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Ni Dieu ni Maitre ! Bombarder les ’musulmans’ de Syrie pour les ’civiliser’ : une longue tradition de la gauche impérialiste francaise, de Millerand à Hollande(2)

mardi 8 décembre 2015, par Alex

Les impérialismes rivaux français et anglais main dans la main pour écraser la révolution anti-coloniale en Syrie

A l’aube de la première guerre mondiale, la Syrie n’est qu’une province de l’empire ottoman qui n’est lui-même qu’une des nombreuses régions du globe objet des rivalités entre puissances impérialistes pour le partage du monde.

Comme aujourd’hui, c’est cette question des rivalités entre puissances impérialistes qui est un facteur primordial expliquant ce qui se passera en Syrie.

Or une caractéristique majeure du système impérialiste qui s’est définitivement mis en place vers 1900 est la rivalité sur les mers entre l’Angleterre et l’Allemagne.

Les impérialistes français, anglais, russes, américains, allemands, italiens se détestent tous et rêvent de prendre possession des territoires dominés par l’un des autres. Mais vers 1900, l’Angleterre a décidé que l’impérialisme allemand est son « ennemi principal », depuis que l’Allemagne s’est lancée dans la construction d’une flotte puissante. L’Angleterre et la France signent un accord d’ « Entente cordiale » entre impérialistes en 1904 :

Liée avant tout à la montée en puissance de l’Allemagne, manifeste notamment avec le développement d’une marine de guerre capable de menacer la suprématie navale britannique, l’Entente cordiale marqua la fin de la neutralité britannique en Europe. Elle mit un terme à un antagonisme de plusieurs siècles entre la France et l’Angleterre (puis la Grande-Bretagne et le Royaume-Uni), qui considéraient chacun l’autre pays comme leur principal ennemi, notamment pendant la période féodale (débouchant sur la guerre de Cent Ans), puis pendant presque tout le XVIIIe siècle et jusqu’en 1815. L’Entente cordiale, Wikipedia

En 1912 cet accord est complété par un redéploiement des flottes anglaises et françaises, coopérant pour protéger les deux métropoles et leurs colonies :

En mai 1912 Winston Churchill, premier Lord de l’Amirauté prend la décision, à la conférence de Malte, de dégarnir les forces navales britanniques en Méditerranée. L’escadre de Méditerranée est ramenée de Malte à Gibraltar et pourra servir autant dans les eaux métropolitaines que dans les eaux méditerranéennes. (...) Poincaré décide d’accepter les avances britanniques (...) Une entente navale renforce l’alliance franco-britannique, alors que l’Allemagne a tenté au début de l’année d’obtenir un accord avec la Grande-Bretagne ; elle laisse le champ libre à l’influence française en Syrie.

(La France et la Question de Syrie, V. Cloarec)

Même après la fin de la guerre en 1918 cette alliance entre les impérialismes français et anglais est fondamentale, aucun des deux impérialismes n’est capable de dominer le Moyen-Orient à lui seul, comme le rappelle un des artisans du partage de l’empire ottoman entre la France et l’Angleterre :

La France et l’Angleterre se sont rendu compte qu’aucune intervention militaire n’était possible en Syrie si un accord précis ne liait pas les deux gouvernements, l’un ne permettant jamais à l’autre d’agir sans lui.
(Georges-Picot, 1919)

La France impérialiste en guerre se présente en libératrice des « musulmans de Syrie »

La défaite militaire de l’Empire Ottoman en 1918 provoque son effondrement, un vide du pouvoir dangereux pour la domination impérialiste. Cette situation avait été envisagée par la France et l’Angleterre pendant la guerre. Les gouvernements des deux pays annoncent qu’ils prendront la place des Turcs, et cela dans un but seulement généreux pour les populations.

Le 10 janvier 1917 une « note interalliée » stipule comme but de guerre « l’affranchissement des populations sous le joug ottoman. » En ce mois de Janvier 1917 c’est un gouvernement d’Union sacrée qui dirige la France, le Ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre est le socialiste Albert Thomas.

Des esprits « anti-France » pourraient malicieusement voir du néo-colonialisme dans ces ambitions française de « libérer » les Syriens. Les politiciens français font de beau discours pour écarter cette hypothèse.

Le haut fonctionnaire Jean Gout, dans une déclaration au « Comité central syrien » déclare :

Repoussant toute idée de domination coloniale, les deux Alliés se sont résolus chacun dans sa sphère d’action à guider les populations de langue arabe et celle de toute autre langue qui habitent les régions qui s’étendent des monts Anatoliens à la Mer des Indes, vers un régime d’autonomie et de de développement civilisé dans le mutuel respect des croyances et des nationalités. Guide vers un meilleur avenir, arbitre entre les groupes religieux et ethniques, conseiller amical de civilisation, tel est le rôle que la France et la grande-Bretagne sont prêtes à assurer, l’une dans le nord, l’autre dans le sud.

(Jean Gout, direction d’Asie au ministère des affaires étrangères, 23 décembre 1917)

Le membre du Parti radical socialiste (le parti PRS dont la devise est « Laïcité, Solidarité, Humanisme, Tolérance, Universalisme ») Stephen Pichon, ministre des affaires étrangères du gouvernement Clémenceau annonce au parlement :

C’est d’ailleurs une vieille et glorieuse tradition de la France, depuis Charlemagne, des défendre contre la tyrannie des populations d’Asie Mineure (...) Je tiens à dire au nom du gouvernement que la France, consciente de son devoir d’humanité et de ses obligations historiques, est décidée à ne plus laisser ces populations au caprice et au couteau des Turcs ; elle veut leur assurer la libération que leurs mérites divers et leurs souffrances passée justifient. Dans ces régions de l’antique Syrie où ces populations se trouvent mélangées, elle leur prêtera tout son concours pour organiser, dans le respect mutule des croyances et des races, une autonomie féconde et pour accomplir, guidées par elle, leurs destinées de races, dignes de la civilisation.

Stephen Pichon, projet de déclaration au parlement, 17 décembre 1917

Le lecteur « civilisé » ou de « race supérieur » aura compris que les populations de Syrie (le peuple syrien n’existe pas pour l’impérialisme français à cette époque) sont, pour Pichon, « dignes » certes de la civilisation, mais ne sont « pas encore » civilisées, elles font partie des « races inférieures » que la France doit éduquer donc dominer politiquement « temporairement ».

Cette vision est tout à fait en accord avec les principes de la nouvelle Société des Nations concernant les Mandats (nouveau nom des colonies),

Traité de Versailles (1919)

Pacte de la Société des Nations

Les hautes parties contractantes,
Considérant que, pour développer la coopération entre les nations et pour leur garantir la paix et la sûreté, il importe
D’accepter certaines obligations de ne pas recourir à la guerre,
D’entretenir au grand jour des relations internationales fondées sur la justice et l’honneur,
D’observer rigoureusement les prescriptions du droit international, reconnues désormais comme règle de conduite effective des gouvernements,
De faire régner la justice et de respecter scrupuleusement toutes les obligations des traités dans les rapports mutuels des peuples organisés,
Adoptent le présent pacte qui institue la Société des Nations.

Article 22

1. Les principes suivants s’appliquent aux colonies et territoires qui, à la suite de la guerre, ont cessé d’être sous la souveraineté des États qui les gouvernaient précédemment et qui sont habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation, et il convient d’incorporer dans le présent pacte des garanties pour l’accomplissement de cette mission.

2. La meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter : elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataires et au nom de la Société.

3. Le caractère du mandat doit différer suivant le degré de développement du peuple, la situation géographique du territoire, ses conditions économiques et toutes autres circonstances analogues.

4. Certaines communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules. Les voeux de ces communautés doivent être pris d’abord en considération pour le choix du mandataire.

5. Le degré de développement où se trouvent d’autres peuples, spécialement ceux de l’Afrique centrale, exige que le mandataire y assume l’administration du territoire à des conditions qui, avec la prohibition d’abus, tels que la traite des esclaves, le trafic des armes et celui de l’alcool garantiront la liberté de conscience et de religion, sans autres limitations que celles que peut imposer le maintien de l’ordre public et des bonnes moeurs, et l’interdiction d’établir des fortifications ou des bases militaires ou navales et de donner aux indigènes une instruction militaire, si ce n’est pour la police ou la défense du territoire et qui assureront également aux autres membres de la Société des conditions d’égalité pour les échanges et le commerce.

Le texte détaillant le Mandat pour la Syrie et la France comporte :

Article 16. Le français et l’arabe seront les langues officielles de la Syrie et du Liban.

Il est étonnant que les « patriotes » d’aujourd’hui ne nous rappellent pas cette grande date de l’histoire de France : la Syrie est de fait une colonie française à partir de 1920, elle le restera jusqu’à 1946. Toutes les bonnes intentions exprimées par le gouvernement de gauche d’aujourd’hui sont exactement celles de la la France de 1918 appuyée par la Société des Nations. Le drapeau françai a flotté sur Raqqa, la capitale actuelle de l’Etat islamique.

La réalité de l’action française en Syrie : mensonge et répression

Un des artisans de tous ces mensonges, le ministre des affaires étrangère et président du conseil Alexandre Ribot l’avouera lui-même dans son journal intime :

Il faut bien reconnaitre que nous sommes loin des préoccupations qu’on avait à l’origine de la guerre. Ce n’est plus à défendre les petites nations qu’on s’applique, mais à faire un véritable partage, sans que l’intérêt des populations soit mis en avant.

(Journal d’Alexandre Ribot, mars 1917)

Suite à venir ...

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