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Pourquoi l’ornithorynque, à lui tout seul, casse la conception métaphysique du classement des espèces ?

vendredi 29 novembre 2013, par Robert Paris

Pourquoi l’ornithorynque, à lui tout seul, casse la conception métaphysique du classement des espèces ?

Vous avez là un mammifère avec un bec de canard (du moins en apparence) mais une peau et une queue de castor.

Vous avez là un mammifère qui n’est ni placentaire ni marsupial car tous deux ont abandonné la ponte des œufs et mettent bas les petits.

Vous avez là un mammifère qui pond des œufs ! L’ornithorynque est connu pour être un des seuls mammifères à pondre des oeufs. C’est aussi le seul mammifère à allaiter ses petits sans mamelles ! Le lait produit par les glandes de la femelle suinte le long de ses poils, et pour "téter" les petits doivent tout simplement lécher les poils de leur mère.

Vous avez là un mammifère à pieds palmés de loutre mais porteurs d’aiguillons venimeux.

Vous avez là un animal aux membres d’aspect plutôt robustes, tenus écartés du corps comme chez les reptiles.

Contrairement aux autres mammifères, il n’a pas d’oreille externe. Vous avez là un animal dont les yeux et les oreilles sont situés dans une rainure placée juste en arrière du bec. Cette rainure se referme lorsque l’animal nage, ce qui le rend sourd et aveugle dans l’eau.

Vous avez là un mammifère qui a des points communs avec les reptiles, par exemple des os surnuméraires dans la ceinture scapulaire comprenant notamment une interclavicule qu’on ne retrouve pas chez les autres mammifères. Il a la démarche d’un reptile avec les pattes situées sur les côtés du corps au lieu d’être en dessous comme chez les autres mammifères.

Vous avez là un mammifère possédant une double articulation de mâchoires, l’une sur le mode reptilien et l’autre sur le mode mammifère.

Vous avez là un animal qui chasse par électrolocalisation : il peut localiser leurs proies en détectant le champ électrique produit par leurs contractions musculaires. On pense que l’ornithorynque peut déterminer la direction de la source électrique en comparant l’intensité du signal selon l’orientation de son bec. Ceci expliquerait les mouvements caractéristiques de va-et-vient de la tête pendant qu’il chasse.

Vous avez là un excellent nageur qui passe beaucoup de temps dans l’eau à la recherche de nourriture. C’est le seul mammifère à se déplacer dans l’eau en utilisant uniquement ses pattes antérieures dans un mouvement alterné pour avancer.

Vous avez là un animal carnivore qui a besoin de consommer tous les jours l’équivalent en nourriture de 20 % de son poids, ce qui lui demande de passer en moyenne 12 heures par jour dans l’eau pour cette activité. Il se nourrit de vers, de larves d’insectes, de crevettes d’eau douce, de petits poissons et de leurs œufs ou encore d’écrevisses qu’il déniche dans le lit des rivières en fourrageant avec son bec ou en les attrapant en nageant.

Vous avez là un animal qui hérite des reptiles, des dinosaures, des amphibiens et même des oiseaux ! Vous pourriez penser que c’est parce qu’il est la jonction continue entre ces espèces mais cela n’existe pas. Il n’est même pas un point de départ des mammifères puisqu’un tel point de départ est bien plus à chercher avant, chez le Mégazostrodon (une espèce de souris insectivore) de la fin du Trias et même, encore avant, chez les ancêtres des mammifères, les cynodontes.

L’ornithorynque a conservé l’état ancestral de certains caractères, qui a été également conservé chez les reptiles ou les oiseaux (le clivage méroblastique du zygote par exemple), alors que ces caractères ont évolué (ils sont donc dans un état dérivé) chez les autres Mammifères. Dans l’exemple précédent du clivage du zygote, le clivage holoblastique est donc apparu après la divergence Protothériens/Euthériens. L’ornithorynque a également développé des états dérivés de caractères spécifiques à ce taxon, comme l’électrolocalisation. Au cours de leur analyse, les chercheurs ont comparé ce génome avec ceux de l’homme, du chien, de la souris, de l’opossum et de la poule : l’ornithorynque partage 82 % de leurs gènes, ont-ils décelé. Il compte environ 18 500 gènes, soit environ les 2/3 de celui de l’homme.

Chez l’Ornithorynque, les chromosomes du début de la chaîne ont des gènes communs avec les mammifères, tandis que ceux de la fin partagent des gènes avec les oiseaux

Les ornithorynques naissent avec quelques dents maxillaires qui disparaîtront par dégénérescence au cours du 1er mois de leur existence). Les ornithorynques déchiquètent leurs proies avec des plaques cornées garnies de lamelles qui remplacent les dents.

Vous avez là un animal qui possède un os procoracoïde pair (caractère ancestral trouvé chez les reptiles et oiseaux et disparu chez les autres mammifères).

L’ornithorynque semble être un produit de l’évolution des espèces dont le rôle serait de… ridiculiser toutes les méthodes de classification trop formelles, trop figées, trop métaphysiques.

L’ornithorynque va être un étonnant dérangeur, un brouilleur de taxinomie.
Pendant quarante ans, lui et ses cousins les échidnés vont semer une zizanie délicieuse dans les travaux des systématiciens. La lutte scientifique va concerner sa place exacte dans la classification.

Les acteurs appartiennent à l’aristocratie des naturalistes européens : Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Henri Ducrotay de Blainville pour les Français, Everald Home pour les Anglais, Johann Friedrich Meckel, de Halle, professeur de médecine et ami épistolier de Goethe, Johann Friedrich Blumenbach pour les Allemands.

Rappelons qu’au début du XIXe siècle le monde des vertébrés est divisé en quatre classes : poissons, reptiles (amphibiens inclus), oiseaux et mammifères. Blumenbach qui étudie l’animal, arrête définitivement son nom de science : Ornithorhynchus , le bec-oiseau. En 1802, Home le décrit anatomiquement. Mais où le ranger ? Un peu plus tard, Geoffroy va l’inclure, avec les échidnés, parmi les mammifères, mais dans un nouvel ordre : celui des monotrèmes, de mono et trema, " un seul trou ".

Pourquoi ? A l’instar des reptiles et des oiseaux, l’ornithorynque ne possède qu’un cloaque ou canal unique et ne connaît donc pas de séparation entre l’anus et l’orifice génito-urinaire.[…] Geoffroy, plus tard, revient sur sa position, sort l’ornithorynque de la classe des mammifères et le range dans une cinquième classe de vertébrés. Ce qui va lui attirer les foudres de Blainville. Ce dernier maintient notre singulier dans la quatrième classe. L’ornithorynque a des poils, discriminant fondamental, pour lui c’est donc sans conteste un mammifère. La querelle monte, elle va perdurer longtemps. En 1818, Geoffroy présente les monotrèmes comme " une famille paradoxale qui serait intermédiaire entre les oiseaux et les mammifères ". Cuvier, à l’inverse, les range dans les mammifères, mais précise-t-il, " on n’est pas encore unanime sur l’existence de leurs mamelles, on en est à savoir si ces animaux sont vivipares ou ovipares ". En 1824, Meckel découvre des sortes de mamelles sur la créature, il conclut à la viviparité de l’ornithorynque.

L’argument renforce Blainville. Mais, coup de théâtre, on relate, concernant l’animal, une ponte d’oeufs ! Voilà qui arrange Geoffroy. Il cite des voyageurs " quiont acquis comme un fait de visu que l’ornithorynque fait un nid de bourre et de racines entrelacées, qu’il y dépose deux oeufs blancs, n’étant qu’un peu plus petits que ceux des poules, qu’il les couve longtemps et qu’il les fait éclore comme des oiseaux ". Pour Blainville c’est une fable. Trois ans plus tard, un Anglais, Tom Grant, décrit un oeuf. Il observe que le petit qui en est sorti présente une caroncule, sorte d’excroissance osseuse qui sert à percer la paroi. Richard Owen, malgré l’existence de cet appendice, trait d’oviparité, complique tout. Il penche pour l’ovoviviparité, manière d’avoir des oeufs sans en avoir, ceux-ci éclosant dans le ventre de la mère. Un tel phénomène est connu chez les reptiles.

Pourtant un médecin, originaire de l’Etat de Victoria en Australie,écrit à Owen que " des chercheurs d’or ayant ligoté un ornithorynque et l’ayant ensuite enfermé dans une caisse d’eau de vie, retrouvent deux oeufs blancs et mous, sans coquille et compressibles, le lendemain matin ". Ce dernier manifeste un bel entêtement scientifique et conclut : " Fausse couche due à la peur ". Retenons pour l’instant que, depuis cette époque, les mammifères sont restés subdivisés selon le classement de Blainville en trois sous-classes : monotrèmes, marsupiaux, placentaires. L’équivoque est définitivement levée en 1884, grâce à la preuve double et complète apportée par deux observateurs, Wilhelm Haacke, directeur du Muséum d’Adélaïde, et William Caldwell. Le premier obtient un couple d’échidnés originaire de l’île des Kangourous. Il soulève la patte d’un de ces monotrèmes et découvre l’oeuf ! " Seul un vrai connaisseur des animaux pourra comprendre ma stupeur lorsque je retirai un oeuf, le premier pondu par un mammifère. Sa coquille était parcheminée comme celle d’un grand nombre de reptiles. " Le second, jeune chercheur écossais de l’université de Cambridge, tire sur les bords du fleuve Burnett dans le Queensland un ornithorynque femelle qui vient de pondre un oeuf. En éventrant l’animal il découvre un second oeuf prêt pour la ponte. Il télégraphie à Londres " Monotremes oviparous, ovum meroblastic " ( " Monotrèmes ovipares, oeuf méroblastique " ). Ce qui signifie, concernant les oeufs, que lorsqu’ils sont pondus, ils n’ont connu qu’une division partielle, à l’instar des reptiles et des oiseaux.
L’ornithorynque fait finalement partie des monotrèmes, ce qui le regroupe avec les echidnés, un mammifère terrestre couvert de piquants et mangeur de fourmis et de termites. Les monotrèmes sont nés il y a 80 millions d’années, vingt millions d’années après le début des mammifères, et 30 millions d’années avant la division entre placentaires et marsupiaux.

C’est après les monotrèmes, avec les multituberculés que les mammifères ont cessé de pondre des œufs et on mis bas leurs petits.
L’ornithorynque exprime finalement par son bec et sa queue comme par toutes ses caractéristiques l’existence de contradictions internes au sein des espèces. Le mammifère n’est pas que mammifère. Il est aussi un peu reptile et même un peu amphibien, un peu oiseau. Le caractère mammifère commence seulement à l’emporter. Si les caractères étaient aussi rigides que les classifications, il n’y aurait aucune évolution possible. C’est parce que l’espèce contient la contradiction en son sein qu’il y a évolution en même temps que conservation.

Les scientifiques ont constaté que cette diversité se retrouve au niveau génétique, avec un patchwork de gènes ressemblant à ceux des reptiles, des oiseaux ou des autres mammifères. « Le génome de l’ornithorynque est extrêmement important, car c’est un chaînon manquant dans notre compréhension de l’évolution initiale des mammifères, et donc de l’homme. C’est un peu notre machine à voyager dans le temps, vers un passé où tous les mammifères allaitaient leurs petits, mais pondaient des oeufs. C’est également une base essentielle à d’autres avancées dans la compréhension de la biologie et de l’évolution des mammifères », explique le docteur Chris Ponting, directeur de recherche de l’unité de génomique fonctionnelle du MRC à l’université d’Oxford.

L’équipe a recherché dans le génome les séquences spécifiques aux monotrèmes, ainsi que les gènes impliqués chez d’autres espèces dans la production de venin, la sensibilité à l’électricité et la production de lait. Les chercheurs ont constaté que le venin de l’ornithorynque est un cocktail de protéines, dont les fonctions étaient initialement différentes, et qui se sont spécialisées au cours de l’évolution. Les mêmes protéines sont également présentes dans le venin des reptiles, en dépit de leur évolution indépendante.

Les chercheurs ont également découvert que l’ornithorynque possède 10 chromosomes sexuels, au lieu de 2 chez l’être humain. En outre, les gènes qui déterminent le sexe sont plus proches de ceux des oiseaux que de ceux des mammifères. « L’ornithorynque semble être un étrange mélange de caractères de mammifères, d’oiseaux et de reptiles, et nous retrouvons aujourd’hui le même genre de mélange au niveau de son génome. Ce mélange est par ailleurs bien plus complexe que ce que nous attendions », déclare Ewan Birney, responsable de l’équipe d’analyse du génome à l’European Bioinformatics Institute.

La philosophie classificatrice fait croire que les espèces sont nécessairement plus proches des espèces de leur famille sur tous les plans comme les familles au sein de leur genre. La réalité est beaucoup plus contradictoire comme nous le montre l’ornithorynque…

Stephen Jay Gould expose dans « La foire aux dinosaures » :

« L’ornithorynque exhibe une incroyable série d’étrangetés : premièrement, un habitat inhabituel auquel il est adapté par une curieuse anatomie ; deuxièmement, un énigmatique mélange de caractères reptiliens (ou du type des oiseaux) avec d’autres, proprement mammaliens – la vraie raison de sa place particulière dans la zoologie. Ironiquement, le trait qui suggéra en premier lieu qu’il avait des affinités non mammaliennes – le « bec de canard » - n’a pas ce sens en réalité. Le museau de l’ornithorynque est une adaptation purement mammalienne à l’alimentation en eau douce et non un retour à une forme ancestrale – bien que le nom scientifique de cet animal entérine cette interprétation erronée : « Ornithorynchus anatinus » (autrement dit, le museau d’oiseau semblable à celui du canard). (…)

La partie avant de l’animal, avec son bec, a peut-être suscité beaucoup d’étonnement, mais la partie arrière a elle aussi de nombreuses raisons de provoquer la stupéfaction. fonctions liées à l’excrétion et à la reproduction (comme les reptiles, mais à la différence des mammifères, où des orifices distincts sont consacrés au processus de la naissance et aux diverses formes d’excrétion ; le terme technique de monotrème – signifiant « un seul trou » - qui désigne la famille de l’ornithorynque et de ses apparentés, les échidnés, rend honneur à cette caractéristique non mammalienne).

Concernant l’anatomie interne, l’énigme ne faisait que s’accroître. Les aviductes ne se réunissent pas en un utérus, mais gagnent séparément le tube cloacal. En outre, comme chez les oiseaux, l’ovaire droit est devenu rudimentaire et tous les ovules se forment dans l’ovaire gauche. Cette organisation conduisit à poser une hypothèse extrêmement troublante pour les biologistes qui, à cette époque prédarwinienne, n’envisageaient les entités élémentaires de la nature que comme des catégories statiques ne pouvant pas présenter de traits intermédiaires. S’il n’y avait pas d’utérus, pas d’espace interne pour la formation du placenta, et si le système reproducteur était d’organisation reptilienne, cela suggérait l’impensable pour un mammifère : la naissance à partir d’un œuf. Les marsupiaux voisins, avec leurs poches et leurs minuscules kangourous, avaient déjà porté un sérieux coup au noble nom de mammifère. L’Australie allait-elle aussi fournir l’objet de confusion ultime, l’animal à fourrure naissant de l’œuf ?

Tandis que les anatomistes étudiaient cette créature, au début du 19ième siècle, le mystère ne faisait que s’approfondir. L’ornithorynque paraissait être un parfait mammifère pour tout ce qui concernait les traits « fondamentaux » non liés à la reproduction. Il présentait une fourrure complète et la caractéristique anatomique définissant les mammifères : la présence d’un seul os à la mâchoire inférieure (le dentaire) et celle des trois osselets (le marteau, l’enclume et l’étrier) dans l’oreille moyenne. (Les reptiles ont une mâchoire inférieure composée de plusieurs os, et leur oreille n’en contient qu’un seul.) Mais des caractéristiques prémammaliennes pouvaient se voir aussi en déhors du système reproductif. En particulier, l’ornithorynque possédait un os interclaviculaire au niveau de l’épaule – un trait propre aux reptiles que ne présente aucun mammifère. (….)

On a toujours plaqué sur l’ornithorynque de fausses conceptions, par suite d’une vision erronée de la nature, produit de la faiblesse humaine. Cet essai examine les deux stades par lesquels passèrent ces conceptions erronées, puis tente de resituer son véritable statut à ce pauvre ornithorynque.
Pendant le demi-siècle qui a séparé sa découverte de la publication de « L’Origine des espèces » de Darwin, l’ornithorynque a été l’objet d’innombrables tentatives pour nier ou pour atténuer le fait qu’il était un véritable mélange de caractéristiques appartenant aux différents groupes de vertébrés. La Nature avait besoin de catégories bien nettes, établies par la sagesse divine. Un animal ne pouvait pas à la fois pondre des œufs et nourrir ses petits avec du lait fourni par des glandes mammaires. C’est pourquoi Geoffrey milita pour les œufs et l’absence de lait, Meckel pour le lait et la mise bas. (…)

En 1884, W.H. Caldwell câbla « Monotrèmes ovipares, ovule méroblastique. » (…) En substance, son télégramme disait : l’ornithorynque à bec de canard pond des œufs.

Chacun des mots du télégramme de Caldwell nécessite une explication. Les animaux ovipares pondent des œufs, tandis que les vivipares mettent bas des petits tout formés ; les organismes ovovipares pondent des œufs au sein de leur corps, et ceux-ci éclosent dans le ventre de la mère… Les monotrèmes constituent le groupe de mammifères parmi les plus énigmatiques de la région australienne – il comprend l’échidné, tout hérissé de piquants et dont il existe deux genres, mangeurs de fourmis, et l’ornithorynque qui vit dans les rivières et les ruisseaux. Un ovule est une cellule sexuelle femelle, qui deviendra un œuf lors de la fécondation. Le terme « méroblastique » se réfère au mode de division de l’œuf fécondé, au tout début du développement embryonnaire. L’œuf comporte ce que l’on appelle un pôle végétatif, c’est-à-dire une partie où est accumulé le jaune, qui est la réserve alimentaire. La division de l’œuf commence de l’autre côté, appelé pôle animal. Si l’œuf contient beaucoup de jaune, le plan de division ne peut pas pénétrer dans le pôle végétatif. Un œuf de ce type n’aura que des divisions incomplètes ou méroblastiques – la division en cellules distinctes s’effectuera bien au pôle animal, mais très peu ou pas du tout au pôle végétatif. Les vertébrés terrestres pondant des œufs, les reptiles et les oiseaux, tendent à produire des œufs riches en jaune, et donc sujets à des divisions méroblastiques, tandis que la plupart des mammifères présentent des divisions incomplètes ou holoblasiques. Donc, en ajoutant « ovule méroblastique », Caldwell soulignait le caractère reptilien de ces mammifères paradoxaux – non seulement ils pondent des œufs, mais ceux-ci sont typiquement reptiliens, d’après leur contenu en jaune.) (…)

La présence de caractères prémammaliens chez l’ornithorynque ne le marque pas du sceau de l’infériorité ou de l’inefficacité. Ils signifient simplement que la branche des monotrèmes s’est détachée précocement de celle conduisant aux mammifères placentaires. Elle n’a pas perdu tous ses caractères reptiliens d’un seul coup, mais sur le mode de l’hésitation et du « morceau par morceau » qui est caractéristique des tendances évolutives. Une branche s’est détâchée de ce lignage central après que les traits fondamentaux des mammifères sont apparus (par exemple, fourrure et osselets de l’oreille moyenne) peut très bien avoir retenu des caractères prémammaliens (ponte des œufs et os interclaviculaire) ; ceux-ci seront le signe de ce branchement précoce et non des marques d’arriération.

Les caractères prémammaliens de l’ornithorynque ne font que révéler l’ancienneté de son lignage, en tant que branche distincte de l’arbre évolutif mammalien. En tout état de cause, cette ancienneté même pourrait lui avoir laissé plus de temps pour devenir ce qu’il est vraiment à présent, c’est-à-dire, contrairement au mythe de sa primitivité, une créature superbement adaptée à un mode de vie particulier, très inhabituel. L’ornithorynque représente une élégante solution pour une vie mammalienne dans les cours d’eau – et non une relique primitive d’un monde disparu. Vieux ne signifie pas arriéré, dans le monde darwinien.

Dès que l’on laisse tomber ce mythe de la primitivité, on peut voir, avec profit, dans l’ornithorynque une intrication d’adaptations. (…)

Le trait qui plaide le plus en faveur du caractère adapté, et non pas inapproprié, de cet animal est la structure même qui lui a valu son statut mythique de primitif : le malnommé « bec de canard ». C’est pourtant la plus belle invention particulière à l’ornithorynque. Ce bec n’est nullement homologue de celui des oiseaux, ni d’aucun autre caractère de ceux-ci. Il s’agit d’une structure originale, apparue par évolution uniquement chez les monotrèmes (l’échidné en présente une version différente, sous la forme de son long museau pointu). Ce n’est pas simplement un organe dur, inerte et corné. Son armature rigide est recouverte d’une fine peau qui contient une remarquable collection d’organes sensoriels. En fait, étrangement, l’ornithorynque, lorsqu’il est sous l’eau, exclut tous ses autres systèmes sensoriels et ne fait plus appel qu’à son bec pour localiser les obstacles et la nourriture. Des voiles de peau recouvrent les minuscules yeux et les oreilles dépourvues de pavillon lorsque l’ornithorynque est en plongée, tandis qu’une paire de valves clôt les narines. (…)

Une série d’élégantes expériences en neurophysiologie moderne, effectuées par R.C. Bohringer et M.J. Rowe (1977 et 1981), ont encore davantage souligné le caractère finement adapté du bec de l’ornithorynque. »

L’espèce vivante, une catégorie dialectiquement contradictoire

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