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Une victoire économique et politique de la Chine

lundi 23 mars 2015, par Robert Paris

Le conflit entourant la Banque asiatique d’investissement

Par Nick Beams

La décision par les grandes puissances européennes de se joindre à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), qui est évaluée à 50 milliards de dollars et soutenue par la Chine, assène un coup important aux États-Unis. C’est un signe clair que, en plein approfondissement de la stagnation mondiale, les mécanismes économiques au moyen desquels les États-Unis ont exercé leur hégémonie s’effondrent alors que d’autres puissances impérialistes font la promotion de leurs propres intérêts.

Le coup initial est venu jeudi dernier lorsque le gouvernement britannique du premier ministre David Cameron a annoncé que le pays allait devenir un membre fondateur de la banque. Un officiel anonyme de la Maison-Blanche a réagi en dénonçant « une tendance constante à trouver des arrangements » avec la Chine, ce qui n’était « pas la meilleure façon de traiter une puissance montante ».

L’opposition américaine à cette action de la Grande-Bretagne a été soulignée par un commentaire du Financial Times qui a fait remarquer que dans le lexique des reproches diplomatiques le mot « arrangement » n’est qu’à un degré moins fort que le mot « apaisement ».

L’opposition américaine ne s’est avérée pourtant nullement dissuasive, puisque l’Allemagne, la France et l’Italie ont suivi la décision britannique en annonçant qu’ils cherchaient également à devenir membres fondateurs de la banque.

D’autres pays de la région Asie-Pacifique, y compris l’Australie et la Corée du Sud, qui avaient refusé de signer l’an dernier en raison de la vive opposition des États-Unis, reconsidèrent activement aussi leur position. En octobre dernier, le gouvernement australien a annulé une décision antérieure de soutenir la banque suite à une intervention du président américain Barack Obama, du secrétaire d’État John Kerry et du secrétaire au Trésor Jack Lew. L’Australie serait maintenant sur le point d’annoncer sa participation.

Dans une allocution au Congrès, Lew a dit que la principale préoccupation de Washington par rapport à la banque, qui est considérée comme une rivale de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement dirigée par son allié le Japon, est motivée par le souci de savoir si l’AIIB allait « adhérer aux normes élevées que les institutions financières internationales ont mises au point », protéger les droits des travailleurs et l’environnement « et traiter les problèmes de corruption de manière appropriée ».

Venant d’un représentant de l’établissement financier américain – Lew a occupé un poste de premier plan dans Citigroup – l’expression de préoccupations au sujet de la corruption est particulièrement hypocrite. Un rapport du Sénat américain de 2011 a constaté que les principales banques américaines et sociétés d’investissement engagées dans ce qui équivalait à des activités criminelles ont joué un rôle majeur dans le déclenchement de la crise financière mondiale de 2008. La même chose s’applique aux prétendues préoccupations sur l’environnement et les droits des travailleurs.

La vraie motivation de l’opposition américaine est que l’AIIB soutenue par la Chine affaiblira la domination économique de la région Asie-Pacifique des États-Unis et sapera leurs efforts pour assurer la continuation de leur suprématie militaire dans le cadre du « pivot vers l’Asie ». Les États-Unis se sont opposés à la participation de l’Australie sous prétexte que les projets d’infrastructure financés par la banque – y compris ports, aéroports et chemins de fer – pourraient jouer un rôle dans l’amélioration de la position militaire et stratégique de la Chine.

Les puissances européennes ont manifestement conclu qu’elles ne voient pas pourquoi elles devraient sacrifier de précieuses opportunités économiques pour s’aligner derrière des objectifs stratégiques américains, lorsque les États-Unis sont incapables ou refusent de fournir quelque chose en retour.

La divergence entre les États-Unis et les puissances européennes a été résumée dans un commentaire de Richard Ottaway, le président du Comité parlementaire des Affaires étrangères. Le conflit sur ​​la banque reflète le fait que la Grande-Bretagne et l’Europe apprécient la Chine d’une façon différente des États-Unis, a-t-il dit. « Les États-Unis considèrent la Chine d’un point de vue stratégique – comme une puissance maritime dans le Pacifique. Les Européens considèrent la Chine en termes commerciaux. »

Avec une économie britannique de plus en plus dépendante des activités spéculatives et parasitaires de ses grandes banques et les institutions financières, la City de Londres voit la participation à l’AIIB comme une autre occasion de profiter d’un renforcement du rôle mondial de la monnaie chinoise, le renminbi, dont la puissance économique et financière augmente.

Les motivations économiques des autres puissances européennes, bien qu’ayant des visées différentes des Britanniques, n’en sont pas moins puissantes. Elles ont été précisées mardi à Berlin par le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble lors d’une conférence de presse conjointe avec le vice-premier ministre chinois Ma Kai. « Nous voulons apporter une contribution à l’évolution positive de l’économie asiatique, dans laquelle les entreprises allemandes participent activement », a-t-il dit.

L’importance du conflit devient évidente quand il est placé dans le cadre des objectifs stratégiques des États-Unis au cours des 25 dernières années. L’impérialisme américain a vu l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 comme une possibilité de commencer sa marche vers la domination mondiale – la création d’un « nouvel ordre mondial » comme a dit George H.W. Bush pendant sa présidence.

Ce nouvel ordre devait être caractérisé par la domination mondiale du capitalisme américain. En 1992, le Pentagone a énoncé ses objectifs stratégiques dans le monde postsoviétique en déclarant que l’objectif de la politique américaine était d’empêcher toute puissance ou groupe de puissances de devenir hégémonique dans toute région importante du monde.

Cette stratégie a été la base de la politique américaine pendant la crise financière asiatique de 1997-1998. Lorsque le gouvernement japonais a présenté une proposition pour un fonds de 100 milliards de dollars pour aider à renflouer les pays pris dans la tourmente, les États-Unis y ont opposé leur veto en insistant sur le fait que le Fonds monétaire international basé à Washington devait diriger « la restructuration économique » dans la région. Confronté à un conflit direct avec les États-Unis, le Japon a reculé.

La détermination de la classe dirigeante américaine à maintenir sa position en tant que puissance hégémonique mondiale entre en conflit avec le déclin depuis des décennies dans la position mondiale du capitalisme américain. En réponse, l’élite patronale et financière a recours à une utilisation sans cesse plus téméraire de la force militaire.

L’expansion économique explosive de la Chine dans la période depuis la crise asiatique a soulevé à nouveau la question : qui va dominer l’Asie ?

Il y a soixante-dix ans, lorsque les États-Unis ont mis en place les fondements de l’ordre après la Deuxième Guerre mondiale, en établissant le FMI et la Banque mondiale, ils exerçaient l’hégémonie économique incontestée du capitalisme mondial. Ce n’est plus le cas et les puissances impérialistes européennes en particulier cherchent une fois de plus à faire valoir leurs intérêts. Comme la crise économique mondiale s’aggrave, les conflits entre les puissances impérialistes ne feront que s’intensifier.

S’il est impossible de faire des prédictions précises, la tendance générale du développement est claire. Les États-Unis ont subi ce que le New York Times décrit comme « une rebuffade cinglante de certains de ses plus proches alliés ». Comment peuvent-ils réagir ? Non pas par des concessions économiques, parce que les États-Unis n’ont plus les moyens et la capacité de les faire, mais par une augmentation des provocations politiques et militaires.

Au même moment, les autres grandes puissances seront amenées à la conclusion que dans la poursuite de leurs objectifs économiques, elles ont besoin de renforcer leurs capacités militaires. Le conflit au sujet de la banque AIIB est symptomatique de grands changements géoéconomiques qui auront des conséquences politiques et militaires explosives.

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