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Hendrik Casimir expose l’effet Casimir

mardi 22 janvier 2019, par Robert Paris

Comment Henrik B. Casimir, découvreur de l’effet du même nom qui met en évidence et confirme la pression du vide quantique, expose sa conception du vide quantique

« Le vide et l’énergie de point zéro

« Qu’est-ce que le vide ? Une définition simple semblerait : un domaine de l’espace qui ne contient aucune matière d’aucune sorte. Et nous savons – ou moins nous croyons savoir – que toute matière consiste en atomes.

Il existe assez peu d’espèces d’atomes différentes, un petit peu plus de cent, que nous pouvons isoler par des procédures chimiques de routine. Si nous prenons en compte l’existence des isotopes, versions peu différentes du même atome pour la chimie et la physique, le nombre monte à quelque chose comme mille, et le nombre de types d’atomes est un petit nombre, comparé au nombre énorme d’atomes, par millions de millions que contient un petit bout de matière.

Mais atomes donnent naissance à une richesse presque inépuisable de constructions. Les atomes peuvent voleter librement, comme dans un gaz, ou ils peuvent s’organiser en réseaux réguliers, comme dans un solide. Ils peuvent aussi se combiner entre eux, pour former des molécules d’une complexité toujours plus grande, particulièrement dans la matière qui forme les organismes vivants. Une grande cathédrale, ou une cellule vivante, qui contient au plus quelques douzaines d’espèces différentes d’atomes.

Mais cessons d’énumérer les choses que le vide ne contient pas. Contient-il quoi que ce soit d’autre ? Le son ne peut passer par le vide, car le son est une vibration de la matière. Mais la force qui lie les aimants peut agir au travers du vide, tout comme la force qui lie les corps chargés électriquement. La lumière et les autres types de rayonnement peuvent se propager dans le vide. Ne serait-ce pas le cas, nous ne pourrions voir le soleil et les étoiles, et nous n’aurions pas de contact radio avec les satellites.

On peut donc comprendre que naguère les physiciens aient supposé que le vide, quoique vide toute matière tangible, contenait une substance omniprésente, l’éther. Le progrès de notre connaissance des atomes laissa de moins en moins de place pour cette substance hypothétique ; mais longtemps avant que soit atteint le niveau actuel de connaissances, la relativité d’Einstein avait donné un coup presque décisif à la notion d’éther.

Que faire dans cette impasse ? Suivrons-nous le Méphisto du « Faust » de Goethe, qui dit que lorsque les idées nous font défaut, un mot survient à point nommé ? En tout cas, nous disons que, dans le vide comme dans la matière, il existe un champ magnétique et un champ électrique…

Le champ électromagnétique n’est pas le seul champ de forces ; et je dois aussi corriger mon énoncé selon lequel toute la matière consiste en atomes. A l’aide de grands accélérateurs, nous pouvons produire un certain nombre de particules subatomiques, mais seulement quelques-unes, dont la vie est très brève. Pour un coût énorme, elles nous donnent quelques aperçus de types de matière totalement différents. Ira-t-on dire que ceux-ci sont présents sur un mode latent dans le vide non perturbé ? (…) Dans ce bref chapitre, je traiterai seulement de quelques particularités propres au champ électromagnétique ; mais, même là, je ne discuterai pas de ce qui peut se produire pour des intensités très élevées ou pour des très hautes fréquences.

La théorie macroscopique classique des champs électromagnétiques dans le vide est bien connue, et pour ceux de ses résultats dont nous avons besoin, ils peuvent être décrits qualitativement sans mathématiques.

Les ondes électromagnétiques peuvent voyager au travers du vide sans perdre leur énergie et sans se perturber l’une l’autre. Si des ondes de ce type étaient confinées dans une boîte aux parois parfaitement réfléchissantes, elles pourraient rester là pour toujours.

La situation la plus générale sera une superposition d’ondes stationnaires, dont chacune s’adapte parfaitement à la boîte et constitue donc, en termes techniques, un mode d’oscillation.

Mais une telle cavité idéale n’existe pas. Dans la réalité, les ondes seront absorbées après un certain nombre de réflections et par ailleurs les parois vont émettre de temps en temps du rayonnement.

Si les parois sont maintenues à température fixe, un équilibre thermique va s’installer. Le vide acquiert une température et une chaleur spécifique. La situation est assez semblable à celle d’un gaz où les atomes ou les molécules volètent librement et perdent de l’énergie au bénéfice des murs, à moins qu’ils n’en reçoivent.

La théorie cinétique des gaz et, plus généralement, la mécanique statistique traitent cette situation en détail. A l’équilibre thermique, les atomes ont une distribution de vitesses et la valeur moyenne de l’énergie cinétique est donnée par la formule 3/2 de kT, où T est la température absolue et k une constante universelle qui lie la température à l’énergie.

Or, divers physiciens, dont Max Planck, ont appliqué les méthodes de la théorie cinétique aux ondes électromagnétiques dans une cavité ; ils sont parvenus à la conclusion inévitable que, tant que la mécanique classique et l’électrodynamique seront valables, chaque mode devra présenter une énergie moyenne de kT.

Ensuite nous étions dans l’embarras ; la théorie cinétique des gaz traite d’un nombre fini d’atomes, disons N, tandis que l’énergie moyenne totale est donc 3/2 de N fois kT.

Mais, dans le cas des ondes électromagnétiques, leur nombre n’est pas limité nous ne pouvons prendre en compte des ondes courtes et longues, et ceci signifie que l’énergie totale n’a pas de limite supérieure.

Ici Planck fit un pas décisif ; et sa contribution ne résolut pas seulement cette énigme particulière, elle inaugura aussi une ère entièrement nouvelle pour la physique. Je ne suivrai pas ici le développement historique des travaux ; je présenterai ce qui me semble être la description la plus simple des résultats obtenus par Planck.

Pour lui, une onde électromagnétique de fréquence f peut seulement avoir, perdre ou gagner des quantités discrètes d’énergie. La valeur de ce quantum est h fois la fréquence f, où h, dite constante de Planck, est la nouvelle constante de la nature.

Nous pouvons à présent raisonner schématiquement comme ceci. Une onde se voit attribuer par la théorie statistique une énergie moyenne de kT, mais si cette quantité est trop petite en comparaison du quantum, elle n’obtiendra rien du tout. Si quelqu’un qui est habitué à donner des pourboires d’un dollar constate qu’il n’a sur lui que des coupures de dix dollars, il décidera normalement de ne pas donner de pourboire du tout.

Plus précisément, dans la théorie de Planck, un mode doté d’une fréquence f aura une énergie moyenne F(a) fois kT où a = h fois la fréquence f divisé par kT et où F(a) vaut 1 quand a est beaucoup plus petit que 1, et décroît rapidement pour des valeurs grandes de a.

En termes mathématiques, F(a) vaut a divisé par (e puissance a moins 1).

Je ne dirai rien de plus sur les triomphes de la théorie quantique, mais je discuterai un trait qui semble brouiller la simplicité de ce que j’ai écrit jusqu’ici.

Pour la mécanique quantique, les niveaux d’énergie d’un oscillateur ne sont pas

0, 1 h fois f, 2 hxf, 3 hxf, … etc.

mais

½ hxf, 3/2 hxf, 5/2 hxf, …. et ainsi de suite.

L’énergie la plus basse n’est pas zéro, mais ½ hxf (f étant la fréquence).

On peut donner à ce fait une explication qualitative grâce au principe d’incertitude d’Heisenberg : si nous donnons à toutes les variables spatiales une détermination de plus en plus précise, les vitesses vont s’emballer, et si nous déterminons les vitesses, les déterminations spatiales devront être imprécises.

A l’état fondamental d’un oscillateur, le meilleur compromis possible est atteint : pour un solide au zéro absolu, les atomes ne sont pas au repos complet, ils bougent autour de leur position d’équilibre.

L’existence de ce mouvement dit « de point zéro » peut être vérifiée par la dispersion par les rayons X.

Une autre preuve de cette existence d’une énergie de point zéro peut aussi être fournie par la comparaison de deux isotopes. Les fréquences des vibrations thermiques, et donc de l’énergie de leurs quanta, sont proportionnelles à l’inverse de la racine carrée de la masse atomique ; et ceci conduit à une différence – la seule – pour l’énergie interne, et par suite pour la chaleur d’évaporation et la pression de vapeur entre ces deux isotopes. Ceci a été vérifié pour les isotopes du néon.

Pour l’ingénieur électricien, les ondes stationnaires dans une cavité sont tout aussi réelles que les vibrations thermiques dans un solide – peut-être plus tangibles encore.

Ne devrions-nous pas ajouter simplement une énergie de point zéro à la formule de Planck, pour trouver l’énergie totale de l’espace prétendu vide ? Non, cela ne marche pas du tout, car le nombre total de modes est illimité. Le fait est que le nombre de modes dont les fréquences sont inférieures ou égales à une valeur f est proportionnel à f puissance trois, et donc leur contribution totale à l’énergie est f puissance quatre.

Que pouvons-nous y faire ? Une première réponse, un peu primitive, serait de dire : puisque cette énergie de point zéro menace de devenir infinie, nous ferions mieux de l’ignorer ; et puisqu’elle devient trop grande, nous la fixerons à zéro. Mais cela n’est pas très satisfaisant, bien que suffisant pour de nombreuses applications.

Nous pouvons aussi tronquer les hautes fréquences en choisissant une fréquence seuil F, et en multipliant l’énergie de point zéro de chaque mode par un facteur e puissance moins f/F.

L’énergie totale de point zéro sera alors finie et proportionnelle à F puissance quatre.

D’un point de vue formel, ce traitement ressemble à celui choisi par Planck pour l’excitation thermique des modes ; mais les formules de Planck étaient fondées sur des concepts nouveaux et importants et s’accordaient parfaitement avec les données expérimentales.

Dans le cas présent, il n’y a pas de théorie solide pour déterminer la fréquence-seuil, ni de façon fiable de mesurer l’énergie électromagnétique totale dans une cavité au zéro absolu.

Mais une autre approche est plus productive. Nous pouvons déterminer l’énergie de point zéro de deux situations différentes et interpréter la différence comme une différence réelle en énergie.

Nous trouvons alors, et c’est passablement surprenant, que cette différence a souvent une valeur finie et bien définie pour la limite F tendant vers l’infini.

L’exemple le plus simple est celui de l’attraction entre deux plaques parfaitement conductrices que l’on peut traiter de la manière suivante.

On considère une enceinte cubique de volume L puissance trois, bornée par des parois parfaitement conductrices, et l’on met dans cette enceinte une plaque carrée elle aussi parfaitement conductrice de surface L puissance deux, parallèle à l’une des parois.

Dans la situation I, la partition ainsi déterminée est au milieu, et donc à distance L divisé par deux de la paroi ; dans la situation II elle est à courte distance d’une paroi, soit d. Cela signifie que dans la situation I l’enceinte de départ est partagée en deux chambres de taille égale que nous appellerons Ca et Cb.

Dans la situation II, elle est divisée en une grande chambre Cg et une autre, réduite, Cr.

On calcule la sommation S(C) sur une chambre C de tous les termes en ½ de h fois f fois e puissance moins f/F.

Puis, on calcule U = S(Cg) + S(Cr) – S(Ca) – S(Cb)

On somme sur les fréquences de tous les modes, c’est-à-dire de toutes les ondes stationnaires possibles dans l’enceinte considérée.

Un traitement mathématique simple montre que pour la limite F tendant vers l’infini,

U = Pi/360 fois L² fois h fois c divisé par d puissance trois
ce que l’on peut interpréter comme une énergie, et donne une force d’attraction :

F = Pi/120 fois L² fois h fois c divisé par d puissance quatre

C’est ce que l’on appelle l’effet Casimir.

La configuration simple discutée ici n’a pas fourni le point de départ de mon travail sur l’énergie de point zéro.

Elle consacra la fin d’un développement qui commença par un article que j’ai publié avec Polder et où, suivant une suggestion d’Overbeek, nous étudiions l’influence du retard sur les forces de Van der Waals.

Je devrais aussi mentionner ma dette à Niels Bohr. Lorsqu’à l’occasion d’une visite à Copenhague je mentionnai à Bohr mon travail avec Polder, et lui dit ma surprise devant certaines formules asymptotiques, il grommela : « doit avoir quelque chose à faire avec l’énergie de point zéro ». C’est tout ce qu’il en a dit ; mais à y repenser il me semble que c’est cette remarque qui m’a mis sur une nouvelle piste.

Retournons au cas le plus simple, l’attraction entre deux plaques parfaitement conductrices. La force est petite mais mesurable, et pour la microtechnologie d’aujourd’hui, c’est certainement un facteur avec lequel il faut compter.

Je ne crois pas pour autant que cette « force de point zéro » puisse nous procurer une nouvelle source » d’énergie.

On a remarqué que lorsqu’on laisse deux plaques de matériau conducteur se rapprocher, l’on gagne de l’énergie ; et que l’on en gagne plus encore si un grand nombre de feuilles minces sont associées.

Cela est indubitablement vrai, mais l’énergie totale libérée n’est ni très accessible, ni très grande ; il existe une borne supérieure, qui sera atteinte si nous réduisons le matériau en ses atomes individuels et si nous laissons ces atomes condenser en un corps solide.

La chaleur d’évaporation est la borne supérieure ce que l’on peut obtenir.

L’effet Casimir, que l’on me pardonne d’employer le mot, ne nous donne pas un accumulateur d’énergie commode. Serait-ce le cas, il faudrait recharger celui-ci en séparant à nouveau les parties associées. Je ne prévois pas d’application technique à grande échelle dans cette direction.

Mais, pourrait-on demander, la confirmation expérimentale de la théorie ne prouve-t-elle pas l’existence de l’énergie de point zéro dans le vide ; et ceci ne montre-t-il pas que le vide contient une quantité énorme d’énergie ? Même si l’on accepte ce point, cela ne sera d’aucun usage.

Il en va comme de l’énergie potentielle d’une masse d’eau. L’on ne pourra capter cette énergie qu’en laissant l’eau s’écouler plus bas ; et ce niveau inférieur nons saturé en eau sera disponible dans le cas d’un lac de montagne, mais pas dans le cas d’un océan profond.

Or, nous ne disposons pas d’un espace sans rayonnement qui nous permettrait de capter l’énergie de point zéro. A tout le moins, pas à grande cadence.

On peut certes avancer que, dans le cas de deux plaques proches, une partie des ondes de l’intervalle seront supprimées. Mais cela ne nous permet guère mieux de capter l’énergie de point zéro.

Pour moi, c’est encore un peu un miracle que la procédure que j’ai esquissée ci-dessus marche effectivement et que nous puissions déterminer sans ambiguïté la différence entre deux sommes divergentes.

Revenons un instant à l’analogie hydrodynamique. Nous pouvons étudier les vagues, les hausses et les baisses des marées d’un océan profond, et ce sans nous soucier des eaux profondes – mais les eaux profondes sont là.

Dans ce bref essai j’ai traité semblablement les variations de l’énergie de point zéro. Mais les hautes fréquences sont-elles là effectivement, ou toute cette histoire n’est-elle qu’un truc mathématique sans signification physique ? Je ne connais pas la réponse. En revanche, et quelle que soit la réponse, le vide, qui semblait constitué de vacuité toute nue, s’avère abriter de curieux mystères.

Références

Pour une excellente présentation : Miloni P.W. « The Quantum Vacuum », Academic Press, 1994

Casimir H. B. G., « Sur les forces de Van der Waals-London », Journal de chimie physique 46, 407-410, 1949 (communication présentée à une rencontre tenue à Paris, 12-17 avril 1948).

Casimir H. B. G., « On the attraction between two perfectly conducting plates », Proc. K. Nd. Akad. Wet. 51, 793, 1948 (communication présentée à la séance de mai 1948).

Casimir H. B. G. , “On the interaction between atomic nuclei and electrons”

Casimir H. B. G. , “Haphazard and Reality”

Les rapports avec la chimie des colloïdes et les prédictions d’Overbeeks sont étudiés dans Verwey E. J. W.et Overbeek J. T. G. « Theory of the Stability of Lyophobic Colloïds », Elsevier, Amsterdam, 1948

article de Casimir Hendrik, au sein de l’ouvrage collectif « Le Vide » dirigé par Edgard Gunzig et Simon Diner

Note de Matière et Révolution :

Il faut remarquer que l’effet Casimir, confirmé par de multiples expériences, est loin d’être le seul effet qui permette de vérifier par des expériences l’existence physique d’un vide quantique pourvu de propriétés physiques mesurables et interprétables.

L’optique quantique offre de multiples expériences en ce sens. Elle permet de mesurer et de manipuler les fluctuations quantiques des phénomènes lumineux du vide. Les fluctuations du vide quantique ont des effets indirects mesurables à l’origine de déplacements des niveaux d’énergie dans un atome, déplacements très faibles mais mesurables appelés « Lamb Shift », à l’origine aussi de l’instabilité des niveaux excités, émission stimulée par les fluctuations du vide quantique. (expérience utilisant l’interféromètre de Michelson).

On remarquera que le vide quantique apparaît à toutes les échelles de la Physique :

 en microphysique, il est nécessaire, par exemple, dans la théorie de Dirac où il apparaît comme un négatif de la matière

 en électrodynamique et en chromodynamique quantiques, le vide se comporte comme un milieu diélectrique et donne lieu à des phénomènes de polarisation qui expliquent les propriétés de la matière

 en cosmologie quantique, le vide présente des fluctuations ou ondulations qui ont des propriétés créatrices…

D. Finkelstein conclue dans « Theory of Vacuum » :

« La structure du vide est le problème central de la physique d’aujourd’hui. »

Lire encore :

L’effet Casimir

L’énergie du vide

Que sont les fluctuations du vide quantique ?

Qu’est-ce que le vide quantique

Les propriétés du vide quantique

Mécanique quantique et fluctuations du vide

Lire encore sur le vide

L’effet Casimir dynamique

L’effet Casimir existe aussi en physique classique

Effet Casimir dans les fluides

L’effet Casimir thermique classique

Lire une thèse sur ce thème

Étude expérimentale des forces de Casimir

Lire aussi les contributions du séminaire Poincaré 2002

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