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Richard III, roi d’Angleterre pendant la guerre des Deux Roses, décrit par Shakespeare

mardi 14 mai 2019, par Robert Paris

Richard III, roi d’Angleterre pendant la guerre des Deux Roses, décrit par Shakespeare

Richard III est devenu roi en 1483, pendant une période très agitée de l’histoire d’Angleterre, la guerre civile (dite des Deux roses) faisait rage, car deux branches de la famille royale, les York et les Lancaster (toutes deux Plantagenet) estimaient avoir droit au trône d’Angleterre.

Friedrich Engels dans « La décadence de la féodalité et l’essor de la bourgeoisie » :

« L’Angleterre avait enfin abandonné ses guerres don quichottesques de conquêtes en France, qui, à la longue, l’auraient saignée ; la noblesse féodale chercha une compensation dans les guerres des Deux-Roses et trouva plus qu’elle avait cherché ; elle s’usa et mit sur le trône la dynastie des Tudor dont la puissance royale dépassa celle de tous ses devanciers et de ses successeurs. »

LA TRAGÉDIE DU ROY RICHARD TROISIÈME

contenant, ses complots perfides contre son frère Clarence : le pitoyable meurtre de ses innocents neveux : son usurpation tyrannique : avec le cours entier de sa vie détestée et de sa mort très-méritée.

[La salle du trône dans le Palais.]

Fanfares. Richard, en habits royaux, sur son trône ; Buckingham, Catesby, un page, et d’autres personnages.

RICHARD
— Rangez-vous tous… Cousin de Buckingham !

BUCKINGHAM
— Mon gracieux souverain ?

RICHARD
— Donne-moi ta main. C’est par ton avis et par ton assistance — que le roi Richard est assis à cette hauteur. — Mais ces splendeurs, ne devons-nous les porter qu’un jour, — ou doivent-elles être pour nous de durables jouissances ?

BUCKINGHAM
— Puissent-elles exister à jamais et durer toujours !

RICHARD
— Ah ! Buckingham, c’est maintenant que je vais faire jouer la pierre de touche — pour voir si tu es de bon or, vraiment. — Le jeune Édouard vit… Songe à ce que je veux dire.

BUCKINGHAM
— Parlez, mon bien-aimé seigneur.

RICHARD
— Eh bien, Buckingham, je le répète, je voudrais être roi.

BUCKINGHAM
— Eh bien, vous l’êtes, mon trois fois illustre seigneur.

RICHARD
— Ah ! suis-je roi ? c’est juste. Mais Édouard vit.

BUCKINGHAM
— C’est vrai, noble prince.

RICHARD
Ô amère conclusion, — que Richard vive encore !… C’est vrai, noble prince !… — Cousin, tu n’avais pas coutume d’avoir la tête si dure. — Faut-il que je m’explique ? Je voudrais les bâtards morts. — Je voudrais que cela fût fait sur-le-champ. — Que dis-tu à présent ? Parle vite, sois bref.

BUCKINGHAM
— Votre grâce peut faire ce qui lui plaît.

RICHARD
— Bah ! bah ! tu es tout de glace, ton dévouement gèle. — Dis, ai-je ton consentement à ce qu’ils meurent ?

BUCKINGHAM
— Donnez-moi le temps de respirer, cher lord, — avant que je me prononce positivement. — Je répondrai à votre grâce tout à l’heure.
Il sort.

CATESBY, à part.
— Le roi est en colère : voyez, il se mord les lèvres.

RICHARD, descendant de son trône.
— Je m’adresserai à des fous à tête de fer, — à des garçons sans scrupule : il n’est pas mon homme — celui qui regarde en moi d’un œil inquisiteur. — Buckingham parvenu devient circonspect. — Page !

LE PAGE
Milord ?

RICHARD
— Connais-tu quelqu’un que l’or corrupteur — tenterait à faire une œuvre secrète de mort ?

LE PAGE
— Je connais un gentilhomme mécontent, — dont les humbles ressources ne sont pas en rapport avec son âme hautaine. — L’or vaudra pour lui vingt orateurs, — et, sans nul doute, le tentera à tout faire.

RICHARD
— Quel est son nom ?

LE PAGE
Son nom, milord, est Tyrrel.

RICHARD
— Je connais un peu cet homme. Va, page, fais-le venir ici.
Le page sort.
— Le sage Buckingham, le profond penseur, — ne sera plus admis dans mes conseils. — Quoi ! il a si longtemps marché avec moi sans se fatiguer, — et maintenant il s’arrête pour respirer ! Soit.

Entre Stanley.
— Eh bien ! lord Stanley, quelle nouvelle ?

STANLEY
Sachez, mon bien-aimé seigneur, — que le marquis de Dorset a fui, m’a-t-on dit, — pour rejoindre Richmond dans sa retraite.

RICHARD
— Viens ici, Catesby : répands la rumeur — qu’Anne, ma femme, est très-gravement malade. — Je mettrai ordre à ce qu’elle soit enfermée. — Trouve-moi quelque petit gentilhomme, — que je marierai tout de suite à la fille de Clarence. — Quant au fils, il est idiot, et je ne le crains pas. — Voyons, est-ce que tu rêves ?… Je te le répète, répands le bruit — qu’Anne, ma reine, est malade et en danger de mort. — En campagne ! Il m’importe beaucoup — d’arrêter toutes les espérances dont l’accroissement peut me nuire.
Catesby sort.
— Il faut que je me marie à la fille de mon frère, — ou mon trône ne pose que sur un verre fragile. — Assassiner ses frères, et puis l’épouser ! — moyen de triomphe incertain ! Mais je suis — si loin dans le sang que le crime entraîne le crime : — la pitié pleurnicheuse n’entre pas dans ces yeux. —

Le Page entre, suivi de Tyrrel.
Ton nom est Tyrrel ?

TYRREL
— James Tyrrel, votre très-obéissant sujet.

RICHARD
— L’es-tu réellement ?

TYRREL
Éprouvez-moi, mon gracieux lord.

RICHARD
— Oserais-tu te charger de tuer un ami à moi ?

TYRREL
— Si cela vous plaisait ; mais j’aimerais mieux tuer deux de vos ennemis.

RICHARD
— Eh bien, tu as la chose : deux profonds ennemis, — deux adversaires de mon repos, qui troublent mon doux sommeil ; — c’est sur eux que je voudrais te voir opérer. — Tyrrel, je parle de ces bâtards de la Tour.

TYRREL
— Donnez-moi les moyens d’arriver jusqu’à eux, — et je vous débarrasserai vite de la crainte qu’ils vous causent.

RICHARD
— Tu chantes là une suave musique. Écoute ici. Tyrrel. — Va avec ce gage. Lève-toi, et approche l’oreille.
Il lui parle bas.
— Voilà tout. Dis-moi : C’est fait, — et je t’aimerai, et je ferai ta fortune.

TYRREL
— Je vais en finir sur-le-champ.
Il sort.

Entre Buckingham.

BUCKINGHAM
— Milord, j’ai considéré dans mon esprit — la proposition sur laquelle vous venez de me sonder.

RICHARD
— Bien ! laissons cela… Dorset a fui pour rejoindre Richmond.

BUCKINGHAM
— Je viens d’apprendre la nouvelle, milord.

RICHARD
— Stanley, il est le fils de votre femme. Eh bien ! veillez-y !

BUCKINGHAM
— Milord, je réclame la donation qui m’est due par promesse — et pour laquelle vous avez engagé votre honneur et votre foi : — vous savez, le comté d’Hereford et ses dépendances, — dont vous m’avez promis la possession.

RICHARD
— Stanley, veillez à votre femme : si elle fait passer — des lettres à Richmond, vous m’en répondrez.

BUCKINGHAM
— Que dit votre altesse à ma juste requête ?

RICHARD
— Je me souviens… Henry VI a prédit — que Richmond serait roi, — quand Richmond n’était qu’un maussade petit garçon… — Roi !… peut-être…

BUCKINGHAM
Milord…

RICHARD
— Comment se fait-il que le prophète n’ait pas pu me dire — en même temps, à moi qui étais là, que je le tuerais ?

BUCKINGHAM
— Milord, votre promesse du comté…

RICHARD
— Richmond ! La dernière fois que j’étais à Exeter, — le maire, par courtoisie, me montra le château — qu’il appela Rougemont. À ce nom, je tressaillis, — parce qu’un barde d’Irlande m’a dit un jour — que je ne vivrais pas longtemps après avoir vu Richmond.

BUCKINGHAM
— Milord…

RICHARD
Ah ! quelle heure est-il ?

BUCKINGHAM
Je prends la liberté — de rappeler à votre grâce ce qu’elle m’a promis.

RICHARD
— Mais quelle heure est-il donc ?

BUCKINGHAM
Le coup de dix va frapper.

RICHARD
— Eh bien ! laisse-le frapper.

BUCKINGHAM
Comment ! laisse-le frapper ?

RICHARD
— Certainement ! Tu es là, comme un jaquemart d’horloge, à retenir le coup — entre ta demande et ma méditation. — Je ne suis pas dans ma veine donnante aujourd’hui.

BUCKINGHAM.
— Eh bien ! alors dites-moi décidément si vous voulez, oui ou non (62).

RICHARD.
— Tu me troubles. Je ne suis pas dans ma veine.
Richard sort avec sa suite.

BUCKINGHAM.
— C’est ainsi ? Il paie mes immenses services — de pareils mépris ? Est-ce que je l’ai fait roi pour cela ? — Oh ! souvenons-nous d’Hastings, et partons — pour Brecknock, tandis que ma tête menacée est encore sur mes épaules.
Il sort.

Scène XVII

[Même lieu.]

Entre Tyrrel.

TYRREL.
— L’acte tyrannique et sanglant est accompli. — Le forfait le plus grand, le plus lamentable massacre — dont cette terre ait été jamais coupable ! — Dighton et Forrest, que j’avais subornés — pour faire cette besogne d’impitoyable boucherie, — des scélérats incarnés, des chiens sanguinaires, — attendris par une douce compassion, — fondaient en larmes, comme deux enfants, au triste récit de leur mort : — « Oh ! disait Dighton, ils étaient couchés ainsi, les charmants petits ! — Ainsi, ainsi, disait Forrest, les innocents — s’enlaçaient l’un l’autre de leurs bras d’albâtre : — leurs lèvres étaient quatre roses rouges sur la même tige, — se baisant toutes, dans l’épanouissement de leur beauté. — Un livre de prières était posé sur leur oreiller : — à cette vue, dit Forrest, j’ai presque changé d’idée. — Oh ! mais le démon… » Ici le scélérat s’arrêtait, — quand Dighton a continué : « Nous avons étouffé — le chef-d’œuvre le plus charmant — que, depuis la création, ait jamais formé la nature. » — Puis tous deux sont partis, avec une telle conscience et de tels remords — qu’ils ne pouvaient plus parler ; et je les ai quittés — pour venir porter cette nouvelle au roi sanglant.

Entre Richard.
— Le voici qui vient. Salut, mon souverain seigneur !

RICHARD
— Bon Tyrrel ! suis-je heureux dans ta nouvelle ?

TYRREL
— Si l’exécution de la chose dont vous m’avez chargé — doit produire votre bonheur, soyez heureux alors, — car c’est chose faite.

RICHARD
Mais, les as-tu vus morts ?

TYRREL
— Oui, milord.

RICHARD
Et enterrés, gentil Tyrrel ?

TYRREL
— Le chapelain de la Tour les a enterrés : — mais où ? à dire vrai, je ne sais pas.

RICHARD
— Viens me trouver, Tyrrel, aussitôt après souper, — et tu me diras les détails de leur mort. — En attendant, cherche ce que je peux faire de bon pour toi, — et tu hériteras de ton désir. — Au revoir.

TYRREL
Je prends humblement congé de vous.
Il sort.

RICHARD
— J’ai enfermé étroitement le fils de Clarence. — Sa fille, je l’ai mariée en bas lieu. — Les fils d’Édouard dorment dans le sein d’Abraham, — et ma femme Anne a dit au monde bonsoir. — Maintenant, comme je sais que l’homme de Bretagne, Richmond, jette ses vues — sur la fille de mon frère, la jeune Élisabeth, — et, grâce à ce nœud, a l’arrogance de prétendre à la couronne, — je vais me présenter à elle, moi, en joyeux vert-galant. —

Entre Catesby.

CATESBY
Milord !

RICHARD
— As-tu des nouvelles, bonnes ou mauvaises, pour venir si brusquement ?

CATESBY
— Mauvaises nouvelles, milord : Morton a passé à Richmond ; — Buckingham, soutenu par les hardis Gallois, — est en campagne, et ses forces s’augmentent sans cesse.

RICHARD
— Ély, joint à Richmond, m’inquiète bien plus — que Buckingham et ses levées hâtives. — Allons ! j’ai appris que les commentaires de la crainte — sont les auxiliaires de plomb de l’inerte délai. — Le délai traîne avec lui l’impuissance et la limace misère. — Donc, que la foudroyante rapidité me prête son aile ! — Mercure de Jupiter, sois le héraut d’un roi ! — Allez ! rassemblez des hommes ! Mon conseil, c’est mon bouclier. — Il faut abréger, quand les traîtres affrontent la campagne.
Ils sortent.
(…)

Richard et sa suite entrent au pas militaire. La duchesse d’York et la reine Élisabeth lui barrent le passage.

RICHARD
— Qui ose m’interdire le passage ?

LA DUCHESSE D’YORK
— Celle qui aurait pu, en t’étranglant dans ses entrailles maudites, — t’interdire tous les meurtres que tu as commis, misérable !

LA REINE ÉLISABETH
— Tu caches sous cette couronne d’or un front — où, si le droit était le droit, devraient être écrits avec un fer rouge — l’assassinat du prince qui la possédait — et le meurtre horrible de mes pauvres fils et de mes frères ! — Dis-moi, scélérat, où sont mes enfants ?

LA DUCHESSE D’YORK
— Crapaud ! crapaud ! où est ton frère Clarence ? — Et le petit Ned Plantagenet, son fils ?

LA REINE ÉLISABETH
— Où est le gentil Rivers, et Vaughan, et Grey ?

LA DUCHESSE D’YORK
— Où est le bon Hastings ?

RICHARD
— Une fanfare, trompettes ! Battez l’alarme, tambours ! — Que les cieux n’entendent pas ces commères — insulter l’oint du Seigneur. Battez, vous dis-je.
Fanfare. Roulement de tambour.
— Soyez calmes et parlez-moi doucement ; — sinon, je noierai vos exclamations — dans cet éclatant bruit de guerre. —

LA DUCHESSE D’YORK
Es-tu mon fils ?

RICHARD
— Oui, grâce à Dieu, à mon père et à vous-même.

LA DUCHESSE D’YORK
— Eh bien ! écoute patiemment mon impatience.

RICHARD
— Madame, je tiens ce trait de votre caractère — de ne pouvoir supporter l’accent du reproche.

LA DUCHESSE D’YORK
— Oh ! laisse-moi parler !

RICHARD
Soit ! mais je n’écouterai pas.

LA DUCHESSE D’YORK
— Je serai douce et gentille dans mes paroles.

RICHARD
— Et brève, bonne mère, car je suis pressé.

LA DUCHESSE D’YORK
— Es-tu si pressé ? Moi, je t’ai attendu, — Dieu le sait, dans les tourments et dans l’agonie.

RICHARD
— Et ne suis-je pas venu enfin pour vous soulager ?

LA DUCHESSE D’YORK
— Non, par la sainte croix, tu le sais bien, — tu es venu sur terre pour faire de la terre mon enfer. — Ta naissance a été pour moi un poids douloureux ; — ton enfance a été hargneuse et maussade ; — ton temps d’école, terrible, désespérant, extravagant, furieux ; — ta première jeunesse, hardie, effrontée, aventureuse ; — ton âge mûr, altier, subtil, fourbe et sanguinaire, — plus calme, mais plus dangereux encore, caressant dans la haine ! — Peux-tu me citer une heure de soulagement — que j’aie jamais goûtée dans ta société ?

RICHARD
— Aucune, ma foi, si ce n’est l’heure de la faim qui appelait votre grâce — à déjeuner, loin de ma société. — Si ma vue vous est si pénible, — laissez-moi me remettre en marche pour ne plus vous offusquer, madame ! — Battez le tambour.

LA DUCHESSE D’YORK
Je t’en prie, écoute-moi.

RICHARD
— Vous parlez avec trop d’amertume.

LA DUCHESSE D’YORK
Un mot seulement, — et je ne te reparlerai jamais.

RICHARD
— Soit !

LA DUCHESSE D’YORK
— Ou tu périras dans cette guerre, par un juste décret de Dieu, — avant d’en sortir vainqueur, — ou je mourrai moi-même de chagrin et de vieillesse : — dans aucun cas, je ne reverrai plus ton visage. — Donc, emporte avec toi ma plus accablante malédiction ! — Qu’au jour de la bataille, elle te fatigue plus — que l’armure complète que tu portes ! — Mes prières combattront pour le parti contraire ; — et alors les petites âmes des enfants d’Édouard — chuchoteront à l’esprit de tes ennemis, — et leur promettront succès et victoire. — Homme de sang, ta fin sera sanglante : — l’infamie qui a servi ta vie accompagnera ta mort !
Elle sort.

LA REINE ÉLISABETH
— J’ai bien plus de raisons qu’elle, mais bien moins de force pour te maudire ; — je ne puis que dire amen !
Elle s’éloigne.

RICHARD
— Arrêtez, madame, j’ai un mot à vous dire.

LA REINE ÉLISABETH
— Je n’ai plus pour toi de fils de sang royal — à assassiner. Quant à mes filles, Richard, — ce seront des nonnes en prières, et non des reines en pleurs. — Ainsi ne vise pas à frapper leurs vies.

RICHARD
— Vous avez une fille appelée Élisabeth, — vertueuse et belle, royalement gracieuse.

LA REINE ÉLISABETH
— Doit-elle donc mourir pour cela ? Oh ! laisse-la vivre, — et je corromprai ses mœurs, je souillerai sa beauté ; — je me calomnierai moi-même, comme infidèle au lit d’Édouard, — et je jetterai sur elle le voile de l’infamie, — pourvu qu’elle puisse vivre hors de l’atteinte du meurtre sanglant ! — J’avouerai qu’elle n’est pas fille d’Édouard !

RICHARD
— N’outragez pas sa naissance : elle est de sang royal.

LA REINE ÉLISABETH
— Pour sauver sa vie, je dirai qu’elle n’en est pas.

RICHARD
— Sa naissance est la plus sûre garantie de sa vie.

LA REINE ÉLISABETH
— Ses frères sont morts de cette garantie-là.

RICHARD
— Ah ! c’est qu’à leur naissance les bonnes étoiles étaient opposées.

LA REINE ÉLISABETH
— Non, c’est qu’à leur vie de mauvais parents étaient contraires.

RICHARD
— L’arrêt de la destinée est irrésistible.

LA REINE ÉLISABETH
— Surtout quand la résistance à toute pitié hâte cet arrêt. — Mes enfants étaient destinés à une mort meilleure, — si la pitié t’avait fait la grâce d’une meilleure vie.

RICHARD
— Vous parlez comme si j’avais tué mes neveux.

LA REINE ÉLISABETH
— Tes neveux ! c’est bien leur oncle qui leur a tout volé, — bonheur, couronne, famille, liberté et vie ! — Quel que soit le bras qui a percé leur tendres cœurs, — c’est ta tête qui indirectement l’a dirigé. — Sans doute le couteau meurtrier eût été émoussé et obtus, — s’il n’avait été repassé sur ton cœur de pierre — pour jouer dans les entrailles de mes agneaux. — Ah ! si l’habitude de la douleur n’apprivoisait la plus farouche douleur, — ma laugue ne cesserait de te jeter aux oreilles le nom de mes enfants — que quand mes ongles seraient ancrés dans tes yeux, — et quand moi-même, touchant à ce port désespéré de la mort, — pauvre barque, privée de voiles et d’agrès, — je me serais brisée toute sur ton cœur de roc (63) !

RICHARD
— Madame, puissé-je être aussi heureux dans mon entreprise — et dans les périlleux hasards de la guerre — que je suis sincère en vous promettant, à vous et aux vôtres — plus de bien que je ne vous ai fait de mal !

LA REINE ÉLISABETH
— Quel bien la face des cieux couvre-t-elle, — qui, découvert, serait un bien pour moi ?

RICHARD
— L’élévation de vos enfants, noble dame.

LA REINE ÉLISABETH
— À l’échafaud, pour y laisser leur tête ?

RICHARD
— Non, au faîte des honneurs et de la fortune, — pour y être le type impérial et suprême de toutes les gloires de la terre !

LA REINE ÉLISABETH
— Flatte ma douleur de ce récit. — Dis-moi quelle pompe, quelles dignités, quels honneurs — tu peux abdiquer en faveur d’un de mes enfants ?

RICHARD
— Tout ce que je possède, oui, jusqu’à moi-même, — je veux tout donner à un de tes enfants. — C’est dans ce Léthé des colères de ton âme — que tu noieras le triste souvenir des maux — que tu m’accuses de t’avoir causés.

LA REINE ÉLISABETH
— Dis vite, de peur que cet accès de générosité — ne cesse avant que tu aies parlé.

RICHARD
— Sache-le donc : du fond de mon âme, j’aime ta fille !

LA REINE ÉLISABETH
— La mère de ma fille croit cela de toute son âme.

RICHARD
— Et que croyez-vous ?

LA REINE ÉLISABETH
— Que tu aimes ma fille du fond de ton âme ; — comme, du fond de ton âme, tu as aimé ses frères ! — Ah ! mon cœur t’est bien reconnaissant de cet amour-là !

RICHARD
— Ne soyez pas si prompte à mal interpréter ma pensée. — J’aime votre fille de toute mon âme, — et je désire la faire reine d’Angleterre.

LA REINE ÉLISABETH
— Comment ? Qui veux-tu lui donner pour roi ?

RICHARD
— Eh bien, celui qui la fera reine. Quel autre pourrait-ce être ?

LA REINE ÉLISABETH
— Toi !

RICHARD
Moi-même : qu’en pensez-vous, madame ?

LA REINE ÉLISABETH
— Comment pourrais-tu donc lui faire ta cour ?

RICHARD
C’est ce que je voudrais apprendre de vous, — qui connaissez mieux que personne son humeur.

LA REINE ÉLISABETH
— Tu voudrais l’apprendre de moi ?

RICHARD
Madame, de tout mon cœur.

LA REINE ÉLISABETH
— Envoie-lui, par l’homme qui a tué ses frères, — deux cœurs sanglants où seront gravés — ces noms, Édouard et York : sur quoi, peut-être, elle pleurera. — Alors présente-lui un mouchoir pareil à celui que Marguerite — offrit à ton père, plongé dans le sang de Rutland : — dis-lui que celui-là a essuyé — la sève vermeille du corps de son doux frère, — et engage-la à s’en servir pour sécher les larmes de ses yeux. — Si ces séductions ne la décident pas à t’aimer, — envoie-lui dans une lettre le récit de tes nobles actions : — dis-lui que tu as fait disparaître son oncle Clarence, — son oncle Rivers, oui, et que, par intérêt pour elle, — tu as expédié sa bonne tante Anne.

RICHARD
— Vous vous moquez de moi, madame, ce n’est pas — là le moyen de gagner votre fille.

LA REINE ÉLISABETH
Il n’en est point d’autre, — à moins que tu ne puisses prendre quelque autre forme, — et cesser d’être le Richard qui a fait tout cela.

RICHARD
— Si je disais que j’ai fait tout cela pour l’amour d’elle ?

LA REINE ÉLISABETH
— Alors, ma foi ! elle ne pourrait manquer de te haïr — pour avoir acheté son amour au prix de si sanglantes dépouilles.

RICHARD
— Écoutez. Ce qui est fait ne peut plus se réparer. — Les hommes commettent parfois par irréflexion — des actes dont quelques heures suffisent à les faire repentir. — Si j’ai pris la royauté à vos fils, — je veux, en réparation, la donner à votre fille. — Si j’ai tué la race issue de vos entrailles, — je veux, pour ranimer votre postérité, — engendrer de votre fille une famille de votre sang. — Le nom de grand’mère n’est guère moindre en amour — que le titre passionné de mère. — Ce seront toujours vos enfants, à un degré au-dessous. — Ils seront de votre humeur, de votre sang même ; — nés des mêmes douleurs, sauf une nuit de gémissements — endurée par celle pour qui vous avez souffert la pareille. — Vos enfants ont été le tourment de votre jeunesse ; — les miens seront la consolation de vos vieux jours. — Qu’avez-vous perdu ? un fils qui était roi. — Eh bien, cette perte fait votre fille reine. — Je ne puis vous donner tous les dédommagements que je voudrais ; — acceptez donc ce que je peux vous offrir. — Dorset, votre fils, dans l’effroi de son âme, — porte ses pas mécontents sur un sol étranger ; — cette heureuse alliance va le rappeler vite, — pour être promu à de grandes dignités. — Le roi, qui appellera votre charmante fille : ma femme, — appellera familièrement votre Dorset : mon frère ! — Vous serez encore la mère d’un roi, — et toutes les ruines des temps de détresse — seront vite réparées avec les trésors d’un bonheur doublé. — Ah ! nous avons devant nous bien des belles journées. — Les larmes que vous avez versées — vous reviendront transformées en perles d’Orient : — elles vous seront remboursées avec les intérêts — d’une félicité décuple. — Va donc trouver ta fille, ma mère, va ! — Enhardis de ton expérience sa timide jeunesse ; — prépare ses oreilles à entendre des propos d’amoureux ; — allume dans son tendre cœur l’aspiration — à la souveraineté d’or ; révèle à la princesse — les douces heures silencieuses de la joie conjugale ; — et, quand mon bras aura châtié — ce petit rebelle, l’entêté Buckingham, — j’arriverai couronné de guirlandes triomphales, — et je conduirai ta fille au lit d’un conquérant ; — je lui transmettrai mes conquêtes, — et, seule victorieuse, elle sera le César de César !

LA REINE ÉLISABETH
— Que ferai-je bien de lui dire ? Que le frère de son père — voudrait être son mari ? Lui dirai-je que c’est son oncle, — ou que c’est le meurtrier de ses frères et de ses oncles ? — Sous quel titre te vanterai-je, — que Dieu, la loi, mon honneur et sa tendresse — puissent rendre agréables à ses jeunes années (64) ?

RICHARD
— Montre-lui le repos de l’Angleterre dans cette alliance.

LA REINE ÉLISABETH
— Repos acquis par elle au prix d’éternels troubles !

RICHARD
— Dis-lui que le roi, qui peut commander, la supplie…

LA REINE ÉLISABETH
— De consentir à ce que le Roi des rois défend.

RICHARD
— Dis-lui qu’elle sera une haute et puissante reine.

LA REINE ÉLISABETH
— Pour en déplorer le titre, comme sa mère.

RICHARD
— Dis-lui que je l’aimerai toujours.

LA REINE ÉLISABETH
— Mais combien de temps durera ce toujours ?

RICHARD
— Jusqu’à la fin de son heureuse vie, et de plus en plus tendre !

LA REINE ÉLISABETH
— Mais combien de temps sa tendre vie sera-t-elle heureuse ?

RICHARD
— Autant que le ciel et la nature la prolongeront.

LA REINE ÉLISABETH
— Autant qu’il plaira à l’enfer et à Richard.

RICHARD
— Dis-lui que moi, son souverain, je suis son humble sujet.

LA REINE ÉLISABETH
— Mais elle, votre sujette, abhorre une telle souveraineté.

RICHARD
— Appuie-moi auprès d’elle de ton éloquence.

LA REINE ÉLISABETH
— Une honnête proposition, pour être agréée, n’a besoin que d’être simplement dite.

RICHARD
— Dis-lui donc en termes simples mon amoureuse proposition.

LA REINE ÉLISABETH
— Dire simplement ce qui n’est pas honnête, c’est impudent.

RICHARD
— Vos raisons sont par trop superficielles et par trop vives.

LA REINE ÉLISABETH
— Oh ! non ! mes raisons ne sont que trop profondes et trop funèbres. — Il n’est que trop profond et trop funèbre, le tombeau de mes pauvres enfants !

RICHARD
— Ne touchez pas cette corde, madame. Cela est passé !

LA REINE ÉLISABETH
— Je la toucherai, jusqu’à ce que la corde du cœur éclate.

RICHARD
— Eh bien, par mon saint George, par ma Jarretière, par ma couronne…

LA REINE ÉLISABETH
— Tu as profané l’un, déshonoré l’autre, usurpé la troisième.

RICHARD
— Je jure…

LA REINE ÉLISABETH
Par rien ; car ceci n’est pas un serment. — Ton saint George profané a perdu sa dignité sacrée ; — ta Jarretière souillée a laissé en gage sa chevaleresque vertu ; — ta couronne usurpée a souillé sa gloire royale. — Si tu veux faire un serment qu’on puisse croire, — jure donc par quelque chose que tu n’aies pas outragé.

RICHARD
— Eh bien ! par le monde…

LA REINE ÉLISABETH
Il est plein de tes forfaits hideux !

RICHARD
— Par la mort de mon père…

LA RELNE ÉLISABETH
Ta vie l’a déshonorée !

RICHARD
— Alors, par moi-même…

LA REINE ÉLISABETH
Tu t’es toi-même avili !

RICHARD
— Eh bien alors, par Dieu…

LA REINE ÉLISABETH
C’est Dieu que tu as le plus outragé. — Si tu avais craint de rompre un serment fait en son nom, — l’union qu’avait formée le roi ton frère — n’aurait pas été rompue, ni mon frère égorgé. — Si tu avais craint de rompre un serment fait en son nom, — l’impérial métal qui entoure maintenant ta tête — aurait orné les jeunes tempes de mon enfant ; — et ils seraient ici vivants, ces deux tendres princes — qui maintenant, camarades de lit de la poussière, — sont devenus la proie des vers, par ta foi violée ! — Par quoi peux-tu jurer à présent ?

RICHARD
Par l’avenir.

LA REINE ÉLISABETH
— Tu l’as outragé dans le passé. — J’ai moi-même à verser bien des larmes — avant de laver le temps futur de tes outrages passés. — Les enfants dont tu as tué les parents — vivent pour déplorer dans leur vieillesse leur jeunesse abandonnée ; — les parents dont tu as massacré les enfants — vivent pour déplorer avec leur vieillesse leur antique souche desséchée. — Ne jure pas par l’avenir : car tu en as — abusé, avant de l’user, par un passé mal usé.

RICHARD
— S’il n’est pas vrai que je veuille réussir par le repentir, — puissé-je échouer dans ma périlleuse lutte — contre l’ennemi en armes ! puissé-je me confondre moi-même ! — Que le ciel et la fortune me barrent les heures fortunées ! — Jour, refuse-moi ta lumière ; et toi, nuit, ton repos ! — Que toutes les planètes de la bonne chance soient opposées — à mes projets, si ce n’est pas avec l’amour le plus pur, — avec une immaculée dévotion, avec les plus saintes pensées, — que je m’adresse à ta belle et royale fille ! — C’est d’elle que dépend mon bonheur, et le tien. — Sans elle, je prévois pour moi-même et pour toi, — pour elle, pour le pays, et pour bien des âmes chrétiennes, — la mort, la désolation, la ruine, la chute. — Ceci ne peut être évité que par cela : — ceci ne sera évité que par cela. — Ainsi, chère mère, (c’est ainsi que je dois vous appeler), — faites-vous auprès d’elle l’avocat de mon amour : — plaidez ce que je serai, non ce que j’ai été ; — non ce que je mérite, mais ce que je mériterai. — Insistez sur la nécessité et sur la raison d’État, — et ne vous montrez pas revêche à de grands desseins.

LA REINE ÉLISABETH
— Serai-je donc ainsi tentée du démon ?

RICHARD
— Oui, si c’est pour le bien que le démon te tente.

LA REINE ÉLISABETH
— Oublierai-je moi-même d’être moi-même ?

RICHARD
— Oui, si le souvenir de vous-même vous nuit à vous-même.

LA REINE ÉLISABETH
— Mais tu as tué mes enfants !

RICHARD
— Mais je les ensevelis dans le sein de votre fille : — et, dans ce nid parfumé, ils vont renaître — de leurs cendres pour votre consolation.

LA REINE ÉLISABETH
— Vais-je donc gagner ma fille à tes désirs ?

RICHARD
— Et devenir par cette action une heureuse mère.

LA REINE ÉLISABETH
— J’y vais !… Écris-moi bientôt, — et tu apprendras de moi ses intentions.

RICHARD
— Porte-lui le baiser de mou sincère amour, et adieu !
Il l’embrasse. La reine Élisabeth sort (65).
— Folle qui fléchit ! femme futile et changeante !

Entre Ratcliff, suivi de Catesby.
— Eh bien ! quelles nouvelles ?

RATCLIFF
— Très-puissant souverain, sur la côte occidentale — navigue une formidable flotte. Vers le rivage — se pressent une foule d’amis douteux et peu dévoués, — désarmés et irrésolus à la repousser. — On croit que Richmond en est l’amiral : — elle est mouillée là, n’attendant que l’aide — de Buckingham pour protéger le débarquement.

RICHARD
— Que quelque ami au pied léger coure au duc de Norfolk ! — Toi-même, Ratcliff ! ou Catesby !… Eh bien ! où est-il ?

CATESBY
— Ici, mon bon seigneur.

RICHARD
Catesby, vole auprès du duc.

CATESBY
— Oui, milord, avec toute la vitesse possible.

RICHARD
— Ratcliff ici ! Cours à Salisbury ! — Quand tu seras arrivé là…
À Catesby.
Imbécile ! misérable étourdi ! — pourquoi restes-tu là, et ne vas-tu pas trouver le duc ?

CATESBY
— Expliquez-moi d’abord, puissant suzerain, ce que votre altesse désire — que je lui communique.

RICHARD
— Oh ! c’est juste, bon Catesby… Dis-lui de lever immédiatement — les forces les plus imposantes qu’il puisse réunir, — et de venir me rejoindre sur-le-champ à Salisbury. —

CATESBY
Je pars.
Il sort.

RATCLIFF
— Excusez-moi : que dois-je faire à Salisbury ?

RICHARD
— Quoi ! qu’y voudrais-tu faire avant que j’y sois ?

RATCLIFF
— Votre altesse m’avait dit d’y courir en avant.

RICHARD
— J’ai changé d’idée…

Entre Stanley.
Stanley, quelles nouvelles avez-vous ?

STANLEY
— Pas assez bonnes, mon suzerain, pour que le récit vous en plaise, — ni assez mauvaises pour qu’il soit malséant de les dire.

RICHARD
— Oui-dà ! une charade ! ni bonnes ni mauvaises ! — Pourquoi courir par tant de détours, — quand tu pourrais tout droit en venir au fait ? — Encore une fois, quelles nouvelles ?

STANLEY
Richmond est sur les mers.

RICHARD
— Qu’il y sombre, et que les mers soient sur lui ! — Que fait-il là, ce renégat au foie livide ?

STANLEY
— Je ne sais pas, puissant souverain, mais je devine.

RICHARD
— Eh bien ! que devinez-vous ?

STANLEY
— Qu’excité par Dorset, par Buckingham et par Morton, — il fait voile pour l’Angleterre, afin d’y réclamer la couronne.

RICHARD
— Le trône est-il vacant ? l’épée est-elle sans bras ? — Le roi est-il mort ? l’empire sans possesseur ? — Existe-t-il un héritier d’York, autre que nous ? — Et qui peut être roi d’Angleterre si ce n’est l’héritier du grand York ? — Alors, dis-moi, que fait-il sur les mers ?

STANLEY
— Si ce n’est pas cela qu’il veut, mon suzerain, je ne devine pas.

RICHARD
— Si ce n’est pas pour être ton suzerain, — tu ne peux deviner pourquoi vient ce Gallois ? — Tu veux te révolter et passer à lui, j’en ai peur.

STANLEY
— Non, puissant suzerain : — ne vous défiez pas de moi.

RICHARD
— Eh bien, où sont tes forces pour le repousser ? — Où sont tes tenants et tes gens ? — Est-ce qu’ils ne sont pas sur la côte occidentale, — à couvrir le débarquement des rebelles ?

STANLEY
— Non, mon bon seigneur, mes meilleurs amis sont dans le nord.

RICHARD
— De froids amis pour moi. Que font-ils dans le nord, — quand ils devraient servir leur souverain dans l’ouest ?

STANLEY
— Ils n’ont pas reçu d’ordre, puissant roi. — Que votre majesté daigne m’y autoriser, — et je rassemblerai mes amis, et je rejoindrai votre grâce, — au lieu et au moment qui plairont à votre majesté.

RICHARD
— Oui, oui, tu voudrais être parti pour te réunir à Richmond. — Je ne me fie pas à vous, monsieur.

STANLEY
Très-puissant souverain, — vous n’avez pas de raison de tenir mon amitié pour douteuse : — je n’ai jamais été, je ne serai jamais un traître.

RICHARD
— Soit ! allez rassembler vos hommes ; mais laissez avec moi — votre fils George Stanley (66), vous entendez ! Veillez à ce que votre cœur soit ferme ; — sinon, sa tête est mal assurée.

STANLEY
— Agissez avec lui selon ma loyauté envers vous.
Stanley sort.

Un courrier entre.

LE COURRIER
— Mon gracieux souverain, dans le Devonshire, — ce sont des amis qui m’en ont averti, — sir Édouard Courtenay et son frère aîné, — l’évêque d’Exeter, ce prélat hautain, — sont en armes avec de nombreux confédérés.

Un second courrier entre.

LE SECOND COURRIER
— Dans le Kent, mon suzerain, les Guildford sont en armes : — d’heure en heure de nouveaux partisans — se joignent aux rebelles, et leurs forces grandissent.

Entre un troisième courrier.

LE TROISIÈME COURRIER
— Milord, l’armée du grand Buckingham…

RICHARD
— Au diable les hiboux ! rien que des chants de mort ! — Tiens, toi, prends ça, jusqu’à ce que tu apportes de meilleures nouvelles !
Il le frappe.

LE TROISIÈME COURRIER
— La nouvelle que j’ai à dire à votre majesté, — c’est que l’armée de Buckingham a été dispersée et mise en déroute — par des inondations et des averses soudaines — seul, il est lui-même errant, — on ne sait où.

RICHARD, lui jetant sa bourse.
Oh ! j’implore ton pardon ! — Voici ma bourse pour guérir le coup que je t’ai donné. — Quelque ami bien avisé a-t-il proclamé — une récompense pour celui qui m’amènera le traître ?

LE TROISIÈME COURRIER
— La proclamation a été faite, mon suzerain.

Entre un quatrième courrier.

LE QUATRIÈME COURRIER
— Sir Thomas Lovel et lord Dorset, le marquis, — sont, dit-on, en armes dans le Yorkshire, mon suzerain. — Mais j’apporte à votre altesse une bonne consolation : — la flotte de Bretagne est dispersée par la tempête ; — Richmond a envoyé une barque à la côte — du Dorsetshire, pour demander aux riverains — s’ils étaient de son parti, oui ou non. — Ils ont répondu qu’ils venaient de la part de Buckingham — pour le soutenir. Mais, lui, se méfiant d’eux, — a hissé ses voiles, et a repris sa course pour la Bretagne.

RICHARD
— Marchons, marchons, puisque nous sommes en armes, — sinon pour nous battre avec des ennemis étrangers, — du moins pour écraser les rebelles de l’intérieur.

Entre Catesby.

CATESBY
— Mon suzerain, le duc de Buckingham est pris, — voilà la meilleure nouvelle. Le comte de Richmond — est débarqué à Milford avec des forces imposantes : — cette nouvelle-là est plus froide, mais il fallait la dire.

RICHARD
— Allons ! à Salisbury ! Tandis que nous raisonnons ici, — une bataille royale pourrait être gagnée et perdue. — Que quelqu’un se charge d’amener Buckingham — à Salisbury, et que les autres marchent avec moi !
Ils sortent.

(…)

Le spectre du prince Édouard, fils de Henry VI, se dresse entre les deux tentes.

LE SPECTRE DU PRINCE ÉDOUARD, à Richard.
— Que demain je pèse sur ton âme ! — Souviens-toi que tu m’as poignardé, dans le printemps de ma jeunesse, — à Tewksbury : désespère donc et meurs !
À Richmond.
— Sois confiant, Richmond : car les âmes outragées — des princes massacrés combattent en ta faveur ; — l’enfant du roi Henry, Richmond, t’encourage.

Le spectre de Henry VI se dresse.

LE SPECTRE DE HENRY VI, à Richard.
— Quand j’étais mortel, mon corps, oint du Seigneur, — a été par toi percé de trous meurtriers : — pense à la Tour et à moi ! Désespère et meurs ! — Henry VI te le dit : désespère et meurs !
À Richmond.
— Vertueux et saint, sois, toi, le vainqueur ! — Henry, qui a prédit que tu serais roi, — t’encourage dans ton sommeil : vis et fleuris !

Le spectre de Clarence se dresse.

LE SPECTRE DE CLARENCE, à Richard.
— Que demain je pèse sur ton âme ! — moi qui ai été trempé à mort dans un vin fastidieux, — moi, pauvre Clarence, que ta trahison a livré à la mort ! — Demain, dans la bataille, pense à moi, — et que ton épée tombe émoussée ! Désespère et meurs !
À Richmond.
— Toi, rejeton de la maison de Lancastre, — les héritiers d’York outragés prient pour toi ; — que les bons anges gardent ta bataille ! Vis et fleuris !

Les spectres de Rivers, de Grey et de Vaughan se dressent.

LE SPECTRE DE RIVERS, à Richard.
— Que je pèse demain sur ton âme, — moi, Rivers, qui mourus à Pomfret ! Désespère et meurs !

LE SPECTRE DE GREY, à Richard.
— Pense à Grey, et que ton âme désespère !

LE SPECTRE DE VAUGHAN, à Richard.
— Pense à Vaughan ; et que, sous le poids du remords, — ta lance tombe de tes mains ! Désespère et meurs !

LES TROIS SPECTRES
— Réveille-toi, et pense que nos malheurs, attachés au cœur de Richard, — le vaincront : éveille-toi et gagne la journée !

Le spectre de Hastings se dresse.

LE SPECTRE DE HASTINGS, à Richard.
— Homme de sang et de crime, aie le réveil du criminel, — et finis tes jours dans une bataille sanglante ! — Pense à lord Hastings ; et désespère et meurs !
À Richmond.
— Ame calme et sans trouble, éveille-toi ! éveille-toi ! — Aux armes ! combats et triomphe pour le salut de l’Angleterre !

Les spectres des deux jeunes princes se dressent.

LES DEUX SPECTRES, à Richard.
— Songe à tes neveux étouffés dans la Tour ! — Soyons un plomb dans ton sein, Richard, — pour t’entraîner à la ruine, à la honte et à la mort ! — Les âmes de tes neveux te disent : Désespère et meurs !
À Richmond.
— Dors, Richmond, dors en paix et réveille-toi en joie ; — que les bons anges te gardent des atteintes du sanglier, — vis et enfante une heureuse race de rois ; — les malheureux fils d’Édouard te disent : Sois florissant !

Le spectre de la reine Anne se dresse.

LE SPECTRE DE LA REINE ANNE, à Richard.
— Richard, ta femme, cette misérable Anne, ta femme, — qui n’a jamais dormi une heure tranquille avec toi, — vient maintenant remplir ton sommeil d’agitations. — Demain, dans la bataille, pense à moi, — et que ton épée tombe émoussée ; désespère et meurs !
À Richmond.
— Toi, âme paisible, dors d’un sommeil paisible ; — rêve de succès et d’heureuse victoire ; — la femme de ton ennemi prie pour toi.

Le spectre de Buckingham se lève.

LE SPECTRE DE BUCKINGHAM, à Richard.
— J’ai été le premier à te pousser vers la couronne ; — le dernier j’ai subi ta tyrannie. — Oh ! dans la bataille, pense à Buckingham, — et meurs dans la terreur de ton crime. — Rêve, rêve d’actions sanglantes et de meurtre ! — Puisses-tu défaillir dans le désespoir, et, désespéré, rendre le souffle !
À Richmond.
— Je suis mort pour avoir désiré, sans avoir pu, te secourir. — Mais prends courage, et ne te laisse pas alarmer : — Dieu et les bons anges combattent pour Richmond, — et Richard va tomber de toute la hauteur de son orgueil.
Les spectres s’évanouissent. Richard s’éveille en sursaut.

RICHARD
— Qu’on me donne un autre cheval !… Qu’on bande mes blessures ! — Aie pitié, Jésus !… Doucement… ce n’était qu’un rêve. — Ô lâche conscience, comme tu me tourmentes ! — Ces lumières brûlent bleu… C’est maintenant le moment funèbre de la nuit : — des gouttes de sueur froide se figent sur ma chair tremblante. — Comment ! est-ce que j’ai peur de moi-même ? Il n’y a que moi ici ! — Richard aime Richard, et je suis bien moi. — Est-ce qu’il y a un assassin ici ? Non… Si, moi ! — Alors fuyons… Quoi ! me fuir moi-même ?… Bonne raison : Pourquoi ? — De peur que je ne châtie moi-même… qui ? moi-même ! — Bah ! je m’aime, moi !… Pourquoi ? pour un peu de bien — que je me suis fait à moi-même ? — Oh non ! hélas ! je m’exécrerais bien plutôt moi-même — pour les exécrables actions commises par moi-même. — Je suis un scélérat… Mais non, je mens, je n’en suis pas un. — Imbécile, parle donc bien de toi-même… Imbécile, ne te flatte pas. — Ma conscience a mille langues, — et chaque langue raconte une histoire, — et chaque histoire me condamne comme scélérat. — Le parjure, le parjure, au plus haut degré, — le meurtre, le meurtre cruel, au plus atroce degré, — tous les crimes, poussés au suprême degré, — se pressent à la barre criant tous : Coupable ! coupable ! — Ah ! je désespérerai. Pas une créature ne m’aime ! — et, si je meurs, pas une âme n’aura de pitié pour moi !… — Et pourquoi en aurait-on, puisque moi-même — je ne trouve pas en moi-même de pitié pour moi-même ? — Il m’a semblé que les âmes de tous ceux que j’ai assassinés — venaient à ma tente, et que chacune provoquait — la vengeance de demain sur la tête de Richard ! —

(…)

Entre Richard.

RICHARD
— Un cheval ! un cheval ! mon royaume pour un cheval !

CATESBY
— Retirez-vous, milord, je vous aurai un cheval.

RICHARD
— Maraud ! j’ai mis ma vie sur un coup de dé, — et je veux en supporter la chance. — Je crois qu’il y a six Richmond sur le champ de bataille. — J’en ai tué cinq pour un aujourd’hui. — Un cheval ! un cheval ! mon royaume pour un cheval !
Ils sortent.

Alarme. — Richard et Richmond entrent. Ils se battent. Richard est tué.

source

Ce que le théâtre de Shakespeare a représenté pour l’époque de la reine Elisabeth 1ère d’Angleterre

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