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Qu’est-ce que la dialectique ?

mardi 26 mai 2015, par Robert Paris

Le concept le plus important de la dialectique est celui de la contradiction. La notion de contradiction semble bien connue, que ce soit au sein d’un discours, en logique, ou encore au sein de phénomènes physiques. Des propositions contradictoires ou des situations contradictoires sont, dans le langage courant comme en logique formelle, incompatibles et témoignent d’une erreur ou d’une situation qui ne peut pas perdurer.

En fait, cette vision n’est qu’une apparence. Dans la réalité, les contradictions perdurent et elles sont même d’une grande importance. La contradiction de la contradiction n’est pas une annulation mais une locomotive fondamentale de la dynamique.

On peut estimer qu’un dialogue n’a d’intérêt que dans sa conclusion mais, en fait, le débat entre points de vue contradictoires est bien plus riche que l’affirmation d’une seule position. En philosophie, le combat entre les matérialismes et les idéalismes n’a jamais cessé et il est toujours aussi riche. Aucune philosophie n’a jamais éliminé définitivement son adversaire. Les arguments se sont étoffés et le combat d’idées a été à la base d’une dynamique plus grande que si les deux courants ne se confrontaient pas.

En physique, l’action et la réaction se combattent mais aucune ne l’emporte définitvement. Sinon, toute dynamique mènerait rapidement à l’immobilité. Par exemple, au sein de la matière à toutes les échelles, il y a toujours une contradiction entre attraction et répulsion mais aucune ne l’emporte définitivement. Sinon, la matière s’éparpillerait ou s’agglutinerait. L’atome se dissocierait ou s’écraserait sur lui-même.

Les contradictions se constatent dans tous les domaines. Contrairement à ce que croit le bon sens ou à ce que défend la logique formelle, elles ne sont pas synonymes d’erreur. Par exemple, en physique, la dualité onde/corpuscule qui suppose qu’un phénomène est à la fois ponctuel et non-localisé contient une contradiction interne. Ces deux qualités absolument incompatibles coexistent en permanence jusqu’à ce que l’observateur effectue une mesure.

La physique a longtemps cherché des réponses en termes d’objets fixes comme le corpuscule ou l’atome. Mais elle a dû reconnaître que le monde dynamique est fondé sur des contradictions du type de la dualité onde/corpuscule.

Une psychologie élémentaire de l’homme le considère comme une seule conscience. Pourtant, nous avons tous constaté qu’il y a une contradiction interne. Il y a débat permanent à l’intérieur de chaque crâne humain. C’est même le fondement de l’intelligence humaine. C’est de manière automatique que notre cerveau répond à toute information par une interprétation forunie par le cingula. Mais cette interprétation n’a rien d’intelligente. Elle est généralement absurde. C’est la réponse contradictoire du cerveau qui permet que cette interprétation, après une série de contradictions et de confrontations avec tout ce que le cerveau croit savoir sur les circonstances.

La psychanalyse a montré que nous désirons des choses que nous croyons refuser radicalement et que nous dissimulons, consciemment ou inconsciemment, ces désirs. Cela signifie que la contradiction interne est permanente dans notre cerveau. Les maladies mentales sont parfois causées par l’exigence du sujet qui exige que toutes les informations soient non-contradictoires et qui soumet à nouveau toute hypothèse. Généralement, les individus se contentent d’un monde un peu contradictoire.

La rupture de symétrie est un modèle du mode de transformation d’un système physique. Il en va de même dans d’autres domaines. Le changement qualitatif provient d’une symétrie brisée entre deux éléments contradictoires. L’action décidée par le cerveau provient d’une rupture de symétrie dans le dialogue entre les deux hémisphères cérébraux. d’un seul coup, au bout d’un tel dialogue contradictoire, l’un des deux l’emporte. dans le cas inverse, on a encore à faire avec une maladie mentale.

Le philosophe Hegel a été l’un des premiers à souligner que les contradictions sont le moteur de la dynamique. Contrairement à la logique formelle pour laquelle contradiction signifie erreur, la dialectique étudie les contradictions internes d’un système et y voit la base de la dynamique et de la fabrication de nouveauté qualitative, aujourd’hui nous dirions de l’émergence de structure.

Friedrich Engels dans un courrier à Conrad Schmidt du 27 octobre 1890 :

"Ce qui manque à tous ces messieurs, c’est la dialectique. Ils ne voient toujours ici que la cause, là que l’effet. Que c’est une abstraction vide, que dans le monde réel pareils antagonismes polaires métaphysiques n’existent que dans les crises, mais que tout le grand cours des choses se produit sous la forme d’action et de réaction de forces, sans doute, très inégales, — dont le mouvement économique est de beaucoup la force la plus puissante, la plus initiale, la plus décisive, qu’il n’y a rien ici d’absolu et que tout est relatif, tout cela, que voulez-vous, ils ne le voient pas ; pour eux Hegel n’a pas existé…"

Lénine dans "Cahiers philosophiques" :

"Par quoi un passage dialectique se distingue-t-il d’un passage non-dialectique ? Par le saut. Par la contradiction. Par l’interruption de la gradation. Par l’unité de l’être et du non-être."

Hegel :

« La loi ne va pas au-delà du phénomène. Au contraire, le royaume des lois est l’image "calme" du monde existant ou émergeant. »

« Le fonds de la chose n’est pas épuisé dans la fin, mais dans tout son accomplissement. Le "résultat" atteint n’est pas le tout concret ; il ne l’est qu’avec le processus dont il est le terme. La fin prise indépendamment du reste est l’universel mort, tout comme la tendance n’est qu’un simple effort, encore privé de réalisation ; et le résultat nu est le cadavre que la tendance a laissé derrière elle. (...) Saisir la chose, c’est l’exposer dans son développement. (...) Le phénomène est un processus d’avènement et de disparition, qui lui-même n’advient ni ne disparaît, mais est en soi et constitue l’actualité et le mouvement de la vérité vivante. »

« Ce qui se meut, c’est la contradiction. (...) C’est uniquement parce que le concret se suicide qu’il est ce qui se meut. »

« Plusieurs choses sont en interaction par leurs propriétés. (...) Le phénomène est dans l’unité de l’apparence et de l’existence. Cette unité est la loi du phénomène. La loi est donc le positif dans la médiation de ce qui apparaît. C’est le reflet du phénomène dans son identité avec lui-même. Cette identité, le fondement du phénomène qui constitue la loi, est un moment propre du phénomène... La loi est donc non au-delà du phénomène, mais présente en lui immédiatement. Le royaume des lois est le reflet tranquille du monde existant ou phénoménal. »

« Ce qui se contredit ne se résout pas en zéro, en néant abstrait, mais essentiellement en la négation de son contenu particulier ; autrement dit encore, une telle négation n’est pas complète négation, mais négation de la chose déterminée (...) le résultant, la négation, étant négation déterminée, a un contenu. (...) Elle s’est enrichie de sa négation, (...) elle est l’unité d’elle-même et de son opposé. » « Une chose n’est donc vivante que pour autant qu’elle renferme une contradiction et possède la force de la saisir et de la soutenir. Mais, lorsqu’un existant est incapable, dans sa détermination positive, de passer à la détermination négative et de les conserver l’une dans l’autre, autrement dit lorsqu’il est incapable de supporter à l’intérieur de lui-même la contradiction, il n’est pas une unité vivante, ... mais s’effondre et succombe à la contradiction. (...) Il résulte de l’examen de la nature de la contradiction que lorsqu’on dit d’une chose qu’elle renferme une contradiction, on ne signifie pas par là qu’elle est endommagée, défectueuse ou fautive. Toute détermination, tout concret, tout concept constituent essentiellement une unité des moments différents et différenciables, qui deviennent contradictoires par la différence déterminée essentielle qui les sépare. »

« L’on accordera sans difficulté que l’esprit trouve des contradictions dans le monde phénoménal, c’est-à-dire que l’esprit trouve des contradictions dans le monde phénoménal, c’est-à-dire dans le monde tel qu’il apparaît à la pensée subjective, à la sensibilité et à l’entendement… On peut établir comme fait que toute connaissance et tout principe immédiat contient une médiation, et la doctrine de la science immédiate demanderait en vain des objections à l’entendement pour la détruire. C’est, en effet, le propre de l’entendement vulgaire de séparer l’élément immédiat et l’élément médiat de la connaissance, et de leur attribuer à chacun une existence indépendante et absolue, ce qui fait qu’il se trouve en présence d’une difficulté insurmontable lorsqu’il veut les unir…. »

« La loi n’est pas au-delà du phénomène, mais présente en lui directement ; le domaine des lois est le reflet tranquille du monde existant ou phénoménal. Mieux, les deux sont une totalité, et le monde existant est lui-même le domaine des lois qui, en tant qu’être posé ou dans l’indépendance qui se résout elle-même de l’existence. L’existence retourne dans la loi, en tant que son fondement ; le phénomène contient les deux, la raison simple et le processus dissolvant de l’univers phénoménal, dont le fondement est l’essentialité… Le domaine des lois est, il est vrai, la vérité de l’entendement, vérité dont le contenu est la distinction qui se trouve dans la loi ; mais le domaine des lois n’est en même temps que sa première vérité, et elle n’épuise pas le phénomène... La loi du phénomène est son reflet tranquille, général. Elle est un rapport médiateur des déterminations générales permanentes dont les distinctions sont extérieures à la loi. La généralité et la permanence de ce rapport médiateur conduisent à la nécessité de la loi ; mais sans que la distinction soit déterminée en elle-même ou en interne, de façon qu’une détermination soit immédiatement dans le concept de l’autre. »

Friedrich Hegel

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Messages

  • Ce qui me gêne dans la dialectique (de hegel, notamment) et plus largement c’est qu’on dirait que le processus historique produit un mieux, un plus vaste, une réconciliation, une libération, un avènement. Comme si le travail du négatif ou de la contradiction permettait de "déboucher" sur quelque chose. La métaphysique est réintroduit me semble-t-il dans cet espèce de providentialisme larvé, de téléologie. Pourquoi l’histoire humaine par exemple irait-elle vers un mieux, vers la libération des "classes opprimées", vers plus de conscience ? Pourquoi le TEMPS serait-il un facteur de révélation de quoi que ce soit de plus vrai, de meilleur. Pourquoi à T+1 la vue sur l’Etre serait plus grande est plus large qu’à T ? Ne peut_on considérer que l’histoire n’est pas préformation mais épigénèse, que le travail du négatif fait prendre des directions inattendues, imprévisibles voire chaotiques ou folles. Qu’aucun Soir glorieux n’est au programme. Que peut être l’histoire humaine va tourner en rond dans la nuit, que les progrès techniques vont engendrer dans d’autres domaines des régressions éthiques terrifiantes, que toutes les nouveautés scientifiques engendreront leur lot de nouvelles perversions inconnues ? Qui nous dit que l’homme va progresser vers une quelconque lumière morale. Le nouveau est parfois simplement nouveau sans apporter véritablement de "progrès". Qui nous dit que le temps et la dialectique ne produisent pas du bizarre, de l’incongru, de la régression, de l’anéantissement, du discontinu etc... On dirait, mais je ne suis pas philosophe, que la dialectique de Hegel et de Marx réintroduit Dieu (et donc une certaine stabilité ontologique) par le biais de la flèche du temps qui pointerait vers un SENS défini à l’avance, un point Oméga de convergence, un grand Accomplissement. Que chaque note de musique de la symphonie particique à une cohérence à venir, que chaque chose prend son sens dans ce qui suit et ce qui précède, etc... Autre objection : Qui nous dit que la contradiction qui travaille l’existence doit être ou va être "résolue". Pourquoi le fond des choses ne serait pas une contradiction permanente, une contradiction de fond, un chaos, non susceptible de déboucher sur quoi que ce soit, une guerre sans issue, sans commencement ni fin, un mouvement brownien qui ne peut déboucher que sur un autre mouvement brownien, sans qu’on puisse parler de résolution, d’accomplissement, de direction, de sens ?

    Bref je trouve que Marx ou Hegel sont des "croyants" qui s’ignorent. La Dialectique est une sorte d’eschatologie qui projette un destin, un Salut, etc. Le fond des choses est peut être (pas très rassurant j’en conviens) la contradiction livrée au hasard, une génération aveugle et permanente de nouveautés étranges, le "bien" et le "mal" (est-ce que cela veut dire quelque chose ?) livrés à toutes sortes de métamorphoses chaotiques. On peut aussi imaginer un désordre qui finit par produire régression et extinction de la conscience. _

  • Cher lecteur, j’aimerai que tu m’envoie une citation qui étaie ton interprétation de Hegel car je n’ai pas lu ses textes dans ce sens là.

  • Vous plaisantez ? il para^t évident qu’Hegel décrit l’ Histoire comme la réalisation pleine et entière de l’Esprit, une prise de conscience progressive, une fusion avec le réel et le concret, une marche de la Raison vers l’universel, le savoir absolu, etc..
    Quant à Marx, c’est un peu la même chose : fin du capitalisme, société sans classes, socialisme inexorable. Bref tout ira mieux, les gens seront gentils et l’(exploitation de l’homme par l’homme aura cessé. Si ça ce n’est pas croire que l’histoire est orientée par un Progrès, je ne vois pas. Le matérialisme dialectique est donc comme la dialectique hégélienne sous tendu par l’idée d’un progrès auquel on peut pas échapper.
    Ce sera mieux après, etc. Je ne suis pas du tout spécialiste de ces questions, je m’interroge sur une conception qui me para^te relever d’une théorie de l’histoire avec des lois (économiques) auxquelles on ne pourrait pas échapper et qui traceraient notre Destin

  • Cher lecteur, non, non, je ne plaisante pas du tout. La conception dialectique de l’Histoire suppose que la dynamique historique est poussée par des contradictions mais elles agissent dans les deux sens, vers le progrès comme vers la régression.

  • Pour la pensée matérialiste scientifique marxiste, en étudiant le Capital de Marx, l’évolution des espèces de Darwin, les comportements de la matière et de la lumière au travers des fentes de Young, ou encore la génétique de Monod, le but n’est pas d’y retrouver les contradictions dialectiques au sens de Hegel. Ce serait placer l’idée au dessus de la réalité. Mais si ce n’est pas le but, c’est cependant une étape nécessaire car, en étudiant scientifiquement les faits, nous devons inévitablement les confronter à notre rationalité. Et si celle-ci en est restée au niveau du bon sens ou de la logique formelle, nous ne pouvons pas comprendre ces faits.

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