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Manifestation au Burkina Faso

lundi 21 mars 2011

Manifestation d’étudiants à Ouaga - Le moins que l’on puisse dire est que la journée du vendredi 11 mars 2011 a été des plus mouvementées à Ouagadougou. Tout est parti de la marche-meeting de l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB). Avec pour destination la Direction générale de la Police nationale (DGPN) pour « protester contre les agissements des éléments des forces de l’ordre et pour réclamer vérité et justice sur les assassinats d’élèves et d’étudiant dans la région du Centre-Ouest et pour dire non à la culture de l’impunité dans notre pays » (sic). Cette manifestation, prévue pour être pacifique, s’est finalement transformée en course-poursuite dans les artères de la capitale, notamment dans les quartiers Zogona, 1200 Logements, Wemtenga, Dassasgho et Zone Une. Récit d’une chaude journée, au propre comme au figuré.

Dès potron-minet, ce vendredi 11 mars 2011, un important dispositif sécuritaire était mis en place tout autour de la Direction générale de la Police nationale (DGPN) et de la zone des ministères, obligeant les usagers de la route à faire de grands détours. A certains endroits plus ou moins stratégiques de la ville, les forces de l’ordre étaient également visibles.

A d’autres lieux, ce sont même des militaires qui étaient réquisitionnés. La raison de ce branle-bas de combat, la marche-meeting organisée par l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB) en direction de la DGPN « pour protester contre les agissements des éléments des forces de l’ordre et pour réclamer vérité et justice sur les assassinats d’élèves et d’étudiant dans la région du Centre-Ouest et pour dire non à la culture de l’impunité dans notre pays ».

D’ailleurs, depuis la veille jeudi au soir, les services sms étaient coupés, sans doute de crainte que souffle sur les rives du Kadiogo un parfum de Jasmin qui, on le sait, a pu se répandre en Tunisie et en Egypte en majeure partie grâce aux réseaux sociaux sur Internet et aux textos à partir desquels les manifestants coordonnaient leurs regroupements. Ce n’est que le vendredi dans l’après-midi qu’il était de nouveau possible d’envoyer des sms.

« C’est une marche pacifique de protestation »

Sur le coup de 7h30 ce jour-là, le lieu de rassemblement, le terrain Dabo-Boukary de l’Université de Ouagadougou (UO), comptait déjà des centaines de personnes. Par petits groupes, les retardataires viennent grossir les rangs au pas de course. Sifflets stridents et pancartes sont de mise. Muni d’un stylo et d’un calepin, un jeune homme nous accoste, mon coéquipier photo-reporter et moi. « De quel organe êtes-vous s’il vous plaît et est-ce que je peux avoir un contact ? » nous demande-t-il, bien qu’il ait aperçu le véhicule estampillé L’Observateur Paalga duquel nous venions de descendre. « Pour quoi faire ? » retorquons-nous. « C’est pour la sécurité des journalistes au cours de la marche.

Nous recensons les organes présents pour la couverture », nous répond l’« agent-recenseur ». Nous nous faisons donc enregistrer. A notre suite, c’est au tour de nos confrères de la RTB télé d’être abordés par le même jeune homme. Un autre étudiant vient à notre rencontre. Un autre recensement ?

Non, résident de la cité universitaire sise à côté du stade du 4-Août surnommée « la cité chinoise », ce dernier veut juste nous informer que la veille, dans la nuit, ils ont reçu la visite d’un groupe de jeunes se disant « patriotes », venus les dissuader de participer à la marche. « Ils en ont eu pour leur compte au point qu’ils ont fui laisser leur voiture », conclut-il son récit avant de se fondre dans la masse.

8h00, on sonne le rassemblement. Les rangs se resserrent et les pancartes se multiplient pendant que de la musique reggae résonne. « Vérité et Justice » ; « Non à l’injustice » ; « Au BF coup de matraque donne méningite » ; « SOS Médecin sans frontières. La méningite nous tue au Faso » ; « Si les policiers tuent que feront les malfrats alors avec ce chômage intenable » ; « Policiers = bandits armés » ; « Hé Dieu encore un Zongo » ...

Ce sont, entre autres, les messages que l’on peut lire sur les bouts de contre-plaqué, de cartons ou de feuilles de papier qui sont brandis. « Y a-t-il un journaliste qui ne s’est pas fait enregistrer ? » s’enquièrent les croquants auprès des hommes de médias regroupés à l’avant de la foule. Les nouveaux arrivants s’empressent de s’inscrire. La liste compte une vingtaine d’organes de presse.

8h15, l’impatience se fait sentir dans les rangs devant le retard du Comité exécutif à donner le top de départ de la marche. « Y a quoi ? On est pressé là ! » hurle quelqu’un. Comme pour ajouter à la tension, déjà palpable, les baffles "se taisent". Clameur de réprobation. Le DJ se rattrape rapidement en mettant un morceau, on ne peut mieux choisi : « Salvador de Bahia » d’Alpha Blondy. Le groupe se transforme en chÅ"ur. Tout en esquissant des pas de reggae on reprend le refrain de la chanson en le « contextualisant ». Ainsi, « On fait le show à Salvador de Bahia » donne « On fait le show à l’Université de Ouaga ». Du coup, l’impatience retombe. La musique adoucit les mÅ"urs.

8h30, entrée par la porte Est à l’arrière du rassemblement, l’équipe de la RTB est prise à partie : « On ne veut pas de la RTB ici. Fantoches ! » S’ensuit une brève chasse à l’homme qui s’achève avec le retrait de la caméra de l’équipe. Le « héros » qui a retiré l’appareil est acclamé lorsqu’il vient remettre son trophée aux organisateurs.

Ces derniers font aussitôt une mise au point : « Chers camarades, nous sommes conscients. Il nous faut le sens de la responsabilité. Restez calmes. Ne cédez pas à la provocation. Nous ne voulons pas qu’on nous détourne de nos objectifs par des actes isolés.

Nous sommes intellectuels, nous devons faire montre de valeurs ». Ils approchent ensuite le groupe de journalistes : « Avez-vous le contact de votre confrère de la RTB ? Nous voulons lui rendre sa caméra ». Et de déplorer cet « acte isolé » qui risque de « saboter » leur marche. Des déclarations de partis politiques sur les manifestations de Koudougou circulent.

Nouvelle mise au point : « Nous rappelons aux uns et aux autres que c’est une marche-meeting des étudiants et non de partis politiques. Nous demandons donc aux camarades d’arrêter la ventilation de leurs déclarations. A ceux qui en ont reçues, nous demandons de les détruire ». L’acte est joint à la parole par la troupe et des dizaines de feuilles de papier sont brandies puis déchirées en mille morceaux.

8h46, le comité exécutif monte enfin sur l’estrade sous un tonnerre d’applaudissements. Et le président de la corporation ANEB de Ouaga, Mahamadou Fayama, de prendre la parole pour saluer la mobilisation et la patience de ses camarades. « Il s’agit d’une marche pacifique de protestation pour aller remettre notre revendication.

On va démontrer que nous n’avons pas le caractère qu’ils veulent nous coller. Nous allons ensuite revenir pour dresser les perspectives pour les jours à venir », souligne-t-il d’entrée. Les manifestants sont ensuite priés de se mettre en position de départ suivant des règles précises : des lignes de 7 personnes espacées de 2 m en direction de la porte Est de l’UO (l’entrée des UFR/SDS et SVT).

Bien que les consignes d’alignement ne soient pas respectées, les éléments de la Commission sécurité quadrillent les frondeurs en se tenant par la main. A l’avant de la marche, le comité exécutif, lui aussi, encadré par un cordon sécuritaire, avec à sa tête Mahamadou Fayama tenant la déclaration à remettre à la DGPN.

8h56, la colonne s’ébranle et quitte le temple du savoir. Au niveau du boulevard Charles-de-Gaulle, il faut faire une halte. Le temps de déblayer le chemin en déviant les usagers et c’est reparti. 9h15. Les commerçants riverains du boulevard ferment boutique. Prudence est mère de sûreté.

Les organisateurs nous annoncent que leur itinéraire a été modifié : « Nous avions prévu initialement de passer par le Premier ministère puis l’avenue de la Nation pour accéder à la DGPN, mais les autorités municipales nous ont dit que c’est une zone rouge (interdite à ce genre de marche). Nous avons donc établi un nouveau tracé et nous allons passer par l’avenue du Burkina Faso, Koulouba, le siège d’Airtel, l’hôtel Azalaï pour atteindre notre destination. »

En chemin, la marche croise ses premiers hommes de tenue : des militaires et des gendarmes postés du côté de la Coopération allemande de développement, au niveau de l’intersection entre l’avenue de l’Université et le boulevard. Si en temps normal « apercevoir un gendarme est le commencement de la sagesse », dit-on, cette scène, tel un chiffon rouge qu’on agite devant un taureau, a le don d’exciter la colonne. « Policiers assassins ! » crie-t-elle.

La commission sécurité doit redoubler d’effort pour empêcher tout débordement ou jet de projectiles. L’arrivée au niveau de l’intersection entre Charles de Gaulle et l’avenue du Burkina Faso permet de se faire une idée du nombre de marcheurs dont il est difficile de donner un chiffre exact.

Les manifestants occupent en effet tout le boulevard du rond-point qui se trouve à l’intersection au feu de l’UO.

On entonne l’hymne national, le ditanyé, en passant devant le Secrétariat général du gouvernement et du Conseil des ministres puis le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.

Le face-à-face

9h32, place de la femme pour la paix. Des barrières bloquent le passage. Les forces de défense et de sécurité sont alignées. Au premier rang, des gendarmes qui tiennent les barrières.

A une cinquantaine de mètres derrière eux, la brigade anti-émeute est en position. Un peu plus loin à l’arrière, le long du mur de l’archevêché, des militaires sont postés, armes en bandoulière. « Libérez ! On veut marcher ! » hurlent les frondeurs, que les organisateurs de la marche ont de plus en plus de mal à contenir. Il leur faut même faire usage de la force pour les empêcher de forcer les barrières.

Le Ditanyè est, une nouvelle fois, entonné. La poussée se fait plus forte. Assis sur un banc, à l’ombre, à la hauteur du rond-point, un groupe de trois "civils", protégés par des gendarmes, intrigue. Il s’agit en fait du secrétaire général (SG) du ministère de la Sécurité, P. Théodore Kouénou, et de deux de ses collaborateurs venus rencontrer les marcheurs.

Un gendarme est envoyé auprès du comité exécutif des étudiants. Il revient, seul, faire un bref rapport : « Ils disent qu’ils n’ont pas de déclaration à remettre ». Comme s’ils avaient entendu la conversation, les manifestants ajoutent : « On veut aller remettre notre déclaration à la Direction de la Police ! »

Les trois hommes rebroussent chemin alors qu’il est 9h58. Nous rattrapons le SG de la Sécurité pendant qu’il monte dans son véhicule pour qu’il nous explique le sens de leur démarche. « Nous sommes venus recevoir la lettre des étudiants et nous avons attendu pour cela mais apparemment il n’y a pas de déclaration, comme vous avez pu le constater vous-même ». Un gendarme abrège notre entretien.

« Démarrez ! Ils arrivent ! » crie-t-il en tapant l’arrière du véhicule qui disparaît en un clin d’oeil. Les manifestants qui ont forcé les barrières ne sont plus qu’à quelques mètres de la brigade anti-émeute.

C’est le face-à-face tendu. Pendant quelque deux minutes, les frondeurs vont haranguer leur vis-à-vis. Soudain, des projectiles pleuvent sur les pandores. Ils ripostent avec des bombes lacrymogènes puis des tirs de balles blanches. Sauve-qui-peut. La place se vide en quelques secondes. Les dizaines de chaussures abandonnées sur place témoignent de la folle débandade. L’air devient irrespirable.

La fumée des bombes lacrymogènes se mélange à celle de petits feux déclenchés çà et là par l’atterrissage de bombes dans de l’herbe sèche. Postés à la route des 1200 Logements communément appelée « Boins yaaré », quelques jeunes continuent de jeter des cailloux. « On est là !

On bouge pas ! » braillent-ils. Ils seront pourtant obligés de battre en retraite. Les passants sont priés de faire demi-tour. L’un d’eux, Olivier Nagalo, n’en croit pas ses yeux devant la multitude de cailloux, chaussures, bombes lacrymogènes éteintes et cartouches de balles blanches qui jonchent la voie.

Il appelle ses jeunes frères au calme : « Je leur demande de faire pardon ! Ils n’ont qu’à faire pardon ! Des dispositions ont été déjà prises. Le gouverneur et le directeur régional de la Police du Centre-Ouest ont été relevés de leurs fonctions. Il faut donner le temps à la justice de faire son travail et après on verra ». Loin de là, les croquants, eux, sont occupés à prendre la poudre d’escampette sous un soleil de plomb.

Dans leur retraite, ils n’épargnent pas le bâtiment ayant abrité la direction de campagne de Blaise Compaoré lors de l’élection présidentielle du 21 novembre 2010. Plusieurs vitres volent en éclat. Comme preuve de leur passage, des tas de pneus, des feuilles, herbes sèches et planches brûlés à plusieurs endroits. La course-poursuite se poursuit dans les quartiers Zogona, Wemtenga, Dassasgho et Zone Une.

Scène d’Intifada à Ouaga

11h44, les choses se corsent dans le quartier Wemtenga. Les frondeurs qui ont décidé de brûler le commissariat de Police qui s’y trouve se heurtent à la gendarmerie qui protège le site. C’est l’affrontement. Cailloux et autres projectiles contre bombes lacrymogènes et balles en caoutchouc. Grâce à un renfort de troupes véhiculées, les « casseurs » sont contraints de se replier. Juste le temps de dresser un bastion sur le boulevard Charles-de-Gaulle au niveau de la gare TSR.

A l’aide de pneus, de planches de bois et de ferraille, récupérés dans les commerces alentours, la voie est bloquée. Tapis derrière les kiosques et autres boutiques, les jeunes armés de cailloux guettent le passage des véhicules de la gendarmerie qui reçoivent à chaque fois une pluie de pierres.

L’odeur piquante du gaz inonde toute la zone. Les usagers de la route sont obligés de rebrousser chemin ou de dévier par les six mètres. Les manifestants aident les véhicules civils à contourner leurs barricades. Non sans solliciter de l’aide : « Tonton pardon, on demande l’argent pour boire de l’eau ».

Le vacarme du face-à-face ne cessera qu’aux environs de 16h où un calme apparent s’est installé. Les militaires vont alors libérer les voies de leurs barricades de fortune pendant que les gendarmes effectuent des patrouilles à l’intérieur des quartiers. Bilan de cette journée tumultueuse sur les rives du Kadiogo, ...

Dans la soirée, le Président du Faso, Blaise Compaoré, lancera un appel au calme depuis Addis Abeba (voir encadré). L’ANEB, elle, a décrété une grève de 72 heures à compter du vendredi 11 mars. En outre, un meeting est prévu demain mardi sur le terrain Dabo Boukary de l’Université de Ouagadougou.

Hyacinthe Sanou & Moumouni Simporé (stagiaire)

Messages

  • Au Burkina Faso, les travailleurs sont appelés à faire grève mardi et mercredi. Ce mot d’ordre devait être observé le 11 novembre dernier mais il avait été suspendu en raison de l’insurrection populaire.

  • Au Burkina Faso, pour exiger la mise en application de la convention collective sectorielle des transports, la déclaration des chauffeurs à la Caisse nationale de sécurité sociale et la suspension des rackets, les chauffeurs routiers avaient cessé le travail. Conséquence de cette grève : une pénurie de carburant à Ouagadougou ce qui a conduit la Société nationale burkinabè d’énergie électrique (Sonabel) à mettre à l’arrêt certaines centrales thermiques.

    Chaude ambiance à la sortie ouest de la ville de Ouagadougou, tous les camions chargés de marchandises sont garés sur le bas côté de la route nationale N°1. Ceux qui veulent forcer le passage subissent la même sanction. « Lui, il a dit qu’il avait des médicaments à transporter alors qu’en fait, il n’y a rien dans son camion. Comme il a menti, on lui dégonfle son pneu. Et quand la grève finira, il pourra accéder au gonfleur pour repartir », explique un gréviste.

    Seuls les camions transportant des biens périssables, tels que les tomates, oignons, œufs, la volaille et le bétail, sont autorisés à passer. Un mouvement d’action nécessaire pour Salif Sawadogo, transporteur pour le compte d’une cimenterie : « Le problème concerne les augmentations des salaires et les embauche. Si tu n’es pas embauché, si tu as un accident, il n’y a aucune personne qui va prendre ses responsabilités ».

    Les chauffeurs exigent l’application d’une convention collective adoptée depuis 2011. Un document qui protège mieux les routiers pour Brahima Rabo, président de l’Union nationale des chauffeurs routiers du Burkina (UNCRB) : « Dans la convention, il y a plusieurs aspects. Il y a les indemnités, il y a la déclaration à la caisse, il y a les salaires. Mais nous, les priorités c’est le social et les salaires. Par exemple, obliger à déclarer un chauffeur à la Caisse nationale de sécurité sociale ».

    Conséquence de cette grève de 48 heures de longues filles d’attente se sont formées au niveau des stations-service qui avaient encore du carburant. La Société nationale d’électricité n’arrive plus à satisfaire ses abonnés, la plupart des centrales thermiques sont à l’arrêt.

  • Au Burkina Faso, les travailleurs de la principale brasserie du pays, la Brakina, filiale du groupe Castel, ont mis fin à leur mouvement de grève avec la signature d’un accord. Pendant 10 jours les travailleurs ont déserté les unités de production. La pénurie de bière et de l’eau minérale Lafi était ressentie dans le tout le pays. Les travailleurs réclamaient une augmentation de salaire d’environ 100 % et la réintégration de certains camarades licenciés à l’issue d’une autre crise.

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