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Père sans papiers d’enfant français : 4 mois de calvaire

samedi 26 janvier 2013

Père sans papiers d’enfant français : 4 mois de calvaire

Par RESF

Récit de la mobilisation pour M. Ribeiro : de son enfermement au CRA à sa libération 4 mois plus tard

Pour Herculano Ribeiro, cette histoire commence le 4 septembre lorsqu’ilest placéau Centre de Rétention de Marseille.

ACTE 1 : un père d’élève au centre de rétention

Le 13 septembre à 11h30, je dépose mes élèves au portail de l’école, je monte dans ma voiture et je reçois un appel. Un numéro que je ne connais pas. C’est l’association « Forum Réfugiés » qui appelle du CRA de Marseille… ils ont eu mon numéro car je fais office de correspondant du RESF à Martigues. On m’informe qu’un certain M. Ribeiro Herculano est au centre, qu’il dit avoir un fils scolarisé à Martigues, et on me donne le numéro de la mère de cet enfant. J’arrive à avoir cette maman au téléphone, qui se trouve être une dame avec qui j’ai travaillé autrefois sur des projets éducatifs dans la ville, moi comme enseignant, elle comme animatrice d’une maison de quartier. Elle s’appelle Mylène et me raconte un peu les déboires d’Herculano avec la justice, ses problèmes de papiers, et me confirme qu’il est père d’un enfant français. Il a un avocat que je contacte et qui est confiant. A priori l’affaire devrait être vite réglée. J’envoie alors un mail aux copains du RESF sur le thème : un père d’enfant français dont le fils est scolarisé en CP à l’école Di Lorto de Martigues est actuellement au CRA, il devrait sortir vite, mais on suit quand même cette affaire.

Le lundi suivant, je prends des nouvelles auprès de l’avocat qui me dit que finalement, le dossier est plus compliqué que prévu, que M. Ribeiro a déjà fait de la prison, qu’il perdu son titre de séjour suite à un jugement comme quoi il ne subvenait pas aux besoins de son fils…bref, pas de libération en vue, voire même une possible expulsion. Dans la foulée, je rédige le premier communiqué assorti d’une pétition « La police de M. Valls va-t-elle expulser un père d’enfant français ? » qui sera mise en ligne sur le site du RESF le 19 septembre.

En même temps que M. Ribeiro, 2 autres pères de famille (Messieurs Idermunkh et Hamdaoui) sont au CRA à Marseille, ainsi qu’un lycéen, le jeune Tigran (qui lui sera relativement vite libéré). La rentrée 2012, malgré le changement de gouvernement, est bien compliquée pour les sans-papiers. Le RESF 13 organise un rassemblement : « Sans papiers, le changement dans la continuité » qui a lieu le 26 septembre devant la préfecture. De notre côté, on fait signer la pétition sur papier, devant l’école d’E.R ou par exemple à la fête des associations de Martigues, avec un assez bon succès : 200 signatures dans l’après-midi et des commentaires très encourageants de nos concitoyens.

Le 21 septembre, j’apprends le soir par un coup de fil de Mylène que la police a tenté d’expulser M. Ribeiro, son ex-compagnon, mais qu’il a refusé de partir. L’affaire est donc sérieuse, la préfecture semble déterminée à expulser Herculano et il va peut-être falloir se bouger un peu plus, au-delà des signatures de pétition.

En marge de la manifestation devant la préfecture du 26 septembre, une délégation LDH/RESF est reçu par M. Izquierdo, Directeur du service "Etrangers" et M. Mamussi représentant Hugues Parant, préfet. Beaucoup de points sont abordés par les militants présents, comme les 708 euros que coûte une carte de séjour, la situation des roms…mais aussi le cas de M. Ribeiro. 700 signatures sont remises au Préfet et on rappelle un courrier que M. Charroux, député Front de Gauche de la 13° circonscription des Bouches-du-Rhône, a écrit pour demander la libération de M. Ribeiro.

Le vendredi 28 septembre, M. Ribeiro arrive à la durée légale de la première période de rétention, 25 jours, et passe donc mécaniquement devant le JLD, qui entérine la demande de la préfecture de rallonger son séjour en CRA de 20 jours.

Les militants RESF Ouest Etang de Berre relaient l’information mais il faut bien avouer que de nombreuses tâches courantes sont à l’ordre du jour pour un trop petit nombre de militants : trouver des solutions de logement pour les familles déboutées du droit d’asile, assurer le soutien scolaire de tous ces enfants de demandeurs d’asile ou de sans-papiers scolarisés sur Martigues et Port de Bouc, aider à la rédaction des dossiers de régularisation, accompagner les sans-papiers à la Préfecture… et aussi organiser le concert annuel du réseau qui aura lieu cette année le 17 novembre. C’est une très grosse soirée, avec plusieurs groupes (cette année, il y a aura les groupes Déclic, Akassa Production et en tête d’affiche L’Homme Parle…) et une grosse logistique (buvette, médiatisation, organisation de la salle, accueil des artistes…). Donc finalement, les infos sur M. Ribeiro sont un peu prises comme une fatalité, et nous nourrissons l’espoir que sa situation se règle d’elle-même. Après tout, il est papa d’un enfant français, donc a priori pas expulsable non ? Et bon an, mal an, on arrive au 44° jour de rétention pour lui.

ACTE 2 : allez directement en prison, ne passez pas par la case départ…

Le 18 octobre, à J-1 de sa libération, la police vient le chercher : direction aéroport. Mr Ribeiro refuse pacifiquement son expulsion et est conduit au TGI d’Aix en Provence. Il sera jugé le vendredi après-midi. Pour moi, c’est là, à proprement parler, la première fois que je prends conscience de l’urgence militante. M. Ribeiro comparait devant un tribunal pour un délit : celui d’avoir refusé d’embarquer. Comment-ça ? Refuser d’être expulsé à 4000 km de son fils est un délit ? J’apprends par texto de son avocat que la « comparution immédiate », c’est tout de suite (en voilà une qui porte bien son nom !). On est un vendredi après-midi…dur dur de mobiliser. Je me retrouve seul avec Jean-Claude, militant infatigable de la LDH d’Istres. Lui est retraité, et moi, c’est une journée où je suis déchargé syndical. Une chance. On se retrouve tous les deux à 14h au tribunal de grande instance d’Aix en Provence. Le cas Ribeiro est la deuxième affaire qui sera traitée. Et assister à la première affaire ne me rassure guère sur la justice de mon pays. Un jeune garçon de 23 ans comparait pour commerce de cannabis. Lorsqu’il a été arrêté, si j’ai bien entendu le procureur, il avait 27 grammes de cannabis sur lui et 450 euros en liquide… c’est pas la french connexion quoi ! Mais lors de son interpellation il s’est enfui alors qu’il avait, dans le passé, déjà été interpellé pour détention de cannabis. Verdict : 4 ans ferme ! Waouh… au tribunal d’Aix, on ne rigole pas ! Pour M. Ribeiro le juge n’était pas dans de meilleure dispositions. Bien que l’avocat ait plaidé l’intérêt supérieur de l’enfant et tout un tas de faits allant dans le sens d’une libération…la punition fut rude : 2 mois de prison avec mandat de dépôt. Lorsque M. Ribeiro s’est présenté à la barre, c’était la première fois que je le voyais. Un grand africain avec des tresses. Je crois que ce qui m’a le plus dégoûté, ce n’est pas tant la condamnation que la suffisance avec laquelle le juge et le procureur se sont adressés à M. Ribeiro. Le premier avançant qu’avec une pareille coupe de cheveux, M. Ribeiro devait sans doute consomme de la marijuana, la deuxième s’adressant à lui comme on parle à un très jeune enfant, arguant que lorsqu’on aspire à vivre en France, on doit en respecter les lois (i.e : ne pas refuser de se faire expulser quand la loi nous y contraint). Quel manque de respect, quel cynisme ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jean-Claude et moi sommes sortis scandalisés.

Nous écrivons tous les deux un communiqué indigné et décidons de tout mettre en œuvre pour faire libérer M. Ribeiro. Pour moi c’est clair, c’est en sortant du tribunal que j’ai compris qu’il ne s’agissait plus à mes yeux d’un combat ordinaire pour empêcher une expulsion de plus, mais d’un cas que j’allais prendre à cœur, pour lequel j’allais donner toutes mes forces. J’ai bien compris en sortant du tribunal ce qui s’était passé sous mes yeux. Dans ma voiture en rentrant à Martigues, en écoutant ZEP à fond dans l’auto-radio, j’ai beaucoup pensé à la manière dont le couple police/justice fonctionnait. Comment le piège de l’absurde s’était refermé sur M. Ribeiro. Et j’étais loin de me douter des tournures que cela allait prendre.

Très vite, les tâches militantes au RESF reprennent leur accent quotidien. La circulaire de Valls est en préparation, les expulsions continuent ci et là, les sans-papiers de Lille commencent à bouillonner… et surtout le concert arrive. Et on oublie de fait un peu M. Ribeiro.

Le 6 décembre, M. Ribeiro retourne au CRA. Nous écrivons un nouveau communiqué en insistant sur le fait que depuis 4 mois, son fils ne l’a vu qu’au parloir et qu’il serait temps d’en finir avec l’acharnement.

Le 13 décembre, une délégation RESF/LDH est reçue par le sous-préfet d’Istres pour évoquer certains cas de sans-papiers. Sans suite. Désormais, à chaque mail que j’envoie pour gérer les affaires courantes du RESF (autres familles, questions diverses…) je rappelle à tout le monde : « à tout moment M. Ribeiro peut-être expulsé, préparez-vous à la mobilisation ».

ACTE 3 : Première mobilisation à l’aéroport

On arrive aux fêtes de Noël . On n’imagine pas l’expulsion possible d’un papa pendant le repas de Noël ! Mais on ne sait jamais… Le samedi 29 décembre, je suis la route, je rentre de mes vacances en famille, avec ma femme et mes enfants. Mylène (l’ex-compagne de M. Ribeiro, si vous avez suivi jusque là !) me fait suivre un message d’Herculano : expulsion prévue le 30 ! J’appelle immédiatement le CRA de Marseille pour avoir confirmation. A partir de là, il faut trouver le vol, le lieu d’embarquement…et organiser une mobilisation dans l’urgence, alors que la plupart de mes camarades sont en vacances, en train de digérer la dinde de Noël , ou de préparer le réveillon du nouvel an ! Impossible de dire combien de mails et de coups de téléphone j’ai passé ce jour là. Finalement, on saura qu’un vol est prévu à 11h le dimanche 30 et on se mobilise comme on peut pour un départ de Martigues à 9h. Mais le samedi soir vers 20h, M. Ribeiro appelle Mylène qui me contacte pour que je prévienne les autres militants : le circuit de l’information devenu désormais classique ! Herculano vient de recevoir une convocation pour passer devant le JLD dimanche (jour de l’expulsion), à 10h15.

Difficile de savoir à quoi s’en tenir. Heureusement autour de moi, des camarades investis dans les luttes aux côtés des sans-papiers depuis de longues années me briefent : c’est logique qu’il reçoive une convocation étant donné que c’est son dernier jour de rétention. On ne peut savoir ce que dira le JLD, ni même si la police ne préfèrera pas l’embarquer à l’aéroport avant son passage chez le juge. Donc il vaut mieux se préparer au pire. Et me voici un samedi soir chez moi à rédiger un tract à destination des passagers de l’avion que prendra (peut-être !) M. Ribeiro dimanche, à en tirer une centaine d’exemplaires sur mon imprimante.

Le dimanche matin, on est 9 sur le parking, et autant de copains de Miramas, Aix, Marseille sont en partance pour l’aéroport. M. Ribeiro ira-t-il à Marignane ou chez le JLD ??? Trop tôt pour en être sûrs. Heureusement qu’il ne fait pas trop froid car on attend une bonne heure sur le parking. J’ai M. Ribeiro au téléphone. La Police lui a dit « on va au tribunal »… mais comme la confiance ne règne pas, un camarade se rend chez le JLD pour s’en assurer. M. Ribeiro est bien là-bas ! Il faut faire la mobilisation inverse : prévenir tout le monde de rentrer à la maison, M. Ribeiro ne sera pas à l’aéroport ce matin… ou les joies du militantisme au RESF ! Durant l’audience, on apprend d’une part que le JLD condamne de nouveau M. Ribeiro à une peine de 20 jours au CRA, mais aussi qu’un vol est prévu à 19h25 le soir même à l’aéroport. Et là devinez ce qu’il faut faire ? Re-mobiliser les troupes ! On écoute la chanson « on lâche rien » de HK et les Saltimbanks, et on se redonne rendez-vous à 17h sur le parking. Encore des mails, des textos, des appels…

Le soir, on se retrouve à une vingtaine à l’aéroport. Objectif : interpeller les passagers sur le fait qu’ils vont peut-être voyager avec un homme menotté au fond de l’avion. Il ne s’agit pas d’Hanibal Lecter, de Ben Laden ou de Pablo Escobar… mais d’un père de famille qui ne veut pas être éloigné de son fils. Les réactions des passagers sont très encourageantes. Quelques uns prennent nos numéros de téléphone et ils nous donnerons plus tard des nouvelles, une fois dans l’avion. Car si M. Ribeiro refuse encore une fois d’embarquer, il risque de nouveau la prison. Alors mieux vaut créer un peu d’agitation et faire en sorte que ce soit le pilote qui refuse ce passager à son bord. Lorsque tout le monde a embarqué, nous nous rendons au rez-de chaussée devant les locaux de la Police de l’Air et des Frontières. Une vitre nous sépare du tarmac et de là on voit l’avion et la voiture de police garée devant les locaux dela PAF. M. Ribeiro montera-t-il à bord ?

A 19h25, l’avion s’élance sur la piste, tout porte à croire qu’Herulano n’a pas embarqué, alors on se masse devant le vitre qui donne sur le tarmac. Une fois de plus, il a refusé son embarquement. Il sait ce qu’il risque, la prison, dans les cellules délabrées des Baumettes. Son courage est émouvant. Lorsqu’il sort des locaux de la PAF, il est menotté et des policiers le font monter dans une camionnette. On l’applaudit, on crie, on lui fait signe à travers la vitre. Ilsourit et rentre dans le fourgon de police. Un policier dira narquoisement à un camarade que la prochaine fois, ce sera la bonne et que la force sera employée. Mais pour l’heure, une fois encore, le pire a été évité. Le soir, M. Ribeiro m’appelle du CRA pour que je remercie de sa part tous les militants du RESF… moi je suis déjà en train de rédiger un communiqué.

ACTE 4 : Roissy… embarquement immédiat

Puis c’est le réveillon, que M. Ribeiro passera au CRA de Marseille, alors que nous passons les fêtes en famille, avec des amis… ou dans une prison à Karachi lorsqu’on s’appelle Ahmed Sohail.

Vendredi 4 janvier, j’apprends par la chaîne de communication Herculano/Mylène/Fred deux nouvelles informations capitales : premièrement, un vol est prévu dimanche 13 janvier à 19h25 pour M. Ribeiro direction le Cap-Vert. Deuxièmement, Forum Réfugiés a saisi le TA par un référé-liberté suite à l’évolution positive de sa situation familiale depuis quelques mois et en vue de l’audience du 18 janvier devant le juge des affaires familiales. M. Ribeiro passe au TA de Marseille samedi 5 janvier à 15h. Donc, à quelques heures d’intervalles, un vol est prévu et il passe au TA : la dernière chance ????? M. Ribeiro a une avocate commise d’office dont Mylène a eu le numéro de téléphone. Elle lui expliquela situation. De mon côté, je contacte les enseignants de l’école de son fils pour avoir des preuves de l’implication de M. Ribeiro dans la scolarité de son fils. Il se trouve que la directrice a un document attestant de la présence d’Herculano Ribeiro lors de l’inscription de E.R à l’école. De plus, elle accepte de se rendre au tribunal au cas où le juge souhaiterait l’interroger. Nous partons donc à 5 de Martigues soutenir M. Ribeiro et nous serons rejoints à Marseille par des copains militants du RESF 13.

De nouveau, me voilà dans un tribunal à écouter les plaidoiries, de l’avocate commise d’office (qui, je trouve, défend très bien le cas pour quelqu’un qui a découvert le dossier il y a seulement quelques heures), du représentant de la Préfecture qui lui semble découvrir le dossier au fur et à mesure où il plaide et enfin du juge qui cache mal son déplaisir d’avoir été obligé de venir au tribunal un samedi après-midi des vacances de Noël. Devant cette assistance un peu surréaliste encadrée par un policer qui baille avachi au fond de la salle, l’avocate plaide deux choses : que M. Ribeiro a rendez-vous avec le JAF le 18 janvier et doit pouvoir s’y présenter, ce qui lui est impossible s’il est au Cap Vert, et que, contrairement à ce qui se dit depuis le début, il a des liens avec son fils. Ce deuxième point elle peine à le démontrer. A la fin de l’audience, la famille de M. Ribeiro, l’avocate et les militants présents sortons et discutons devant le tribunal. On ne se fait guère d’illusions et déjà on prévoit d’une part de mobiliser très large pour l’aéroport le 13, et d’autre part de constituer un dossier plus costaud montrant que M. Ribeiro voit régulièrement son fils (album photos, témoignages…) pour le cas où on devrait une nouvelle fois se retrouver dans un tribunal.

Le soir, on apprend ce qu’on savait déjà : M. Ribeiro sera expulsé dimanche 13 janvier. De là, on tente de nouveau de mobiliser très large. Sans faire le marseillais, il est plus que probable que nous aurions été plusieurs centaines à l’aéroport si M. Ribeiro avait dû embarquer dimanche 13. Comme nous avions été 2 à 300 lors de la tentative d’expulsion de M. Soihili l’an dernier et que les militants du RESF avaient alors mis en échec l’expulsion d’un père de famille comorien, régularisé depuis.

En parallèle, nous tentons une autre action politique. J’écris une lettre ouverte aux militants du PS de nos villes : Martigues, Fos, Istres, Saint Mitres, Châteauneuf-les-Martigues… En plus d’y faire part de nos inquiétudes face à la politique menée par Valls, nous les invitons à nous rejoindre à l’aéroport le 13 janvier pour empêcher la police d’expulser un papa d’enfant français. Pour donner du corps à cette initiative, nous serons quelques uns à aller aux vœux dela section PS à Martigues, présidée par Mme Degioanni, élue à la ville et conseillère générale, pour distribuer cette lettre. Du côté des députés locaux, nous savons que nous avons le soutien de Messieurs Charroux et Burroni, députés Front de Gauche et PS, qui interviennent auprès du préfet pour demander que M. Ribeiro ne soit pas expulsé.

Ensuite, j’attends patiemment le dimanche non sans rester inactif. Une veille militante en quelque sorte : j’écris des tracts, des communiqués, j’envoie des mails à la presse, aux organisations, je téléphone à mes contacts…

Mais le mercredi 9 janvier au matin, alors que je pousse mon fils sur une balançoire, j’apprends par un coup de téléphone que la date d’expulsion qui figurait sur la planning du centre de rétention est effacée. Qu’est ce que cela signifie ? Chacune des personnes à qui je demande conseil y va de son pronostic : M. Ribeiro va être libéré, il est déjà parti à l’aéroport, il a été transféré, il va être expulsé ailleurs (Montpellier, Nice…l’aéroport militaire de Salon) ?

J’envoie cette info sur la liste de diffusion de ses soutiens et tout le monde s’inquiète… surtout sa famille ! C’est jeudi 10 janvier, à 11h, que M. Ribeiro envoie un message à Mylène : « La police vient me chercher ». J’appelle illico le CRA et son compagnon de cellule…effectivement, il n’est plus là et a pris son sac ? Où est-il ?

Je l’appelle toutes les 15 minutes en espérant tomber sur lui. Et je retrouve sa trace à la PAF de Marignane à 12h39 (la précision vient du fait que j’ai pris le soin de conserver les messages !) ; 2 copains,Jean et Jean, se rendent à l’aéroport et font un travail d’investigation. Ils apprennent de la bouche de policiers que M. Ribeiro est monté dans un avion pour Paris ! Info ? Intox ? Comment les policiers l’ont convaincu de monter ? Nous ne sommes pas rassurés… son ex-compagne, son fils, son frère encore moins j’imagine !

A 19h22, Herculano appelle pour dire qu’il a été monté, menotté et escorté de quatre policiers, dans un avion privé du ministère et qu’il est maintenant en CRA, mais il ne sait pas où. Je lui demande de me passer un co-retenu. L’homme me dit : Mesnil-Amelot. Je lui fais répéter car je ne comprends pas bien. Herculano me dit que les policiers l’ont convaincu de monter en lui disant qu’il ne serait pas expulsé mais qu’à Paris il pourrait refuser de nouveau, qu’il ne devait pas s’inquiéter. La bonne blague. Pour nous, il s’agit d’un genre de kidnapping, à la manière des services secrets dans les films où les américains sauvent le monde ! Le but de cette manœuvre est clair : couper M. Ribeiro de ses soutiens. Loin des militants RESF de Martigues, Marseille, Istres… ils pourront l’expulser tranquillement puisqu’il est écrit que c’est la mission prioritaire du ministère de l’intérieur aujourd’hui : renvoyer au Cap Vert coûte que coûte M. Ribeiro.

Mais nous ne sommes pas du genre à laisser tomber pour autant ! Dès le lendemain matin je téléphone à la CIMADE au CRA de Mesnil-Amelot. La police n’a pas traîné : un vol est prévu à 15h55 !!! Ils ont prévu de venir chercher M. Ribeiro à 13h30. La fenêtre de tir est mince pour nous ! J’informe largement de ce coup de force. Toutes les organisations relaient nationalement l’information. L’indignation est générale : de nombreuses personnes passent des coups de fils, certains arrivent même à avoir le conseiller de Valls à l’immigration, M. Sodini, ainsi que des ministres… Mais rien n’y fait. M. Ribeiro envoie un message de la voiture qui le conduit à l’aéroport. Immédiatement je lui téléphone pour connaître son état d’esprit. Il est confiant, d’autant qu’un policier lui a dit « t’inquiète, moi aussi je suis papa, tu n’auras qu’à refuser d’embarquer » et un autre lui a assuré : « tu montes dans l’avion, tu demandes à parler au pilote, tu dis que tu ne veux pas partir et nous on te redescend de l’avion ». Ces mensonges s’apparentent déjà à de la torture psychologique… Ne t’inquiète pas petit lapin dit le loup…

Heureusement que des camarades de Paris sont mobilisés : Jean-Michel, Brigitte, Armelle, Clotilde… Ils vont à l’aéroport mais on ne sait pas d’où l’avion décolle, ni pour quelle destination. J’ai un copain de la CGT Air France au téléphone. Il m’indique le vol, le Hall, et il informe le personnel naviguant de la présence d’un sans-papier à bord.

ACTE 5 : violence policière

Si nous sommes si inquiets, c’est parce que l’on sait que M. Ribeiro est affaibli moralement après 4 mois passés derrière des barreaux. On sait aussi la torture psychologique que cela représente. A 17h, Mylène appelle : « Herculano a vite passé un coup de fil, il a réussi à ne pas embarquer, il est à la PAF, il a dit « il m’ont fracassé », il est en sang et a très mal au bras ! ». Le stress ! Que lui ont-ils fait ?

Avec Jean-Claude, nous écrivons dans l’urgence un communiqué, imprécis certes mais qui aura de nombreux retours de personnes indignée de la France entière !

A 18h, nous arrivons à joindre M. Ribeiro au CRA et nous lui conseillons de demander à voir un médecin, sans oublier de lui demander un rapport. Le soir, il verra un médecin au CRA. Mais lorsque ce dernier demande à Herculano s’il souhaite un rapport en vue de porter plainte, les policiers fustigent du regard M. Ribeiro qui préfère répondre qu’il ne désire pas porter plainte ! Devant les loups, le lapin préfère faire profil bas. M. Ribeiro s’en tire donc avec un peu de pommade, des anti-inflammatoires, une douche et une bonne nuit de sommeil dans le confort des chambres du CRA ! Mais il n’arrive pas à dormir, il a des douleurs à la tête et du sang dans les urines. Le personnel du CRA appelle les urgences. M. Ribeiro passera la nuit dans un hôpital (mais lequel exactement ? Il faudra une fois de plus nous livrer à des investigations pour le savoir !). Samedi 12 janvier au matin, nous l’appelons. Il a fait un scanner, une radio, des analyses d’urine… mais il ne sait pas où il est. Il sait juste qu’il est à l’hôpital et que 2 policiers gardent sa chambre. Nous finissons par apprendre qu’il est à l’hôpital de Meaux et 2 camarades du RESF de Paris se rendent à son chevet (sans bien entendu pouvoir le voir, M. Ribeiro est gardé comme on garderait un criminel).

Rapidement, la CIMADE demande un passage devant le JLD. La LDH de Paris demande à une avocate avec laquelle ils travaillent régulièrement (Maître Herrero) d’assister M. Ribeiro au tribunal où il sera conduit en fin d’après midi.

ACTE 6 : la libération

Samedi 12 janvier après-midi, Mylène vient chez moi avec son fils, E. qui est inquiet pour son papa. Nous passons l’après-midi à scanner tous les documents qui peuvent être utiles à l’avocate, à passer des fax au procureur, à téléphoner, téléphoner, téléphoner… et à partir de 18h… à attendre. Dur de ne pas être présents aux côtés de Herculano au tribunal, de ne pas savoir immédiatement, de ne pas avoir de nouvelles précises de sa santé !

A 18h55, Richard, un camarade du RESF de Paris, nous téléphone : M. Ribeiro est libre. Nous ne le croyons pas… Mylène et Géraldine échangent quelques larmes de joie. Les enfants jouent dans la chambre, on les interrompt pour leur annoncer l’incroyable nouvelle.

Une camarade du RESF Paris le récupère au tribunal et l’emmène à la gare de Lyon : direction Marseille. C’est à ce moment qu’on apprend que l’avocate a plaidé le fait que durant son transport (ou sa déportation…) entre Marseille et Paris, personne ne savait où était M. Ribeiro (pas même lui d’ailleurs). C’est visiblement ça qui lui vaudra sa liberté !

A la maison, en attendant qu’Herculano arrive à la gare d’Aix-TGV, nous demandons aux enfants ce qu’ils veulent pour fêter ça : des frites ! Alors on fêtera ça avec des frites pour les enfants…. pour les grands, Jean-Claude et Régine, sa femme, apportent le champagne. Et à 22h30, Mylène et son fils partent chercher Herculano à la gare.

Le lundi suivant, la directrice de l’école d’E. m’a envoyé un texto pour me dire que c’était émouvant de voir M. Ribeiro accompagner son fils à l’école. Un père et son fils réunis. C’est un épilogue pas si mal… même si maintenant il faut encore qu’il obtienne des papiers. La LDH a fait une saisine au procureur de Meaux pour attirer son attention sur la manière dont M. Ribeiro a été violenté par la police.

Une histoire ordinaire au pays des droits de l’homme, une histoire de sans-papier, une histoire de plus.

Frédéric Grimaud

RESF Ouest Etang de Berre.

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