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La fin à la grève des enseignants de Chicago

dimanche 14 octobre 2012

L’assemblée des délégués vote pour mettre fin à la grève des enseignants de Chicago

Par Joseph Kishore

20 septembre 2012

Le syndicat des enseignants de Chicago (Chicago Teachers Union, CTU) a réussi à obtenir le vote de 800 délégués réunis mardi soir, pour mettre fin à la grève de neuf jours contre le troisième plus grand district scolaire aux Etats-Unis. Le vote signifie que les enseignants reprendront le travail mercredi bien qu’il faille attendre trois semaines avant qu’ils puissent voter sur l’accord conclu entre le CTU et les Chicago Public Schools (CPS).

L’opposition est grande parmi les enseignants à l’accord qui englobe toutes les exigences fondamentales du maire démocrate Rahm Emanuel et du CPS. Le gouvernement de la ville et les médias ont mené en collaboration avec le CTU une campagne de mensonges et d’intimidation destinée à faire pression sur les enseignants afin qu’ils mettent un terme à la grève.

Le vote de mardi a eu lieu sous la menace d’une injonction du tribunal, réclamée lundi matin par Emanuel et qui aurait déclaré la grève illégale et préparé le terrain pour que les enseignants se voient infliger une amende et soient arrêtés.

A partir du tout premier jour, la grève a été la cible d’une attaque brutale de la part des deux partis patronaux et de l’ensemble des médias à la botte des grandes entreprises, tant les médias « libéraux » que conservateurs. Cet alignement politique a révélé les fortes divisions de classes existant non seulement à Chicago mais au niveau national et a mis en lumière le grand besoin du développement d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière.

L’accord étend les évaluations fondées sur les tests et servant à victimiser et à licencier les enseignants, à saper les droits de réembauche d’enseignants licenciés, à accorder aux chefs d’établissement une plus grande mainmise sur le recrutement et le licenciement et il inclue des concessions supplémentaires. Ces mesures faciliteront la fermeture projetée de jusqu’à 120 écoles publiques à Chicago, le licenciement de masse d’enseignants et le développement d’établissements privatisés lucratifs (Charter Schools).

Emanuel a immédiatement salué la décision de mardi en faisant l’éloge du syndicat pour avoir négocié un accord qui promeut son programme de « réforme » scolaire. « Ceci signifie un jour nouveau et une nouvelle direction pour les Chicago Public Schools, » a-t-il dit. « Par cet accord nous avons donné à nos enfants une place à la table de négociation. Au cours de négociations passées, les contribuables payaient plus mais nos enfants obtenaient moins. Cette fois-ci, nos contribuables paient moins et nos enfants obtiennent plus. »

La réalité qui se cache derrière la rhétorique d’Emanuel sur la question de « donner plus à nos enfants » est la destruction des droits des enseignants, le démantèlement des écoles publiques et la subordination de l’éducation à la course au profit des entreprises.

Dès le début, la direction du CTU de la présidente Karen Lewis et du vice-président Jesse Sharkey avait accepté l’ensemble du cadre de l’assaut perpétré contre les enseignants et l’enseignement public, y compris l’affirmation du CPS qu’il n’y a pas d’argent et que les coupes massives sont indispensables.

La position du syndicat était liée à son alliance politique avec le Parti démocrate qui est le fer de lance de l’attaque contre l’enseignement public à Chicago et sur le plan national. Tout au long de la grève, le CTU a cherché à dissimuler le fait que ce qui se passait à Chicago faisait partie d’une campagne nationale menée par le gouvernement Obama pour démanteler l’enseignement public aux Etats-Unis.

La direction du syndicat a appelé à la grève dans le but de relâcher la pression et de créer les conditions pour faire passer les exigences fondamentales de la ville. Aussitôt la grève commencée, le syndicat a fait l’objet d’une pression intense de la part de l’establishment du Parti démocrate pour y mettre fin. Lewis a annoncé dès jeudi que la ville et le CTU disposaient d’un « cadre » pour un accord. Le syndicat s’est toutefois abstenu d’en fournir les précisions vu qu’il s’efforçait de présenter le paquet de concessions de l’accord comme une victoire remportée par les enseignants.

Vendredi, la direction du CTU a décidé de ne pas faire voter les délégués sur la fin de la grève, ayant le sentiment de ne pas pouvoir faire passer une résolution pour une reprise du travail. Dimanche, date où les premiers détails ont été publiés, les délégués ont voté la poursuite de la grève pendant au moins deux jours, rejetant toutes tentatives de mettre fin à la grève avant que les délégués, et à fortiori l’ensemble des membres, n’aient vu l’accord.

Lewis a passé les journées de lundi et mardi à dire aux enseignants que les négociateurs du CTU ne se battraient pas pour l’obtention d’un accord meilleur quelle que soit la décision de la réunion des délégués mardi. Dans une interview radiodiffusée mardi matin sur WBEZ, Lewis a dit que la question n’était pas « de renégocier à ce stade. » Elle a poursuivi en disant, « Les gens n’obtiennent jamais exactement ce qu’ils veulent dans un accord, » en ajoutant, « ceci est un accord d’austérité. »

Le syndicat a cherché à masquer le véritable contenu de l’accord, en édulcorant la capitulation par des propos de « victoires ». Il a proclamé le fait que l’accord final par exemple n’incluait pas une proposition spécifique de rémunération au mérite. Cette proposition avait en fait été abandonnée par la ville avant le début de la grève.

Conscient du scepticisme et de l’opposition largement répandus contre l’accord tel qu’il a été décrit par le syndicat aux enseignants de la base, Lewis et Sharkey ont dit aux délégués qu’un vote en faveur de la reprise du travail ne signifiait pas la fin de la lutte et que l’accord pourrait encore être rejeté. Ils ont aussi mis en avant ce qu’ils ont prétendu être des accords encore plus mauvais signés signés par les syndicats dans d’autres districts.

L’impact de la campagne coordonnée pour mettre un terme à la grève menée par la ville et le syndicat s’est traduit dans la réponse des délégués, dont un qui a dit au World Socialist Web Site, « Le syndicat nous a dit de peser le pour et le contre. Parmi les adhérents nous avons discuté que ceci n’était pas le meilleur accord mais que c’était le meilleur que nous puissions obtenir pour le moment. Nous avons l’intention de continuer à lutter contre la fermeture des écoles et les conditions dans les écoles. »

En fait, la répression de la grève par le CTU accorde une victoire importante à Emanuel, en conférant au gouvernement l’initiative de poursuivre la victimisation des enseignants et la démolition de l’enseignement public à Chicago.

L’establishment patronal et politique à Chicago, aux côtés de la Maison Blanche d’Obama, comptent fortement sur Lewis et les autres pour trahir la lutte des enseignants. La classe dirigeante en général a été effrayée par l’échec du CTU d’obtenir dimanche un vote en faveur d’une reprise du travail lors de la réunion des délégués et divers commentateurs ont ouvertement parlé du risque que la grève pourrait échapper au contrôle du syndicat. L’éditorial de lundi du Chicago Tribune s’était plaint de l’incapacité du syndicat à contenir la « vitriol » de ses membres.

Lors de la conférence de presse mardi soir, après la réunion des délégués, un journaliste du World Socialist Web Site a remarqué que la préoccupation essentielle des enseignants concernait les projets de la ville de fermer des dizaines d’écoles. Il a demandé pourquoi les enseignants devraient donner du crédit aux affirmations du CTU qui se dit contre une privatisation de l’école alors que ce syndicat est tellement déterminé à faire accepter ce que Lewis elle-même a qualifié d’accord d’« austérité. »

Lewis a répliqué en disant, « Nous ne pouvons pas obtenir d’accord parfait… La question est de savoir, est-ce que faisons une grève illimitée jusqu’à ce que chaque petite chose que nous voulons soit obtenue ? »

Parmi les membres le soutien pour la poursuite de la grève était largement répandu bien que la campagne menée par le gouvernement et le syndicat pour mettre fin au débrayage ait influé sur certaines sections d’enseignants. Les délégués qui ont voté pour la fin de la grève sont en tous cas plus conservateurs et en général plus proches de la bureaucratie syndicale que l’ensemble des membres.

Mardi matin, des partisans du Socialist Equality Party (Parti de l’Egalité sociale, SEP) se sont rendus sur le piquet de grève à Hayt Elementary à l’extrémité Nord de la ville et ont discuté avec les enseignants sur la signification de la grève et le vaste soutien qu’elle a eu au sein de la classe ouvrière. En préparation du vote consultatif, un délégué du CTU a dit aux enseignants que s’ils étaient d’accord avec 75 pour cent de l’accord, ils devraient alors soutenir la fin de la grève. Les enseignants ont toutefois voté à une large majorité en faveur de la poursuite de la grève.

Le CTU avait préparé un tract devant être distribué aux enseignants et qui faisait référence à la grève en utilisant le passé. Plusieurs enseignants ont refusé de le distribuer. Ils ont exprimé la crainte que la direction était en train d’abandonner la grève.

Le syndicat et le gouvernement Emanuel ont réussi à faire reprendre le travail aux enseignants mais ceci ne reflète nullement un manque de détermination à lutter de la part des enseignants. Alors que l’assaut contre l’enseignement public continue, les luttes des enseignants éclateront sous de nouvelles formes. De par sa conduite de la grève, la direction du CTU n’a réussi qu’à prouver la faillite de toute sa perspective.

Depuis le début de leur grève, il y a une semaine, les enseignants sont confrontés à une hostilité féroce de la part de l’ensemble de l’establishment politique et médiatique qui traite leurs efforts pour défendre l’éducation publique comme si les grévistes étaient leurs esclaves. Ainsi, le Chicago Tribune a écrit que les enseignants cherchent à s’opposer au « cours de l’histoire, » voulant dire par-là aux efforts entrepris par la classe dirigeante pour anéantir chacun des acquis sociaux gagnés par les luttes de plusieurs générations de travailleurs.

Après avoir réduit drastiquement le financement de l’éducation publique durant des décennies et poursuivi une politique qui a entraîné une montée massive de la pauvreté, les Démocrates et les Républicains se sont unis pour faire des enseignants des boucs émissaires en recourant aux résultats de tests pour les licencier et accélérer le processus de privatisation de l’éducation.

La grève à Chicago a valeur de test pour l’agenda réactionnaire de la « réforme » scolaire du gouvernement Obama. Ce n’est pas par hasard qu’elle a lieu à Chicago – siège de l’appareil du parti démocrate qui a propulsé Obama à la Maison Blanche – et que les enseignants ont pour adversaire le maire Rahm Emanuel, ancien chef de cabinet et actuel collecteur de fonds pour la campagne de réélection du président.

Dimanche, une réunion des délégués des enseignants a rejeté une tentative du syndicat des enseignants de Chicago (Chicago Teachers Union CTU) de mettre fin à la grève dans des conditions qui acceptent toutes les exigences du maire Emanuel. Les enseignants ont refusé de se laisser contraindre à accepter une trahison.

Le maire Emanuel, qui a empoché une rémunération de 16 millions de dollars en tant que banquier d’affaires en l’espace de deux ans et demi après avoir quitté la Maison Blanche de Clinton en 1998, s’indigne que les délégués insistent pour qu’eux-mêmes et leurs adhérents puissent au moins connaître les modalités précises de l’accord avant de mettre un terme à la lutte.

La riposte d’Emanuel est de demander une injonction du tribunal pour obliger les enseignants à reprendre le travail en affirmant que la grève est « illégale » et qu’elle constitue « un danger évident imminent pour la santé et la sécurité publiques. » Observation venant d’un maire qui cherche à démanteler l’éducation publique à Chicago et à confiner la grande majorité des enfants à un avenir de pauvreté, à des classes surchargées dans des écoles qui se dégradent, et au chômage.

Un tribunal a reporté la date de l’audience à mercredi. Si les enseignants ne capitulent pas mardi et ne votent pas « correctement » lors de la prochaine réunion de la chambre des délégués, l’injonction sera mise en application avec le risque de sanctions massives, de licenciements et d’arrestations.

Ceci rappelle plus que le licenciement par Reagan des contrôleurs aériens de PATCO. La classe dirigeante de Chicago a une longue histoire de répression féroce de la lutte des classes. C’est une ville où quatre dirigeants d’un mouvement en faveur de la journée de travail de huit heures – les martyrs de Haymarket – furent condamnés à la pendaison en 1887, où une dizaine de sidérurgistes en grève furent fusillés en 1937 et où deux jeunes dirigeants du mouvement des Panthères noires (Black Panther) pour les droits civiques – Fred Hampton et Mark Clark – furent froidement assassinés par la police de Chicago en 1969.

Quant au CTU, il s’est révélé absolument peu disposé et totalement incapable de mener une lutte pour la défense des enseignants. La bureaucratie du CTU, dirigée par Karen Lewis et Jesse Sharkey, un membre de l’International Socialist Organization (ISO), n’a jamais eu l’intention de mener une lutte sérieuse. Le CTU n’a appelé à la grève que comme moyen de faire baisser la pression. L’intention a été dès le début d’accepter les termes élaborés à huis clos avec le maire.

Pris de court par l’opposition des enseignants – qui auraient crié à l’adresse des dirigeants du CTU de « prendre les bonnes décisions » – Lewis a cherché à justifier la trahison en insistant sur le fait que l’accord, bien que pas « bon » était « l’accord que nous avons obtenu. » En réalité, c’est l’accord qu’elle et Sharkey ont accepté au lieu d’organiser une lutte contre le Parti Démocrate, le gouvernement de Rahm Emanuel à Chicago et le gouvernement Obama à Washington.

Malgré l’opposition des enseignants, le CTU est déterminé à faire accepter une trahison. Lewis et Sharkey ont salué la menace d’Emanuel d’obtenir une injonction. Ils espèrent que cela convaincra les enseignants que toute opposition supplémentaire est inutile.

La politique du CTU est déterminée non pas par les enseignants mais par l’alliance politique de la bureaucratie avec le Parti démocrate et son acceptation et son soutien pour le système capitaliste existant. Lewis a dit que ce que les enseignants peuvent obtenir est limité par le déficit budgétaire du district scolaire. De plus, le CTU a accepté les projets de la ville de fermer plus d’une centaine d’écoles et d’ajouter encore 60 établissements privatisés (Charter Schools), en précisant vouloir que ceci se fasse en collaboration avec le syndicat et non unilatéralement.

Le déroulement de cette grève a mis en évidence non seulement les relations de classes mais aussi les mécanismes de gouvernance employés par la classe dirigeante. La classe dirigeante entretient un vaste réseau d’institutions et d’organisations politiques pour préserver son contrôle sur la classe ouvrière et pour réguler et réprimer l’opposition sociale.

L’appareil syndical joue le rôle primordial dans cette répression. Derrière les syndicats se trouvent divers groupes pseudo-gauches tels l’ISO. Quel que soit le discours de « gauche » voire même « socialisant » qu’ils emploient, l’ISO et d’autres organisations similaires parlent pour une couche de la classe moyenne supérieure qui est profondément hostile à toute lutte politique indépendante de la classe ouvrière. Elles cherchent absolument à sauvegarder l’autorité des syndicats sur la classe ouvrière en la subordonnant au Parti démocrate.

La lutte des enseignants de Chicago est une bataille décisive pour la défense de l’éducation publique. Cette lutte ne peut être victorieuse que si les enseignants en appellent directement à la classe ouvrière dans son ensemble. Partout à Chicago et dans le pays entier il existe un soutien énorme en faveur des enseignants parmi les travailleurs, les parents et les jeunes. Ce potentiel ne peut être mobilisé que si les questions de classe sont expliquées et si une lutte est organisée sur la base d’un combat contre le Parti démocrate et le système capitaliste qu’il défend.

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