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Qui était Aage Kjelsø, militant trotskyste au Danemark et en Espagne
mercredi 2 octobre 2024, par
Biographies de 36 : Aage Kjelsø
Par Andreas Bülow y Paolo Casciola
Source : https://serhistorico.net/2018/12/22/biografias-del-36-aage-kjelso-andreas-bulow-y-paolo-casciola/
KJELSØ, Aage [Åge] 1 (1914-1995)
Né le 21 mai 1914 dans une famille ouvrière, à Rødovre, une banlieue de Copenhague, Aage Kjelsø a d’abord été actif, durant son adolescence, dans le mouvement scout. Mais quelque temps plus tard, n’acceptant ni le nationalisme ni les comportements militaristes en vogue au sein de cette organisation, il rejoint en 1929 la section Valby du Danmarks Socialdemokratiske Ungdom (DSU, Social Democratic Youth of Denmark), alternant petits boulots et longues périodes de chômage. Il faisait partie des jeunes socialistes de gauche politiquement influencés par Bernhard Bøggild, l’un des militants du DSU qui avait invité Trotsky à Copenhague en octobre 1932.
Le militantisme du jeune Kjelsø dans le DSU a coïncidé avec la montée du soi-disant "Cercle antifasciste", également connu sous le nom de "Mouvement des trois flèches", dont le principal dirigeant était le scientifique d’origine russe Sergei Stepanovich Chajotin, qui avait été contraint de se réfugier au Danemark depuis l’Allemagne, où il enseignait, à cause de la prise du pouvoir par les nazis. Chajotin était, depuis 1931, le chef idéologique du Front d’Eiserne (Front de fer), l’organisation paramilitaire du Parti social-démocrate allemand, qui avait lutté en vain pour la création d’un front unique avec les communistes dans le but de contrer la montée d’Hitler. Kjelsø est entré dans l’orbite politique d’un tel mouvement, faisant partie de l’ Ordensværnet (Garde de l’ordre), le groupe paramilitaire socialiste formé par le « Lieutenant Müller », membre du Schutzbund (Ligue de défense) ‒ la milice armée du Parti social-démocrate autrichien ‒ qui avait émigré au Danemark après la défaite de la Commune de Vienne en 1934.
En 1934, Kjelsø et les autres jeunes socialistes de gauche, qui n’avaient pas réussi à obtenir la majorité lors d’un congrès du DSU, ont été expulsés du parti et ont ensuite fondé leur propre groupe, qui a publié un bulletin intitulé Alarm. La phase de gestation du trotskysme danois conduit, à l’automne 1934, à la formation d’un premier groupe trotskyste déclaré, dirigé par Bøggild et Svend Johansen, également grâce à la collaboration d’un petit groupe composé d’exilés allemands, dirigé par Georg Jungclas. Cette petite organisation, qui prit le nom d’Internationale Kommunister (Bolcheviker-Leninister) (Communistes internationaux Bolcheviks-Léninistes) commença à développer une activité de propagande auprès des jeunes socialistes expulsés, qui avaient donné vie à l’ International Socialistisk Brevklub ( Cercle international de correspondance socialiste) ‒ dont les principaux représentants étaient Poul Moth et Tage Lau ‒, auquel Kjelsø avait adhéré.
Conquis aux positions trotskystes, Kjelsø et ses camarades participent à la création du Socialistisk Arbejder Ungdom (SAU, Jeunesse ouvrière socialiste), qui publie le premier journal trotskyste en langue danoise, Klassekampen. En plus de militer dans les rangs de la SAU, Kjelsø et ses compagnons étaient également membres de la Ligue de lutte antifasciste, qui avait été formée par des militants expulsés du DSU et qui parrainait le front uni avec les staliniens et les forces civiles et militaires, formation nécessaire pour faire face à l’activité des partisans danois du nazisme. Dans au moins un cas, ils ont réussi à empêcher la tenue d’un rassemblement du Konservativ Ungdom (Jeunesse conservatrice) sur la place Blaagaards, dans le quartier populaire de Nørrebro.
La SAU était affiliée au Bureau international de la jeunesse révolutionnaire qui faisait partie du "Bureau de Londres". En raison de la propagande trotskyste qu’elle développa, notamment à travers son bulletin Internationale Jugendinformation der IKL (Bolcheviki-Léninistes) (Information internationale de la jeunesse de la Ligue communiste internationaliste bolcheviks-léninistes ), la SAU fut finalement exclue de cet organisme. Dans la période suivante, appliquant la tactique entriste proposée par Trotsky, la SAU est dissoute et ses militants rejoignent le DSU où, pour mener à bien leur travail politique d’opposition révolutionnaire, ils donnent vie au Leninistisk Arbejdsgruppe (GAL, Groupe de travail léniniste).
Sous l’impulsion décisive de Lau et Moth, tous deux polyglottes, l’organisation trotskyste danoise s’est également engagée au sein de la Sennacieca Asocio Tutmonda (SAT, World A-national Association), la tendance ouvrière du mouvement espérantiste fondé en 1921. Les trotskystes ont formé une Fraction bolchevik-léniniste en son sein, qui crée en 1935 son propre bulletin de propagande , cyclostylé en espéranto, La Permanenta Revolucio , dont la rédaction Kjelsø fait partie dès le premier numéro. La Fraction entame alors une correspondance avec des militants espérantistes de gauche à travers le monde et, en 1936, commence à recevoir des lettres de divers pays, dont le Japon.
Kjelsø et Lau, au chômage, décident alors de faire un long voyage à vélo pour rencontrer leurs collègues qui vivent dans des contrées lointaines, en Extrême-Orient. Ils partirent au cours de l’été de la même année et arrivèrent en Autriche, où ils assistèrent probablement au Congrès mondial d’espérantisme qui se réunit à Vienne à la mi-août. Puis, ils retournèrent en Yougoslavie, et c’est probablement dans le petit village croate de Sušak qu’ils décidèrent, le 17 septembre 1936, d’abandonner le projet de rejoindre Tokyo pour se rendre en Espagne, où un mois auparavant une guerre civile avait éclaté.
Arrivés en Yougoslavie, ils participent à une assemblée en faveur de l’Espagne républicaine, au cours de laquelle Josip Broz (Tito) les convainc de se rendre en Espagne pour rejoindre la lutte en cours. De Croatie ils se dirigeaient donc, toujours à bicyclette, vers l’Italie. Lau décide alors de traverser seul la frontière, entrant dans l’Italie fasciste, tandis que Kjelsø continue seul le voyage à travers les Alpes, à vélo, pour finalement atteindre la France. Déjà à Marseille, avec l’aide de quelques syndicalistes et du gouvernement français du Front populaire, il parvient à se faire accueillir sur un bateau qui part pour Barcelone. Mais au moment où, déjà à bord du navire, il exprime ses idées antistaliniennes, il est traité de "provocateur indésirable" et contraint de débarquer avant de partir.
Séjournant à Marseille, Kjelsø entre alors en contact avec les anarchistes, qui lui remettent une lettre d’introduction à ses camarades en Espagne, ainsi qu’un billet de train pour la frontière franco-espagnole, où les militants libertaires l’aident à se rendre à Barcelone. Déjà dans la capitale catalane en octobre, Kjelsø a été formé militairement pendant quelques semaines à la caserne Bakounine (anarchiste) avant d’être envoyé sur le front de Huesca, en Aragon, où il est resté près de deux mois comme milicien de la colonne Durruti. Mais à l’automne 1936, les combats sur ce front étaient pratiquement terminés et Kjelsø, ne voulant pas rester inactif, prit congé et se rendit à Barcelone.
Il s’est présenté dans un bureau des Brigades internationales, dans lequel il s’est enrôlé. Mais au lieu d’être envoyé au front pour combattre et développer une certaine propagande auprès des miliciens allemands, comme il l’avait espéré, il fut envoyé dans un camp d’entraînement à Albacete. Il est ensuite affecté au front andalou où, en décembre 1936, il participe à la bataille d’Andújar contre les troupes marocaines fidèles à Franco et à la monarchie. Dans cette confrontation militaire, qui a été résolue par une défaite des forces républicaines, Kjelsø s’est distingué par son courage, sauvant la vie d’un camarade. En janvier 1937, il est envoyé sur le front de Madrid en tant que soldat du bataillon Thälmann, où il passe quelque temps dans les tranchées de la Ciudad Universitaria de Madrid. Le 23 janvier 1937, il participe à la bataille de Las Rozas, Kjelsø a été blessé à la jambe et a été hospitalisé pendant environ deux mois dans un hôpital près de la Puerta del Sol. Au cours de son hospitalisation, Kjelsø a demandé à quitter la brigade. Quarante ans plus tard, il expliqua lui-même quelles étaient les raisons politiques d’une telle décision :
"Ce choix n’était pas dû à la blessure et à ma faiblesse physique, mais plutôt à ma profonde déception face à l’évolution de la situation dans la République, où l’influence stalinienne avait dramatiquement accéléré son propre rythme de croissance, grâce à l’envoi d’armes russes et la pression de la Russie, exercée par tous les représentants soviétiques, y compris le Parti communiste espagnol, qui s’était massivement développé comme porte-parole politique de ceux qui fournissaient les armes. Une autre cause de l’influence stalinienne croissante a été l’émergence du Parti communiste comme porte-parole de tous les éléments petits-bourgeois, modérés et conservateurs en ce qui concerne les questions économiques et sociales, en particulier en termes de lutte du parti contre la collectivisation et en faveur de la ré -privatisation. . uni, par le rétablissement de l’autorité de l’État et de la police, et last but not least, par sa violente chasse aux sorcières contre toutes sortes d’"expériences" révolutionnaires et contre ceux qui les pratiquaient, le parti communiste est devenu le parti naturel de fonctionnaires, officiers et policiers. En revanche, ses membres d’origine ouvrière étaient plutôt rares et ,relativement parlant, également en plus petit nombre par rapport au moment du déclenchement de la guerre. Bref, la contre-révolution stalinienne continuerait d’avancer rapidement, et en tant qu’ouvrier révolutionnaire dont le but était la guerre (contre le fascisme) et la révolution (contre le capitalisme et le féodalisme), j’avais du mal à rester dans les Brigades internationales, commandées par les staliniens 2 ».
Sa demande a été rejetée, mais en mars, lorsqu’il a pu remarcher, des compagnons révolutionnaires l’ont aidé à s’échapper de l’hôpital, échappant au contrôle des gardes. Kjelsø se rend ensuite au siège du POUM à Madrid, dont les dirigeants lui conseillent de se rendre à Barcelone, où il arrive fin mars 1937, de passage à Valence, à bord d’une voiture du POUM. À Barcelone, Kjelsø a séjourné à l’hôtel Falcón du POUM, sur les Ramblas, établissant des contacts avec l’organisation trotskyste officielle, la Section bolchevique-léniniste d’Espagne (SBLE), dirigée par Manuel Fernández-Grandizo y Martínez, connu sous le nom de G. Munis . Ce même mois de mars, Kjelsø a rejoint, avec Munis et Domenico Sedran, appelé Adolfo Carlini, de la direction de la SBLE. Enrôlé dans la division Lénine du POUM, il passe quelques semaines sur le front de Huesca. Kjelsø est alors renvoyé à Barcelone, probablement parce que le POUM s’apprête à dissoudre ses propres milices pour les fusionner dans l’armée régulière du Front populaire, et veut d’abord se débarrasser des éléments les plus critiques.
De retour à Barcelone fin avril, Kjelsø travaille d’abord comme ouvrier agricole dans les champs collectivisés de la CNT, puis comme ouvrier dans une fabrique de grenades militaires, et durant les journées de mai 1937, il combat sur les barricades de Barcelone. À cette époque, il a été arrêté avec d’autres collègues qui vivaient à l’hôtel Falcón, mais a ensuite été relâché après un jour et demi de détention. Puis il a vécu pendant un certain temps "au milieu d’une pente de la montagne de Montjuic", dans le passage Serrahima 4-2º, chez l’épouse d’un militant libertaire incarcéré. Sedran habitait également au même étage ; lieu où le 13 février 1938 tous deux furent arrêtés par des policiers espagnols au service du NKVD, sous l’accusation d’avoir assassiné Leon Narwicz, un capitaine polonais des Brigades internationales qui était un agent du SIM et des services secrets staliniens. Kjelsø avait rencontré personnellement Narwicz sur le front madrilène et l’avait rencontré à nouveau à Barcelone, se liant d’amitié avec lui – ne sachant évidemment pas que Narwicz était à la solde de la mafia stalinienne – et l’invitant à assister à certaines réunions de la SBLE.
Par son travail d’infiltration dans le POUM, Narwicz avait contribué à l’arrestation de certains militants de ce parti. Son jeu dura jusqu’au jour où le leader POUMiste Juan Andrade l’identifia sur une photographie, publiée dans les pages d’un journal, dans laquelle Narwicz apparaissait aux côtés du leader stalinien Enrique Líster. Le POUM décide alors de le tuer, pour se venger de la mort de son principal représentant, Andreu Nin ‒ qui, le 16 juin 1937, avait été arrêté avec d’autres dirigeants poumistes puis kidnappé par les staliniens, qui l’assassinèrent vers le 24 juin, faisant son corps disparaissent, et l’arrestation de plusieurs de ses militants. Un rendez-vous convenu, Narwicz est tué le 10 février 1938 par un groupe d’action du POUM.
Le même jour que l’arrestation de Kjelsø et Sedran, Munis et d’autres membres du SBLE ont également été arrêtés. Emprisonnés dans les cellules du sous-sol de la préfecture de police de la Vía Durruti (aujourd’hui Vía Layetana), où ils passèrent la nuit, ils furent transférés le matin ‒ à l’exception du militant d’origine italienne Luís Zanon, qui resta quelques jours isolé de la reste ‒ avec un fourgon de police jusqu’à la Plaza Berenguer, où la brigade criminelle sous le commandement de Julián Grimau García avait son siège, à seulement 150 mètres du siège, où ils ont été systématiquement torturés pendant près d’un mois dans le but de les faire avouer quel que soit leur Les tortionnaires staliniens recherchés. Selon le témoignage de l’un d’entre eux, Jaime Fernández Rodríguez, la torture comprenait, en plus de l’isolement individuel pendant de longues périodes, la privation de nourriture et d’eau pour les plier à la faim et à la soif (jusqu’à les forcer à boire leur propre urine), ainsi que des menaces, des coups, des simulacres d’exécution, etc.
Kjelsø, comme les autres, a subi ces mauvais traitements et, à un certain moment, il a été confronté à Zanon, qui avait cédé à la torture et avoué ce que voulaient ses inquisiteurs staliniens. De faux aveux ont également été extorqués à Kjelsø, selon lesquels les trotskystes du SBLE auraient reçu l’ordre de la direction de la Quatrième Internationale de "se tourner vers l’activité terroriste" et d’"organiser des attaques contre Comorera, Negrín et Prieto".
Cependant, contrairement à ses compagnons, le 28 février, il a eu la chance de s’échapper de la checa Plaza Berenguer et d’atteindre la maison CNT-FAI, qui n’était qu’à une cinquantaine de mètres de la Brigade criminelle. Kjelsø expliqua alors à l’anarchiste allemand Agustín Souchy ce qui se passait, espérant que les anarchistes pourraient faire quelque chose pour leurs camarades emprisonnés. Lorsque Souchy lui a dit : "Vous, les trotskystes, nous conduisez à la catastrophe !", Kjelsø a répondu : "Vous, les anarchistes, nous avez déjà conduit à la catastrophe !" Le 9 mars 1937, il envoie une carte postale à Lau, expliquant brièvement la situation, espérant qu’il réussira à promouvoir une campagne internationale pour la libération des trotskystes détenus à Barcelone.
Kjelsø a vécu quelque temps au siège de la CNT-FAI, teignant ses cheveux blonds en noir, pour passer inaperçu. La solidarité CNT s’occupa de son soutien nutritionnel et économique jusqu’à lui trouver un logement dans la maison de la famille d’un médecin anarchiste. Lors de la visite qu’il a faite au consul du Danemark à Barcelone, il s’est entendu traiter d’"aventurier". Quelque temps plus tard, il réussit à fuir l’Espagne avec l’aide des anarchistes et de quelques marins scandinaves, embarquant sur un navire qui se rendait à Marseille vers la fin avril 1938. Il fit alors part de ce qui s’était passé, ainsi que du processus en cours. contre les militants, du SBLE aux trotskystes français du Parti Ouvrier Internationaliste (POI). L’hebdomadaire POI, La Lutte Ouvrière, put alors publier en première page de son numéro du 5 mai 1938 un long article intitulé « Negrín-Staline prépare un nouveau procès de Moscou à Barcelone. Grandizo-Munis, Adolfo Carlini, etc., militants révolutionnaires, miliciens héroïques de premier ordre, sont traduits devant le tribunal « d’espionnage » sur la base d’une procédure inquisitoire ». L’article parlait pour la première fois de « Hage Kielson [sic], volontaire, militant bolchevik, adversaire du terrorisme individuel (a réussi à s’enfuir) ». Dans les numéros suivants, le même journal a publié - grâce aux informations fournies par Kjelsø - des nouvelles extrêmement détaillées sur la machination mise en branle par les staliniens à Barcelone, en lançant une campagne en faveur de la libération de Munis, Sedran et les autres des membres de la SBLE.
Plus tard, Kjelsø a été arrêté et expulsé du territoire français. De retour au Danemark, ses récits critiques de la guerre civile espagnole n’ont suscité d’enthousiasme dans aucun environnement politique, et lors d’une réunion publique au siège du syndicat des blanchisseurs de Copenhague, Kjelsø a été frappé par le parapluie d’une femme stalinienne. Il a probablement rejoint le petit groupe trotskyste dirigé par Moth et Lau qui, pendant la période de guerre, a été mis à l’écart des autres trotskystes en raison de son attitude "sectaire", par opposition à la soi-disant "politique militaire prolétarienne". Interné par la police danoise en novembre 1942 dans le camp de prisonniers de Horserød avec la plupart des Danois qui s’étaient portés volontaires pour l’Espagne, Kjelsø eut la vie dure. l’ayant reconnu,Contre les traîtres dans lesquels il a été défini comme un "agent fasciste" et avec une référence explicite à l’accusation d’avoir assassiné Narwicz. Ces revendications équivalaient à une condamnation à mort. Les staliniens ont alors empêché Kjelsø de se défendre, épinglant sa version des événements sur le journal du mur du camp.
Kjelsø a été libéré en juillet 1943, probablement parce qu’il n’avait jamais été membre du Parti communiste danois (stalinien). Il entre alors dans la Résistance, collaborant avec Børge Nielsen, un autre vétéran trotskyste. Il ne peut être exclu que Kjelsø ait participé, en octobre 1943, à l’opération d’évacuation des Juifs danois vers la Suède, puisque les trotskystes ont joué un rôle important dans l’organisation du départ des prolétaires juifs des quartiers populaires de Borgergade. . Rejoignant le groupe de Moth, dans la dernière phase de l’occupation nazie, Kjelsø et ses compagnons diffusent des tracts en allemand parmi les prolétaires allemands en uniforme appelant à la fraternisation et au défaitisme révolutionnaire. Le 4 mai 1945, un jour avant l’annonce officielle de la libération du pays, un peloton de partisans danois armés a frappé à la porte de l’appartement de Copenhague où vivait Kjelsø, le capturant sous l’accusation d’être un « espion fasciste ». Sous la menace armée, il a été contraint de les suivre jusqu’à la place Kongens Nytorv, où il a été gardé par les staliniens jusqu’à ce que l’un d’eux, Jørgen Olsen, qui avait été volontaire en Espagne et l’avait reconnu, a informé les partisans qu’ils avaient capturé le tort, lui sauvant ainsi la vie.
Après la fin de la guerre, Kjelsø a trouvé un emploi comme ouvrier dans le système d’égouts de Copenhague, étant élu délégué syndical par ses collègues. Il a également participé aux activités du petit noyau trotskyste dirigé par Moth, qui a commencé en 1947 la publication du journal Det Ny Arbejderblad ( La Nouvelle Feuille Ouvrière ), "Organe des Communistes Révolutionnaires (Quatrième Internationale)". Dans les derniers mois de 1952, le groupe de Moth, qui ne comptait qu’une dizaine de membres, était l’un des rares à soutenir l’organisation trotskyste française dans sa lutte contre la tendance "centriste-liquidationniste" dirigée par le secrétaire de la Quatrième Internationale Mikhalis Raptis, dit "M. Pablo », qui avait conquis la majorité au III Congrès mondial d’août-septembre 1951, et qui attribuait au stalinisme un rôle historique progressiste, prônant un « entrisme sui generis » (d’un type particulier, c’est-à-dire de longue durée) de les trotskystes dans les partis staliniens. Mais le groupe de Moth, dans lequel Kjelsø continuait apparemment à militer, n’était pas reconnu comme la section danoise officielle de la Quatrième Internationale et, de plus, avait rompu avec l’analyse trotskyste de l’URSS comme État ouvrier dégénéré.
Au milieu des années 50 , Kjelsø entra dans les rangs du Danmarks Socialistiske Parti (Parti socialiste du Danemark). Puis, lors de la formation du Socialistisk Folkeparti (SF, Parti populaire socialiste), créé par le secrétaire du Parti communiste Aksel Larsen ‒ qui en novembre 1958 avait été exclu du parti en raison de ses positions critiques sur les événements de Hongrie de 1956 et sur le stalinisme en général ‒, les trotskystes danois, qui s’étaient réorganisés sous la direction de Georg Moltved, rejoignent la SF. Kjelsø a été délégué à son congrès fondateur en février 1959.
Évidemment, les trotskystes ont maintenu en vie leur propre faction au sein de la SF jusqu’en 1967, date à laquelle un tiers des parlementaires de la SF ont rompu avec cette dernière pour donner vie à la Venstresocialisterne (VS,socialistes de gauche). Au milieu des années 1970, les trotskystes, qui avaient entre-temps conquis la majorité de l’organisation de jeunesse de la SF puis du VS, éclatent à leur tour pour donner vie à un groupe indépendant. Mais probablement Kjelsø n’a pris aucune part à cette nouvelle formation. Après avoir participé aux activités du Gruppe 61, qui dans les années 1961-1964 se distingue par ses manifestations de protestation contre la guerre du Vietnam et son travail de solidarité avec la lutte clandestine contre le régime franquiste en Espagne, il entre pour quelques années dans l’orbite de la Gauche communiste (Bordiguiste).
Selon le témoignage de Carsten Juhl, en 1966 Kjelsø rencontra, par l’intermédiaire d’un bibliothécaire de l’ Arbejderbevægelsens Bibliotek og Arkiv (ABA, Bibliothèque et archives du mouvement ouvrier) à Copenhague, l’Italien Aldo Cotto, qui était un militant du Partito Comunista Internazionale (PCInt) qui a publié à Milan le journal Il Programma Comunista. A cette époque, Cotto, qui connaissait la langue danoise et qui effectuait de fréquents voyages d’affaires au Danemark, menait une étude sur l’histoire du trotskysme dans ce pays, en se basant principalement sur les archives de Marie-Sophie Nielsen. Des discussions entre les deux est né le projet de fonder une section danoise du PCInt. Juhl a trouvé Cotto à l’été 1967, rejoignant le "groupe de discussion". Au cours de l’automne 1967 et de l’hiver 1967-1968, ils se réunirent régulièrement chaque semaine, discutant surtout des documents du IIe Congrès du Komintern (juillet-août 1920) et du livre de Lénine "L’extrémisme", la maladie infantile du communisme. ( avril-mai 1920).
A cette époque, Kjelsø se méfie du « parlementarisme révolutionnaire » de Lénine et sympathise avec les positions abstentionnistes d’Amadeo Bordiga. L’activité de discussion du groupe de Copenhague aboutit plus tard, en avril 1968, à la publication de deux textes cyclostylés en danois : les Thèses caractéristiques du Parti (décembre 1951) écrites par Amadeo Bordiga et Moskva og syndikalismen ( Moscou et le syndicalisme , 1921 ) de Christian Christensen. ). À l’automne 1968, certaines des réunions du groupe ont eu lieu dans le nouvel appartement de Kjelsø, qui avait déménagé du quartier de Nørrebro à Valby. En avril 1969, le groupe de discussion commence enfin la publication du bulletin cyclostyléProgramme Kommunistisk , sous-titré « Organe du Parti communiste international » . Entre-temps , le groupe s’élargit à d’autres camarades, dont Svend Petersen et Gerd Callesen (qui était alors en contact avec le Gruppe Arbeiterpolitik [Groupe politique ouvrier] allemand à tendance brandlérienne, dont il avait approché les positions), qui en tout cas cas n’a pas adhéré à la PCInt.
Mais justement dans une telle période ressort la distance de Kjelsø, qui n’était pas d’accord avec les positions adoptées par le groupe sur la question syndicale. Cependant, il est resté abonné au programme Kommunistisk , qui a continué à publier pendant un certain temps après la rupture du groupe danois avec le PCInt. Lors de "l’assemblée générale" du PCInt, tenue à Marseille début septembre 1971, le groupe de Copenhague avait en effet formulé un bilan apologétique du KAPD dans le cadre d’une analyse générale du premier après-guerre allemand, et avait aussi critiqué l’approche générale du travail syndical du PCInt ; Ces positions provoquèrent, en décembre de la même année, l’expulsion du groupe danois du PCInt.
Après cette expérience bordiguiste, Kjelsø a abandonné toute forme de participation active à toute organisation politique. Dans les années 1990, déjà installé à Bogø By, sur la petite île de Bogø, il rejoint l’ Enhedslisten ( Liste unifiée), fondée en décembre 1989. Cette organisation, qui conjuguait projet « socialiste démocratique » et écologiste, et qui était donc également connue sous le nom d’« Alliance vert-rouge », était composée de divers groupes de gauche, dont le Parti communiste danois. Il était un membre passif de l’ Enhedslistenjusqu’à sa mort. Un drapeau rouge flottait dans le jardin de sa maison et un portrait d’Ernesto "Che" Guevara était accroché à sa porte. Atteint d’une tumeur, il a d’abord été admis à l’hôpital de Vodingborg, avant de déménager dans une maison de retraite pour personnes âgées de la même ville, où il est décédé le 2 octobre 1995.
Andreas Bulow et Paolo Casciola
Décembre 2014
Publié dans Biographies de 36 par Ediciones Descontrol, 2016
L’écriture de cette biographie, fruit d’un long travail commencé il y a longtemps, s’est achevée dans les derniers jours de 2014, l’année du centenaire de la naissance d’ Aage Kjelsø. Cela aurait été impossible sans l’aide de Corrado Basile, Gustav Bunzel, Gerd Callesen, Agustín Guillamón, Mike Jones, Jesper Jørgensen, Carsten Juhl, Sandro Saggioro, Ilario Salucci, Svend Vestergaard Jensen et Ulrik Wagner.
Notes
1 L’orthographe du nom de Kjelsø a subi un changement après la réforme orthographique de la langue danoise en 1948, qui a remplacé le digraphe Aa / aa par la lettre Å / å, d’origine suédoise.
2 Cette citation est tirée des mémoires pas toujours fiables de Kjelsø, principalement centrées sur son séjour en Espagne en 1936-1938, qui ont été recueillies une quarantaine d’années plus tard, en juin 1976, par Carl Heinrich Petersen et initialement publiées sous le titre de « Dansk trotskist i spansk borgerkrig » dans le magazine de Copenhague Hug !, a. IV, non. 17, 1977, p. 61. Beaucoup plus prudent est le chapitre consacré à Kjelsø dans le volume de Carsten Jørgensen, Fra Bjelkes Allé til Barcelona. Danske frivillige i Spanien 1936-39, Nyt Nordisk Forlag Arnold Busck, København 1986. Une biographie romancée a récemment été consacrée à la figure de Kjelsø : Andreas Bülow, Midnat i århundredet, Solidaritet, København 2014.