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Pour un nouveau mai 68 ?

vendredi 11 mai 2018, par Robert Paris

Edito

Mai 68, une référence d’avenir pour la lutte sociale ?

Mai 68 – mai 2018, certains voudraient voir dans ce parallèle chronologique, un centenaire, une perspective sociale et politique, mais pourquoi ? Sans doute parce qu’ils préfèrent ce centenaire à l’anniversaire de la révolution russe, au bicentenaire de Karl Marx ou à la perspective de la Commune de Paris. Inutile de demander pourquoi !

Ce sont non seulement les média mais certains hommes politiques, de la gauche à l’extrême gauche en passant par la gauche de la gauche, et certains dirigeants syndicaux qui évoquent les événements de mai 1968, notamment la lutte des étudiants et la grève générale comme un souvenir d’un mouvement qui devrait nous servir de boussole. Mais pour s’orienter vers quoi ?

Vers ce qu’a entraîné mai 68 ? Les classes possédantes ont-elles été contraintes à un véritable recul social ou politique par la plus grande grève générale que la France ait connu ? Pas du tout ! La grève générale ouvrière, qu’aucune centrale syndicale n’avait réellement poussée et organisée, a été cassée par les négociations gouvernement-patronat-syndicats de Grenelle, dans lesquelles les centrales syndicales ont accepté de lancer la reprise du travail en échange de quelques avantages syndicaux et de miettes lamentables pour les travailleurs. Ils ont fait croire aux travailleurs que le changement n’allait pas venir de la lutte sociale et qu’il fallait le retour au calme et au travail pour organiser le changement politique par les élections. Non seulement, ces élections n’ont pas marqué un progrès mais ont permis à la petite bourgeoisie, antigréviste, de donner l’élection la plus réactionnaire de la période.

Tous ces prétendus défenseurs des travailleurs prétendent que la classe ouvrière devrait regarder mai 68 avec regret, comme s’il fallait seulement souhaiter que les travailleurs soient en lutte, sans pour autant enlever la direction des luttes aux confédérations syndicales qui les envoient vers l’impasse et l’échec.

Car tout le problème dans la grève générale de mai 1968, c’est que, s’il y a eu effectivement bien plus une généralisation de la grève qu’en juin 1936, mais il n’y a eu aucune structuration des travailleurs entre eux, si bien que, lorsque les syndicats ont appelé à la reprise du travail, les salariés auraient bien voulu poursuivre la lutte mais ne disposaient d’aucun moyen de le faire. La grève a continué dans quelques centres ouvriers importants mais l’ensemble des travailleurs a repris le travail le cœur gros, les larmes aux yeux.

Ce n’est pas cette leçon, fondamentale pourtant, que les prétendus nostalgiques de mai 68 entendent développer, pas du tout, au contraire même. Ils voudraient nous faire croire que les travailleurs peuvent se mobiliser, changer les choses, sans remettre en question les directions syndicales et politiques réformistes. Et c’est faux !

En mai 68, il y a bien eu, par ci par là, des comités de grève, des assemblées générales dirigeant leur propre lutte, mais aucune force politique et sociale nationale ne les a mis en avant, n’a cherché systématiquement à les généraliser, à pousser à l’auto-organisation des travailleurs, à les coordonner localement, régionalement et nationalement. Certaines usines ont vu leur grève dirigée par un véritable comité de grève, mais la CGT a choisi de surfer sur le mouvement spontané qui était parti sans elle et a coupé les ailes de tout courant spontané et général d’auto-organisation. Les travailleurs eux-mêmes ont été ainsi exclus par la bureaucratie syndicale et par les partis communistes et socialistes de toute direction de leur propre lutte. Loin d’être un exemple de lutte menée par les travailleurs, mai 68 est un exemple de lutte volée aux travailleurs ! Mais personne ne diffuse une telle analyse, bien entendu ! Ils veulent tous, réformistes comme opportunistes, nous faire croire que la mobilisation des travailleurs, même derrière des piliers de la société actuelle, peut changer le rapport de forces, changer le climat social et ainsi pousser à des changements sociaux et politiques fondamentaux.

En mai 68, aucun changement social ou politique fondamental n’a été gagné et la lutte des travailleurs et des jeunes a été détournée vers l’impasse par les mêmes trompeurs que ceux d’aujourd’hui.

Certes, bien des travailleurs peuvent regretter le climat social et politique du mouvement de contestation de l’époque mais cela n’éclaire pas du tout le chemin, cela ne donne pas une véritable perspective aux luttes actuelles. Au contraire, cette nostalgie ne mène qu’aux mêmes échecs, aux mêmes trahisons.

Même la généralisation de la grève n’est pas une garantie de succès, du moment que les travailleurs ne s’organisent pas par eux-mêmes, ne décident pas des buts, des moyens, des perspectives de leur lutte, du moment qu’ils ne se donnent pas seulement des revendications économiques mais des objectifs politiques et sociaux, ne se dotent pas d’une véritable direction politique auto-organisée. C’est justement cela qui devrait être la leçon de mai 68.

Il faudrait se souvenir que la CGT et le PCF n’ont pris en marche le train des grèves qu’à reculons et par obligation, pour ne pas laisser les travailleurs se diriger et d’organiser eux-mêmes. C’est spontanément ou avec l’aide de militants révolutionnaires que la grève avait commencé à se développer et à se généraliser à un stade où CGT et PCF, sans parler de la social-démocratie et des autres centrales syndicales, parlaient d’un « pouvoir fort » gaulliste qui aurait noyé dans le sang toute tentative de généralisation des grèves et s’y opposait de toutes leurs forces. C’est à Renault Billancourt que CGT et PCF avaient pris le tournant et compris qu’ils ne pourraient pas s’opposer à la grève sans risquer d’être débarqués de la suite du mouvement. Dans cette usine, un comité de grève s’était constitué parmi les professionnels du contrôle qui prenait en mains la lutte et l’occupation des ateliers. La CGT et le PCF avaient vu le moment où ils seraient dépassés et l’auto-organisation deviendrait irrépressible. Ils ont alors pris le tournant, décidant d’occuper l’usine, de fermer les portes et de laisser les travailleurs… dehors !!! Un vol qualifié de la grève et de l’organisation qui allait se généraliser dans tout le pays. Drôle d’événement à rappeler avec plaisir de la part des fausses extrêmes gauches ! Et belle victoire contre la classe ouvrière des bureaucraties syndicales et politiques.

La généralisation de la grève ouvrière doit provenir de l’organisation des travailleurs et pas de confédérations syndicales et de partis politiques qui sont liées à la société bourgeoise. Sans quoi les classes possédantes n’ont rien à craindre même d’une grève générale !

La force de classe des travailleurs ne consiste pas seulement à pouvoir arrêter le travail, à pouvoir revendiquer économiquement, à manifester pour protester. Elle consiste dans le fait de développer sa capacité à être une alternative du pouvoir bourgeois. Le rôle des comités de grève, des conseils de travailleurs, des assemblées interprofessionnelles n’est pas seulement de développer la lutte de manière plus démocratique que les intersyndicales, plus efficaces pour faire reculer les classes possédantes. L’organisation des travailleurs par eux-mêmes signifie que les prolétaires prennent conscience, au travers des luttes sociales, de leur rôle de direction de toutes les couches révoltées, et de leur futur rôle de direction de toute la société.

Mai 68 est présenté par de prétendus révolutionnaires, de Mélenchon et du parti communiste à l’extrême gauche officielle et aux insoumis comme un exemple, mais ce n’est pas pour nous dire comme le slogan central de mai 68 : « Une seule solution, la révolution ! »

Non ! C’est pour nous dire : une seule solution, suivre les centrales syndicales en s’unissant derrière nos faux dirigeants syndicaux, sociaux et politiques !

Le slogan des centrales syndicales, nous l’entendons aujourd’hui : « une seule solution, la négociation » !!!

Jamais nous ne voyons les centrales syndicales ni les partis réformistes nous engager à mener des luttes qui remettent en question la politique des classes possédantes. Jamais ils ne relient les luttes ouvrières avec le combat contre les politiques guerrières, contre les politiques racistes, contre les politiques bellicistes sous prétexte d’antiterrorisme. Jamais ils ne relient la politique antisociale des gouvernants à leur politique anti-migrants, anti-musulmans, anti-jeunes, anti-romes et on en passe… Jamais ils n’ont combattu l’état d’urgence, les répressions policières des banlieues, la dérive raciste du pouvoir, etc.

Les syndicats de mai 68 ont repris la direction de la lutte ouvrière mais, comme aujourd’hui, ils l’ont fait à reculons, uniquement pour éviter l’organisation autonome des travailleurs. Ils l’ont fait en jouant leur rôle d’intermédiaire, de tampon, de calmeurs du peuple, de détourneurs des luttes, de lâcheurs de vapeur sociale, pas pour faire monter la pression, par pour augmenter le moral de lutte des prolétaires et leur conscience de leur force ou de leurs perspectives de classe.

Aujourd’hui, en appeler au souvenir de mai 68, ce n’est pas non plus affirmer la confiance dans une force de classe. En mai 68, on a vu socialement la classe ouvrière se faire mener par des bureaucrates et politiquement se mettre en place la tromperie de l’union de la gauche qui va donner pendant des années une fausse perspective politique aux travailleurs.

Et certains voudraient qu’il en soit de même aujourd’hui. Et ils voudraient relancer, en se servant des luttes sociales, une union de la gauche, de l’extrême gauche opportuniste aux plus réformistes des sociaux-démocrates et aux nationalistes mélenchonistes ou ex-staliniens, et cette fausse perspective est le contraire d’une union de classe des travailleurs.

Ce n’est pas la lutte des classes qui est en train d’échouer avec la lutte des cheminots ou des fonctionnaires, c’est une manière négociatrice, réformiste, modérée, de faire du syndicalisme et de la politique, c’est la collaboration de classe !!!

Certes depuis des jours les cheminots font grève, les Air France font grève, les EPHAD font grève, les éboueurs font grève, telle ou telle poste, tel ou tel hôpital, tel ou tel centre des impôts, tels ou tels électriciens font grève. Certes, ils descendent dans la rue. Certes, ils se retrouvent avec d’autres salariés lors de journées d’action. Mais… Car il y a un gros mais…

Sommet de l’offensive de l’intersyndicale : celle-ci menace maintenant d’une … journée d’action le 14 mai !!! Journée qu’elle intitule journée d’inaction totale des cheminots.

Toujours les cheminots seuls !

Toujours ces stratégies au sommet sans aucune décision n organisation de la base !

Macron tremble des stratégies de lutte de ces organisations qui font semblant de lutter pour empêcher les travailleurs de mener eux-mêmes leurs luttes !!! Et ne parlons pas de la classe possédante qui ne perd rien dans ces faux combats !
Le rôle des syndicats est de faire semblant ! Faire semblant d’organiser la classe ouvrière, faire semblant de la mobiliser, faire semblant de lui donner une stratégie de lutte, faire semblant de résister aux attaques, faire semblant d’opposer un front uni à l’attaque, etc.

Faire semblant de mener une lutte résolue, déterminée, massive, contre le gouvernement et les patrons, tout en le faisant à reculons, en continuant à participer à toutes les négociations, à toutes les cogestions, à toutes les dépendances de l’Etat et des patrons, telle est la stratégie étroite des confédérations syndicales. Elle vise à l’autoreproduction du « pouvoir syndical » qui n’a rien à voir avec une démocratie des travailleurs, avec un droit des travailleurs, avec une organisation de classe des travailleurs, puisque ce pouvoir syndical est organisé par la classe capitaliste et son Etat, et essentiellement financé par eux. Les syndicats font semblant de s’agiter mais dans un cadre étroit, qui ne permet nullement à la lutte de classe de se développer, de prendre son élan, d’où les journées d’action à répétition préférées aux véritables grèves. Ces journées ont l’avantage de ne pas permettre à un climat offensif de prendre son élan, de ne pas permettre aux travailleurs de s’organiser, de contacter d’autres secteurs et les entraîner. En somme de seulement permettre à la colère des travailleurs de s’exprimer, à la vapeur de sortir, au mécontentement de se transformer en fatigue mais pas de faire en sorte que la vapeur serve à actionner un quelconque mouvement de classe capable de mobiliser l’ensemble des travailleurs et faire reculer, tant soi peu, la classe possédante.

Un syndicaliste honnête serait en droit, à ce stade, de demander : « Qu’est-ce que vous nous accusez de ne pas avoir fait, de ne pas vouloir faire, pour changer le rapport de forces ? »

Eh bien, d’abord, quand le gouvernement a annoncé la couleur : sa volonté de mener une attaque antisociale d’ampleur, comprenant à la fois la destruction des services publics et leur privatisation et pas seulement en ce qui concerne la SNCF mais aussi tous les transports, l’énergie, l’hôpital public, les impôts, l’enseignement et la recherche, les télévision et radio et on en passe, l’ubérisation des salariés, la précarisation des emplois, la suppression des droits sociaux et aides sociales, l’attaque contre les communes et les départements, l’attaque contre les chômeurs, contre les étudiants et les jeunes, etc, avons-nous vu les syndicats réunir immédiatement et partout les salariés dans les entreprises, mener des assemblées générales interprofessionnelles pour discuter de la situation nouvelle, de son interprétation, de la nouvelle manière de riposter ? Absolument pas !

Même les cheminots n’ont pas été réunis « à chaud », au moment où ils étaient massivement indignés par l’annonce d’attaques d’ampleur contenue dans le rapport Spinetta commandité par le gouvernement. A ce moment-là, les syndicats ne demandaient pas aux cheminots de se rassembler, de discuter, mais d’attendre la réunion au sommet de l’intersyndicale, annonçant que l’unité serait le produit d’une telle entente entre dirigeants des appareils bureaucratiques, y compris ceux qui s’étaient déclarés favorables à la nouvelle politique incarnée par Macron !

Le but des classes dirigeantes n’est pas nécessairement de casser les syndicats. Ils les laissent faire leur démonstration comme quoi ils auraient « été jusqu’au bout », jusqu’à user les grévistes et les usagers, mais ils visent à démoraliser, à casser la confiance des travailleurs dans leurs propres forces, dans leur capacité à faire reculer et même à battre la classe possédante. C’est pour cela que les syndicats ne feront rien qui puisse réellement frapper ces possédants. Et leur rôle consiste surtout à éviter que les travailleurs s’organisent par eux-mêmes dans cette lutte, se lient par delà les secteurs, les corporations, en cassant toutes les divisions.

Certes, la convergence des luttes n’est pas une voie facile pavée de roses mais c’est un mensonge syndical de faire croire que les bureaucraties syndicales font tout pour y parvenir.

Le syndicat SUD en a de bonnes en déclarant : « La convergence, ça ne se décrète pas. » affirme-t-il pour justifier d’avoir organisé, avec les autres confédérations syndicales, la divergence systématique des luttes, y compris la séparation entre luttes du service public.

Quand chaque corporation est appelée séparément à la grève et qu’un jour par-ci par-là, ils sont appelés à se retrouver une journée ensemble dans la rue, ils affirment avoir œuvré à la convergence des luttes !

Mais cela ne les empêche pas de préparer des luttes différentes, d’un côté les cheminots, de l’autre les traminots, d’un troisième les bus, d’un quatrième la RATP, les hôpitaux séparément des EPHAD ou de la Psychiatrie, sans parler du secteur privé, d’un côté les chômeurs, de l’autre les retraités et on en passe…

La grève "perlée" des cheminots continue et les syndicats continuent de négocier avec le premier ministre...
Rien ne marche mais tout continue !
Les syndicats se déclarent prêts à aller jusqu’au bout mais au bout de quoi ? Pas de la peur des classes possédantes qui, dans ce mouvement, n’ont pas grand chose à craindre...
Si les syndicats démontrent ainsi qu’ils "ont été jusqu’au bout", le pouvoir en fait autant, les classes possédantes démontrent grâce à eux que les travailleurs sont impuissants CQFD !!! Mais c’est mensonger car la force des travailleurs, la vraie, n’est pas mise en oeuvre.

Alors, la leçon non tirée de Mai 68, c’est qu’il ne faut pas confier la direction des luttes au professionnels de la trahison des luttes ouvrières, qu’il faut que les travailleurs s’organisent eux-mêmes, élisent eux-mêmes leur direction, décident eux-mêmes de leurs revendications, des modes d’action, des perspectives, tout le contraire de la situation actuelle. Mais si le gouvernement se garde d’annoncer vraiment les attaques suivantes en détail, les privatisations, les « réformes » des impôts, de la RATP, de l’hôpital et autres, s’il les retarde c’est bien qu’il y a toujours une crainte que les travailleurs sortent du piège organisé par le gouvernement et les syndicats, dans leur fausse opposition, qu’ils débordent du cadre et se mettent spontanément en lutte, la généralisant et remettant en question ses faux dirigeants.

Oui, les classes possédantes ne sont pas sures que les prolétaires seront toujours trompés par les appareils réformistes et elles ont bien raison de se méfier. Rien n’est perdu et l’avenir appartient aux travailleurs révolutionnaires.

Messages

  • "Nous avons besoin d’engagements financiers pour assurer la pérennité des entreprises du secteur" dit le même bureaucrate de l’UNSA.

    Des entreprises ? Il y avait une seule entreprise, la SNCF ?!!!

  • Ces réformistes ne veulent pas dire que le capitalisme a atteint une crise historique. Ils ne veulent pas reconnaître que l’ère de prospérité, du moins des pays riches, est terminée et qu’il faut désormais d’autres luttes que simplement économiques, réformistes, purement corporatistes, car celles-ci ne donneront plus rien. Ils ne peuvent pas reconnaître que leurs regrets de l’époque de mai 68 provient du fait qu’en France c’était la pleine période de grande prospérité, ce qui a permis à la bourgeoisie de négocier quelques reculs avec le soutien des appareils syndicaux. Alors que le grand mouvement de mai-juin 1936, arrivé en pleine crise du capitalisme, loin d’amener des avancées réelles, a amené le fascisme et la guerre.

  • Les staliniens ont été des adversaires résolus de toute radicalisation en mai 68.

    Maintenant, ils sont les défenseurs de la mémoire de cet événement !!! On se marre !!!

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