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Pourquoi notre point de vue n’est pas sociologique

samedi 15 juillet 2017, par Robert Paris

Pourquoi notre point de vue n’est pas sociologique

Bien des auteurs ont pu trouver dans l’œuvre de Karl Marx une sociologie. Ils n’ont pas tout à fait tort, mais à la manière dont certains y ont trouvé un humanisme, d’autres un économisme, et les derniers une philosophie. D’autres auteurs, on décelé des tendances marxistes chez les sociologues, ce qui existe aussi. Certains ont annexé la sociologie au marxisme et d’autres le marxisme à la sociologie. D’autres enfin ont affirmé que l’un donnait tort à l’autre : soit Marx avait raison, soit la sociologie. En réalité, nous ne sommes d’accord ni avec les uns ni avec les autres. Le marxisme et la sociologie ne peuvent pas se donner mutuellement tort, pour la simple et bonne raison qu’ils ne répondent pas aux mêmes questions, ne cherchent pas le même type de réponses, ne se donnent pas du tout le même rôle, même si tous deux se veulent des sciences de la société et que tous deux se sont tout particulièrement attelés à étudier la société capitaliste et ses groupes ou classes sociales.

Il convient de distinguer le point de vue de Marx sur les classes sociales de celui des groupes sociaux étudiés par la sociologie. Cette dernière se fonde essentiellement sur les secteurs d’activité d’une part, sur les revenus d’autre part. Elle va ainsi découper au sein des classes sociales, opposant les ouvriers et les employés, le secteur productif et le secteur commercial, les plus payés, les plus élevés dans la hiérarchie et les autres, opposant éventuellement les précaires des salariés en fixe, ou encore les jeunes et les vieux, etc.

Ce que Marx appelle « la classe ouvrière » n’est en rien semblable à ce que la sociologie appelle avec sa catégorie « ouvriers ». La sociologie découpe la société en groupes sociaux alors que Marx analyse les rapports des classes et, en fonction de ces rapports sociaux, analyse l’évolution de la société dans son ensemble. La notion de classe sociale pour Marx est déterminée par la position de celle-ci vis-à-vis d’un niveau historiquement déterminé du mode de production et du mode d’appropriation des richesses. Cela ne signifie pas que Marx décrive une classe ouvrière ancienne ni la sociologie une classe ouvrière plus moderne. Ni que les descriptions de la sociologie soient fausses en soi. Elles ne prétendent tout simplement pas décrire la même chose.

La sociologie cherche les équilibres, l’ordre, le mode de reproduction de l’édifice social, la stabilité des relations sociales. Marx étudie les contradictions fondamentales, les modes de passage d’un ordre à un autre, les racines profondes des révolutions sociales et politiques qui détruisent l’ordre ancien. La sociologie étudie très peu les crises économiques et moins encore les révolutions. Il serait très difficile de trouver un changement sociologique qui expliquerait fondamentalement les révolutions sociales, les changements sociologiques n’étant généralement pas eux-mêmes brutaux.

La conception de Marx est celle d’une dynamique des sociétés humaines, dont le moteur du changement est une nécessité historique basée sur des contradictions dialectiques fondamentales : contradiction entre une activité organisée collectivement et une appropriation privée, entre le règne de la propriété privée des moyens de production et l’absence de toute propriété privée des moyens de production pour le plus grand nombre, entre une production se produisant de manière concurrentielle et donc aveugle et la nécessité d’une adéquation des produits et des biens consommés, entre la recherche de la plus-value extraite du travail humain, source d’une nouvelle accumulation du capital, et la tendance inéluctable du capital à rechercher à baisser la quantité de travail humain nécessaire par rapport à un capital investi donné, etc.

On l’a dit, la sociologie a une démarche de décomposition de la société en sous-groupes. Le marxisme, au contraire, étudie la société humaine comme un tout historique. La sociologie étudie un moment donné de manière séparé, qu’il compare, éventuellement, à un autre moment, lui-même ponctuel. Le marxisme, à l’inverse, ne cherche que des transformations historiques et non l’examen d’instants figés. Le marxisme étudie les systèmes sociaux dans leur naissance et leur mort. La sociologie examine un moment de leur fonctionnement sans crise.

La sociologie se fonde sur un principe de neutralité. Marx a un point de vue ouvertement engagé. En réalité, la sociologie, quels que soient les buts individuels de ses auteurs, est une activité engagée aux côtés de la société existante, l’ordre capitaliste, dont il ne discute jamais la légitimité ni la durabilité. Marx, lui, est engagé aux côtés des prolétaires révolutionnaires et porteurs de potentialités communistes, c’est-à-dire d’un nouveau mode de production succédant au capitalisme. Le prolétariat, pour Marx, se définit comme une nouvelle classe capable de devenir classe dominante à la suite de la classe capitaliste. Pour le sociologue, une telle définition, au mieux, n’a aucun sens, au pire est une simple religion, une croyance. Il ne s’agit pas ici de donner raison à quelqu’un ni tort à quelqu’un d’autre, ce serait ridicule. Reprocherait-on aux pompes funèbres de voir dans les humains des gens à enterrer ? Chacun son rôle et chacun sa pensée en fonction du rôle qu’il s’est donné. L’efficacité, du coup, ne peut pas être un critère commun.

Marx voit dans un antagonisme la locomotive fondamentale du changement de société, le mode de passage brutal et révolutionnaire d’une société à une autre : c’est l’opposition dialectique entre mode de production et rapports de production.

La sociologie recherche dans les relations sociales une harmonie garantissant la pérennité du fonctionnement. Comment pourrait-on concilier les deux ou même les comparer ?

Marx étudie la croissance des forces productives humaines non comme un produit d’une plus grande efficacité sociale ou économique mais comme le produit des révolutions sociales et aussi comme le moteur de nouvelles révolutions sociales. La nécessité de cette croissance amenant la société humaine à casser l’ancienne société, devenue un carcan trop étroit.

Le point de vue de la sociologie est presque inverse et cherche comme ne pas casser le cadre !

La sociologie voit que la société est humaine et s’oppose ainsi à l’économisme. Marx aussi s’oppose à l’économisme mais pas de la même manière : il voit des classes sociales en lutte, en même temps économique, sociale et politique, les trois étant inséparables. La sociologie s’oppose à l’économisme parce qu’elle voit des individus. Le marxisme s’oppose à l’économisme parce qu’il voit, dans le développement historique, des luttes de classes à l’oeuvre.

Pour la sociologie, les ruptures sont des échecs alors que, pour Marx, le capitalisme est à étudier parce que cette étude permet d’y trouver les racines de sa mort, les fondements de la révolution qui renversera le système d’exploitation ;

La sociologie n’étudie pas la capacité des groupes ou classes sociales en fonction de leur capacité à changer de société, à renverser le système, à bâtir une société sur des bases toutes nouvelles. Pour elle, cette question-là ne se pose même pas.

Se fondant sur la capacité indiscutée de l’ordre établi de se maintenir, elle étudie seulement les facteurs d’ordre, de stabilité, d’équilibre, d’harmonie des relations sociales.

Elle néglige pourtant un important facteur d’équilibre économique, social et politique : le rôle de l’Etat au service de la classe possédante, alors que, pour Marx, ceci est un point essentiel à comprendre puisque l’Etat est le contraire dialectique de la révolution sociale.

Tout au plus, le sociologue voit dans l’évolution de l’Etat une expression de l’opinion publique, de l’évolution sociologique des citoyens, comme si l’Etat était autre chose que l’expression des besoins d’ordre de la classe possédante, c’est-à-dire une infime minorité de la population, dont les intérêts sont diamétralement opposés à ceux de l’immense majorité.

Cette idée d’intérêts des exploiteurs opposés diamétralement à ceux des exploités ne figure pas dans les bases essentielles de la sociologie, qui admet des oppositions syndicales, des oppositions revendicatives, des réclamations mais pas de combats de classes au sens où deux classes représenteraient deux avenirs possibles de la société, comme au temps de l’Ancien Régime le tiers état et la noblesse.

Pour la sociologie, l’existence de groupes plus exploités est concevable mais pas celle d’une nouvelle classe sociale devant expulser la calsse capitaliste, pas plus que d’un nouvel ordre social supprimant la propriété privée des moyens de production et, encore moins, d’un caractère historiquement nécessaire d’une telle transformation révolutionnaire.

Dès les premières phrases du Manifeste communiste de Marx, on voit toute l’opposition de point de vue entre Marx et la sociologie. Même si Marx sait parfaitement que plus de 99% du temps de l’Histoire est celui d’ententes provisoires entre exploiteurs et exploités, cela ne l’empêche pas de dire que toute l’Histoire a été celle de la lutte des classes, tantôt larvée, tantôt violente, les équilibres n’étant que ceux de forces sociales opposées et momentanément à l’équilibre. Marx reconnaît que l’hypocrisie sociale ne cesse de cacher l’opposition des classes derrière de prétendus critères communs, moraux, nationaux, humains, religieux, psychologiques, citoyens, démocratiques, mais l’évolution historique ne peut que, périodiquement, ramener des situations de crise qui dévoilent tous ces mensonges, en cassant l’obéissance des opprimés.

Pourquoi, d’un seul coup, une classe sociale opprimée n’accepte plus son oppression, pourquoi d’un seul coup, les exploités qui ne se gouvernent jamais eux-mêmes et ne s’en croient pas capables, se mettent-ils à s’organiser en masse, à décider par eux-mêmes et à prendre le pouvoir, la réponse ne peut provenir de la sociologie, non pas du fait d’une erreur de celle-ci, mais tout simplement parce qu’elle ne vise nullement à répondre à cette question, les révolutions prolétariennes n’étant absolument dans son domaine d’étude !!!

La sociologie peut, à la rigueur, prétendre donner une explication ou une interprétation de la passivité politique plus ou moins grande des salariés, mais certainement pas du moment où les grandes masses prolétariennes passent de la passivité à une extraordinaire activité et créativité en masse !!! Et c’est bien là que git le problème : pour nous révolutionnaires, c’est à partir de là que les questions de fond commencent à se poser, c’est pour cela que les révolutionnaires font de la politique, c’est dans ce but qu’ils analysent le système capitaliste, c’est pour cela qu’ils ne voient pas sa crise comme une catastrophe, c’est en cela qu’ils se rapprochent du point de vue de Marx, un point de vue révolutionnaire et non sociologique.

Certains militants révolutionnaires s’en tiennent pourtant à des analyses de type sociologique. Ils voient dans la situation actuelle du prolétariat, très éloignée d’une conscience révolutionnaire de classe, le sous-produit de nouvelles relations, de nouveaux modes d’organisation dans le travail. Si cela était le cas, le changement à opérer dépasserait, et de loin, les capacités des minorités révolutionnaires d’agir au sein de la classe prolétarienne. Nous ne pouvons pas, en dehors de l’action révolutionnaire, agir pour éduquer de larges masses. C’est seulement au cours des mois et des années de mobilisation révolutionnaire que les minorités révolutionnaires peuvent influencer de larges masses et sans de telles mobilisations qui découlent de situations historiques dans lesquelles les classes possédantes ont perdu l’initiative et la confiance de la population et même de la leur propre, il est impossible aux révolutionnaires de modifier l’appréciation de ces larges masses vis-à-vis du mode de fonctionnement de la société. La sociologie, de la part de militants révolutionnaires, est donc une forme d’utopisme, au mieux un utopisme communiste, au pire une forme de réformisme qui trouve des activités de transformation, d’action pédagogique, devant précéder la propagande révolutionnaire. En réalité, l’activité des révolutionnaires doit être la participation aux luttes de classes actuelles, en maintenant des perspectives de classe prolétarienne, c’est-à-dire des perspectives de renversement des rapports sociaux et politiques consacrant la domination des propriétaires de capitaux.

Remarquons pour finir que la sociologie ne nous fournit, pas plus que l’économie, une statistique qui permet d’étayer l’analyse marxiste, la catégorie « possesseurs de capitaux » n’existant pas en sociologie, pas plus que celle de « prolétaires », et pas plus que celle d’exploitation de la force de travail en économie, et donc n’y ayant pas sa statistique !

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