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Ni Dieu Ni Maître ! Comment peut-on être Persan ?

samedi 3 novembre 2018, par Alex

Les questions de l’antisémitisme, de l’oppression des femmes, du racisme anti-noir se posent régulièrement. Mais répondre au racisme par l’anti-racisme est un piège mortel. Toutes les formes de racisme violent sont des produits de la lutte des classes, et ont pour but de brouiller celle-ci en promouvant la lutte des races, des sexes, des religions. Même concernant ces questions, la boussole reste le fait que :

Par son contenu, le socialisme moderne est, avant tout, le produit de la prise de conscience, d’une part, des oppositions de classes qui règnent dans la société moderne entre possédants et non-possédants, bourgeois et salariés, d’autre part, de l’anarchie qui règne dans la production. (Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique).

Une réponse à la question-titre, ou à celles obtenues remplaçant Persan par : juif, femme ou noir, bref par une des catégories des ’Humiliés et offensés’ qui subissent souvent le plus d’attaques lors d’épisodes de la contre-révolution, est donc : ce sont des catégories qui en première analyse ne sont pas fondamentales aux yeux des marxistes, n’existent même pas, et les reconnaître est s’engouffrer vers des impasses théoriques et pratiques.

Etre juif, femme ou noir est en effet indéfinissable en première analyse. La méthode à suivre pour apporter une réponse à ce type de question est d’ailleurs indiquée par Engels dans la suite du texte ci-dessus :

par sa forme théorique, [le socialisme moderne] apparaît au début comme une poursuite plus avant et qui se veut plus conséquente, des principes établis par les grands philosophes des lumières dans la France du XVIIIe siècle. Comme toute théorie nouvelle, il a dû d’abord se rattacher au fonds d’idées préexistant si profondément que ses racines plongent dans les faits économiques.

Les grands hommes qui, en France, ont éclairé les esprits pour la révolution qui venait, faisaient eux mêmes figure de révolutionnaires au plus haut degré. Ils ne reconnaissaient aucune autorité extérieure, de quelque genre qu’elle fût. Religion, conception de la nature, société, régime politique, tout fut soumis à la critique la plus impitoyable ; tout dut justifier son existence devant le tribunal de la raison ou renoncer à l’existence. La raison pensante fut le seul et unique critère appliqué à toute chose. Ce fut le temps, où, comme dit Hegel, le monde était mis sur sa tête, en premier lieu dans ce sens que le cerveau humain et les principes découverts par sa pensée prétendaient servir de base à toute action et à toute association humaines, et, plus tard, en ce sens plus large, que la réalité en contradiction avec ces principes fut bouleversée en fait de fond en comble. Toutes les formes antérieures de société et d’État, toutes les vieilles idées traditionnelles furent déclarées déraisonnables et jetées au rebut ; le monde ne s’était jusque là laissé conduire que par des préjugés ; tout ce qui appartenait au passé ne méritait que pitié et mépris. Enfin se levait le jour, le règne de la raison ; désormais, la superstition, l’injustice, le privilège et l’oppression devaient être détrônés par la vérité éternelle, la justice éternelle, l’égalité fondée sur la nature, et les droits inaliénables de l’homme. (Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique)

Or que disait Rousseau, un de ces « grands hommes qui, en France, ont éclairé les esprits pour la révolution » ? Un auteur universitaire, dont nous avons légèrement modifié le texte afin qu’il soit lisible dans un cercle ouvrier, en donne l’aperçu suivant :

Pour Rousseau, la liberté humaine se manifeste par la capacité de s’affranchir de la nature, donc par l’absence de « définition » ou d’« essence » de l’être humain. Un être humain est différent d’un objet fabriqué. C’est la théologie qui conçoit l’homme comme un objet, un outil fabriqué par Dieu l’artisan supérieur. Dans une telle vision la liberté humaine disparaît, puisque l’être humain se trouve prisonnier d’une nature, d’une finalité ou d’un modèle dont il ne peut s’évader. Dans son Discours de l’origine de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau le premier pose cette idée que Kant reprendra :« Tout animal a des idées, puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point : et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins (...) Ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique que sa qualité d’agent libre, (...) c’est dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme. »

Rousseau montre que c’est en raison directe de cette capacité à ne pas être prisonnier des déterminations naturelles que seul l’homme se heurte aux problèmes de l’histoire individuelle et de l’histoire collective : par l’éducation et par la politique. Une telle conception anti-naturaliste de l’homme a de profonds retentissements dans l’ordre politique. Rousseau puis Kant montrent que l’homme est perfectible, que cette perfectibilité est un dépassement continuel de la nature, l’être humain se construit lui-même, c’est un être historique. Cette historicité est un arrachement continuel aux déterminations naturelles. Rousseau venait de trouver la première parade radicale contre le racisme : l’« homme sauvage », quand bien même il commencerait son évolution par des fonctions purement animales et évoquerait encore l’animalité par son manque d’historicité, n’a rigoureusement rien d’un animal. Il est guidé par des facultés communes à tous les hommes en tout temps et tout lieu. Ces facultés, bien qu’encore peu développées, portent en germe le signe d’une liberté infinie dont le déploiement est conçu comme un processus de dépassement de la nature. Chez Rousseau, l’humanité restait une seule et même humanité.

Cet humanisme est la raison de la haine dont Kant, à cet égard disciple de Rousseau, et Rousseau lui-même , furent poursuivi pendant deux siècles.

(D’après Zeev Sternel, Les Anti-Lumières).

Ce point de vue était bien connu des ouvriers conscients il y a 150 ans. Voici par exemple un compte-rendu du Congrès ouvrier de 1876 à Paris :

Jusqu’ici on a fait de la femme un être idéal ou esclave. C’est de là que viennent tous les maux ; il faut que cet état cesse, et que la femme devienne l’égale de l’homme. La logique le veut ainsi. De quel droit les ouvriers demanderaient-ils l’égalité entre eux et les bourgeois, s’ils ne commençaient par la reconnaître entre eux et les femmes ? L’homme n’est pas supérieur à la femme par l’intelligence , car l’intelligence se mesure
au poids du cerveau, et Buchner a démontré l’égalité relative des cerveaux humains. Pour ce qui est du corps, il est évident, pour tout homme impartial, que la différence des fonctions physiques ne saurait, en aucun cas, être présentée comme un avantage de l’un des sexes sur l’autre. Si les organes sont différents, c’est qu’ils servent à des fonctions différentes. Ceci constitue une équivalence, et non une supériorité ou une infériorité. Du reste, qui sait ce que nous réserve l’accumulation des siècles ? Tout change dans le monde, tout se perfectionne, l’espèce humaine comme les autres espèces d’animaux. Peut-être viendra-t-il un jour où les différences sexuelles auront disparu, et ce jour-là personne ne dira plus que la nature a créé l’homme supérieur à la femme.

Olivier De Ceinmar, Les doctrines des congrès ouvriers de France : Paris—Lyon—Marseille. (1880)

Bien entendu, malgré tout ce qui précède, nier l’antisémitisme, le racisme et l’oppression des femmes dans la société actuelle serait une preuve de dégénérescence de tout courant révolutionnaire. ne pas traiter ces questions une erreur lourde de conséquence.

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