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Ian Tattersall et la théorie de l’évolution des espèces

samedi 4 mars 2017, par Robert Paris

Ian Tattersall :

« L’apparition de la pensée symbolique ne semble nullement être le résultat d’une tendance opérant sur la longue durée, comme la sélection darwinienne l’exige. L’autre hypothèse est donc elle-ci : (...) cette innovation relève probablement de ce que l’on appelle l’émergence. »

« L’histoire cumulative de notre cerveau a pris soin qu’il ne ressemble en rien au type de machine qu’un ingénieur rationaliste pourrait concevoir du début à la fin ; et c’est très probablement à cette histoire désordonnée et semée d’accidents que nous devons nos capacités cognitives tant vantées. »

« La technique de la pierre taillée est attribuable à l’intellect d’hominidés archaïques, de petite taille, possédant probablement un cerveau de volume limité. » (dans « Petit traité de l’évolution »

Pensées de Ian Tattersall sur la théorie de l’évolution

Ian Tattersall dans « Petit traité de l’évolution » :

« La théorie synthétique de l’évolution (...) fut le résultat des efforts de nombreux hommes de science pour réconcilier la théorie évolutionniste avec le nouveau savoir qui s’accumulait en génétique (...) le généticien Théodosius Dobzhansky (...), l’ornithologue Ernst Mayr et le paléontologue George Gaylord Simpson (...) Leur modèle, on le voit, était celui de la continuité, même si ces trois brillants naturalistes savaient pertinemment que la nature est criblée de discontinuités ; ils résolvaient la contradiction en voyant dans ces dernières des cas spécifiques de changement graduel, si bien qu’avec le temps les difficultés qui avaient tant préoccupé ces pères fondateurs disparurent peu à peu du champ de l’enquête, la théorie synthétique se transformant en dogme.(...) Pour la théorie synthétique, elles (les espèces) ne sont rien d’autre que des segments de lignée qui se transforment en permanence sous l’effet de la sélection naturelle ; elles doivent donc, à terme, se fondre insensiblement les unes dans les autres, sans rupture brutale. (...) Plus nous connaissons de fossiles, plus l’idée se précise que les espèces sont des unités réelles, distinctes les unes des autres, et qu’elles ont bel et bien une naissance, une histoire et une mort. Dans les archives paléontologiques, elles tendent à apparaître soudainement, à se perpétuer pendant des périodes d’une durée variable, mais souvent remarquablement longue, avant de disparaître aussi rapidement qu’elles étaient apparues. »

Ian Tattersall dans « L’émergence de l’homme » :

« La fabrication et l’usage d’outils

« A en croire James Boswell, Benjamin Franklin, le premier, a forgé l’expression de « l’Homme, fabricant d’outils », pour décrire la caractéirsitique principale qui nous distingue du reste de la nature. Des recherches plus récentes ont montré avec certitude que nous ne sommes pas seuls à utiliser des outils. Il n’en demeure pas moins vrai que l’homme, de nos jours, dans le monde entier et quelle que soit sa façon de subsister, se distingue par un mode de vie totalement dépendant d’outils. Toutefois, les outils (du type de ceux qui se conservent dans les archives archéologiques) représentent une innovation relativement récente dans notre lignage. Pendant la première moitié de notre histoire évolutive du moins, nous n’avons pas la moindre trace attestant que des outils capables de durer étaient fabriqués. (…) Nous ne sommes pas les seuls utilisateurs d’outils dans le monde vivant. Il semble bien, d’ailleurs, que l’emploi d’outils ne soit pas limité aux primates : on a vu des oiseaux, des loutres et même des dauphins se servir d’objets comme moyens de réaliser diverses activités ; et il est probable que si on examinait de très près de nombreux mammifères, on obtiendrait un ou deux exemples de plus de ce qu’il faudrait bien appeler, dans un sens très large, une « utilisation d’outils ». (…) Dans le cas des chimpanzés, pour lesquels nous disposons à présent d’une grande quantité d’observations, non seulement en laboratoire, mais aussi dans la nature… ces grands singes utilisent toute une série d’objets dans toutes sortes de buts… »

Ian Tattersall dans « Petit traité de l’évolution » :

« Il existe une catégorie de savoir à laquelle la plupart des personnes sensées ne refuseraient pas le label de « scientifique » mais où la nature des phénomènes étudiés interdit de recourir à la méthode expérimentale : il s’agit des sciences portant sur des phénomènes inscrits dans la longue durée dont le plus notable est la biologie évolutive. (...) En effet, l’histoire dont il est question se déroule sur une échelle temporelle immense qui ne peut être répliquée en laboratoire. (...) Au nombre des très rares philosophes des sciences pris au sérieux par les chercheurs eux-mêmes figure le regretté Karl Popper (...) qui avait une opinion très négative du caractère scientifique des recherches sur l’évolution (...) Plus tard Popper avait quelque peu adouci sa position et consenti à voir dans les travaux sur l’évolution ’’un programme de recherche métaphysique’’. »

Ian Tattersall dans « Petit traité de l’évolution » :

« Tout a changé avec la découverte sur le rives du lac Turkana du squelette d’un adolescent (...) vieux de 1,6 millions d’années (...). Hormis quelques points de détail, la structure de son corps était entièrement moderne. (...) Comprendre ce nouveau phénomène nous oblige à admettre que, dans le processus de l’évolution, des réorganisations physiques radicales peuvent être parfois le produit de modifications génétiques relativement mineures (...). Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il y a environ 1,6 millions d’années un saut sans précédent dans la structure du corps a eu lieu chez nos précurseurs. (...) Au bout du compte ce sont ces trois changements, ponctuels mais lourds de conséquences (la station debout occasionnelle, la fabrication d’outils, la locomotion régulière sur deux jambes), qui ont vraiment fait la différence dans l’évolution des hominidés. (...) De toutes les fonctions mentales humaines, la plus étroitement liée au processus de symbolisation est le langage. (...) Reste que la transition entre un mode de vie sans langage et celui qui nous est familier impliquait un saut énorme, cognitif et pratique. »

Ian Tattersall écrit dans "L’émergence de l’homme" :

« Il n’est pas de meilleur exemple que l’histoire du cerveau des vertébrés pour démontrer que le changement évolutif n’a pas simplement consisté en une amélioration graduelle au cours des âges : l’évolution du cerveau ne s’est pas ramenée à la simple addition de quelques connexions, pour aboutir finalement, au bout des temps, à une grande et magnifique machine. L’évolution a, en fait, fonctionné sur un mode opportuniste, affectant de façon assez anarchique des structures cérébrales anciennes à des fonctions nouvelles, et ajoutant de nouvelles structures ou élargissant les anciennes au petit bonheur. (...) Les facultés humaines sont de nature émergentes. (...) Les aptitudes à la parole et à l’écriture sont localisées chacune dans un hémisphère opposé du cerveau. (...) Le changement évolutif survenu dans notre passé s’est opéré sur un mode sporadique. (...) Dans le domaine anatomique aussi bien que technique, l’histoire de notre lignée a reposé sur l’addition, par moments, d’innovations, et non sur une montée graduelle vers la perfection. »

« Petit traité de l’évolution » de Ian Tattersall :

« Dans les années 60, tout le monde considérait comme allant de soi que l’évolution de l’homme n’était qu’un long cheminement obstiné menant de l’état primitif à la perfection. Selon cette vision dominante, excessivement linéaire, Australopithecus avait donné Homo Erectus, lequel avait donné Homo Sapiens, grâce à l’intervention toujours bienveillante de la sélection naturelle. »

Ian Tattersall dans « L’émergence de l’homme » :

« Il n’est pas de meilleur exemple que l’histoire du cerveau des vertébrés pour démontrer que le changement évolutif n’a pas simplement consisté en une amélioration graduelle au cours des âges : l’évolution du cerveau ne s’est pas ramenée à la simple addition de quelques connexions, pour aboutir finalement, au bout des temps, à une grande et magnifique machine. L’évolution a, en fait, fonctionné sur un mode opportuniste, affectant de façon assez anarchique des structures cérébrales anciennes à des fonctions nouvelles, et ajoutant de nouvelles structures ou élargissant les anciennes au petit bonheur. (...) Les facultés humaines sont de nature émergentes. (...) Les aptitudes à la parole et à l’écriture sont localisées chacune dans un hémisphère opposé du cerveau. (...) Le changement évolutif survenu dans notre passé s’est opéré sur un mode sporadique. (...) Dans le domaine anatomique aussi bien que technique, l’histoire de notre lignée a reposé sur l’addition, par moments, d’innovations, et non sur une montée graduelle vers la perfection. »

Ian Tattersall, dans « L’émergence de l’homme » :

« Pour comprendre le processus évolutif il me semble, comme à tant d’autres, nécessaire de reconnaître non seulement l’existence, mais aussi l’importance, de la hiérarchie dans l’organisation biologique. Cette hiérarchie part du niveau des gènes, pour ensuite concerner celui des organismes individuels, puis celui des populations locales, des espèces et peut-être même au-delà. Tous ces niveaux jouent un rôle dans le processus évolutif, mais chacun de sa propre façon. Les mutations affectant les gènes et leurs recombinaisons fournissent le phénomène de variation élémentaire sur lequel la sélection capitalise. En assurant le succès reproductif (ou le fiasco) des organismes individuels, en fonction de leurs caractéristiques héritables plus ou moins favorables, la sélection naturelle conduit les populations locales à s’adapter à des environnements spécifiques. Pratiquement par définition, ces dernières sont les seules à bénéficier d’un habitat relativement homogène auquel l’adaptation est possible ; pour cette raison, les populations locales sont les vrais points de départ de l’innovation évolutive… Les traits nouveaux apparaissent chez les organismes individuels assurément ; mais c’est seulement l’établissement de ces traits en tant que norme au sein d’une population qui constitue l’innovation dans un sens évolutif véritable. (…) Il convient de noter ici deux points supplémentaires. L’un est que les mécanismes d’isolement – qui semblent nécessiter une restructuration du patrimoine génétique collectif de la population d’une façon autre que ne le réalise l’établissement de nouvelles caractéristiques physiques – ont plus de chances de se manifester dans des populations petites et déjà quasi isolées. En effet, le patrimoine génétique collectif d’une petite population est foncièrement moins stable que celui des grandes, puisque dans ces dernières toute innovation qui apparaîtra sera « étouffée » par l’inertie des génotypes établis. L’autre point est que l’acquisition des mécanismes d’isolement n’est pas nécessairement la même chose que l’acquisition de nouvelles adaptations. (…) Toutes les innovations morphologiques qui s’établissent au sein d’une population ne représentent pas nécessairement des adaptations dans un sens strict. De très nombreux facteurs aléatoires peuvent intervenir dans l’acquisition de nouveaux traits morphologiques, surtout dans les petites populations. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’une importante caractéristique qui s’est fixée par hasard dans la population reste à jamais à l’abri de toute sélection. Non seulement les conditions d’environnement locales peuvent changer, de sorte que les caractéristiques de ce genre peuvent devenir « utiles », mais à partir du moment où une population locale et l’espèce souche dont elle provient sont isolées génétiquement, les deux espèces maintenant indépendantes peuvent être libres d’entrer en compétition, si elles viennent un jour à entrer de nouveau en contact. Dès lors, le phénomène de tri va se placer à un autre niveau. Et, comme Eldredge et Gould l’ont suggéré, cela conduit à prendre en compte la survie différentielle des espèces en concurrence, afin d’expliquer les tendances à long terme dans les archives fossiles. Cependant la survie différentielle des espèces n’est pas toujours, elle non plus, une question d’excellence de l’adaptation. L’environnement peut être relativement stable ou ne pas l’être ; mais lorsqu’il change, il le fait généralement de façon assez rapide, à une vitesse que l’adaptation par la sélection naturelle a sans doute du mal à suivre. Lorsque des changements de ce type surviennent, la qualité de l’adaptation d’une espèce donnée à son ancien habitat ne compte pas beaucoup, et tous les avantages compétitifs qu’elle possédait peuvent être annulés d’un seul coup. »

Entretien avec Ian Tattersall

En english :

Rethinking Human Evolution by Ian Tattersall

What’s So Special About Being Human ?

Dr. Ian Tattersall pieces together the human past

Race ? : Debunking a Scientific Myth

Masters of the Planet : The Search for Our Human Origins

The Brain : Big Bangs, Behaviors, and Beliefs

The World from Beginnings to 4000 BCE

Bones, Brains and DNA : The Human Genome and Human Evolution

Human origins : what bones and genomes tell us about ourselves

The Monkey in the Mirror : Essays on the Science of What Makes Us Human

Conférences :

Ian Tattersall : Darwin and Human Evolution

Ian Tattersall - Steve Gould’s intellectual legacy to anthropology

Evolutionary Biology and The Origins of Human Beings

Profile : Ian Tattersall

Ian Tattersall on Paleontology

L’émergence de l’homme par Ian Taterstall :

"Nous regardons notre propre espèce comme l’entité biologique ayant atteint un sommet évolutif, et même plus que cela, le sommet de l’évolution. Et nous aimons souligner ce fait en attribuant à nos plus proches apparentés une position plus basse que la nôtre sur la ligne ascendante qui culmine dans notre position élevée. Or, c’est une conception absolument fausse que de mesurer le succès évolutif de telle ou telle espèce en fonction de son progrès en direction du sommet d’une échelle. (...) La plupart des personnes qui veulent se représenter l’apparition de l’homme en termes d’histoire évolutive tendent à la concevoir comme un lent mouvement de perfectionnement, de nos adaptations au cours du temps. Si tel était le cas, le processus nous ayant façonnés apparaitrait rétrospectivement inéluctable. De nombreux paléoanthropologues, ces chercheurs qui étudient les archives fossiles, trouvent une certaine commodité intellectuelle à regarder notre histoire évolutive comme une longue montée laborieuse mais régulière, qui nous a fait passer du stade la brute à celui de l’être intelligent. Ils ont même forgé le terme d’"hominisation" afin de décrire le processus à l’origine de l’homme, ce qui renforce l’impression que non seulement notre espèce est unique en son genre, mais que le mécanisme évolutif qui nous a façonnés l’est tout autant. Cette conception présente de nombreux risques. (...) Les scientifiques l’ont appris petit à petit, à mesure que se sont accumulées les données des archives paléontologiques - lesquelles les ont contraint à abandonner l’idée que notre histoire biologique a uniquement consisté en une simple progression linéaire (...) Depuis des années, les paléontologues se rendaient vaguement compte que (...) les nouvelles espèces, au lieu d’apparaitre en raison d’une transformation graduelle d’une espèce souche, au cours du temps, semblaient surgir brusquement dans les archives géologiques (...) Elles disparaissaient aussi brutalement qu’elles étaient apparues (...) Les archives fossiles n’obéissaient pas aux prédictions de la théorie du changement graduel. (...) Le nouveau schéma explicatif était constitué de longues périodes de stabilité des espèces interrompues par de brefs phénomènes de spéciation, d’extinction et de remplacement. (...) Eldredge et Gould proposaient, en réalité, que l’évolution, tout en étant graduelle, procédait par à-coups : "l’évolution par sauts" (...) .

Bien souvent les modifications de l’environnement non seulement surviennent en général trop rapidement pour que la sélection naturelle puisse y répondre immédiatement, mais elles ont aussi généralement pour conséquence de permettre la colonisation rapide de vastes portions de territoire par toutes sortes de nouvelles espèces, ce qui conduit à une compétition et à des remplacements rapides de faunes. Comme nous le verrons, notre propre genre Homo est peut-être apparu dans le cadre de ce type de "poussée de remplacement" faunistique promue par l’environnement. (...) Eldredge et Gould ont rejeté la notion selon laquelle nous devrions apercevoir un lent changement de génération en génération. Au contraire, ils ont estimé que la spéciation est un processus rare, difficile à réaliser, ce qui a pour conséquence que les lignées sont pour l’essentiel stables, et que les remplacements d’espèces ne se produisent qu’occasionnellement et rapidement. (...) Nous avons tendu jusqu’à présent à voir l’histoire de notre lignée comme moins touffue qu’elle n’a réellement été. En même temps, nous avons toujours tendu à voir notre propre espèce comme plus centrale dans l’évolution de notre famille qu’elle ne peut l’être, étant donné qu’elle ne représente en fait qu’une brindille terminale parmi d’autres au sein d’un gros buisson (mais il est vrai la seule survivante aujourd’hui). (...) Mais accepter ce cadre explicatif nous conduit à abandonner, une fois pour toutes, la notion tenace selon laquelle nous sommes le résultat final, parfait ou non, d’un processus continu d’amélioration. (...) Dans le cas de notre lignage, par exemple, les paléo que l’apparition de la bipédie, l’évolution de la dimension du cerveau ou de certains détails du crâne et de la denture. (...) Si fascinants et importants qu’ils soient, les caractéristiques et les complexes fonctionnels n’existent pas à l’état isolé. (...) La nature peut seulement agréer ou rejeter un organisme dans sa totalité. Par conséquent, il est par exemple totalement inutile, dans un sens fondamental, de débattre de la question de savoir si la bipédie est apparue en tant d’adaptation locomotrice, ou bien en tant que mécanisme thermorégulateur, ou bien en tant que moyen d’augmenter le champ de vision, ou bien encore en tant que moyen d’éviter l’attention des prédateurs intéressés prioritairement par les silhouettes horizontales. Il suffit d’admettre que ce comportement est simplement apparu chez la première espèce bipède de notre lignage probablement (....) plus en complément à l’aptitude à grimper aux arbres qu’en remplacement de celle-ci. (...) Ces premier individus bipèdes (et cette première espèce bipède) étaient des organismes fonctionnels globaux, et s’ils ont connu un succès évolutif, c’est nécessairement en tant que tout, et non pas en tant que véhicules de l’un ou l’autre de leurs "traits". "

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