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Einstein expose lui-même pourquoi il critiquait les limites de la physique quantique qu’il avait largement contribué à fonder… - Première partie -

mercredi 7 juin 2017, par Robert Paris

Pourquoi Einstein critiquait les limites de la physique quantique qu’il avait largement contribué à fonder…

 Première partie -

Il est nécessaire de rappeler qu’Einstein est, avec Planck, un des principaux initiateurs de la physique quantique et cela sur de nombreux points : théorie des fondements de la thermodynamique, rayonnement du corps noir, quantification de l’énergie de la matière et de la lumière, discontinuité fondamentale de l’énergie, théorie de la chaleur, émission dirigée, effet photoélectrique et notion de photon, fondements statistiques de la thermodynamique, mouvement brownien, énergie de point zéro, statistique de Bose-Einstein, analogie matière-lumière, dualité onde-corpuscule, condensation quantique et bien d’autres découvertes et domaines de recherche sur la matière-lumière quantique…. Il est même à l’origine des principaux problèmes que va poser la physique quantique, que ce soit son caractère probabiliste, son caractère dualiste onde/corpuscule, sa convergence matière/lumière, son caractère collectif, son caractère non causal, son caractère contradictoire, avec sa dualité onde-corpuscule, sa contradiction avec la relativité et la gravitation, domaines qu’il avait lui-même développés aussi personnellement dans ses travaux. L’hypothèse des quanta de lumière, émise par Einstein en mars 1905 a contrario de l’idée générale de continuité des ondes lumineuses, fut rejetée par les physiciens jusqu’en 1922-1923 !

Rappelons ainsi que, dans le rapport de Planck, Nernst, Rubens et Warburg de 1913 pour soutenir la candidature d’Einstein à l’Académie des sciences de Berlin, ces rapporteurs écrivaient :

« En bref, on peut dire que, parmi les grands problèmes dont la physique moderne abonde, il n’en est guère qu’Einstein n’ait marqué de sa contribution. Il est vrai qu’il a parfois manqué le but lors de ses spéculations, par exemple avec son hypothèse des quanta de lumineux ; mais on ne saurait lui en faire le reproche, car il n’est pas possible d’introduire des idées réellement nouvelles, même dans les sciences le plus exactes, sans parfois prendre des risques. »

Cela rappelle que les positions d’Einstein étaient bel et bien révolutionnaires sur la question des quanta, tout autant que sur la question de la relativité.

Remarquons aussi que Bohr, qui allait par la suite apparaître comme le défenseur des quanta contre Einstein, lui, n’était pas convaincu de certaines des discontinuités introduites par Einstein estimant que la fréquence de la lumière ne pouvait être interprétée que par des ondes (continues).

Einstein n’a pas attendu que la physique quantique soit marquée par Bohr, Heisenberg et leurs adeptes pour émettre des réserves. Il a conservé les mêmes réserves que celles qu’il avait devant ses propres théories en 1911 quand il déclarait à la conférence du premier congrès Solvay, dans la discussion de son rapport :

« Nous sommes tous d’accord que la théorie des quanta, sous sa forme actuelle, peut être d’un emploi utile, mais ne constitue pas véritablement une théorie au sens ordinaire du mot, en tout cas pas une théorie qui puisse être, dès maintenant, développée de manière cohérente. »

L’ « atome de Bohr », première tentative de l’école de Bohr ne date que de 1913 alors que les réserves d’Einstein avaient été publiquement exprimées bien avant et pas spécialement contre d’autres thèses que les siennes propres et celles de Planck !

Il convient de remarquer que les réserves d’Einstein sur le caractère probabiliste, apparemment non causal, apparemment uniquement collectif sur un grand nombre de processus individuels non descriptibles individuellement, ne permettant pas de description en continu des processus naturels individuels, ne permettant pas de suivre un corpuscule dans l’espace-temps, toutes ces critiques de fond ont été émises par Einstein contre ses propres découvertes (ou celles de Planck avec lui), contre ses propres théories, contre le développement de la physique quantique, même quand il en était l’initiateur, bien avant de devenir des critiques des thèses de Bohr et Heisenberg. Ce n’est pas pour combattre Bohr, Heisenberg, Born ou d’autres qu’Eisntein a émis ses critiques. Il s’est déclaré insatisfait y compris de ses propres thèses quantiques et les trouvait insuffisantes, incomplètes, incompatibles avec ce qui lui paraissait devoir être l’objectif philosophique de la démarche scientifique, un point sur lequel il n’avait jamais transigé.

Jusqu’en 1925, Bohr a combattu la thèse corpusculaire de la lumière, celle des quanta de lumière, les photons. Ehrenfest écrivait le 9 janvier 1925 : « Si Bothe et Geiger trouvent qu’il y a dépendance de l’électron et du quantum de lumière diffusé, ce sera le triomphe d’Einstein opposé à Bohr ». Le 15 janvier 1925, Born écrit à Bohr : « J’étais il y a quelque temps à Berlin ; il n’y est question que du résultat de l’expérience de Geiger et Bothe qui apparemment est en faveur des quanta de lumière. Einstein triomphe… »

La version qui allait être appelée celle de l’école de Copenhague lui a profondément déplu, au point qu’il s’est, sur la fin, carrément retiré du débat. Pour lui, la science repose sur des postulats philosophiques qui sont la causalité, la matérialité, la réalité, le déterminisme et sans lesquels il considère que la démarche scientifique est altérée.

Fondamentalement, ce qu’Einstein n’accepte pas, c’est qu’on s’interdise par avance de développer toute thèse que ce soit sur ce qu’est la réalité, en affirmant que nous n’accédons pas à celle-ci mais seulement à l’observation humaine de la réalité, que l’on s’oblige par avance à ne connaître que l’interaction homme/matière sous prétexte qu’à un stade donné de la science ce problème se pose à nous comme une limite au lieu de considérer cette borne comme momentanée. Il n’accepte pas non plus que la physique reste purement statistique car la description du monde ne lui paraît pas provenir de comportements statistiques. Il estime qu’il y a forcément un niveau qui fonde ces faits statistiques et ce niveau, qu’il n’a pas trouvé, doit rester, selon lui, le but de la recherche physique et scientifique. D’autre part, la relation entre discontinuité atomique et continuité de l’espace-temps ne lui semble pas satisfaisante et

Einstein n’a pas admis que l’on ne puisse pas trouver une physique avec des lois qui s’appliquent individuellement sur chaque particule de matière, de lumière ou du vide quantique. Il a récusé l’argument selon lequel le niveau microscopique n’obéissait pas à la même logique, intuitive, que le niveau macroscopique et que la science ne pouvait avoir l’ambition de trouver le même type de lois au niveau des quanta qu’au niveau de la matière à grande échelle. Les détracteurs de la démarche d’Einstein l’ont accusé d’être religieusement attaché à l’ « idéal classique » et de se comporter comme ceux qui refusaient la révolution idéologique de la Relativité.

Si la physique quantique n’a, des années après ces débats, jamais été prise en défaut dans une seule contradiction directe, diamétrale, aucune contradiction avec l’expérience ou entre ses propres raisonnements, quels que soient les nouveaux développement de ses domaines, si elle a très bien tenu le jugement des années, si les arguments d’Einstein n’ont jamais pu être vraiment étayés, il n’empêche que l’on ne dispose pas de preuve qu’une physique des phénomènes microscopiques indivuels ne sera jamais trouvée, par exemple en se fondant sur les phénomènes concernant les particules et antiparticules virtuelle du vide, une espèce de thermodynamique de base du niveau quantique. La physique quantique s’est pour le moment passée d’une telle physique mais elle n’a pas démontré qu’elle n’existait pas et les arguments d’Einstein ne sont pas définitivement à écartes…. D’où l’intérêt pour la physique et pour la philosophie d’en rapporter le contenu exact… Et aussi de ne pas se contenter de propos sur le vieil Einstein qui n’aurait pas supporté le caractère trop révolutionnaire de la physique quantique, alors que, lui, il affirmait qu’elle n’était pas assez révolutionnaire !!!

Ce n’est pas une réticence personnelle, philosophique, scientifique qui a empêché Einstein de soutenir la physique quantique dans sa forme de son époque : c’est le fait qu’elle est incapable, jusqu’à aujourd’hui, d’intégrer la force de gravitation et aussi d’intégrer complètement la relativité et qu’elle ne puisse pas intervenir dans l’espace-temps-matière de la relativvité généralisée et ce dépassement, qu’Einstein n’a pas réussi, n’a toujours pas été entièrement réalisé.

Ce qui suit est exclusivement des citations d’écrits et de lettres d’Albert Einstein…

10 avril 1901

Lettre à Mileva Mariç

« La semaine dernière, j’ai étudié, dans le Ostwald de Michele, l’électrochimie et la chimie des réactions et, à la bibliothèque, la théorie des électrons dans les métaux. Les réserves personnelles que j’émets quant aux considérations de Planck sur la nature du rayonnement sont faciles à formuler. Planck suppose qu’une catégorie bien déterminée de résonateurs (de période et d’amortissement bien déterminés) conditionne les transferts de l’énergie du rayonnement – hypothèse que j’ai du mal à faire mienne… La théorie des électrons de Drude est une théorie cinétique des péhnomènes électriques et thermiques dans les métaux, tout à fait dans l’esprit de la théorie cinétique des gaz. Si seulement il n’y avait pas ce stupide magnétisme dont nous ne savons que faire ! »

1905

« Un point de vue heuristique concernant la production et la transformation de la lumière »

« Il existe une profonde différence formelle entre les représentations théoriques que se sont forgées les physiciens à propos des gaz et des autres corps pondérables, et la théorie de Maxwell des processus électromagnétiques dans ce qu’il est convenu d’appeler l’espace vide. En effet, alors que nous considérons que l’état d’un corps est parfaitement déterminé par les positions et vitesses d’un nombre d’atomes et d’électrons, très grand certes, mais néanmoins fini, nous nous servons, pour la détermination de l’état électromagnétique d’une région de l’espace, de fonctions d’espace continues, si bien que nous ne pouvons pas considérer qu’un nombre fini de grandeurs suffise à fixer complètement l’état électromagnétique de l’espace. Selon la théorie de Maxwell, l’énergie doit être conçue, pour tous les phénomènes purement électromagnétiques, et donc également pour la lumière, comme une fonction continue de l’espace, alors que l’énergie d’un corps pondérable doit, selon la conception actuelle des physiciens, être décrite comme une somme portant sur les atomes et les électrons. L’énergie d’un corps pondérable ne peut pas être divisée en parties aussi nombreuses et petites que l’on veut, alors que l’énergie d’une radiation lumineuse émise par une source de lumière ponctuelle est, selon la théorie de Maxwell de la lumière (ou, selon toute théorie ondulatoire), distribuée de façon continue sur un volume sans cesse croissant.

La théorie ondulatoire de la lumière opérant avec des fonctions d’espace continues s’est avérée parfaite pour ce qui est de la description des phénomènes purement optiques et il se peut qu’elle ne soit jamais remplacée par une autre théorie. Il ne faut cependant pas perdre de vue que les observations optiques portent sur des valeurs moyennes dans le temps, et pas sur des valeurs instantanées ; il n’est pas inconcevable, bien que les théories de la diffraction, de la réflexion, de la réfraction, de la dispersion, etc., soient entièrement confirmées par l’expérience, que la théorie de la lumière qui opère sur des fonctions continues de l’espace puisse conduire à des contradictions avec l’expérience lorsqu’elle est appliquée aux phénomènes de production et de transformation de la lumière.

De fait, il me semble que les observations portant sur le « rayonnement noir », la photoluminescence, la production des rayons cathodiques par la lumière ultraviolette et d’autres classes de phénomènes concernant la production ou la transformation de la lumière, apparaissent comme plus compréhensibles si l’on admet que l’énergie de la lumière est distribuée de façon discontinuedans l’espace. Selon l’hypothèse envisagée ici, lors de la propagation d’un rayon lumineux émis par une source ponctuelle, l’énergie n’est pas distribuée de façon continue sur des espaces de plus en plus grands, mais est constituée d’un nombre fini de quanta d’énergie localisés en des points de l’espace, chacun se déplaçant sans se diviser et ne pouvant être absorbé ou produit que tout d’un bloc. (…) »

1906

« La théorie du rayonnement de Planck et la théorie des chaleurs spécifiques »

« Dans deux travaux antérieurs, j’ai montré que, si l’on interprète la loi de distribution en énergie du rayonnement noir selon l’esprit de la théorie de Boltzmann de second principe, on est conduit à une nouvelle conception des phénomènes d’émission et d’absorption de la lumière qui, si elle est encore loin de posséder le caractère d’une théorie complète, a néanmoins ceci de remarquable qu’elle facilite la compréhension d’une série de lois empiriques. Dans le présent travail, il sera montré que la théorie du rayonnement, plus précisément la théorie de Planck, conduit à modifier la théorie cinétique moléculaire de la chaleur, éliminant par là même quelques unes des difficultés qui, jusqu’à présent, faisaient obstacle à l’application de cette théorie. Il apparaîtra également qu’il existe une certaine corrélation entre les comportements thermique et optique des corps solides. (…)

Ce qui précède montre clairement dans quel sens la théorie cinétique moléculaire de la chaleur doit être modifiée pour être modifiée pour être en accord avec la loi de distribution du corps noir. En effet, alors que jusqu’à présent nous nous imaginions les mouvements moléculaires comme régis par les mêmes lois que celles qui valent pour les mouvements des corps de notre monde sensible (pour l’essentiel, nous ne faisons qu’ajouter le postulat de réversibilité totale), nous ne faisons qu’ajouter le postulat de réversibilité totale), nous nous voyons maintenant contraints de faire l’hypothèse selon laquelle la multiplicité des états que peuvent prendre des ions susceptibles d’effectuer des oscillations de fréquence déterminée – et pouvant servir d’intermédiaires lors des échanges d’énergie entre la matière et le rayonnement – est plus faible que dans le cas des corps de l’expérience commune – puisqu’aussi bien il nous a fallu admettre que, lors du tranfert d’énergie, l’énergie de l’entité élémentaire ne peut prendre des valeurs autres que zéro, une quantité élémentaire, deux quantités élémentaires, etc.

Mais je pense que nous ne devons pas nous contenter de ce résultat. Car la question qui se pose est la suivante : dès lors que l’on ne peut plus penser les entités élémentaires – qui, d’après la théorie, sont censées intervenir lors des échanges d’énergie entre rayonnement et matière – dans les termes de la théorie cinétique moléculaire actuelle, ne conviendrait-il pas de modifier également la théorie lorsqu’on a affaire aux autres entités oscillant périodiquement dont fait usage la théorie cinétique de la chaleur. La réponse, à mon avis, ne fait aucun doute. Si la théorie du rayonnement de Planck touche (vraiment) au cœur du problème, nous devons nous attendre à rencontrer, dans d’autres domaines de la théorie de la chaleur, des contradictions entre la théorie cinétique moléculaire actuelle de la chaleur et l’expérience, contradictions que l’on arrive à lever en suivant la même démarche. (…)

Les corps solides, lorsqu’ils sont chauffés, subissent des modifications de leur arrangement moléculaire (par exemple, des chnagements de volume) qui sont liées aux variations de leur capacité énergétique ; tous les corps solides conducteurs de l’électricité contiennent des masses élémentaires mobiles libres contribuant à leur chaleur spécifique ; les oscillations thermiques désordonnées des entités élémentaires ont peut-être des fréquences différentes de celles de leurs oscillations propres lors des processus optiques. »

21 septembre 1909

Conférence de Salzbourg

« L’évolution de nos conceptions sur la nature et la constitution du rayonnement »

« Dès que l’on eut constaté que la lumière présente de phénomènes d’interférence et de diffraction, il sembla pratiquement incontestable qu’elle devait être conçue comme un mouvement ondulatoire. Etant donné que la lumière était capable de se propager dans le vide, on dut imaginer qu’il existait également dans le vide une sorte de substance particulière permettant la propagation des ondes lumineuses. Pour interpréter les lois de propagation de la lumière dans les corps pondérables, il fut nécessaire de supposer que cette substance, que l’on nomma éther lumineux, s’y trouvait également et que c’était essentiellement l’éther lumineux à l’intérieur des corps pondérables qui permettait la propagation de la lumière. L’existence de cet éther lumineux semblait incontestable…

Mais aujourd’hui, force est de considérer l’hypothèse de l’éther comme un point de vue dépassé. Il est même indéniable qu’il existe un ensemble important de faits relatifs au rayonnement qui indiquent que la lumière possède certaines propriétés fondamentales que l’on comprend beaucoup mieux en adoptant le point de vue de la théorie newtonnienne de l’émission de lumière que celui de la théorie ondulatoire.

C’est pourquoi je pense que la prochaine étape du développement de la physique théorique nous fournira une théorie de la lumière que l’on pourra interpréter comme une sorte de fusion de la théorie ondulatoire et de la théorie de l’émission de la lumière. Je me propose, dans les développements qui vont suivre, d’étayer cette opinion et de montrer qu’un changement radical de nos conceptions concernant la nature et la constitution de la lumière est devenu indispensable.

La géniale découverte de Maxwell, c’est-à-dire la possibilité d’interpréter la lumière comme un processus électromagnétique, constitue certainement le plus grand progrès qu’ait réalisé l’optique théorique depuis l’introduction de la théorie ondulatoire. A la place des grandeurs mécaniques, à savoir déformation et vitesse des parties de l’éther, cette théorie fait intervenir des états électromagnétiques de l’éther et de la matière, réduisant par là même les problèmes d’optique à des problèmes d’électromagnétisme. Au fur et à mesure du développement de la théorie électromagnétique, la question de savoir si les processus électromagnétiques peuvent se ramener à des processus mécaniques est progressivement passée au second plan et l’on a pris l’habitude de tenir les concepts d’intensité des champs électrique et magnétique, de densité volumique d’électricité, etc., pour des concepts élémentaires ne requérant pas d’interprétation mécanique.

L’introduction de la théorie électromagnétique a simplifié les fondements de l’optique théorique en diminuant le nombre des hypothèses arbitraires. La vieille question de la direction des vibrations de la lumière polarisée est devenue sans objet. Les difficultés concernant les conditions aux limites à la frontière entre deux milieux résultaient des fondements de l’ancienne théorie. Il ne fut plus nécessaire d’avoir recours à une hypothèse arbritraire destinée à assurer le raccordement d’ondes lumineuses longitudinales. La pression de la lumière, qui n’a été établie qu’à une époque relativement récente et qui joue un rôle si important en théorie du rayonnement, est apparue comme une conséquence de la théorie. Je ne compte pas du tout me livrer ici à une énumération exhaustive des acquis de la théorie électromagnétique de la lumière que tout le monde connaît : je vais plutôt envisager un point important sur lequel la théorie électromagnétique est en accord – ou plus exactement semble être en accord – avec la théorie cinétique.

Dans les deux théories, en effet, les ondes lumineuses apparaissent comme essentiellement composées d’états d’un milieu hypothétique – l’éther – omniprésent, même en l’absence de rayonnement. D’où l’idée que les mouvements de ce milieu doivent avoir une influence sur les phénomènes optiques et électromagnétiques. La recherche des lois auxquelles doit être soumise cette influence a été à l’origine d’un changement dans nos conceptions fondamentales concernant la nature du rayonnement, changement dont nous allons brièvement retracer l’évolution.

Une question ne pouvait manquer de se poser : l’éther lumineux accompagne-t-il les mouvements de la matière, ou bien a-t-il, à l’intérieur de la matière, un mouvement différent de celui de cette dernière, ou bien encore se pourrait-il qu’il ne prenne aucune part aux mouvements de la matière et reste continuellement immobile ? Pour trancher cette question, Fizeau réalisa une importante expérience d’interférences reposant sur l’argument suivant.

Soit V la vitesse de propagation de la lumière dans un corps lorsque celui-ci est au repos. Si ce corps entraîne totalement son éther avec lui lorsqu’il est en mouvement, alors la lumière devrait se propager, relativement à ce corps, comme si celui-ci était au repos. La vitesse de propagation relativement au corps devrait être V, également dans ce cas. Mais, d’un point de vue absolu, c’est-à-dire relativement à un observateur ne se déplaçant pas avec le corps, la vitesse de propagation d’un rayon lumineux doit être égale à la somme géométrique de V et de la vitesse v avec laquelle se déplace le corps. Si la vitesse de propagation et la vitesse de déplacement ont même direction et même sens, Vabs est simplement égale à la somme des deux vitesses, à savoir Vabs = V + v.

Cherchant à tester la validité du résultat, impliqué par l’hypothèse de l’entraînement total de l’éther lumineux, Fizeau faisait passer deux faisceaux de lumière monochromatique et cohérente suivant l’axe de deux tubes remplis d’eau, et les faisant ensuite interférer. En établissant alors simultanément une circulation d’eau suivant l’axe des tubes et sur toute leur longueur, dans le sens de la lumière pour l’un et dans le sens contraire pour l’autre, il obtenait un déplacement des franges d’interférence, d’où il pouvait déduire l’incidence de la vitesse du corps sur la vitesse absolue.

Comme on le sait, il est apparu que, si l’influence de la vitesse du corps a bien le sens attendu, elle est cependant systématiquement plus petite que celle correspondant à l’hypothèse d’un entraînement total. On obtient : Vabs = V + alpha fois v où alpha est toujours plus petit que 1. En négligeant l’effet de dispersion, on a alpha = 1 – 1/n².

Cette expérience a montré qu’il n’y a pas entraînement total de l’éther par la matière et que l’on a donc généralement affaire à un mouvement relatif de l’éther par rapport à la matière. Or la terre est un corps dont la vitesse par rapport au système solaire change de direction au cours de l’année : il faut donc admettre que l’éther dans nos laboratoires partage tout aussi peu le mouvement de la Terre qu’il ne semble partager celui de l’eau dans l’expérience de Fizeau. D’où il résulte qu’il existe un mouvement relatif de l’éther par rapport à nos appareils, mouvement variable au cours du jour et de l’année. On doit s’attendre à ce que, dans les expériences d’optique, cette vitesse relative occasionne une anisotropie apparente de l’espace, c’est-à-dire que les phénomènes optiques dépendent de l’orientation des apapreils. Des expériences les plus diverses furent entreprises afin de mettre en évidence une telle anisotropie, sans que la dépendance attendue des péhnomènes en fonction de l’orientation des appareils pût être constatée.

Cette contradiction a été, en grande partie, levée grâce au travail de pionnier de H.A. Lorentz en 1895. Lorentz a montré qu’en supposant un éther au repos ne participant pas aux mouvements de la matière, on aboutit, sans poser d’autres hypothèses, à une théorie qui rend compte de presque tous les phénomènes. On peut, en particulier, expliquer ainsi les résultats de l’expérience de Fizeau décrite précédemment, de même que le résultat négtif des epxériences susmentionnées ayant pour objet de mettre en évidence le mouvement de la Terre par rapport à l’éther. Une seule expérience semblait toutefois contredire la théorie de Lorentz : l’expérience d’interférencees de Michelson et Morley.

Lorentz avait montré que, dans sa théorie, si l’on ne tient pas compte destermes contenant en facteur le rapport (vitesse du corps/vitesse de la lumière) de puissance supérieure ou égale à deux, un mouvement de translation d’ensemble des appareils est sans incidence sur la marche des rayons lors des expériences d’optique. Or on connaissait déjà à cette époque l’expérience d’interférences de Michelson et Morley, laquelle montrait que, dans un cas particulier, les termes du second ordre par rapport au quotient (vitesse du corps/vitesse de la lumière) sont, eux aussi, inobservables, en dépit de ce que laisse attendre la théorie de l’éther lumineux au repos. On sait comment Lorentz et Fitz-Gerald, afin de faire entrer cette expérience dans le cadre de la théorie, ont introduit l’hypothèse selon laquelle tous les corps, et donc en particulier ceux qui lient entre eux les éléments du dispositif expérimental de Michelson et Morley, changent de forme de façon déterminée lorsqu’ils sont animés d’un mouvement par rapport à l’éther.

Mais cet état de choses était on ne peut plus insatisfaisant. La seule théorie, utilisable et claire quant à ses fondements, était la théorie de Lorentz, laquelle supposait un éther absolument immobile. La Terre devait être considérée comme animée d’unmouvement relatif par rapport à cet éther. Et pourtant toutes les tentatives expérimentales destinées à mettre en évidence ce mouvement relatif restaient infructueuses, si bien qu’on était obligé de formuler une hypothèse tout à fait spécifique afin de comprendre pourquoi ce mouvement relatif était inobservable.

L’expérience de Michelson conduisait à supposer que tous les phénomènes suivent exactement les mêmes lois relativement à un système de coordonnées en mouvement avec la terre et, plus généralement, relativement à tout système en mouvement non accéléré. Dans la suite, pour aller plus vite, nous appellerons cette supposition « principe de relativité ». (…)

Considérons un corps en suspension, libre de se mouvoir. Ce corps émet, dans deux directions directement opposées, la même quantité d’énergie sous forme de rayonnement. Ce faisant, il reste immobile. Notons Eo l’énergie du corps avant l’émission, E1 son énergie après l’émission et L la quantité d’énergie du rayonnement émis ; on a d’après le principe de conservation de l’énergie : Eo = E1 + L.

Considérons maintenant le corps et le rayonnement qu’il émet en nous plaçant dans un système de coordonnées par rapport auquel le corps se déplace avec la vitesse v. la théorie de la relativité donne alors le moyen de calculer l’énergie du rayonnement émis, pra rapport au nouveau système de coordonnées. La valeur que l’on obtient est : L’ = L divisé par racine de (1-v²/c²).

Puisque le principe de conservation de l’énergie doit également être valable par rapport au nouveau système de coordonnées, on obtient, en utilisant des notations analogues : E’o = E’1 + L divisé par racine de (1-v²/c²).

Par soustraction et en négligeant les termes en v/c d’ordre quatre et plus, il vient :

(E’o – Eo) = (E’1 – E1) + ½ Lv²/c².

Mais (E’o – Eo) n’est rien d’autre que l’énergie cinétique du corps avant l’émission de lumière et (E’1 – E1) n’est autre que son énergie cinétique après l’émission de lumière. Si l’on appelle Mo la masse du corps avant l’émission et M1 sa masse après l’émission, on peut écrire, en négligeant les termes d’ordre supérieur à deux :

½ Mo v² = ½ M1 v² + ½ L v²/c²,

Soit encore :

Mo = M1 + L/c²

D’où L = (Mo – M1) c² où Mo – M1 est la diminution de la masse inerte du corps lors de l’émission.

Il en ressort que l’énergie interne du corps égale masse multipliée par le carré de la vitesse de la lumière : E = mc².

La masse inerte d’un corps diminue donc lors de l’émission de lumière. L’énergie cédée figure ici comme une partie de la masse du corps. On peut aller plus loin et conclure que chaque gain (resp. perte) d’énergie s’accompagne d’une augmentation (resp. diminution) de la masse du corps considéré. Energie et masse apparaissent donc comme des grandeurs équivalentes, tout comme la chaleur et le travail mécanique.

La théorie de la relativité a donc changé nos conceptions sur la nature de la lumière dans la mesure où la lumière n’y est pas conçue comme résultant d’états d’un milieu hypothétique, mais comme quelque chose qui existe de façon autonome, au même titre que la matière.

Dans cette théorie, la lumière a en outre cette caractéristique – qu’elle a également en théorie corpusculaire de la lumière – de transférer de la masse inerte du corps émetteur au corps absorbant. La théorie de la relativité n’a rien changé à notre conception de la structure du rayonnement, et en particulier à notre conception de la répartition de l’énergie dans l’espace traversé par un rayonnement. Je crois cependant qu’en ce qui concerne cet aspect de la question, nous sommes au seuil d’une évolution dont on ne peut encore saisir la portée, mais qui est sans aucun doute de la plus haute importance.

Si malgré tout j’avance ici ces idées, ce n’est pas par excès de confiance dans les idées qui me sont propres, mais parce que j’espère pouvoir convaincre l’un ou l’autre d’entre vous de s’occuper des questions qui vont être abordées.

Il n’est pas nécessaire de se livrer à de profondes considérations théoriques pour s’apercevoir que notre théorie de la lumière est incapable d’expliquer certaines propriétés fondamentales des phénomènes lumineux. Pourquoi le fait qu’une réaction photochimique déterminée ait lieu ou non dépend-il seulement de la couleur de la lumière, et non de son intensité ? Pourquoi les rayons de courte longueur d’onde sont-ils généralement plus actifs chimiquement que ceux de grande longueur d’onde ? Pourquoi la vitesse des rayons cathodiques produits par effet photoélectrique est-elle indépendante de l’intensité de la lumière ? Pourquoi faut-il des températures élevées, et donc de grandes énergies moléculaires, pour que que le rayonnement émis par les corps contienne des composantes de courte longueur d’onde ,

A toutes ces questions, la théorie ondulatoire, telle que nous la concevons actuellement, n’apporte pas de réponse. En particulier, on ne comprend absolument pas pourquoi les rayons cathodiques, produits par effet photoélectrique ou à l’aide de rayons de Röntgen, atteignent une vitesse aussi importante, indépendante de l’intensité du rayonnement. L’apparition de si grandes quantités d’énergie, sur une entité moléculaire soumise à l’influence d’une source où l’énergie est répartie selon une densité aussi faible que ce qu’indique la théorie ondulatoire dans le cas des rayonnements lumineux et de Röntgen, a conduit des physiciens de talent à recourir à une hypothèse très sophistiquée. Ils ont supposé que, lors du processus, la lumière jouait uniquement un rôle de déclenchement et que les énergies moléculaires qui se manifestaient étaient de nature radioactive. (hypothèse de Lenard de 1902, adoptée par des spécialistes des rayons X) je n’avancerai ici aucun argument à l’encontre de cette hypothèse qui est déjà pratiquement abandonnée.

La caractéristique fondamentale de la théorie ondulatoire qui est à l’origine de ces difficultés est, me semble-t-il, la suivante. Alors qu’en théorie cinétique moléculaire, il correspond à chaque processus, ne mettant en jeu qu’un petit nombre de particules élémentaires (par exemple, à chaque collision moléculaire) un processus inverse, tel n’est pas le cas en théorie ondulatoire pour les processus élémentaires de rayonnement.

Dans la théorie qui nous est habituelle, un ion oscillant engendre une onde sphérique qui se propage vers l’extérieur. Le processus inverse, en tant que processus élémentaire, n’existe pas. En effet, s’il est vrai qu’une onde se propageant vers l’intérieur est mathématiquement possible, il n’en reste pas moins que sa réalisation approchée nécessite une quantité énorme d’entités élémentaires émettrices. Le processus élémentaire d’émission de lumière ne possède donc pas, en tant que tel, un caractère de réversibilité.

C’est sur ce point, à mon avis, que notre théorie ondulatoire n’est pas juste. Il semble que, de ce point de vue, la théorie de l’émission de Newton recèle plus de vérité que la théorie ondulatoire puisque, d’après elle, l’énergie qui est conférée à une particule de lumière lors de son émission n’est pas dispersée dans l’espce infini, mais reste disponible pour un processus élémentaire d’absorption. Il suffit de songer aux lois de la production du rayonnement cathodique secondaire à l’aide des rayons de Röntgen. (…)

A mon avis, admettre la théorie de Planck revient à rejeter purement et simplement les fondements de notre théorie du rayonnement. (…)

S’il est réellement vrai que l’énergie d’un résonateur rayonnant ne peut prendre que des valeurs multiples de h fois la fréquence mu, il est tentant de faire l’hypothèse selon laquelle l’émission et l’absorption du rayonnement ne s’effectuent que par quanta d’énergie ayant cette valeur.

Sur la base de cette hypothèse, dite hypothèse des quanta de lumière, il est possible de répondre à la question posée plus haut au sujet de l’absorption et de l’émission de rayonnement. En l’état actuel de nos connaissances, les conséquences à contenu quantitatif de cette hypothèse des quanta de lumière sont également vérifiées.

La question qui se pose est : ne pourrait-on pas imaginer que la formule du rayonnement proposée par Planck soit effectivement correcte, mais que l’on puisse en donner une démonstration qui ne repose pas sur une hypothèse à première vue aussi monstrueuse que celle sur laquelle repose la théorie de Planck ? Ne serait-il pas possible de substituer à l’hypothèse des quanta de lumière une autre hypothèse rendant tout aussi bien compte des phénomènes connus ? S’il s’avère nécessaire de modifier les éléments de la théorie, ne pourrait-on pas au moins conserver les équations de propagation du rayonnement et ne modifier que la façon de concevoir les phénomènes élémentaires d’émission et d’absorption ? (…)

Toutefois, en attendant, la conception la plus naturelle est, me semble-t-il, celle où l’apparition des champs électromagnétiques de la lumière est associée à des points singuliers, tout comme l’est l’apparition des champs électrostatiques dans la théorie de l’électron. Il n’est exclu que, dans une telle théorie, toute l’énergie du champ électromagnétique puisse être considérée comme localisée dans ces singularités, tout comme dans l’ancienne théorie de l’action à distance. (…) »

2 janvier 1911

« Remarque au sujet d’une difficulté fondamentale de la physique théorique »

« Actuellement notre image physique du monde repose sur les équations fondamentales de la mécanique et sur les équations du champ électromagnétique dans le vide établies par Maxwell. Il apparaît de plus en plus clairement que tous les résultats établis sur ces bases et se rapportant à des processus lents, c’est-à-dire dont la fréquence n’est pas trop rapide, concordent parfaitement avec l’expérience. La mécanique du point a permis de donner une formulation générale des limites de validité de la thermodynamique. On a pu déduire de cette même mécanique du point les lois fondamentales de la thermodynamique. On est parvenu à déterminer, avec une précision insoupçonnée et pas des voies très diverses, la taille absolue des atomes et des molécules. On a pu tirer de la mécanique statistique et de l’électromagnétisme la loi du rayonnement thermique pour de grandes longueurs d’onde et des températures élevées. Mais, pour tous les phénomènes dans lesquels la transformation de l’énergie affecte des processus rapidement oscillants, les bases actuelles de la théorie ne nous sont d’aucune utilité. (…) Max Planck a montré qu’on parvient à une loi du rayonnement en accord avec l’expérience en modifiant les formules qui résultent des fondements actuels de la théorie si l’énergie des oscillations de fréquence mu ne pouvait se présenter que sous forme de multiples entiers de la grandeur h fois la fréquence mu. Cette modification en appelle une autre, qui a prouvé son efficacité jusqu’à maintenant : la modification des résultats de la mécanique dans le cas des oscillations rapides. Si l’on n’a pas de véritable théorie, on peut bien affirmer en revanche avec certitude que la mécanique du point n’est pas valable pour des processus de fréquence rapide, et que nous ne pouvons pas non plus conserver notre conception traditionnelle de la répartition de l’énergie du rayonnement dans l’espace. »

1911

« Conférence d’Einstein au premier congrès Solvay » (discussion du rapport d’Einstein)

« Nous sommes tous d’accord que la théorie des quanta, sous sa forme actuelle, peut être d’un emploi utile, mais ne constitue pas véritablement une théorie au sens ordinaire du mot, en tout cas pas une théorie qui puisse être, dès maintenant, développée de manière cohérente. D’autre part, il est bien établi aussi que la dynamique classique, traduite par les équations de Lagrange et de Hamilton, ne peut plus être considérée comme fournissant un schéma suffisant pour la représentation théorique de tous les phénomènes physiques. Voir en particulier le rapport de M. Lorentz.

La question se pose de savoir quels sont les principes généraux de la Physique sur lesquels nous pouvons compter pour la solution des questions qui nous occupent. En premier lieu, nous serons d’accord pour conserver le principe de l’énergie.

Il doit en être de même, selon moi, pour le principe de Boltzmann sur la définition de l’entropie par la probabilité : nous devons en admettre sans réserve la validité. Nous devons à ce principe les clartés bien faibles encore que nous pouvons avoir aujourd’hui sur les états d’équilibre statistique dans lesquels interviennent des phénomènes périodiques. (…)

La probabilité W d’un état est ainsi définie par sa fréquence relative lorsque le système est indéfiniment abandonné à lui-même. A ce point de vue, il est remarquable que, dans l’immense majorité des cas, il y a, quand on part d’un état initial déterminé, un état voisin qui sera pris, le plus fréquemment de beaucoup, par le système abandonné indéfiniment à lui-même. (…)

Si W est défini comme nous l’avons fait, il résulte de cette définition même qu’un système isolé, abandonné à lui-même, doit parcourir généralement des états successifs de probabilités constamment croissantes, de sorte qu’il en résulte entre cette probabilité et l’entropie S du système la relation de Boltzmann :

S = k log W + cste.

Ceci résulte du fait que W, dans la mesure où l’on admet que le système évolue spontanément de manière determine, doit augmenter constamment en fonction du temps, et de ce qu’aucune fonction indépendante de S ne peut avoir cette propriété en même temps que l’entropie elle-même. La relation particulière que donne le principe de Boltzmann à la relation entre W et S résulte des propriétés de l’entropie et de la probabilité des systèmes complexes définies par les équations :

S total = somme des entropies

W total = produit des W

Si l’on définit W par la fréquence, comme nous l’avons fait, la relation de Boltzmann prend une signification physique précise. Elle exprime une relation entre des grandeurs observables en principe : on peut en vérifier ou en infirmer l’exactitude. On utilise généralement cette relation de Boltzmann de la manière suivante : on part d’une théorie particulière définie (par exemple, de la mécanique moléculaire), on calcule théoriquement la probabilité d’un état et l’on en déduit l’entropie de cet état par application de la relation de Boltzmann, de manière à connaître ensuite les propriétés thermodynamiques du système. On peut aussi procéder en sens inverse : déterminer par des mesures thermiques effectuées sur un système l’entropie correspondante à chaque configuration et en déduire la probabilité par la relation de Boltzmann. (…)

L’hypothèse des quanta cherche, de manière provisoire, à interpréter l’expression obtenue pour la probabilité statistique W du rayonnement. Si l’on imagine le rayonnement composé de petits éléments d’énergie égaux à h fois la fréquence mu, on obtient immédiatement une explication pour la loi de probabilité du rayonnement dilué. J’insiste sur le caractère provisoire de cette conception qui ne semble pas pouvoir se concilier avec les conséquences expérimentalement vérifiées de la théorie des ondulations. Mais, comme il résulte, selon moi, des considérations analogues à celle-ci, que les localisations du rayonnement conformes à notre électromagnétique actuelle ne correspondent pas à la réalité dans le cas du rayonnement dilué, il nous faut introduire d’une manière quelconque une hypothèse comme celle des quanta à côté des indispensables équations de Maxwell. »

Mai 1911

Lettre à Besso :

« Je ne me demande plus si ces quanta existent réellement. Et je n’essaye plus de les construire parce que je sais maintenant que mon cerveau n’en est pas capable. Mais j’explore quand même les conséquences aussi soigneusement que possible, afin d’apprendre le domaine d’application de ce concept. »

Mai 1912

Lettre à Heinrich Zangger

« Plus la théorie des quanta remporte de succès, plus a l’air bête. Les non-physiciens se moqueraient bien s’ils pouvaient suivre une évolution aussi bizarre ! »

17 juin 1916

Lettre à Lorentz :

« Je n’ai pas achevé la théorie du rayonnement des systèmes matériels. Mais une chose est claire : les difficultés des quanta concernent tout autant la nouvelle théorie de la gravitation que la théorie de Maxwell. »

1916

« Théorie quantique du rayonnement »

« J’ai trouvé tout récemment une démonstration de la formule de Planck, reposant sur l’hypothèse fondamentale de la théorie quantique, qui s’apparente aux considérations initiales de Wien et met en évidence le rapport entre la courbe de Maxwell et celle de la distribution chromatique. Cette démonstration présente un certain intérêt, non seulement du fait de sa simplicité, mais aussi, et surtout, parce qu’elle semble projeter quelque clarté sur le processus, pour nous encore si obscur, de l’émission et de l’absorption du rayonnement par la matière.

Me fondant sur quelques hypothèses, naturelles du point de vue de la théorie quantique, concernant l’émission et l’absorption par des molécules, j’ai montré que des molécules, dont la répartition des états, au sens àù l’entend la théorie quantique, celle de l’équilibre thermique, se trouvent en équilibre dynamique avec le rayonnement de Planck, de façon étonnamment simple et générale. Cette formule résulte de la condition selon laquelle la répartition des états peut s’établir sous le seul effet de l’absorption et de l’émission de rayonnement.

Si les hypothèses introduites à propos de l’interaction du rayonnement et de la matière sont correctes, elles doivent pouvoir fournir davantage que l’expression correcte de la dictribution statistique de l’énergie interne des molécules. En effet, lors de l’émission et de l’absorption de rayonnement, il se produit un transfert d’impulsion vers les molécules, conduisant à l’établissement d’une distribution bien déterminée des vitesses des molécules, due simplement à l’interaction de ces dernières avec le rayonnement. Il est clair que cette distribution doit être identique à celle produite par l’effet des chocs des molécules entre elles ; autrement dit : elle doit être conforme à la distribution de Maxwell.

Ceci exige que l’énergie cinétique moyenne qu’acquiert une molécule dans le champ de rayonnement de Planck à la température T soit égale, pour chaque degré de liberté, à kT/2 ; et ce, indépendamment de la nature des molécules considérées et des fréquences qu’elles émettent ou absorbent. (…) »

novembre 1916

Lettre à Walter Dällenbach :

« Les électrons dans un tel système (celui de sa théorie de la gravitation, en gestation) seraient des données (des « briques »). Mais y a-t-il vraiment des briques ultimes ? Pourquoi ont-elle toutes la même taille ? Doit-on se satisfaire de la réponse : Dieu, dans sa sagesse, leur a donné la même taille à toutes, parce que telle était sa volonté ; si ça lui avait convenu, il aurait tout aussi bien pu les créer différentes les unes des autres ? »

3 janvier 1917

Lettre à Hermann Weyl :

« Faut-il traiter l’électron comme un point singulier et faut-il, d’une façon générale, que la physique admette dans ses descriptions de véritables singularités ? Ce sont bien là des questions du plus haut intérêt. (…) Le résultat des calculs nous apprendra s’il faut concevoir la singularité comme porteuse d’une masse infiniment grande, d’une masse finie ou d’une masse nulle… »

12 juillet 1924

Lettre à Ehrenfest :

« Plus on court après les quanta, mieux ils se cachent… Bohr, Kramers et un autre ont aboli les quanta « errants ». Mais on ne pourra pas s’en passer. Bose, un indien, a donné une belle démonstration de la loi de Planck et de sa constante sur la base des quanta lumineux errants. Démonstration élégante, mais l’essentiel reste obscur. »

« Réserves au sujet de Bohr-Cramers :

1° Validité stricte du principe de conservation de l’énergie pour tous les processus élémentaires connus. Hypothèse de sa non-validité pour les actions à distance très peu naturelle.

2° Harmonie préétablie entre probabilités statistiques et intensité de l’émission et de l’absorption virtuelles pas satisfaisante.

3° Dans la réfraction et la diffusion, le champ incident virtuel a d’autres effets que des probabilités statistiques, en ce sens qu’il met des atomes en l’état d’émettre à leur tour un champ virtuel ; il y a donc un effet direct, et pas simplement statistique, sur les atomes (à côté donc et en plus de l’action statistique). Passage au cas statique.

4° Validité seulement statistique du principe de conservation de la quantité de mouvement implique non-validité macroscopique des lois de conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement (rayonnement dans une cavité munie d’un miroir libre de se déplacer).

5° Comment doit être conditionné le champ virtuel qui correspond au retour d’un électron antérieurement libre dans une orbite de Bohr ? (Très problématique.)

6° Il n’est vraiment pas naturel de supposer que tous les transferts d’énergie et d’impulsion se font comme s’il y avait des quanta (statistique mise à part) et, en même temps, de rejeter les quanta par principe.

7° Tout abandon de principe de la causalité ne peut être autorisé qu’en cas de besoin absolu.

8° Du fait de l’analogie profonde qui existe entre oscillations mécaniques et oscillations électriques, on devrait supposer en fin de compte qu’il existe d’autres oscillations virtuelles. »

Septembre 1925

Lettre à Ehrenfest :

« Heisenberg a découvert la lune quantique. »

(Rappelons que l’image classique d’Einstein était : « La lune existe même si on ne l’observe pas ». Cette remarque signifie qu’Einstein estime qu’Heisenberg aurait compris enfin que les quanta existent même quand on ne les observe pas !)

13 mars 1926

Lettre à Lorentz :

« Je me suis acharné sur Born-Heisenberg. Malgré toute l’admiration que j’ai pour l’intelligence que manifestent ces travaux, mon instinct se rebiffe contre ce genre de conception. »

25 décembre 1925

Lettre à Besso :

« La chose la plus intéressante livrée par la théorie ces derniers temps est la théorie de Heisenberg-Born-Jordan des états quantiques. Une vraie table de multiplication de sorcière où interviennent des déterminants infinis (matrices) à la place des coordonnées cartésiennes. C’est hautement spirituel et suffisamment prémuni contre toute preuve de fausseté par une grande complexité… »

12 avril 1926

Lettre à Ehrenfest :

« Le truc de Born et Heisenberg semble bien ne pas être juste. Il ne semble pas possible, de rattacher de façon univoque un correspondant ordinaire à chaque fonction matricielle. Il devrait correspondre de façon non équivoque un problème matriciel à chaque problème mécanique. En revanche, Schrödinger a élaboré une théorie, toute différente et très astucieuse, des états quantiques, dans laquelle il fait jouer un rôle aux ondes de Broglie dans l’espace des phases. Cela paraît dans Annalen der Physik. Pas de machine infernale, mais en revanche une pensée claire et d’application contraignante. »

1er mai 1924

Lettre à Lorentz :

« La version que donne Schrödinger de la règle quantique m’impressionne beaucoup ; il me semble qu’on tient là un bout de la vérité, malgré toute l’obscurité qui subsiste encore sur le sens à donner aux ondes dans l’espace q à n dimensions. »

1927

Intervention d’Einstein au cinquième conseil de physique Solvay :

« Je dois m’excuser de n’avoir pas approfondi la mécanique des quanta. Je voudrais nénmoins faire quelques remarques générales.

On peut se placer vis-à-vis de la théorie à deux points de vue différents à propos de son domaine de validité, que je voudrai caractériser à l’aide d’un exemple simple.

Soit S un écran dans lequel on a pratiqué une petite ouverture O, et soit P une pellicule photographique en forme de demi-sphère de grand rayon. Supposons que des électrons tombent sur S dans la direction des flèches (de la source à O, au travers de S, puis vers l’écran P). Une partie de ces électrons passe par O ; ils se répartissent uniformément sur toutes les directions et vont agir sur la pellicule.

Les considérations suivantes sont ommunes aux deux manières de concevoir la théorie. Il y a des ondes de Broglie qui tombent à peu près normalement sur S et sont diffractées en O. Au-delà de O on a des ondes sphériques qui atteignent l’écran p et dont l’intensité en P donne la mesure de ce qui se passe ence endroit.

Nous pouvons maintenant caractériser comme suit les deux manières de voir :

Conception 1 – Les ondes de Broglie-Schrödinger ne correspondent pas à un seul électron, mais à un nuage d’électrons étendu dans l’espace. La théorie ne donne aucun renseignement sur les processus individuels, mais seulement sur l’ensemble d’une infinité de processus élémentaires.

Conception 2 – La théorie a la prétention d’être une théorie complète des processus individuels. Chaque particule qui se dirige vers l’écran, pour autant qu’on puisse la déterminer par sa situation et sa vitesse, est décrite par un paquet d’ondes de Broglie-Schrödinger de petite longueur et de petite ouverture angulaire. Ce paquet d’ondes est diffracté et, après diffraction, arrive en partie au film P dans un état de faible densité.

D’après la première manière de voir, purement statistique, le carré de la norme de la fonction d’onde exprime la probabilité qu’il existe à l’endroit considéré une certaine particule du nuage, par exemple à un endroit déterminé de l’écran.

D’après la deuxième, le carré de la norme de la fonction d’onde exprime la probabilité qu’à un instant considéré la même particule se trouve à un endroit déterminé (de l’écran par exemple). Ici, la théorie se rapporte au processus individuel et prétend en faire connaître tout ce qui est régi par des lois.

La deuxième conception va plus loin que la première, en ce sens que tous les renseignements qui résultent de la conception 2 résultent aussi de la théorie en vertu de la conception 1, mais la réciproque n’est pas vraie. Ce n’est qu’en vertu de 2 que la théorie contient la conséquence que les lois de conservation sont valables pour le processus élémentaire ; ce n’est qu’en vertu de 2 que la théorie peut déduire le résultat de l’expérience de Geiger et Bothe et qu’elle peut expliquer le fait que dans la chambre de Wilson les goutelettes provenant d’une particule alpha se trouvent à peu près sur des lignes continues.

Mais, d’autre part, j’ai des objections à faire à la conception 2. L’onde diffusée dirigée vers P n’offre pas de direction privilégiée. Si le carré de la norme de la fonction d’onde était simplement envisagé comme la probabilité qu’à un endroit considéré une particule déterminée se trouve à un instant déterminé, il pourrait arriver qu’un même processus élémentaire produisît une action en deux ou plusieurs endroits de l’écran. Mais l’interprétation d’après laquelle le carré de la norme de la fonction d’onde exprime la probabilité que cette particule se trouve à un endroit déterminé suppose un mécanisme d’action à distance tout particulier, qui empêche que l’onde continûment répartie dans l’espace produise une action en deux endroits de l’écran.

A mon avis, on ne peut lever cette objection que de cette façon-ci, qu’on ne décrit pas seulement le processus par l’onde de Schrödinger, mais qu’en même temps on localise la particule pendant la propagation. Je pense que M. de Broglie a raison de chercher dans cette direction. Si l’on opère uniquement avec les ondes de Schrödinger, l’interprétation 2 du carré de la norme de la fonction d’onde implique à mon sens une contradiction avec le postulat de la relativité.

Je voudrai encore signaler brièvement deux arguments qui me paraissent plaider contre la manière de voir 2. Celle-ci est essentiellement liée à une représentation polydimensionnelle (espace de configuration), puisque seul ce mode de représentation rend possible l’interprétation du carré de la norme de la fonction d’onde propre à la conception 2. Or, il me semble que des objections de principe s’opposent à cette représentation polydimensionnelle. Dans cette représentation, en effet, deux configurations d’un système, qui ne se distinguent que par la permutation de deux particules de même espèce, sont figurées par deux points différents (de l’espace de configuration), ce qui n’est pas d’accord avec les nouveaux résultats de la statistique. D’autre part, la particularité des forces de n’a gir qu’à de petites distances spatiales trouve dans l’espace de configuration une expression moins naturelle que dans l’espace à trois ou quatre dimensions. »

26 avril 1927

Lettre à H. Weyl :

« Les nouveaux résultats dans le domaine des quanta sont vraiment impressionnants. Mais, dans mon for intérieur, je n’aime guère ce point de vue de l’autruche, mi-figuie causal et mi-raisin géométrique. Je crois toujours à une synthèse des conceptions quantique et ondulatoire, la seule solution qui puisse être selon moi définitive. »

4 juillet 1931

Lettre à Bohr :

« Je me bats toujours avec la théorie du champ unitaire, pour laquelle je n’ai pas trouvé jusqu’à maintenant de solution véritablement satisfaisante. Néanmoins, je continue de croire que l’on en reviendra un jour à une conception causale des phénomènes physiques – et ce malgré toute l’admiration que j’ai pour les performances de la théorie statistique. »

5 avril 1932

Lettre à Ehrenfest :

« Tu m’as suggéré de modifier l’ « expérience de la boîte » (la boite à photons) de telle façon qu’on y trouve des concepts qui soient plus familiers à un théoricien des ondes. C’est ce que je fais ici, en veillant à n’avoir recours qu’à des idéalisations dont je sais qu’elles te paraissent irréprochables.

On travaille avec un effet Compton schématisé.

La masse m est libre de se déplacer le long d’une droite. Une impulsion lumineuse est envoyée depuis G à travers la lentille, l’instant de l’émission étant connu « avec précision ». En traversant la lentille, la lumière devient parallèle et atteint la droite perpendiculairement à celle-ci, (A et B étant les points extrêmes de l’arrivée des rayons lumineux ayant traversé la lentille et coupant sur la droite). On suppose que la distance AB est d’une longueur telle que l’on puisse admettre que limiter la position initiale de m à la portion à la portion AB est suffisamment compatible avec l’hypothèse selon laquelle la masse est initialement immobile.

On s’interroge sur la position ou sur l’impulsion de la masse m une fois que s’est produit l’effet Compton, ce qui peut être déterminé à l’aide du quantum de lumière dévié.

Soit en un endroit quelconque un miroir S qui réfléchit le quantum de lumière vers la droite. L’expérimentateur se trouve quelque part en A. Pendant le trajet du quantum de lumière, l’expérimentateur peut encore librement choisir de faire porter sa prophétie soit sur l’impulsion soit sur la position de m (après effet Compton), et cela sans perturber la masse m.

En effet, d’après le principe de conservation de l’impulsion, l’impulsion J de m est donnée par J égale h fois la fréquence mu divisé par c, mu étant la fréquence du quantum dévié et réfléchi. Si je mesure la fréquence mu, j’obtiens donc la valeur de J.

Mais je peux aussi déterminer l’instant d’arrivée du quantum. Je connais alors précisément le temps qui s’est écoulé depuis l’acte Compton, et aussi par conséquent la position de m immédiatement après l’acte Compton. Plus la masse m est grande, plus cette position coïncide exactement avec celle que l’on détermine à l’instant d’arrivée du quantum en A lors de son retour.

Sans faire intervenir m dans l’expérience, il est donc possible de prédire la valeur soit de l’impulsion soit la position de m au choix, et ce, en principe, avec toute la précision que l’on souhaite.

C’est la raison pour laquelle je me sens obligé d’attribuer aux deux notions une réalité objective. Je reconnais toutefois qu’il n’y a aucune nécessité logique à cela. »

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