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Quand nos aprioris philosophiques agissent sur nos pensées scientifiques

vendredi 16 mars 2012, par Robert Paris

« La science domine, certes, mais les idées sociales, politiques et économiques qui prévalent aujourd’hui ont été presque toutes façonnées, consciemment ou non, par une vision du monde fondée sur les résultats de la science du 19ème siècle. Nous continuons à voir la science à peu près comme la voyaient nos grands-parents. » explique le physicien Etienne Klein dans « Conversations avec le sphinx »

« Il ne faudrait pas oublier de penser la science. » écrit le physicien-philosophe Etienne Klein dans "Regards sur la matière"

Quand nos aprioris philosophiques agissent sur nos pensées scientifiques

Loin de vouloir supprimer les aprioris philosophiques de la science, ce qui nous semble parfaitement illusoire tant la science est nécessairement humaine, nous souhaitons que la science soit consciente de ses aprioris et les discute clairement. Bien des gens pensent que la science est objective et ne suppose rien qui ne soit prouvé. Mais c’est oublier qu’on ne trouve que dans un sens dans lequel on a cherché et qui suppose déjà des choses que l’on n’a pas nécessairement prouvé auparavant. Cela omet que les scientifiques sont eux-mêmes des hommes et des femmes vivant dans une société donnée avec son système sociale et son idéologie. C’est aussi refuser de voir que la science comme les autres domaines est au service des classes dirigeantes. Les scientifiques ne sont pas nécessairement conscients de tout cela et n’ont pas forcément envie de l’être. Ils pensent que ce n’est pas nécessaire pour bien exercer leur métier de scientifiques. C’est sur ce point que nous voulons montrer qu’ils se trompent.

UN EXEMPLE : PENSER LA DISCONTINUITÉ DE L’ÉVOLUTION

Extrait de « le pouce du panda » de Stephen Jay Gould :

Le caractère épisodique du changement évolutif

Le 23 novembre 1859, le jour précédent la sortie de son livre révolutionnaire, Charles Darwin reçut une lettre extraordinaire de son ami Thomas Henry Huxley. Celui-ci lui offrait son soutien actif dans le combat à venir, allant même jusqu’au sacrifice suprême : « Je suis prêt à mourir sur le bûcher, s’il le faut. (…) Je me prépare en aiguisant mes griffes et mon bec. » Mais il ajoutait aussi un avertissement : « Vous vous êtes encombré d’une difficulté inutile en adoptant le « Natura non facit saltum » sans la moindre réserve. »

L’expression latine, généralement attribuée à Linné, signifie que « la nature ne fait pas de sauts ». Darwin approuvait totalement cette devise ancienne. Disciple de Charles Lyell, l’apôtre du « gradualisme » en géologie, Darwin décrivait l’évolution comme un processus majestueux et régulier, agissant avec une telle lenteur que personne ne pouvait espérer l’observer pendant la durée d’une vie. Les ancêtres et leurs descendants, selon Darwin, doivent être reliés par « une infinité de liens transitoires » qui forment « une belle succession d’étapes progressives ». Seule une longue période de temps a permis à un processus si lent de réaliser une telle œuvre.

Huxley avait le sentiment que Darwin creusait le fossé de sa propre théorie. La sélection naturelle n’avait besoin d’aucun postulat sur la vitesse ; elle pouvait tout aussi bien si l’évolution se déroulait sur un rythme rapide. Le chemin qui s’ouvrait était déjà bien semé d’embûches ; pourquoi atteler la théorie de la sélection à une supposition à la fois non nécessaire et probablement fausse ? Les fossiles que l’on connaissait ne confirmaient pas l’idée d’un changement progressif : des faunes entières avaient disparu durant des périodes étrangement brèves. De nouvelles espèces apparaissent presque toujours soudainement sans que les fossiles découverts présentent de maillons intermédiaires entre elles et leurs ancêtres trouvés dans des roches plus anciennes de la même région. L’évolution, croyait Huxley, peut se produire si rapidement que le lent et capricieux processus de sédimentation ne l’a que rarement pris sur le fait.

Le conflit entre les partisans du changement rapide et ceux du changement progressif battait son plein dans les milieux géologiques pendant les années où Darwin faisait son apprentissage de savant. J’ignore pourquoi Darwin choisit de suivre si opiniâtrement Lyell et les gradualistes, mais je suis sûr d’une chose : la préférence pour l’une ou l’autre thèse n’avait rien à voir avec une meilleure perception des informations empiriques. Sur cette question, la nature parlait (et continue à parler) avec une voix changeante et voilée. Les préférences culturelles et méthodologiques ont eu en l’occurrence autant d’influence sur les décisions prises que les données de base.

Sur des sujets aussi fondamentaux que la philosophie générale du changement, la science et la société travaillent habituellement la main dans la main. Les systèmes statiques des monarchies européennes ont reçu l’appui de cohortes de penseurs qui y voyaient l’incarnation de la loi naturelle. Alexander Pope écrivait :

« L’ordre est la loi divine ; il nous faut bien l’admettre. Les uns doivent dominer, les autres se soumettre. »

Lorsque les monarchies s’effondrèrent et que le dix-huitième siècle s’acheva dans la révolution, les hommes de science commencèrent à considérer le changement comme un élément normal de l’ordre universel, non comme un élément aberrant ou exceptionnel. Les hommes de savoir transposèrent alors dans la nature le programme libéral de changement lent et ordonné qu’ils préconisaient pour la transformation de la société humaine. Aux yeux de nombreux scientifiques, les cataclysmes naturels apparaissaient aussi menaçants que le règne de la terreur qui avait emporté leur grand collègue Lavoisier.

Mais la géologie semblait apporter autant de preuves d’un changement cataclysmique que d’un changement progressif. Donc, dans son argumentation en faveur du gradualisme comme rythme presque universel, Darwin dut employer la méthode caractéristique de Lyell ; le rejet de la simple apparence et du bon sens au profit d’une « réalité » sous-jacente. Contrairement à ce qu’accréditent les mythes en vogue, Darwin et Lyell n’étaient pas les héros de la vraie science, défendant l’objectivité contre les élucubrations théologiques des « catastrophistes » comme Cuvier ou Buckland. Les catastrophistes étaient des hommes aussi soucieux de vérité scientifique que les gradualistes ; ils avaient adopté en fait la thèse la plus « objective » selon laquelle on devait croire ce que l’on voyait sans intercaler des pièces manquantes pour transformer une succession de changements rapides en une évolution progressive. En bref, Darwin affirmait que les élément sur lesquels se fonde la géologie présentent d’énormes lacunes, que c’est un livre dont il ne reste que quelques pages, avec quelques lignes sur chaque page et peu de mots sur chaque ligne. On ne peut donc pas percevoir le lent changement de l’évolution dans les fossiles car n’étudie qu’une phase sur des milliers. Le changement ne nous paraît abrupt qu’à cause de la disparition des étapes intermédiaires.

L’extrême rareté des formes fossiles transitoires reste le secret professionnel de la paléontologie. Les arbres généalogiques des lignées de l’évolution qui ornent nos manuels n’ont de données qu’aux extrémités et aux nœuds de leurs branches ; le reste est constitué de déductions, certes plausibles, mais qu’aucun fossile ne vient confirmer. Néanmoins Darwin était si obstinément attaché au gradualisme qu’il lia la validité de sa théorie au rejet de toute interprétation différente de la fréquence des fossiles :

« Les témoignages sur l’histoire géologique sont extrêmement imparfaits et ce fait à lui seul explique en grande partie pourquoi on ne trouve pas un nombre infini de variétés reliant entre elles toutes les formes de vie disparues et actuelles par une belle succession d’étapes progressives. Celui qui rejette ce point de vue sur la nature des témoins géologiques pourra à juste titre refuser toute ma théorie. » (…)

Depuis plusieurs années, Niles Eldredge du Muséum américain d’histoire naturelle et moi-même (…) pensons que Huxley avait raison en avertissant ainsi Darwin. La théorie moderne de l’évolution n’a pas besoin d’un changement progressif. En fait, l’application des processus darwiniens devait amener exactement à ce que les archives fossiles nous montrent. C’est le gradualisme qu’il nous faut rejeter, et non le darwinisme.

L’histoire de la plupart des espèces fossiles présente deux caractéristiques particulièrement incompatibles avec le gradualisme :
1- La stabilité : la plupart des espèces ne présentent aucun changement directionnel pendant toute la durée de leur présence sur terre. Les premiers fossiles que l’on possède ressemblent beaucoup aux derniers ; les changements morphologiques sont généralement limités et sans direction.
2- L’apparition soudaine : dans une zone donnée, une espèce n’apparaît pas progressivement à la suite de la transformation régulière de ses ancêtres ; elle surgit d’un seul coup, et « complètement formée ».
L’ évolution procède de deux manières principales : la transformation phylétique et la spéciation. Dans la première, la transformation phylétique, une population tout entière change d’état. Si tout changement évolutif se produisait de cette façon, la vie ne durerait pas longtemps. L’évolution phylétique n’apporte aucune amélioration de la diversité, seulement une transformation d’une chose en une autre. Puisque l’extinction (par l’extermination, et non par par l’évolution en une autre espèce) est si courante, une forme vivante qui serait dépourvue de mécanisme pour accroître la diversité serait bientôt éliminée. La deuxième manière, la spéciation, peuple la Terre. Les nouvelles espèces divergent d’une souche parentale persistante.

Darwin, c’est certain, a reconnu et abordé le processus de spéciation. Mais il a presque totalement fondu son argumentation sur le changement évolutif dans le moule de la transformation phylétique. Dans ce contexte, les phénomènes de stabilité et d’apparition soudaine ne pouvaient qu’être attribués à l’imperfection des données ; car si les nouvelles espèces naissent de la transformation de populations ancestrales entières, et si nous n’assistons jamais à cette transformation (car les espèces sont essentiellement statiques durant toute leur existence), c’est que nos données sont incomplètes et que nous n’y pourrons jamais rien.

Eldredge et moi pensons que la spéciation est responsable de presque tous les changements évolutifs. De plus, de par la façon dont elle se produit, on peut pratiquement certifier que les futures découvertes de fossiles ne contrediront pas la domination de la stabilité et de l’apparition soudaine. (…)

Eldredge et moi faisons référence à ce mécanisme sous le nom du système des « équilibres ponctués ». les lignées changent peu durant la plus grande partie de leur histoire, mais des épisodes de spéciation rapide viennent occasionnellement ponctuer cette tranquillité. (…)
Si le gradualisme est plus un produit de la pensée occidentale qu’un phénomène de nature, il nous faut alors étudier d’autres philosophies du changement pour élargir le champ de nos préjugés. (…) Il existe une philosophie du changement très différente : les fameuses lois dialectiques, reformulées par Engels à partir de la philosophie de Hegel. Les lois dialectiques font explicitement référence à cette notion de ponctuation. Elles parlent, par exemple, de la « transformation de la quantité en qualité ». La formule peut ressembler à du charabia, mais elle laisse supposer que le changement se produit par grands sauts qui suivent une lente accumulation de tensions auxquelles le système résiste jusqu’au moment où il atteint le point de rupture. (…)

Je pense personnellement que le modèle ponctué peut refléter les rythmes du changement biologique et géologique avec une exactitude et une fréquence plus grande qu’aucun autre de ses rivaux, ne serait-ce qu’à cause du nombre et de la haute résistance au changement des systèmes complexes à l’état stable. Comme mon collègue, le géologue britannique Derek V. Ager, l’a écrit pour défendre la vision ponctuée du changement géologique : « L’histoire de n’importe quelle région de la Terre est comme la vie d’un soldat, elle consiste en de longues périodes d’ennui et de courtes périodes d’effroi. » (…)

Toutes les théories du changement discontinu ne sont pas antidarwiniennes, comme l’avait souligné Huxley il y a près de cent-vingt ans. Imaginons qu’un changement discontinu dans une forme adulte naisse d’une petite modification génétique. Les problèmes d’incompatibilité avec les autres membres de l’espèce ne se posant pas, cette mutation importante et favorable peut alors se répandre dans la population à la manière darwinienne. Imaginons que ce changement de grande ampleur ne produise pas de suite une forme parfaite, mais serve plutôt d’adaptation clef permettant à son possesseur d’adopter un nouveau mode d’existence. La poursuite de cette nouvelle vie réussie demande un large ensemble de modifications annexes, tant dans la morphologie que dans le comportement ; ces dernières peuvent survenir en suivant un itinéraire progressif, plus traditionnel, une fois que l’adaptation clef a entrainé une profonde mutation des pressions sélectives.

PENSER LE MONDE

La philosophie qui a cours dans le grand public est celle du bon sens avec un petit vernis de sciences et de matérialisme à bon marché ou de morale. Cela signifie que même ceux qui ont eu une formation scientifique n’ont aucunement une philosophie en rapport avec ces connaissances. Ils en sont restés à la philosophie des oppositions diamétrales qui est celle de l’ancienne morale religieuse féodale, selon laquelle le mouvement s’opposait au repos, la matière au vide et l’agitation à l’ordre, la loi au hasard. Cette philosophie est complètement dépassée par l’état des sciences et depuis belle lurette.

Pourquoi l’ordre n’est pas l’opposé diamétral du désordre, ni l’irrégulier du régulier, ni le fixe du variable, ni le stable de l’instable, ni le structuré du déstructuré, ni le local du global, ni l’onde du corpuscule, etc…. ?

Dans le nature comme dans la société, dans l’homme comme dans le vivant ou dans l’inerte, nous rencontrons sans cesse des situations qui contiennent des régularités mêlées à des irrégularités et nous cherchons d’abord à les séparer pour souligner les régularités. C’est ainsi que nous commençons inévitablement par établir des oppositions qui apparaissent comme diamétrales. Mais, ensuite, nous constatons qu’il y a des irrégularités au sein d’une régularité, et des régularités au sein du désordre. La séparation nous apparaît alors plus complexe et même plus contradictoire. Ainsi, nous ne constatons pas seulement une imbrication des contraires, mais nous voyons que les contraires sont indispensable l’un à l’autre pour leur fonctionnement et même pour leur fabrication. L’ordre n’est construit qu’à partir du désordre, par émergence. Le désordre à une échelle provient de l’ordre à une autre. La construction d’un état ordonné va nécessiter de l’énergie, c’est-à-dire du désordre. Les échelles de réalité imbriquées alternent ordre et désordre : ordre à une échelle suppose désordre aux échelles inférieure et supérieure. Augmentation spontanée de l’ordre dans une zone suppose augmentation du désordre dans la zone voisine. Augmentation de la précision à un niveau entraîne diminution de la précision à un autre. Augmentation de la précision du mouvement entraîne diminution de la précision de la position.

Dans la nature, dans la société, dans l’homme, nous côtoyons sans cesse les notions imbriquées d’ordre et de désordre, de régularité et d’irrégularité, de stabilité et d’instabilité, de calme et d’agitation, de loi et de hasard, etc… Il n’y a jamais de manière séparée, isolée, indépendante, un seul des deux éléments de la contradiction.

Par exemple, dans une forêt, nous sommes entraînés à la reconnaissance des types arbre, buisson, fleurs, sous-bois, etc… Au sein de chaque type, nous reconnaissons les groupes, les genres, les espèces, les particularités collectives et individuelles. Cela signifie qu’il n’existe pas deux êtres vivants identiques même si nous établissons des régularités à plusieurs échelles de la réalité. Notre capacité de reconnaître dans la diversité des régularités montre que nous savons admettre que diversité et régularité sont complémentaires, contraires mais inséparables et emboités.

On pourrait croire que l’ordre et le désordre, le stable et l’instable, etc, évoluent de manière à conserver un équilibre, un « juste milieu », une moyenne, etc… Il n’en est rien. Ce sont des préjugés idéologiques et sociaux et non les sciences qui ont produit ce genre de conceptions. Les contraires ne s’arrangent pas tranquillement pour se partager le monde, n’ont pas des échanges sages et calmes. Ils se combattent. Ils se détruisent mutuellement, mènent des luttes à mort, déstabilisent l’adversaire, mais, se faisant, à un niveau ou à un autre, à un moment ou à autre, ils se favorisent mutuellement. Ils peuvent détruire complètement l’adversaire. Mais celui-ci peut, d’un seul coup réapparaitre, et même ils peuvent se changer eux-mêmes en leur adversaire !!! S’ils sont contraires, ils peuvent eux-mêmes être contredits et le contraire du contraire (ou l’inhibition de l’inhibition) redonne la propriété de départ.

Et ce ballet des contraires est loin de se contenter de produire un seul élément et un seul contraire. Au travers de ce combat, les contraires changent de forme, changent de contenu, changent de propriété, changent le monde, y font apparaitre des formes nouvelles, des propriétés nouvelles, des lois nouvelles, des structures nouvelles,… Cette capacité d’apparition de nouveauté est propre au combat des contraires dialectiques. La lutte des contraires diamétraux ne peut donner ce type d’émergence de nouveauté.
L’émergence signifiait qu’un ordre qui n’existait pas auparavant, y compris qui n’était pas là en potentiel, devient réel. Et cela n’a rien d’extraordinaire, de contraire au fonctionnement habituel, de mystique, d’incompréhensible, d’irrationnel, de surnaturel. C’est la règle. C’est le fonctionnement permanent de la nature et de la société.

C’est une limite de notre philosophie de vouloir plaquer une opposition diamétrale et formelle sur un monde qui n’en contient pas. Bien sûr, cette tendance peut apparaître spontanée à un premier stade de compréhension et d’étude où on commence par classifier ce que l’on voit. Ensuite, on est bien forcés d’admettre que les meilleures classifications du monde sont faites pour être battues en brèche, pour être franchies, pour être contredites, pour être remises en question. Il y a toujours un moment ou un niveau où les contraires se transforment l’un dans l’autre. La séparation, la contradiction même, entre solide et liquide a un sens, mais elle est loin d’être formelle ou d’être une opposition diamétrale. Il en va de même de l’opposition entre inerte et vivant ou entre humain et animal, ou entre onde et corpuscule…

Ce n’est pas une limite de la science de ne pas être capable d’établir des frontières infranchissables entre les concepts. C’est une limite de la pensée philosophique de souhaiter, de manière infantile, maintenir une frontière hermétique… Les notions opposées sont bel et bien symétriques, mais c’est une symétrie pour laquelle existe la rupture de symétrie. Les espèces sont différentes et il existe des propriétés qui les opposent et pourtant elles se produisent les unes les autres. Donc une particularité s’est effectivement changée en son contraire.
Le changement d’une propriété en son contraire n’a rien d’un phénomène extraordinaire : c’est le fonctionnement permanent de la nature. La vie devient mort et la mort devient vie. La matière devient lumière ou vide et le vide ou la lumière devient matière. L’organisation de lutte de classe se transforme en organisation de collaboration de classe. Des changements d’état existent en permanence tous les instants au sein de la glace, au sein du cristal, au sein du liquide.

Si on étudie un groupe animal, un groupe de neurones, un groupe de particules, un groupe d’êtres humains, un groupe de bactéries, un groupe d’oscillateurs, on constate un fonctionnement dont la philosophie contredit les aprioris qui sont pourtant les plus fréquemment admis. Cette philosophie est caractérisée par l’émergence de l’ordre au sein du désordre. La régularité ou la périodicité ne sont pas permanents mais sans cesse reconstruits. La loi ne préexiste pas : elle est sans cesse rebâtie. Les structures ne sont pas des choses fixes qui se contenteraient d’interagir ou de se déplacer. Elles apparaissent et disparaissent sans cesse.
Dans la théorie, une loi est périodique ou non périodique, linéaire ou non-linéaire, déterministe ou aléatoire. Dans la réalité, la loi intègre le désordre et même le hasard. La périodicité est émergente, ce qui signifie que le phénomène peut être momentanément périodique et ensuite redevenir chaotique par exemple sans l’aide d’une action extérieure.

Cela signifie que les contraires coexistent sans cesse au sein de tous les systèmes dynamiques, que ceux-ci peuvent changer spontanément de type de régularité ou d’irrégularité sans que l’on voie à cela une cause externe. Le caractère émergent, spontané, interne, auto de ce type d’ordre issu du désordre est caractéristique de cette logique qui comprend la sensibilité aux conditions initiales, l’interpénétration de l’ordre et du chaos, la succession de phases calmes et agitées.
Nous n’y prenons pas attention et pourtant nous voyons sans cesse ces situations autour de nous. Dans un ensemble qui subit des oscillations, un grand groupe d’oscillateurs peut sembler complètement insensibles à ces vibrations et un des oscillateurs que rien ne distingue apparemment des autres peut entrer en résonance et sur-réagir de manière étonnante.
Une petite brise souffle et l’arbre est insensible à ce léger souffle, mais une feuille est agitée de manière incroyablement violente par ce souffle sans que la brise soit différente dans sa zone ou dans sa direction.

Nous avons du mal à penser philosophiquement la non-linéarité qui caractérise les oscillateurs réels et nous avons toujours voulu croire que les pendules étaient des oscillateurs linéaires. Nous avons du mal à penser philosophiquement la discontinuité profonde des nombres, des structures, des interactions et nous ne cessons de chercher à plaquer sur elles des images continues du monde. Nous avons du mal à penser les concepts comme des couples de contraires et nous cherchons à tout prix à les imaginer comme des frontières hermétiques qui les sépareraient définitivement de leur opposé. Nous avons du mal à penser philosophiquement des transitions de phase, après avoir construit nos concepts sur les situations de conservation figée de la phase…. etc, etc…

Aujourd’hui, il nous faudrait penser l’émission spontanée du photon par l’électron, la formation spontanée des nuages, des galaxies et étoiles, l’apparition spontanée d’un couple électron-positron virtuels dans le vide, la désintégration spontanée d’un noyau lourd, l’auto-organisation spontanée, la transition de phase spontanée, la formation spontanée de cartes neuronales et autres phénomènes de rupture brutale sans action extérieure.

La science d’aujourd’hui a besoin d’une philosophie pour penser la non-linéarité, penser la discontinuité, penser l’émergence, penser la contradiction interne dialectique au sein des gènes de la vie et de la mort, penser l’intermittence spatio-temporelle, penser la complémentarité quantique, penser le temps, penser les sauts des systèmes dynamiques et les transitions de phase.

Voilà un grand chantier philosophique de la science pour les laboratoires de la pensée humaine….

Penser la physique en termes d’auto-organisation, d’émergence et de brisure de symétrie

Penser l’auto-organisation

Penser la criticalité

Penser la discontinuité

Penser la dialectique

Penser l’ordre et le désordre

Penser l’émergence

Penser la rupture de symétrie

Penser la transition de phase

Penser la criticalité

Penser le virtuel

Penser la contradiction

Penser la création spontanée de structures

Penser la résonance

Penser la science

Comment pense-t-on ?

Quand les préjugés guident les études pseudo-scientifiques

Sciences et aprioris religieux

L’APRIORI DU PERIODIQUE

Selon cet apriori, les phénomènes sont fondés sur des rythmes fixes, c’est-à-dire ayant une période déterminée d’avance, qui interagissent et s’additionnent. Or, il s’avère qu’il y a bel et bien des rythmes naturels mais ils ne sont pas fondés sur des périodes fixes. Au contraire, ils ont plusieurs périodes possibles et peuvent sauter d’une période à l’autre, peuvent s’adapter à d’autres fréquences avec lesquelles ils interagissent et peuvent passer aussi par des phases où ils ont des apparences tout à fait désordonnées, dites phases chaotiques. Il est donc impossible de distinguer par son seul comportement un phénomène périodique d’un phénomène qui ne l’est pas. D’autre part, il est nécessaire de comprendre que des phénomènes collectifs peuvent construire une apparence de périodicité générale simplement en interagissent et en s’accrochant sur une période commune. Cela a une grande importance car certains phénomènes très importants construisent ainsi une périodicité qui ne préexiste pas mais émerge, comme c’est le cas pour les battements cardiaques, certains mouvements de l’astrophysique ou des phénomènes quantiques fondamentaux. N’oublions pas que la lumière et la matière sont fondés sur des oscillateurs qui interagissent sans cesse et, par leur interaction, définissent une périodicité et établissent ainsi un espace et un temps. Leur existence n’est donc pas le produit de l’existence d’une chose stable mais l’apparition d’un phénomène émergent issu d’interaction collectives : celles des particules et antiparticules du vide… Cela explique que les phénomènes quantiques nous apparaissent insensés car nous voulons absolument coller des images d’objets fixes sur des phénomènes qui ne pas fondés sur de tels choses.

Extrait de « Des rythmes au chaos » de Bergé, Pomeau et Dubois :

Le lecteur s’est peut-être demandé pourquoi la lune nous montrait toujours la même face ou, ce qui revient au même, pourquoi il existe une « face cachée » de la lune. Le lune tourne autour de la terre, mais si elle ne tournait pas – aussi – sur elle-même, elle nous montrerait successivement chaque jour une partie nouvelle. Pour qu’elle nous montre toujours la même face, il faut que la lune tourne sur elle-même, et ceci, avec une période identique à celle de sa rotation autour de la terre. On pourrait croire qu’il s’agit d’une heureuse coïncidence entre les valeurs des deux périodes, celle de la rotation sur l’orbite et de la rotation sur elle-même, dite de « spin ». Outre qu’une telle coïncidence serait très improbable, elle ne saurait être rigoureusement parfaite et il existerait nécessairement un écart, même minime entre les deux périodes. (…)

Pour que la lune s’obstine à nous montrer toujours la même face, il faut que les deux périodes soient absolument identiques. Cette propriété ne peut pas être due au hasard et elle n’est ni triviale ni naturelle. Elle implique un couplage subtil entre les deux types de mouvement de la lune à travers un phénomène de marées de type « tellurique ». Ce couplage fait que les deux périodes a priori différentes (mais, dans ce cas, voisines) sont devenues identiques au cours des âges par synchronisation (ou accrochage en fréquence) des deux mouvements. Il semble que cette particularité du mouvement lunaire ne soit pas unique et que des satellites d’autres planètes présentent ce phénomène d’accrochage des périodes « spin-orbite ».

Le phénomène de synchronisation est très répandu et peut se manifester dans tout système dont le comportement est décrit à l’aide de deux fréquences (ou plus) avec couplage entre les dynamiques. Ce peut être dans les dispositifs mécaniques : C. Huygens lui-même aurait remarqué que les balanciers de deux horloges placées au voisinage l’une de l’autre, sur une même étagère par exemple, avaient tendance à se synchroniser. En électronique, le phénomène de synchronisation est très utilisé, mais il peut parfois être une gêne lorsque, désirant écouter une autre station de radio, l’ancienne persiste, malgré le changement de réglage et ce, jusqu’à la désynchronisation brutale. La synchronisation de rythmes existe aussi dans le monde vivant où elle peut jouer un rôle fondamental dans la stabilité de certaines périodicités vitales, telles celles du cœur. (…)

Le phénomène d’accrochage en fréquence est très général ; c’est même l’état le plus probable lorsque le couplage devient important entre deux oscillateurs. Pour le réaliser, chaque oscillateur (ou l’un d’eux) modifie légèrement sa fréquence propre, comme chaque batteur de blé au fléau pouvait le faire par rapport à son propre rythme, de telle façon que la fréquence modifiée coïncide avec un harmonique (un multiple) ou un sous-harmonique (un sous-multiple) de la fréquence de l’oscillateur auquel il est couplé. Les mécaniciens l’expérimentent chaque jour, certains hydrodynamiciens aussi lorsque des instabilités périodiques d’écoulement de fluides se couplent entre elles et se synchronisent pour des rapports de fréquences avec un rapport entre deux nombres entiers.

Il faut souligner que la synchronisation de deux phénomènes périodiques apporte une simplification apparente dans la dynamique globale, puisque l’ensemble se comporte comme s’il n’y avait qu’une seule fréquence caractéristique (avec un certain nombre de fréquences harmoniques). Cette apparence est néanmoins trompeuse car elle masque le nombre d’oscillateurs réellement en jeu et donc le nombre de variables pertinentes nécessaires pour décrire complètement le système. La nature monopériodique inciterait à conclure que ce nombre est égal à deux, comme pour un oscillateur unique, mais, de fait, il est toujours plus élevé, trois au minimum si c’est le cas d’un oscillateur forcé (…). Aussi, la désynchronisation, pouvant de changements mineurs dans le couplage ou dans les valeurs des fréquences révélera alors – parfois de façon surprenante – la vraie nature de la dynamique observée et peut-être le nombre réel d’oscillateurs en interaction.

Le phénomène de synchronisation ne se restreint pas à deux oscillateurs mais peut aussi se manifester pour un très grand nombre, ce qui conduit parfois à des comportements collectifs étonnants. C’est ce « mécanisme » que les instrumentistes utilisent juste avant de commencer à jouer, en accordant leurs instruments de telle façon que tous aient la même fréquence pour une note donnée. De manière naturelle, plusieurs mécaniques ou hydrodynamiques peuvent osciller à la même fréquence ; en biologie, tout un ensemble de cellules peut se synchroniser. Les êtres vivants, humains ou animaux, peuvent le subir également, la troupe qui marche au pas, la foule qui scande le même slogan d’une seule voix, les lucioles (ou les cigales) qui, sur le même arbre, émettent en phase leur petite lumière (ou leurs crissements). Les exemples sont nombreux, mais tous démontreraient là aussi que, dès que la « stimulation » de synchronisation a disparu, une certaine désorganisation peut prendre place avec la résurgence de chaque individualité.

Il n’y a rien de plus proche de l’amour que la haine, dit-on, car ces deux sentiments ont en commun une sensibilisation passionnée à l’autre et on pourrait dire que seul le « signe », au sens algébrique du terme, change. Il en est de même pour les systèmes oscillants. Plus le couplage est intense, plus les non-linéarités sont fortes, plus deux oscillateurs ont tendance à se synchroniser sur le rapport rationnel de leurs fréquences (par exemple, 1/2, 4/5, 11/23 …) qui est le plus proche de leur rapport naturel. Mais si les conditions d’accrochage ne sont pas exactement remplies, ils ont aussi une forte probabilité d’être chaotiques. Par exemple, les oscillations d’un pendule stimulé avec certaines « fréquences dangereuses » pourront perdre leur belle régularité et la suite du mouvement pourra se faire erratiquement, donc de manière imprédictible. En effet, les premières évidences de comportements chaotiques se sont révélées sur des modèles numériques simples, à très peu de variables, comme le modèle de Rikitake pour le renversement du champ magnétique terrestre, l’application logistique des évolutions de population ou le célèbre modèle de Lorenz pour la météorologie. Des études théoriques avaient également confirmé l’existence de ce type de chaos. (…)
Essayons maintenant d’imaginer la géométrie d’un attracteur correspondant à un régime chaotique. Pour cela, suivons la façon dont des trajectoires issues de différents points de l’espace des phases y convergent. Ces dernières sont soumises à des contraintes à première vue contradictoires. La sci – sensibilité aux conditions initiales -, indéfectiblement liée à l’existence du chaos, implique une divergence de trajectoires voisines, divergence qui leur confère rapidement des évolutions indépendantes (i.e. non corrélées ou encore dissemblables). Par ailleurs, le système étant dissipatif, toutes les trajectoires doivent converger vers l’attracteur que nous cherchons à imaginer. Il existe une seule façon de concilier ces deux exigences apparemment contradictoires : la divergence doit s’opérer dans une direction de l’espace des phases et la convergence dans une autre ! (…)

Les dynamiques périodiques ou pseudopériodiques naturelles sont nombreuses et servent de référence à notre perception du temps la plus immédiate : battements de cœur, respiration, lever et coucher du Soleil, retour des saisons, etc. C’est sans doute pourquoi l’idée suivant laquelle il existerait un principe unificateur de toute dynamique, la périodicité, précisément, est fort ancienne. Georges Dumézil a montré que certains rites de l’ancienne religion romaine mêlaient subtilement le retour journalier du Soleil et le retour des saisons. Nous conservons une trace de ce mélange de sacré et de profane dans nos calendriers, où chaque jour de l’année est attribué à un saint ou à une sainte (…)

A la définition du mot « périodique » nous pouvons lire dans un dictionnaire de physique de 1767 : « On donne le nom de périodique au mouvement d’un astre autour d’un autre. » Posons-nous donc la question : le mouvement des astres est-il vraiment toujours périodique au sens strict ? Il l’est manifestement en première approximation, par exemple dans le cas de la terre autour du soleil, qui se fait en 365,242… jours avec une excellente précision et s’explique par les lois de Newton. (…)

Simplifiant à l’extrême le problème de la stabilité du système solaire, Poincaré, dès le début du dix-neuvième siècle, s’est posé le problème des trois corps, c’est-à-dire, par exemple, celui du mouvement de deux planètes et du soleil en interactions mutuelles. (…) Poincaré, par une méthode géométrique à la fois simple et profonde, montra que le problème à trois corps n’était pas intégrable (ce qui signifie qu’il n’a pas de solution analytique, c’est-à-dire exprimable par des fonctions déjà connues) et qu’il existe, en un certain sens, des solutions chaotiques ! (…)

Il y a une différence fondamentale, et pas toujours clairement perçue, entre les comportements périodiques des systèmes non dissipatifs, comme le mouvement d’une planète (isolée) sur son orbite képlérienne autour du soleil (ou comme un pendule simple idéalisé qui serait sans friction) et les oscillations des systèmes dissipatifs qui ne perdurent que parce qu’ils reçoivent de l’énergie d’une source extérieure (constante, non périodique).

Ce deuxième n’est pas celui de la périodicité linéaire mais de phénomènes non-linéaires menant à ce que l’on appelle un attracteur de cycle limite.

L’APRIORI DU LINEAIRE, DE L’EQUILIBRE ET DU REVERSIBLE

Ilya Prigogine dans « Temps à devenir » :

« On a découvert que quand vous allez loin de l’équilibre, par exemple, en considérant une réaction chimique, que vous empêchez d’arriver à l’équilibre, se produisent des phénomènes extraordinaires que personne n’aurait cru possibles ; par exemple, des horloges chimiques. Une horloge chimique, qu’est-ce que c’est ? Prenons un exemple : vous avez des molécules qui de rouges peuvent devenir bleues. Comment imaginez-vous voir ce phénomène ? Si vous pensez que les molécules vont au hasard, vous allez voir des flashes de bleu, puis de flashes de rouge. Mais il se produit, loin de l’équilibre, dans d’importantes classes de réactions chimiques, des phénomènes rythmiques. Tout devient bleu, puis tout devient rouge, puis tout devient bleu, c’est-à-dire qu’une cohérence naît, qui n’existe que loin de l’équilibre. (…) Donc, loin de l’équilibre, se produisent des phénomènes ordonnés qui n’existent pas près de l’équilibre. Si vous chauffez un liquide par en-dessous, il se produit des tourbillons dans lesquels des milliards de milliards de molécules se suivent l’une l’autre. De même, un être vivant, vous le savez bien, est un ensemble de rythmes, tels le rythme cardiaque, le rythme hormonal, le rythme des ondes cérébrales, de division cellulaire, etc. Tous ces rythmes ne sont possibles que parce que l’être vivant est loin de l’équilibre. Le non-équilibre, ce n’est pas du tout les tasses qui se cassent ; le non-équilibre, c’est la voie la plus extraordinaire que la nature ait inventée pour coordonner les phénomènes, pour rendre possibles des phénomènes complexes.

Donc, loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. Et des concepts comme l’auto-organisation loin de l’équilibre, ou de structure dissipative, sont aujourd’hui des lieux communs qui sont appliqués dans des domaines nombreux, non seulement de la physique, mais de la sociologie, de l’économie, et jusqu’à l’anthropologie et la linguistique. »

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « La nouvelle alliance » :

« La thermodynamique des processus irréversibles a découvert que les flux qui traversent certains systèmes physico-chimiques et les éloignent de l’équilibre, peuvent nourrir des phénomènes d’auto-organisation spontanée, des ruptures de symétrie, des évolutions vers une complexité et une diversité croissantes. »

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « Entre le temps et l’éternité » :

"Les comportements dynamiques chaotiques permettent de construire ce pont, que Boltzmann n’avait pu créer, entre la dynamique et le monde des processus irréversibles. La nouvelle représentation de l’objet dynamique, non locale et à symétrie temporelle brisée, n’est pas une description approximative, plus pauvre que la représentation classique. Elle définit au contraire cette représentation classique comme relative à un cas particulier. (…) Nous savons aujourd’hui que ces derniers (les systèmes non-chaotiques), qui dominèrent si longtemps l’imagination des physiciens, forment en fait une classe très particulière. (…) C’est en 1892, avec la découverte d’un théorème fondamental par Poincaré ( la loi des trois corps), que se brisa l’image homogène du comportement dynamique : la plupart des systèmes dynamiques, à commencer par le simple système « à trois corps » ne sont pas intégrables."

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « La nouvelle alliance » :

« Une notion cruciale est la notion d’attracteur. Les exemples d’attracteurs sont innombrables et bien connus de la physique. Le pendule, qui s’immobilise progressivement, rejoint son état attracteur. Le liquide chaud dont la température rejoint progressivement celle de l’environnement gagne son état attracteur. (…) Nous avons vu que, près de l’équilibre, l’état stationnaire correspond (….) à un état attracteur essentiellement analogue à l’état d’équilibre. Mais, loin de l’équilibre, d’autres types d’attracteurs peuvent apparaître, et notamment le « cycle limite », correspondant à un comportement temporel périodique adopté de manière spontanée par le système. (…) Depuis, de nouveaux types d’attracteurs ont été découverts qui enrichissent la dialectique du régulier et de l’aléatoire. (…) Ces attracteurs ne correspondent pas à un point, comme l’état d’équilibre, ou à une ligne, comme le cycle limite, mais à un ensemble dense de points, un ensemble assez dense pour que l’on puisse trouver de ces points dans toute région, aussi petite soit-elle. Il s’agit d’un ensemble auquel peut être attribué une dimension « fractale ». Les attracteurs de ce type impliquent, de la part du système qu’ils caractérisent, un comportement de type chaotique. Attracteur et stabilité cessent ici d’aller de pair. David Ruelle a caractérisé ces « attracteurs étranges », qu’on a également appelés « attracteurs fractals », par leur très grande sensibilité aux conditions initiales. Ce qui signifie que l’état attracteur ne se caractérise plus du tout par son insensibilité à de petites variations de ses paramètres. Toute petite variation est susceptible d’entraîner des effets sans mesure, de déporter le système d’un état à un autre très différent. (…) L’opposition entre déterminisme et aléatoire est battue en brèche. (…) C’est désormais autour des thèmes de la stabilité et de l’instabilité que s’organisent nos descriptions du monde, et non autour de l’opposition entre hasard et nécessité. »

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