque contre les Twin Towers du 11 septembre 2001 a été voulue et favorisée par les services spécialisés de l’État américain qui ont "laissé faire" Al Qaïda, afin de préparer la guerre contre l’Irak, on comprend que le mensonge sur la réalité de Pearl Harbor continue d’être utile aujourd’hui. (4) Enfin, il est un élément que la classe ouvrière ne doit jamais perdre de vue : l’incroyable machiavélisme dont est capable la classe dominante lorsqu’elle fait la guerre, elle est parfaitement capable de l’employer contre les exploités. Et on peut même dire que c’est face au prolétariat qu’elle déploie avec le plus de sophistication tous ses talents dans l’art de la mystification : car là, l’enjeu de l’affrontement n’est plus pour la bourgeoisie une simple question de suprématie impérialiste, mais une question de vie ou de mort. En d’autres termes, dans la guerre de classe que la bourgeoisie livrera au prolétariat, encore plus que dans la guerre entre ses composantes nationales, elle "protège la vérité par un rempart de mensonges". Les flonflons de la célébration du débarquement du 6 juin 1944 se sont tus. Mais la classe ouvrière ne doit jamais oublier les véritables leçons de cet événement : - le capitalisme décadent ne peut mettre fin aux guerres, il ne peut qu’accumuler ruines sur ruines, que semer la mort à grande échelle ; - la bourgeoisie est prête à toutes les infamies, à tous les mensonges pour préserver sa domination sur la société ; - le prolétariat ne doit jamais sous estimer l’intelligence de la classe exploiteuse, sa capacité à mettre en oeuvre les mystifications les plus sophistiquées pour conserver son pouvoir et ses privilèges.

Fabienne

(1) Dans ce registre, il faut également signaler l’opération "Chair à pâté" ("Mincemeat") destinée à faire croire à l’État-major allemand que le débarquement en Sicile de juillet 1943 n’est qu’une diversion pour un débarquement beaucoup plus important en Grèce et en Sardaigne. Pour ce faire, on a largué près des côtes espagnoles le cadavre d’un homme, le major William Martin, qui n’avait jamais existé et qui portait attachée à son poignet une serviette contenant des documents propres à accréditer la mystification préparée par les Alliés. Ces documents, avant que d’être restitués aux anglais par les autorités franquistes, avaient néanmoins été photocopiés par les services secrets allemands. L’opération "Mincemeat", jointe à d’autres manoeuvres du même type, a pleinement réussi puisque Hitler a envoyé à Athènes son plus brillant officier supérieur, Rommel lui-même, diriger des moyens militaires qui n’ont jamais servi.

(2) Il faut noter que le FUSAG était complété par la 4e armée britannique, forte de 350 000 hommes, basée en Écosse et supposée préparer un débarquement en Norvège. Elle aussi était totalement fictive, ce qui ne l’a pas empêché, dès qu’à commencé le débarquement en Normandie, de se déplacer vers le Sud pour rejoindre le FUSAG en vue d’un débarquement à venir dans le Pas-de-Calais.

(3) Cet exploit peu glorieux des "Moyens spéciaux" est rapporté de façon romancée par le journaliste et romancier américain Larry Collins (co-auteur de "Paris brûle-t-il ?") dans son roman "Fortitude". Cet épisode n’est évidemment pas le seul où s’est exprimé le cynisme des dirigeants Alliés. Dans ce domaine, il vaut la peine de rappeler le débarquement sur Dieppe du 19 août 1942. Cette opération où ont été engagés 5000 soldats canadiens et 2000 britanniques ne visait nullement à prendre position en France. Dès le départ, les dirigeants Alliés savaient qu’ils envoyaient tous ces jeunes soldats au massacre. L’opération avait comme unique objectif de tester "en réel" les moyens de défense allemands et de récolter de l’information sur les différents problèmes qu’il faudrait résoudre lors du véritable débarquement.

(4) Voir à ce sujet notre article "Pearl Harbor 1941, les ’Twin Towers’ 2001, Le machiavélisme de la bourgeoisie", Revue internationale 108. A ceux qui critiquent nos articles mettant en évidence le machiavélisme de la classe dominante en affirmant que celle-ci n’est pas capable de réaliser les agissements que nous lui attribuons, nous conseillons de lire "La Guerre secrète", ou plus simplement "L’espion qui venait du froid" écrit par un ancien agent secret anglais, John Le Carré. Ce sont d’excellent remèdes contre la naïveté comme celle dont sont affligés nos détracteurs. Source : CCI

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