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Evolution des espèces et contradictions dialectiques

samedi 8 juillet 2017, par Robert Paris

« La nature est la pierre d’essai de la dialectique, et il faut dire que les sciences modernes de la nature ont fourni pour cet essai des matériaux extrêmement riches et dont la masse augmente tous les jours, et qu’elles ont ainsi prouvé qu’en dernière instance la nature procède dialectiquement et non métaphysiquement. Pourtant l’on compte jusqu’à présent les savants qui ont appris à penser dialectiquement ; et ce conflit entre les résultats acquis et la méthode de raisonnement traditionnelle explique la confusion infinie qui règne dans la théorie des sciences naturelles, et qui met au désespoir maîtres et élèves, écrivains et lecteurs. »
Engels. Anti-Dühring

Evolution des espèces et contradictions dialectiques

La vie est contradiction dialectique de la vie et de la mort, de l’évolution et du développement, de l’intérieur et de l’extérieur, de l’individu et du groupe, de l’influence de l’organisation interne morphologique et de la transformation externe liée au milieu.

L’espèce vivante, une catégorie dialectiquement contradictoire

La dialectique de la plante

Dialectique de la sexualité

Stephen Jay Gould dans « La structure de la théorie de l’évolution » :

« La disposition à penser en termes dichotomiques est peut-être la plus ancienne et la plus automatique de celles qui composent la psychologie humaine. Dans son ouvrage « Vies et opinions des philosophes illustres » (écrit vers 200 apr. J.-C.), Diogène Laërce a déclaré : « Protagoras affirmait que toute question présente toujours deux côtés : l’un étant l’exact opposé de l’autre. »

Darwin obéit à cette tradition dichotomique dans un passage auquel il voulut donner une importance toute particulière : il s’agit du paragraphe de conclusion de son chapitre crucial sur les « difficultés de la théorie ». je considère ce passage comme l’un des plus importants et des plus lourds de conséquence de toute l’ « Origine des espèces » car Darwin y stipule son choix définitif d’élaborer une théorie fonctionnaliste dans laquelle le rôle primordial est tenu par l’adaptation, tandis que celui des contraintes (thème auquel il porta aussi un vif intérêt) est considéré comme marginal, dans la mesure où elles ne seraient à prendre en compte qu’avec une fréquence relative faible et où elles n’auraient qu’une importance accessoire.

On remarque et cite rarement ce passage, que tous les évolutionnistes devraient pourtant garder à l’esprit, gravé en lettres de feu. Darwin commence son paragraphe (1859, p. 206) en décrivant une dichotomie, mettant des lettres majuscules aux deux expressions qu’il oppose (expressions provenant du grand débat de 1830 entre Geoffroy et Cuvier : « On admet généralement que la formation de tous les êtres organisés a reposé sur deux grandes lois : l’Unité de Type et les Conditions d’Existence. »

Les conditions d’existence, bien entendu, se réfèrent au mécanisme de l’adaptation (la cause dite « finale » ou « téléologique » des auteurs préévolutionnistes). Les organismes sont bien agencés rapport à leur mode de vie immédiat, et les adaptations complexes supposent qu’elles ont été façonnées par un agent particulier, qu’il s’agisse d’un créateur intelligent qui édifia les organismes par un acte de sa volonté, traduisant sa sagesse et sa bienveillance, ou qu’il s’agisse d’un facteur matériel de l’évolution qui présida à l’ajustement entre les organismes et leur milieu, en tant que conséquence fondamentale de sa mise en œuvre. (La sélection darwinienne ou la réponse lamarckienne aux besoins perçus, par exemple, édifient toutes deux les adaptations en tant que résultat le plus général de leur mode d’action fondamental.)

Darwin continue en définissant l’autre pôle de cette dichotomie classique : l’unité de type (1859, p. 206) : « On entend par unité de type cette concordance fondamentale qui caractérise la conformation de tous les êtres organisés d’une même classe et qui est tout à fait indépendante deleurs habitudes et de leur mode de vie. »

Dans un autre passage, situé lui aussi à un emplacement critique, c’est-à-dire dans l’introduction à la section sur la morphologie dans le chapitre 13, Darwin frise la poésie à propos de l’unité du type (p. 434) : « Cela constitue l’une des parties les plus intéressantes de l’histoire naturelle, dont elle peut être considérée comme l’âme. N’est-ce pas une chose des plus remarquables que la main de l’homme faite pour saisir, la griffe de la taupe destinées à fouir la terre, la jambe du cheval, la nageoire du marsouin et l’aile de la chauve-souris, soient toutes construites sur le même modèle, et renferment des os semblables, situés dans les même positions relatives. »

Ces deux principes d’organisation ont toujours été simultanément et conflictuellement invoqués dans les recherches en biologie. N’importe quelle description complète en morphologie doit nécessairement faire appel aux deux, car la plupart des organismes sont bien adaptés à leur environnement immédiat, mais sont aussi édifiés la base d’un plan d’organisation anatomique qui dépasse quelque circonstance que ce soit. Cependant, il semble bien y avoir une curieuse contradiction entre ces deux principes d’organisation : car pourquoi des structures adaptées à des fins particulières devraient-elles tirer leur conformation fondamentale d’homologies ne sous-tendant plus actuellement aucune fonction en commun (comme dans l’exemple des membres antérieurs de mammifères donné par Darwin) ?

La vision du monde organique (et des mécaniques déterminant son organisation) que soutient tel scientifique donné suppose, en pratique, qu’il ait choisi l’un ou l’autre de ces deux principes organisateurs comme base explicative de l’ensemble des phénomènes organiques (voir, par exemple, le superbe livre de Russell, publié en 1916, au sujet de cette dichotomie).

Doit-on considérer comme primordial le plan d’organisation anatomique, caractéristique des groupes taxinomiques de niveau élevé, les adaptations locales étant comparables à des séries de petites rides (le brouillant souvent) plaquées sur son idéale majesté ? Ou bien les adaptations locales sont-elles responsables de l’édification complète des organismes, du début à la fin du développement ?

Cette dichotomie avait déjà suscité un débat majeur du temps de la biologie prédarwinienne : l’intervention de Dieu dans la Nature est-elle mieux révélee par l’harmonie des structures étudiées par la taxinomie ou bien par la complexité des adaptations particulières ?

La dichotomie en question se retrouve toujours au sein d’un problème majeur posé aux évolutionnistes d’aujourd’hui : sont-ce les adaptations fonctionnelles ou bien les contraintes structurales qui définissent prioritairement les trajectoires évolutives et les directions prises par l’évolution. (…)

On se trompe souvent dans l’analyse historique en pensant que l’avènement de la théorie de l’évolution a marqué un tournant décisif, une rupture complète entre un « avant » enténébré et un « après » lumineux. En fait, de nombreuses façons de penser ont continué à l’identique après l’irruption du darwinisme, l’évolution ne faisant alors, par rapport à elles, qu’expliquer différemment des mécanismes et des phénomènes inchangés.

Le navire de la dichotomie « unité de type vs conditions d’existence » est entré dans les flots darwiniens en convertissant une controverse sur le point de savoir de quelle façon primordiale Dieu se manifestait dans la Nature en une autre, exactement de même forme, portant sur la question du facteur fondamental de l’évolution : les contraintes ou l’adaptation. (…)

Darwin écrit :

« Dans ma théorie, l’unité de type s’explique par l’unité de descendance. Les conditions d’existence, point sur lequel l’illustre Cuvier a si souvent insisté, font partie du principe de la sélection naturelle. Celle-ci, en effet, agit, soit en adaptant actuellement les parties variables de chaque être à ses conditions organiques ou inorganiques ; soit en les ayant adaptées à ces conditions pendant de longues périodes dans le passé : ces adaptations ont été, dans certains cas, aidées par les effets de l’usage ou du défaut d’usage des parties, ou légèrement promues par l’action directe des conditions du milieu, et dans tous les cas ont été subordonnées aux diverses lois de la croissance. Par conséquent, la loi des conditions d’existence est la loi supérieure, puisqu’elle comprend, par l’hérédité des adaptations antérieures, celle de l’unité de type. » (1859, p. 2006)

La brillante prise de position de Darwin a bien mis en évidence la supériorité révolutionnaire des explications évolutionnistes par rapport aux modèles créationnistes antérieurs. Ces derniers envisageaient, certes, l’unité de type et les conditions d’existence (c’est-à-dire, d’un côté, les homologies et, de l’autre, les adaptations) comme des pôles opposés au sein de la dichotomie des facteurs édificateurs des êtres vivants, mais c’était aussi des pôles oeuvrant dans le même temps. Darwin a littéralement ajouté une nouvelle dimension à cette dichotomie : celle de l’histoire. (Et aucun apport intellectuel ne peut être plus profond que l’introduction d’une nouvelle dimension, orthogonale aux modes d’explication antérieurs.)

Ainsi, dans le passage cité ci-dessus, Darwin avance une thèse incroyablement simple pour sortir de l’impasse représentée par l’opposition entre unité de type et conditions d’existence. (Cependant, pour être capable de voir les choses de cette façon simple et lumineuse, il fallait d’abord bien saisir les conceptions révolutionnaires liées à la notion d’évolution, ce qui fut le changement de vision du monde réellement difficile pour s’émanciper de celle de Paley !)

Bien entendu, les traits relevant des homologies (autrement dit, de l’unité de type) ne remplissent pas de fonctions actuelles, et semblent même entraver celes-ci. L’unité de type représente-t-elle donc nécessairement un principe d’ordre contraire, sur le mode dichotomique, à l’adaptation ? Dans une vision du monde qui ne prend pas en compte l’histoire, et où tous les traits des organismes se présentent de la façon dont ils ont été initialement créés, la réponse est obligatoirement « oui ». Mais l’addition de l’histoire, par le biais d’une conception généalogique des rapports entre les organismes permet une autre interprétation (et même la privilégie).

Supposez que l’unité de type n’incarne pas un plan d’organisation mystérieux issu d’une création spéciale, mais représente seulement la morphologie réelle, conservée par l’hérédité, qu’avait l’ancêtre commun fondateur d’un buisssonnement phylogénétique donné ? Alors les homologies peuvent être expliquées de façon simple, comme des traits retenus passivement dans la lignée généalogique diversifiée des descendants : elles ne correspondent pas à un archétype agencé par un dessein intelligent, mais représentent seulement la marque de l’histoire. (…)

Darwin effectue alors son choix fondamental, affirmant sa fidélité à la tradition anglaise de la vision adaptationniste. Il soutient que les structures ancestrales, formant les grandes homologies recouvertes par la notion d’unité de type, sont l’origine apparues sous l’action de la sélection naturelle en tant qu’adaptations aux « conditions organiques et inorganiques de l’existence » dans les milieux ancestraux.

Ainsi, les deux pôles de la dichotomie, l’unité de type et les conditions d’existence, reçoivent une seule et même explication sous les auspices de la sélection naturelle ; ils correspondent soit à des adaptations immédiates à des environnements actuels (cas des « conditions d’existence »), soit à des adaptations à d’anciens environnements, transmises par la voie de l’hérédité à la lignée diversifiée des descendants (cas de l’ « unité de type »).

La vieille dichotomie, en fait, ne représente absolument pas un conflit entre des termes opposés, mais traduit seulement l’expression à des moments différents d’un unique mécanisme qui domine l’évolution : l’adaptation par la sélection naturelle. (…)

Darwin a écrit son paragraphe crucial de conclusion du chapitre 6 afin de soutenir que l’unité de type devait être ramenée aux conditions d’existence, car l’unité de type, a-t-il affirmé, ne faisait que traduire des épisodes passés de sélection naturelle ordinaire, ayant donné des adaptations originelles, transmises ensuite par la voie de l’hérédité aux nombreux descendants actuels. L’unité de type avait toujours été regardée comme le domaine d’étude privilégié par les naturalistes qui considéraient l’adaptation comme un phénomène secondaire et voyaient comme primaire quelque principe morphologique (de nombreuses versions étant envisagées).

Darwin a coupé court à la nécessité d’invoquer une notion distincte d’unité de type en remarquant que les adaptations anciennes pouvaient être à l’origine d’homologies profondes, dès lors qu’elles avaient été transmises tout au long d’une lignée. Cependant, il ne pouvait nier (et n’avait pas l’intention de renverser) la thèse selon laquelle des principes d’organisation morphologiques oeuvrant indépendamment de la sélection naturelle pouvaient déterminer des exceptions à l’adaptation. C’est pourquoi Darwin prenait en compte la notion de contraintes, mais seulement si elle pouvait être soigneusement circonscrite au sein d’une catégorie venant nettement en second par rapport à la sélection naturelle en terme de fréquence relative et d’importance biologique. »

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