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Que penser des intellectuels staliniens ?

mercredi 4 mars 2015, par Robert Paris

Marx expliquait que la révolution communiste était l’alliance du mouvement des masses et des idées révolutionnaires. Aux antipodes de Marx, le stalinisme, lui, est l’alliance de la bureaucratie contre-révolutionnaire et de l’opportunisme du plumitif arriviste.

Le stalinien Aragon recevant le prix Staline, ironiquement appelé "le prix Lénine pour la paix" (ça fait mieux ?)...

Louis Aragon, surtout inventeur d’un monde stalinien tout beau, tout doux et parfaitement imaginaire...

Romain Rolland et Staline

Picasso, Romain Rolland et Thorez

Picasso et Staline

Cachin, Aragon, Thorez, Eluard et Picasso

Yves Montand et Simone Signoret font à la demande du PCF (au travers du mouvement de la paix) le film "Ça ne peut plus durer"

Le Mouvement de la Paix permettait aux intellectuels de couvrir leur soutien de l’URSS infernale de Staline d’un voile de buts humanitaires

Les intellectuels reçus en URSS voient un pays de rêve avec de petites pionnières comme ambassadrices de charme

Les Lettres françaises (ou lettres dirigées et financées par le Kremlin)

Jean-Paul Sartre dans "L’Humanité" du 14 juillet 1954 : « La liberté de critique est totale en URSS. » Et aussi … « Et le citoyen soviétique améliore sans cesse sa condition au sein d’une société en progression continuelle. » Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour exister quand on est existentialiste ?

Quand les Badiou, Kessler, Sollers, Benny Lévy et autres Glucksmann encensaient, avec le maoïsme et la "révolution culturelle", les khmers rouges (de sang) !

Les staliniens ont oublié que, pour Marx, "Les travailleurs n’ont pas de patrie" !

Après l’impérialisme allemand, c’est l’impérialisme français qui présenté comme facteur de paix !

L’Humanité embrasse son impérialisme mais le plumitif stalinien Georges Soria appelle au meurtre des militants trotskystes dans ’L’Humanité" :

L’ennemi n’est pas la bourgeoisie pour les staliniens, ni même l’impérialisme, encore moins le fascisme, mais seulement le trotskysme révolutionnaire car il démasque le faux communisme stalinien et la bureaucratie contre-révolutionnaire du Kremlin !

Les intellectuels qui se sont rangés du côté du stalinisme ont choisi un parti de l’ordre pas un parti de la révolution, ne l’oublions pas !!!

(L’Humanité de juin 1936 : l’ordre contre la poursuite de la révolution prolétarienne)

Et l’ordre nécessite d’éliminer les militants trotskistes comme ici :

Voir ici ce que signifiait le document précédent

Ici encore les staliniens pourchassent les militants trotskistes

Là encore

Ou encore ici

Il convient de ne pas oublier qu’aucun stalinien, même après avoir abandonné le PCF et la bureaucratie russe, y compris pour embrasser la bourgeoisie ou le fascisme, n’abandonne jamais la haine du trotskisme

« La gauche intellectuelle française a été la plus stalinienne du monde et même l’une des très rares gauches intellectuelles numériquement importantes à être staliniennes, phénomène que le provincialisme triomphant de la plupart des intellectuels français tend à faire oublier. »

Gérard Chaliand, Le Monde Diplomatique

« Au sortir de la guerre, 25% des élèves des Ecoles normales supérieures (ndlr : les « fabriques » de professeurs) sont membres du PCF ou des jeunesses communistes », relèvent Lidsky et Goulemot.

« La France doit à Staline son existence de nation. »

Louis Aragon, Les Lettres françaises, 12 mars 1953

Je chante le Guépéou qui se forme

En France à l’heure qu’il est

Je chante le Guépéou nécessaire de France


Louis Aragon, Prélude au temps des cerises

« L’éclat des fusillades ajoute au paysage

une gaîté jusqu’alors inconnue

Ce sont des ingénieurs des médecins qu’on exécute

Mort à ceux qui mettent en danger les conquêtes d’Octobre

Mort aux saboteurs du Plan Quinquennal [...]

Les yeux bleus de la Révolution

brillent d’une cruauté nécessaire

SSSR SSSR SSSR SSSR [...]

J’appelle la Terreur du fond de mes poumons [...]

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste [...]

Vive le Guépéou contre le pape et les poux [...] »

Louis Aragon, « Front rouge »

Staline dans le coeur des hommes

Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris

Brûlant d’un feu sanguin dans la vigne des hommes

Staline récompense les meilleurs des hommes

Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir

Car travailler pour vivre est agir sur la vie

Car la vie et les hommes ont élu Staline

Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes.

Et Staline pour nous est présent pour demain

Et Staline dissipe aujourd’hui le malheur

La confiance est le fruit de son cerveau d’amour

La grappe raisonnable tant elle est parfaite

Paul Eluard, Ode à Staline (1950)

« A la vérité, écrivait-il, il n’y a pas de puissance au monde qui puisse faire oublier la science et la raison, sauvegardées et protégées par l’Union soviétique, qui crée la civilisation exempte de barbarie, la civilisation socialiste. »

Georges Politzer, mars 1941

Ils ont eu des déclarations aussi à l’emporte-pièce et ridicules que franchement réactionnaires. Louis Aragon avait écrit son « Hourra l’Oural » et un poème « Vive le Guépéou » en 1931 à la gloire du Guépéou. Jean-Paul Sartre, adorateur des faux Soviets, avec son aussi stupide que célèbre maxime :

« Tout anti-communiste est un chien ! ».

Et la liste est loin d’être close…

« Je ne vois pas que Staline ait suivi d’autre politique ». écrivait Jean-Paul Sartre commentant l’article de Lénine « Mieux vaut moins mais mieux », pourtant un article justement contre la bureaucratie

Du marxisme, ils ne connaissaient pas grand-chose. Même Aragon n’avait pas coupé les pages de son livre du Capital…

On peut voir comment Sartre comprenait la dialectique marxiste en lisant « Critique de la Raison dialectique »

Comment ces intellectuels ont été chargés de créer leur part du mythe de Staline

Henri Barbusse, « Staline »

Fernand Grenier, « Au pas de Staline »

Un film du PCF en hommage à Staline

Quand Staline empuantissait la poésie

Qui est Sartre ?

Un exemple, Georges Cogniot

Quelques citations significatives d’Aragon

« Staline » de Jean-Richard Bloch

Quand le PCF instrumentalise le soutien de grands savants comme Langevin et Joliot-Curie

Quand Pierre Juquin vantait la liberté d’expression en URSS (vidéo)

Que penser des intellectuels staliniens ?

Trotsky écrit :

« Nous ne parlerons pas des Aragon, des Ehrenbourg et autres petits bourgeois ; nous n’allons pas qualifier les messieurs qui, avec le même enthousiasme écrivent la biographie de Jésus-Christ et celle de Joseph Staline (ceux-là, leur mort même ne les a pas amnistiés). Nous passons sur le triste, pour ne pas dire honteux déclin de Romain Rolland. » « Les oeuvres des "amis de l’U.R.S.S" se classent en trois grandes catégories. Le journalisme des dilettantes, le genre descriptif, le reportage "de gauche" — plus ou moins — fournissent le plus grand nombre de livres et d’articles. A côté se rangent, quoique avec de plus hautes prétentions, les couvres du "communisme" humanitaire, lyrique et pacifiste. La troisième place est occupée par les schématisations économiques, dans l’esprit vieil-allemand du socialisme universitaire. Louis Fisher et Duranty sont suffisamment connus comme les représentants du premier type d’auteurs. Feu Barbusse et Romain Rolland représentent le mieux la catégorie des "amis humanitaires" : ce n’est certes pas sans raison qu’avant de venir à Staline l’un écrivit une Vie de Jésus et l’autre une biographie de Gandhi. Enfin, le socialisme conservateur et pédant a trouvé dans l’infatigable couple fabien des Webb ses représentants les plus autorisés. »

Et aussi :

« Des orateurs qui ne savent pas, en commençant leur première phrase, ce qu’ils diront dans la seconde ; d’habiles bureaucrates du journalisme qui ignorent l’évolution des événements ; des " chefs " qui ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs propres actions ; des individualistes qui, sous le drapeau de l’autonomie de tout ce qu’on voudra : province, ville, syndicat, organisation, journal – défendent invariablement leur propre individualisme petit-bourgeois contre le contrôle, la responsabilité et la discipline ; des syndicalistes qui non seulement ne sentent pas le besoin, mais même craignent de dire ce qui est, d’appeler une erreur par son nom, d’exiger d’eux-mêmes et des autres une réponse précise à une question et qui masquent leur impuissance sous les formes habituelles du ritualisme révolutionnaire ; des poètes magnanimes, qui veulent déverser sur la classe ouvrière les réserves de leur magnanimité et de leur confusion mentale ; des saltimbanques, des improvisateurs, qui sont trop paresseux pour penser et qui s’offensent qu’il y ait des gens ayant l’habitude et la capacité de penser ; des bavards, des faiseurs de calembours, dénués d’idées, des oracles de clocher ; de petits curés, révolutionnaires d’église, se combattant mutuellement – voilà le terrible poison du mouvement ouvrier français, voilà la menace, voilà le danger ! »

Les compagnons de route qui cautionnent le stalinisme ne sont pas nécessairement adhérents du parti. Ce n’est pas la meilleure caution. Des écrivains ou artistes indépendants peuvent mieux crédibiliser parfois le camp de la bureaucratie du Kremlin, la faire passer pour antifasciste, pour défenseur de la paix, pour le camp du progrès…

Ce sont les amis de l’URSS… Ils n’ont rien compris à la révolution prolétarienne de 1917 et l’ont rarement soutenu à l’époque. Ils croient comprendre l’étatisme socialiste de Staline et le respectent.

Trotsky écrit sur les « amis de l’URSS » dans « La révolution trahie » :

« Pour bien des petits bourgeois ne disposant ni d’une plume ni d’un pinceau, l’"amitié" officiellement scellée avec l’U.R.S.S. témoigne en quelque sorte qu’ils partagent des intérêts moraux supérieurs... L’adhésion à la franc-maçonnerie ou aux clubs pacifistes est assez analogue à l’affiliation aux sociétés d’Amis de l’U.R.S.S., car elle permet elle aussi de mener à la fois deux existences : l’une banale, dans le cercle des intérêts quotidiens, l’autre plus élevée. Les "amis" visitent de temps à autre Moscou. Ils prennent note des tracteurs, des crèches, des parades, des pionniers, des parachutistes, de tout, en un mot, sauf de l’existence d’une nouvelle aristocratie. Les meilleurs d’entre eux ferment les yeux par aversion pour la société capitaliste. André Gide l’avoue avec franchise : "C’est aussi, c’est beaucoup la bêtise et la malhonnêteté des attaques contre l’U.R.S.S. qui font qu’aujourd’hui nous mettons quelque obstination à la défendre." La bêtise et la malhonnêteté des adversaires ne sauraient pourtant justifier notre propre aveuglement. Les masses, en tout cas, ont besoin d’amis qui voient clair.

La sympathie de la plupart des bourgeois radicaux et radicaux-socialistes pour les dirigeants de l’U.R.S.S. a des causes non dénuées d’importance. En dépit de différences de programmes, les tenants d’un "progrès" acquis ou facile à réaliser prédominent parmi les politiciens de métier. Il y a beaucoup plus de réformistes que de révolutionnaires sur la planète. Beaucoup plus d’adaptés que d’irréductibles. Il faut des époques exceptionnelles de l’histoire pour que les révolutionnaires sortent de leur isolement et que les réformistes fassent figure de poissons tirés hors de l’eau.

Il n’y a pas dans la bureaucratie soviétique actuelle un seul homme qui n’ait considéré en avril 1917, et même sensiblement plus tard, l’idée de la dictature du prolétariat en Russie comme fantaisiste (cette fantaisie était alors qualifiée... "trotskysme"). Les "amis" étrangers de l’U.R.S.S. appartenant à la génération des aînés ont, des dizaines d’années durant, considéré comme des politiques "réalistes" des mencheviks russes, partisans du "front populaire" avec les libéraux et qui repoussaient la dictature comme une évidente folie. Autre chose est de reconnaître la dictature du prolétariat quand elle est réalisée et même défigurée par la bureaucratie ; ici, les "amis" sont justement à la hauteur des circonstances. Ils ne se bornent plus à rendre justice à l’Etat soviétique, ils prétendent le défendre contre ses ennemis ; moins, il est vrai, contre ceux qui le tirent en arrière que contre ceux qui lui préparent un avenir. Ces "amis" sont-ils des patriotes actifs, comme les réformistes anglais, français, belges et autres ? Il leur est alors commode de justifier leur alliance avec la bourgeoisie en invoquant la défense de l’U.R.S.S. Sont-ils au contraire des défaitistes malgré eux, comme les social-patriotes allemands et autrichiens d’hier ? Ils espèrent, en ce cas, que la coalition de la France et de l’U.R.S.S. les aidera à venir à bout des Hitler et des Schuschnig. Léon Blum, qui fut l’adversaire du bolchevisme de la période héroïque et ouvrît les pages du Populaire aux campagnes contre l’U.R.S.S., n’imprime plus une ligne sur les crimes de la bureaucratie soviétique. De même que le Moïse de la Bible, dévoré du désir de voir la face divine, ne put que se prosterner devant le postérieur de la divine anatomie, les réformistes, idolâtres du fait accompli, ne sont capables de connaître et de reconnaître que l’épais arrière-train bureaucratique de la révolution.

Les chefs communistes d’à présent appartiennent en réalité au même type d’hommes. Après bien des pirouettes et des acrobaties, ils ont tout à coup découvert les avantages de l’opportunisme et s’y sont convertis avec la fraîcheur de l’ignorance qui les caractérisa en tout temps. Leur servilité, pas toujours désintéressée, en présence des dirigeants du Kremlin suffirait à les rendre absolument incapables d’initiative révolutionnaire. Aux arguments de la critique, ils ne répondent que par des aboiements et des mugissements ; sous le fouet du maître, en revanche, on les voit donner des signes de satisfaction. Ces peu attrayantes gens qui, au premier danger, se disperseront vers tous les horizons, nous tiennent pour de "fieffés contre-révolutionnaires". Qu’y faire ? L’histoire ne se passe pas de farces, malgré sa sévérité.

Les plus clairvoyants des "amis" consentent à admettre, tout au moins dans le tête-à-tête, qu’il y a des taches sur le soleil soviétique, mais, substituant à la dialectique une analyse fataliste, ils se consolent en disant qu’une certaine dégénérescence bureaucratique était inévitable. Soit ! La résistance au mal ne l’est pas moins. La nécessité a deux bouts : celui de la réaction et celui du progrès. L’histoire nous apprend que les hommes et les partis qui la sollicitent en des sens contraires finissent par se trouver des deux côtés de la barricade.

Le denier argument des "amis", c’est que les réactionnaires s’emparent des critiques adressées au régime soviétique. C’est indéniable. Ils tenteront même, vraisemblablement, de mettre cet ouvrage à profit. En fut-il jamais autrement ? Le Manifeste communiste rappelait dédaigneusement que la réaction féodale tenta d’exploiter contre le libéralisme la critique socialiste. Le socialisme révolutionnaire n’en a pas moins fait son chemin. Nous ferons le nôtre. La presse communiste en arrive sans doute à dire que notre critique prépare... l’intervention armée contre l’U.R.S.S.! Il faudrait évidemment entendre par là que les gouvernements capitalistes, apprenant grâce à nos travaux ce qu’est devenue la bureaucratie soviétique, vont sans désemparer la châtier pour avoir foulé aux pieds les principes d’Octobre ? Les polémistes de la IIIe Internationale ne manient pas l’épée mais la trique, ou des armes encore moins acérées. La vérité est que la critique marxiste, appelant les choses par leur nom, ne peut qu’affermir le crédit conservateur de la diplomatie soviétique aux yeux de la bourgeoisie.

Il en est autrement en ce qui concerne la classe ouvrière et les partisans sincères qu’elle compte parmi les intellectuels. Ici, notre travail peut en effet faire naître des doutes et susciter la défiance, non envers la révolution, mais envers ceux qui l’étranglent. Et tel est bien le but que nous nous sommes proposé. Car c’est la vérité, et non le mensonge, qui est le moteur du progrès. »

Depuis les années trente, celles de la défaite du camp révolutionnaire en Russie et du triomphe de la bureaucratie, de nombreux intellectuels ont été embarqués dans la galère de la tromperie stalinienne et ce n’était pas une petite dérive. Ils ont cru ainsi flirter avec la révolution russe et l’anti-impérialisme et ils sont tombés sans le savoir chez les pires ennemis de la révolution et du prolétariat. Ils n’ont en rien influencé le courant stalinien qui se moque des idées et de la pensée. Ils ont juste servi de faire valoir.

Usurpatrice du pouvoir ouvrier issu de la révolution d’Octobre, la bureaucratie stalinienne ne craignait rien tant que les risques révolutionnaires internationaux qui pouvaient revivifier le prolétariat russe et les renvoyer du pouvoir qu’ils n’avaient pu voler que du fait de la démoralisation des soviets des travailleurs de Russie, isolés, épuisés, persuadés d’être abandonnés aux attaques des impérialistes mondiaux par le prolétariat international trahi par la social-démocratie et les syndicats ouvriers réformistes. Du coup, dans le monde entier, il n’y avait pas pire ennemi des révolutionnaires et du communisme que la bureaucratie russe au moment même où ceux qui ne comprenaient pas ce qui se passait en Russie croyaient que les chefs de cette bureaucratie étaient les plus communistes révolutionnaires du monde. Et les intellectuels étaient une couche petite bourgeoise prête à s’enthousiasmer pour le « socialisme réel » qui triomphait alors et qui était parvenu à battre militairement le fascisme allemand, oubliant qu’il avait d’abord pactisé avec celui-ci et qu’il imposait aussi un fascisme au prolétariat russe (l’interdiction de toute forme d’organisation indépendante même élémentaire).

La crise capitaliste de 1929, l’apparent développement du « socialisme réel », les menaces du fascisme puis l’alliance URSS-impérialisme anglo-américain ont été les raisons d’une attirance des intellectuels pour le stalinisme, blanchi par les bourgeoisies occidentales. Cela a permis à ces intellectuels de penser qu’ils choisissaient un camp progressiste, de gauche, antifasciste, ouvrier, socialiste, pacifique et autres mensonges…. Ne pas soutenir les pays socialistes, c’était être inféodé à l’impérialisme américain et à la bourgeoisie française quand ce n’est pas au fascisme (voir la thèse de l’hitléro-trotskysme pour cacher l’alliance passée de Hitler et Staline et le fascisme réel du stalinisme en URSS).

De la croyance dans le prétendu « antifascisme » à celle dans l’amitié pour la bureaucratie du Kremlin

Jacques Derrida, ex-stalinien, écrira :

« A tort ou à raison, par conviction politique, mais probablement aussi par intimidation, je me suis toujours abstenu de critiquer le marxisme de front » : « Il y avait une telle guerre, tellement de manœuvres d’intimidation, une telle lutte pour l’hégémonie », que le spectre de la trahison hantait institutions et controverses. Dans ce climat quelque peu terroriste, « je me sentais intimidé, je n’étais pas à l’aise » : « J’étais anti-stalinien. J’avais déjà une image du Parti communiste et de l’Union soviétique incompatible avec la gauche démocratique à laquelle j’ai toujours voulu demeurer fidèle. Mais je ne voulais pas exprimer des objections politiques qui auraient pu être confondues avec quelque réticence conservatrice. »

Après cela, il ne s’est plus gêné pour « critiquer le marxisme de front » !

Althusser

D’autres se sont accrochés au stalinisme. En 1973 ( !), Althusser en était encore à écrire :

« Staline ne peut, pour des raisons évidentes et fortes, être réduit à la déviation que nous lions à son nom… Il a eu d’autres mérites devant l’histoire. Il a compris qu’il fallait renoncer au miracle imminent de la révolution mondiale et donc entreprendre de construire le socialisme dans un seul pays, et il en a tiré toutes les conséquences : le défendre à tout prix comme la base et l’arrière de tout socialisme dans le monde, en faire sous le siège de l’impérialisme, une forteresse inexpugnable et à cette fin le doter en priorité d’une industrie lourde dont sont sortis les chars de Stalingrad qui ont servi l’héroïsme du peuple soviétique dans une lutte à mort pour libérer le monde du nazisme. Notre histoire passe aussi par là. Et à travers les caricatures et les tragédies même de cette histoire, des millions de communistes ont appris, même si Staline les enseignait comme des dogmes, qu’il existait des principes du léninisme. »

En 1976 encore, Althusser avait salué le XXe congrès comme « un événement décisif, comme un tournant capital dans l’histoire du Parti communiste et du mouvement ouvrier français ».

Certains diront : « cela ne fait rien, Althusser n’en est pas moins un grand dialecticien et a laissé une œuvre énorme. »

Eh, eh ! Peut-on être un grand dialecticien quand on a un maître en tout qui s’appelle Staline ?!!!

Un exemple ? La négation de la négation hégélienne puis marxiste.

Althusser, suivant Staline, croit que cette malheureuse « négation de la négation » n’a cessé de faire des ravages, même si Lénine s’en est revendiqué, après Marx et Engels :

« La même influence hégélienne se fait jour dans 1’imprudente formule du chapitre XXXII de la section VIII du livre I, où Marx, parlant de ‘l’expropriation des expropriateurs’, déclare : “C’est la négation de la négation”. Imprudente : car elle n’a cessé de faire des ravages, bien que Staline ait eu pour son compte, raison de supprimer ‘la négation de la négation’ des lois de la dialectique. »

« Staline est le plus grand scientifique du siècle. »

« Ce qu’a dit Lénine maintes et maintes fois, Staline l’a résumé dans des termes particulièrement clairs dans des discours d’avril 1924. »
Althusser, dans « Contradiction et surdétermination », 1962

Althusser, comme bien d’autres, n’aura quitté le stalinisme de Staline et de la bureaucratie russe que pour adorer le stalinisme de Mao, appelé maoïsme, et la « révolution culturelle »… avant de tomber dans la folie.

Althusser, « Sur la révolution culturelle »

Comment on fabrique un intellectuel stalinien ou pro-stalinien

« On ne savait pas », diront plus tard les adorateurs du totalitarisme staliniste.

C’est faux. Aragon, par exemple, a connu sur place à Moscou l’arrestation, la longue torture et l’exécution de son « beau-frère » Primakov (1936-1937) ; Aragon et Elsa quittent l’URSS le 1er septembre 1936, accablés par ces événements incompréhensibles et en se promettant de ne plus y retourner… Cela ne l’empêchera pas de continuer à défendre le stalinisme et il retournera à Mocou après la guerre…

« C’était de la poésie », comme dira l’écrivain Philippe Sollers à propos de sa période maoïste.

Belle poésie que les massacres maoïstes et khmers rouges… sang…

Ils ne savaient pas ? C’est oublier que d’autres écrivaient et notamment Trotsky, que les camps staliniens avaient été décrits depuis longtemps pour celui qui voulait savoir comme le démontre l’attitude de Gide. On pouvait trouver le témoignage de Victor Serge, de Trotsky, des oppositionnels trotskystes russes, Panaït Istrati puis David Rousset. On pouvait réfléchir sur les procès de Moscou, etc…

Ils ne voulaient pas savoir… L’aveuglement politique a des racines sociales profondes…

Une fois que leurs illusions sont tombées, les « amis de l’URSS » et autre intellectuels staliniens ne retrouvent jamais le chemin du communisme révolutionnaire, le chemin des capacités révolutionnaires du prolétariat, le chemin du pouvoir aux conseils ouvriers car, comme l’écrira Trotsky, « Leur stalinisme jeté par-dessus bord, les gens de cette sorte — ils sont nombreux — ne peuvent manquer de chercher dans les arguments de la morale abstraite une compensation pour leur déception ou leur avilissement idéologique. Demandez-leur pourquoi ils ont passé du Komintern et du Guépéou à la bourgeoisie ? Leur réponse est prête : "Le trotskysme ne vaut pas mieux que le stalinisme." » (Trotsky », « Leurs morale et la nôtre »)

Ils prétendent que Trotsky voulait, comme Staline, inféoder la littérature et l’art à son idéologie politique écrasante alors que Trotsky écrivait : « Le combat pour les idées de la révolution en art doit reprendre, en commençant par le combat pour la vérité artistique, non pas comme l’entend telle ou telle école, mais dans le sens de la fidélité inébranlable de l’artiste à son moi intérieur. Sans cela, il n’y a pas d’art. " Ne mens pas ! ", c’est la formule du salut. »

Dans les conditions des procès de Moscou, des camps d’extermination des révolutionnaires bolcheviks, puis après l’alliance Staline-Hitler, les massacres des Juifs de Pologne de l’Est symétriques de ceux de l’Ouest par Hitler, l’allaince avec l’impérialisme anglo-américain contre les peuples et notamment les peuples coloniaux, choisir d’adhérer au parti communiste français était un véritable choix ! Le Parti Communiste Français a été stalinien et même les dirigeants français fiers d’être les meilleurs staliniens du monde !

En 1949, Jacques Duclos prononce la conférence intitulée « Être stalinien », et déclare « Les peuples saluent en Staline le géant de la pensée et de l’action, le guide du mouvement ouvrier international, le modèle, l’exemple, le maître de tous les hommes d’avant-garde, de tous les prolétaires qui ont pour objectif la victoire de la liberté, de la paix et du socialisme. Ce que certains considèrent comme un qualificatif qu’ils voudraient outrageant est pour nous un titre de gloire ». En 1953, à la mort de Staline, il déclare devant la conférence nationale du Parti communiste français « Nous nous efforçons, suivant la trace du meilleur stalinien français, Maurice Thorez, d’être dignes, nous aussi, du beau titre de stalinien qui, pour reprendre les termes de Malenkov désigne les « hommes de type nouveau, dans toute la splendeur de leur dignité humaine » »

Le stalinisme a fait beaucoup d’efforts pour faire croire que ses succès organisationnels, le développement d’un vaste courant stalinien dans le monde, provenait du fait qu’il aurait été un courant de pensée communiste successeur de celui de Lénine au sein du mouvement ouvrier et c’était un terrible contresens pour ceux qui l’ont cru. Cette bureaucratie mondiale qui était liée à la bureaucratie russe était le pire adversaire du communisme prolétarien qui ait jamais existé et allait détruire le courant communiste comme aucune bourgeoisie n’aurait jamais été capable de le faire. C’est à elle que l’on doit l’état actuel du courant communiste à nouveau séparé du prolétariat. Elle a réduit en cendres toute envie de politique dans la classe ouvrière, tout désir de construire une autre société sur d’autres bases que la propriété privée des moyens de production. Au point qu’il sera nécessaire d’une nouvelle vague de révolution mondiale pour rebâtir ce courant vivant du communisme prolétarien, cette spontanéité politique ouvrière menant à la construction d’une part des conseils ouvriers et d’autre part de l’internationale ouvrière révolutionnaire.

Ce n’est pas parce que des intellectuels et artistes ont choisi d’adhérer ou de soutenir le stalinisme que ce mouvement aurait représenté un courant intellectuel ou artistique. La police n’a pas de pensée intellectuelle, la bureaucratie non plus. La police n’a pas d’art, la bureaucratie non plus.

Loin d’accompagner la révolution, les intellectuels, qui se sont laissés tromper par le stalinisme et qui l’ont aidé à tromper, ont accompagné la contre-révolution, celle qui provenait de l’isolement de la révolution russe, de la perte du pouvoir par des soviets désertés, de l’affaiblissement et de la démoralisation des prolétaires russes, de l’écrasement de l’opposition révolutionnaire au sein du parti bolchevik contre la bureaucratie montante ! Rien d’étonnant si nombre d’entre eux, une fois leurs yeux partiellement dessillés, sont passés dans le camp d’en face, les uns devenant des historiens anticommunistes comme Courtois et Furet, les autres des penseurs islamistes et négationnistes comme Garaudy, des penseurs catholiques comme Robert Hue ou des dirigeants du MEDEF comme Denis Kessler, des anticommunistes viscéraux comme Serge July ou Alain Finkielkraut, des religieux juifs comme Benny Lévy, des réformistes sociaux-démocrates comme Pierre Juquin. Denis Kessler, ancien maoïste, devenu patron de la réassurance et dirigeant du MEDEF affirme : « La lutte des classes, j’y crois toujours, mais maintenant je suis de l’autre côté de la barrière ! » (L’Express 24/02/2000).

D’autres passent du stalinisme ou du maoïsme au sionisme ou au fascisme islamophobe

Certains ont cependant tenté de revenir du bon côté du cheval comme Alain Badiou mais avec une incapacité de tirer le bilan en reconnaissant que c’était Trotsky qui avait raison, il a cherché sa voie du côté de Mao et de Pol Pot. Il a fini par reconnaître là aussi qu’il s’était égaré une fois de plus, incapable cependant de dire ce qui avait été erroné. Quasi aucun de ces intellectuels stalinien n’a jamais osé remettre en question les diatribes antitrotskyste de son jeune temps stalinien et ce qui allait avec : la croyance dans l’étatisme, dans le nationalisme, dans le productivisme, dans le dirigisme, dans l’organisation unique agissant en lieu et place du prolétariat et tous les autres poncifs politiques et sociaux du stalinisme.

La France a été l’un des pays où les intellectuels ont été le plus prompts à s’enthousiasmer pour les mérites de Staline, de Mao, de Pol Pot, de Castro ou Guevara sans même chercher vraiment à se renseigner sur ce qui se passait dans les pays en question…

On peut citer en France : Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Pierre Morhange, Georges Friedmann, Louis Aragon, Elsa Triolet, Georges Sadoul, Georges Politzer, Louis Althusser, Joliot-Curie, Paul Eluard, Marguerite Duras, Robert Antelme, Laurent Casanova, André Stil, Annie Kriegel, Jean Kanapa, Paul Nizan, Alain Badiou, Charles Bettelheim , Jean Ellenstein, Bernard-Henri Lévy, Jacques Derrida, Dominique Desanti, Pierre Daix, Romain Rolland, Jean Ellenstein, Henri Lefebvre, André Glucksmann, Benny Lévy, Alain Finkielkraut, Michel Foucault, Gérard Streiff, Alain Geismar, Lucien Sève, Serge July, Roger Garaudy, Robert Hue, Louis Althusser, Aimé Césaire, Pierre Juquin, Roland Leroy, Denis Kessler, Michel Simon, Claude Mazauric, Etienne Balibar, Claude Lévi-Strauss et Michel Verret … et bien d’autres…

Le Centre
Culturel et Economique de France-U.R.S.S. cite comme collaborateurs :

MM. Colonel ANTOINE, Louis ARAGON, Camille ARAMBOURG, Eugène AUBEL,
Gabriel AUDISIO, Georges AURIC.
Jean BABY, Jean BADOVICI, François BARRET, Léon BARSACQ, Albert BAYET,
Germain BAZIN, Julien BERTHEAU, George BESSON, Jacques BILLIET, Joseph
BILLIET, Yvon BIZARDEL, Pierre BLANCHARD, Emile BOREL, Jean BRUHAT,
René BRUNET.
Elie CARTAN, Jean CASSOU, Jacques CHAPELON, Jean CHARBON-NEAUX,
Auguste CHEVALIER, André CHOLLEY, Marcel COHEN, Georges CONTENOT,
Robert COURRIER, Mme Eugénie COTTON.
Jean DALSACE, René DAVID, Claude DELVINCOURT, Arnaud DENJOY, Roger
DESORMIERE, Joseph DUBOIS, Mme Gabrielle DUCHENE, Charles DULLIN.
Paul ELUARD, Pierre EMMANUEL.
René FABRE, Lucien FEBVRE, Jacques FEYDER, Maurice FRECHET, FRESNEAU,
Vladimir FROLOV, Mme FROMAGEAU.
André GAVALDA, Pierre GEORGE, Jean GERMAIN, Marcel GIMOND, Roger
CODEMENT, Mlle Thérèse GODIER, GOGUEL, Marc-André GONIN, Georges
GRAMMONT, Pierre GRASSE, Jean GREMILLON, René GROUSSET, Mme GUELIN.
Jacques HADAMARD, André HAUDRICOURT, René HERBST, René HUYGHE,
Georges HUYSMANS.
Jacques IBERT.
Frédéric JOLIOT-CURIE, Renaud de JOUVENEL, Francis JOURDAIN, Louis JUSTIN-BESANÇON, Gaston JULIA.
Alexandre KAMENKA, Charles KOECHLIN, Constantin KURYLENKO.
Emile LABEYRIE, René LABRY, Yves LAPLANCHE, Lucien LEBOURG, Gabriel LE BRAS, Guy LECLERC, Jean LERAY, Mme Jeanne LEVY, Marcel L’HERBIER, Jean LODS, André LURÇAT, Jean LURÇAT.
Claude MAGNAN, Mlle Jacqueline MARCHAND, Franz MASEREEL, Charles MAURAIN, MAURICHEAU-BAUPRE, André MAZON, Elie MERCIER, Léonide MOGUY, Claude MORGAN, Léon MOUSSINAC, Charles MUNCH, Jacques NICOLLE, Joë NORDMANN.
Georges-Dominique OBERTI, André OBEY, ORCEL. Mme S. PACAUD, Jean PAINLEVE, Paul PARAY, Emmanuel PAUL, Joseph PERES,
Jean PERUS, PREVOT, Roger PORTAL, Francis POULENC.
Raymond QUENEAU. Mme RAMART-LUCAS, Pierre RENOIR, Jean ROGER, Jean ROSE
MBERG, Mme
ROUBAKINE, Gilbert ROUGET, Pierre ROUQUES.
Georges SADOUL, Armand SALACROU, SAPIR, SARTORY.
Emile TERSEN, Georges TESSIER, Jacques TREFOUEL. Charles VILDRAC.
Henri WALLON, WAJZER, WEYLER, Jean WYART

Le monde des littéraires, des philosophes et des historiens stalinien est plein de tous les François Furet ou Le Roy Ladurie, Mme Kriegel ou Stéphane Courtois qui ne sont jamais venus à bout de leur travail de deuil du stalinisme, et qui trainent comme un boulet leur mauvaise conscience de staliniens retournés qui les mène souvent à l’anticommunisme ou au démocratisme bourgeois quand ce n’est pas au fascisme comme les staliniens maoïstes André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Bernard Henri Lévy …

Romain Rolland

Léon Trotsky :

ROMAIN ROLLAND REMPLIT SA MISSION

Dans l’Humanité du 23 octobre est reproduite une lettre de M. Romain Rolland, qui a pour tâche de répondre à la critique d’un quelconque pasteur suisse contre l’Union Soviétique. Nous n’aurions pas le moindre intérêt de nous immiscer dans l’explication entre l’apologiste du gandhisme et le pacifiste protestant, si M. Rolland lui-même n’avait pas touché en passant - d’ailleurs sous une forme extrêmement déplacée - un certain nombre de questions brûlantes d’un caractère général aussi bien que personnel. Nous ne pouvons et ne voulons pas exiger de M. Rolland une analyse marxiste, de la clarté politique ou du flair révolutionnaire ; mais nous aurions, semble-t-il, le droit d’attendre de lui de la clairvoyance psychologique.

Dans la justification de la terreur, dirigée par Staline avant tout contre son propre parti, M. Rolland écrit que Kirov fut assassiné "par un fanatique qu’appuyaient en secret des hommes tels que Kaménev et Zinoviev". Quels droits M. Rolland a-t-il de faire une déclaration si pleine de responsabilité ? Ceux qui l’ont inspirée à R. Rolland ont simplememt menti . C’est précisément dans cette question, où la politique se rencontre avec la psychologie, qu’il n’aurait pas été difficile à R. Rolland de se retrouver, si l’excès de zèle ne l’avait pas aveuglé. L’auteur de ces lignes n’a pas la moindre raison de prendre sur lui la moindre responsabilité pour l’activité de Zinoviev et de Kaménev, qui n’ont pas peu collaboré à la dégénérescence bureaucratique du parti et des soviets. Il est cependant inconcevable qu’on puisse leur imputer une participation à un crime qui, sans avoir aucun sens politique, contredit en même temps les conceptions, les buts et tout le passé politique de Kaménev et de Zinoviev. Même s’ils étaient devenus inopinément des partisans de la terreur individuelle (une telle hypothèse est fantaisiste), ils n’auraient nullement pu choisir Kirov pour victime. Pour qui connait l’histoire du parti et sa composition personnelle, il est trop évident que Kirov, comparé à Kaménev et Zinoviev, était dans la bureaucratie une figure de troisième ordre ; son meurtre ne pouvait exercer aucune influence ni sur le régime ni sur la politique. Même au procès contre Zinoviev et Kaménev (un des procès les plus éhontés !) la version primitive de l’accusation ne fut pas maintenue. Quel droit, sinon celui de faire du zèle, M. Rolland a-t-il donc de parler de la participation de Kaménev et de Zinoviev à l’assassinat de Kirov ?

Rappelons que, dans l’intention des initiateurs, l’accusation devait s’étendre aussi à l’auteur de ces lignes. Nombreux, sans doute, sont ceux qui se souviennent encore du "consul letton", agent provocateur de la G.P.U., qui tenta de recevoir des terroristes une lettre "pour la transmettre à Trotsky". Un de ces stipendiés de l’Humanité (il se nomme, je crois, Duclos ) écrivit même dans son ardeur que la participation de Trotsky à l’assassinat de Kirov était "prouvée". Toutes les circonstances de cette affaire sont exposées dans ma brochure "la bureaucratie staliniste et l’assassinat de Kirov". Pourquoi Romain Rolland ne se hasarde-t-il donc pas à répéter cette grossière et impudente partie de l’amalgame thermidorien ? Uniquement parce que j’ai eu la possibilité de démasquer en son temps la provocation et ses organisateurs directs : Staline et Jagoda. Kaménev et Zinoviev n’ont pas eu cette possibilité : ils se trouvent en prison en vertu d’une accusation mensongère. On peut les calomnier impunément. Mais cela convient-il à R. Rolland ?

Soi-disant en liaison avec l’affaire Kirov, la bureaucratie anéantit des dizaines de gens, manifestement dévoués à la révolution, mais qui réprouvaient l’arbitraire et les privilèges de la caste dominante. Peut-être M. Rolland ira-t-il le nier ? Nous faisons la proposition d’une commission internationale, au-dessus de tout reproche par sa composition, pour enquêter sur les arrestations, procès, fusillades, déportations, etc., ne fût-ce qu’en liaison avec la seule affaire Kirov. Rappelons encore une fois que, lorsque nous avons jugé en 1922 les socialistes-révolutionnaires pour des actes terroristes, nous avons admis, au tribunal Vandervelde, Kurt Rosenfeld et autres adversaires les plus en vue du bolchévisme. Cependant la situation de la révolution était incomparablement plus difficile. M.Rolland acceptera-t-il notre proposition maintenant ? C’est douteux, car cette proposition n’a pas été acceptée - et ne pouvait être acceptée - par Staline. Les mesures de terreur, qui furent prises dans la première période "jacobine" pourrait-on dire, découlaient de la nécessité impérieuse de son auto-défense. De ces mesures nous pouvions donner un compte rendu public à toute la classe ouvrière mondiale. La terreur de la période présente, période thermidorienne, sert à la défense de la bureaucratie non tant contre l’ennemi de classe que contre les éléments avancés du prolétariat lui-même. Romain Rolland apparaît ainsi comme l’avocat de la terreur thermidorienne.

Dans ces tout derniers jours, la presse soviétique a annoncé la découverte d’un nouveau complot, dans lequel les "trotskistes" se retrouveraient avec des gardes-blancs et des criminels avec le but de ...détruire des chemins de fer soviétiques. Pas un homme sérieux, en Union Soviétique ne croira cette nouvelle tromperie éhontée, qui jette une lumière terrible sur une série d’amalgames précédents. Cela n’empêche pas, pourtant, la clique staliniste de fusiller plusieurs jeunes bolchéviks, accusés de lèse-majesté. Et quelle est l’attitude de M. Rolland ? Peut-être se mettra-t-il à persuader les pasteurs sceptiques que les "trotskistes" détruisent véritablement les chemins de fer soviétiques ?

Dans le domaine des questions générales de la politique, les affirmations de M. Romain Rolland ne sont pas moins catégoriques ni moins sujettes à caution. Dans le but de défendre la politique actuelle des Soviets et de l’Internationale Communiste, R. Rolland, d’accord avec son ancien rituel, revient à l’expérience de Brest-Litovsk. Ecoutons-le ! "En 1918, à Brest-Litovsk - écrit-il - Trotsky disait à Lénine : nous devons mourir en gentilshommes. Lénine répondit : nous ne sommes pas des gentilshommes, nous voulons vivre et nous vivrons." Où M. Rolland a-t-il prit ces renseignements ? En réalité, Lénine ne fut jamais à Brest-Litovsk. Peut-être l’entretien eut-il lieu par fil ? Mais tous les documents de cette période sont imprimés et, bien entendu, ne renferment pas cette phrase, disons le carrément, assez stupide, qu’un des informateurs de R. Rolland lui a soufflée pour qu’il la répande par la suite. Comment malgré tout ne s’est-il donc pas trouvé chez le vieil écrivain assez de sens psychologique pour comprendre le caractère caricaturalement faux du dialogue rapporté par lui ?

Ce n’est pas le moment d’entrer avec R. Rolland dans des discussions tardives au sujet des pourparlers de Brest-Litovsk. Mais puisque R. Rolland met maintenant en Staline presque autant de confiance qu’il en mettait naguère en Gandhi, nous nous permettrons d’invoquer la déclaration que fit Staline le 1er février 1918, c’est à dire aux dernières heures des décisions de Brest-Litovsk : "une issue à la situation difficile nous fut donnée par une solution moyenne, la position de Trotsky. "Je cite non pas selon mes souvenirs ni après un entretien avec des interlocuteurs, fussent-ils haut placés, mais d’après les procès-verbaux officiels du comité central, publiés par les éditions d’État en 1920. La citation apportée (page 214) paraîtra à R. Rolland, sans doute, inattendue. Mais elle devrait le convaincre qu’il faut écrire avec quelque prudence sur des choses que l’on ne connaît pas.

M. Rolland nous apprend - à moi en particulier - que le gouvernement soviétique peut, en cas de nécessité, conclure des accords même avec des impérialistes. Pour faire de pareilles découvertes, est-il nécessaire d’aller à Moscou ? Chaque ouvrier français est contraint chaque jour de conclure des accords avec les capitalistes, tant qu’ils existent. A l’Etat ouvrier on ne peut pas refuser un droit, qui appartient à tout syndicat. Mais si, en concluant un contrat collectif, le dirigeant d’un syndicat déclarait "qu’il reconnaissait et approuvait" la propriété capitaliste, nous dirions d’un tel chef qu’il est un traître. Staline n’a pas simplement conclu un accord pratique ; mais, en plus de cela et indépendamment de cela, il a approuvé le renforcement du militarisme français. Chaque ouvrier français conscient sait que l’armée française existe avant tout pour constituer un rempart devant la propriété d’une poignée d’exploiteurs et pour maintenir la domination de la France bourgeoise sur 60 millions d’esclaves coloniaux. Si sous l’influence d’un mécontentement légitime, provoqué dans les rangs ouvriers par la déclaration de Staline, on fait maintenant des tentatives, y compris par l’entremise de R. Rolland, pour expliquer que "presque" tout reste comme auparavant, nous n’en croyons pas un iota. L’approbation volontaire et démonstrative faite par Staline du militarisme français n’était pas destinée, il faut croire, à éclairer la bourgeoisie française, qui n’avait nul besoin d’un stimulant et qui l’a accueillie tout à fait ironiquement. La déclaration de Staline pouvait avoir un seul but : en affaiblissant l’opposition du prolétariat français contre son propre impérialisme, acheter à ce prix la confiance de la bourgeoisie française dans la solidité de l’alliance avec Moscou. Cette politique, malgré toutes les réserves, est menée sans détour, même aujourd’hui. Les cris de l’Humanité contre Laval ne changent nullement le fait que l’Internationale Communiste est une agence politique de la Société des Nations, où opère le même Laval, ou son compère Herriot, ou son partenaire britannique Baldwin, qui n’est nullement meilleur que Laval.

Avec une autorité peu fondée, Romain Rolland décrète que la nouvelle politique de l’Internationale Communiste continue à correspondre strictement à l’enseignement de Lénine. Ainsi la solidarité du Parti Communiste français avec la politique extérieure de Léon Blum, hier "social-fasciste", qui, en tout cas est resté fidèle à lui-même ; la reptation à plat ventre devant Edouard Herriot, qui n’est nullement disposé à trahir le capital français ; le soutien par le Parti Communiste de la Société des Nations, cet état-major général des complots impérialistes, - tout cela découle de l’enseignement de Lénine ? Non, M. Rolland ferait mieux de s’occuper de nouveau de l’enseignement de Gandhi.

L’avertissement très sage, plein de retenue et de justesse, de Marcel Martinet, par malheur, n’a servi de rien à R. Rolland. Au lieu de s’arrêter et de regarder de façon critique, il s’est définitivement placé dans les rangs des apologistes officiels de la bureaucratie thermidorienne. C’est à tort que ces messieurs se croient des "amis" de la révolution d’octobre ! La bureaucratie est une chose, la révolution en est une autre. Et pour le bourgeois conservateur Herriot, le commissaire du Peuple Litvinov est "mon ami". II ne s’ensuit pas que la révolution prolétarienne doive penser que Edouard Herriot est son ami.

Parler de l’avenir de la révolution, on ne peut le faire que dans une lutte implacable contre le régime de l’absolutisme bureaucratique, qui est devenu le pire frein du mouvement révolutionnaire. La responsabilité pour les tendances terroristes de la jeunesse soviétique retombe entièrement sur la bureaucratie, qui a étouffé sous une chape de plomb l’avant-garde de la classe ouvrière et qui ne réclame de la jeunesse que d’être aveuglément soumise et de chanter les louanges des chefs. La bureaucratie a concentré dans ses mains de grands moyens, dont elle ne rend compte à personne. Ces moyens incontrôlés lui donnent en particulier la possibilité d’accueillir et de combler royalement quelques "amis" utiles. Beaucoup d’entre eux, par leur système psychologique, se distinguent peu de ces académiciens et journalistes français, qui sont les amis professionnels de Mussolini. Nous ne voulons nullement assimiler Romain Rolland à ce type. Mais pourquoi donc efface-t-il si imprudemment la ligne de démarcation ? Pourquoi assume-t-il une mission qui ne lui convient pas ?

Le 31 octobre 1935

L. TROTSKY

En réponse publique, Romain Rolland diffuse sa lettre à Staline :

« Pour le procès qui a suivi le meurtre de Kirov, je vous disais combien il serait essentiel de faire connaître au public étranger les charges écrasantes qui fait châtier les conjurés. On ne l’a point fait. Le résultat est qu’en Occident s’est répandue l’opinion que, selon les expressions de Léon Trotsky dans un récent article du 31 octobre, paru dans son organe de Paris La Vérité, « on s’est servi de l’affaire Kirov pour anéantir des dizaines de gens, manifestement dévoués à la Révolution, mais qui réprouvaient l’arbitraire et les privilèges de la caste dominante ». On ajoute que les accusations portées contre Zinoviev et Kamenev sont absolument sans fondement. Et Trotsky se fait le promoteur d’une demande de « Commission internationale, au dessus de tout reproche par sa composition, qui serait chargée d’enquêter sur les arrestations, procès, fusillades, déportations, en liaison avec l’affaire Kirov ».Trotsky, qui me prend à partie dans cet article, intitulé : « Romain Rolland remplit sa mission », me somme d’accepter cette proposition [8] et pensant que je m’y refuserai, insinue que mon refus sera la preuve de la peur que les amis du régime soviétique ont de faire la lumière sur cette affaire. »

Aragon

Louis Aragon fut un chantre de Staline :

« Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple, selon sa pensée, la théorie et la pratique stalinienne ! Merci à Staline qui a rendu possible la formation de ces hommes, garants de l’indépendance française, de la volonté de paix de notre peuple, de l’avenir d’une classe ouvrière, la première dans le monde montée à l’assaut du ciel et que l’on ne détournera pas de sa destinée en lui faisant voir trente-six étoiles étrangères, quand elle a de tels hommes à sa tête ! »

(Aragon, Pour un réalisme socialiste)

Le 12 mars 1953, Les Lettres françaises publient en première page un portrait de Staline par Picasso qui provoque contre le peintre la polémique d’Aragon et du PCF.

Aragon écrit :

« On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes – mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer. Parce que, pour Staline, l’invention – même si Picasso est l’inventeur – est forcément inférieure à la réalité. Incomplète et par conséquent infidèle. »

Lorsqu’il meurt en 1982, il est toujours « officiellement » membre du Comité central du PCF.

De retour d’URSS en 1931, Aragon publie Front rouge :

« Pliez les réverbères comme des fétus de pailles

Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace

Descendez les flics

Camarades

Descendez les flics

Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment

les enfants riches et les putains de première classe

Dépasse la Madeleine Prolétariat

Que ta fureur balaye l’Élysée

Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine

Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe

Prolétariat connais ta force

connais ta force et déchaîne-la

II prépare son jour il attend son heure sa minute la seconde

où le coup porté sera mortel et la balle à ce point sûre

que tous les médecins social-fascistes

Penchés sur le corps de la victime

Auront beau promener leur doigts chercheurs sous la chemise de dentelle

ausculter avec les appareils de précision son cœur déjà pourrissant

ils ne trouveront pas le remède habituel

et tomberont aux mains des émeutiers qui les colleront au mur

Feu sur Léon Blum

Feu sur Boncour Frossard Déat

Feu sur les ours savants de la social-démocratie

Feu feu j’entends passer

la mort qui se jette sur Garchery Feu vous dis-je

Sous la conduite du parti communiste

SFIC

Vous attendez le feu sous la gâchette

Que ce ne soit plus moi qui vous crie

Feu

Mais Lénine

Le Lénine du juste moment »

En novembre 1936, Gide publie son « Retour de l’URSS » qui dénonce et se démarque du stalinisme, et Aragon, qui l’avait accueilli à Moscou, fait bloc avec le Parti pour condamner hautement l’ouvrage ; il récidive en mars 1937 dans Commune en publiant « Vérités élémentaires », où il accable les accusés « hitléro-trotzkistes » des procès de Moscou au moment, comme le remarque Lilly Marcou, où l’on torturait son beau-frère à la Loubianka.

Aragon dans « Les Yeux et la Mémoire », qui paraît en 1954 :

« Salut à toi Parti ma famille nouvelle

Salut à toi Parti mon père désormais

J’entre dans ta demeure où la lumière est belle

Comme un matin de Premier mai. »

Aragon faisait dire à un de ses héros de roman :

« Les trotskistes sont des flics, c’est tout. Ils ne constituent pas un problème philosophique ».

« La France doit à Staline tout ce que, depuis qu’il est à la tête du parti bolchevik, il a fait pour rendre invincible le peuple soviétique, et dans son armée rouge, et dans sa confiance en Staline, l’homme qui disait que gouverner c’est prévoir, et qui a toujours prévu juste… La France doit à Staline son existence de nation pour toutes les raisons que Staline a données aux hommes soviétiques d’aimer la paix, de haïr le fascisme, et particulièrement pour la constitution stalinienne, qui est une de ces raisons, pour lesquelles un grand peuple peut également vivre et mourir. (…) Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple, selon sa pensée, la théorie et la pratique stalinienne ! Merci à Staline qui a rendu possible la formation de ces hommes, garants de l’indépendance française, de la volonté de paix de notre peuple,de l’avenir d’une classe ouvrière, la première dans le monde montée à l’assaut du ciel et que l’on ne détournera pas de sa destinée en lui faisant voir trente-six étoiles étrangères, quand elle a de tels hommes à sa tête ! »

(Aragon, Les lettres françaises, mars 1953)

Aragon sur le goulag russe (dit soviétique par insulte à l’organisation révolutionnaire du prolétariat de 1905 et 1917) :

« Je veux parler de la science prodigieuse de la rééducation de l’homme, qui fait du criminel un homme utile, de l’individu déformé par la société d’hier, par les forces des ténèbres, un homme du monde de demain, un homme selon l’Histoire. L’extraordinaire expérience du canal de la mer Blanche à la Baltique, où des milliers d’hommes et de femmes, les bas-fonds d’une société, ont compris, devant la tâche à accomplir, par l’effet de persuasion d’un petit nombre de tchékistes qui les dirigeaient, leur parlaient, les convainquaient que le temps est venu où un voleur, par exemple, doit se requalifier, dans une autre profession – Cette extraordinaire expérience joue par rapport à la nouvelle science le rôle l’histoire de la pomme qui tombe devant Newton par rapport à la physique. Nous sommes à un moment de l’histoire de l’humanité qui ressemble en quelque chose à la période du passage du singe à l’homme. Nous sommes au moment où une classe nouvelle, le prolétariat, vient d’entreprendre cette tâche historique d’une grandeur sans précédent : la rééducation de l’homme par l’homme. »

(1935 dans « Pour le réalisme socialiste »)

En août 1939, le jour même de l’annonce de la signature du pacte germano-soviétique, dans le journal communiste dont il est le rédacteur en chef, il applaudit la décision de Staline, tout en appelant la France et l’Angleterre à signer de leur côté une alliance tripartite avec l’URSS :

« Le pacte de non-agression avec l’Allemagne, imposé à Hitler qui n’avait pas d’autre possibilité que de capituler ainsi ou de faire la guerre, c’est le triomphe de cette volonté de paix soviétique. (…) Et que ne vienne pas ici comparer le pacte de non-agression germano-soviétique qui ne suppose aucun abandon de la part de l’URSS aux pactes « d’amitié » qu’ont signés les gouvernements toujours en exercice en France et en Angleterre avec Hitler : ces pactes d’amitié avaient pour base la capitulation de Munich… L’URSS n’a jamais admis et n’admettra jamais de semblables crimes internationaux. Silence à la meute antisoviétique ! Nous sommes au jour de l’effondrement de ses espérances. Nous sommes au jour où l’on devra reconnaître qu’il y a quelque chose de changé dans le monde et que, parce qu’il y a l’URSS, on ne fait pas la guerre comme on veut. Il existe entre la France et la Pologne un traité d’assistance mutuelle. C’est-à-dire que si la Pologne est victime d’une agression, la France doit venir à son aide. Et tout bon français qui ne veut pas voir se répéter la honte de Munich, et l’abandon de nos alliés de Tchécoslovaquie, souhaitera comme nous que la France tienne ses engagements internationaux. »

A propos de l’invasion de la Hongrie en 1956 par les troupes soviétiques (25 000 morts et 200 000 exilés en deux mois). Communiqué du Bureau politique du PCF où siégeait Aragon qui fut, selon tous les témoins, le plus âpre à défendre les troupes d’invasion :

« Barrant la route à ceux qui furent les alliés de Hitler, aux représentants de la réaction et du Vatican que le traître Nagy avait installé au gouvernement, la classe ouvrière hongroise, dans un sursaut énergique, a formé un gouvernement ouvrier et paysan qui a pris en main les affaires du pays. Ce gouvernement prolétarien (…) a demandé à l’armée soviétique de contribuer à la restauration de la paix intérieure. Le Parti Communiste Français approuve pleinement la conduite du gouvernement ouvrier de Hongrie (…). Face à l’offensive acharnée et bestiale des fascistes, des féodaux et de leurs alliés les princes de l’Église, pour restaurer en Hongrie le régime terroriste de Horthy, il eut été inconcevable que l’armée des ouvriers et des paysans de l’URSS ne répondit pas à l’appel qui lui était adressé alors que les meilleurs fils de la classe ouvrière hongroise étaient massacrés, pendus, ignoblement torturés. »

(Journal l’Humanité du 27 octobre 1957)

Discours d’Ivry par Aragon, juin 1954 :

« La réévaluation critique de notre patrimoine national est l’une des tâches déterminantes de l’art de parti. L’artiste, l’écrivain communiste, doit avoir sans cesse en mémoire le mécanisme même par lequel Maurice Thorez a fait de notre parti ce qu’il est, quand il a appris à la classe ouvrière la signification de Jeanne d’Arc, celle de la Marseillaise, quand il lui a rendu son drapeau. »

Jean Malaquais décrit Aragon dans « Le patriote professionnel » :

« Le prototype du patriote professionnel apatride, celui qui a atteint une espèce de grandeur dans le maniement du bénitier stalinien, est le nommé Louis Aragon poète par la grâce des dieux, clarinette par la grâce de saint Joseph ; Louis Aragon, ex-dadaïste, ex-surréaliste, ex-auteur du « Con d’Irène », du « Paysan de Paris », du « Traité du style », ex-lui-même ; Louis Aragon qui écrivait : « … qu’il me soit permis, ici, chez moi, dans ce livre, de dire à l"armée française que je la conchie », (je cite de mémoire) - qui écrivait comme ça quand il avait du génie ; Louis Aragon qui, tel le barde de service de l’Uzbékistan, s’époumonait : « Hourra Oura !… » - qui s’époumonait comme ça quand il n’avait plus guère de génie ; Louis Aragon qui, plus cocardier que feu Déroulède, s’égosille de la voix des coqs : « … Jamais éteint renaissant de sa braise perpétuel brûlot de la patrie » - qui s’égosille comme ça quand, en fait de génie, il lui reste des briques… « 

Aragon en rimaillant :

Vous pouvez condamner un poète au silence

Et faire d’un oiseau du ciel un galérien

Mais pour lui refuser le droit d’aimer la France

Il vous faudrait savoir que vous n’y pouvez rien

« Il y a une poésie de la bassesse », écrit en se regardant dans la glace, le nommé Louis Aragon, à propos des « Pages de journal » (1939-1942) d’André Gide ; et, dans le même texte, lequel en fait de bassesse est un chef-d’œuvre, il ajoute : « Je sais… qu’il ne manquera pas des gens pour dire que vraiment on voit un peu trop d’où me vient la dent que je lui conserve. » - Eh bien, Dieu merci non, il ne manquera pas. Trop de gens savent en effet qu’Aragon pâmait d’aise à toute virgule échappée de la plume de Gide quand Gide pensait de l’U.R.S.S. ce qu’Aragon estime obligatoire que l’on en pense, et qu’il ne se lasse pas d’exiger la peau de Gide depuis que Gide ose penser qu’en U.R.S.S. on la crève : trop de gens savent à quels nobles sentiments obéissent les véhémentes protestations d’Aragon contre le retour de Gide « parmi nous qui regardons encore des vides sanglants à nos côtés. » - Trop, trop de gens. Mais si quelque naïf ne le savait point, Aragon en personne se charge de l’apitoyer sur les plaies de son cœur : cette dent, petit naïf, je la lui garde à cause de ses deux livres sur son voyage au pays de ma flamme. Ce mortel péché - Aragon ne dormira pas tranquille, Jeanne d’Arc ne cessera de renifler ses larmes - tant que Gide ne l’expie dans son sang. Les « vides sanglants » que le patriote de métier contemple à ses côtés ne sauraient être comblés ; il y manque le corps du grand vieillard pour que la fosse soit garnie. Aussi, à ce manque à gagner, à ce cadavre manquant à son tableau, Aragon s’empresse d’obvier. Porté sur les ailes de son amour sacré de la patrie, il se laisse descendre en planant sur les « Pages de journal », et, horreur ! ce que tout d’abord et tout de suite il découvre, c’est que dès la fin de 1940 l’auteur de « l’Immortaliste » témoigne un grand intérêt pour la langue allemande, pour Goethe plus précisément, « comme si », note le nommé Louis Aragon, « comme si, devant le succès des armes allemandes, ce fût un véritable devoir de lire « Faust »…

« A mort ! » a toujours été le cri de prédilection de notre personnage. Même au plus fier de sa jeunesse il traînait dans son sillon un relent de nécrophilie. L’ombre du gibet se profile tout au long de sa tortueuse carrière, et c’est à cette ombre qu’il aime rêver. J’ai ouï dire qu’un sien parent par alliance - petit agent provocateur au service de G.P.U. qui a joué de malchance - ayant été exécuté en Russie, on le vit se frotter les mains et disant : c’est bien fait ! Personne mieux que lui n’a crié à mort lors des tragiques journées de mai 1937 à Barcelone : personne n’a mieux dénoncé à la police les militants espagnols anti-staliniens réfugiés en France. Aujourd’hui il lui faut la vie d’André Gide ! Mais qui ne connaît l’homme ? Qui n’éprouve la nausée à se pencher sur l’abîme dans lequel le nommé Louis Aragon n’a cessé de dégringoler cul par-dessus tête ? Qui ne l’a vu, hier anti-militariste, aujourd’hui bombant le ventre sous ses décorations ? Hier hystériquement internationaliste, aujourd’hui xénophobe à tous crins ? Existe-t-il une figure de jonglerie, un tour de saltimbanque qu’il n’ait exécutés ? On l’a vu danser le casatchok en s’accompagnant de la « Marseillaise », s’enivrer de vodka et crier vive le pinard, applaudir aux procès de Moscou et clamer justice, porter aux nues la « démocratie soviétique » et honnir le « fascisme de chez nous » ; on l’a vu se hérisser de piquants au seul nom de l’Eglise, et on l’a vu faisant des démarches chez le cardinal Verdier afin que celui-ci intervînt auprès de Franco - suspendez le bombardement de Madrid vu que c’est la Noël (1936) ; on l’a vu réclamer le poteau pour les pacifistes, et on l’a vu - lui seul d’entre les valets de plume - avoir l’estomac de proclamer dans sa feuille russe « Ce soir » (24 août 1939) que le pacte Staline-Hitler signifiait la paix sûre et certaine, la France - cette salope impérialiste - ne rêvant que plaies et bosses. (Pris de court et fautes d’instructions, Cachin et feu Péri ne surent que quelle fesse s’asseoir, et « l’Humanité » du même jour ne souffla mot de cette « paix-là ». Et le voici drapé de tricolore et à cheval sur l’Arc de triomphe et torturant de faux alexandrins et de fausses rimes, France et silence, le voici donc de nouveau réclamant la potence pour quiconque ne sautille point à sa corde, - à cette corde sur laquelle lui et son digne pendant, le nommé Ilya Ehrenbourg, font le funambule macabre.
Il a tout piétiné, y compris sa propre ombre ; tout « souillé » de ses premières amours, tout « pollué » de ses dernières « déjections ». Que le patriote bêlant dont l’oreille et le « foie » s’épanouissent au cocorico d’Aragon ne se gêne pas ; il le trouvera dans la poubelle au bas de mon escalier, et il peut l’y ramasser. Et maintenant je vais me laver les mains et me rincer la bouche.
Fin du texte de Malaquais sur Aragon, le patriote professionnel…

Extrait du poème d’Aaragon : « Prélude au temps des cerises »

Je chante le Guépéou qui se forme

En France à l’heure qu’il est

Je chante le Guépéou nécessaire de France

Je chante les Cuépéous de nulle part et de partout

Je demande un Guépéou pour préparer la fin d’un monde

Demandez un Guépéou pour préparer la fin d’un monde

Pour défendre ceux qui sont trahis

Pour défendre ceux qui sont toujours trahis

Demandez un Guépéou vous qu’on plie et vous qu’on tue

Demandez un Guépéou

Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou figure dialectique de l’héroïsme

Qu’on peut opposer à cette image imbécile des aviateurs

Tenus par les imbéciles pour des héros quand ils se foutent

La gueule par terre

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste

Vive le Guépéou contre dieu Chiappe et la « Marseillaise »

Vive le Guépéou contre le pape et les poux

Vive le Guépéou contre la résignation des banques

Vive le Guépéou contre les manœuvres de l’Est

Vive le Guépéou contre la famille

Vive le Guépéou contre les lois scélérates

Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type

Caballero Boncour Mac Donald Zoergibel

Vive le Guépéou contre tous les ennemis du Prolétariat.

VIVE LE GUEPEOU

Jean-Paul Sartre

Sartre n’est nullement un intellectuel engagé qui, tout naturellement, a fini par devenir militant communiste, stalinien puis maoïste. Il a plutôt un passé légèrement pro-fasciste.

Sartre prend la succession de Raymond Aron à l’Institut français de Berlin en 1933 et 1934… Mais il ne sait rien du nazisme !!!!

Pendant l’été 1933, Sartre, en compagnie de Simone de Beauvoir, visite l’Espagne et l’Italie ; le régime fasciste de Mussolini gêne peu ces deux parfaits touristes : "Nous avons vu Venise avec ce regard qu’on ne retrouve plus jamais : le premier. Pour la première fois nous avons contemplé la Crucifixion du Tintoret".

En 1936 le cœur de la ville populaire de Naples fascine Sartre.
Le fascisme italien ne lui suscite pas une ligne de critique…

Sartre et la guerre mondiale : « La guerre [...] est une ordure qui doit être refusée. Mais refuser quand on est en paix (tout faire pour l’éviter), non pas quand on est en guerre. Survient-elle, il faut s’y plonger, car elle permet de vivre existentiel. Elle est un mode de réalisation de l’existentiel. »

En 1943, Sartre fit partie en France du Comité d’épuration, qui décidait quel écrivain avait encore le droit de publier et quel autre devait être banni.

Plutôt sympathisant du fascisme sans grand engagement, Sartre se reconvertit au dernier moment contre celui-ci avec l’annonce de la défaite allemande. Juste avant la libération, Sartre est recruté par Camus pour le réseau résistant Combat, il devient reporter dans le journal du même nom, et décrit dans les premières pages, la libération de Paris.

Contrairement au mythe, aucune recherche n’a pu mettre en évidence une quelconque activité de résistance de ce mouvement, et en particulier de Sartre.

Comment comprendre alors qu’il ait pu être célébré, au lendemain de la Libération, comme le prototype de l’écrivain résistant ? Dès le mois d’août 1944, sa signature apparaît dans le journal Combat, sorti de la clandestinité.

« Le chemin qui mène de la docilité douloureuse à l’insurrection est enfin parcouru », écrit-il le 30 août 1944. »

En janvier 1945, voici Sartre envoyé du Figaro aux États-Unis. Il y est accueilli comme un héros de la Résistance. L’écrivain ne dément pas, soucieux de solidarité avec la France des combattants. En juillet 1945, quand Vogue publiera un article de lui, « New Writing in France », où il célèbre Albert Camus, l’éditeur américain fait suivre son texte d’une longue notice où on lit : « Jean-Paul Sartre ressemble aux hommes sur les barricades dans les photos de l’insurrection de Paris. »

Cet « homme de la Résistance » était « certainement le plus admiré parmi les hommes jeunes qui sont en train de façonner la direction de la littérature française d’aujourd’hui ».

Après la guerre, il fait l’éloge d’une résistance qu’il n’a pas connue :

"Il n’est pas d’armée au monde où l’on trouve pareille égalité de risque pour le soldat et le généralissime. Et c’est pourquoi la Résistance fut une démocratie véritable : pour le soldat comme pour le chef, même danger, même responsabilité, même absolue liberté dans la discipline."

(Sartre, dans Situations II)

La guerre de Corée, puis la répression musclée d’une manifestation antimilitariste du PCF pousse Sartre à choisir son camp : Sartre voit alors dans le communisme une solution aux problèmes du prolétariat.

Ce qui lui fait dire :

« Si la classe ouvrière veut se détacher du Parti (PCF), elle ne dispose que d’un moyen : tomber en poussière. »

« Quelle que soit la nature de la présente société soviétique, lisait-on dans l’éditorial des Temps modernes de janvier 1950, l’URSS se trouve grosso modo située, dans l’équilibre des forces, du côté de celles qui luttent contre les formes d’exploitation de nous connues. La décadence du communisme russe ne fait pas que la lutte des classes soit un mythe, que la “libre entreprise” soit possible ou souhaitable, ni en général que la critique marxiste soit caduque. »

Sartre devient un compagnon de route du Parti communiste entre les années 1952 et 1956. Dès lors, il participe à sa mouvance : il prend la présidence de l’Association France-URSS. En 1954, il déclare « Le citoyen soviétique possède, à mon avis, une entière liberté de critique ». Il devient membre du Conseil mondial de la paix.

Le livre de Sartre, Les communistes et la paix, marque le début de l’alliance de Sartre avec le stalinisme…

Sartre écrit :

« L’organisme qui conçoit, exécute, rassemble, et qui distribue les tâches ne peut se concevoir que comme une autorité. […] Il s’agit d’un Ordre qui fait régner l’ordre et qui donne des ordres. […] Le Parti figure pour chacun la morale la plus austère : il s’agit d’accéder à une vie neuve en se dépouillant de sa personnalité présente ; fatigué, on lui commande de se fatiguer plus encore ; impuissant, de se jeter tête baissée contre une muraille de roc » (Situations, VI)

Commentant l’article de Lénine « Mieux vaut moins mais mieux », article contre la bureaucratie, Sartre écrit : « Je ne vois pas que Staline ait suivi d’autre politique ».

Quand Sartre adhérait au PCF, il ne reculait pas devant des formules telles que « Tout anti-communiste est un chien », « En URSS la liberté de critique est totale », « Si la classe ouvrière veut se détacher du PCF elle ne dispose que d’un moyen : tomber en poussière ».

« L’URSS se trouve grosso modo située, dans l’équilibre des forces, du côté de celles qui luttent contre les formes d’exploitation de nous connues. »

Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty, Les Temps Modernes, janvier 1950

Il affirme que l’on doit assimiler parti communiste et prolétariat, et suivre sa politique comme la seule possible :

« Comment pouvez-vous croire à la fois à la mission historique du prolétariat et à la trahison du parti communiste, si vous constatez que l’un vote pour l’autre ? »

C’est alignement complet sur les crimes de la bureaucratie russe !

« La liberté de critique est totale en URSS et le citoyen soviétique améliore sans cesse sa condition au sein d’une société en progression continuelle. »

Jean-Paul Sartre, de retour d’URSS, Libération, 15 juillet 1954

« La faute la plus énorme a probablement été le rapport Khrouchtchev, car, à mon avis, la dénonciation publique et solennelle, l’exposition détaillée de tous les crimes d’un personnage sacré qui a représenté si longtemps le régime est une folie quand une telle franchise n’est pas rendue possible par une élévation préalable, et considérable, du niveau de vie de la population. [...] Le résultat a été de découvrir la vérité pour des masses qui n’étaient pas prêtes à la recevoir. »

Jean-Paul Sartre, après les révélations du rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline

L’anticolonialisme affiché de Sartre sonne tout aussi faux et sale que le reste :

« Quand les paysans touchent des fusils, les vieux mythes pâlissent, les interdits sont un à un renversés : l’arme d’un combattant, c’est son humanité. Car, en ce premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ; restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. »

Jean-Paul Sartre, Préface de Les Damnés de la Terre, Frantz Fanon, Maspero, 1961

Ensuite, comme d’autres, Sartre passe au maoïsme. Dans la Cause du peuple, Sartre écrit :

« Mao, contrairement à Staline, n’a commis aucune faute ».

A ses adversaires politiques comme Merleau-Ponty ou Camus, Sartre réserve des attaques gratuites et particulièrement nauséabondes.

En 1972, dans une lettre à son ami John Gerassi, Sartre ira jusqu’à écrire sur Albert Camus :

« Ce n’était pas un gars qui était fait pour tout ce qu’il a fait. C’était un petit truand d’Alger, très marrant, qui aurait pu écrire quelques livres mais plutôt de truand, au lieu de ça on a l’impression que la civilisation lui a été plaquée dessus et qu’il a fait ce qu’il a fait, c’est-à-dire rien ».

Chez Sartre, le glauque le dispute au sale et au méprisable....

Merleau-Ponty dans « Les aventures de la dialectique » :

« On sent que, pour Sartre, la dialectique a toujours été une illusion, qu’elle fût maniée par Marx, par Trotski ou par d’autres. »

Après s’être blanchi de ses amitiés fascistes grâce à l’aide involontaire d’Albert Camus et de son réseau Combat, Sartre, inconnu jusque là, s’est lancé à la fin de la deuxième guerre mondiale par un article où il prétendait que les intellectuels devaient s’engager. Mais l’engagement, Sartre ne saura jamais ce qu’il signifie, lui qui reste distant de toute conviction profonde :

« S’il est nécessaire que je sois sous cette forme d’être-là, il est tout à fait contingent que je sois, car je ne suis pas le fondement de mon être ; d’autre part, s’il est nécessaire que je sois engagé dans tel ou tel point de vue, il est contingent que ce soit précisément dans celui-ci, à l’exclusion de tous les autres. » (« L’Etre et le Néant »)

Et on continue à nous dire que Sartre était le symbole de l’intellectuel engagé !!!

Sartre était-il un intellectuel engagé ?

Passons sur les coups d’encensoir en direction de Staline et de Mao ; passons sur le fait que, ayant succédé à son ennemi intime Raymond Aron à l’Institut français de Berlin, en 1933 et 1934, il n’ait pas vu en Allemagne le moindre nazi (pourtant, à cette époque...) et qu’il ait préféré piquer quelques idées au philosophe Husserl pour fabriquer sa philosophie de l’existentialisme ; passons sur le fait que, prisonnier de guerre dans le même pays en 1941, il aurait été libéré grâce à un faux certificat médical, ou que, selon une autre version, il l’aurait été sur l’intervention de Pierre Drieu La Rochelle, écrivain fascisant ; passons sur le fait qu’avant la guerre, il avait, au nom du pacifisme, signé un manifeste d’intellectuels qui refusaient toute préparation à une guerre préventive contre Hitler et le nazisme (« Mieux valait une France nazifiée, qu’une France en guerre ») ; passons sur cet autre fait que, durant l’Occupation de la France par les nazis, Sartre vécut tranquillement à Paris, fit jouer ses pièces Les mouches et Huis clos avec l’autorisation de la censure allemande et devant un parterre d’officiers de la Wehrmarcht, ne se découvrant « résistant » qu’à la Libération ; passons sur cette déclaration selon laquelle il ne fallait pas dire la vérité sur le régime stalinien pour « ne pas désespérer Billancourt », c’est-à-dire les travailleurs français, tous staliniens comme on sait ; passons sur sa conception de la décolonisation (« Dans le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort, et un homme libre » – on reconnaît l’ancien pacifiste) ; passons sur sa déclaration de 1965, « Tout anticommuniste est un chien » ; passons sur ses insultes envers De Gaulle : maquereau réac, merde, crétin pompeux, monstre, foutu salaud, porc (pas rancunier, De Gaulle ! qui refusa toujours qu’on lui fît le moindre ennui) ; passons sur l’élégant dénigrement de sa propre compagne Simone de Beauvoir, qui, selon lui, aurait écrit La Longue Marche, éloge de la Chine de Mao, surtout en bibliothèque, à partir de livres et d’articles ; passons sur son abstention au vote de 1936, quand se présentait le Front Populaire (qui gagna l’élection) ; passons sur son approbation du pacte germano-soviétique ou sur ses dix-huit articles favorables à Fidel Castro ; oublions son opinion sur son ancien camarade Raymond Aron (« De toute évidence, il est totalement, complètement, systématiquement de deuxième ordre, fondamentalement c’est un con et un imbécile ») ; mettons à la poubelle son avis sur le massacre des Jeux olympiques de Munich (« L’acte de terreur commis à Munich, ai-je dit, se justifiait à deux niveaux : d’abord, parce que tous les athlètes israéliens aux Jeux olympiques étaient des soldats, et ensuite, parce qu’il s’agissait d’une action destinée à un échange de prisonniers » – ce qui était complètement faux et ridiculement absurde) ; passons sur sa défense de Kim Il-sung, le dictateur nord-coréen...

Passons, passons, passons vite sur Sartre, une véritable satire de l’intellectuel, un masque de l’homme engagé, une girouette politique, un faux philosophe, passons....

Ce n’est pas seulement Sartre qui a fait Sartre. Une époque de menteurs, celle de la guerre et de l’après-guerre, cette bourgeoisie avait besoin de menteurs qui soient à sa hauteur et elle en a eu...

Aimé Césaire

Aimé Césaire, en 1953, à la mort de Staline :

Dans « Literatournaïa Gazeta », l’équivalent russe des « Lettres françaises », Césaire dit avoir « vu un grand peuple blessé au coeur [...], un grand peuple amoureux de l’art, de la science, de la culture, un grand peuple occupé par le travail, par la gigantesque édification de la paix ». Il y proclame « la grandeur du leader défunt » avec une empathie de thuriféraire convaincu pour longtemps : La mémoire de Staline [...], c’est aussi une inébranlable détermination qui marque tous les visages, la détermination de protéger l’oeuvre grandiose de Staline de toutes les atteintes. »

Césaire a dédicacé un exemplaire de « Cahier d’un retour » au stalinien de choc Thorez, ce « magnifique conducteur/ du prolétariat ».

Alain Badiou

Militant politique, Badiou a été l’un des dirigeants du maoïsme français (militant à l’Union des communistes de France marxiste-léniniste), comme d’autres normaliens célèbres (Benny Lévy, Guy Lardreau, le linguiste Jean-Claude Milner, les lacaniens Jacques-Alain et Gérard Miller, qui, eux, militaient à la Gauche prolétarienne, etc.). Il ne renie ensuite rien ou presque de cet héritage. Alain Badiou considère que les phénomènes comme le goulag et la Révolution culturelle ne doivent pas conduire, concernant le communisme, à « jeter le bébé avec l’eau du bain ».

En 1975, Badiou écrivait dans « Théorie de la contradiction » (édité par les éditions maoïstes « Yennan ») :

« Les Khmers rouges s’emparent de Phnom Penh : une séquence historique s’achève parce qu’une contradiction est résolue (…). La résolution d’une contradiction exige que quelque chose disparaisse (…). Il n’est de pensée révolutionnaire véritable que celle qui mène la reconnaissance du nouveau jusqu’à son incontournable envers : de l’ancien doit mourir (…). La dialectique matérialiste affronte la perte et la disparition sans retour. Il y a des nouveautés radicales parce qu’il y a des cadavres qu’aucune trompette du Jugement ne viendra jamais réveiller. Au plus fort de la Révolution culturelle, on disait en Chine : l’essence du révisionnisme, c’est la peur de la mort. »

« Pour nous, maoïstes, porteurs déterminés de l’avenir révolutionnaire… »

« Les dialecticiens maoïstes, proclamait-il en 1975, sont aujourd’hui en France les scaphandriers (sic) du processus primaire, immergés dans les profondeurs pratiques du prolétariat, sous les sédiments secondaires entassés par le révisionnisme. »

« Du temps de Staline, il faut bien dire que les organisations politiques ouvrières et populaires se portaient infiniment mieux, et que le capitalisme était moins arrogant. Il n’y a même pas de comparaison ».

En janvier 1979, au moment de la guerre Cambodge-Viêt Nam, et alors que le monde entier découvre l’ampleur des crimes de Pol Pot et de ses Khmers rouges, Badiou proteste dans une tribune publiée dans Le Monde (intitulée « Kampuchéa vaincra » du 17 janvier 1979) contre l’« invasion du Cambodge par cent vingt mille Vietnamiens » et prend la défense de Pol Pot et des Khmers rouges. Ce sont ces Vietnamiens qui ont sauvé le peuple khmer du génocide !!! Badiou ne craint pas d’employer l’expression « solution finale » !!! Il écrit : « la simple volonté de compter sur ses propres forces et de n’être vassalisé par personne éclaire bien des aspects, y compris en ce qui concerne la mise à l’ordre du jour de la terreur ».

Le 1er mars 2012, il reconnaît à l’Emission Avant-Première de France 2 que cet article était « une erreur » mais il n’explique ni son erreur ni l’évolution des khmers rouges qui a mené au génocide. On cherche où est « la contradiction » ?!!!

Il continue cependant de se revendiquer de l’héritage de Mao et du « terrorisme révolutionnaire » chinois. oir ici

En 2009, il justifie encore la politique de la terreur comme « une condition de la liberté » (Alain Badiou et Slavo Zizek, Mao. De la pratique et de la contradiction, La Fabrique, 2009)

Bien longtemps après, Badiou reste un défenseur du stalinisme russe comme chinois…. Alain Badiou explique ainsi le 17 octobre 2014 à « Ce soir ou Jamais » que « nous avons tout perdu en perdant l’URSS »

Les « idées » philosophiques qui font l’originalité de Badiou, semblent absurdes :

 l’ontologie (théorie de l’être) est identique aux mathématiques et, plus spécifiquement, à la théorie des ensembles

 du point de vue de l’être, rien n’appartient à soi (conséquence supposée de l’axiome de fondation) et que l’événement n’est possible que s’il y a précisément une telle auto-appartenance. En conséquence, l’événement n’est pas.

 son concept de « matérialisme démocratique » (il n’y a que des corps et des langages), opposé à celui de « dialectique matérialiste »

 son soutien à Lacan (pâle copie de Freud)

J’ai effectivement jeté un œil aux ouvrages remarquables d’Alain Badiou comme « L’être et l’événement ». Je crains de ne voir là qu’un vide sidéral consistant à ramener la science aux mathématiques, à récuser la dialectique réelle de la nature, considérée par lui comme stalinienne (ce n’est pas parce qu’il l’était qu’il sait de quoi il s’agit !). Il fait des phrases : « A régné jusqu’ici sans partage ce que je nommerai la véridicité… » ou « La science de l’être-en-tant-qu’être existe depuis les Grecs, car tel est le statut et le sens des mathématiques » ou encore « Il y a donc un accord général sur la conviction que nulle systématique spéculative n’est concevable… ». Certains trouveront sans doute leur plaisir à lire que « Ce qui se passe dans l’art, dans la science, dans la vraie et rare politique, dans l’amour (s’il existe), c’est la venue au jour d’un indiscernable du temps, qui n’est de ce fait ni un multiple connu ou reconnu, ni une singularité ineffable, mais qui détient dans son être-multiple tous les traits communs du collectif considéré, et, en ce sens, est vérité de son être. »

Je n’ai pas peur de l’abstraction, puisque j’adore Hegel mais seulement de l’abstraction purement abstraite, c’est-à-dire totalement vide de sens…

Les affirmations méthodiquement fausses abondent, du genre de « La compatibilité de la physique avec les mathématiques est de principe ». Ou encore « Les mathématiques sont l’ontologie ». Ou bien « C’est une prescription du temps que la possibilité de citer les mathématiques soit exigible pour que vérité et sujet soient pensables dans leur être. »

Ou encore « La philosophie est circulation dans le référenciel. »

Conclusion de l’ouvrage : « Le Néant parti, reste le château de la pureté. » Il cite Lacan, aussi obscur et abstrait que lui… Aussi faussement dialectique.

Conclusion de son étude sur Hegel, dépassant soi-disant ce penseur :

« Du rouge de la vigne étalé sur le mur on ne tirera jamais, fût-ce comme sa loi, l’ombre automnale sur les collines, qui enveloppe, de cette vigne, l’envers transcendantal. »

Et les peintres…

Beaucoup d’artistes avaient rejoint le Parti communisme dès avant la guerre. Édouard Pignon adhère en 1933, bientôt rejoint par Boris Taslitzky, André Fougeron en 1939. Il n’y a pour Pignon aucune contradiction entre la recherche en peinture et la ligne du Parti. Bien au contraire. La crise économique, les mobilisations du Front populaire font de tous ces jeunes artistes, souvent issus de milieu très modeste Pignon, comme Thorez, est fils et petit-fils de mineur, des militants : Jean Amblard, Boris Taslitzky, André Fougeron, Auricoste, comme Pignon, contribuent aux grandes liturgies communistes qui marquent la marche vers le Front populaire, peignant banderoles et portraits un Robespierre pour la grande manifestation du Front populaire à la Bastille pour Pignon.

En 1936, Pignon peint L’Hommage aux mineurs des Asturies, dont la grève a été réprimée. Certes, ses tableaux sont figuratifs ; ils ne se rattachent pas à l’art abstrait, ils ont un sujet. Mais la réalité est transfigurée par son art. Ainsi, il y a bien, dans les années 1930, des artistes révolutionnaires, prêts à servir le Parti par les moyens qui sont les leurs. Tout en conservant leur liberté dans leur pratique artistique.

Les débats sont d’ailleurs vifs. Une grande rencontre a ainsi lieu à la Maison de la Culture, à Paris, en 1936, dont les échanges ont été publiés sous le titre La Querelle du réalisme. En commun, chez les communistes, la condamnation de l’abstraction : elle n’a pas de lien avec le réel ; elle est sans valeur pour l’action ; c’est une peinture pour initiés. Le réalisme quant à lui est vertueux. Il est lisible : son sujet se reconnaît immédiatement. Il est édifiant. Enfin, il comble l’abîme entre le peuple et les artistes.

A la Libération, deux peintres de stature internationale, qui, jusqu’alors, avaient été de simples compagnons de route, adhèrent à leur tour au Parti communiste : Fernand Léger et Pablo Picasso. L’adhésion du second fait un peu d’ombre à celle du premier. Le 5 octobre 1944, son annonce occupe quatre colonnes à la une de L’Humanité, illustrée d’une photo où le peintre se trouve en compagnie de Marcel Cachin, le directeur du quotidien communiste, de Jacques Duclos et de Francis Jourdain critique d’art et ancien designer, avec pour légende une formule souvent reprise : « Je vais au Parti comme on va à la fontaine. »

Cette annonce spectaculaire accompagne l’ouverture du Salon d’automne de 1944 qui se tient au Grand Palais, dit « Salon de la Libération », consacré aux oeuvres de peintres « dégénérés » : Soutine mort en 1943 ; Léger, qui avait vécu la guerre en exil aux États-Unis, et Picasso surtout, qui expose 79 oeuvres créées durant la guerre 74 peintures et 5 sculptures. « C’était la première fois que le public du Salon d’automne voyait des Picasso et ce fut un beau scandale », raconte Pierre Daix.

Cette adhésion a certainement été préparée pendant la guerre : Picasso a alors fait connaissance, par le truchement de ses voisins et amis, les Leiris, de Laurent Casanova, collaborateur direct de Maurice Thorez pendant les années de Front populaire, un des responsables de la résistance communiste, chargé après la guerre des relations du Parti avec les intellectuels. C’est lui qui est probablement à l’origine de l’entrée de l’artiste dans le Parti.

Le peintre s’est expliqué sur son adhésion dans le magazine américain New Masses :« Je suis allé au communisme sans la moindre hésitation, car au fond, j’étais avec lui depuis toujours [...]. Ces années d’oppression terrible m’ont montré que je devais combattre non seulement par mon art, mais par ma personne. J’avais tellement hâte de retrouver ma patrie ! J’ai toujours été un exilé. Maintenant, je ne le suis plus ; en attendant que l’Espagne puisse enfin m’accueillir, le Parti communiste français m’a ouvert les bras et j’y ai trouvé tous ceux que j’estime [...]. Je suis de nouveau parmi mes frères. » Le Parti comme patrie ; le Parti comme famille. Nulle part l’idée d’une révolution, ou celle d’un soutien à l’Union soviétique. En rejoignant le PC, Picasso est aussi en phase avec son époque, son milieu : le marchand Kahnweiler ou Michel Leiris partagent ces opinions.

Mais la position du Parti en matière de peinture change avec la guerre froide et le jdanovisme : le PCF se rallie au « réalisme socialiste ». Au congrès de Strasbourg en 1947, Thorez déclare : « Nous préconisons une littérature optimiste, tournée vers l’avenir, exaltant l’effort, la solidarité, la marche vers une société meilleure qui est à bâtir de nos mains et que nous bâtirons. Aux intellectuels désorientés, égarés dans le dédale des interrogations, nous apportons des certitudes, des possibilités de développement illimité. Nous les appelons à se détourner des faux problèmes de l’individualisme, du pessimisme, de l’esthétisme décadent et à donner du sens à leur vie en la liant à la vie des autres. Nous les appelons à puiser dans un contact vivifiant avec les masses populaires l’élan et la force qui permettent des oeuvres durables. »

Tout était plus facile dans les années 1930. Il s’agissait alors, dans le grand élan de l’antifascisme, de rallier les intellectuels les plus prestigieux - Dabit, Gide, Malraux... - et d’obtenir leur soutien à l’Union soviétique et à la lutte du Parti communiste. Mais il n’était pas question de s’ingérer dans leur art. Dans l’après guerre, si cette politique demeure - faire soutenir par les artistes et intellectuels le « camp de la paix » -, le Parti affirme pour la première fois prendre en charge les problèmes artistiques. Il y a désormais un art de parti dont les traits dominants, présents dans les discours de Strasbourg, sont confirmés, prolongés, aggravés par les interventions de Jdanov : « Ouvriérisme, optimisme de principe, moralisme, souci éducatif, art comme terrain d’application de la politique. »

Un peintre est choisi pour incarner le « nouveau réalisme » : André Fougeron. Car cette « école » est née de l’exposition au Salon d’automne de 1948 et de sa toile Parisiennes au marché8. Elle est considérée comme le pendant des Communistes d’Aragon. Le tableau représente un groupe de cinq femmes aux visages fermés, l’une portant un enfant, devant un étal de poisson. La poissonnière montre des poissons que nulle n’achète en cette période où le Parti dénonce la vie chère.

La critique est terrible à l’égard de cette toile. « J’ai rencontré le plus mauvais tableau du monde », écrit Georges Limbour dans Les Temps modernes qui juge les « couleurs bobonnesques » vulgaires. D’autres parlent de « chromos », d’« académisme » et déplorent qu’un artiste prometteur ait sacrifié son art aux directives du Parti. Un parti qui, secrétaire général en tête, l’encense. Au XIIe congrès qui se tient en avril 1950 à Genevilliers, Maurice Thorez a inscrit au tableau d’honneur une toile d’André Fougeron, L’Hommage à André Houllier, que la Fédération de Paris achète en guise de cadeau pour le 70e anniversaire de Staline. Le réalisme triomphe. Et le Parti aussi. Les formes audacieuses ne sont pas révolutionnaires. « Peuvent l’être en revanche un sujet "juste" servi par un métier classique "universel". »

L’aveuglement des intellectuels, une fatalité ?

Tout ce qui précède ne veut nullement dire que tous les intellectuels attirés vers le communisme aient basculé dans le stalinisme. Ce n’est nullement le cas. Ce sont essentiellement des intellectuels qui ont été attirés par exemple par le trotskisme et nombre d’entre eux ont aussi refusé d’entrer dans un groupe tout en défendant leurs idées…

On se souvient d’André Gide faisant retour sur son voyage en URSS et passant, auprès des autorités soviétiques, de l’adoration à l’exécration :

« En U.R.S.S. il est admis d’avance et une fois pour toutes que, sur tout et n’importe quoi, il ne saurait y avoir plus d’une opinion. Du reste, les gens ont l’esprit ainsi façonné que ce conformisme leur devient facile, naturel, insensible, au point que je ne pense pas qu’il y entre de l’hypocrisie. Sont-ce vraiment ces gens-là qui ont fait la révolution ? Non ; ce sont ceux-là qui en profitent. Chaque matin, la Pravda leur enseigne ce qu’il sied de savoir, de penser, de croire. Et il ne fait pas bon sortir de là ! De sorte que, chaque fois que l’on converse avec un Russe, c’est comme si l’on conversait avec tous. Non point que chacun obéisse précisément à un mot d’ordre ; mais tout est arrangé de manière qu’il ne puisse pas dissembler. Songez que ce façonnement de l’esprit commence dès la plus tendre enfance... De là d’extraordinaires acceptations dont parfois, étranger, tu t’étonnes, et certaines possibilités de bonheur qui te surprennent plus encore... L’effigie de Staline se rencontre partout, son nom est sur toutes les bouches, sa louange revient immanquablement dans tous les discours. Particulièrement en Géorgie, je n’ai pu entrer dans une chambre habitée, fût-ce la plus humble, la plus sordide, sans y remarquer un portrait de Staline accroché au mur, à l’endroit sans doute où se trouvait autrefois l’icône. Adoration, amour ou crainte, je ne sais ; toujours et partout il est là…. Sur la route de Tiflis à Batoum, nous traversons Gori, la petite ville où naquit Staline, j’ai pensé qu’il serait sans doute courtois de lui envoyer un message, en réponse à l’accueil de l’U.R.S.S. où, partout, nous avons été acclamés, festoyés, choyés. Je ne trouverai jamais meilleure occasion. Je fais arrêter l’auto devant la poste et tends le texte d’une dépêche. Elle dit à peu près : « En passant à Gori au cours de notre merveilleux voyage, j’éprouve le besoin cordial de vous adresser... » Mais ici, le traducteur s’arrête : Je ne puis point parler ainsi. Le « vous » ne suffit point, lorsque ce « vous », c’est Staline. Cela n’est point décent. Il y faut ajouter quelque chose. Et comme je manifeste certaine stupeur, on se consulte. On me propose : « Vous, chef des travailleurs », ou « maître des peuples » ou... je ne sais plus quoi. Je trouve cela absurde ; proteste que Staline est au-dessus de ces flagorneries. Je me débats en vain. Rien à faire. On n’acceptera ma dépêche que si je consens au rajout. Et, comme il s’agit d’une traduction que je ne suis pas à même de contrôler, je me soumets de guerre lasse, mais en déclinant toute responsabilité et songeant avec tristesse que tout cela contribue à mettre entre Staline et le peuple une effroyable, une infranchissable distance. Et comme déjà j’avais pu constater de semblables retouches et « mises au point » dans les traductions de diverses allocutions que j’avais été amené à prononcer en U.R.S.S., je déclarai aussitôt que je ne reconnaîtrais comme mien aucun texte de moi paru en russe durant mon séjour et que je le dirais. Voici qui est fait. »

Panaït Istrati a fait de même. Il n’y avait pas de fatal aveuglement des intellectuels…

Istrati écrivait avec Victor Serge, dans « La Russie nue » :

La guerre s’achevait dans une horreur sans nom. Des mouvements révolutionnaires secouaient toute l’Europe. La frénésie des passions ne favorisait pas l’objectivité scientifique. L’heure n’était pas aux dissertations impartiales. Il fallait défendre avec parti pris les vaillants qui osaient s’attaquer à la vieille société dans son principe. Ceux qui l’ont fait ont raison de ne pas le regretter.

Alors, chaque succès partiel contre le désordre toute tentative heureuse de création originale, chaque improvisation réussie étaient salués comme autant de promesses d’un avenir meilleur. Mais il ne venait à l’idée d’aucun communiste conscient de prétendre que tout était pour le mieux dans la meilleure des révolutions. Personne ne niait le froid et la faim, nul ne dissimulait l’immensité de la tâche en perspective ni la faiblesse des moyens à mettre en œuvre… Il s’est trouvé des « pélerins » pour visiter la Russie d’alors en touristes et en rapporter de littéraires naïvetés. Mais ces manifestations tout individuelles et assez rares ne répondaient à aucun système d’ensemble et n’engageaient que leurs auteurs. Le pouvoir soviétiste et les représentants qualifiés du mouvement communiste international ne fondaient pas leur politique là-dessus… C’était le temps de Lénine.
Après la disparition du chef incontesté, tout a bien changé. L’expression de la vérité, la simple constatation des faits, même dans l’esprit le plus strictement conforme à la tendance communiste, sont devenus crimes de lèse-majesté. Quant à la critique, même la plus scrupuleusement loyaliste et réformatrice, elle a été considérée comme attentat à main armée. C’est pourquoi l’on a pu voir les principaux compagnons d’armes de Lénine dans l’époque héroïque prendre les uns après les autres le chemin de la prison, de la déportation et de l’exil.

Avant 1924, Lénine montait à la tribune des congrès communistes ou soviétiques et, devant le monde entier, n’hésitait pas à dire, quand il le jugeait nécessaire : à tel propos, dans tel cas, nous nous sommes trompés. Et cette franchise, lucide, loin de favoriser l’ennemi, éclairait et fortifiait la conscience révolutionnaire.

Depuis 1924, le successeur de Lénine prétend ne s’être jamais trompé…

La population des deux continents, dans sa majeure partie, ne sait pas encore qu’il existe, parmi les mortels, un homme infaillible, résident à Moscou, au Kremlin. Sans doute est-ce la raison pour laquelle cet individu omniscient, dans sa prévoyance infinie, a cru bon de constituer sous des appellations diverses une équipe de thuriféraires qui s’évertuent à chanter partout ses mérites. »

La suite

On peut citer également Victor Serge, André Breton, Pierre Monatte, David Korner, Mathieu Bucholz, Alfred Rosmer, ou Benjamin Perret. Et bien d’autres ! Tous ont combattu jusqu’au bout la bourgeoisie, l’impérialisme, le fascisme sans jamais cautionner le stalinisme. Ce n’était pas une fatalité !

En voici un exemple…

Déclaration lue (et rédigée initialement) par André Breton le 3 septembre 1936 au meeting : « La vérité sur le Procès de Moscou » :

CAMARADES,

En notre simple qualité d’intellectuels, nous déclarons que nous tenons le verdict de Moscou et son exécution pour abominables et inexpiables.

Nous nions formellement avec vous le bien-fondé de l’accusation, que les antécédents des accusés dispensent même d’examiner en dépit des prétendus « aveux » de la plupart d’entre eux. Nous tenons la mise en scène du procès de Moscou pour une abjecte entreprise de police, qui dépasse de loin en envergure et en portée celle qui aboutit au procès dit des « incendiaires du Reichstag ». Nous pensons que de telles entreprises déshonorent à jamais un régime.

Nous nous associons, sinon à l’ensemble de ses appréciations politiques, du moins aux conclusions lucides de l’article d’Otto Bauer formulées avant-hier dans Le Populaire : « Ce qui s’est passé à Moscou, c’est plus qu’une erreur, plus qu’un crime, c’est un malheur effroyable qui frappe le socialisme du monde entier, sans distinction d’esprit et de tendance ». C’est, à notre sens, un malheur effroyable dans la mesure où, pour la première fois, à un grand nombre de camarades qui se laisseront abuser, la conscience révolutionnaire est présentée en bloc comme corruptible. C’est un malheur effroyable dans le sens où des hommes vers qui allait, malgré tout, ne fût-ce qu’en raison de leur passé plus ou moins glorieux, notre respect, passent pour se condamner eux-mêmes, pour se définir comme des traîtres et des chiens. Ces hommes, quelles que soient les réserves graves que nous puissions faire sur la solidité de certains d’entre eux, nous les tenons pour totalement incapables, fût-ce dans le désir de continuer à lutter, fût-ce à plus forte raison dans l’espoir d’échapper à la mort, de se nier, de se flétrir eux-mêmes à ce point. Mais où cela cesse d’être un malheur effroyable, c’est à partir du moment où cela nous éclaire définitivement sur la personnalité de Staline : l’individu qui est allé jusque là est le grand négateur et le principal ennemi de la révolution prolétarienne. Nous devons le combattre de toutes nos forces, nous devons voir en lui le principal faussaire d’aujourd’hui - il n’entreprend pas seulement de fausser la signification des hommes, mais de fausser l’histoire - et comme le plus inexcusable des assassins.

Nous faisons, dans ces conditions, toutes réserves sur le maintien du mot d’ordre : « Défense de l’U.R.S.S. » Nous demandons que lui soit substitué de toute urgence celui de « Défense de l’Espagne révolutionnaire » en spécifiant que tous nos regards vont aujourd’hui, 3 septembre 1936, aux magnifiques éléments révolutionnaires de la C.N.T., de la F.A.I. et du P.O.U.M. qui luttent, indivisiblement à nos yeux, sur le front d’Irun et dans le reste de l’Espagne. Ces éléments, nous ne nous dissimulons pas que Staline et ses acolytes, qui ont passé un pacte d’assistance avec les états capitalistes, s’emploient tant qu’ils peuvent à les désunir. C’est, pour nous, une raison de plus d’attendre d’eux, de leurs forces et de leurs héroïsmes conjugués, le rétablissement de la vérité historique foulée aux pieds non moins systématiquement en U.R.S.S. qu’en Italie et en Allemagne.

Sous une forme concrète, nous nous proposons d’agir à l’intérieur du Comité de Vigilance des Intellectuels pour que soit menée en toute sévérité l’enquête réclamée par le P.O.I. sur les conditions dans lesquelles s’est déroulé, nous le savons déjà, sans le moindre égard, non seulement pour la personnalité des accusés, mais pour la sauvegarde de la dignité humaine, le procès de Moscou, et de contribuer à exiger s’il y a lieu - il y a lieu sûrement - réparation au nom de la conscience internationale, seul élément de progrès, de la conscience internationale dont, Camarades, nous sommes ici un certain nombre à tenir les prescriptions pour sacrées.

Nous saluons à nouveau la personnalité, de très loin au-dessus de tout soupçon, de Léon Trotsky. Nous réclamons pour lui le droit de vivre en Norvège et en France. Nous saluons cet homme qui a été pour nous, abstraction faite des opinions non infaillibles qu’il a été amené à formuler, un guide intellectuel et moral de premier ordre et dont la vie, dès lors qu’elle est menacée, nous est aussi précieuse que la nôtre.

Adolphe Acker, André Breton, Georges Henein, Maurice Henry, Georges Hugnet, Marcel Jean, Léo Malet, Georges Mouton, Henri Pastoureau, Benjamin Péret, Gui Rosey, Yves Tanguy.

La vérité sur les procès de Moscou

Les intellectuels qui ont rejoint le courant stalinien n’ont été gagnés ni par la révolution d’Octobre, ni par des idées communistes, ni par des idées marxistes, ni par des idées socialistes, ni par des buts prolétariens mais par la victoire des vainqueurs des Etats dits socialistes, de la bureaucratie et de l’armée de la Russie ou de la Chine.

La cause du communisme révolutionnaire a conquis peu d’intellectuels, moins que celle des pouvoirs étatiques triomphants. Ce n’est pas si étonnant. Trotsky écrivait déjà en 1910 dans « Les intellectuels et le socialisme » :

« La seule façon d’attirer les intellectuels au socialisme, à son avis, est de ne mettre en avant que le but ultime du mouvement, dans son intégralité… Rejoindre le mouvement socialiste, dans n’importe quel pays avancé où règne une réelle vie sociale, est un acte non pas spéculatif mais politique et, sur ce terrain-là, la raison sociale l’emporte sur la raison théorique. En fin de compte, cela signifie qu’il est plus difficile de gagner l’intelligentsia aujourd’hui qu’hier, et que ce le sera encore plus demain qu’aujourd’hui… Mais si la conquête effective des leviers de commande de la société dépendait du fait préalable que l’intelligentsia s’unisse au parti du prolétariat européen, la cause du collectivisme serait alors bien compromise car, comme nous nous sommes efforcés de le montrer plus haut, le passage des intellectuels à la social-démocratie dans le cadre du régime bourgeois devient, contrairement à toutes les espérances de Max Adler, de moins en moins possible au fur et à mesure que le temps passe. »

Lire sur l’histoire du PCF

Portfolio

Messages

  • Précisons que stalinien ne signifie nullement communiste, y compris après la « déstalination » de Krouchtchev et la « dénonciation du culte de la personnalité ». Le stalinisme n’a jamais rompu avec son éducation liée à des années de justification de l’étatisme, du nationalisme, du progressisme, du « socialisme dans un seul pays » et de bien d’autres idéologies complètement en rupture avec Marx et Lénine.

    Le stalinisme en portrait / Quel rapport avec la politique de Lénine ?

    Lénine n’a jamais défendu le « socialisme dans un seul pays » de Staline

    En quoi Marx, Engels, Lénine et Trotsky seraient-ils responsables politiquement ou idéologiquement du stalinisme et du maoïsme ?

    Lénine et Trotsky contre Staline

  • Un exemple du nationalisme diffusé par les staliniens français, celui d’Aragon :

    Extrait du Musée Grévin :

    Je vous salue ma France arrachée aux fantômes

    Ô rendue à la paix Vaisseau sauvé des eaux

    Pays qui chante Orléans Beaugency Vendôme

    Cloches cloches sonnez l’angélus des oiseaux

    Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle

    Jamais trop mon tourment mon amour jamais trop

    Ma France mon ancienne et nouvelle querelle

    Sol semé de héros ciel plein de passereaux

    Je vous salue ma France où les vents se calmèrent

    Ma France de toujours que la géographie

    Ouvre comme une paume aux souffles de la mer

    Pour que l’oiseau du large y vienne et se confie

    Je vous salue ma France où l’oiseau de passage

    De Lille à Roncevaux de Brest au Mont-Cenis

    Pour la première fois a fait l’apprentissage

    De ce qu’il peut coûter d’abandonner son nid

    Patrie également à la colombe ou l’aigle

    De l’audace et du chant doublement habitée

    Je vous salue ma France où les blés et les seigles

    Mûrissent au soleil de la diversité ».

    Où est passé le combat contre le nationalisme, qui pus est dans un pays impérialiste, la France ?

    Qui a dit "les travailleurs n’ont pas de patrie" ? Pas un stalinien !!!

  • « Habitué aux amens et à l’encensoir stalinien, Aragon ne réussit cependant pas aussi bien que les précédents à allier Dieu et la patrie. Il ne retrouve le premier, si j’ose dire, que par la tangente et n’obtient qu’un texte à faire pâlir d’envie l’auteur de la rengaine radiophonique française : « Un meuble signé Lévitan est garanti pour longtemps. »

    Benjamin Péret

    « Le déshonneur des poètes »

    février 1945

  • « L’art de l’époque stalinienne restera comme l’expression la plus crue de la profonde décadence de la révolution prolétarienne. Mais cela ne se limite pas aux frontières de l’U.R.S.S. Sous couvert de reconnaissance tardive de la Révolution d’Octobre, l’aile « gauche » de l’intelligentsia occidentale s’est mise à genoux devant la bureaucratie soviétique. Les artistes doués de caractère et de talent sont, en règle générale, marginalisés. Et c’est ainsi qu’avec le plus grand sans‑gêne, des ratés, des carriéristes, des gens dépourvus de dons se sont propulsés au premier rang. On a inauguré l’ère des centres et des bureaux de toutes sortes, des secrétaires des deux sexes, des inévitables lettres de Romain Rolland, des éditions subventionnées, des banquets et des congrès, où il est difficile de découvrir la ligne de démarcation entre l’art et le G.P.U. Malgré sa vaste extension, ce mouvement de militarisation n’a pas donné naissance à une seule oeuvre qui puisse immortaliser son auteur ou ceux qui, du Kremlin, l’ont inspirée. »

    Léon Trotsky

    17 juin 1938

    L’art et la révolution

  • "Le développement de l’art est la plus haute épreuve de la vitalité et de l’importance d’une époque" écrit Léon Trotsky dans "Littérature et révolution".

    Le stalinisme, une sale époque !

  • « Dans la période présente, caractérisée par l’agonie du capitalisme, l’artiste, sans même qu’il donne à sa dissidence sociale une forme manifeste, se voit menacé de la privation du droit de vivre (( ?)) et de continuer son œuvre par le retrait devant celle ?ci de tous les moyens de diffusion. Il est naturel qu’il se tourne alors vers... les organisations staliniennes qui lui offrent là le moyen d’échapper à son isolement... mais la renonciation, de sa part, à tout ce qui peut constituer son message propre et les complaisances que ces organisations exigent de lui en échange de quelques possibilités matérielles lui interdisent de s’y maintenir, pour peu que la démocratisation soit impuissante à avoir raison de son caractère. »

    Le manifeste « pour un art révolutionnaire indépendant », Léon Trotsky, André Breton et Diego Rivera

  • "Les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires."

    Georges Orwell

  • Toujours cette grande sympathie pour Trotsky...

    Paul Nizan a écrit :

    "Il y a une certaine mode, un certain entraînement intellectuel qui met Trotski plus haut que Staline ; les intellectuels pensent reconnaître en Trotski un de leurs grands représentants. Ils voient en lui comme une image du génie en proie au destin. Et Staline leur paraît moins subtil. Ils trouvent le « stalinisme » un peu gros, un peu trop attaché à la terre. C’est qu’ils aiment moins les événements que les idées, et l’homme des événements leur semble moins passionnant que l’homme qui pense et critique."

    Et Nizan n’a pas cédé à cette "mode"....

  • Avant-Premières, sur France 2, Alain Badiou a l’honnêteté de dire qu’il s’est trompé à propos des Khmers rouges (pas sur Trotsky, là il ne regrette pas !) mais cherchez dans son texte une explication non de son "erreur" mais du crime de ce groupe stalinien maoïste :

    "Je le regrette. Et je suis heureux de le dire ici publiquement : je regrette d’avoir écrit ce texte. Mais il ne suffit pas de le regretter. Regretter et se repentir, on peut toujours le faire. C’est très facile. Nos chefs d’État eux-mêmes n’arrêtent pas de se repentir et de demander pardon. Au bout du compte, il vaut mieux penser que, comme le dit Spinoza, "le repentir n’est pas une vertu".

    Au-delà, donc, du fait que je regrette d’avoir écrit ce texte, je m’intéresse à la question de savoir pourquoi je l’ai écrit. Je l’ai écrit parce que j’avais été enthousiasmé par la victoire des Khmers rouges en 1975. Je n’ai pas été le seul. Relisez les premières pages du Monde à cette époque-là. J’ai ensuite voulu garder en moi cet enthousiasme, y compris contre le réseau des informations peu à peu disponibles. En politique, le découragement est monnaie courante, et l’enthousiasme est une denrée précieuse.

    Quand les Khmers rouges prennent le pouvoir, c’est une éclatante victoire militaire. Pourquoi sommes-nous si enthousiastes ? Parce que c’est la victoire d’un tout petit peuple, organisé en guérilla rurale sous la direction des Khmers rouges, contre l’énorme armée américaine et ses complices locaux. Et c’est donc la validation d’un énoncé de Mao qui soutenait à l’époque l’espérance de millions de gens dans le monde : "Un petit peuple, s’il est uni et qu’il compte sur ses propres forces, peut venir à bout d’une grande puissance." Encore aujourd’hui, cette idée que le plus faible par la puissance brute peut être politiquement le plus fort est d’une importance décisive.

    Il y avait donc cet enthousiasme, et quand les Vietnamiens ont envahi le Cambodge, cette invasion m’a paru détestable. Quatre ans après avoir chassé les Américains, voilà que le Cambodge devait subir une nouvelle invasion ! Il ne faut pas oublier que le Cambodge a été envahi par l’armée vietnamienne en 1979 pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec le sentiment humanitaire, pour des raisons de pure puissance régionale. Il ne faut pas l’oublier, car mon article de 1979 est avant tout un article contre l’invasion vietnamienne.

    En leçon de tout cela, je pense que nous devons méditer, au terme du XXe siècle, sur les ravages faits dans les rangs de la pensée progressiste et communiste - reprenons ce vieux mot - par l’enthousiasme victorieux, prématuré et sans limites. Parce que les millions et millions de gens, ouvriers aussi bien qu’intellectuels, qui sont restés enthousiastes de la révolution bolchevique pendant des décennies, y compris sous Staline, tous ceux, innombrables, pour qui la vie prenait tout son sens à la lumière de la victoire de la Révolution de 1917, nous posent une question bien plus vaste que ma personnelle errance cambodgienne.

    Cette question résulte de ce que les peuples soulevés sont rarement victorieux. Très rarement. Tout le monde le sait. Du coup, une victoire, fût-elle douteuse, divisée, obscure, et parfois marquée de crimes effrayants, a une puissance de ralliement extraordinaire. Et ce que le dernier siècle nous a appris, c’est qu’il faut se méfier de la fascination pour les victoires. Je dirais même qu’une des grandes tâches de la politique contemporaine - la vraie politique, celle qui cherche l’émancipation de l’humanité tout entière -, c’est de redéfinir ce que c’est qu’une victoire. Une réelle victoire de la politique, de la politique au sens retrouvé de ce mot fondamental, et non pas, naturellement, au sens de la victoire d’untel contre untel née de l’addition des isoloirs."

    On remarquera qu’après coup et avec le temps de la réflexion, Badiou reste plus hostile au pouvoir vietnamien alors que c’est quand même celui-là qui a sorti le peuple khmer de l’enfer des khmers rouges !!

    En tout cas, il ne donne aucune explication autre que celle de ses états d’âme de l’époque mais pas celle des crimes du "parti communiste cambodgien" !

    Posons nous la question :

    Pourquoi le génocide des "khmers rouges" au Cambodge ?

  • Comment ne pas remarquer que ce ne sont pas des intellectuels qui ont dirigé les partis staliniens, que le niveau théorique de ces partis est particulièrement bas, que les organisations staliniennes ne sont nullement fondées sur ce que Marx appelait le mélange explosif du mouvement autonome du prolétariat et des idées révolutionnaires (ne pas confondre avec le mélange des organisations se réclamant des travailleurs et de la couche sociale des intellectuels petits bourgeois). Les intellectuels qui choisissent le prolétariat n’ont plus rien à voir avec la petite bourgeoisie. Les travailleurs qui raisonnent en termes historiques ne sont pas des militants ouvriers classiques, des activistes politiques ou syndicaux.

  • Girouette que Sartre : vivhyste à l’époque de Vichy, résistant quand il est prouvé que la résistance réussit, engagé quand ça fait bien, stalinien quand ça a un succès populaire, gauchiste quant c’est à la mode, maoïste de même, puis antistalinien quand le stalinisme début se chute. il suit le vent, le Jean-Paul...

    Si Sartre a été au moins équivoque par rapport à Vichy, il s’est rattrapé ensuite en se faisant juge de ceux qui avaient été faibles par rapport au fascisme.

    A la libération, sous prétexte d’épuration des fascistes, les staliniens ont la mainmise sur le comité d’épuration de l’édition, comité où siègent Sartre, Vercors et Seghers, tous trois écrivains et éditeurs...

    Sartre le justifie en prétendant que l’écrivain ne peut pas éviter d’être engagé.
    L’article de Sartre de présentation des Temps modernes s’ouvre sur cette formule péremptoire : "Tous les écrivains d’origine bourgeoise ont connu la tentation de l’irresponsabilité : depuis un siècle, elle est de tradition dans la carrière des lettres" . Or, poursuit Sartre, chaque écrivain peut, en certaines circonstances (l’affaire Dreyfus pour Zola, l’administration coloniale du Congo pour Gide), mesurer sa responsabilité : "l’occupation nous a appris la nôtre". Aucune dérobade n’est donc possible, "tout écrit possède un sens" et constitue un acte qui engage son auteur : "L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit un mot pour l’empêcher" . La guerre aura au moins permis de restituer la littérature à ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, "une fonction sociale", qu’il s’agit de faire jouer dans le sens d’une transformation de la société bourgeoise : "le but lointain que nous nous fixons est une libération" .

    Cela justifiera toutes les cautions du stalinisme....

    Dans la série des essais réunis sous le titre de "Qu’est-ce que la littérature ?", Sartre est logiquement conduit à faire lui aussi le procès des écoles littéraires qui se sont vouées au culte de la beauté, c’est-à-dire à "la perfection dans l’inutile" , à la négation du monde réel et de la vie. Si par essence la littérature est une action par dévoilement, elle ne peut échapper à sa propre aliénation qu’en nommant l’aliénation sociale (la situation d’oppression où vit la majorité des hommes). Par là, elle conduit chaque homme à prendre son entière responsabilité : "la fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne s’en puisse dire innocent" - ce qui suppose que l’écrivain ait choisi de ne pas parler pour ne rien dire : tous les sujets ne se valent pas, "il s’agit de savoir de quoi l’on veut écrire : des papillons ou de la condition des Juifs" . Ceci ne signifie pas que l’art d’écrire soit sans importance. Certes le style (dans la prose, à l’inverse de la poésie) "doit passer inaperçu", mais il est indispensable, car il agit par persuasion, comme "une force douce et insensible" . Sartre peut donc définir son projet en ces termes :

    « Dans la "littérature engagée", l’engagement ne doit pas faire oublier la littérature et notre préoccupation doit être de servir la littérature en lui influant un sang nouveau, tout autant que de servir la collectivité en essayant de lui donner la littérature qui lui convient . »

    On voit combien la théorie de Sartre suit le ton de chaque époque, ce qu’elle doit à l’expérience récente de la guerre ; combien sont réelles ses analogies avec les positions communistes. Ses différences sont pourtant irréductibles. La réflexion que poursuit Sartre en ces années 1945-1947 à propos du marxisme, de l’URSS et du PCF, le conduit très vite à exclure que l’on puisse être à la fois écrivain et militant : "la politique du communisme stalinien est incompatible avec l’exercice honnête du métier littéraire" .

    Sartre prend donc la position inverse de la précédente : tout engagement politique, pour lui, est une tromperie de l’art....

    La logique intellectuelle dans tout cela ? Non, c’est la logique de l’intérêt bien conçu du plumitif...

  • Aragon, « Hourra l’Oural » :

    Gloire sur la terre et les terres

    Au soleil des jours bolcheviks

    Et gloire aux bolcheviks

    Note du poème Valse du Tcheliabtraktrostroï dans « Hourra l’Oural » :
    "A l’usine de tracteurs de Tcheliabinsk, pendant la construction de cette usine, plusieurs fois les brigades de bétonneurs ont organisé des soirées d’émulation socialiste au cours desquelles il s’agissait de remplir et vider le mélangeur de béton au lieu de 140 fois, comme c’est la normale d’une journée, 200 fois et plus. Une large assemblée assistait à ce spectacle qui se poursuivait au son d’un orchestre jouant des airs de danse et des chansons. Une brigade arriva à fournir en une nuit le chiffre incroyable de 200 mélangeurs."

    Aragon, Les lettres françaises, mars 1953 :

    « Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple, selon sa pensée, la théorie et la pratique stalinienne ! Merci à Staline qui a rendu possible la formation de ces hommes, garants de l’indépendance française, de la volonté de paix de notre peuple, de l’avenir d’une classe ouvrière, la première dans le monde montée à l’assaut du ciel et que l’on ne détournera pas de sa destinée en lui faisant voir trente-six étoiles étrangères, quand elle a de tels hommes à sa tête ! »

  • « L’émancipation des ouvriers ne peut être l’oeuvre que des ouvriers eux-mêmes. Il n’y a donc pas de plus grand crime que de tromper les masses, de faire passer des défaites pour des victoires, des amis pour des ennemis, d’acheter des chefs, de fabriquer des légendes, de monter des procès d’imposture, — de faire en un mot ce que font les staliniens. Ces moyens ne peuvent servir qu’à une fin : prolonger la domination d’une coterie déjà condamnée par l’histoire. Ils ne peuvent pas servir à l’émancipation des masses. Voilà pourquoi la IVe Internationale soutient contre le stalinisme une lutte à mort. »

    Léon Trotsky dans "Leur morale et la nôtre"

  • « Le journal Le Monde en date du 18 avril 1975 : « Phnom Penh est tombée ! La ville est libérée… Des groupes se forment autour des maquisards… L’enthousiasme populaire est évident. » Pour Jean Lacouture, il s’agit d’ « une audacieuse transfusion de peuple »  ! Et il précise : « Personne ne peut encore se permettre de juger une expérience. »

    Mais on peut juger à l’expérience le journal Le Monde lui-même : voir ici

  • Que penser des intellectuels staliniens ?

    Le stalinisme et la pensée, déjà, ça fait deux !

  • En juin 1937 paraît le compte-rendu de voyage en URSS d’André Gide intitulé « Retour de l’URSS » où Gide rapporte le développement de la bureaucratie stalinienne telle qu’il l’a vue. Louis Guilloux faisait partie du voyage à l’invitation de Gide. En janvier 1937, Aragon avait demandé à Louis Guilloux de devenir journaliste au journal stalinien « Ce Soir ». Aragon fait donc pression sur Guilloux pour qu’il dénonce Gide. Guilloux refuse et se contente d’écrire que « Le reproche qu’on pourrait lui faire, c’est de n’avoir pas quitté l’URSS dès qu’il s’est rendu compte qu’il n’était plus d’accord. » Résultat : Guilloux est viré du journal « Ce Soir », annonce faite par Jean-Richard Bloch. Voilà ce qu’était la belle époque des intellectuels staliniens et de leurs « compagnons de route » et autres « amis de l’URSS »….

  • Précisons que stalinien ne signifie nullement communiste, y compris après la « déstalination » de Krouchtchev et la « dénonciation du culte de la personnalité ». Le stalinisme n’a jamais rompu avec son éducation liée à des années de justification de l’étatisme, du nationalisme, du progressisme, du « socialisme dans un seul pays » et de bien d’autres idéologies complètement en rupture avec Marx et Lénine.

    Le stalinisme en portrait / Quel rapport avec la politique de Lénine ?

    Lénine n’a jamais défendu le « socialisme dans un seul pays » de Staline

    En quoi Marx, Engels, Lénine et Trotsky seraient-ils responsables politiquement ou idéologiquement du stalinisme et du maoïsme ?

    Lénine et Trotsky contre Staline

  • A André Gide, un temps rallié au stalinisme, un compagnon de route, Benjamin Péret décoche :

    « Monsieur le camarade Gide

    Entre cul et chemise chante la « Jeune Garde »

    Et se dit qu’il est temps d’exhiber son ventre comme son drapeau rouge

    Communiste,

    Un peu, beaucoup, passionnément,

    Pas du tout

    Répondent les couilles de l’enfant de cœur qu’il épile.

    Tel une tomate agitée par le vent

    Monsieur le camarade Gide fait un foutu drapeau rouge

    Dont aucune salade ne voudrait

    Un drapeau rouge qui cache une noix

    Trempée dans le vitriol

    Et bien française comme pas un chien de concierge

    Qui se mord la queue en entendant hoqueter

    La Marseillaise

    Qui fait accoucher Monsieur le camarade Gide

    La faucille et le marteau vous les aurez

    La faucille dans le ventre

    Et le marteau vous le mangerez. »

    Benjamin Péret, « Je ne mange pas de ce pain-là »

  • En août 1935, « Terre Libre », pour dénoncer le nouveau nationalisme français du parti stalinien français qui l’amène à justifier le pacte Laval-Staline et la défense nationale, parodie une chanson en vogue : « Mon oncle a tout repeint »

    Moscou a tout repeint

    Tout repeint, tout repeint,

    Les cervelles en mie de pain,

    La conscience à Cachin,

    Moscou a tout repeint,

    Tout repeint, tout repeint !

    La cabane à bourrins,

    Les peaux de lapin,

    Et le grand râtelier à foin…

    Quand un gars tombe aux mains des badernes,

    Qui lui font faire ses dix-huit mois,

    L’parti lui dit pour sa gouverne

    Qu’il doit se conduire en bon soldat.

    Moscou a tout repeint,

    Tout repeint, tout repeint !

    Les galons, les moustaches,

    Et les poils de la main ;

    Moscou a tout repeint, tout repeint,

    Les arbres, les moustaches,

    Des gueules de vache

    Et les quatre planches en sapin… »

  • Avec une docilité remarquable, ce qu’on appelle l’art soviétique a fait de ce mythe un des sujets favoris de la représentation artistique. Sverdlov, Dzerjinsky, Ouritsky, et Boubnov, sont représentés en couleurs et en relief, assis ou debout, entourant Staline et manifestant une attention intense à ses paroles. Le local où se tient la réunion a un caractère intentionnellement mal défini, afin d’éviter toute question embarrassante sur l’adresse à laquelle il se trouve. Que peut on attendre d’artistes contraints de peindre la représentation grossière d’une falsification historique évidente pour eux mêmes ?

    Le style actuel de la peinture officielle soviétique porte le nom de « réalisme socialiste ». Ce nom même a certainement été donné par quelque chef de bureau des affaires artistiques. Le réalisme consiste à imiter les daguerréotypes qu’on faisait dans les provinces pendant le dernier quart du XIX° siècle ; le caractère « socialiste », à coup sûr dans la manière de montrer les événements, avec les procédés des photographies guindées c’est à dire qu’on ne sait jamais où ils ont lieu. On ne peut s’empêcher d’éprouver un écœurement physique c’est à la fois comique et effrayant à la lecture des poèmes et des nouvelles, à la vue des photos de tableaux ou de sculptures dans lesquels des fonctionnaires armés de plumes, de pinceaux ou de burins, sous la surveillance d’autres fonctionnaires armés de Mausers, chantent les louanges de chefs « prestigieux » et « géniaux », qui n’ont en réalité pas la moindre étincelle de génie ou de grandeur. L’art de l’époque stalinienne restera comme l’expression la plus crue de la profonde décadence de la révolution prolétarienne.

    Mais cela ne se limite pas aux frontières de l’U.R.S.S. Sous couvert de reconnaissance tardive de la Révolution d’Octobre, l’aile « gauche » de l’intelligentsia occidentale s’est mise à genoux devant la bureaucratie soviétique. Les artistes doués de caractère et de talent sont, en règle générale, marginalisés. Et c’est ainsi qu’avec le plus grand sans gêne, des ratés, des carriéristes, des gens dépourvus de dons se sont propulsés au premier rang. On a inauguré l’ère des centres et des bureaux de toutes sortes, des secrétaires des deux sexes, des inévitables lettres de Romain Rolland, des éditions subventionnées, des banquets et des congrès, où il est difficile de découvrir la ligne de démarcation entre l’art et le G.P.U. Malgré sa vaste extension, ce mouvement de militarisation n’a pas donné naissance à une seule oeuvre qui puisse immortaliser son auteur ou ceux qui, du Kremlin, l’ont inspirée.

    Dans le domaine de la peinture, la Révolution d’Octobre a trouvé son meilleur interprète, non en U.R.S.S., mais dans le lointain Mexique, non au milieu des « amis » officiels, mais en la personne d’un « ennemi du peuple » notoire que la IV° Internationale est fière de compter dans ses rangs. Imprégné de la culture artistique de tous les peuples et de toutes les époques, Diego Rivera a su demeurer mexicain dans les fibres les plus profondes de son génie. Ce qui l’a inspiré dans ses fresques grandioses, ce qui l’a transporté au dessus de la tradition artistique, audessus de l’art contemporain et, d’une certaine façon, au dessus de lui-même, c’est le souffle puissant de la révolution prolétarienne. Sans Octobre, sa capacité créatrice à comprendre l’épopée du travail, son asservissement et sa révolte n’auraient jamais pu atteindre pareille puissance et pareille profondeur. Voulez vous voir de vos propres yeux les ressorts secrets de la révolution sociale ? Regardez les fresques de Rivera ! Vous voulez savoir ce que c’est qu’un art révolutionnaire ? Regardez les fresques de Rivera !

    Approchez vous un peu de ces fresques et vous verrez sur certaines d’entre elles des éraflures et des taches faites par des vandales pleins de haine, des catholiques et autres réactionnaires parmi lesquels, évidemment, des staliniens. Ces coups et ces blessures donnent aux fresques une vie plus intense encore. Ce n’est pas seulement un « tableau », l’objet d’une consommation esthétique passive, qui est sous nos yeux, mais un fragment vivant de la lutte sociale. Et en même temps, c’est un sommet de l’art.

    Léon Trotsky

    17 juin 1938

    L’art et la révolution

  • Benjamin Péret, depuis son exil mexicain, répond dans ce texte, court mais percutant, au troisième volume publié en juillet 1943 par les clandestines éditions de Minuit, l’Honneur des poètes, qui rassemblait des poèmes de Résistance écrits par Aragon, Eluard, Pierre Seghers, Jean Tardieu, André Frénaud, Francis Ponge, Charles Vildrac, Loys Masson, Pierre Emmanuel et quelques autres. Pour Benjamin Péret, il s’agit de poésie de propagande et il n’y a pire utilisation de la poésie que celle que peut en faire la propagande. « Pas un des ces poèmes, écrit-il, ne dépasse le niveau lyrique de la publicité pharmaceutique et ce n’est pas un hasard si leurs auteurs ont cru devoir, en leur immense majorité, revenir à la rime et à l’alexandrin classiques. La forme et le contenu gardent nécessairement entre eux un rapport des plus étroits et, dans ces vers, réagissent l’un sur l’autre dans une course éperdue à la pire réaction. Il est en effet significatif que la plupart de ces textes associent étroitement le christianisme et le nationalisme comme s’ils voulaient montrer que dogme religieux et dogme nationaliste ont une commune origine et une fonction sociale identique. (...) En définitive l’honneur de ces poètes consiste à cesser d’être des poètes pour devenir des agents de publicité. »

    Les fantômes de la religion et de la patrie Benjamin Péret s’en prend ensuite nommément à plusieurs auteurs du recueil : à Loys Masson, qui « se limite à broder sur le catéchisme », à Aragon qui, bien qu’« habitué aux amens et à l’encensoir stalinien », « ne réussit cependant pas aussi bien que les précédents à allier Dieu et la patrie », mais surtout à Paul Eluard, qu’il tient toutefois pour le « seul » poète de l’anthologie mais dont le poème Liberté lui paraît la forme « la plus achevée » de « litanie civique ». Benjamin Péret ne se contente pas d’un ton pamphlétaire, il argumente : « Apollinaire, explique-t-il, avait voulu considérer la guerre comme un sujet poétique. Mais si la guerre, en tant que combat et dégagée de tout esprit nationaliste, peut à la rigueur demeurer un sujet poétique, il n’en est pas de même d’un mot d’ordre nationaliste, la nation en question fût-elle, comme la France, sauvagement opprimée par les nazis. L’expulsion de l’oppresseur et la propagande en ce sens sont du ressort de l’action politique, sociale ou militaire, selon qu’on envisage cette expulsion d’une manière ou d’une autre. En tout cas, la poésie n’a pas à intervenir dans le débat autrement que par son action propre, par sa signification culturelle même, quitte aux poètes à participer en tant que révolutionnaires à la déroute de l’adversaire nazi par des méthodes révolutionnaires, sans jamais oublier que cette oppression correspondait au voeu, avoué ou non, de tous les ennemis nationaux d’abord, étrangers ensuite de la poésie comprise comme libération totale de l’esprit humain... » Conclusion : « La liberté est comme un appel d’air, disait André Breton, et pour remplir son rôle, cet appel d’air doit d’abord emporter tous les miasmes du passé qui infestent cette brochure. Tant que les fantômes malveillants de la religion et de la patrie heurteront l’aire sociale et intellectuelle sous quelque déguisement qu’ils empruntent, aucune liberté ne sera concevable : leur expulsion préalable est une des conditions capitales de l’avènement de la liberté. »

  • Les "Cahiers du Communisme" :

    STALINE

    chef des peuples de l’Union Soviétique

    chef du Prolétariat mondial

    a fêté ses soixante ans le 21 décembre dernier...

    Au milieu des épreuves d’une lutte dont nous avons la certitude de sortir victorieux, nous communistes de France, nous célébrons ton soixantième anniversaire cher et grand camarade Staline ; nous te souhaitons de longues années de vie et de travail à la tête des peuples de l’Union Soviétique et des prolétaires du monde entier, mais nous savons que le meilleur témoignage d’affection que nous puissions te donner, c’est de t’assurer que jusqu’au bout nous lutterons de toutes nos forces pour libérer notre pays de la domination des capitalistes qui lui imposent la guerre, pour défendre l’Union Soviétique, contre les provocateurs impérialistes et pour obtenir que la guerre voulue par les exploiteurs et oppresseurs de peuples prenne fin avec la disparition des causes essentielles des guerres impérialistes.

    Vive notre grand et cher camarade STALINE, notre maître et notre guide dans l’action révolutionnaire des masses laborieuses pour le pain, la liberté et la paix.

    Vive l’Union Soviétique de Lénine et de Staline.

    Vive le grand et immortel drapeau de MARX-ENGELS-LENINE-STALINE, sous les plis duquel la victoire remportée sur un sixième du globe s’étendra à l’univers tout entier.

    « Le Parti Communiste Français S.F.I.C. ».

     - -

    ... N’oublions pas que des années de stalinisme sont à l’origine du marasme actuel du mouvement ouvrier face à l’effondrement capitaliste et nourrissent tous les fascismes...

  • Le Parti communiste meurt d’être bien trop peu communiste. Et si on essayait enfin de faire au quotidien de la politique communiste au fort sens marxien du mot ? Ce qui veut dire concrètement quoi ? Prendre au sérieux la thèse stratégique fondamentale de Marx : « L’émancipation des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes. » Thèse trop avant-gardiste peut-être en l’état où était au XIXe siècle, même dans les pays les plus avancés, le développement des forces productives et de la culture populaire, ce qui a conduit à la révolution par en haut et au parti vertical du feu « socialisme scientifique », dont la défaite historique est consommée ; mais thèse bien davantage de plainpied avec l’état présent des choses et des personnes, sans vouloir l’enjoliver.

    Car en même temps que fait rage le pire capitalisme, son dépassement a déjà de longue date commencé dans des foules d’initiatives de pertinence et efficacité variables où le plus souvent hélas le PCF n’est pour rien (des militants s’y investissent individuellement, mais que fait le parti pour les épauler ?), de l’essor de l’économie sociale à la critique des médias, de la bioéthique au commerce équitable, des solidarités courtes à la revalorisation de l’« idée » communiste, et cent autres choses. En un tout autre sens que Lénine nous aussi pouvons dire en effet : la crise est mûre. Dans tous les domaines se multiplient les choses qui ne peuvent plus durer, et partout des forces modestes tentent de s’y attaquer : mêlons-nous-en ! Et ajoutons-y notre propre liste des choses qui ne peuvent plus durer, du management toyotiste d’entreprise au grossissement de ce qu’une juriste réputée appelle « l’Etat de police ». Mais pas à la vieille façon d’un parti qui pense par-dessus tout aux élections prochaines, croit traiter les problèmes par des campagnes de sommet dont l’une chasse l’autre et s’imagine être sur le terrain en distribuant des tracts à la Défense.

    Lucien Sève

  • Quand Jean Ferrat se démarquait du stalinisme :

    « Ah ! ils nous en ont fait avaler des couleuvres

    De Prague à Budapest, de Sofia à Moscou

    Les staliniens zélés qui mettaient tout en œuvre

    Pour vous faire signer les aveux les plus fous

    Vous aviez combattu partout la bête immonde

    Des brigades d’Espagne à celles des maquis

    Votre jeunesse était l’Histoire de ce monde

    Vous aviez nom Kostov ou London ou Slansky

    [Refrain]

    Au nom de l’idéal qui vous faisait combattre

    Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui

    Ah ! ils nous en ont fait applaudir des injures

    Des complots déjoués, des dénonciations

    Des traîtres démasqués, des procès sans bavures

    Des bagnes mérités, des justes pendaisons

    Ah ! comme on y a cru aux déviationnistes

    Aux savants décadents, aux écrivains espions

    Aux sionistes bourgeois, aux renégats titistes

    Aux calomniateurs de la révolution

    [Refrain]

    Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre

    Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui

    Ah ! ils nous en ont fait approuver des massacres

    Que certains continuent d’appeler des erreurs

    Une erreur, c’est facile comme un et deux font quatre

    Pour barrer d’un seul trait des années de terreur

    Ce socialisme était une caricature

    Si les temps on changé, des ombres sont restées

    J’en garde au fond du cœur la sombre meurtrissure

    Dans ma bouche, à jamais, la soif de vérité

    [Refrain]

    Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre

    Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui

    Mais quand j’entends parler de bilan positif

    Je ne peux m’empêcher de penser : à quel prix ?

    Et ces millions de morts qui forment le passif

    C’est à eux qu’il faudrait demander leur avis

    N’exigez pas de moi une âme de comptable

    Pour chanter au présent ce siècle-tragédie

    Les acquis proposés comme dessous de table

    Les cadavres passés en pertes et profits

    [Refrain]

    Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre

    Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui

    C’est un autre avenir qu’il faut qu’on réinvente

    Sans idole ou modèle, pas à pas, humblement

    Sans vérité tracée, sans lendemains qui chantent

    Un bonheur inventé définitivement

    Un avenir naissant d’un peu moins de souffrance

    Avec nos yeux ouverts en grand sur le réel

    Un avenir conduit par notre vigilance

    Envers tous les pouvoirs de la Terre et du Ciel

    [Refrain]

    Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre

    Et qui nous pousse encore à nous battre

    Jean Ferrat

    Et quand il était stalinien s’opposant aux « gauchistes de mai 68 :

    Pauvres petits c…

    On parle de vous sans cesse

    De vos opinions

    Vos voitures vos maîtresses

    Vos clubs en renom

    Vous avez pour vous la presse

    La télévision

    Vous vous dites la jeunesse

    Pauvres petits c...

    Vous vous dites la jeunesse

    Pauvres petits cons

    Fils de bourgeois ordinaires

    Fils de Dieu sait qui

    Vous mettez les pieds sur terre

    Tout vous est acquis

    Surtout le droit de vous taire

    Pour parler au nom

    De la jeunesse ouvrière

    Pauvres petits c...

    De la jeunesse ouvrière

    Pauvres petits cons

  • Que disent aujourd’hui les intellectuels staliniens de la lutte de Trotsky contre le stalinisme ?

  • En voici un exemple, celui des rédacteurs de L’Humanité !! Ils considèrent le combat comme un duel dans lequel les deux étaient des barbares mais Staline de milieu plus populaire !!!

    « Ce duel qui s’est conclu d’un coup de piolet

    Sur le duel en tant que tel, le documentaire est plutôt équilibré. Le retour, bien documenté, sur la terreur stalinienne ne débouche sur aucun angélisme à l’égard de Trotski. En guise de «  prophète  », on découvre un chef de guerre héroïque face aux contre-révolutionnaires, mais également impitoyable avec ceux qui rechignent à s’engager dans les rangs de l’armée Rouge. «  Il n’hésite pas à faire fusiller tous ceux qui s’opposent à son combat  », est-il ainsi rappelé. Par ailleurs, la complexité de la personnalité de Staline est bien rendue. Issu d’un milieu très modeste, il n’a pas l’aisance oratoire du fils de propriétaires terriens Trotski. Mais il dispose d’autres atouts, notamment «  une très bonne connaissance des ressorts de la psychologie humaine  », selon l’historien Alexandre Sumpf, l’un des intervenants. Connaissance qu’il utilisera pour dresser les uns contre les autres ses rivaux politiques, et écarter finalement toute la vieille garde du parti bolchevique, au profit d’hommes qui lui doivent tout. Exilé, Trotski ne renonce pas à jouer sa partition. Au point d’inquiéter sérieusement le maître du Kremlin ? Suffisamment, en tout cas pour que celui-ci le fasse assassiner. Ce sera à Mexico, le 21 août 1940, d’un coup de piolet dans le crâne. 300 000 personnes participeront aux obsèques. »

    https://www.humanite.fr/ce-duel-qui-sest-conclu-dun-coup-de-piolet-569545

    Pas de souci ! Même reconvertis à la sauce démocratique capitaliste, le stalnisme n’est pas mort et son combat contre Trotsky non plus du coup !!!

  • Les intellectuels staliniens se sont inventé Staline…

    « Staline : un monde nouveau vu à travers un homme » par Henri Barbusse

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1133217/texteBrut

    autre présentation :

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k947298g/f9.item

    Romain Rolland :

    « Cher camarade Staline…

    …pour le procès qui a suivi le meurtre de Kirov, je vous disais combien il serait essentiel de faire connaître au public étranger les charges écrasantes qui fait châtier les conjurés. On ne l’a point fait. Le résultat est qu’en Occident s’est répandue l’opinion que, selon les expressions de Léon Trotsky dans un récent article du 31 octobre, paru dans son organe de Paris La Vérité, « on s’est servi de l’affaire Kirov pour anéantir des dizaines de gens, manifestement dévoués à la Révolution, mais qui réprouvaient l’arbitraire et les privilèges de la caste dominante ». On ajoute que les accusations portées contre Zinoviev et Kamenev sont absolument sans fondement. Et Trotsky se fait le promoteur d’une demande de « Commission internationale, au dessus de tout reproche par sa composition, qui serait chargée d’enquêter sur les arrestations, procès, fusillades, déportations, en liaison avec l’affaire Kirov ». Trotsky, qui me prend à partie dans cet article, intitulé : « Romain Rolland remplit sa mission », me somme d’accepter cette proposition et pensant que je m’y refuserai, insinue que mon refus sera la preuve de la peur que les amis du régime soviétique ont de faire la lumière sur cette affaire. »

  • Lire encore sur les "compagnons de route" du stalinisme et pas du communisme :

    https://cturss.hypotheses.org/198

  • « Sous couvert de reconnaissance tardive de la Révolution d’Octobre, l’aile « gauche » de l’intelligentsia occidentale s’est mise à genoux devant la bureaucratie soviétique. Les artistes doués de caractère et de talent sont, en règle générale, marginalisés. Et c’est ainsi qu’avec le plus grand sans gêne, des ratés, des carriéristes, des gens dépourvus de dons se sont propulsés au premier rang. On a inauguré l’ère des centres et des bureaux de toutes sortes, des secrétaires des deux sexes, des inévitables lettres de Romain Rolland, des éditions subventionnées, des banquets et des congrès, où il est difficile de découvrir la ligne de démarcation entre l’art et le G.P.U. Malgré sa vaste extension, ce mouvement de militarisation n’a pas donné naissance à une seule oeuvre qui puisse immortaliser son auteur ou ceux qui, du Kremlin, l’ont inspirée. »

    https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/06/lt_19380617_01.htm

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