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Un slogan pseudo-révolutionnaire de Lutte Ouvrière : "Il n’y aura pas d’issue sans un parti ouvrier communiste révolutionnaire "
lundi 15 juillet 2024, par
Dans son éditorial du 1er juillet 2024 dont le titre est une prophétie digne de Cassandre ("Il n’y aura pas d’issue sans un parti ouvrier communiste révolutionnaire "), on lit un nouvel appel du Komintern de LO au ton martial :
Il faut un parti regroupant des travailleurs de toutes nationalités et origines, derrière un programme défendant leurs intérêts quotidiens et pour le renversement du capitalisme.
Il faut un parti qui renoue avec les meilleures traditions du mouvement ouvrier, construit sur l’idée fondamentale qu’il y a deux classes opposées dans la société : la bourgeoisie et la classe ouvrière, et que le combat des travailleurs ne cessera que lorsque la bourgeoisie sera renversée. Un parti qui affirme que celles et ceux qui font fonctionner la société doivent la diriger.
Oui, le parti de la classe ouvrière doit être un parti révolutionnaire : il en va de l’avenir de l’humanité toute entière car la perpétuation de l’ordre bourgeois est en train de nous enfoncer dans les crises, les guerres et la barbarie.
Alors, travailleurs, n’ayons pas peur. Resserrons les rangs et organisons-nous dans un parti ! Dans le passé, la classe ouvrière a mené de grandes luttes. C’est riche de cette histoire qu’il faut reconstruire un véritable parti ouvrier communiste, révolutionnaire et internationaliste !
Le pessimisme profond de cet appel apparait dans son caractère purement négatif : sans parti, ce sera la catastrophe. Mais si un parti est construit, le prolétariat peut-il vaincre ? Cet édito ne le dit pas et se contente de reprendre le slogan chrétien, dans l’attente du Jugement dernier, du Pape Jean-Paul II : "Alors, travailleurs, n’ayons pas peur".
Mais comment oser critiquer un appel à construire un parti ? La construction d’un parti n’est-elle pas, depuis le programme décrit dans Que Faire ? de Lénine, repris par Trotsky, l’objectif premier de tout révolutionnaire que se respecte ?
Certes, mais premièrement, LO dans cet éditorial ne mentionne ni Lénine, ni Trotsky : aucun nom, aucun lieu, aucune "tradition" concrète rappelée : le parti décrit par LO est une pure abstraction. Donc lorsque LO écrit
Et en l’absence d’un véritable parti ouvrier, le monde du travail se perd dans la recherche d’un sauveur suprême qui n’existe pas
LO ne fait que remplacer le sauveur suprême individuel par un sauveur suprême collectif : le parti. Le culte d’ un parti abstrait, du parti pour lui-même fait oublier l’aphorisme de Lénine : "pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionaire". Constuire un parti révolutionnaire sans idées révolutionnaires est impossible, néfaste.
Or N. Arthaud ayant décrété lors de sa réunion publique électorale du 22 juin dernier, l’inutilité des idées :
ce ne sont pas les idées qui changent le monde, c’est la lutte de classe
on ne peut qu’être pessimiste sur sa capacité de construire un parti.
Mais supposons que N. Arthaud ait ajouté dans son éditorial une référence au parti bolchévik de Lénine, cela ne changerait pas le caractère pseudo-révolutionaire du slogan "Il n’y aura pas d’issue sans un parti ouvrier communiste révolutionnaire". Tentons d’expliquer.
Il y a trois grandes classes dans la société, pas deux
La seule ébauche de théorie présente dans cet éditorial est l’afirmation :
Il faut un parti qui renoue avec les meilleures traditions du mouvement ouvrier, construit sur l’idée fondamentale qu’il y a deux classes opposées dans la société : la bourgeoisie et la classe ouvrière,
Or cette théorie renoue avec une des pires traditions du mouvement ouvrier, celle de Ferdinand Lassale, qui décrivait la bourgeoisie comme un grand "bloc réactionnaire".
Pour Trotsky, le nombre des classes fondamentales à considérer dans la construction du parti est trois, pas deux :
A chaque tournant de la route de l’histoire, à chaque crise sociale, il faut encore et toujours réexaminer le problème des rapports existant entre les trois classes de la société actuelle : la grande bourgeoisie avec à sa tête le capital financier, la petite bourgeoisie oscillant entre les deux principaux camps, et, enfin, le prolétariat.
La grande bourgeoisie qui ne constitue qu’une fraction infime de la nation ne peut se maintenir au pouvoir sans appui dans la petite bourgeoisie de la ville et de la campagne, c’est-à-dire parmi les derniers représentants des anciennes couches moyennes, et dans les masses qui constituent aujourd’hui les nouvelles couches moyennes. A l’heure actuelle, cet appui revêt deux formes principales, politiquement antagoniques, mais historiquement complémentaires : la social-démocratie et le fascisme. En la personne de la social-démocratie, la petite bourgeoisie, qui est à la remorque du capital financier, entraîne derrière elle des millions de travailleurs.
Une utopie défaitiste : se limiter à construire un parti
C’est Trotsky lui-même qui a critiqué la politique des partis ayant pour seul moyen d’action ... de construire le parti.
Si, au cours de la période préparatoire, le Parti communiste avait réussi à éliminer complètement des rangs du prolétariat tous les autres partis, et à rassembler sous son drapeau, tant politiquement qu’organisationnellement, l’écrasante majorité des ouvriers, les Soviets ne seraient d’aucune nécessité.
Mais, comme le prouve l’expérience historique, rien ne permet de croire que le Parti communiste, dans quelque pays que ce soit - dans les pays de vieille culture capitaliste encore moins que dans les pays arriérés -, réussisse à y occuper une position aussi totalement hégémonique au sein de la classe ouvrière, surtout avant la révolution prolétarienne.
L’Allemagne d’aujourd’hui nous montre précisément que la tâche de la lutte directe et immédiate pour le pouvoir se pose au prolétariat bien avant qu’il soit entièrement rassemblé sous le drapeau du Parti communiste. La situation révolutionnaire, au niveau politique, se caractérise précisément par le fait que tous les groupes et toutes les couches du prolétariat, ou du moins leur écrasante majorité, aspirent à unir leurs efforts pour changer le régime existant. Toutefois, cela ne signifie pas que tous comprennent comment procéder et encore moins qu’ils soient prêts à rompre avec leurs partis et à passer dans les rangs du Parti communiste. La conscience politique ne mûrit pas de façon aussi linéaire et uniforme, de profondes différences internes subsistent même à l’époque révolutionnaire quand tous les processus se font par bonds.
(...)
ce n’est que sur la base du front unique, ce n’est qu’à travers les organisations de masse, que le Parti communiste peut conquérir une position dirigeante dans les futurs Soviets, et conduire le prolétariat à la conquête du pouvoir.
Trotsky, janvier 1932
Ainsi, à la veille de la révolution, et même pendant la révolution, la classe ouvrière reste dans la plupart des cas divisée en plusieurs partis.
La politique du front unique ouvrier est donc le deuxième aspect indispensable d’une politique révolutionnaire. Pour combattre le fascisme, Trotsky ne fixait pas comme objectif principal de construire un parti, mais avant tout d’appliquer une politique de Front unique.
L’ultimatisme bureacratique de LO : un héritage des partis staliniens
L’appel de LO sommant les travailleurs de rejoindre LO est une pale copie des appels staliniens du PC allemand de Thälmann, soi disant "intransigeant", que Trotsky dénonça ainsi :
La faute de la bureaucratie stalinienne n’est pas d’être " intransigeante " vis-à-vis de la social-démocratie ; elle tient à ce que son intransigeance est politiquement impuissante. Parce que le bolchevisme, sous la direction de Lénine, a vaincu en Russie, la bureaucratie stalinienne en tire " l’obligation " pour le prolétariat allemand de se rassembler autour de Thälmann.
Son ultimatum dit en substance : tant que les ouvriers allemands ne reconnaîtront pas la direction communiste, à l’avance, à priori et inconditionnellement, ils n’oseront même pas penser à des combats sérieux. Les staliniens s’expriment autrement. Mais toutes leurs réserves, leurs restrictions, leurs ruses oratoires ne changent rien au caractère fondamental de l’ultimatisme bureaucratique, qui aida la social-démocratie à livrer l’Allemagne à Hitler.
La fausse raison des "effectifs"
LO rappelle souvent que son courant est "très minoritaire". Plus de 300 000 voix aux dernières élections Législatives 2024, LO n’en fait absolument rien ! Nous ne sommes pas assez nombreux. Avant les élections, LO somme les travailleurs de voter car c’est vital, après les élections LO décrète de fait que ce vote ne vaux rien !
LO a appelé il y a près de 30 ans à la construction d’un grand parti après les succés électoraux de 1995, et ne pose jamais la question de son discrédit électoral depuis cette date, de la déception qu’a pu provoquer cette promesse non tenue.
Or cette question des "effectifs" n’est rien d’autre qu’une méthode stalinienne qui a pour but de cacher un opportunisme derrière un sectarisme. Trotsky évoquait déjà cette question à propos du PC stalinien allemand. En particulier, le suivisme complet de LO derrière les confédérations syndicales imite celui du PC allemand :
Une méfiance sourde à l’égard de la direction s’est accumulée à l’intérieur du parti et surtout chez les ouvriers qui le soutiennent ou simplement votent pour lui. Ce qui accroît ce qu’on appelle la "disproportion" entre l’influence du parti et ses effectifs ; en Allemagne, une telle disproportion existe sans aucun doute, elle est particulièrement nette au niveau du travail dans les syndicats.
L’explication officielle de la disproportion est à ce point erronée que le parti n’est pas en mesure de "renforcer" au niveau organisationnel son influence. La masse y est considérée comme un matériau purement passif, dont l’adhésion ou la non-adhésion au parti dépend uniquement de la capacité du secrétaire à forcer la main à chaque ouvrier.
Le bureaucrate ne comprend pas que les ouvriers ont leur propre pensée, leur propre expérience, leur propre volonté et leur propre politique active ou passive à l’égard du parti. En votant pour le parti, l’ouvrier vote pour son drapeau, pour la Révolution d’Octobre, pour sa révolution future. Mais, en refusant d’adhérer au parti communiste ou de le suivre dans la lutte syndicale, il exprime sa méfiance envers la politique quotidienne du parti.
Cette "disproportion" est en fin de compte un des canaux par où s’exprime la méfiance des masses envers la direction actuelle de l’Internationale Communiste. Et cette méfiance, créée et renforcée par les erreurs, les défaites, le bluff et les tromperies cyniques des masses de 1923 à 1930, représente l’un des principaux obstacles sur la route de la victoire de la révolution prolétarienne.
Conclusion : La construction du parti est dialectique
Avoir une politique, c’est déjà quasiment avoir un parti. La tâche essentielle n’est pas de recruter des militants un par un dans notre organisation (tâche routinière permanente quelle que soit la période) , mais de créer les soviets, ces arènes où à toute les échelles, de la plus petite (un quartier, une usine) à la plus grande (ville, pays) les travailleurs auront la possibilité de s’emparer de cette politique. Ce sont eux qui forment alors ce parti ce parti, sans en prendre la carte, mais en prenant conscience des tâches qu’ils ont à acomplir et commençant à les accomplir.
Terminons donc ces citations de Trotsky par une dernière qui illustre le mieux la différence entre la conception mécaniste pseudo-"intransigenate de LO pour la construction du parti qui consiste à dire : Les tâches sont énormes, plus elles sont grandes plus il est clair que notre parti est trop petit. Par avance LO justifie sa passivité en invoquant un "rapport de force" défavorable, le "manque de conscience des ouvriers".
Trotsky, au contraire, souligne que c’est lorque la taille des tâches grandit que le parti a le plus de chance de grandir lui-même :
[les forces de l’Opposition communiste de gauche] ne sont pas grandes. Mais chaque courant s’accroit avec l’acroissement de ses tâches
Trotsky, septembre 1930