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Discussions avec Léon Trotsky

lundi 10 juin 2013, par Robert Paris

Discussions avec Léon Trotsky

Trotsky est le dirigeant révolutionnaire qui, tout en restant très femre sur ses positions, a discuté le plus longuement, patiemment, fraternellement et passionnément avec tous les militants révolutionnaires de son temps…

Qui est Léon Trotsky et quel combat est symbolisé par son nom

Discussion avec Fritz Bergmann

Discussion sur les Etats-Unis d’Europe

Discussion sur l’action clandestine dans l’Allemagne nazie

Discussion avec Solow

Discussion avec Rimbert

Discussion avec Bordiga

Discussion avec Zeller

Discussion avec les visiteurs américains du S.W.P.

Suite de la discussion précédente

Discussion sur le socialisme en Amérique

Première discussion sur le Labor Party

Deuxième discussion sur le Labor Party

Troisième discussion sur le Labor Party

Quatriième discussion sur le Labor Party

Discussion sur la lutte contre la guerre

Discussion avec Shachtman

Discussion sur le programme de transition

Autre discussion sur le programme de transition

Discussion sur la Russie des soviets

Discussion sur la conférence internationale

Discussion sur l’organisation des Noirs américains

Encore sur l’organisation des Noirs américains

Discussion avec les trotskistes américains

Discussion sur la Quatrième Internationale

Discussion sur l’Histoire

Discussion sur l’autodétermination pour les Noirs américains

Discussion sur la question noire aux USA

Discussion sur une organisation indépendante des Noirs américains

Discussion avec Thaelmann sur le fascisme

Discussion sur les premières calomnies des staliniens

Le début de la discussion avec les staliniens

Discussion avec Souvarine

Discussion avec les trotskistes américains

Discussion sur les dérives syndicalistes des trotskistes français

Discussion sur le syndicalisme

Discussion sur les Etats-Unis et la guerre mondiale

Discussion sur internationalisme contre stalinisme

Discussion avec l’internationale en voie de stalinisation

Discussion sur le parti communiste français

Discussion des questions du mode de vie en URSS

Discussion sur la lutte anti-impérialiste

Discussion avec les ultra-gauches

Discussion sur la nature de l’URSS

Discussion avec Daniel Guérin

Discussion sur la guerre impérialiste

Discussion avec des militants du SWP – première partie

Discussion avec des militants du SWP – deuxième partie

Discussion avec des militants du SWP – troisième partie

Discussion avec des militants du SWP – quatrième partie

Discussion in english

Another discussion in english -> http://members.optushome.com.au/spainter/LTdiscussion.html]

Sur le programme de transition

Discussion avec le groupe du Centralisme Démocratique

Réponse à des questions de morale et d’Histoire

Avec l’école formaliste

Avec Simenon

A propos du « problème juif »

Avec les bordiguistes italiens

Messages

  • Le programme de transition doit inclure les revendications les plus simples, adaptées à la situation locale d’une usine donnée, le développement de cette revendication, au mot d’ordre pour la création d’un soviet d’ouvriers.

  • Entretiens avec le petit-fils de Trotsky voir ici

  • Encore une discussion de Trotsky sur la "question juive" :

    Lire ici

  • Discussion pour éclairer les revendications de transition : lire ici

  • Discussion de Trotsky avec le groupe du Centralisme Démocratique : ici

  • Discussion de Trotsky avec l’école formaliste : ici

  • " EST-IL VRAI QUE VOUS VOULIEZ INTRODUIRE LA JOURNEE DE TRAVAIL DE DIX HEURES ? "

    Non, camarades, ce n’est pas vrai. Bien que ce soit une nouvelle répandue par les mencheviks et les S.-R. de droite, c’est néanmoins un mensonge. Il est apparu de la manière suivante ; à l’un des meetings, j’ai dit " Evidemment, si nous travaillions tous maintenant consciencieusement huit heures par jour, comme on doit le faire, et si nous mettions au harnais la bourgeoisie elle aussi, et ceux qui nous détruisaient hier, selon le strict principe du service du travail, nous pourrions élever la prospérité de notre pays à un très haut niveau dans un laps de temps très court. Il est nécessaire, ai-je dit, de développer parmi nous le sentiment de notre responsabilité pour le destin de tout le pays, et de travailler de toutes nos forces, sans repos ni hâte, comme dans une famille, par exemple, où on ne se querelle pas à propos du travail à faire. Si c’est une bonne, une honnête famille, ses membres ne diront pas : " Aujourd’hui, j’ai travaillé plus que toi." Si un membre de la famille a plus de force, il travaillera plus dur. En même temps, chacun travaille de telle façon que, si c’est nécessaire, il travaillera même parfois seize heures par jour, puisqu’il ne travaille pas pour un maître, pour un capitaliste, mais pour lui-même. Voilà comment naquit l’affirmation, que je voulais substituer la journée de travail de dix ou même de seize heures à celle de huit heures. C’est une absurdité pure et simple. Nous disons : cela n’est pas nécessaire. Cela suffira si nous pouvons établir, par les syndicats et les soviets, une discipline assez ferme pour que chacun travaille huit heures – en aucun cas davantage, et même le plus tôt possible sept heures – et que le travail soit vraiment fait consciencieusement, c’est-à-dire que chaque parcelle de temps de travail soit réellement remplie de travail, que chacun sache et se souvienne qu’il travaille pour une association commune, pour un fonds commun – voilà vers quoi tendent nos efforts, camarades.

    On me demande ensuite :

    " VOUS VOUS PROCLAMEZ COMMUNISTES-SOCIALISTES ET POURTANT VOUS FUSILLEZ ET VOUS EMPRISONNEZ VOS CAMARADES, LES COMMUNISTES-ANARCHISTES ? "

    C’est une question, camarades, qui exige réellement d’être élucidée – une question sérieuse sans aucun doute. Nous, communistes-marxistes, sommes profondément en désaccord avec la doctrine anarchiste. Cette doctrine est erronée, mais ceci ne saurait en aucune façon justifier des arrestations, des emprisonnements, sans parler même des exécutions.

    J’expliquerai d’abord en quelques mots où réside l’erreur de la doctrine anarchiste. L’anarchiste déclare que la classe ouvrière n’a pas besoin du pouvoir d’État ; que ce dont elle a besoin, c’est d’organiser la production. Le pouvoir d’Etat, dit-il, est un service bourgeois. Le pouvoir d’Etat est une machine bourgeoise, et la classe ouvrière ne doit pas la saisir entre ses mains. C’est une conception complètement fausse. Quand on organise la vie économique dans un village, ou plus généralement dans de petits territoires, aucun pouvoir d’Etat n’est en effet requis. Mais quand on organise un système économique pour la Russie tout entière, pour un grand pays – et malgré ce qu’on nous a volé, nous sommes encore un grand pays – on a besoin d’un appareil d’Etat, un appareil qui était jusque là dans les mains de la classe hostile qui exploitait et volait les travailleurs. Nous disons : afin d’organiser la production d’une manière nouvelle, il est nécessaire d’arracher l’appareil d’Etat, la machine gouvernementale des mains de l’ennemi et de nous en saisir. Autrement, nous n’arriverons à rien. D’où vient l’exploitation, l’oppression ? Elle vient de la propriété privée des moyens de production. Et qu’est-ce qui combat pour elle, qu’est-ce qui la soutient ? L’Etat, aussi longtemps qu’il est aux mains de la bourgeoisie. Qui peut abolir la propriété privée ? L’Etat, aussitôt qu’il tombe aux mains de la classe ouvrière.

    La bourgeoisie dit ; ne touchez pas à l’Etat – c’est un droit héréditaire sacré des classes " éduquées ". Et les anarchistes disent : n’y touchez pas – c’est une invention infernale, une machine du diable, n’en approchez pas. La bourgeoisie dit : n’y touchez pas – c’est sacré ; les anarchistes disent : n’y touchez pas – c’est maudit. Les uns et les autres disent : n’y touchez pas. Mais nous, nous disons : nous ne ferons pas que le toucher, nous en prendrons possession et nous le ferons fonctionner pour nos intérêts, pour l’abolition de la propriété privée, pour l’émancipation de la classe ouvrière.

    Mais, camarades, aussi fausse que soit la doctrine des anarchistes, il est parfaitement inadmissible de les persécuter pour cela. Beaucoup d’anarchistes sont des champions de la classe ouvrière parfaitement honnêtes seulement, ils ne savent pas comment on peut ouvrir la serrure, comment ouvrir la porte du royaume de la liberté, et ils s’agglutinent à la porte, se donnant des coups de coudes les uns aux autres, incapables de deviner comment on tourne la clef. Mais c’est là leur malheur ; pas leur faute – ce n’est pas un crime, et ils ne doivent pas être punis pour cela.

    Mais, camarades, pendant la période de la révolution, – chacun le sait et l’idéaliste anarchiste honnête mieux que tout autre – toutes sortes de voyous, de gibiers de prison, de voleurs et de bandits de grand chemin se sont rassemblés sous le drapeau de l’anarchisme. Hier encore, l’homme purgeait sa peine de travaux forcés pour viol, ou de prison pour vol, ou était déporté pour banditisme, et aujourd’hui il déclare : " Je suis anarchiste – membre des clubs le " Corbeau ", la " Tempête ", l’ " Orage ", la " Lave ", etc...", de nombreux noms, de très nombreux noms.

    Camarades, j’en ai parlé avec des anarchistes idéalistes, et eux-mêmes disaient : " Beaucoup de ces gibiers de prison, de ces voyous et de ces criminels se sont introduits dans notre mouvement... "

    Vous savez tous ce qui se passe à Moscou. Des rues entières sont contraintes de payer tribut. Des immeubles sont saisis par dessus la tête des soviets, des organisations ouvrières, et il arrive également que lorsque le soviet occupe un bâtiment, ces voyous, sous le masque de l’anarchisme, entrent de force dans l’immeuble, installant des mitrailleuses, saisissent des autos blindés et même de l’artillerie. De gros butins, des tas d’or ont été découverts dans leurs repaires. Ce ne sont que des pillards et des cambrioleurs qui compromettent les anarchistes. L’anarchisme est une idée, bien que fausse, mais le banditisme est le banditisme ; et nous disons aux anarchistes : vous devez tracer une ligne stricte entre vous et ces bandits, car il n’y a pas de plus grand danger pour la révolution ; si elle commence à dépérir en un point quelconque, tout le tissu de la révolution s’en ira en morceaux. Le régime des soviets doit être d’une texture solide. Nous n’avons pas pris le pouvoir pour piller comme des bandits de grand chemin, mais pour établir une discipline de travail commune et une vie de travail honnête.

    Je maintiens que les autorités soviétiques ont agi de façon parfaitement correcte lorsqu’elles ont dit aux pseudo-anarchistes : " N’imaginez pas que votre règne est venu, n’imaginez pas que le peuple russe ou l’Etat soviétique est devenu une charogne sur laquelle les corbeaux se posent pour la déchirer à coups de bec. Si vous voulez vivre avec nous sur la base des principes de travail commun, alors, soumettez-vous avec nous à la discipline soviétique commune de la classe travailleuse, mais si vous vous mettez en travers de notre chemin, alors ne nous blâmez pas, si le gouvernement du travail, le pouvoir soviétique vous traite sans mettre de gants. "

    Si les pseudo-anarchistes ou, pour être plus clair, les voyous essayent dans l’avenir d’agir de la même façon, le second châtiment sera trois fois, dix fois plus sévère que le premier. On dit que parmi ces voyous, il y a quelques anarchistes honnêtes ; si c’est vrai – et cela semble vrai en ce qui concerne certains – alors c’est un grand malheur, et il est nécessaire de leur rendre leur liberté aussi vite que possible. Il est nécessaire de leur exprimer nos regrets sincères, mais de leur dire en même temps : camarades anarchistes, afin que de telles erreurs ne se reproduisent pas à l’avenir, vous devez mettre entre vous et ces voyous une sorte de barrage, une ligne rigide, afin que vous ne soyez pas mélangés les uns avec les autres, que l’on puisse savoir une fois pour toutes : celui-là est un cambrioleur, et celui-ci un honnête idéaliste...

  • " Pourquoi abandonne-t-on le principe de l’élection dans le service militaire ? "

    Je consacrerai maintenant quelques mots à répondre à cette question. Il était nécessaire, dans notre vieille armée que nous avions héritée du tsarisme, de renvoyer les vieux chefs, les généraux et les colonels, car, dans la majorité des cas, ils avaient été des outils aux mains d’une classe qui nous était hostile, aux mains du tsarisme et de la bourgeoisie. C’est pourquoi, quand il fallut que les ouvriers-soldats et les paysans-soldats élisent leurs propres commandants, ils n’élisaient pas des chefs militaires, mais simplement des représentants aptes à les garder des attaques des classes contre-révolutionnaires. Mais maintenant, camarades, qui est en train de construire l’armée ? La bourgeoisie ? Non, les soviets d’ouvriers et de paysans, c’est-à-dire les mêmes classes qui composent l’armée. Là, pas de lutte interne possible. Prenons par exemple les syndicats. Les ouvriers métallurgistes élisent leur comité, et le comité trouve un secrétaire, un employé de bureau et un certain nombre d’autres personnes qui sont nécessaires. Est-il jamais arrivé que les ouvriers demandent : " Pourquoi nos employés et nos trésoriers sont-ils désignés, et non élus ? " Non, aucun travailleur intelligent ne dira cela. Sinon, le comité répondrait : " Vous avez choisi le comité vous-mêmes. Si vous vous méfiez de nous, renvoyez-nous, mais une fois que vous nous avez chargés de la direction du syndicat, donnez-nous alors la possibilité de choisir l’employé ou le trésorier, car nous sommes meilleurs juges que vous dans ce domaine, et si notre façon de conduire les affaires est mauvaise, alors jetez-nous dehors et élisez un autre comité. " Le gouvernement soviétique est dans le même cas que le comité d’un syndicat. Il est élu par les ouvriers et les paysans, et vous pouvez, à n’importe quel moment, au congrès pan-russe des soviets, le destituer, et en désigner un autre. Mais une fois que vous l’avez élu, vous devez lui donner le droit de choisir les spécialistes, techniciens, employés, secrétaires au sens large du terme, et en particulier dans les affaires militaires. Car est-il possible que le gouvernement soviétique désigne des spécialistes militaires contre les intérêts des masses laborieuses et paysannes ? D’ailleurs, il n’y a pas d’autre moyen à l’heure actuelle, pas d’autre moyen possible que celui de la désignation. L’armée n’en est encore qu’à son stade de formation. Comment des soldats qui viennent juste d’entrer dans l’armée pourraient-ils choisir leurs chefs ? Ont-ils un vote précédent pour se guider ? Ils n’en ont pas. Et les élections sont donc impossibles.

    Qui désigne les commandants ? Le gouvernement soviétique les désigne. On tient registre des anciens officiers, des individus les plus capables venant du rang et des officiers non commissionnés qui ont montré des capacités. Les candidats reçoivent leur nomination à partir de ce registre. S’ils représentent quelque danger, il existe des commissaires qui les surveillent. Qu’est-ce qu’un commissaire ? Les commissaires sont choisis parmi les bolcheviks et les S.-R. de gauche [9], c’est-à-dire au sein des partis de la classe ouvrière et de la paysannerie. Ces commissaires n’interviennent pas dans les affaires militaires. Des spécialistes militaires s’en occupent, mais les commissaires gardent un œil vigilant sur eux, afin qu’ils ne profitent pas de leur position pour nuire aux intérêts des ouvriers et des paysans. Et les commissaires sont investis de larges pouvoirs de contrôle et de prévention des actes contre-révolutionnaires. Si le chef militaire donne un ordre dirigé contre les intérêts des ouvriers et des paysans, le commissaire dira "Halte !" et il mettra la main sur l’ordre et le chef militaire. Si le commissaire agit injustement, il en répondra, en strict accord avec la loi.

    Pendant la première période, camarades, jusqu’à Octobre et pendant le mois d’Octobre, nous nous sommes battus pour le pouvoir des masses laborieuses. Qui donc s’est mis en travers de notre chemin ? Il y avait, parmi d’autres, les généraux, les amiraux, les bureaucrates saboteurs. Qu’avons-nous fait ? Nous les avons combattus. Pourquoi ? Parce que la classe ouvrière marchait au pouvoir, et personne n’aurait dû oser l’empêcher de le prendre. Maintenant le pouvoir est entre les mains de la classe ouvrière. Et c’est pourquoi nous disons : " Marchez gentiment, messieurs les saboteurs, et mettez-vous au service de la classe ouvrière. " Nous voulons les faire travailler, car ils représentent aussi un certain capital. lis ont appris quelque chose que nous n’avons pas appris. L’ingénieur civil, le médecin, le général, l’amiral – ils ont tous étudié des choses que nous n’avons pas étudiées. Sans l’amiral, nous ne pourrions pas conduire un bateau ; nous ne saurions pas soigner un malade sans le médecin, et sans l’ingénieur, nous ne saurions pas bâtir une usine. Et nous disons à toutes ces personnes : " Nous avons besoin de votre savoir et nous vous prendrons au service de la classe ouvrière. " Et ils s’apercevront que, s’ils travaillent honnêtement, au mieux de leurs possibilités, ils auront toute latitude dans leur travail, et que personne ne viendra les ennuyer. Au contraire : la classe ouvrière est une classe suffisamment mûre, et elle leur donnera toute assistance dans leur travail. Mais s’ils essayent de se servir de leurs postes dans l’intérêt de la bourgeoisie et contre nous, nous leur rappellerons Octobre et d’autres jours.

    L’ordre social que nous sommes en train d’établir est un ordre social du travail, un régime de la classe ouvrière et des paysans pauvres. Nous avons besoin de chaque spécialiste et de chaque intellectuel, s’il n’est pas un esclave du tsar et de la bourgeoisie, et, si c’est un travailleur capable, il peut venir à nous, nous le recevrons ouvertement et honnêtement. Nous travaillerons avec lui la main dans la main, car il servira le maître de son pays, la classe ouvrière. Mais, quant à ceux qui intriguent, qui sabotent, qui restent oisifs et qui mènent une vie de parasite – camarades, donnez-nous seulement la chance de mettre notre organisation en bon ordre, et nous ferons passer immédiatement et mettrons en pratique une loi les concernant : celui qui ne travaille pas, qui résiste, qui sabote – il ne mangera pas. Nous confisquerons les cartes de pain de tous les saboteurs, de tous ceux qui minent la discipline de travail de la république soviétique.

    On me demande également :

    " POURQUOI N’INTRODUISONS-NOUS PAS LE COMMERCE LIBRE DU BLE ? "

    Si nous introduisions à l’heure actuelle le commerce libre du blé, nous ferions face d’ici quinze jours au spectre affreux de la famine. Qu’arriverait-il ? Il y a des provinces où se trouvent de grandes quantités de blé, mais où la bourgeoisie paysanne ne le vend pas à l’heure actuelle aux prix imposés. Si les prix étaient libérés de tout contrôle, tous les spéculateurs, tous les négociants se jetteraient sur ces provinces productrices de blé, et les prix du blé monteraient en quelques jours de plusieurs fois leur valeur et atteindraient 50, 100 ou 150 roubles le poud. Alors ces spéculateurs commenceraient à s’arracher le blé les uns aux autres et à le lancer sur les voies ferrées et à se disputer les wagons entre eux. Il y a aujourd’hui beaucoup de corruption parmi nos cheminots, spécialement dans les grades les plus élevés ; ils vendent les wagons pour de l’argent, et acceptent des pots-de-vin. Si le commerce libre du blé devait être proclamé, les spéculateurs paieraient des prix plus élevés pour les wagons et il en résulterait une désorganisation encore plus grande des chemins de fer. Et le blé qui arriverait dans les villes serait tout à fait hors de prix pour vous, travailleurs.

    Evidemment, des prix fixés pour le blé ne nous apporteront pas le salut, si une ferme discipline n’est pas établie dans les chemins de fer. Il est nécessaire d’établir un régime plus sévère pour les ouvriers des grades les plus élevés et ceux qui, parmi eux, encouragent la corruption, les détournements de fonds, et la rapacité. Et il est aussi nécessaire que tous les cheminots redoublent d’énergie.

    Alors nous montrerons aux usuriers de villages que nous ne sommes pas en humeur de plaisanter ; que leur devoir est de livrer leurs stocks de blé aux prix imposés. S’ils ne les livrent pas, nous devons les prendre par la force – la force armée des paysans pauvres et des ouvriers. C’est de la vie et de la mort du peuple qu’il s’agit, et non pas des spéculateurs et des usuriers.

    La situation est au plus haut point désastreuse et pas seulement pour nous. La Hollande, par exemple, est un pays neutre. Elle ne prend pas part à la guerre. Cependant, l’autre jour, des télégrammes sont arrivés, disant qu’à Amsterdam, la ration de toute la population a été réduite, et qu’une bagarre provoquée par la famine a éclaté dans les rues. Pourquoi ? Parce que, au lieu de labourer, de semer et de récolter, des dizaines de millions d’hommes se sont entre-tués à travers le monde pendant ces quatre dernières années. Tous les pays se sont appauvris et sont exténués, il en est de même pour nous. Donc, un certain temps doit s’écouler – un an ou deux – avant que nous renouvelions nos stocks de blé, et, en attendant, seule la discipline dans le travail, l’ordre et une pression sévère exercée sur les usuriers de village, les spéculateurs et les maraudeurs nous aideront. Si nous établissons tout cela, alors nous nous en sortirons.

    Et maintenant laissez-moi répondre à la dernière question, camarades.

    "QUI VA PAYER L’INDEMNITE A L’ALLEMAGNE PRÉVUE PAR LE TRAITE DE BREST ?"

    Comment dirai-je, camarades ? Si le traité de Brest-Litovsk reste en vigueur, alors, évidemment, le peuple russe paiera. Si, dans les autres pays, les mêmes gouvernements restent en place, alors notre Russie révolutionnaire sera mise à mort et enterrée, et le traité de Brest sera suivi d’un autre, disons un traité de Petrograd ou d’Irkoutsk, qui sera trois fois ou dix fois pire que celui de Brest. La révolution russe et l’impérialisme européen ne peuvent vivre pendant longtemps côte à côte. A l’heure actuelle, nous existons parce que la bourgeoisie allemande est occupée à un sanglant règlement de comptes avec la bourgeoisie française et anglaise. Le Japon est en rivalité avec l’Amérique et, pour l’instant, il a donc les mains liées. Voilà pourquoi nous surnageons. Aussitôt que les pillards concluront la paix, ils se retourneront tous contre nous. Et alors l’Allemagne, avec l’Angleterre, coupera en deux le corps de la Russie. Il ne peut y avoir l’ombre d’un doute à ce sujet. Et le traité de Brest-Litovsk devra disparaître. On nous imposera par la force un traité beaucoup plus cruel, rigoureux, implacable. Ce sera le cas si les capitalistes européens et américains restent en place, c’est-à-dire si la classe ouvrière reste immobile. Alors nous serons perdus. Et alors, évidemment, le peuple travailleur de Russie paiera pour tout, paiera avec son sang, avec son travail, paiera pendant des dizaines d’années, pendant des générations et des générations. Mais, camarades, nous n’avons pas la moindre raison d’admettre qu’après cette guerre, rien ne changera en Europe.

    La classe ouvrière de chaque pays a été trompée, du fait de l’existence de pseudo-socialistes, l’équivalent de nos socialistes-révolutionnaires de droite, de nos mencheviks, les Scheidemann, les David, et ceux qui correspondent à nos Tséretelli, Kerensky, Tchernov, Martov. Ils ont déclaré aux travailleurs : " Vous n’êtes pas encore mûrs pour prendre le pouvoir en mains, Vous devez soutenir la bourgeoisie démocratique. " Et la bourgeoisie démocratique soutient la grande bourgeoisie, qui soutient les nobles, qui, à leur tour, soutiennent le Kaiser. Voilà comment les mencheviks et socialistes-révolutionnaires de droite d’Europe se trouvèrent enchaînés au trône du Kaiser, ou à celui de Poincaré, pendant la guerre. Et quatre années ont passé ainsi. Il est impossible d’admettre un seul instant qu’après une expérience si terrible de calamités, de carnage, de duperie et d’épuisement du pays, la classe ouvrière, en quittant les tranchées, retournera dans les usines en toute humilité et servilité, et, comme par le passé, fera tourner les rouages de l’exploitation capitaliste. Non. En sortant des tranchées, elle présentera une note à ses maîtres. Elle dira : " Vous nous avez soutiré un tribut de sang, et que nous avez-vous donné en échange ? Les anciens oppresseurs, les propriétaires terriens, l’oppression du capitalisme, la bureaucratie ! "

    Je le répète : si le capitalisme occidental reste en place, on nous imposera une paix qui sera dix fois pire que celle de Brest-Litovsk. Nous ne pourrons plus tenir debout. Il y en a qui disent que celui qui espère une révolution européenne est un utopique, un visionnaire, un rêveur. Et je réponds : " Celui qui n’escompte pas une révolution dans tous les pays prépare le cercueil du peuple russe. " Il dit virtuellement : " Le parti qui possède la machine de guerre la plus efficace opprimera et torturera avec impunité tous les autres peuples". Nous sommes plus faibles économiquement et techniquement – c’est un fait. Est-ce que nous sommes condamnés pour cela ? Non, camarades, je ne le crois pas, je ne crois pas que toute la culture européenne est condamnée, que le capital la détruira impunément, la mettra aux enchères, la saignera à blanc, l’écrasera. Je ne le crois pas. Je crois, camarades, et je le sais par expérience et à la lumière de la théorie marxiste, que le capitalisme vit ses derniers jours. Tout comme une lampe brille d’un dernier éclat avant de s’éteindre brusquement, ainsi, camarades, la puissante lampe du capitalisme a brillé de son dernier éclat dans ce terrible massacre sanglant pour illuminer le monde de violence, d’oppression et d’esclavage dans lequel nous avons vécu jusqu’ici, et pour faire trembler les masses laborieuses d’horreur et les réveiller. Nous nous sommes révoltés, la classe ouvrière européenne fera de même. Et alors, le traité de Brest-Litovsk ira au diable, mais beaucoup d’autres choses le rejoindront : tous les despotes couronnés ou pas, les bandits et les usuriers impérialistes, et alors viendra un règne de liberté et de fraternité parmi les peuples.

  • En février 1938, André Breton rencontre Trotsky :

    « Quelle domination de soi-même, quelle certitude d’avoir, envers et contre tout, maintenu sa vie en parfait accord avec ses principes, quel exceptionnel courage au-delà de telles épreuves ont pu ainsi garder ses traits de toute altération ! Les yeux d’un bleu profond, l’admirable front, l’abondance des cheveux tout juste argentés, la toute fraîcheur du teint composent un masque où l’on sent que la paix intérieure l’a emporté, l’emportera à jamais sur les formes les plus cruelles de l’adversité. Cela ne saurait être là qu’une vue statistique, car dès que le visage s’anime, que les mains nuancent avec une rare finesse tel ou tel propos, il se dégage de toute sa personne quelque chose d’électrisant. (…) Il est une question qui, pour le camarade Trotsky, prime toutes les autres, une question à laquelle il vous ramène. Cette question, c’est : « Quelles perspectives ? » Nul n’est mieux que lui à l’affût de l’avenir (…) Il abonde en sarcasmes contre ceux qui sont établis sur une réputation, même honorable. Il faut l’entendre parler des « petits rentiers de la Révolution » !

    (discours de Breton le 11 novembre 1938 pour l’anniversaire de la Révolution d’Octobre)

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