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La chute de l’Empire romain : pourquoi ?

dimanche 12 octobre 2014, par Robert Paris

La chute de l’Empire romain : pourquoi ?

L’administration romaine et le droit romain avaient partout détruit les anciens liens consanguins et, du même coup, les derniers vestiges d’activité locale et nationale autonome. L’appartenance au monde romain, qualité de fraîche date, n’offrait point de compensation : elle n’exprimait pas une nationalité, mais seulement l’absence de nationalité. Les éléments de nations nouvelles existaient partout ; les dialectes latins des différentes provinces se différenciaient de plus en plus ; les frontières naturelles, qui avaient fait autrefois de l’Italie, de la Gaule, de l’Espagne et de l’Afrique des territoires autonomes, existaient encore et se faisaient toujours sentir. Mais nulle part n’existait la force capable de forger, avec ces éléments, de nouvelles nations. Nulle part il ne restait trace d’une capacité de développement, d’une force de résistance et, moins encore, d’un pouvoir créateur. L’énorme masse humaine de l’énorme territoire n’avait qu’un seul lien qui l’unît : l’État romain, et celui-ci, avec le temps, était devenu son pire ennemi, son pire oppresseur. Les provinces avaient anéanti Rome ; Rome même était devenue une ville de province comme les autres, - privilégiée, mais non plus souveraine, - non plus centre de l’Empire universel, non plus même siège des empereurs et sous-empereurs qui résidaient à Constantinople, à Trèves, à Milan. L’État romain était devenu une machine gigantesque, compliquée, exclusivement destinée à pressurer les sujets. Impôts, corvées, prestations de toutes sortes enfonçaient la masse de la population dans une misère toujours plus profonde ; l’oppression était poussée jusqu’à l’intolérable par les exactions des gouverneurs, des collecteurs d’impôts, des soldats. Voilà où avaient abouti l’État romain et son hégémonie mondiale : celui-ci fondait son droit à l’existence sur le maintien de l’ordre à l’intérieur, et sur la protection contre les Barbares à l’extérieur. Mais son ordre était pire que le pire des désordres, et les Barbares, contre lesquels il prétendait protéger les citoyens, étaient attendus par ceux-ci comme des sauveurs.

La situation sociale n’était pas moins désespérée. Dès les derniers temps de la République, la domination des Romains avait pour but l’exploitation totale des provinces conquises ; l’Empire n’avait pas supprimé cette exploitation, mais, au contraire, il l’avait réglementée. Plus l’Empire déclinait, plus les impôts et les prestations augmentaient, plus les fonctionnaires pillaient et pressuraient sans pudeur. Le commerce et l’industrie n’avaient jamais été l’affaire des Romains dominateurs de peuples ; c’est seulement dans l’usure qu’ils avaient surpassé tout ce qui fut avant et après eux. Ce qui existait et s’était maintenu en fait de commerce sombra sous les exactions des fonctionnaires ; ce qui survécut malgré tout se trouvait en Orient, dans la partie grecque de l’Empire, qui est en dehors de notre sujet. Appauvrissement général, régression du commerce, de l’artisanat, de l’art, dépeuplement, décadence des villes, retour de l’agriculture à un niveau inférieur - tel fut le résultat final de l’hégémonie mondiale romaine.

L’agriculture, branche de production essentielle dans tout le monde antique, l’était redevenue plus que jamais. En Italie, les immenses domaines (latifundia) qui, depuis la fin de la République, couvraient presque tout le territoire, avaient été exploités de deux façons. soit en pâturages, où la population était remplacée par des moutons ou des bœufs, dont la garde n’exigeait que peu d’esclaves ; soit en villas, où une foule d’esclaves faisaient de l’horticulture en grand, tant pour le luxe du propriétaire que pour la vente sur les marchés urbains. Les grands pâturages s’étaient maintenus et sans doute même agrandis ; les domaines des villas et leur horticulture avaient dépéri du fait de l’appauvrissement de leurs propriétaires et du déclin des villes. L’exploitation des latifundia, basée sur le travail des esclaves, n’était plus rentable ; mais, à cette époque, c’était l’unique forme possible d’agriculture en grand. La petite culture était redevenue la seule forme rémunératrice. L’une après l’autre, les villas furent morcelées en petites parcelles et remises à des fermiers héréditaires qui payaient une certaine somme, ou à des partiarii, gérants plutôt que fermiers, qui recevaient pour leur travail un sixième ou même seulement un neuvième du produit annuel. Mais, dans la plupart des cas, ces petites parcelles de terre furent confiées à des colons qui, en échange, payaient chaque année une somme fixe, étaient attachés à la glèbe et pouvaient être vendus avec leur parcelle ; ils n’étaient pas, à vrai dire, des esclaves, mais ils n’étaient pas libres non plus, ne pouvaient pas se marier avec des femmes de condition libre, et leurs unions entre eux n’étaient pas considérées comme des mariages pleinement valables, mais, ainsi que celles des esclaves, comme un simple concubinage (contubernium). Ils furent les précurseurs des serfs du Moyen Age.

L’antique esclavage avait fait son temps. Ni à la campagne dans la grande agriculture, ni dans les manufactures urbaines, il n’était plus d’un rapport qui en valût la peine - le marché, pour ses produits, avait disparu. Mais la petite culture et le petit artisanat, à quoi s’était réduite la gigantesque production des temps florissants de l’Empire, n’avaient pas de place pour de nombreux esclaves. Il n’y avait plus place, dans la société, que pour des esclaves domestiques et les esclaves de luxe des riches. Mais l’esclavage agonisant suffisait encore pour faire apparaître tout travail productif comme travail d’esclave, indigne de Romains libres, - et chacun, maintenant, avait cette qualité. De là vint, d’une part, le nombre croissant des affranchissements d’esclaves superflus, devenus une charge et, d’autre part, le nombre croissant, ici des colons, là des hommes libres tombés dans la gueusaille (verlumpt) (comparables aux poor whites des États ci-devant esclavagistes d’Amérique). Le christianisme est tout à fait innocent de la disparition progressive de l’antique esclavage. Il l’a pratiqué pendant des siècles dans l’Empire romain et, plus tard, il n’a jamais empêché le commerce d’esclaves auquel se livraient les chrétiens, ni celui des Allemands dans le Nord, ni celui des Vénitiens en Méditerranée, ni, plus tard encore, la traite des nègres [3]. L’esclavage ne payait plus, et c’est pourquoi il cessa d’exister. Mais l’esclavage agonisant laissa son dard empoisonné ; le mépris du travail productif des hommes libres. Là était l’impasse sans issue dans laquelle le monde romain était engagé. L’esclavage était impossible au point de vue économique ; le travail des hommes libres était proscrit au point de vue moral. Celui-là ne pouvait plus, celui-ci ne pouvait pas encore être la base de la production sociale. Pour pouvoir y remédier, il n’y avait qu’une révolution totale.

Dans les provinces, la situation n’était pas meilleure. C’est sur la Gaule que nous avons les données les plus abondantes. Il y existait encore, à côté des colons, de petits paysans libres. Pour s’assurer contre les abus des fonctionnaires, des juges et des usuriers. ils se plaçaient souvent sous la protection, le patronage d’un homme puissant ; et ce n’étaient pas seulement des individus isolés qui le faisaient, mais des communes entières, si bien que les empereurs, au ive siècle, édictèrent à plusieurs reprises des interdictions à ce sujet. Mais en quoi cela pouvait-il être utile à ceux qui cherchaient protection ? Le patron leur imposait la condition de lui transférer la propriété de leurs terres, moyennant quoi il leur en assurait l’usufruit leur vie durant, - truc dont se souvint la sainte Église et qu’elle imita copieusement au IXe et au Xe siècle pour l’accroissement du royaume de Dieu et de ses propres domaines. Mais à cette époque, vers l’an 475, Salvien, évêque de Marseille, tonne encore, indigné, contre un pareil vol, et raconte que l’oppression des fonctionnaires et des grands propriétaires fonciers romains est devenue si pesante que beaucoup de « Romains » cherchaient refuge dans les régions déjà occupées par les Barbares, et que les citoyens romains qui y étaient établis ne craignaient rien tant que de retomber sous la domination romaine [4]. Qu’à cette époque, des parents, poussés par la misère, vendissent souvent leurs enfants comme esclaves, c’est ce que prouve une loi édictée contre cet usage.

Pour avoir délivré les Romains de leur propre État, les Barbares germains leur prirent deux tiers de toutes les terres et se les partagèrent. Le partage se fit selon l’organisation gentilice ; étant donné le nombre relativement faible des conquérants, de vastes espaces restèrent indivis, soit propriété de tout le peuple, soit propriété des tribus et gentes isolées. Dans chaque gens, les champs et les prairies, divisés en portions égales, furent tirés au sort entre les différentes économies domestiques ; nous ne savons pas s’il y eut, dans ce temps-là, des redistributions périodiques ; en tout cas, l’usage s’en perdit bientôt dans les provinces romaines et les différentes parts devinrent propriété privée aliénable, alleu. Les forêts et les pacages restèrent indivis, pour l’usage de tous ; cet usage et le mode de culture des terres partagées furent réglés selon l’ancienne coutume et sur décision de la collectivité. Plus la gens était depuis longtemps établie dans son village, plus les Germains et les Romains fusionnaient progressivement, et plus le caractère de parenté du lien gentilice s’effaçait devant le caractère territorial ; la gens se dilua dans l’association de marche, dans laquelle, il est vrai, sont assez souvent visibles les traces de son origine, la parenté des associés. Ici donc, l’organisation gentilice, tout au moins dans les pays où se maintint la communauté de marche, - dans le Nord de la France, en Angleterre, en Allemagne et en Scandinavie - se transforma insensiblement en une organisation territoriale et acquit, de ce fait, la capacité de s’adapter à l’État. Mais elle garda cependant le caractère démocratique primitif qui est le propre de toute l’organisation gentilice, et conserva ainsi quelque chose d’elle-même jusque dans la forme dégénérée qui lui fut imposée plus tard et resta, jusqu’à l’époque la plus récente, une arme efficace aux mains des opprimés.

Engels, "L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat"

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Le déclin de l’Empire

La chute de l’Empire

Révolutions de l’Antiquité

  L’avis de l’Historien Végèce : Selon lui, la décadence de l’Empire Romain est dû à cause de ses rapports croissants avec les barbares, leur intégration dans l’armée romaine ce qui a pu entrainer sa chute et les revers militaires de Rome. Fini la discipline militaire ! En gros, une certaine anarchie avait commencé à se répandre dans l’Empire et les institutions de celui-ci vacillaient face aux barbares.

 L’avis de Radovan Richta : Quand à lui, il pense que la chute de l’Empire Romain est dû à son manque de réactivité et à sa difficulté d’intégrer "les nouvelles technologies" comme le fer à cheval et d’autres métaux qu’utilisaient les barbares ce qui leur procurait un avantage important. Il pensa aussi que le Christianisme apportait son lot de nouveautés ce qui déconcerta les romains qui étaient habitués aux Dieux polythéistes.

 L’avis de Edward Gibbon : Selon ce personnage, la décadence de l’Empire romain est dû au manque de patriotisme et de vertu civique des romains à la fin de l’Empire. Ils ont oublié leur sens de l’honneur en défendant l’Empire face aux invasions barbares. Lui aussi pense que le christianisme y ait pour quelque chose car les romains étaient attirés par le paradis et pensaient donc à faire le bien autours d’eux pas comme leurs ancêtres qui eux préféraient leur satisfaction et gloire familiale au nom de leur patrie ( Rome ).

 L’avis de Bury : Selon cette personne, la chute de l’Empire romain d’Occident n’est pas dû à l’arrivée du christianisme et cet auteur critique violemment Gibbon comme argument que l’Empire d’Orient était plus chrétien que l’Occident et que l’Orient a duré plus longtemps face aux barbares donc l’argument de la chrétienté ne tient plus. Bury pense que la chute de l’Empire était inévitable et était dû de nombreux facteurs tels que le déclin économique, l’expansion germanique, la dépopulation de l’Italie, la perte de la Vertu Romaine en bref, une série d’infortune qui se menèrent catastrophique pour Rome.

 Des Historiens comme Toynbee et Burke pensent que l’Empire Romain était un système corrompu dès le début et que l’autorité impériale était en déclin depuis bien longtemps avant sa chute. Selon eux, la chute de l’Empire était inévitable et devait arriver. Dernièrement, quelques historiens s’accordaient pour rejeter le terme "chute" (qu’ils peuvent ou pas différencier du "déclin"). Ils notent que le transfert du pouvoir d’une bureaucratie centrale impériale à des autorités plus locales est à la fois progressif et guère perceptible par le citoyen moyen.

 Salluste :
"C’était la valeur éminente de quelques citoyens qui avait tout fait, c’était elle qui avait assurée la victoire de la pauvreté sur la richesse, du petit nombre sur la multitude. Mais lorsque la cité eut été corrompue par le luxe et l’oisiveté, seule la puissance de la république fut à son tour assez forte pour ne pas succomber aux fautes de ses généraux et de ses magistrats ; et comme une mère dont la fécondité est tarie, Rome fut pendant de longues années sans produire aucun grand homme". (Ici par grand homme je pense qu’il entend des hommes soucieux du bien public comme dans l’ancien temps).

 Joachim du Bellay :

Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.

Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.

Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit,

Reste de Rome. O mondaine inconstance !
Ce qui est ferme, est par le temps détruit,
Et ce qui fuit, au temps fait résistance.

 Encore d’autres versions
 Déjà à l’époque des crises financières

  Voici les causes de la chute de l’Empire romain, vues par Voltaire dans « Essai sur les mœurs et l’esprit des nations » :

« Causes de la chute de l’empire romain

« Si quelqu’un avait pu raffermir l’empire, ou du moins retarder sa chute, c’était l’empereur Julien. Il n’était point un soldat de fortune, comme les Dioclétien et les Théodose. Né dans la pourpre, élu par les armées, chéri des soldats, il n’avait point de factions à craindre ; on le regardait, depuis ses victoires en Allemagne, comme le plus grand capitaine de son siècle. Nul empereur ne fut plus équitable et ne rendit la justice plus impartialement, non pas même Marc-Aurèle. Nul philosophe ne fut plus sobre et plus continent. Il régnait donc par les lois, par la valeur, et par l’exemple. Si sa carrière eût été plus longue, il est à présumer que l’empire eût moins chancelé après sa mort.

Deux fléaux détruisirent enfin ce grand colosse : les barbares, et les disputes de religion.

Quant aux barbares, il est aussi difficile de se faire une idée nette de leurs incursions que de leur origine. Procope, Jornandès, nous ont débité des fables que tous nos auteurs copient. Mais le moyen de croire que les Huns, venus du nord de la Chine, aient passé les Palus-Méotides à gué et à la suite d’une biche, et qu’ils aient chassé devant eux, comme des troupeaux de moutons, des nations belliqueuses qui habitaient les pays aujourd’hui nommés la Crimée, une partie de la Pologne, l’Ukraine, la Moldavie, la Valachie ? Ces peuples robustes et guerriers, tels qu’ils le sont encore aujourd’hui, étaient connus des Romains sous le nom général de Goths. Comment ces Goths s’enfuirent-ils sur les bords du Danube, dès qu’ils virent paraître les Huns ? Gomment demandèrent-ils à mains jointes que les Romains daignassent les recevoir ? et comment, dès qu’ils furent passés, ravagèrent-ils tout jusqu’aux portes de Constantinople à main armée ?

Tout cela ressemble à des contes d’Hérodote, et à d’autres contes non moins vantés. Il est bien plus vraisemblable que tous ces peuples coururent au pillage les uns après les autres. Les Romains avaient volé les nations ; les Goths et les Huns vinrent voler les Romains.
Mais pourquoi les Romains ne les exterminèrent-ils pas, comme Marius avait exterminé les Cimbres ? c’est qu’il ne se trouvait point de Marius ; c’est que les mœurs étaient changées ; c’est que l’empire était partagé entre les ariens et les athanasiens. On ne s’occupait que de deux objets, les courses du cirque et les trois hypostases. L’empire romain avait alors plus de moines que de soldats, et ces moines couraient en troupes de ville en ville pour soutenir ou pour détruire la consubstantialité du Verbe. Il y en avait soixante et dix mille en Égypte.

Le christianisme ouvrait le ciel, mais il perdait l’empire : car non seulement les sectes nées dans son sein se combattaient avec le délire des querelles théologiques, mais toutes combattaient encore l’ancienne religion de l’empire ; religion fausse, religion ridicule sans doute, mais sous laquelle Rome avait marché de victoire en victoire pendant dix siècles.

Les descendants des Scipion étant devenus des controversistes, les évêchés étant plus brigués que ne l’avaient été les couronnes triomphales, la considération personnelle ayant passé des Hortensius et des Cicéron aux Cyrille, aux Grégoire, aux Ambroise, tout fut perdu ; et si l’on doit s’étonner de quelque chose, c’est que l’empire romain ait subsisté encore un peu de temps.

Théodose, qu’on appelle le grand Théodose, paya un tribut au superbe Alaric, sous le nom de pension du trésor impérial. Alaric mit Rome à contribution la première fois qu’il parut devant les murs, et la seconde il la mit au pillage. Tel était alors l’avilissement de l’empire de Rome que ce Goth dédaigna d’être roi de Rome, tandis que le misérable empereur d’Occident, Honorius, tremblait dans Ravenne, où il s’était réfugié.

Alaric se donna le plaisir de créer dans Rome un empereur nommé Attale, qui venait recevoir ses ordres dans son antichambre. L’histoire nous a conservé deux anecdotes concernant Honorius, qui montrent bien tout l’excès de la turpitude de ces temps : la première, qu’une des causes du mépris où Honorius était tombé, c’est qu’il était impuissant ; la seconde, c’est qu’on proposa à cet Attale, empereur, valet d’Alaric, de châtrer Honorius pour rendre son ignominie plus complète.

Après Alaric vint Attila, qui ravageait tout, de la Chine jusqu’à la Gaule. Il était si grand, et les empereurs Théodose et Valentinien III si petits, que la princesse Honoria, sœur de Valentinien III, lui proposa de l’épouser. Elle lui envoya son anneau pour gage de sa foi ; mais avant qu’elle eût réponse d’Attila, elle était déjà grosse de la façon d’un de ses domestiques.

Lorsque Attila eut détruit la ville d’Aquilée, Léon, évêque de Rome, vint mettre à ses pieds tout l’or qu’il avait pu recueillir des Romains pour racheter du pillage les environs de cette ville dans laquelle l’empereur Valentinien III était caché. L’accord étant conclu, les moines ne manquèrent pas d’écrire que le pape Léon avait fait trembler Attila ; qu’il était venu à ce Hun avec un air et un ton de maître ; qu’il était accompagné de saint Pierre et de saint Paul, armés tous deux d’épées flamboyantes, qui étaient visiblement les deux glaives de l’Église de Rome.

Cette manière d’écrire l’histoire a duré, chez les chrétiens, jusqu’au seizième siècle sans interruption.

Bientôt après, des déluges de barbares inondèrent de tous côtés ce qui était échappé aux mains d’Attila.

Que faisaient cependant les empereurs ? ils assemblaient des conciles. C’était tantôt pour l’ancienne querelle des partisans d’Athanase, tantôt pour les donatistes ; et ces disputes agitaient l’Afrique quand le Vandale Genseric la subjugua. C’était d’ailleurs pour les arguments de Nestorius et de Cyrille, pour les subtilités d’Eutychès ; et la plupart des articles de foi se décidaient quelquefois à grands coups de bâton, comme il arriva sous Théodose II, dans un concile convoqué par lui à Éphèse, concile qu’on appelle encore aujourd’hui le brigandage. Enfin, pour bien connaître l’esprit de ce malheureux temps, souvenons-nous qu’un moine ayant été rebuté un jour par Théodose II, qu’il importunait, le moine excommunia l’empereur ; et que ce César fut obligé de se faire relever de l’excommunication par le patriarche de Constantinople.

Pendant ces troubles mêmes, les Francs envahissaient la Gaule ; les Visigoths s’emparaient de l’Espagne ; les Ostrogoths, sous Théodose, dominaient en Italie, bientôt après chassés par les Lombards. L’empire romain, du temps de Clovis, n’existait plus que dans la Grèce, l’Asie Mineure et dans l’Égypte ; tout le reste était la proie des barbares. Scythes, Vandales et Francs, se firent chrétiens pour mieux gouverner les provinces chrétiennes assujetties par eux ; car il ne faut pas croire que ces barbares fussent sans politique ; ils en avaient beaucoup, et en ce point tous les hommes sont à peu près égaux. L’intérêt rendit donc chrétiens ces déprédateurs ; mais ils n’en furent que plus inhumains. Le jésuite Daniel, historien français, qui déguise tant de choses, n’ose dissimuler que Clovis fut beaucoup plus sanguinaire, et se souilla de plus grands crimes après son baptême que tandis qu’il était païen. Et ces crimes n’étaient pas de ces forfaits héroïques qui éblouissent l’imbécillité humaine : c’étaient des vols et des parricides. Il suborna un prince de Cologne qui assassina son père ; après quoi il fit massacrer le fils ; il tua un roitelet de Cambrai qui lui montrait ses trésors. Un citoyen moins coupable eût été traîné au supplice, et Clovis fonda une monarchie.

Suite de la décadence de l’ancienne Rome

Quand les Goths s’emparèrent de Rome après les Hérules ; quand le célèbre Théodoric, non moins puissant que le fut depuis Charlemagne, eut établi le siège de son empire à Ravenne, au commencement de notre sixième siècle, sans prendre le titre d’empereur d’Occident qu’il eût pu s’arroger, il exerça sur les Romains précisément la même autorité que les Césars ; conservant le sénat, laissant subsister la liberté de religion, soumettant également aux lois civiles, orthodoxes, ariens et idolâtres ; jugeant les Goths par les lois gothiques, et les Romains par les lois romaines ; présidant par ses commissaires aux élections des évêques ; défendant la simonie, apaisant les schismes. Deux papes se disputaient la chaire épiscopale ; il nomma le pape Symmaque, et ce pape Symmaque étant accusé, il le fit juger par ses Missi dominici.

Athalaric, son petit-fils, régla les élections des papes et de tous les autres métropolitains de ses royaumes, par un édit qui fut observé ; édit rédigé par Cassiodore, son ministre, qui depuis se retira au Mont-Cassin, et embrassa la règle de saint Benoît ; édit auquel le pape Jean II se soumit sans difficulté.

Quand Bélisaire vint en Italie, et qu’il la remit sous le pouvoir impérial, on sait qu’il exila le pape Sylvère, et qu’en cela il ne passa point les bornes de son autorité, s’il passa celles de la justice. Bélisaire, et ensuite Narsès, ayant arraché Rome au joug des Goths, d’autres barbares, Gépides, Francs, Germains, inondèrent l’Italie. Tout l’empire occidental était dévasté et déchiré par des sauvages. Les Lombards établirent leur domination dans toute l’Italie citérieure. Alboin, fondateur de cette nouvelle dynastie, n’était qu’un brigand barbare ; mais bientôt les vainqueurs adoptèrent les mœurs, la politesse, la religion des vaincus. C’est ce qui n’était pas arrivé aux premiers Francs, aux Bourguignons, qui portèrent dans les Gaules leur langage grossier, et leurs mœurs encore plus agrestes. La nation lombarde était d’abord composée de païens et d’ariens. Leur roi Rotharic publia, vers l’an 640, un édit qui donna la liberté de professer toutes sortes de religions ; de sorte qu’il y avait dans presque toutes les villes d’Italie un évêque catholique et un évêque arien, qui laissaient vivre paisiblement les peuples nommés idolâtres, répandus encore dans les villages.

Le royaume de Lombardie s’étendit depuis le Piémont jusqu’à Brindes et à la terre d’Otrante ; il renfermait Bénévent, Bari, Tarente ; mais il n’eut ni la Pouille, ni Rome, ni Ravenne : ces pays demeurèrent annexés au faible empire d’Orient. L’Église romaine avait donc repassé de la domination des Goths à celle des Grecs. Un exarque gouvernait Rome au nom de l’empereur ; mais il ne résidait point dans cette ville, presque abandonnée à elle-même. Son séjour était à Ravenne, d’où il envoyait ses ordres au duc ou préfet de Rome, et aux sénateurs, qu’on appelait encore Pères conscripts. L’apparence du gouvernement municipal subsistait toujours dans cette ancienne capitale si déchue, et les sentiments républicains n’y furent jamais éteints. Ils se soutenaient par l’exemple de Venise, république fondée d’abord par la crainte et par la misère, et bientôt élevée par le commerce et par le courage. Venise était déjà si puissante qu’elle rétablit au huitième siècle l’exarque Scolastique, qui avait été chassé de Ravenne.

Quelle était donc aux septième et huitième siècles la situation de Rome ? celle d’une ville malheureuse, mal défendue par les exarques, continuellement menacée par Lombards, et reconnaissant toujours les empereurs pour maîtres. Le crédit des papes augmentait dans la désolation de la ville. Ils en étaient souvent les consolateurs et les pères ; mais toujours sujets, ils ne pouvaient être consacrés qu’avec la permission expresse de l’exarque. Les formules par lesquelles cette permission était demandée et accordée subsistent encore . Le clergé romain écrivait au métropolitain de Ravenne, et demandait la protection de sa béatitude auprès du gouverneur ; ensuite le pape envoyait à ce métropolitain sa profession de foi.

Le roi lombard Astolfe s’empara enfin de tout l’exarchat de Ravenne, en 751, et mit fin à cette Vice-royauté impériale qui avait duré cent quatre-vingt-trois ans.

Comme le duché de Rome dépendait de l’exarchat de Ravenne, Astolfe prétendit avoir Rome par le droit de sa conquête. Le pape Étienne II, seul défenseur des malheureux Romains, envoya demander du secours à l’empereur Constantin, surnommé Copronyme. Ce misérable empereur envoya pour tout secours un officier du palais, avec une lettre pour le roi lombard. C’est cette faiblesse des empereurs grecs qui fut l’origine du nouvel empire d’Occident et de la grandeur pontificale.

Vous ne voyez avant ce temps aucun évêque qui ait aspiré à la moindre autorité temporelle, au moindre territoire. Comment l’auraient-ils osé ? leur législateur fut un pauvre qui catéchisa des pauvres. Les successeurs de ces premiers chrétiens furent pauvres.

Le clergé ne fit un corps que sous Constantin Ier ; mais cet empereur ne souffrit pas qu’un évêque fût propriétaire d’un seul village. Ce ne peut être que dans des temps d’anarchie que les papes aient obtenu quelques seigneuries. Ces domaines furent d’abord médiocres. Tout s’agrandit, et tout tombe avec le temps.

Lorsqu’on passe de l’histoire de l’empire romain à celle des peuples qui l’ont déchiré dans l’Occident, on ressemble à un voyageur qui, au sortir d’une ville superbe, se trouve dans des déserts couverts de ronces. Vingt jargons barbares succèdent à cette belle langue latine qu’on parlait du fond de l’Illyrie au mont Atlas. Au lieu de ces sages lois qui gouvernaient la moitié de notre hémisphère, on ne trouve plus que des coutumes sauvages. Les cirques, les amphithéâtres élevés dans toutes les provinces sont changés en masures couvertes de paille. Ces grands chemins si beaux, si solides, établis du pied du Capitole jusqu’au mont Taurus, sont couverts d’eaux croupissantes. La même révolution se fait dans les esprits ; et Grégoire de Tours, le moine de Saint-Gall, Frédegaire, sont nos Polybe et nos Tite-Live. L’entendement humain s’abrutit dans les superstitions les plus lâches et les plus insensées. Ces superstitions sont portées au point que des moines deviennent seigneurs et princes ; ils ont des esclaves, et ces esclaves n’osent pas même se plaindre. L’Europe entière croupit dans cet avilissement jusqu’au seizième siècle, et n’en sort que par des convulsions terribles.

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