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Le théâtre révolutionnaire d’Euripide

vendredi 18 août 2017, par Robert Paris

Le théâtre d’Euripide de Salamine, ou la parole aux opprimés, victimes du bellicisme, de la glorification de massacres, de l’esclavagisme, de la misogynie et de la xénophobie dominants d’Athènes

Euripide est celui des trois grands dramaturges d’Athènes (avec Eschyle et Sophocle) qui a le mieux tenu l’érosion du temps et pourtant c’est le seul radical et même révolutionnaire, c’est le seul à avoir ouvertement pris le parti des opprimés ! Dans la Grèce de l’époque, il fallait un certain courage pour oser présenter un tel théâtre : défendant les femmes devant des hommes qui les méprisaient, défendant les esclaves, dénonçant les impérialismes guerriers, cassant les mythes de Homère sur la guerre de Troie, présentant les armées grecques à Troie comme une troupe d’assassins, de violeurs et d’enleveurs de femmes et d’enfants, défendant les peuples opprimés et dénonçant les guerres, se démarquant aussi à l’occasion des religions et autres mysticismes. Oui, il y a eu un dramaturge pour oser tout cela justement devant les yeux d’un public de la classe dominante grecque et pour réussir cependant à toucher suffisamment le public pour recueillir un certain succès, tout en recueillant aussi des haines féroces bien entendu.

Contemporain de Socrate, il est aussi son ami. Selon le poète comique Téléclidès, le philosophe Socrate fut le coauteur des pièces d’Euripide.

Parmi ses mérites, rappelons que Euripide, seul, a osé dire publiquement à Athènes que ses mythes étaient mensongers et que son époque soi-disant héroïque n’était que boue et sang, notamment dans la guerre contre les Troyens. Loin de vouloir libérer des femmes grecques enlevées par les Troyens, il montrait dans sa pièce que la guerre visait notamment à transformer en esclaves les femmes troyennes et leurs enfants.

De la ville de Troie, « conquise », il disait :

« Le Scamandre retentit des lamentai ions des captives à qui le sort vient d’assigner un maître. Les unes sont échues aux Arcadiens, les autres aux Thessaliens, d’autres aux fils de Thésée (06) rois d’Athènes. Celles des Troyennes qui n’ont pas été tirées au sort sont dans cette tente, réservées aux chefs de l’armée ; la fille de Tyndare, Hélène, est avec elles, et c’est avec justice qu’on la compte parmi les captives. Là, s’offre à tous les regards l’infortunée Hécube ; prosternée à l’entrée de la tente, elle verse des larmes abondantes sur la perte de tout ce qui lui fut cher. Sa fille Polyxène vient d’ être immolée sur le tombeau d’Achille, à l’insu de sa mère ; Priam n’est plus, ses enfants ne sont plus ; et celle dont Apollon respecta la virginité, Cassandre, qu’inspire l’esprit prophétique, Agamemnon, au mépris du dieu et par une violence impie, la contraint de s’unira lui par une alliance clandestine. Adieu, ville jadis florissante ; adieu, superbes remparts ; si Minerve, fille de Jupiter, n’eût voulu votre ruine, vous seriez encore debout. » (Les Troyennes)

La thèse héroïque d’Homère est ainsi transformée par Euripide :

« Un général prétendu sage sacrifie à ses ennemis ce qu’il a de plus cher, les jouissances de la tendresse, ses enfants, qu’il livre à son frère pour une infidèle qui n’a point été ravie par force, mais s’est donnée elle-même à son amant. » (Les Troyennes)

Euripide rapporte par le menu comment chaque Troyenne devient l’esclave sexuelle d’un des chefs de l’armée grecque qui ont tué, pillé, détruit et assassiné les Troyens.

« Chefs des cohortes, rassemblés pour embraser la ville de Priam, ne conservez plus dans vos mains la flamme inactive, lancez, les torches ardentes, afin qu’après avoir renversé Ilion de fond en comble, nous retournions pleins de joie dans notre patrie. Et vous, filles des Troyens, pour dire la même chose d’une double manière, dès que les chefs de l’armée feront entendre le son éclatant de la trompette, rendez- vous aux vaisseaux qui doivent vous transporter en Grèce. »

Euripide donne la parole aux victimes troyennes :

« Il ne faut pas que les souverains donnent des ordres injustes ; qu’ils ne pensent pas que leur prospérité soit inaltérable. Moi-même j’étais autrefois ; à présent je ne suis plus. Tout mon bonheur, un jour me l’a ravi. O toi que je supplie, respecte ma vieillesse, aie pitié de moi : retourne vers l’armée des Grecs, représente-leur combien il est odieux d’égorger des femmes que vous avez épargnées d’abord, en les arrachant au pied des autels, et dont vous avez eu pitié. Chez vous, la loi qui punit le meurtre est égale pour l’homme libre et pour l’esclave. »
(Hécube)

« Un général prétendu sage sacrifie à ses ennemis ce qu’il a de plus cher, les jouissances de la tendresse, ses enfants, qu’il livre à son frère pour une infidèle qui n’a point été ravie par force, mais s’est donnée elle-même à son amant. Arrivés aux bords du Scamandre, ils y trouvent la mort sans avoir perdu leur terre natale, sans être bannis des murs de leur patrie. Ceux que Mars a moissonnés n’ont pas revu leurs enfants ; les mains de leurs épouses ne les ont pas enveloppés des voiles funèbres, et ils sont restés couchés sur la terre étrangère. Mêmes désastres dans leurs foyers domestiques : les femmes y mouraient veuves des pères privés de leurs enfants, qu’ils ont élevés pour autrui. Il n’est personne qui fasse couler sur leur tombeau le sang des victimes. Certes voilà une expédition bien glorieuse ! Que ma muse reste sans voix, plutôt que de célébrer des crimes. Les Troyens, au contraire, sont morts pour leur patrie (ce qui est la plus belle des gloires) ; ceux que le fer a fait périr ont été rapportés dans leurs maisons par leurs amis, ils ont reçu la sépulture sur la terre de leurs pères, des mains de ceux à qui appartenait ce saint devoir. Ceux des Phrygiens qui ne sont pas morts dans les combats ont passé leurs jours au milieu de leurs enfants et de leurs épouses, bonheur refusé aux Grecs. Quant au destin d’Hector, si cruel à tes yeux, écoute ce qu’il en est : il est mort en laissant le renom d’un héros, et c’est à la venue des Grecs qu’il en doit l’honneur. S’ils n’eussent assiégé Troie, sa valeur fût restée inconnue. Pâris a épousé la fille de Jupiter, et sans cet hymen il eût trouvé quelque alliance obscure dans sa patrie. Fuir la guerre est un devoir pour le sage ; mais, lorsqu’il faut la faire, la plus glorieuse couronne pour un État est de mourir avec courage ; mourir lâchement est une honte. Cesse donc, ô ma mère, de déplorer le sort de ta patrie et l’hymen de ta fille ; car cet hymen nous vengera de ceux que nous détestons. »

Euripide rapporte mille exemples des crimes des prétendus dieux révérés :

« Apollon ? Abandonner une fille innocente après l’avoir séduite, et laisser mourir l’enfant dont il est le père ! ah ! cette conduite est indigne de toi ; et puisque tu règnes sur les mortels, sois fidèle à la vertu. Les dieux punissent parmi les hommes ceux dont le cœur est pervers : est-il donc juste que, vous qui avez écrit les lois qui nous gouvernent, vous soyez vous-mêmes les violateurs des lois ? S’il arrivait (chose impossible, je le sais, mais je le suppose), s’il arrivait qu’un jour les hommes vous fissent porter la peine de vos violences et de vos criminelles amours, bientôt toi, Apollon, et Neptune, et Jupiter, roi du ciel, vous seriez contraints de dépouiller vos temples pour payer le prix de vos fautes. En vous livrant à vos passions au mépris de la sagesse, vous êtes coupables. Il n’est plus juste d’accuser les hommes, s’ils imitent les vices des dieux, qui leur donnent de si funestes exemples. » (Ion)

Le théâtre d’Euripide donne systématiquement la parole aux femmes, rapporte leur grande humanité, leur courage, leur dévouement, montre qu’elles ont un plus grand sens des responsabilités que les hommes, en particulier que les guerriers et les chefs.

La Grèce antique de cette époque est celle d’une domination oppressive, militaire et politique, d’Athènes, d’une domination oppressive des hommes sur les femmes, particulièrement méprisées, d’une glorification de la guerre qui donnait sa supériorité à Athènes, d’un mépris pour les peuples écrasés et trainés en esclavage et aussi d’un mépris des riches oisifs pour tous les travailleurs, artisans comme ouvriers ou domestiques. Tout cela est dénoncé par Euripide. Ce dernier est parfaitement en accord sur tous ces points avec son ami Socrate et il défend ainsi publiquement toutes les thèses socratiques sauf une : Socrate n’était pas pour rendre publiques de cette manière ses idées. Il a cependant accepté de discuter et de relire les pièces qu’Euripide rédigeait et des témoins affirment qu’il les a largement influencées.

Euripide montrait toujours ses textes de théâtre à Socrate. Et cela parce qu’ils étaient entièrement d’accord sur les buts politiques et sociaux, même si Socrate ne pensait pas, contrairement à Euripide, que l’on pouvait transformer la société par le seul théâtre.... Socrate aurait souhaité que le peuple se gouverne directement…

Socrate a payé de sa vie son engagement contre les fondements de la domination de la classe dirigeante athénienne. Euripide, lui, a été contraint de quitter Athènes quand sa vie y a été menacée, dénoncé violemment et publiquement pour son engagement, y compris par d’autres auteurs comme Aristophane, l’adversaire déclaré de Socrate. Aristophane accuse Euripide et Socrate d’être des sophistes, coupables par leur discours démoralisateur, d’être les fauteurs du déclin d’Athènes. Il les accuse aussi d’affirmer que les dieux n’existent pas.

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Rappelez-vous que nombre des pièces d’Euripide présentaient, a contrario de la thèse d’Athènes, les prétendus héros grecs comme des bourreaux de victimes troyennes... Et il ne se gênait pas pour dire que les chefs d’armée de cette guerre, tant glorifiée par Homère, ne s’étaient pas salis pendant que les simples soldats issus du peuple y étaient morts... Euripide traitait Apollon, un des principaux dieux d’Athènes, de "méchant homme", ne se gênait pas pour bafouer Aphrodite et Artémis. Et Euripide reflétait ainsi le point de vue de Socrate, puisqu’ils discutaient ensemble, dans les détails, chaque pièce de théâtre, avant qu’elle ne soit représentée. Le théâtre d’Euripide était si révolutionnaire que son auteur a dû quitter la ville où sa vie était en péril pour avoir pourfendu au travers d’un grand nombre de pièces tous les mythes athéniens de la gloire et de la guerre.

Quelques citations significatives du théâtre d’Euripide :

« Voilà qui est d’un serf, de taire sa pensée. »

dans Les Phéniciennes

« De tout ce qui respire et qui a conscience

il n’est rien qui soit plus à plaindre que nous, les femmes.

D’abord nous devons faire enchère

et nous acheter un mari, qui sera maître de notre corps,

malheur plus onéreux que le prix qui le paie.

Car notre plus grand risque est là : l’acquis est-il bon ou mauvais ?

Se séparer de son mari, c’est se déshonorer,

et le refuser est interdit aux femmes.

Entrant dans un monde inconnu, dans de nouvelles lois,

dont la maison natale n’a rien pu lui apprendre,

une fille doit deviner l’art d’en user avec son compagnon de lit.

Si elle y parvient à grand’peine,

s’il accepte la vie commune en portant de bon cœur le joug avec elle,

elle vivra digne d’envie. Sinon, la mort est préférable.

Car un homme, quand son foyer lui donne la nausée,

n’a qu’à s’en aller, pour dissiper son ennui,

vers un ami ou quelqu’un de son âge.

Nous ne pouvons tourner les yeux que vers un être unique.

Et puis l’on dit que nous menons dans nos maisons

une vie sans danger, tandis qu’eux vont se battre !

Mauvaise raison : j’aimerais mieux monter trois fois en ligne

que mettre au monde un seul enfant ! »

dans Les Phéniciennes

« Ne parle pas d’argent : je n’adore pas un dieu qui se donne si vite au dernier des drôles. »

« Il y a des gens qui semblent pleins de sens et qui brillent, mais au dedans ils sont pareils à tous les autres, sinon par les richesses où est leur force unique. »

dans Andromaque

« Que trouvera bien un poète à graver sur ta tombe ? Ici gît un enfant que les Grecs ont tué tant ils en avaient peur. »

dans Les Troyennes

« Nous nous sommes follement épris de cette vie, qui brille sur la terre, parce que nous n’en connaissons pas d’autre, que nous ne savons pas ce qui se passe aux enfers, et que nous sommes abusés par des fables. »

dans Hippolyte

« Montrons-nous follement amoureux de tout ce qu’on voit briller sur cette terre parce qu’une autre vie est de nous inconnue. »

Hippolyte

« Je hais le sage qui n’est pas sage pour lui-même. »

Fragments

« Zeus ? Qui est Zeus ? Je n’en sais rien que par ouï-dire. »

dans Mélanippe enchaînée

« Insensés, vous tous qui cherchez la gloire des combats et croyez par les lances guerrières faire cesser les douleurs des mortels ! »

dans Hélène

« Toi, qui sous la chevelure des arbres qui t’abritent, trouves des portiques et des sièges, toi, poète mélodieux, rossignol, oiseau de larmes, je t’appelle ! »

dans Hélène

« Si les dieux commettent un acte non respectable, ce ne sont pas des dieux. »

dans Bellérophon

« Bâtard est souvent meilleur fils que l’enfant légitime. »

dans Andromaque

« ... de toute chose on peut faire naître une controverse, si on est habile à parler. »

Fragments

« ... les hommages rendus aux morts sont la parure des vivants. »

dans Les Suppliantes

« Terribles sont les passions des rois ; obéissant peu, commandant toujours, il leur est difficile de déposer leurs colères. »

dans Médée

« Il n’y a qu’une chose dont doive rougir un esclave, son nom ; mais pour le reste, l’esclave ne vaut jamais moins que les hommes libres, s’il a le coeur généreux. »

dans Ion

« ... la supériorité est toujours odieuse. »

dans Ion

« Celui qui préfère la richesse ou la puissance à des amis sûrs n’a pas son bon sens. »

dans Héraclès Furieux

« L’or et les faveurs du sort égarent la raison des mortels et entraînent la puissance à l’injustice »

dans Héraclès Furieux

« ... c’est un sort plus triste que celui d’un vrai coupable, d’être accusé d’un crime que l’on n’a pas commis. »

dans Hélène

« Il vaut mieux ne pas remporter une victoire déshonorante que d’employer la haine et la force à faire chanceler la justice. »

dans Andromaque

« Parmi les mortels il n’en est pas qui soit un homme libre ; l’un est l’esclave des richesses, l’autre, le jouet de la destinée ; cet autre, c’est la voix populaire, ce sont les textes de lois qui lui interdisent d’adopter la conduite qu’approuve sa raison. »

dans Hécube

« Le peuple au plus ardent de sa colère est pareil à un feu trop vif pour être éteint. »
dans Oreste

« D’ailleurs, comment la masse, incapable elle-même d’un raisonnement droit, pourrait-elle conduire la cité dans le droit chemin ? »

dans Suppliantes

« La foule est chose redoutable, lorsque ses chefs sont pervers. Mais lorsqu’elle en trouve de bons, ses décisions sont toujours bonnes. »

dans « Oreste »

Ses pièces et celles d’Eschyle et de Sophocle témoignent d’une différence de pensée. Ce palier entre générations est probablement dû au développement de la sophistique à partir du milieu du Ve siècle av. J.-C. : Eschyle continuait de se référer à la Grèce archaïque, Sophocle était en transition entre deux périodes et Euripide était entièrement inspiré par le nouveau courant de la Époque classique. Si on observe les pièces d’Euripide dans l’ordre chronologique, elles révèlent également une possible évolution de pensée, ce qui fournit une sorte de « biographie spirituelle », que résument les étapes suivantes :

• Une première période de grandes tragédies (Médée, Hippolyte).

• Une période patriotique sur fond de guerre du Péloponnèse (Les Héraclides, Les Suppliantes).

• Une période médiane de désillusion sur l’absurdité de la guerre (Hécube, Les Troyennes).

• Une période d’évasion qui se concentre sur l’intrigue romantique (Ion, Iphigénie en Tauride, Hélène).

• Une période finale de désespoir tragique (Oreste, Les Phéniciennes, Les Bacchantes).

Cependant, plus des trois quarts de ses pièces ont été perdues et même les pièces les plus complètes qui nous sont parvenues ne permettent pas de dresser un tableau exhaustif de son évolution : ainsi, si Iphigénie en Tauride date de la même période que Les Bacchantes, pièce pleine de désespoir, elle contient des éléments qui devinrent typiques du renouvellement de la comédie. Dans Les Bacchantes, il restaure le rôle traditionnel du chœur et du discours dans l’intrigue tragique, et la pièce semble être le point culminant d’une tentative de régression et d’archaïsation qui transparaît dans ses dernières œuvres. Supposée avoir été composées sur les terres sauvages de Macédoine, Les Bacchantes dramatisent un aspect primitif de la religion grecque, et certains critiques modernes ont pour cela interprété cette pièce d’une manière particulière dans la biographie. Elle est vue comme une sorte de conversation sur son lit de mort autour d’une conversion ou d’une renonciation à l’athéisme, une tentative du dramaturge de se défaire de l’accusation d’impiété qui condamnera plus tard son ami Socrate, ou le signe d’une nouvelle croyance selon laquelle la religion peut être analysée rationnellement

Euripide était également connu parmi les écrivains de l’Athènes classique pour sa sympathie sans égale envers toutes les victimes de la société, femmes incluses. Son public masculin conservateur fut fréquemment choqué par les « hérésies » qu’il plaçait dans la bouche de ses personnages, comme ces mots de l’héroïne Médée : « Je préférerais lutter trois fois sous un bouclier que d’accoucher une seule fois ».

Les protagonistes d’Eschyle et de Sophocle faisaient parfois la distinction entre les esclaves serviles par nature et ceux qui le deviennent simplement par les circonstances, mais Euripide va plus loin : il affirme que la vraie marque de la valeur d’un invididu, c’est son esprit plutôt que sa condition physique ou sociale. Ainsi, dans Hippolyte, une reine malade d’amour se raisonne quant à sa position, et ses paroles sont un commentaire sur le mérite intrinsèque en même temps qu’une réflexion sur l’adultère : « Ce fléau a d’abord commencé dans les familles aristocratiques, et quand des choses honteuses semblent approuvées par les élites, alors le petit peuple à son tour commence à son tour à les considérer comme acceptables... » (« It was from noble families that this evil first started, and when shameful things seem to be approved by the fashionable, then the common people will surely think them correct... This only, they say, stands the stress of life : a good and just spirit in a man »).

« Il était un problème pour ses contemporains, et il continue d’en être un ; à travers les siècles, depuis que ses pièces furent représentées pour la première fois, il fut hué ou accusé pour des raisons qui rendent parfois perplexe. Il a été décrit comme étant le « poète des Lumières de la Grèce ». », comme « Euripide l’irrationnel », mais aussi comme un sceptique religieux quand il n’était pas athée. D’un autre côté, on le décrit aussi comme croyant en la divine providence et en la justice divine. Il a été considéré comme un profond explorateur de la psychologie humaine et également comme un poète rhétorique qui subordonnait la consistance de ses personnages à la richesse verbale de ses pièces, comme un misogyne en même temps que comme un féministe, comme un réaliste qui ramène l’action tragique au niveau du quotidien et comme un poète romantique qui choisit des mythes inhabituels et des lieux exotiques. Il a écrit des pièces qui ont été largement considérées comme des pièces patriotiques supportant la guerre d’Athènes contre Spartes, et d’autres que de nombreuses personnes ont considérées comme étant des manifestes par excellence contre la guerre, et même des attaques contre l’impérialisme athénien. Il a été reconnu comme le précurseur de la Nouvelle Comédie mais également, ainsi qu’Aristote l’appelle, comme « le plus tragique des poètes » (Poétique 1453a30). Et aucune de ces descriptions n’est entièrement fausse.

Moins d’un siècle plus tard, Aristote développe une théorie quasi « biologique » du développement de la tragédie à Athènes : selon lui, la forme artistique a grandi sous l’influence d’Eschyle, a mûri dans les mains de Sophocle, et là a commencé son déclin, qu’Euripide précipita.

Pourtant, « ses pièces continuèrent d’être applaudies bien après que celle d’Eschyle et de Sophocle eurent perdu leur actualité et leur pertinence. »

Il fut aussi « le plus tragique des poètes ». Cette appellation est due à Aristote, qui faisait probablement référence au goût d’Euripide pour les fins malheureuses, mais elle a une portée plus large : « Car dans sa représentation de la souffrance humaine, Euripide touche aux limites de ce qu’un public peut supporter ; certaines de ces scènes sont presque insupportables »

Les Athéniens lui dressent en 330 une statue de bronze dans le théâtre de Dionysos.

Tragédies

• Alceste (Ἄλκηστις / Álkêstis) en -438 ;

• Médée (Μήδεια / Mếdeia) en -431 ;

• Les Héraclides (Ἡρακλεῖδαι / Hêrakleĩdai) en -430 ;

• Hippolyte porte-couronne (Ἱππόλυτος στεφανοφόρος / Hippólytos stephanophóros) en -428 ;

• Andromaque (Ἀνδρομάχη / Andromákhê) en -426 ;

• Hécube (Ἑκάϐη / Hekábê) en -424 ;

• La Folie d’Héraclès (Ἡρακλῆς μαινόμενος / Hêraklễs mainómenos) en -416 ;

• Les Suppliantes (Ἱκέτιδες / Hikétides) en -424 ;

• Ion (Ἴων / Íôn) en -413 ;

• Les Troyennes (Τρῳάδες / Trốiádes) en -415 ;

• Iphigénie en Tauride (Ἰφιγένεια ἡ ἐν Ταύροις / Iphigéneia hê en Taúrois) en -414 ;

• Électre (Ἠλέκτρα / Êléktra) en -413 ;

• Hélène (Ἑλένη / Hêlénê) en -412 ;

• Les Phéniciennes (Φοινίσσαι / Phoiníssai) v. -410 ;

• Oreste (Ὀρέστης / Oréstês) en -408 ;

• Iphigénie à Aulis (Ἰφιγένεια ἡ ἐν Αὐλίδι / Iphigéneia hê en Aulídi) en -406 ;

• Les Bacchantes (Βάκχαι / Bákkhai) en -405 ;

Drame satyrique

Le Cyclope (Κύκλωψ / Kýklôps) est un drame satyrique relatant le célèbre épisode de Polyphème, dans l’Odyssée.

Œuvres fragmentaires

On a conservé des fragments de tragédies formant un total d’environ 3 000 vers, dont 1 000 pour la seule Hypsipyle).

• Télèphe (Τήλεφος / Têlephos) en 438 ;

• Les Crétois (Κρητές / Krêtés) en 435 ;

• Égée (Αἰγεύς / Aigeús) avant 431 ;

• Sthénébée (Σθενέϐοια / Sthenéboia) avant 429 ;

• Bellérophon (Βελλεροφόντης / Bellerophontês) en 430-425 qui comporte seulement 90 vers conservés, dont cette tirade : « Si les dieux commettent un acte non respectable, ce ne sont pas des dieux ».

• Cresphontès (Κρεσφόντης / Kresphóntês) vers 425

• Érechthée (Ἐρεχθεύς / Erekhtheús) en 422

• Phaéton (Φαεθών / Phaethôn) en 427-404, 200 vers conservés dont une centaine par Plutarque. Goethe en a tenté une reconstitution.

• Mélanippe la Sage ou Mélanippe la Philosophe (Μελανίππη σοφή / Melaníppê sophê) vers 420

• Alexandre (Ἀλέξανδρος / Aléxandros) en 415

• Palamède (Παλαμήδης / Palamếdês) en 415, 43 vers conservés (dont une dizaine incomplets). La pièce multipliait les innovations.

• Sisyphe (Σίσυφος / Sísyphos) en 415

• Mélanippe enchaînée (Μελανίππη δεσμώτις / Melaníppê desmótis) en 412

• Andromède (Ἀνδρομέδα / Androméda) en 412 avec Euripide

• Antiope (Ἀντιόπη / Antiópê) vers 410

• Archélaos (Ἀρχέλαος / Arkhélaos) vers 410

• Hypsipyle (Ὑψιπύλη / Hupsipulê) en 412-405, la plus importante en taille car de larges extraits en ont été retrouvés sur papyrus. Mais, par ce même fait, la lecture en est difficile. D’autre part subsiste un trou de 500 vers ce qui rend les reconstitutions toujours problématiques.

• Philoctète (Φιλοκτήτης / Philoktêtês) vers 410

• Hippolyte voilé (Ἱππόλυτος καλυπτόμενος / Hippólutos kaluptómenos)

• Plisthène (Πλεισθένης / Pleisthénès)

• Éole (Αἰόλος / Aiolos), dont on retrouve le fragment 21, 3 dans la Métaphysique de Théophraste : « des biens ne sauraient se produire séparément » et « Qu’y a-t-il de honteux dans un acte, s’il ne paraît pas tel à son auteur ? »

• Polyidos, dont on connaît un extrait par le Gorgias de Platon : « Qui sait si la vie n’est pas pour nous une mort, Et la mort une vie ? »

• Phryxos, pièce à laquelle on attribue l’extrait dont il est question ci-dessus

Œuvre apocryphe

• Rhésos (Ῥῆσος / Rhễsos) : tragédie très vraisemblablement apocryphe. Le débat autour de son authenticité se base surtout sur des critères stylistiques.

Œuvres d’Euripide

Sur Euripide

Euripide, féministe révolutionnaire :

Euripide dans "Médée" : "Les hommes prétendent que nous (femmes) vivons à l’abri du péril dans nos maisons, tandis qu’eux, ils combattent, lance en main. Mensonges ! J’aimerais mieux, le bouclier au côté, prendre part à trois batailles, plutôt que d’enfanter une seule fois !..." En bon disciple de Socrate, Euripide a démoli méthodiquement dans son théâtre tout ce qu’il y avait de misogyne, de paternaliste, de patriarcal, de sexiste, de phallocratique et de machiste, comme de guerrier et de mensongèrement héroïque, dans les mythes et légendes grecs, mais aussi dans les moeurs et conceptions dominantes de son époque. Euripide est le seul grand homme de théâtre à avoir systématiquement donné la parole aux femmes et à les avoir défendues. Il a ainsi mené un combat public de militant féministe contre une Athènes défendant quasiment l’inverse.

"Son théâtre est peuplé d’héroïnes qui tentent de résister aux hommes et parfois de prendre leur place."

Aristophane et Euripide, un anti-femmes contre un féministe

C’est en pleine Grèce antique, à Athènes même, - une société proclamant comme Sophocle que « Le silence donne aux femmes la grâce qui leur sied » ou encore « Femmes, le meilleur ornement de votre sexe, c’est le silence » -, que Socrate a influencé tout un courant de pensée d’hommes ouvertement et clairement féministes qu’Aristophane a combattu violemment, les accusant de vouloir renverser le pouvoir virulemment patriarcal d’Athènes pour y substituer une dictature des femmes.

« Médée :

« Entre toutes les créatures vivantes, nous les femmes sommes les plus malheureuses… Les hommes prétendent que nous vivons à l’abri du péril dans nos maisons, tandis qu’eux, ils combattent, lance en main. Mensonges ! J’aimerais mieux, le bouclier au côté, prendre part à trois batailles, plutôt que d’enfanter une seule fois !...

Le chœur des Corinthiennes :

« Notre condition féminine, par un retour de l’opinion publique, acquerra renom et gloire. Voici venir l’heure du prestige pour le sexe féminin. »

« Le jour vient où le sexe féminin sera honoré ; une renommée injurieuse ne pèsera plus sur les femmes. » (Euripide, « Médée »)

« Ce n’est pas la beauté de la femme qui ensorcelle, mais sa noblesse. »

« D’abord une femme, qu’elle soit innocente ou coupable, s’expose à la médisance par cela seul qu’elle ne reste pas à la maison : je m’interdis même le désir d’en sortir, et me renfermai dans ma demeure. »

Euripide, « Andromaque »

« Il n’y a pire mal qu’une mauvaise femme, mais rien n’est comparable à une femme qui est bonne. »

« Il n’est pas honnête qu’un seul homme tienne deux femmes sous ses lois. »

« De tout ce qui respire et qui a conscience

il n’est rien qui soit plus à plaindre que nous, les femmes.

D’abord nous devons faire enchère

et nous acheter un mari, qui sera maître de notre corps,

malheur plus onéreux que le prix qui le paie.

Car notre plus grand risque est là : l’acquis est-il bon ou mauvais ?

Se séparer de son mari, c’est se déshonorer,

et le refuser est interdit aux femmes.

Entrant dans un monde inconnu, dans de nouvelles lois,

dont la maison natale n’a rien pu lui apprendre,

une fille doit deviner l’art d’en user avec son compagnon de lit.

Si elle y parvient à grand’peine,

s’il accepte la vie commune en portant de bon cœur le joug avec elle,

elle vivra digne d’envie. Sinon, la mort est préférable.

Car un homme, quand son foyer lui donne la nausée,

n’a qu’à s’en aller, pour dissiper son ennui,

vers un ami ou quelqu’un de son âge.

Nous ne pouvons tourner les yeux que vers un être unique.

Et puis l’on dit que nous menons dans nos maisons

une vie sans danger, tandis qu’eux vont se battre !

Mauvaise raison : j’aimerais mieux monter trois fois en ligne

que mettre au monde un seul enfant ! »

Médée s’adressant au Chœur des femmes de Corinthe.

« Une femme d’ordinaire est pleine de crainte, lâche au combat et à la vue du fer ; mais quand on attente aux droits de ses enfants, il n’y a pas d’âme plus altérée de sang. »

« Ah ! il faudrait que les mortels pussent avoir des enfants par quelque autre moyen, sans qu’existât la gent féminine ; alors il n’y aurait plus de maux chez les hommes. » (Médée)

« Le chœur : C’est une chose terrible pour les femmes d’enfanter avec douleur, et pourtant toute la race des femmes aime ses enfants. »

Euripide, « Les Phonissiennes »

« Ayant mis à l’épreuve tous ses amis, et son père, et la vieille mère qui l’a enfanté, il n’a trouvé personne, excepté sa femme, qui voulût mourir pour lui, et ne plus voir la lumière. »

Euripide, « Alceste »

« Cependant le mari et la femme ont les mêmes droits… »

Euripide, « Andromaque »

« Tu as raison : ce n’est pas par la force qu’il faut vaincre les femmes. »

Euripide, « Les Bacchantes »

« Un frère et une sœur, un homme et une femme n’ont point le pied égal : et le mâle l’emporte ! »

Euripide, « Electre »

« AGAMEMNON

Et comment des hommes seront-ils vaincus par des femmes ?

HÉCUBE

Le nombre est redoutable, mais la ruse le rend invincible. »

Euripide, « Hécube »

« Mais quand un mari est odieux à sa femme, la vie aussi est odieuse, et il vaut mieux mourir. »

Euripide, « Hélène »

« Qu’on dise, si l’on veut, que cette audace et cette haute fierté ne conviennent pas à une femme, la chose n’en sera pas moins faite par moi. »

Euripide, « Les Hérakléides »

Et voici comment Euripide donne la parole, en la discréditant, aux hommes qui sont anti-femmes :

« HIPPOLYTE.

« Ô Jupiter, pourquoi as-tu mis au monde les femmes, cette race de mauvais aloi ? Si tu voulais donner l’existence au genre humain, il ne fallait pas le faire naître des femmes : mais les hommes, déposant dans tes temples des offrandes d’or, de fer ou d’airain, auraient acheté des enfants, chacun en raison de la valeur de ses dons ; et ils auraient vécu dans leurs maisons, libres et sans femmes. Mais à présent, dès que nous pensons à introduire ce fléau dans nos maisons, nous épuisons toute notre fortune. Une chose prouve combien la femme est un fléau funeste : le père qui l’a mise au monde et l’a élevée y joint une dot, pour la faire entrer dans une autre famille, et s’en débarrasser. L’époux qui reçoit dans sa maison cette plante parasite se réjouit ; il couvre de riches parures sa méprisable idole, il la charge de robes, le malheureux, et épuise toutes les ressources de son patrimoine. Il est réduit à cette extrémité : s’il s’est allié à une illustre famille, il lui faut se complaire dans un hymen plein d’amertume ; ou s’il a rencontré une bonne épouse et des parents incommodes, il faut couvrir le mal sous le bien apparent. Plus aisément on supporte dans sa maison une femme nulle, et inutile par sa simplicité. Mais je hais surtout la savante : que jamais du moins ma maison n’en reçoive qui sache plus qu’il ne convient à une femme de savoir ; car ce sont les savantes que Vénus rend fécondes en fraudes, tandis que la femme simple, par l’insuffisance de son esprit, est exempte d’impudicité. Il faudrait que les femmes n’eussent point auprès d’elles de servantes, mais qu’elles fussent servies par de muets animaux, pour qu’elles n’eussent personne à qui parler, ni qui pût à son tour leur adresser la parole. Mais à présent les femmes perverses forment au dedans de la maison des projets pervers, que leurs servantes vont réaliser au dehors. »

Euripide, « Hippolyte »

« Que les femmes ont l’esprit fécond en ressources ! »

Euripide, « Iphigénie en Tauride »

« La condition des femmes est bien malheureuse vis-à-vis des hommes : les bonnes sont confondues dans une haine commune avec les méchantes. »

« Une femme privée d’enfants, se voyant déçue dans son espoir, sentira cruellement l’amertume de son malheur… »

Euripide, « Ion »

« La sagesse parle souvent par la bouche des femmes. »
Euripide, « Les suppliantes »

« Simple femme, isolée, quel espoir de salut, sans frère, sans père, sans amis ? »

Euripide, « Oreste »

Messages

  • génial ! j’ignorai qu’un dramaturge grec était entièrement du côté des opprimés !

  • Euripide, « Médée » :

    « De tout ce qui a la vie et la pensée, nous sommes, nous autres femmes, la créature la plus misérable. D’abord il nous faut, en jetant plus d’argent qu’il n’en mérite, acheter un mari et donner un maître à notre corps, ce dernier mal pire encore que l’autre. Puis se pose la grande question : le choix a-t-il été bon ou mauvais ? Car il y a toujours scandale à divorcer, pour les femmes, et elles ne peuvent répudier un mari. Quand on entre dans des habitudes et des lois nouvelles, il faut être un devin pour tirer, sans l’avoir appris dans sa famille, le meilleur parti possible de l’homme dont on partagera le lit. Si après de longues épreuves nous y arrivons et qu’un mari vive avec nous sans porter le joug à contrecoeur, notre sort est digne d’envie. Sinon, il faut mourir. Quand la vie domestique pèse à un mari, il va au-dehors guérir son coeur de son dégoût et se tourne vers un ami ou un camarade de son âge. Mais nous, il faut que nous n’ayons d’yeux que pour un seul être. Ils disent de nous que nous vivons une vie sans danger à la maison tandis qu’ils combattent avec la lance. Piètre raisonnement ! Je préférerais lutter trois fois sous un bouclier que d’accoucher une seule. Mais je me tais, car le même langage ne vaut pas pour toi et pour moi : toi, tu as ici une patrie, une demeure paternelle, les jouissances de la vie et la société d’amis. Moi, je suis seule, sans patrie, outragée par un homme qui m’a, comme un butin, arrachée à une terre barbare, sans mère, sans frère, sans parent près de qui trouver un mouillage à l’abri de l’infortune. Voici tout ce que je te demande : si je trouve un moyen, une ruse pour faire payer la rançon de mes maux à mon mari, < à l’homme qui lui a donné sa fille et à celle qu’il a épousée >, tais-toi. Une femme d’ordinaire est pleine de crainte, lâche au combat et à la vue du fer ; mais quand on attente aux droits de sa couche, il n’y a pas d’âme plus altérée de sang. »

    « Les fleuves sacrés remontent à leur source ; la justice, tout est renversé. Aux hommes maintenant les perfides desseins ; la foi jurée aux dieux n’est plus stable. Notre conduite aura bon renom par un retour de l’opinion ; le jour vient où le sexe féminin sera honoré ; une renommée injurieuse ne pèsera plus sur les femmes. »

  • « Parmi ses mérites, rappelons que Euripide, seul, a osé dire publiquement à Athènes que ses mythes étaient mensongers et que son époque soi-disant héroïque n’était que boue et sang, notamment dans la guerre contre les Troyens. »

    La boue et le sang, c’est exactement la mise en scène de Ivo van Hove vue récemment à la Comédie française... Oreste et son ami son couvert de sang, et même de plus en plus couverts de sang au fur et à mesure de la pièce. Clytemnestre, Hélène sont tuées, un cadre d’homme émasculé sur scène par Electre. Tout le plateau de théâtre est couvert de boue. Les actrices et acteurs, figurantes sont les pieds dans la boue pendant tout le spectacle ! Oreste est même pendant plusieurs minutes complètement enfoui dans la boue, tellement il est partagé entre le résultat de sa vengeance et le matricide qu’il a commis.

    Cependant, dans la même mise en scène, les femmes elles-mêmes défendent des propos moralisateurs et sexistes dans plusieurs tirades. Les propos de Electre, la fille bannie, sœur d’Oreste, défendent qu’une femme doit se soumettre à son époux. Ces propos sexistes servent à disqualifier l’attitude de Clytemnestre. Il s’agit de la critique de Clytemnestre qui, dès qu’Agamemnon, son mari, part pour prendre la tête de la guerre contre Troie, prépare le matricide avec le cousin et amant Egisthe.

  • Les messages d’Euripide ne nous paraissent plus aussi clairs aujourd’hui mais ils étaient engagés politiquement et socialement. Lire ici

  • La tragédie d’Euripide

    Jouées à Athènes aux Grandes Dionysies de mars 415 av. JC, Les Troyennes appartiennent à la dernière période créatrice du tragique grec, mort en 406. Troisième pièce d’une trilogie entièrement consacrée à la guerre de Troie (cohérence rare chez Euripide), elle illustre de façon terrible les désastres physiques et moraux entraînés par le conflit, au terme d’une évocation dialectique des fautes commises par les vainqueurs et par les vaincus. Les deux premières pièces ne sont connues que par de brefs fragments et par leur argument, mais ces résumés sont intéressants pour comprendre le projet d’Euripide. La première pièce, Alexandros, évoque la culpabilité des Troyens avec une légende qui rappelle celle d’Œdipe : avant de devenir mère d’Alexandros (nom « royal » de Pâris), Hécube rêve qu’elle enfantera un tison. Cette braise ardente préfigure la chute de Troie dans l’incendie final de la guerre à venir. Pour éviter cette apocalypse, le roi Priam, suivant un oracle, ordonne la mort de l’enfant. Exposé sur le mont Ida, il est recueilli par un berger. Il survit et il devient lui-même berger avant de revenir à la cour de ses parents, rival victorieux de ses frères Hector et Déiphobe lors de jeux funèbres en l’honneur de sa mort supposée. Reconnu par les siens, rétabli dans ses prérogatives princières, il sera bien l’agent fatal – en ravissant Hélène – de l’incendie de Troie, le feu du rêve d’Hécube qui va dévorer réellement la ville à la fin des Troyennes. Dans cette dernière pièce, Andromaque, discrètement, puis Hélène, méchamment, rappelleront à la reine déchue sa part de culpabilité dans le déclenchement de la guerre, puisqu’elle a sauvé Pâris.

    En antithèse, c’est un crime des Grecs qui constitue l’argument de la deuxième pièce, Palamède. L’action s’y transporte dans leur camp, alors qu’ils assiégent la ville de Priam. Euripide y présente sous les pires traits la figure d’Ulysse, qui pour se venger du sage Palamède, fils du roi grec Nauplios, l’accuse faussement d’une trahison en faveur des Troyens. Lapidé par l’armée grecque, le héros diffamé sera par cette mort injuste à l’origine d’une vengeance de son père contre les vaisseaux grecs de retour au pays. Une faute, plus grave encore que le refus d’une mère de sacrifier son fils à un rêve prémonitoire, pèse ainsi collectivement sur les vainqueurs futurs. Bien que n’apparaissant pas sur scène, Ulysse dans Les Troyennes restera le démagogue pervers de la pièce précédente, celui qui décide l’armée grecque à sacrifier Astyanax, le fils d’Andromaque et d’Hector.

    Quant aux Troyennes elles-mêmes, leur structure dramatique est d’une grande simplicité : des tableaux se succèdent, qui montrent les coups du sort qui pleuvent sur les femmes vaincues au matin du pillage de leur ville. Selon les codes de la tragédie grecque, des passages parlés alternent avec des passages lyriques : Hécube et le chœur chantent ainsi un véritable oratorio funèbre, un thrène pathétique. Au prologos interviennent les dieux : Poséidon déplore la ruine de la ville qu’il avait fortifiée, avant de se voir proposer par Athéna, alliée des Grecs mais dont le temple a été profané par eux, d’unir leurs efforts pour se venger des vainqueurs. Puis Hécube commence sa mélopée. Avec la parodos (entrée du chœur, suite de la scène 3 de Sartre), les Troyennes accompagnent les plaintes de la reine déchue. Au premier épisodos, Talthybios, messager de l’armée grecque, indique aux femmes vaincues le sort qui les attend : l’exil et l’esclavage. Cassandre, destinée à la couche d’Agamemnon, une torche à la main effraie par son délire. Le premier chant du chœur (ou stasimon, scène 6 de Sartre) évoque l’entrée du Cheval à Troie. Au deuxième épisodos , Andromaque paraît, montée sur un char. Elle apprend à Hécube la mort de Polyxène, égorgée sur le tombeau d’Achille. Talthybios vient annoncer l’exigence des Grecs de faire périr Astyanax. Le chœur chante la malveillance des dieux contre Troie dans le deuxième stasimon (scène 9). Ménélas retrouve Hélène au troisième épisodos : l’épouse infidèle essaie de se disculper, alors qu’Hécube démonte ses arguments. Après un dernier stasimon plaintif, l’exodos de la tragédie culmine dans l’horreur : le cadavre du jeune Astyanax est porté sur la scène dans le bouclier d’Hector. Hécube veut se jeter dans le brasier qui dévore la ville. Les Troyennes sont emmenées par les soldats grecs vers les vaisseaux de leurs nouveaux maîtres.

    Euripide écrivait en 415 une pièce engagée, où la ruine de Troie, loin de conforter le patriotisme hellénique contre les « barbares », montre le malheur absolu qu’entraîne toute guerre. La guerre du Péloponnèse entre Athènes, Sparte et d’autres cités autrefois unies contre l’ennemi perse s’achevait en 421 av. JC, après dix ans de combats fratricides et d’exactions multiples. Par une cruelle ironie de l’histoire (et le signe qu’une pièce de théâtre ne suffit pas à arrêter la folie des hommes), au lendemain même de la représentation des Troyennes, les Athéniens s’embarquaient pour la Sicile, expédition coloniale qui allait se solder par le désastre de Syracuse en 413. À travers les tableaux où défilent des héroïnes célèbres de la légende de Troie, c’est le malheur des vaincus, l’injustice des dieux et l’inhumanité des vainqueurs (voués à une prochaine punition divine) qui est montré sur scène en images fortes donnant aux spectateurs la vision d’un désastre sans recours. Pièce dont le pessimisme, y compris religieux, choqua Aristophane. Pièce sans action autre que le commentaire sur scène par Hécube, incarnation vivante d’une ville assassinée, et par le chœur des Troyennes des crimes successifs des Grecs dont Talthybios est le messager, un messager parfois effrayé lui-même de la cruauté de ses compagnons d’armes. Pièce dont l’intensité augmente de tableau en tableau jusqu’à l’horreur finale de l’enfant déchiqueté et le spectacle de l’incendie, après l’intermède presque comique du troisième épisode où Ménélas écoute la défense d’Hélène. Pièce longtemps mal aimée à cause de l’absence d’action, conservée cependant dans les anthologies alexandrines. Pièce reprise par Sénèque, dans une adaptation latine du premier siècle de notre ère : Sénèque fut en effet avant Sartre le premier philosophe dramaturge à réécrire une tragédie où la terreur et la pitié semblent portées aux limites de l’insoutenable

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