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En quoi la dialectique de Hegel est révolutionnaire

samedi 11 août 2018, par Karob, Robert Paris

En quoi la dialectique de Hegel est révolutionnaire ?

La première des caractéristiques de la dialectique, dans sa version hégélienne, est l’image qu’elle donne du « changement qualitatif ». Jusque là, l’essentiel de ceux qui affirmaient l’existence de sauts dans la logique du monde ne faisaient appel qu’aux miracles divins et aux actions brutales des prétendues « forces » bénéfiques et maléfiques.

La caractéristique de la plupart des philosophies précédentes, mystiques ou pas, était leur dualisme, c’est-à-dire l’opposition diamétrale de la construction et de la destruction, de la vie et de la mort, du corps et de l’esprit, de la pensée et de la matière, de l’existence et de la conscience, de l’homme et de l’univers, du terrestre et du divin, du vivant et de l’inerte, etc. Ces philosophies ne connaissaient que deux choses : d’un côté l’ordre et de l’autre le désordre, les deux étant séparés par une barrière infranchissable : ou le Bien ou le Mal, exclusivement. La philosophie de Hegel en finit avec le « ou exclusif », le tiers exclus, la logique dichotomique. Les contraires sont désormais interdépendants, comme le seront, dans la physique quantique, l’onde et le corpuscule ou encore les variables opposées mais corrélées, c’est-à-dire des contraires qui s’interpénètrent, sont inséparables et interdépendants, incapables de se fonder l’un sans l’autre. C’est ce nouveau point de vue qui est profondément révolutionnaire, non seulement parce qu’il détruit le dualisme, la pensée dichotomique, mais parce qu’il construit une pensée qui intègre l’émergence de nouvelles structures au sein d’un système.

Hegel, lui, affirme que c’est la logique du monde, sans aucune intervention extérieure à la matière (pour Hegel, matière et esprit sont du même domaine, du même monde), qui fonctionne de manière générale sur le mode de l’émergence brutale de nouveauté structurelle, de changement discontinu. C’est un changement philosophique majeur qui intègre le changement révolutionnaire au fonctionnement « normal », aussi bien de la pensée que de la matière, de l’inerte que du vivant, de la physique que de l’histoire des sociétés humaines. Le monisme hégélien, même s’il est idéaliste et place donc la pensée tout en haut de l’édifice, a comme mérite de considérer que le fonctionnement ainsi décrit est un tout que l’on ne peut pas diviser en domaines séparables par des barrières infranchissables.

Non seulement, le changement brutal est intégré dans un fonctionnement qui contient également les changements lents, mais le changement n’est pas seulement quantitatif. Les bases mêmes du monde peuvent changer, pour Hegel et il identifie la force de ces changements : les contradictions internes à tous les systèmes. Ces contradictions n’apparaissent pas au moment du saut qualitatif : elles existaient avant et existeront après. Les contradictions ne sont ni des maladies occasionnelles, ni des événements conjoncturels, ni des accidents de l’Histoire mais les principes mêmes sur lesquels repose le fonctionnement du monde. Même son apparente stabilité est fondée sur l’opposition des contraires. Il ne s’agit pas d’une opposition figée mais d’une lutte qui a une histoire, qui change sans cesse de forme, qui est même le fondement de l’histoire du système.

Cela signifie que, pour Hegel, la contradiction est la force révolutionnaire de changement. Elle n’est pas un désordre, une maladie occasionnelle, un défaut. Ou plutôt, elle est un désordre qui produit un nouvel ordre, une négation qui a un caractère positif ! Et ce nouvel ordre n’est nullement une imitation de l’ancien, mais un saut qualitatif dans la nouveauté, et aussi une résolution du problème posé par la contradiction. En ce sens, pour Hegel, l’Histoire n’est ni un désordre, ni un éternel recommencement, ni une absurdité, mais les révolutions de l’Histoire qui entraînent les étapes de l’Histoire obéissent à une logique.

En ce sens, la philosophie de Hegel fait partie d’un grand combat philosophique, à la fois révolutionnaire et scientifique, qui va de Bacon à Diderot, Darwin, Freud, Marx, Einstein, Gould et Prigogine.

Comme tous les penseurs précédemment cités, nombre de ses idées sont aujourd’hui inconnues du plus grand nombre, y compris de bien des philosophes et de bien des scientifiques. Mais cela ne signifie pas que sa pensée soit dépassée. Cela signifie surtout qu’elle est bien trop révolutionnaire pour la pensée dominante, toujours celle de la classe dirigeante.

La dialectique (celle de Marx et même celle de Hegel) déplait aux possédants parce qu’elle affirme que la révolution est le bâtisseur de tous les mondes nouveaux et le fossoyeur de tous les monde dépassés. Et les possédants se sentent, à juste titre, visés par une telle définition !!!

Penser dialectiquement est indispensable à quiconque raisonne sur un monde changeant car le changement a un caractère non seulement quantitatif mais qualitatif, c’est-à-dire que les bases mêmes du monde ancien vont disparaître.

En quoi une telle affirmation est-elle scientifique ? Parce que le monde que nous avons sous les yeux a été le produit de multiples révolutions et pas seulement d’évolution progressives purement quantitatives.

Toutes les sortes de ruines, celles des châteaux, des anciennes civilisations, des anciens modes de production, des anciens types de relations humaines, des anciennes espèces d’hominidés, des anciennes espèces animales et autres espèces vivantes, les anciennes planètes, les anciens systèmes solaires, les anciennes étoiles, les anciens univers, tout témoigne de changements révolutionnaires et d’une histoire de l’émergence, émergence de l’homme actuel, émergence des hominidés, émergence des espèces, émergence de la vie, etc.

L’émergence, sans miracle divin, n’est pensable que dans une philosophie dialectique du type de celle de Hegel ou de Marx.

La plupart des scientifiques sont des dialecticiens qui s’ignorent. Ils savent qu’en adjoignant un proton supplémentaire (ou un neutron) à un noyau atomique, on saute brutalement à un élément chimique qualitativement différent. Ils savent que chaque adjonction d’un quanta est un saut. Ils savent que les états de la matière changent par des sauts. Ils savent que les états d’un atome donné passent d’un à un autre par un saut. On n’en finirait pas de citer les exemples qu’ils connaissent de sauts quantiques qui sont tous des sauts dialectiques. Ils savent que ces sauts se produisent spontanément, sans intervention extérieure, simplement parce que les différents états étaient tous des états potentiels et que la nature ne passe pas de l’un à l’autre continûment pas d’un seul coup, brutalement.

La société opère de la même manière. Les classes sociales principales qui s’opposent sont des sociétés en termes de potentialité. Elles ne sont pas des légers progrès ou des légères régressions l’une par rapport à l’autre, mais représentent des sauts qualitatifs de l’un à l’autre, de la vieille société à la nouvelle. C’est en cela que la pensée d’Hegel est une pensée révolutionnaire, qui a eu la vague révolutionnaire de la bourgeoisie européenne pour berceau.

Elle dépasse non seulement les penseurs de son époque mais aussi les choix politiques, plus réactionnaires de Hegel lui-même, cet admirateur de l’ordre et de l’Etat. Et elle continue de dépasser la pensée dominante du monde capitaliste, malgré toutes les années écoulées et tous les progrès scientifiques réalisés.

Ce n’est pas un hasard si la pensée de Hegel est révolutionnaire : elle est le produit d’une vague révolutionnaire en Europe qu’Hegel, comme tant d’autres intellectuels européens, appelle de ses vœux. Elle théorise le changement radical pace que Hegel en est partisan sur le terrain philosophique comme plus généralement idéologique, culturel, politique, social. Il théorise que l’Histoire est minée par les révolutions et le côté qui reste extraordinaire c’est qu’il étend ce point de vue révolutionnaire et historique à la science, à la connaissance, à la conscience, à l’ensemble de la matière et de la vie, y compris l’humanité.

Hegel, contrairement à nombre d’intellectuels modernes, sait que la révolution est porteuse de nouveauté, que le monde change radicalement, qualitativement, que ce qui nous semble éternel n’est qu’une illusion, que la force du changement n’est pas à chercher à l’extérieur mais au sein même de l’ancienne société. Et c’est cela qui est le plus étonnant, donc le plus révolutionnaire dans la pensée d’Hegel car l’existence de forces révolutionnaires au sein d’un ordre qui semble solide, stable et durable. Même une roche ne l’est pas et pas davantage la société humaine. C’est le principal message d’Hegel : le changement radical existe potentiellement au sein de l’ordre apparemment le plus solide.

Certes, le message d’Hegel est, pour le lecteur moderne, très difficile à lire et à comprendre. Cependant, ce message est tout à fait valable, intéressant et même fondamental pour décrypter le monde, pour analyser les résultats des sciences comme pour analyser la situation du monde capitaliste et ses transformations possibles. C’est pourquoi nous continuons à nous donner comme tâche de diffuser les enseignements de Hegel, malgré son langage hermétique, malgré le fait que sa manière d’écrire est devenue très peu abordable, malgré le fait qu’Hegel soit un idéaliste forcené et parfois même un réactionnaire politique ou social. C’est le Hegel philosophe révolutionnaire qui reste irremplaçable pour décrypter le monde dans ses aspects les plus contradictoires, pour comprendre un monde, matériel, comme vivant, humain et social, qui est dirigé par la lutte entre ses forces contradictoires.

Dans tous ces domaines, présentés le plus souvent séparément et indépendamment, c’est la dialectique de la liberté et de la nécessité, de la vie et de la mort, de la conservation et du changement, du quantitatif et du qualitatif, du préexistant et de l’émergent, de la structure et du contenu, du lent et du rapide, de l’ordre et du désordre, du local et du global, du continu et du discontinu, une dialectique générale au monde réel qui est à l’œuvre et qu’il convient de mettre en évidence, pour comprendre, pour interpréter les plus étonnantes des propriétés du monde. On ne peut concevoir sans une telle philosophie ni les propriétés du monde matériel quantique, ni les propriétés de la conscience, ni la crise historique du capitalisme, ni la crise de la conscience communiste révolutionnaire du prolétariat. Sans cette dialectique du fonctionnement universel, nous sommes condamnés à rester dans le noir et à développer des discours moraux mais impuissants. Seule cette dialectique nous ouvre la porte de la compréhension des situations apparemment les plus incompréhensibles.

Penser le monde sans la dynamique des contradictions, c’est la mort....

Qu’est-ce que la dialectique ?

Dialectique et révolution sociale

Quel lien entre philosophie et politique révolutionnaire ?

Ceux qui veulent nous enfermer dans des contradictions diamétrales en politique

Matérialisme dialectique, science de la révolution

Messages

  • Lisons-le…

    G.W.F Hegel, dans « Die Verfassung Deutschlands » :

    « Tous les phénomènes de notre temps montrent que la satisfaction ne se trouve plus dans la vie traditionnelle ; cette vie se bornait à dominer sa propriété d’une façon ordonnée, à contempler et jouir de son petit monde complètement subordonné, - et puis il y avait aussi la conciliation avec cette limitation par la destruction de soi et par l’élévation de soi au ciel dans la pensée.

    D’une part, la misère du temps a attaqué cette propriété ; d’autre part, ses dons luxueux ont aboli la limitation, et dans les deux cas, ce temps a transformé l’homme en maître, et rendu suprême sa puissance sur le réel… La souffrance des hommes et l’aspiration à une vie meilleure ont soufflé sur ce temps. Son élan se nourrit dans l’action des grands hommes, dans les mouvements de nations entières… »

    G.W.F Hegel, dans « Cours d’Histoire de la Philosophie » :

    « Plus vivace, plus mobile et plus spirituelle est la philosophie française…Le matérialisme et l’athéisme apparaissent ici comme le résultat nécessaire de la pure conscience de soi active. D’une part, ce mouvement négatif fait s’écrouler toute détermination qui représente l’Esprit comme un au-delà de la conscience de soi ; toutes ses déterminations (y compris celles qui le définissent comme esprit), toutes les représentations de la foi en lui et qui l’acceptent comme un être qui existe en dehors de la conscience de soi, toute traditions, tout ce qui est imposé en dehors de la conscience de soi, toute tradition, tout ce qui est imposé par l’autorité disparaît… Logiquement, la conscience de soi se conçoit elle-même comme matière : l’âme est matérielle, les idées sont des mouvements et des modifications du cerveau qui suivent les impressions externes des sens…

    L’admirable dans les écrits philosophiques français, et ce qui fait leur importance, c’est leur étonnante énergie… C’est leur caractère qui est admirable, le caractère du sentiment d’indignation la plus profonde contre l’acceptation de tout ce qui était étranger à la conscience de soi… c’est une certitude de la vérité rationnelle qui défie le monde des idées reçues et qui est certaine de sa destruction. Elle a battue en brèche tous les préjugés et en a triomphé…

    L’athéisme, le matérialisme et le naturalisme français sont associés avec un profond sentiment d’indignation contre les présupposés non critiques et les valeurs positives de la religion, de droit, de la morale et des institutions civiles…

    Il est trop facile de reprocher aux Français leurs attaques contre la religion et contre l’Etat. Il faut avoir un tableau de l’horrible condition de la société, de la misère, de la bassesse qui régnaient en France, pour reconnaître le mérite de ces écrivains…

    En ce qui concerne l’Etat, ces philosophes n’ont pas du tout pensé à une révolution ; ils ont souhaité et exigé des améliorations, mais, surtout subjectivement, ils ont souhaité que le gouvernement abolisse les abus, appelle des hommes honnêtes pour faire des réformes…

    La révolution française a été rendue inévitable par le rigide entêtement des préjugés, par l’orgueil, la totale absence de pensée, l’avidité. »

    G.W.F Hegel, dans « Uber die neuesten Verhaltnisse Würtembergs » (1798) :

    « Qu’ils sont aveugles, ceux qui s’imaginent que des institutions, des constitutions, des lois qui ne sont plus en accord avec les mœurs, les besoins, l’opinion des hommes, des lois qui n’expriment plus l’Esprit, peuvent continuer à subsister – que des formes dans lesquelles l’intelligence et le sentiment ne s’intéressent plus sont assez puissantes pour constituer l’unité d’un peuple !

    Toutes les tentatives de restituer, par un barbouillage grandiloquent, la confiance en des rapports et des parties d’une constitution que la confiance a quittée, de donner un vernis de belles paroles aux fossoyeurs, non seulement couvrent de honte leur malins inventeurs, mais encore préparent une éruption bien plus effrayante, dans laquelle au besoin de l’amélioration s’ajoutera la vengeance ; et la foule toujours dupée punit aussi la malhonnêteté. Devant le sentiment de l’ébranlement de toutes choses, on peut attendre tranquillement et aveuglément, sans rien faire, l’écroulement du vieil édifice plein de fissures et attaqué dans ses racines… »

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