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Impérialismes et luttes de classes en Ukraine

samedi 30 août 2014, par Alex

Ce texte correspond à l’introduction qui a été faite lors de la réunion Voix des Travailleurs du 1er juin 2014 à propos de la situation en Ukraine. Le point 8 a suscité des désaccords, dénoncer l’impérialisme français plus que les autres semblant injustifié aux yeux de certains camarades.

L’évolution de la situation en Ukraine depuis deux mois ne change pas mon point de vue sur le fait que les rivalités inter-impérialistes dans le cadre du blocage du capitalisme depuis la crise de 2007-2008 sont les moteurs de la guerres. La situation du monde en 2014 est similaire à celle de 1914.

Un point qui aurait mérité d’être développé est le fait que la guerre est un moyen d’écraser des révolutions.
En effet la crise frappe la jeunesse de plein fouet car elle est mécaniquement la première à être exclue d’un capitalisme dont le cycle de reproduction ne fonctionne plus.
Le printemps arabe qui a eu ses échos en Grèce, en Espagne, Israël, même des prémisses comme le mouvement de la jeunesse diplômée mais précarisée dans le mouvement anti-cpe en France en 2006, ont été un mauvais exemple. Embrigader la jeunesse dans l’armée et la faire massacrer et/ou se faire massacrer est un antidote. Le fait que le service militaire ait été rétabli en 2014 par des gouvernements protectorats impérialistes aussi divers que l’Ukraine, le Qatar, les Emirats Arabes Unis est significatif. Ce sera peut-être le déclencheur d’une contestation politique des jeunesses vivant dans les cages dorées de Doha ou Abu Dhabi, créant des liens possibles avec la jeunesse de pays arabes plus pauvres.

Voici donc les thèses sur l’Ukraine, numérotées pour faciliter la discussion :

1- Les rivalités entres puissances impérialistes USA, Allemagne, Russie, France, Chine sont le facteur fondamental à l’oeuvre ce qui se passe en Ukraine. Le peuple ukrainien est depuis des siècles un des champs de bataille favoris des grandes puissances. La remarque de l’historien d’extrême droite Benoist-Méchin à la veille de la Seconde guerre mondiale est plus que jamais d’actualité

Qu’est-ce que l’Ukraine, ce pays dont ni le nom, ni les frontières ne sont tracés sur les cartes d’Europe ? (...) Demandons-le aux Russes -tsaristes ou staliniens -aux Polonais, aux Roumains, aux Hongrois. Ils nous répondront d’un ton passionné : « Attention vous faites fausse route, l’Ukraine n’existe pas ! » (...) Chaque fois que l’Europe traverse une crise grave et que ses cadres se disloquent, ce « problème-témoin » apparaît à travers les fissures de l’édifice.

Ukraine - Le fantôme de l’Europe (J. Benoist-Méchin, 1939)

Le premier mot d’ordre est donc : impérialistes français, américain russe, allemand et leurs larbins polonais, hongrois, roumains, hors d’Ukraine !

2- Les frontières de l’Etat ukrainien actuel, indépendant depuis 1991 suite à la dislocation de l’URSS réunit deux régions historiquement hétérogènes. La partie orientale fut intégrée à la Russie « prison des peuples » par la monarchie féodale des Tsars, puis à l’URSS par la révolution d’Octobre 17 par les ouvriers et paysans pauvres de Russie et d’Ukraine, lors de la guerre civile qui s’en suivit. La partie occidentale a été intégrée à l’Ukraine suite au pacte Hiltler-Staline en 1940. L’Ukraine actuelle reste donc un Etat très artificiel, en l’absence d’une classe ukrainienne capable de prendre la tête de la nation depuis le XVIIeme siècle

3- Une tendance profonde dans l’histoire de l’ukraine est en effet l’incapacité d’une bourgeoisie ukrainienne à prendre la direction de la nation ukrainienne. Une révolution bourgeoise précoce n’a abouti qu’à la soumission des couches supérieures de la bourgeoisie ukrainienne aux puissances européennes, comme aujourd’hui, qu’elles regardent vers l’Est ou vers l’Ouest :

La révolution cosaque déclenchée en 1648 - une gigantesque guerre populaire de libération sociale et nationale qui coïncida avec la révolution bourgeoise anglaise, menaçant de mettre à genou l’Etat polono-lituanien et de s’étendre à tout l’est européen -joua un rôle fondamental dans la constitution de la nation ukrainienne, d’autant plus marquant qu’elle intervint par la voie révolutionnaire. Territoire d’expansion pour la féodalité polonaise et lituanienne, pour sa structure étatique et sa religion catholique, l’Ukraine était alors un pays ou seul un quart de la population se trouvait réduit à une situation de servage réel et direct. La structure sociale laissait un espace très large au développement de tendances petite-bourgeoises, portées avant-tout par les petits producteurs agricoles libres qu’incarnait la figure du cosaque (..) Sous le commandement de l’Ataman Khmelnytsky l’armée cosaque impulsa un soulèvement paysan et citadin de masse qui détruisit presque complètement les rapports de production et de propriété féodaux en Ukraine (...) En contradiction avec la dynamique de cette révolution, la couche supérieure cosaque (Khmelnytsky en tête) n’aspirait qu’à obtenir des droits et privilèges féodaux de la part de l’Etat polono-lituanien. C’est la raison pour laquelle elle freina la marche sur la Pologne. ces aspirations s’étant vues déçues par le côté polonais et face à une révolution qu’elle ne contrôlait plus, elle se tourna vers Moscou. C’est en 1654 que sera signé l’accord de Pereislav, sur lequel Khmelnytsky s’était mis d’accord avec le Tsar moscovite et qui plaçait l’Etat ukrainien sous la protection de ce dernier. (...) Progressivement la domination tsariste conduisit au démantèlement de l’Etat Cosaque et de ses libertés, , à la soumission de la paysannerie ukrainienne acculée au servage, à la destruction des livres ukrainiens et des imprimeries

L’Ukraine, réveil d’un peuple, reprise d’une mémoire (Zbigniew Kowalewski, revue Herodote 1989)

Remarquons qu’en 1954 le dirigeant de l’URSS stalinienne, l’Ukrainien Khroutchchev fit don de la Crimée à l’Ukraine en mémoire des 300 ans de cet accord de Pereislav. Il se plaçait donc dans la lignée des Khmelnytsky, ces ukrainiens artisans de la soumission de l’Ukraine à la grande puissance la plus offrante.

4- Les « cellules élémentaires » de l’organisation territoriale de la domination de l’impérialisme américain sur la planète sont des unions économiques, doublée d’accords militaires. En Europe de l’Ouest cette cellule est formée de l’Union Européenne doublée de l’OTAN. Les objectifs des USA sont depuis la dislocation du bloc soviétique (1989) et la disparition de l’URSS (1991) l’élargissement de l’UE et de l’OTAN aux pays de ces deux anciennes entités, dans une stratégie d’encerclement de la Russie, une des deux seules grandes puissances avec la Chine qui n’est pas intégrée dans un accord militaire sous hégémonie américaine. L’unification de l’Europe occidentale au sein de l’UE a toujours été impulsée, soutenue par les USA. C’est dans ce but, donc sous l’impulsion des USA, que l’UE s’est élargie ces dernières années. :

Pour le dire sans détour, l’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses Etats rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires . (...) Les USA ne doivent pas hésiter à prendre des initiatives décisives. Ils doivent s’engager en faveur de la cause européenne, faute de quoi le processus d’unification s’arrêtera et pourra même régresser(...) Le problème central pour l’Amérique est de bâtir une Europe fondée sur les relations franco-allemandes, viable, liée aux USA.

Z. Brzezinski Le grand Echiquier (1997)

Dans ce même livre de Brrzezinski, annonce déjà l’annexion de l’Ukraine par l’Otan et l’UE, et souligne que sans l’Ukraine la Russie ne sera plus une grande puissance, donc que cette annexion politique de l’Ukraine par les USA par l’intermédiaire de l’OTAN et l’UE est un casus-belli.

5- L’unification de l’Europe est impulsée par les USA uniquement dans la mesure ou elle à lieu sous leur hégémonie. Toute unification européenne qui ne se ferait pas sous leur domination est combattue par les USA, qui tendent à ériger un véritable mur séparant les pays qui acceptent sa tutelle et les autres.

Actuellement la limite de l’Europe occidentale va de la Lituanie à la Roumanie. Cette limite nord-sud qui progresse vers l’ouest rappelle la limite des fronts américains et russes en 1945. Les USA impulsent donc autant l’unification de l’Europe dans le cadre de l’UE que la division est-ouest de l’Europe.

6- Une autre tendance à l’unification de l’Europe est en contradiction avec celle de l’impérialisme US. C’est la tendance organique à l’unification de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural comme disait de Gaulle, comme tenta de le faire Napoléon, mais dont le foyer est depuis 150 ans l’Allemagne. Depuis 1870 le capitalisme allemand est le plus dynamique en Europe, il est le pôle économique qui tend à unifier le capitalisme européen.

L’Allemagne est l’heure actuelle le seul Etat européen en passe d’acquérir une situation prépondérante

Général von Bernhardi, « L’Allemagne et la prochaine guerre » (1913)

En juin 1940 la bourgeoisie française accepta sa place de protectorat de l’Allemagne dans une telle Europe en voie d’unification et dominée par l’Allemagne.

Pour improbable qu’il paraisse aujourd’hui, on ne peut pas non plus exclure un grand réalignement en Europe, sous la forme d’un pacte germano-russe (...)

Z. Brzezinski Le grand Echiquier(1997)

Or une puissance capitaliste européenne unifiée politiquement ou même seulement économiquement non par les USA mais par les puissances européennes elles-mêmes (France, Allemagne, Russie) constituerait un concurrent qui dépasserait en puissance les USA et est donc intolérable pour les USA. Un gazoduc Russie-Allemagne sous la Baltique dont les US n’ontdonc pas le contrôle total est déjà un danger potentiel alors que les USA contrôlent toutes les routes commerciales de leur concurents (détroit de Malacca vis-à-vis de la Chine etc)

Après deux guerres civiles, l’Europe occupée n’est qu’un vaste dominion vassalisé par les USA et surveillé par le Shérif britannique. Elle n’a pas profité de la chute du mur de Berlin pour s’unir et s’émanciper. Seule incertitude, l’ambition retrouvée de l’Allemagne, qui après douze ans d’un processus de réunification complexe, domine de nouveau le continent de sa puissance industrielle et commerciale. (...) Les contours de l’Europe dessinée par le Général de Gaulle sont inacceptables pour les Américains. Il convient donc de prévenir l’émergence d’un possible rival, d’éviter son rapprochement avec la Russie, et de tuer dans l’oeuf toute velléité d’autonomie de sa part

J.F. Susbielle Les Royaumes Combattants

Les USA ne font que prendre le relais de Grande Bretagne lorsqu’elle était la première puissance mondiale :

De tout temps, l’Angleterre s’est efforcée de maintenir un certain équilibre de puissance entre les Etats du continent, ne permettant à aucun d’eux de s’élever à la suprématie. Tandis que ces Etats se paralysaient mutuellement et entravaient leur libre action sur la scène du monde, l’Angleterre acquérait la possibilité, sans être incommodée, de poursuivre ses propres desseins et de fonder la puissance mondiale qu’elle possède aujourd’hui. Elle poursuit cette politique aujourd’hui encore, car elle ne croit sa position assurée qu’aussi longtemps que les forces européennes se feront contrepoids. Il en résulte que le Royaume-Uni doit être sans cesse occupé , dans les limites du possible, à abaisser l’Allemagne et soutenir la France

Général von Bernhardi, « L’Allemagne et la prochaine guerre » (1913)

L’attitude des anglais envers un Etat européen a toujours été déterminée par des raisons politiques et économiques, même si cet Etat ne constituait pas une menace sur mer. Dès qu’une puissance leur paraissait devenir trop forte, ils se sentaient atteints dans le sentiment de leur pouvoir, dans leur primauté économique, conformément à leur célèbre et traditionnelle politique du maintien de l’équilibre sur le continent

Grand Amiral Doenitz : Dix ans et vingt jours, 1959

Une tendance de l’impérialisme allemand est d’aller contre cette division de l’Europe favorisée par le Royaume Uni puis les USA :

On a cherché à cherché à instituer un équilibre réel par des alliances particulières : cela n’a abouti qu’à diminuer le libre essor de tous, spécialement de l’Allemagne. Un tel état de chose est malsain. L’équilibre européen ne peut, du reste, plus répondre aux circonstances actuelles ; son seul résultat fâcheux est de rendre mutuellement inefficaces les forces de Etats européens, faisant ainsi l’affaire des puissances qui sont en dehors de ce cercle d’action. Cela n’a-t-il pas été de tout temps la politique de l’Angleterre de brouiller les Etats du continent et de les maintenir à peu près au même niveau afin de pouvoir, par la domination des mers, arriver en même temps à la domination mondiale ?

Il nous faut rompre résolument avec la conception d’un équilibre dont le mensonge contrarie nos intérêts vitaux. Cela ne veut pas dire qu’il faille rejeter l’idée d’un système d’Etat ayant des intérêts de culture communs, mais il faut la développer sur une base nouvelle et plus logique. Il ne peut plus être question aujourd’hui d’un système d’Etats européens, mais bien d’un système mondial dans lequel l’équilibre soit basé sur des facteurs de puissance véritable. Dans ce système d’Etats il nous faut nous efforcer d’obtenir à la tête d’une Ligue d’Europe centrale, une situation d’égalité en ramenant d’une manière ou de l’autre le soi-disant équilibre d’égalité à sa valeur réelle et en augmentant d’autant notre propre puissance.

Général von Bernhardi, « L’Allemagne et la prochaine guerre » (1913)

En juin 1941 l’Allemagne en attaquant la Russie était en passe d’unifier l’Europe, c’est à ce moment que les USA intervinrent en Europe pour empêcher cette émergence d’une Europe unie. C’est sans doute un des aspects essentiels du retour en force des USA en Europe.

7- Le gouvernement Ukrainien emploie des méthodes de type fasciste. L’essence de ces méthodes est de faire remplir les taches qui sont habituellement celles de l’armée et de la police par des troupes auxiliaires de volontaires. Ce recrutement hors des troupes de l’appareil d’Etat est organisé et contrôlé par cet Etat, car ce virage fascisant n’est pas une décomposition, une dégénérescence, mais un tournant choisi, piloté en l’espèce par l’impérialisme américain, mis en oeuvre avec son appui et et celui de ses auxiliaires européens. Cette incapacités de l’armée ukrainienne de faire le "sale travail" est manifeste :

Le 12 mars 2014 une loi a réactivé la garde nationale ukrainienne qui avait été dissoute le 11 janvier 2000. Placée sous l’autorité d’Andy Paruby, chef du Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine (...) ses personnels sont des volontaires de 18 à 55 ans. (...) Mais d’où viennent les recrues et qui les entraine ? De nombreux membres du « Corps des volontaires de sécurité », qui composait l’ossature paramilitaire des manifestants de la place Maidan, auraient rejoint la Garde nationale. La plupart sont donc des militants ou des sympathisants de l’extrême-droite ukrainienne. Si de nombreux cadres semblent être détachés des forces régulières, des membres de la société militaire privée Academie (ex-Blackwater) participeraient à la formation (...) La mise sur pied de cette milice démontre que les nouvelles autorités ukrainiennes n’accordent qu’une confiance mitigée aux forces régulières. (...) Le 17 avril 2014 la 25e brigade aéroportée ukrainienne est dissoute par Kiev après avoir fait part de son refus de « refus de combattre d’autres ukrainiens » (...) l’armée ukrainienne reste faible et sujette aux doutes, de nombreux cadres ayant fait défection

8- Les révolutionnaires internationalistes d’ici doivent dénoncer avant tout l’impérialisme français. Certes, tous les impérialismes sont coupables. Mais comme le disant Liebknecht, l’ennemi principal est dans notre pays. De même Lénine mettait en avant le mot d’ordre de défaite SON impérialisme russe même s’il dénonçait l’impérialisme allemand.

Il est peu connu que notre impérialisme est un des bourreaux historiques du peuple ukrianien comme l’impérialisme Allemand. En 1919 Clémenceau organisa en Ukraine une croisade contre-révolutionnaire, une terreur blanche pour reconquérir notamment les mines de l’Est de l’Ukraine où les capitaux français étaient dominants. La France de cette époque ne reconnaissait même pas l’Ukraine indépendante, appelant cette région Russie méridionale, confiant sa reconquête à des généraux russes, à des organisateurs de pogroms, ex-geôliers de la prison des peuples du Tsar.

Les officiers français faute de troupes françaises ou ukrainiennes fiables (lire le livre sur la révolte des marins de la Mer Noire par André Marty qui décrit la sale guerre de Clémenceau en Ukraine en 1919) s’appuyaient sur des armées type corps-francs qui massacraient juifs et paysans. Cet épisode est peu connu, il faut le rappeler aux ouvriers d’ici.

Messages

  • 8- Les révolutionnaires internationalistes d’ici doivent dénoncer avant tout l’impérialisme français. Certes, tous les impérialismes sont coupables. Mais comme le disant Liebknecht, l’ennemi principal est dans notre pays. De même Lénine mettait en avant le mot d’ordre de défaite SON impérialisme russe même s’il dénonçait l’impérialisme allemand.

    Tout a fait d’accord et il faut dénoncer pour cela la diplomatie secrète, les interventions militaires prolongées qui visent à établir des bases permanentes comme en 2009 à Abu Dhabi, la propagande anti terroriste et en même le financement d’armée fasciste sur place par des banques françaises, les contrats de livraison d’armes, d’avions, de bateaux pour les différentes armées avec des multinationales françaises. Plus généralement la domination du capital financier d’un pays impérialiste, les investissements productifs dans 1 région du monde depuis plusieurs dizaines d’années et les investissements actuels du complexe militaro-industriel de l’impérialisme.

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