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Les débuts de la classe ouvrière en Angleterre

jeudi 30 octobre 2014, par Robert Paris

Jusqu’ici nous n’avons étudié l’excès de travail que là où les exactions monstrueuses du capital, à peine surpassées par les cruautés des Espagnols contre les Peaux-rouges de I’Amérique [1], l’ont fait enchaîner par la loi. Jetons maintenant un coup d’œil sur quelques branches d’industrie où l’exploitation de la force de travail est aujourd’hui sans entraves ou l’était hier encore.

« M. Broughton, magistrat de comté, déclarait comme président d’un meeting, tenu à la mairie de Nottingham le 14 janvier 1860, qu’il règne dans la partie de la population de la ville occupée à la fabrication des dentelles un degré de misère et de dénuement inconnu au reste du monde civilisé... Vers 2, 3 et 4 heures du matin, des enfants de neuf à dix ans, sont arrachés de leurs lits malpropres et forcés à travailler pour leur simple subsistance jusqu’à 10, 11 et 12 heures de la nuit. La maigreur les réduit à l’état de squelettes, leur taille se rabougrit, les traits de leur visage s’effacent et tout leur être se raidit dans une torpeur telle que l’aspect seul en donne le frisson... Nous ne sommes pas étonnés que M. Mallet et d’autres fabricants se soient présentés pour protester contre toute espèce de discussion... Le système, tel que l’a décrit le Rév. M. Montagu Valpu, est un système d’esclavage sans limites, esclavage à tous les points de vue, social, physique, moral et intellectuel... Que doit-on penser d’une ville qui organise un meeting public pour demander que le temps de travail quotidien pour les adultes soit réduit à dix-huit heures !... Nous déclamons contre les planteurs de la Virginie et de la Caroline. Leur marché d’esclaves nègres avec toutes les horreurs des coups de fouet, leur trafic de chair humaine sont-ils donc plus horribles que cette lente immolation d’hommes qui n’a lieu que dans le but de fabriquer des voiles et des cols de chemise, pour le profit des capitalistes ? [2] »

La poterie de Staffordshire a pendant les vingt-deux dernières années donné lieu à trois enquêtes parlementaires. Les résultats en sont contenus dans le rapport de M. Scriven adressé en 1841 aux « Children’s Employment Commissioners », dans celui du docteur Greenhow publié en 1860 sur l’ordre du fonctionnaire médical du Privy Council (Public Health, 3d. Report, 1, 102-113), enfin dans celui de M. Longe adjoint au First Report of the Children’s Employment Commission, du 13 juin 1863. Il nous suffit pour notre but d’emprunter aux rapports de 1860 et 1863 quelques dépositions des enfants mêmes qui travaillaient dans la fabrique. D’après les enfants on pourra juger des adultes, et surtout des femmes et des jeunes filles, dans une branche d’industrie à côté de laquelle, il faut l’avouer, les filatures de coton, peuvent paraître des lieux admirablement sains et agréables [3] .

Wilhelm Wood, âgé de neuf ans, « avait sept ans et dix mois quand il commença à travailler ». Il « ran moulds » (portait les pots dans le séchoir et rapportait ensuite le moule vide). C’est ce qu’il a toujours fait. Il vient chaque jour de la semaine vers 6 heures du matin et cesse de travailler environ vers 9 heures du soir. « Je travaille tous les jours jusqu’à 9 heures du soir ; ainsi par exemple pendant les sept à huit dernières semaines. » Voilà donc un enfant qui, dès l’âge de sept ans, a travaillé quinze heures ! - J. Murray, un enfant de douze ans s’exprime ainsi : « I run moulds and turn th’ jigger » (je porte les moules et tourne la roue). Je viens à 6 heures, quelquefois à 4 heures du matin. J’ai travaillé toute la nuit dernière jusqu’à ce matin 8 heures. Je ne me suis pas couché depuis ; huit ou neuf autres garçons ont travaillé comme moi toute cette nuit. Je reçois chaque semaine 3 shillings 6 pence (4 F 40 c). Je ne reçois pas davantage quand je travaille toute la nuit. J’ai travaillé deux nuits dans la dernière semaine. » - Ferryhough, un enfant de dix ans : « Je n’ai pas toujours une heure pour le dîner ; je n’ai qu’une demi-heure, les jeudis, vendredis et samedis [4]. »

Le docteur Greenhow déclare que dans les districts de Stoke-upon-Trent et de Wolstanton, où se trouvent les poteries, la vie est extraordinairement courte. Quoique il n’y ait d’occupés aux poteries dans le district de Stoke que trente un sixième pour cent et dans celui de Woistanton que trente un quatrième pour cent de la population mâle au-dessus de vingt ans, plus de la moitié des cas de mort causés par les maladies de poitrine se rencontrent parmi les potiers du premier district, et environ les deux cinquièmes, parmi ceux du second.

Le docteur Boothroyd, médecin à Hanley, affirme de son côte que « chaque génération nouvelle des potiers est plus petite et plus faible que la précédente ». De même un autre médecin M. Mac Bean : « Depuis vingt-cinq ans que j’exerce ma profession parmi les potiers, la dégénérescence de cette classe s’est manifestée d’une manière frappante par la diminution de la taille et du poids du corps. » Ces dépositions sont empruntées au rapport du docteur Greenhow en 1860 [5].

Extrait du rapport des commissaires publié en 1863 : le docteur J. T. Ardlege, médecin en chef de la maison de santé du North Staffordshire, dit dans sa déposition :

« Comme classe, les potiers hommes et femmes ... représentent une population dégénérée au moral et au physique. Ils sont en général de taille rabougrie, mal faits et déformés de la poitrine. Ils vieillissent vite et vivent peu de temps ; phlegmatiques et anémiques ils trahissent la faiblesse de leur constitution par des attaques opiniâtres de dyspepsie, des dérangements du foie et des reins, et des rhumatismes. Ils sont avant tout sujets aux maladies de poitrine, pneumonie, phthisie, bronchite et asthme. La scrofulose qui attaque les glandes, les os et d’autres parties du corps est la maladie de plus des deux tiers des potiers. Si la dégénérescence de la population de ce district n’est pas beaucoup plus grande, elle le doit exclusivement à son recrutement dans les campagnes avoisinantes et à son croisement par des mariages avec des races plus saines... »

M. Charles Pearson, chirurgien du même hospice, écrit entre autres dans une lettre adressée au commissaire Longe :

« Je ne puis parler que d’après mes observations personnelles et non d’après la statistique ; mais je certifie que j’ai été souvent on ne peut plus révolté à la vue de ces pauvres enfants, dont la santé est sacrifiée, pour satisfaire par un travail excessif la cupidité de leurs parents et de ceux qui les emploient. »

Il énumère les causes de maladies des potiers et clôt sa liste par la principale, « The Long Hauts » (les longues heures de travail). La commission dans son rapport exprime l’espoir « qu’une industrie qui a une si haute position aux yeux du monde, ne supportera pas plus longtemps l’opprobre de voir ses brillants résultats accompagnés de la dégénérescence physique, des innombrables souffrances corporelles et de la mort précoce de la population ouvrière par le travail et l’habileté de laquelle ils ont été obtenu [6]. » Ce qui est vrai des fabriques de poterie d’Angleterre, l’est également de celles d’Écosse [7].

La fabrication des allumettes chimiques date de 1833, époque où l’on a trouvé le moyen de fixer le phosphore sur le bois. Depuis 1845 elle s’est rapidement développée en Angleterre, où des quartiers les plus populeux de Londres elle s’est ensuite répandue à Manchester, Birmingham, Liverpool, Bristol, Norwich, Newcastle, Glasgow, accompagnée partout de cette maladie des mâchoires qu’un médecin de Vienne déclarait déjà en 1845 être spéciale aux faiseurs d’allumettes chimiques.

La moitié des travailleurs sont des enfants au-dessous de treize ans et des adolescents au-dessous de dix-huit. Cette industrie est tellement insalubre et répugnante, et par cela même tellement décriée, qu’il n’y a que la partie la plus misérable de la classe ouvrière qui lui fournisse des enfants, « des enfants déguenillés, à moitié morts de faim et corrompus [8] ». Parmi les témoins que le commissaire White entendit (1863), il y en avait deux cent soixante-dix au-dessous de dix-huit ans, quarante au-dessous de dix, douze de huit ans et cinq de six ans seulement. La journée de travail varie entre douze, quatorze et quinze heures ; on travaille la nuit ; les repas irréguliers se prennent la plupart du temps dans le local de la fabrique empoisonné par le phosphore. - Dante trouverait les tortures de son enfer dépassées par celles de ces manufactures.

Dans la fabrique de tapisseries, les genres les plus grossiers de tentures sont imprimés avec des machines, les plus fines avec la main (block printing). La saison la plus active commence en octobre et finit en avril. Pendant cette période le travail dure fréquemment et presque sans interruption de 6 heures du matin à 10 heures du soir et se prolonge même dans la nuit.

Ecoutons quelques déposants. - J. Leach : « L’hiver dernier (1862), sur dix-neuf jeunes filles six ne parurent plus par suite de maladies causées par l’excès de travail. Pour tenir les autres éveillées je suis obligé de les secouer. » - W. Duffy : « Les enfants sont tellement fatigués qu’ils ne peuvent tenir les yeux ouverts, et en réalité souvent nous-mêmes nous ne le pouvons pas davantage. » - J. Lightbourne : « Je suis âgé de treize ans... Nous avons travaillé l’hiver dernier jusqu’à 9 heures du soir et l’hiver précédent jusqu’à 10 heures. Presque tous les soirs, cet hiver, mes pieds étaient tellement blessés, que j’en pleurais de douleur. » - G. Apsden : « Mon petit garçon que voici, j’avais coutume de le porter sur mon dos, lorsqu’il avait sept ans, aller et retour de la fabrique, à cause de la neige, et il travaillait ordinairement seize heures !... Bien souvent je me suis agenouillé pour le faire manger pendant qu’il était à la machine, parce qu’il ne devait ni l’abandonner, ni interrompre son travail. » - Smith, l’associé gérant d’une fabrique de Manchester : « Nous (il veut dire ses « bras [9] » qui travaillent pour « nous ») travaillons sans suspension de travail pour les repas, de sorte que la journée habituelle de dix heures et demie est terminée vers 4 h 30 de l’après-midi, et tout le reste est temps de travail en plus [10]. (On se demande si ce M. Smith ne prend réellement aucun repas pendant dix heures et demie !) Nous (le laborieux Smith) finissons rarement avant 6 heures du soir (de consommer « nos machines humaines », veut-il dire), de sorte que nous (iterum Crispinus) travaillons en réalité toute l’année avec un excédant de travail... Les enfants et les adultes (cent cinquante-deux enfants et adolescents au-dessous de dix-huit ans et cent quarante au-dessus) ont travaillé régulièrement et en moyenne pendant les derniers dix-huit mois pour le moins sept jours et cinq heures ou soixante-dix-huit heures et demie par semaine. Pour les six semaines finissant au 2 mai de cette année (1863), la moyenne était plus élevée : huit jours ou quatre-vingt-quatre heures par semaine ! Mais, - ajoute le susdit Smith avec un ricanement de satisfaction, « le travail à la machine n’est pas pénible. » Il est vrai que les fabricants qui emploient le block printing disent de leur côté : « Le travail manuel est plus sain que le travail à la machine. » En somme, messieurs les fabricants se prononcent énergiquement contre toute proposition tendant à arrêter les machines même pendant l’heure des repas. « Une loi, dit M. Otley, directeur d’une fabrique de tapisseries à Borough, une loi qui nous accorderait des heures de travail de 6 heures du matin à 9 heures du soir serait fort de notre goût ; mais les heures du Factory Act de 6 heures du matin à 6 heures du soir ne nous vont point... Nous arrêtons notre machine pendant le dîner (quelle générosité !). Pour ce qui est de la perte en papier et en couleur occasionnée par cet arrêt, il ne vaut pas la peine d’en parler ; « telle quelle cependant, observe-t-il d’un air bonhomme, je comprends qu’elle ne soit pas du goût de tout le monde. » Le rapport exprime naïvement l’opinion que la crainte de faire perdre quelque profit en diminuant quelque peu le temps du travail d’autrui n’est pas « une raison suffisante » pour priver de leur dîner pendant douze à seize heures des enfants au-dessous de treize ans et des adolescents au-dessous de dix-huit, ou pour le leur servir comme on sert à la machine à vapeur du charbon et de l’eau, à la roue de l’huile, etc., en un mot comme on fournit la matière auxiliaire à l’instrument de travail dans le cours de la production [11].

Abstraction faite de la fabrication du pain à la mécanique, encore toute récente, il n’y a pas d’industrie en Angleterre qui ait conservé un mode de production aussi suranné que la boulangerie, comme le prouverait plus d’un passage chez les poètes de l’empire romain. Mais le capital, nous en avons fait la remarque, s’inquiète fort peu du caractère technique du genre de travail dont il s’empare. Il le prend tout d’abord tel qu’il le trouve.

L’incroyable falsification du pain, principalement à Londres, fut mise en lumière pour la première fois (1855-56) par le comité de la Chambre des communes « sur la falsification des subsistances » et dans l’écrit du docteur Hassal : « Adulterations détected [12] ». Ces révélations eurent pour conséquence la loi du 6 août 1860 : « For preventing the adulteration of articles of food and drink » (pour empêcher l’adultération des aliments et des boissons), - loi qui resta sans effet, attendu qu’elle est pleine de délicatesses pour tout libre-échangiste qui, par l’achat et la vente de marchandises falsifiées, se propose de ramasser un honnête magot « to turn an honest penny [13] ». Le comité lui-même formula plus ou moins naïvement sa conviction, que commerce libre veut dire essentiellement commerce avec des matières falsifiées ou, selon la spirituelle expression des Anglais, « sophistiquées ». Et en réalité, ce genre de sophistique s’entend mieux que Protagoras à rendre le blanc noir et le noir blanc, et mieux que les Eleates à démontrer ad oculos que tout n’est qu’apparence [14].

Dans tous les cas, le comité avait appelé l’attention du public sur ce « pain quotidien » et en même temps sur la boulangerie. Sur ces entrefaites, les clameurs des garçons boulangers de Londres à propos de leur travail excessif se firent entendre à la fois dans des meetings et dans des pétitions adressées au Parlement. Ces clameurs devinrent si pressantes que M. H. S. Tremenheere, déjà membre de la commission de 1863, mentionnée plus haut, fut nommé commissaire royal pour faire une enquête à ce sujet. Son rapport [15] et les dépositions qu’il contient, émurent non le cœur du public, mais son estomac. L’Anglais, toujours à califourchon sur la Bible, savait bien que l’homme est destiné à manger son pain à la sueur de son front, si la grâce n’a pas daigné faire de lui un capitaliste, un propriétaire foncier ou un budgétivore ; mais il ignorait qu’il fut condamné à manger chaque jour dans son pain « une certaine quantité de sueur humaine délayée avec des toiles d’araignées, des cadavres de cancrelats, de la levure pourrie et des évacuations d’ulcères purulents, sans parler de l’alun, du sable et d’autres ingrédients minéraux tout aussi agréables ». Sans égard pour sa Sainteté, « le Libre commerce », la « libre » boulangerie, fut soumise à la surveillance d’inspecteurs nommés par l’Etat (fin de la session parlementaire de 1863), et le travail de 9 heures du soir à 5 heures du matin fut interdit par le même acte du Parlement pour les garçons boulangers au-dessous de dix-huit ans. La dernière clause contient des volumes sur l’abus qui se fait des forces du travailleur dans cet honnête et patriarcal métier.

« Le travail d’un ouvrier boulanger de Londres commence régulièrement vers 11 heures du soir. Il fait d’abord le levain, opération pénible qui dure de une demi-heure à trois quarts d’heure, suivant la masse et la finesse de la pâte. il se couche ensuite sur la planche qui couvre le pétrin et dort environ deux heures avec un sac de farine sous la tête et un autre sac vide sur le corps. Ensuite commence un travail rapide et ininterrompu de quatre heures pendant lesquelles il s’agit de pétrir, peser la pâte, lui donner une forme, la mettre au four, l’en retirer, etc. La température d’une boulangerie est ordinairement de 75 à 90 degrés, elle est même plus élevée quand le local est petit. Les diverses opérations qui constituent la fabrication du pain une fois terminées, on procède à sa distribution, et une grande partie des ouvriers, après leur dur travail de nuit, portent le pain pendant le jour dans des corbeilles, de maison en maison, ou le traînent sur des charrettes, ce qui ne les empêche pas de travailler de temps à autre dans la boulangerie. Suivant la saison de l’année et l’importance de la fabrication, le travail finit entre 1 et 4 heures de l’après-midi, tandis qu’une autre partie des ouvriers est encore occupée à l’intérieur, jusque vers minuit [16]. »

Pendant la saison à Londres, les ouvriers des boulangers « full priced » (ceux qui vendent le pain au prix normal) travaillent de 11 heures du soir à 8 heures du lendemain matin presque sans interruption ; on les emploie ensuite à porter le pain jusqu’à 4, 5, 6, même 7 heures, ou quelquefois à faire du biscuit dans la boulangerie. Leur ouvrage terminé, il leur est permis de dormir à peu près six heures ; souvent même ils ne dorment que cinq ou quatre heures. Le vendredi le travail commence toujours plus tôt, ordinairement à 10 heures du soir et dure sans aucun répit, qu’il s’agisse de préparer le pain ou de le porter, jusqu’au lendemain soir 8 heures, et le plus souvent jusqu’à 4 ou 5 heures de la nuit qui précède le dimanche. Dans les boulangeries de premier ordre, où le pain se vend au « prix normal », il y a même le dimanche quatre ou cinq heures de travail préparatoire pour le lendemain. Les ouvriers des « underselling masters » (boulangers qui vendent le pain au-dessous du prix normal) et ces derniers composent, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, plus des trois quarts des boulangers de Londres, sont soumis à des heures de travail encore plus longues ; mais leur travail s’exécute presque tout entier dans la boulangerie, parce que leurs patrons, à part quelques livraisons faites à des marchands en détail, ne vendent que dans leur propre boutique. Vers « la fin de la semaine », c’est-à-dire le jeudi, le travail commence chez eux à 10 heures de la nuit et se prolonge jusqu’au milieu et plus de la nuit du dimanche [17].

En ce qui concerne les « underselling masters », le patron lui-même va jusqu’à reconnaître que c’est « le travail non payé » des ouvriers (the unpaid labour, of the men), qui permet leur concurrence [18]. Et le boulanger « full priced » dénonce ces « underselling » concurrents à la commission d’enquête comme des voleurs de travail d’autrui et des falsificateurs. « Ils ne réussissent, s’écrie-t-il, que parce qu’ils trompent le public et qu’ils tirent de leurs ouvriers dix-huit heures de travail pour un salaire de douze [19]. »

La falsification du pain et la formation d’une classe de boulangers vendant au-dessous du prix normal datent en Angleterre du commencement du XVIII° siècle ; elles se développèrent dès que le métier perdit son caractère corporatif et que le capitaliste, sous la forme de meunier fit du maître boulanger son homme-lige [20]. Ainsi fut consolidée la base de la production capitaliste et de la prolongation outre mesure du travail de jour et de nuit, bien que ce dernier, même à Londres, n’ait réellement pris pied qu’en 1824 [21].

On comprend d’après ce qui précède, que les garçons boulangers soient classés dans le rapport de la commission parmi les ouvriers dont la vie est courte et qui, après avoir par miracle échappé à la décimation ordinaire des enfants dans toutes les couches de la classe ouvrière, atteignent rarement l’âge de quarante-deux ans. Néanmoins leur métier regorge toujours de postulants. Les sources d’approvisionnement de « ces forces de travail » pour Londres, sont l’Ecosse, les districts agricoles de l’ouest de l’Angleterre et l’Allemagne.

Dans les années 1858-60, les garçons boulangers en Irlande organisèrent à leurs frais de grands meetings pour protester contre le travail de nuit et le travail du dimanche. Le public, conformément à la nature aisément inflammable de l’Irlandais, prit vivement parti pour eux en toute occasion, par exemple au meeting de mai à Dublin. Par suite de ce mouvement, le travail de jour exclusif fut établi en fait à Wexford, Kilkenny, Clonnel, Waterford, etc. A Limerick, où de l’aveu général, les souffrances des ouvriers dépassaient toute mesure, le mouvement échoua contre l’opposition des maîtres boulangers et surtout des boulangers meuniers. L’exemple de Limerik réagit sur Ennis et Tipperary. A Cork, où l’hostilité du public se manifesta de la manière la plus vive, les maîtres firent échouer le mouvement en renvoyant leurs ouvriers. A Dublin ils opposèrent la plus opiniâtre résistance et, en poursuivant les principaux meneurs de l’agitation, forcèrent le reste à céder et à se soumettre au travail de nuit et au travail du dimanche [22].

La commission du gouvernement anglais qui, en Irlande, est armé jusqu’aux dents, prodigua de piteuses remontrances aux impitoyables maîtres boulangers de Dublin, Limerik, Cork, etc.

« Le comité croit que les heures de travail sont limitées par des lois naturelles qui ne peuvent être violées impunément. Les maîtres, en forçant leurs ouvriers par la menace de les chasser, à blesser leurs sentiments religieux, à désobéir à la loi du pays et à mépriser l’opinion publique (tout ceci se rapporte au travail du dimanche), les maîtres sèment la haine entre le capital et le travail et donnent un exemple dangereux pour la religion, la moralité et l’ordre public... Le comité croit que la prolongation du travail au-delà de douze heures est une véritable usurpation, un empiétement sur la vie privée et domestique du travailleur, qui aboutit à des résultats moraux désastreux ; elle l’empêche de remplir ses devoirs de famille comme fils, frère, époux et père. Un travail de plus de douze heures tend à miner la santé de l’ouvrier ; il amène pour lui la vieillesse et la mort prématurées, et, par suite, le malheur de sa famille qui se trouve privée des soins et de l’appui de son chef au moment même où elle en a le plus besoin [23]. »

Quittons maintenant l’Irlande. De l’autre côté du canal, en Ecosse, le travailleur des champs, l’homme de la charrue, dénonce ses treize et quatorze heures de travail dans un climat des plus rudes, avec un travail additionnel de quatre heures pour le dimanche (dans ce pays des sanctificateurs du sabbat [24] !), au moment même où devant un grand jury de Londres sont traînés trois ouvriers de chemins de fer, un simple employé, un conducteur de locomotive et un faiseur de signaux. Une catastrophe sur la voie ferrée a expédié dans l’autre monde une centaine de voyageurs. La négligence des ouvriers est accusée d’être la cause de ce malheur. Ils déclarent tous d’une seule voix devant les jurés que dix ou douze ans auparavant leur travail ne durait que huit heures par jour. Pendant les cinq et six dernières années on l’a fait monter à quatorze, dix-huit et vingt heures, et dans certains moments de presse pour les amateurs de voyage, dans la période des trains de plaisir, etc., il n’est pas rare qu’il dure de quarante à cinquante heures. Ils sont des hommes ordinaires, et non des Argus. A un moment donné, leur force de travail refuse son service ; la torpeur les saisit ; leur cerveau cesse de penser et leur oeil de voir. Le respectable jury anglais leur répond par un verdict qui les renvoie pour « manslaughter » (homicide involontaire) devant les prochaines assises. Cependant il exprime dans un appendice charitable le pieux désir que messieurs les capitalistes, ces magnats des chemins de fer, voudront bien à l’avenir montrer plus de prodigalité dans l’achat d’un nombre suffisant de « forces de travail » et moins « d’abnégation » dans l’épuisement des forces payées [25].

Dans la foule bigarrée des travailleurs de toute profession, de tout âge et de tout sexe qui se pressent devant nous plus nombreux que les âmes des morts devant Ulysse aux enfers, et sur lesquels, sans ouvrir les Livres Bleus qu ils portent sous le bras, on reconnaît au premier coup d’œil l’empreinte du travail excessif, saisissons encore au passage deux figures dont le contraste frappant prouve que devant le capital tous les hommes sont égaux - une modiste et un forgeron.

Dans les dernières semaines de juin 1863, tous les journaux de Londres publiaient un article avec ce titre à sensation : « Death from simple overwork » (mort par simple excès de travail). Il s’agissait de la mort de la modiste Mary Anne Walkley, âgée de vingt ans, employée dans un très respectable atelier qu’exploitait une dame portant le doux nom d’Elise, fournisseuse de la cour. C’était la vieille histoire si souvent racontée [26]. Il était bien vrai que les jeunes ouvrières ne travaillaient en moyenne que seize heures et demie par jour, et pendant la saison seulement trente heures de suite sans relâche ; il était vrai aussi que pour ranimer leurs forces de travail défaillantes, on leur accordait quelques verres de Sherry, de Porto ou de café. Or on était en pleine saison. Il s’agissait de bâtir en un clin d’œil des toilettes pour de nobles ladies allant au bal donné en l’honneur de la princesse de Galles, fraîchement importée. Mary-Anne Walkley avait travaillé vingt-six heures et demie sans interruption avec soixante autres jeunes filles. Il faut dire que ces jeunes filles se trouvaient trente dans une chambre contenant à peine un tiers de la masse cubique d’air nécessaire, et la nuit dormaient à deux dans un taudis où chaque chambre à coucher était faite à l’aide de diverses cloisons en planches [27]. Et c’était là un des meilleurs ateliers de modes. Mary-Anne Walkley tomba malade le vendredi et mourut le dimanche sans avoir, au grand étonnement de dame Elise, donné à son ouvrage le dernier point d’aiguille. Le médecin appelé trop tard au lit de mort, M. Keys, déclara tout net devant le Coroner’s Jury que : Marie­-Anne Walkley était morte par suite de longues heures de travail dans un local d’atelier trop plein et dans une chambre à coucher trop étroite et sans ventilation. Le « Coroner’s Jury », pour donner au médecin une leçon de savoir-vivre, déclara au contraire que : la défunte était morte d’apoplexie, mais qu’il y avait lieu de craindre que sa mort n’eût été accélérée par un excès de travail dans un atelier trop plein, etc. « Nos esclaves blancs, s’écria le Morning Star, l’organe des libres-échangistes Cobden et Bright, nos esclaves blancs sont les victimes du travail qui les conduit au tombeau ; ils s’épuisent et meurent sans tambour ni trompette [28]. »

« Travailler à mort, tel est l’ordre du jour, non seulement dans le magasin des modistes, mais encore dans n’importe quel métier. Prenons pour exemple le forgeron. Si l’on en croit les poètes, il n’y a pas d’homme plus robuste, plus débordant de vie et de gaieté que le forgeron. Il se lève de bon matin et fait jaillir des étincelles avant le soleil. Il mange et boit et dort comme pas un. Au point de vue physique, il se trouve en fait, si son travail est modéré, dans une des meilleures conditions humaines. Mais suivons-le à la ville et examinons quel poids de travail est chargé sur cet homme fort et quel rang il occupe sur la liste de mortalité de notre pays. A Marylebone (un des plus grands quartiers de Londres), les forgerons meurent dans la proportion de trente et un sur mille annuellement, chiffre qui dépasse de onze la moyenne de mortalité des adultes en Angleterre. Cette occupation, un art presque instinctif de l’humanité, devient par la simple exagération du travail, destructive de l’homme. Il peut frapper par jour tant de coups de marteau, faire tant de pas, respirer tant de fois, exécuter tant de travail et vivre en moyenne cinquante ans. On le force à frapper tant de coups de plus, à faire un si grand nombre de pas en plus, à respirer tant de fois davantage, et le tout pris ensemble, à augmenter d’un quart sa dépense de vie quotidienne. Il l’essaie, quel en est le résultat ? C’est que pour une période limitée il accomplit un quart de plus de travail et meurt à trente­-sept ans au lieu de cinquante [29]. »

Notes

[1] C’est un économiste bourgeois qui s’exprime ainsi : « La cupidité des maîtres de fabriques leur fait commettre dans la poursuite du gain des cruautés que les Espagnols, lors de la conquête de l’Amérique, ont à peine surpassées dans leur poursuite de l’or. » John Wade : History of the Middle and Working Classes, 3° édit. Lond., 1835, p.114. La partie théorique de cet ouvrage, sorte d’esquisse de l’économie politique, contient pour son époque, des choses originales, principalement sur les crises commerciales. La partie historique est trop souvent un impudent plagiat de l’ouvrage de Sir M. Eden, History of the Poor. London, 1799.

[2] London Daily Telegraph du 14 janvier 1860.

[3] Voir. Engels : Lage, etc., p. 249, 51.

[4] Children’s Employment Commission. First Report, etc., 1863, Appendix, p. 16, 17, 18.

[5] Public Health. Third Report, etc., p. l02, 104, 105.

[6] Children’s Employment Commission, 1863, p. 22, et xi.

[7] L.c., p. XLVII

[8] L.c., p. LIV

[9] Dans la langue distinguée des fabricants anglais les ouvriers sont appelés « hands », littéralement « mains ». Quand ce mot se trouve dans nos citations anglaises, nous le traduisons toujours par « bras ».

[10] Ceci ne doit pas être pris dans le sens que nous avons donné au temps de surtravail. Ces messieurs considèrent les dix heures et demie de travail comme constituant la journée normale, laquelle renferme aussi le surtravail normal. Alors commence ce « temps de travail en plus » qui est payé un peu plus cher ; mais on verra plus tard que, par contre, l’emploi de la force de travail pendant la prétendue journée normale est payé au-dessous de sa valeur.

[11] L.c. Appendix, p. 123, 124, 125, 140 et LIV.

[12] L’alun réduit en poudre fine, ou mêlé avec du sel, est un article ordinaire de commerce qui porte le nom significatif de « baker’s stuff » (matière de boulanger).

[13] Chacun sait que la suie est une forme très pure du carbone et constitue un engrais que des ramoneurs capitalistes vendent aux fermiers anglais. Or il y eut un procès en 1862, dans lequel le jury anglais avait à décider si de la suie à laquelle se trouvent mêlés à l’insu de l’acheteur, quatre-vingt-dix pour cent de poussière et de sable, est de la suie « réelle » dans le sens « commercial » ou de la suie « falsifiée » dans le sens « légal ». Les jurés, « amis du commerce », décidèrent que c’était de la suie « réelle » du commerce et déboutèrent le fermier de sa plainte en lui faisant payer par-dessus le marché tous les frais du procès.

[14] Dans un traité sur les falsifications des marchandises, le chimiste français Chevallier passe en revue six cents et quelques articles et compte pour beaucoup d’entre eux dix, vingt, trente méthodes de falsification. Il ajoute qu’il ne connaît pas toutes les méthodes et ne mentionne pas toutes celles qu’il connaît. Il indique six espèces de falsifications pour le sucre, neuf pour l’huile d’olive, dix pour le beurre, douze pour le sel, dix-neuf pour le lait, vingt pour le pain, vingt-trois pour l’eau-de-vie, vingt-quatre pour la farine, vingt-huit pour le chocolat, trente pour le vin, trente-deux pour le café, etc. Même le bon Dieu n’est pas épargné comme le prouve l’ouvrage de M. Ronard de Card « De la falsification des substances sacramentelles, Paris, 1856. »

[15] Report, etc., relating to the Grievances complained of by the Journeymen Bakers, etc. London, 1862, et Second Report, etc. London, 1863.

[16] First Report, l.c., p. XL.

[17] L.c., p. LXXI.

[18] George Read ; The History of Baking. London, 1848, p.16.

[19] First Report, etc. Evidence. Déposition de M. Cheesman, boulanger « full priced ».

[20] George Read, l.c. A la fin du XVII° siècle et au commencement du XVIII° on dénonçait officiellement comme une peste publique les agents ou hommes d ’affaires qui se faufilent dans toutes les branches d’industrie. C’est ainsi, par exemple, que dans la session trimestrielle des juges de paix du comté de Somerset, le grand jury adressa à la Chambre des communes un « presentment » dans lequel, il est dit entre autres : « Ces agents (les facteurs de Blackwell Hall) sont une calamité publique et portent préjudice au commerce des draps et vêtements ; on devrait les réprimer comme une peste. » (The Case of our English Waal, etc., London, 1685, p. 67.)

[21] First Report, etc., p. VIII.

[22] Report of Committee on the Baking Trade in Ireland for 1861.

[23] L.c.

[24] Meeting public des travailleurs agricoles à Lasswade, près de Glasgow, du 5 janvier 1866. (Voy. Workman’s Advocate du 13 janv. 1866.) La formation depuis la fin de 1865 d’une Trade-Union parmi les travailleurs agricoles, d’abord en Ecosse, est un véritable événement historique.

[25] « Reynolds’s News Paper » du 20 janv. 1866. Chaque semaine ce même journal publie avec des titres à sensation (sensational headings), tels que ceux-ci : « Fearful and fatal accidents », « Appallings tragédies » etc., toute une liste de nouvelles catastrophes de chemins de fer. Un ouvrier de la ligne de North Stafford fait à ce propos les observations suivantes : « Chacun sait ce qui arrive quand l’attention du mécanicien et du chauffeur faiblit un instant. Et comment pourrait-il en être autrement, étant donné la prolongation démesurée du travail sans une pause ou un moment de répit ? Prenons pour exemple de ce qui arrive tous les jours, un cas qui vient de se passer : lundi dernier un chauffeur se mit à son travail le matin de très bonne heure. Il le termina après 14 h 50. Avant qu’il eût eu le temps de prendre seulement son thé, il fut de nouveau appelé au travail et il lui fallut ainsi trimer vingt-neuf heures quinze minutes sans interruption. Le reste de son travail de la semaine se distribuait comme suit : mercredi, quinze heures ; jeudi, quinze heures trente-cinq minutes ; vendredi, quatorze heures et demie ; samedi, quatorze heures dix minutes. Total pour toute la semaine, quatre-vingt-huit heures quarante minutes. Et maintenant figurez-vous son étonnement lorsqu’il reçut une paye de six jours seulement. Notre homme était novice ; il demanda ce que l’on entendait par ouvrage d’une journée. Réponse : treize heures, et conséquemment soixante-dix-huit heures par semaine. Mais alors où est la paye des dix heures quarante minutes supplémentaires ? Après de longues contestations, il obtint une indemnité de dix pence (un F) ». L.c. N° du 10 février 1866.

[26] Comp. Fr. Engels, l. c. p. 253, 254.

[27] Dr Letheby, médecin employé au Board of Health déclarait alors…
« Le minimum d’air nécessaire à un adulte dans une chambre à coucher est de trois cents pieds cubes, et dans une chambre d’habitation de cinq cents. » Dr Richardson, médecin en chef d’un hôpital de Londres, dit : « Les couturières de toute espèce, modistes, tailleuses en robes, etc., sont frappées par trois fléaux : excès de travail, manque d’air et manque de nourriture ou manque de digestion. En général, ce genre (le travail convient mieux en toute circonstance aux femmes qu’aux hommes. Mais le malheur pour le métier, surtout à Londres, c’est qu’il a été monopolisé par vingt-six capitalistes qui, par des moyens coercitifs résultant du capital même « that spring from capital » économisent la dépense en prodiguant la force de travail. Cette puissance se fait sentir dans toutes les branches de la couture. Une tailleuse en robes par exemple parvient-elle à se faire un petit cercle de pratiques, la concurrence la force de travailler à mort pour le conserver, et d’accabler de travail ses ouvrières. Si ses affaires ne vont pas, ou qu’elle ne puisse s’établir d’une manière indépendante, elle s’adresse à un établissement où le travail n’est pas moindre, mais le payement plus sur. Dans ces conditions elle devient une pure esclave, ballottée çà et là par chaque fluctuation de la société, tantôt chez elle, dans une petite chambre et mourant de faim ou peu s’en faut ; tantôt dans un atelier, occupée quinze, seize et dix-huit heures sur vingt-quatre, dans une atmosphère à peine supportable, et avec une nourriture qui, fût-elle bonne, ne peut être digérée, faute d’air pur. Telles sont les victimes offertes chaque jour à la phtisie et qui perpétuent son règne ; car cette maladie n’a pas d’autre origine que l’air vicié. » (Dr Richardson : « Death front simple overwork » dans la « Social Science Review », juillet 1863).

[28] Morning Star, 23 juin 1863. Le Times profita de la circonstance pour défendre les esclavagistes américains contre Bright et Cie. « Beaucoup d’entre nous, dit-il, sont d’avis que tant que nous ferons travailler à mort nos jeunes femmes, en employant l’aiguillon de la faim au lieu du claquement du fouet, nous aurons à peine le droit d’invoquer le fer et le feu contre des familles qui sont nées esclavagistes, et nourrissent du moins bien leurs esclaves et les font travailler modérément. » (Times 2 juillet 1863). Le Standard, journal Tory, sermonna de la même manière le Rev. Newman Hall : « Vous excommuniez, lui dit-il, les possesseurs d’esclaves, mais vous priez avec les braves gens qui sans remords font travailler seize heures par jour et pour un salaire dont un chien ne voudrait pas, les cochers et les conducteurs d’omnibus de Londres. » Enfin parla la Sibylle de Chelsea, Thomas Carlyle, l’inventeur du culte des génies (hero worship), à propos duquel j’écrivais déjà en 1850 : « Le génie s’en est allé au diable, mais le culte est resté. » Dans une piètre parabole il réduit le seul grand événement de l’époque actuelle, la guerre civile américaine, à ce simple fait : Pierre du Nord veut à toute force casser la tête à Paul du Sud, parce que Pierre du Nord loue son travailleur quotidiennement, tandis que Paul du Sud le loue pour la vie. Macmillian’s Magazine. Ilias Americana in nuce (livraison d’août 1863). Enfin les Tories ont dit le dernier mot de leur philanthropie : Esclavage !

[29] Dr Richardson, l.c.

Les moyens de production, le capital constant, considérés au point de vue de la fabrication de la plus-value, n’existent que pour absorber avec chaque goutte de travail un quantum proportionnel de travail extra. Tant qu’ils ne s’acquittent pas de cette fonction, leur simple existence forme pour le capitaliste une perte négative, car ils représentent pendant tout le temps qu’ils restent, pour ainsi dire, en friche, une avance inutile de capital, et cette perte devient positive dès qu’ils exigent pendant les intervalles de repos des dépenses supplémentaires pour préparer la reprise de l’ouvrage. La prolongation de la journée de travail au-delà des bornes du jour naturel, c’est-à-dire jusque dans la nuit, n’agit que comme palliatif, n’apaise qu’approximativement la soif de vampire du capital pour le sang vivant du travail. La tendance immanente de la production capitaliste est donc de s’approprier le travail pendant les vingt-quatre heures du jour. Mais comme cela est physiquement impossible, si l’on veut exploiter toujours les mêmes forces sans interruption, il faut, pour triompher de cet obstacle physique, une alternance entre les forces de travail employées de nuit et de jour, alternance qu’on peut obtenir par diverses méthodes. Une partie du personnel de l’atelier peut, par exemple, faire pendant une semaine le service de jour et pendant l’autre semaine le service de nuit. Chacun sait que ce système de relais prédominait dans la première période de l’industrie cotonnière anglaise et qu’aujourd’hui même, à Moscou, il est en vigueur dans cette industrie.

Le procès de travail non interrompu durant les heures de jour et de nuit est appliqué encore dans beaucoup de branches d’industrie de la Grande-Bretagne « libres » jusqu’à présent, entre autres dans les hauts fourneaux, les forges, les laminoirs et autres établissements métallurgiques d’Angleterre, du pays de Galles et d’Écosse. Outre les heures des jours ouvrables de la semaine, le procès de la production comprend encore les heures du dimanche. Le personnel se compose d’hommes et de femmes, d’adultes et d’enfants des deux sexes. L’âge des enfants et des adolescents parcourt tous les degrés depuis huit ans (dans quelques cas six ans) jusqu’à dix-huit [1]. Dans certaines branches d’industrie, hommes, femmes, jeunes filles travaillent pêle-mêle pendant la nuit [2].

Abstraction faite de l’influence généralement pernicieuse du travail de nuit [3], la durée ininterrompue des opérations pendant vingt-quatre heures offre l’occasion toujours cherchée et toujours bienvenue de dépasser la limite nominale de la journée de travail. Par exemple dans les branches d’industrie extrêmement fatigantes que nous venons de citer, la journée de travail officielle comprend pour chaque travailleur douze heures au plus, heures de nuit ou heures de jour. Mais le travail en plus au-delà de cette limite est dans beaucoup de cas, pour nous servir des expressions du rapport officiel anglais, « réellement épouvantable » (truly fearful [4]). « Aucun être humain, y est-il dit, ne peut réfléchir à la masse de travail qui, d’après les dépositions des témoins, est exécutée par des enfants de neuf à douze ans, sans conclure irrésistiblement que cet abus de pouvoir de la part des parents et des entrepreneurs ne doit pas être permis une minute de plus [5]. »

« La méthode qui consiste en général à faire travailler des enfants alternativement jour et nuit, conduit à une prolongation scandaleuse de la journée de travail, aussi bien quand les opérations sont pressées que lorsqu’elles suivent leur marche ordinaire. Cette prolongation est dans un grand nombre de cas non seulement cruelle, mais encore incroyable. Il arrive évidemment que pour une cause ou l’autre un petit garçon de relais fasse défaut çà et là. Un ou plusieurs de ceux qui sont présents et qui ont déjà terminé leur journée doivent alors prendre la place de l’absent. Ce système est si connu, que le directeur d’une laminerie auquel je demandais comment s’effectuait le remplacement des relayeurs absents me répondit : « Vous le savez aussi bien que moi », et il ne fit aucune difficulté pour m’avouer que les choses se passaient ainsi [6]. »

« Dans une laminerie où la journée de travail nominale pour chaque ouvrier était de onze heures et demie, un jeune garçon travaillait au moins quatre nuits par semaine jusqu’à 8 h 30 du soir du jour suivant et cela dura pendant les six mois pour lesquels il était engagé. Un autre âgé de neuf ans travaillait jusqu’à trois services de relais successifs, de douze heures chacun et à l’âge de dix ans deux jours et deux nuits de suite. Un troisième maintenant âgé de dix ans travaillait depuis 8 heures du matin jusqu’à minuit pendant trois nuits et jusqu’à 9 heures du soir les autres nuits de la semaine. Un quatrième maintenant âgé de treize ans travaillait depuis 6 heures du soir jusqu’au lende­main midi pendant toute une semaine et parfois trois services de relais l’un après l’autre depuis le matin du lundi jusqu’à la nuit du mardi. Un cinquième qui a aujourd’hui douze ans a travaillé dans une fonderie de fer à Stavely depuis 6 heures du matin jusqu’à minuit pendant quatorze jours ; il est incapable de continuer plus longtemps. George Allinsworth âgé de neuf ans : « Je suis venu ici vendredi dernier. Le lendemain nous devions commencer à 3 heures du matin. Je suis donc resté toute la nuit ici. J’habite à cinq milles d’ici. J’ai dormi dans les champs avec un tablier de cuir sous moi et une petite jaquette par-dessus. Les deux autres jours j’étais ici vers 6 heures du matin. Ah ! c’est un endroit où il fait chaud ! Avant de venir ici, j’ai travaillé également dans un haut fourneau pendant toute une année. C’était une bien grande usine dans la campagne. Je commençais aussi le samedi matin à 3 heures ; mais je pouvais du moins aller dormir chez moi, parce que ce n’était pas loin. Les autres jours je commençais à 6 heures du matin et finissais à 6 ou 7 heures du soir, etc [7]. »

Ecoutons maintenant le capital lui-même exprimant sa manière de voir sur ce travail de vingt-quatre heures sans interruption. Les exagérations de ce système, ses abus, sa cruelle et incroyable prolongation de la journée, sont naturellement passés sous silence. Il ne parle du système que dans sa forme normale.

MM. Naylor et Wickers, fabricants d’acier, qui emploient de six cents à sept cents personnes, dont dix pour cent au-dessous de dix-huit ans, sur lesquels vingt petits garçons seulement font partie du personnel de nuit, s’expriment de la manière suivante :

« Les jeunes garçons ne souffrent pas le moins du monde de la chaleur. La température est probablement de 86 à 90 degrés Fahrenheit. A la forge et au laminoir, les bras travaillent jour et nuit en se relayant ; mais, par contre, tout autre ouvrage se fait. le jour, de 6 heures du matin à 6 heures du soir. Dans la forge, le travail a lieu de midi à minuit. Quelques ouvriers travaillent continuellement de nuit sans alterner, c’est-à-dire jamais le jour. Nous ne trouvons pas que le travail, qu’il s’exécute le jour ou la nuit, fasse la moindre différence pour la santé (de MM. Naylor et Wickers bien entendu ?), et vraisemblablement les gens dorment mieux quand ils jouissent de la même période de repos que lorsque cette période varie... Vingt enfants environ travaillent la nuit avec les hommes... Nous ne pourrions bien aller (not well do) sans le travail de nuit de garçons au-dessous de dix-huit ans. Notre grande objection serait l’augmentation des frais de production... Il est difficile d’avoir des contremaîtres habiles et des « bras » intelligents : mais des jeunes garçons, on en obtient tant qu’on en veut... Naturellement, eu égard à la faible proportion de jeunes garçons que nous employons, une limitation du travail de nuit serait de peu d’importance ou de peu d’intérêt pour nous [8]. »

M. J. Ellis, de la maison John Brown et Cie, fabricants de fer et d’acier, employant trois mille ouvriers, hommes et jeunes garçons, « jour et nuit , par relais », pour la partie difficile du travail, déclare que dans la pénible fabrication de l’acier, les jeunes garçons forment le tiers ou la moitié des hommes. Leur usine en compte cinq cents au-dessous de dix-huit ans, dont un tiers ou cent soixante-dix de moins de treize ans. Il dit, à propos de la réforme législative proposée :

« Je ne crois pas qu’il y aurait beaucoup à redire (very objectionable) de ne faire travailler aucun adolescent au-dessous de dix-huit ans que douze heures sur vingt-quatre. Mais je ne crois pas qu’on puisse tracer une ligne quelconque de démarcation pour nous empêcher d’employer des garçons au-dessus de douze ans dans le travail de nuit. Nous, accepterions bien plutôt, ajoute-t-il dans le même style, une loi d’après laquelle il nous serait interdit d’employer la nuit des garçons au-dessous de treize et même de quatorze ans, qu’une défense de nous servir pour le travail de nuit de ceux que nous avons une bonne fois. Les garçons qui travaillent dans la série de jour doivent aussi alternativement travailler dans la série de nuit, parce que les hommes ne peuvent pas exécuter constamment le travail de nuit, cela ruinerait leur santé. Nous croyons cependant que le travail de nuit, quand il se fait à une semaine d’intervalle, ne cause aucun dommage (MM. Naylor et Wickers affirmaient le contraire pour justifier le travail de nuit sans intermittence, tel qu’il se pratique chez eux). Nous trouvons que les gens qui accomplissent le travail de nuit en alternant possèdent une santé tout aussi bonne que ceux qui ne travaillent que le jour... Nos objections contre le non-emploi de garçons au-dessous de dix-huit ans au travail de nuit seraient tirées de ce que nos dépenses subiraient une augmentation ; mais c’est aussi la seule raison (on ne saurait être plus naïvement cynique !). Nous croyons que cette augmentation serait plus grande que notre commerce (the trade), avec la considération que l’on doit à son exécution prospère, ne pourrait convenablement le supporter.(As the trade with due regard to, etc., could fairly bear !) (Quelle phraséologie !) Le travail est rare ici et pourrait devenir insuffisant par suite d’un règlement de ce genre. »

(C’est-à-dire, Ellis, Brown et Cie pourraient tomber dans le fatal embarras d’être obligés de payer la force de travail tout ce qu’elle vaut [9].)

Les « forges cyclopéennes de fer et d’acier » de MM. Cammell et Cie sont dirigées de la même manière que les précédentes. Le directeur gérant avait remis de sa propre main son témoignage écrit au commissaire du gouvernement, M. White, mais plus tard il trouva bon de supprimer son manuscrit qu’on lui avait rendu sur le désir exprimé par lui de le réviser. M. White cependant a une mémoire tenace. Il se souvient très exactement que, pour messieurs les cyclopes, l’interdiction du travail de nuit des enfants et des adolescents est une « chose impossible ; ce serait vouloir arrêter tous leurs travaux », et cependant leur personnel compte un peu moins de six pour cent de garçons au-dessous de dix-huit ans, et un pour cent seulement au­dessous de treize [10] !

M. E. F. Sanderson, de la raison sociale Sanderson, Bros et Cie, fabrication d’acier, laminage et forge à Attercliffe, exprime ainsi son opinion sur le même sujet :

« L’interdiction du travail de nuit pour les garçons au-dessous de dix-huit ans ferait naître de grandes difficultés. La principale proviendrait de l’augmentation de frais qu’entraînerait nécessairement le remplacement des enfants par des hommes. A combien ces frais se monteraient-ils ? Je ne puis le dire ; mais vraisemblablement ils ne s’élèveraient pas assez haut pour que le fabricant pût élever le prix de l’acier, et conséquemment toute la perte retomberait sur lui, attendu que les hommes (quel manque de dévouement) refuseraient naturellement de la subir. »

Maître Sanderson ne sait pas combien il paye le travail des enfants, mais

« peut-être monte-t-il jusqu’à quatre ou cinq shillings par tête et par semaine... Leur genre de travail est tel qu’en général (mais ce n’est pas toujours le cas) la force des enfants y suffit exactement, de sorte que la force supérieure des hommes ne donnerait lieu à aucun bénéfice pour compenser la perte, si ce n’est dans quelques cas peu nombreux, alors que le métal est difficile à manier. Aussi bien les enfants doivent commencer jeunes pour apprendre le métier. Le travail de jour seul ne les mènerait pas à ce but. »

Et pourquoi pas ? Qu’est-ce qui empêcherait les jeunes garçons d’apprendre leur métier pendant le jour ? Allons ! Donne ta raison !

« C’est que les hommes, qui chaque semaine travaillent alternativement tantôt le jour, tantôt la nuit, séparés pendant ce temps des garçons de leur série, perdraient la moitié des profits qu’ils en tirent. La direction qu’ils donnent est comptée comme partie du salaire de ces garçons et permet aux hommes d’obtenir ce jeune travail à meilleur marché. Chaque homme perdrait la moitié de son profit. (En d’autres termes, les MM. Sanderson seraient obligés de payer une partie du salaire des hommes de leur propre poche, au lieu de le payer avec le travail de nuit des enfants. Le profit de MM. Sanderson diminuerait ainsi quelque peu, et telle est la vraie raison sandersonienne qui explique pourquoi les enfants ne pourraient pas apprendre leur métier pendant le jour) [11]. Ce n’est pas tout. Les hommes qui maintenant sont relayés par les jeunes garçons verraient retomber sur eux tout le travail de nuit régulier et ne pourraient pas le supporter. Bref, les difficultés seraient si grandes qu’elles conduiraient vraisemblablement à la suppression totale du travail de nuit. » -

« Pour ce qui est de la production même de l’acier, dit E. F. Sanderson, ça ne ferait pas la moindre différence, mais ! »

Mais MM. Sanderson ont autre chose à faire qu’à fabriquer de l’acier. La fabrication de l’acier est un simple prétexte pour la fabrication de la plus-value. Les fourneaux de forge, les laminoirs, etc., les constructions, les machines, le fer, le charbon ont autre chose à faire qu’à se transformer en acier. Ils sont là pour absorber du travail extra, et ils en absorbent naturellement plus en vingt-quatre heures qu’en douze. De par Dieu et de par le Droit ils donnent à tous les Sandersons une hypothèque de vingt-quatre heures pleines par jour sur le temps de travail d’un certain nombre de bras, et perdent leur caractère de capital, c’est-à-dire sont pure perte pour les Sandersons, dès que leur fonction d’absorber du travail est interrompue. « Mais alors il y aurait la perte de machines si coûteuses qui chômeraient la moitié du temps, et pour une masse de produits, telle que nous sommes capables de la livrer avec le présent système, il nous faudrait doubler nos bâtiments et nos machines, ce qui doublerait la dépense. » Mais pourquoi précisément ces Sandersons jouiraient-ils du privilège de l’exploitation du travail de nuit, de préférence à d’autres capitalistes qui ne font travailler que le jour et dont les machines, les bâtiments, les matières premières chôment par conséquent la nuit ?

« C’est vrai, répond E. F. Sanderson au nom de tous les Sandersons, c’est très vrai. La perte causée par le chômage des machines atteint toutes les manufactures où l’on ne travaille que le jour. Mais l’usage des fourneaux de forge causerait dans notre cas une perte extra. Si on les entretenait en marche, il se dilapiderait du matériel combustible (tandis que maintenant c’est le matériel vital des travailleurs qui est dilapidé) ; si on arrêtait leur marche, cela occasionnerait une perte de temps pour rallumer le feu et obtenir le degré de chaleur nécessaire (tandis que la perte du temps de sommeil subie même par des enfants de huit ans est gain de travail pour la tribu des Sandersons) ; enfin les fourneaux eux-mêmes auraient à souffrir des variations de température »,

tandis que ces mêmes fourneaux ne souffrent aucunement des variations de travail [12].

Notes

[1] « Children’s Employment Commission. » Third Report. London, 1864, p.4, 5, 6.

[2] « Dans le Staffordshire et le sud du pays de Galles, des jeunes filles et des femmes sont employées au bord des fosses et aux tas de coke, non seulement le jour, mais encore la nuit. Cette coutume a été souvent mentionnée dans des rapports présentés au Parlement comme entraînant à sa suite des maux notoires. Ces femmes employées avec les hommes, se distinguant à peine d’eux dans leur accoutrement, et toutes couvertes de fange et de fumée, sont exposées à perdre le respect d’elles-mêmes et par suite à s’avilir, ce que ne peut manquer d’amener un genre de travail si peu féminin. » L.c., 194, p. 36. Comp. Fourth Report (1865) 61, p. 13. Il en est de même dans les verreries.

[3] « Il semble naturel », remarque un fabricant d’acier qui emploie des enfants au travail de nuit, « que les jeunes garçons qui travaillent la nuit ne puissent ni dormir le jour, ni trouver un moment de repos régulier, mais ne cessent de rôder çà et là pendant le jour. » L.c. Fourth Rep., 63, p. 13. Quant à l’importance de la lumière du soleil pour la conservation et le développement du corps, voici ce qu’en dit un médecin : « La lumière agit directement sur les tissus du corps auxquels elle donne à la fois solidité et élasticité. Les muscles des animaux que l’on prive de la quantité normale de lumière, deviennent spongieux et mous ; la force des nerfs n’étant plus stimulée perd son ton, et rien de ce qui est en travail de croissance n’arrive à bon terme. Pour ce qui est des enfants, l’accès d’une riche lumière et l’action directe des rayons du soleil pendant une partie du jour sont absolument indispensables à leur santé. La lumière favorise l’élaboration des aliments pour la formation d’un bon sang plastique et durcit la fibre une fois qu’elle est formée. Elle agit aussi comme stimulant sur l’organe de la vue et évoque par ce la même une plus grande activité dans les diverses fonctions du cerveau. » M. W. Strange, médecin en chef du « General Hospital » de Worcester, auquel nous empruntons ce passage de son livre sur la Santé (1864), écrit dans une lettre à l’un des commissaires d’enquête, M. White : « J’ai eu l’occasion dans le Lancashire d’observer les effets du travail de nuit sur les enfants employés dans les fabriques, et contradictoirement aux assertions intéressées de quelques patrons, je déclare et je certifie que la santé des enfants en souffre beaucoup. » (L.c., 284, p.55). Il est vraiment merveilleux qu’un pareil sujet puisse fournir matière à des controverses sérieuses. Rien ne montre mieux l’effet de la production capitaliste sur les fonctions cérébrales de ses chefs et de leur domesticité.

[4] L.c., 57, p.12.

[5] L. c., (4th. Report, 1865) 58, p.12.

[6] L.c.

[7] L.c., p.13. Le degré de culture de ces « forces de travail » doit naturellement être tel que nous le montrent les dialogues suivants avec un des commissaires d’enquête : Jérémias Haynes, âge de douze ans : « Quatre fois quatre fait huit, mais quatre quatre (quatre l’ours) font 16... Un roi est lui qui a tout l’or et tout l’argent. (A king is Nor that has all the money and gold.) Nous avons un roi, on dit que c’est une reine, elle s’appelle princesse Alexandra. On dit qu’elle a épousé le fils du roi. Une princesse est un homme. » Win. Turner, âgé de douze ans : « Ne vit pas en Angleterre, pense qu’il y a bien un pays comme ça, n’en savait rien auparavant. » John Morris, quatorze ans : « J’ai entendu dire que Dieu a fait le monde et que tout le peuple a été noyé, excepté un ; j’ai entendu dire qu’il y en avait un qui était un petit oiseau. » William Smith, quinze ans : « Dieu a fait l’homme ; l’homme a fait la femme. » Edward Taylor, quinze ans : « Ne sait rien de Londres. » Henry Matthewmann, dix-sept ans : « Vais parfois à l’église. Un nom sur quoi ils prêchent, était un certain Jésus-Christ, mais je puis pas nommer d’autres noms et je puis pas non plus rien dire sur celui-là. Il ne fut pas massacré, mais mourut comme u un autre. D’une façon il n’était pas comme d’autres, parce qu’il était religieux d’une façon, et d’autres ne le sont pas. »(He was not the same as other people in some ways, because he was religious in some ways, and others, is n’t. » (L.c. 74, p.15.) « Le diable est un bon homme. Je ne sais pas où il vit. Christ était un mauvais gars. (The devil is a good person. I don’t know where he lives. Christ was a wicked man.) » Ch. Empl. Report Comm. V. 1866, p. 55, n° 278, etc. Le même système règne dans les verreries et les papeteries tout comme dans les établissements métallurgiques que nous avons cités. Dans les papeteries où le papier est fait avec des machines, le travail de nuit est la règle pour toute opération, sauf pour le délissage des chiffons, Dans quelques cas le travail de nuit est continué, par relais, pendant la semaine entière, depuis la nuit du dimanche ordinairement jusqu’à minuit du samedi suivant. L’équipe d’ouvriers de la série de jour, travaille cinq jours de douze heures et un jour de dix-huit heures, et l’équipe de la série de nuit travaille cinq nuits de douze heures et une de six heures, chaque semaine. Dans d’autres cas chaque série travaille vingt-quatre heures alternativement Une série travaille six heures le lundi et dix-huit le samedi pour coinpléter les vingt-quatre heures. Dans d’autres cas encore on met en pratique un système intermédiaire, dans lequel tous ceux qui sont attachés à la machine des faiseurs de papier travaillent chaque jour de la semaine quinze à seize heures. Ce système, dit un des commissaires d’enquête, M. Lord, paraît réunir tous les maux qu’entraînent les relais de douze et de vingt-quatre heures. Des enfants au-dessous de treize ans, des adolescents au-dessous de dix-huit ans et des femmes sont employés dans ce système au travail de nuit. Maintes fois dans le système de douze heures, il leur fallait travailler, par suite de l’absence des relayeurs, la double série de vingt-quatre heures. Les dépositions des témoins prouvent que des jeunes garçons et des jeunes filles sont très souvent accablés d’un travail extra qui ne dure pas moins de vingt-quatre et même trente-six heures sans interruption. Dans les ateliers de vernissage on trouve des jeunes filles de douze ans qui travaillent quatorze heures par jour pendant le mois entier, sans autre répit régulier que deux ou trois demi-heures au plus pour les repas. Dans quelques fabriques, où l’on a complètement renoncé au travail de nuit, le travail dure effroyablement au-delà du temps légitime, et « précisément là où il se compose des opérations les plus sales, les plus échauffantes et les plus monotones. »(Children’s Employment Commission Report IV, 1865, p.38 et 39.)

[8] Fourth Report. etc., 1865, 79, p. xvi.

[9] L.c., 80.

[10] L.c., 82.

[11] « Dans notre époque raisonneuse à outrance, il faut vraiment n’être pas fort pour ne pas trouver une bonne raison pour tout, même pour ce qu’il y a de pis et de plus pervers. Tout ce qui s’est corrompu et dépravé dans le monde s’est corrompu et dépravé pour de bonnes raisons. » (Hegel, l. c., p. 249.)

[12] L.c., p. 85. Les scrupules semblables des tendres fabricants verriers d’après lesquels « les repas réguliers fiers des enfants sont impossibles parce qu’un certain quantum de chaleur rayonné pendant ce temps par les fourneaux serait pure perte pour eux », ne produisent aucun effet sur le commissaire d’enquête, M. White. « L’abstinence ou l’abnégation » ou « l’économie » avec laquelle les capitalistes dépensent leur argent et la « prodigalité » digne d’un Tamerlan avec laquelle ils gaspillent la vie des autres hommes, ne l’émeuvent pas comme elles ont ému MM. Ure, Senior, etc., et leurs plats plagiaires allemands, tels que Roscher et Cie. Aussi leur répond-il : « Il est possible qu’un peu plus de chaleur soit perdu par suite de l’établissement de repas réguliers ; mais même estimée en argent cette perte n’est rien en comparaison de la dilapidation de force vitale (the waste of animal power) causée dans le royaume par ci, fait que les enfants en voie de croissance, employés dans les verreries, ne trouvent aucun moment de repos pour prendre à l’aise leur nourriture et la digérer. » (L.c., p. XLV.) Et cela dans l’année de progrès 1865 ! Sans parler de la dépense de force qu’exige de leur part l’action de lever et de porter des fardeaux, la plupart des enfants, dans les verreries où l’on fait des bouteilles et du flintglass, sont obligés de faire en six heures, pour exécuter leur travail, de quinze à vingt milles anglais, et cela dure souvent quatorze à quinze heures sans interruption. Dans beaucoup de ces verreries règne, comme dans les filatures de Moscou, le système des relais de six heures. « Pendant la semaine, la plus grande période de répit comprend au plus six heures, sur lesquelles il faut prendre le temps d’aller et de venir de la fabrique, de se laver, de s’habiller, de manger, etc., de sorte qu’il reste à peine un moment pour se reposer. Pas un instant pour jouer, pour respirer l’air pur, si ce n’est aux dépens du sommeil si indispensable à des enfants qui exécutent de si durs travaux dans une atmosphère aussi brûlante... Le court sommeil lui-même est interrompu par cette raison que les enfants doivent s’éveiller eux-mêmes la nuit ou sont troublés dans le jour par le bruit extérieur. » M. White cite des cas où un jeune garçon a travaillé trente-six heures de suite, d’autres où des enfants de douze ans s’exténuent jusqu’à 2 heures de la nuit et dorment ensuite jusqu’à 5 heures du matin (trois heures !) pour reprendre leur travail de plus belle. « La masse de travail, disent les rédacteurs du rapport général, Tremenheere et Turnell, que des enfants, des jeunes filles et des femmes exécutent dans le cours de leur incantation de jour et de nuit (spell of labour) est réellement fabuleuse. » (L.c., XLIII et XLIV.) Et cependant quelque nuit peut-être le capital verrier, pour prouver son abstinence, sort du club fort tard, la tête tournée par le vin de Porto ; il rentre chez lui en vacillant et fredonne comme un idiot : « Britons never, never shall be slaves ! (Jamais l’Anglais, non jamais l’Anglais ne sera esclave !) »

Après des siècles d’efforts quand le capital fut parvenu à prolonger la journée de travail jusqu’à sa limite normale maxima et au-delà jusqu’aux limites du jour naturel de douze heures [1], alors la naissance de la grande industrie amena dans le dernier tiers du XVIII° siècle une perturbation violente qui emporta comme une avalanche toute barrière imposée par la nature et les mœurs, l’âge et le sexe, le jour et la nuit. Les notions mêmes de jour et de nuit, d’une simplicité rustique dans les anciens statuts, s’obscurcirent tellement qu’en l’an de grâce 1860, un juge anglais dut faire preuve d’une sagacité talmudique pour pouvoir décider « en connaissance de cause » ce qu’était la nuit et ce qu’était le jour. Le capital était en pleine orgie [2].

Dès que la classe ouvrière abasourdie par le tapage de la production fut tant soit peu revenue à elle-même, sa résistance commença, et tout d’abord dans le pays même où s’implantait la grande industrie, c’est-à-dire en Angleterre, Mais pendant trente ans les concessions qu’elle arracha restèrent purement nominales. De 1802 à 1833 le Parlement émit trois lois sur le travail, mais il eut bien soin de ne pas voter un centime pour les faire exécuter [3], aussi restèrent-elles lettre morte. « Le fait est qu’avant la loi de 1833, les enfants et les adolescents étaient excédés de travail (were worked) toute la nuit, tout le jour, jour et nuit ad libitum [4]. »

C’est seulement à partir du Factory Act de 1833 s’appliquant aux manufactures de coton, de laine, de lin et de soie que date pour l’industrie moderne une journée de travail normale. Rien ne caractérise mieux l’esprit du capital que l’histoire de la législation manufacturière anglaise de 1833 à 1864.

La loi de 1833 déclare

« que la journée de travail ordinaire dans les fabriques doit commencer à 5 h 30 du matin et finir à 8 h 30 du soir. Entre ces limites qui embrassent une période de quinze heures, il est légal d’employer des adolescents (young persons, c’est-à-dire des personnes entre treize et dix-huit ans), dans n’importe quelle partie du jour ; mais il est sous-entendu qu’individuellement personne de cette catégorie ne doit travailler plus de douze heures dans un jour, à l’exception de certains cas spéciaux et prévus. »

Le sixième article de cette loi arrête

« que dans le cours de chaque journée il doit être accordé à chaque adolescent dont le temps de travail est limité, une heure et demie au moins pour les repas ».

L’emploi des enfants au­-dessus de neuf ans, sauf une exception que nous mentionnerons plus tard, fut interdit : le travail des enfants de neuf à treize ans fut limité à huit heures par jour. Le travail de nuit, c’est-à-dire d’après cette loi, le travail entre 8 h 30 du soir et 5 h 30 du matin, fut interdit pour toute personne entre neuf et dix-huit ans.

Les législateurs étaient si éloignés de vouloir toucher à la liberté du capital dans son exploitation de la force de travail adulte, ou suivant leur manière de parler, à la liberté du travail, qu’ils créèrent un système particulier pour prévenir les conséquences effroyables qu’aurait pu avoir en ce sens le Factory Act.

« Le plus grand vice du système des fabriques, tel qu’il est organisé à présent, est-il dit dans le premier rapport du conseil central de la commission du 25 juin 1833, c’est qu’il crée la nécessité de mesurer la journée des enfants à la longueur de celle des adultes. Pour corriger ce vice sans diminuer le travail de ces derniers, ce qui produirait un mal plus grand que celui qu’il s’agit de prévenir, le meilleur plan à suivre semble être d’employer une double série d’enfants. »

Sous le nom de système des relais (system of relays, ce mot désigne en anglais comme en français le changement des chevaux de poste à différentes stations), ce plan fut donc exécuté, de telle sorte par exemple que de 5 h 30 du matin jusqu’à 1 h 30 de l’après-midi une série d’enfants entre neuf et treize ans fut attelée au travail, et une autre série de 1 h 30 de l’après-midi jusqu’à 8 h 30 du soir et ainsi de suite.

Pour récompenser messieurs les fabricants d’avoir ignoré de la façon la plus insolente toutes les lois promulguées sur le travail des enfants pendant les vingt-deux dernières années, on se crut obligé de leur dorer encore la pilule. Le Parlement arrêta qu’après le I° mars 1834 aucun enfant au-dessous de onze ans, après le I° mars 1835 aucun enfant au-dessous de douze ans, et après le I° mars 1836 aucun enfant au-dessous de treize ans ne devrait travailler plus de huit heures dans une fabrique. Ce « libéralisme » si plein d’égards pour le capital méritait d’autant plus de reconnaissance que le Dr Farre, Sir A. Carlisle, Sir C. Bell, M. Guthrie, etc., en un mot les premiers médecins et chirurgiens de Londres avaient déclaré dans leurs dépositions comme témoins devant la Chambre des communes que tout retard était un danger, periculum in mora ! Le docteur Farre s’exprima d’une façon encore plus brutale : « Il faut une législation, s’écria-t-il, pour empêcher que la mort puisse être infligée prématurément sous n’importe quelle forme et celle dont nous parlons (celle à la mode dans les fabriques) doit être assurément regardée comme une des méthodes les plus cruelles de l’infliger [5]. » Le Parlement « réformé » qui, par tendresse pour messieurs les fabricants, condamnait pour de longues années encore des enfants au-dessous de treize ans, à soixantedouze heures de travail par semaine dans l’enfer de la fabrique, ce même Parlement, dans l’acte d’émancipation où il versait aussi la liberté goutte à goutte, défendait de prime abord aux planteurs de faire travailler aucun esclave nègre plus de quarante-cinq heures par semaine.

Mais le capital parfaitement insensible à toutes ces concessions, commença alors à s’agiter bruyamment et ouvrit une nouvelle campagne qui dura plusieurs années. De quoi s’agissait-il ? De déterminer l’âge des catégories qui sous le nom d’enfants ne devaient travailler que huit heures et étaient de plus obligées à fréquenter l’école. L’anthropologie capitaliste décréta que l’enfance ne devait durer que jusqu’à dix ans, tout au plus jusqu’à onze. Plus s’approchait le terme fixé pour l’entière mise en vigueur de l’acte de fabrique, la fatale année 1836, plus les fabricants faisaient rage. Ils parvinrent en fait à intimider le gouvernement à tel point que celui-ci proposa en 1835 d’abaisser la limite d’âge des enfants de treize à douze. Sur ces entrefaites la pression du dehors (pressure from without) devenait de plus en plus menaçante. La Chambre des communes sentit le cœur lui manquer. Elle refusa de jeter plus de huit heures par jour des enfants de treize ans sous la roue du Jagernaut capitaliste, et l’acte de 1833 fut appliqué. Il ne subit aucune modification jusqu’au mois de juin 1844.

Pendant les dix ans qu’il régla, d’abord en partie, puis complètement le travail des fabriques, les rapports officiels des inspecteurs fourmillent de plaintes concernant l’impossibilité de son exécution. Comme la loi de 1833 permettait aux seigneurs du capital de disposer des quinze heures comprises entre 5 h 30 du matin et 8 h 30 du soir, de faire commencer, interrompre ou finir le travail de douze ou de huit heures par tout enfant, et tout adolescent à n’importe quel moment, et même d’assigner aux diverses personnes des heures diverses pour les repas, ces messieurs inventèrent bientôt un « nouveau système de relais » d’après lequel les chevaux de peine au lieu d’être remplacés à des stations fixes étaient attelés toujours de nouveau à des stations nouvelles. Nous ne nous arrêterons pas à contempler la perfection de ce système, parce que nous devons y revenir plus tard. Mais on peut voir du premier coup d’œil qu’il supprimait entièrement la loi de fabrique, n’en respectant ni l’esprit ni la lettre. Comment les inspecteurs auraient-ils pu faire exécuter les articles de la loi concernant le temps de travail et les repas avec cette tenue de livres si complexe pour chaque enfant et chaque adolescent ? Dans un grand nombre de fabriques la même brutalité et le même scandale reprirent leur règne. Dans une entrevue avec le ministre de l’Intérieur (1844) les inspecteurs de fabrique démontrèrent l’impossibilité de tout contrôle avec le système de relais nouvellement mis en pratique[6]. Cependant les circonstances s’étaient grandement modifiées. Les ouvriers manufacturiers, surtout depuis 1838, avaient fait du bill des dix heures leur cri de ralliement économique, comme ils avaient fait de la Charte leur cri de ralliement politique. Même des fabricants qui avaient réglé leurs fabriques d’après la loi de 1833, adressèrent au Parlement mémoire sur mémoire pour dénoncer la « concurrence » immorale des « faux frères » auxquels plus d’impudence et des circonstances locales plus favorables permettaient de violer la loi. De plus, en dépit du désir que tout fabricant avait de lâcher bride à sa cupidité native, leur classe recevait comme mot d’ordre de ses directeurs politiques, de changer de manières et de langage à l’égard des ouvriers. Elle avait besoin en effet de leur appui pour triompher dans la campagne qui venait de s’ouvrir pour l’abolition de la loi sur les céréales. On promit donc non seulement de « doubler la ration de pain », mais encore d’appuyer le bill des dix heures, lequel ferait désormais partie du règne millénaire du libre-échange [7]. Dans ces circonstances il aurait été par trop imprudent de venir combattre une mesure seulement destinée à faire de la loi de 1833 une vérité. Menacés enfin dans leur intérêt le plus sacré, la rente foncière, les aristocrates furieux tonnèrent philanthropiquement contre les « abominables pratiques [8] » de leurs ennemis bourgeois.

Telle fut l’origine du Factory Act additionnel du 7 juin 1844, qui entra en vigueur le 10 septembre de la même année. Il place sous la protection de la loi une nouvelle catégorie de travailleurs, savoir les femmes au-dessus de dix-huit ans. Elles furent mises à tous égards sur un pied d’égalité avec les adolescents ; leur temps de travail fut limité à douze heures, le travail de nuit leur fut interdit, etc. Pour la première fois la législation se vit contrainte de contrôler directement et officiellement le travail de personnes majeures. Dans le rapport de fabrique de 1844-45 il est dit iro­niquement : « Jusqu’ici nous n’avons point connaissance que des femmes parvenues à majorité se soient plaintes une seule fois de cette atteinte portée à leurs droits [9]. » Le travail des enfants au-dessous de treize ans fut réduit à six heures et demie par jour et, dans certains cas, à sept heures [10].

Pour écarter les abus du « faux système de relais », la loi établit quelques règlements de détail d’une grande importance, entre autres les suivants :

« La journée de travail pour enfants et adolescents doit être comptée à partir du moment où, soit un enfant soit un adolescent, commence à travailler le matin dans la fabrique. »

De sorte que si A par exemple commence son travail à 8 heures du matin et B à 10 heures, la journée de travail pour B doit finir à la même heure que pour A.

« Le commencement de la journée de travail doit être indiqué par une horloge publique, par l’horloge au chemin de fer voisin par exemple, sur lequel la cloche de la fabrique doit se régler. Il faut que le fabricant affiche dans la fabrique un avis imprimé en grosses lettres dans lequel se trouvent fixés le commencement, la fin et les pauses de la journée de travail. Les enfants qui commencent leur travail avant midi ne doivent plus être employés après 1 heure de l’après-midi. La série d’après-midi sera donc composée d’autres enfants que celle du matin. L’heure et demie pour les repas doit être octroyée à tous les travailleurs protégés par la foi aux mêmes périodes du jour, une heure au moins avant 3 heures de l’après-midi. Aucun enfant, ou adolescent ne doit être employé avant 1 heure de l’après-midi plus de cinq heures sans une pause d’une demi-heure au moins pour leur repas. Aucun enfant, adolescent, ou femme, ne doit rester pendant un repas quelconque dans l’atelier de la fabrique, tant qu’il s’y fait n’importe quelle opération, etc. »

On le voit, ces édits minutieux, qui règlent militairement et au son de la cloche la période, les limites et les pauses du travail, ne furent point le produit d’une fantaisie parlementaire. Ils naquirent des circonstances et se développèrent peu à peu comme lois naturelles du mode de production moderne. Il fallut une longue lutte sociale entre les classes avant qu’ils fussent formulés, reconnus officiellement et promulgués au nom de l’Etat. Une de leurs conséquences les plus immédiates fut que, dans la pratique, la journée de travail des ouvriers mâles adultes se trouva du même coup limitée, parce que dans la plupart des travaux de la grande industrie la coopération d’enfants, d’adolescents et de femmes est indispensable. La journée de travail de douze heures resta donc en vigueur généralement et uniformément pendant la période de 1844-47 dans toutes les fabriques soumises à la législation manufacturière.

Les fabricants ne permirent pas néanmoins ce « progrès », sans qu’il fût compensé par un « recul ». Sur leurs instances la Chambre des communes réduisit de neuf à huit ans l’âge minimum des exploitables, pour assurer au capital « l’approvisionnement additionnel d’enfants de fabrique », qui lui est dû de par Dieu et de par la Loi [11].

Les années 1846-47 font époque dans l’histoire économique de l’Angleterre. Abrogation de la loi des céréales, abolition des droits d’entrée sur le coton et autres matières premières, proclamation du libre-échange comme guide de la législation commerciale ! En un mot le règne millénaire commençait à poindre. D’autre part c’est dans les mêmes années que le mouvement chartiste et l’agitation des dix heures atteignirent leur point culminant. Ils trouvèrent des alliés dans les Tories qui ne respiraient que vengeance. Malgré la résistance fanatique de l’armée libre-échangiste parjure, en tête de laquelle marchaient Bright et Cobden, le bill des dix heures, objet de tant de luttes, fut adopté par le Parlement.

La nouvelle loi sur les fabriques du 8 juin 1847 établit qu’au 1° juillet de la même année la journée de travail serait préalablement réduite à onze heures pour « les adolescents » (de treize à dix-huit ans) et pour toutes les ouvrières, mais qu’au 1° mai 1848 aurait lieu la limitation définitive à dix heures. Pour le reste ce n’était qu’un amendement des lois de 1833 et 1844.

Le capital entreprit alors une campagne préliminaire dont le but était d’empêcher la mise en pratique de la loi au 1° mai 1848. C’étaient les travailleurs eux-mêmes qui censés instruits par l’expérience devaient, d’après le plan des maîtres, servir d’auxiliaires pour la destruction de leur propre ouvrage. Le moment était habilement choisi. « On doit se souvenir que par suite de la terrible crise de 1846-47, il régnait une profonde misère, provenant de ce qu’un grand nombre de fabriques avaient raccourci le travail et que d’autres l’avaient complètement suspendu. Beaucoup d’ouvriers se trouvaient dans la gêne et étaient endettés. Il y avait donc toute apparence qu’ils accepteraient volontiers un surcroît de travail pour réparer leurs pertes passées, payer leurs dettes, retirer leurs meubles engagés, remplacer leurs effets vendus, acheter de nouveaux vêtements pour eux mêmes et pour leurs familles, etc., [12]. » Messieurs les fabricants cherchèrent à augmenter l’effet naturel de ces circonstances en abaissant d’une manière générale le salaire de dix pour cent. C’était pour payer la bienvenue de l’ère libre-échangiste. Une seconde baisse de huit un tiers pour cent se fit lors de la réduction de la journée à onze heures et une troisième de quinze pour cent quand la journée descendit définitivement à dix heures. Partout où les circonstances le permirent, les salaires furent réduits d’au moins vingt-cinq pour cent [13]. Avec des chances si heureuses on commença à semer l’agitation parmi les ouvriers pour l’abrogation de la loi de 1847. Aucun des moyens que peuvent fournir le mensonge, la séduction et la menace ne fut dédaigné ; mais tout fut inutile. On réunit à grand-peine une demi-douzaine de pétitions où des ouvriers durent se plaindre « de l’oppression qu’ils subissaient en vertu de cette loi », mais les pétitionnaires eux-mêmes déclarèrent dans leurs interrogatoires qu’on les avait contraints à donner leurs signatures, « qu’en réalité ils étaient bien opprimés, mais non point par la loi susdite [14] ». Les fabricants ne réussissant point à faire parler les ouvriers dans leur sens, se mirent eux-mêmes à crier d’autant plus haut dans la presse et dans le Parlement au nom des ouvriers. Ils dénoncèrent les inspecteurs comme une espèce de commissaires révolutionnaires qui sacrifiaient impitoyablement le malheureux travailleur à leurs fantaisies humanitaires. Cette manœuvre n’eut ’pas plus de succès que la première. L’inspecteur de fabrique, Leonhard Horner, en personne et accompagné de ses sous-inspecteurs, procéda dans le Lancashire à de nombreux interrogatoires. Environ soixante-dix pour cent des ouvriers entendus se déclarèrent pour dix heures, un nombre peu considérable pour onze heures, et enfin une minorité tout à fait insignifiante pour les douze heures anciennes [15].

Une autre manœuvre à l’amiable consista à faire travailler de douze à quinze heures les ouvriers mâles adultes et à proclamer ce fait comme la véritable expression des désirs du cœur des prolétaires. Mais

« l’impitoyable » Leonhard Horner revint de nouveau à la charge. La plupart de ceux qui travaillaient plus que le temps légal déclarèrent « qu’ils préféreraient de beaucoup travailler dix heures pour un moindre salaire, mais qu’ils n’avaient pas le choix ; un si grand nombre d’entre eux se trouvaient sans travail - tant de fileurs étaient forcés de travailler comme simples rattacheurs (piecers), que s’ils se refusaient à la prolongation du temps de travail, d’autres prendraient aussitôt leur place, de sorte que la question pour eux se formulait ainsi : ou travailler plus longtemps ou rester sur le pavé [16] ».

Le ballon d’essai du capital creva et la loi de dix heures entra en vigueur le 1° mai 1848. Mais la défaite du parti chartiste dont les chefs furent emprisonnés et l’organisation détruite, venait d’ébranler la confiance de la classe ouvrière anglaise en sa force. Bientôt après, l’insurrection de Juin à Paris, noyée dans le sang, réunit sous le même drapeau, en Angleterre comme sur le continent, toutes les fractions des classes régnantes - propriétaires fonciers et capitalistes, loups de bourse et rats de boutique, protectionnistes et libre-échangistes, gouvernement et opposition, calotins et esprits forts, jeunes catins et vieilles nonnes, et leur cri de guerre fut : sauvons la caisse, la propriété, la religion, la famille et la société. La classe ouvrière, déclarée criminelle, fut frappée d’interdiction et placée sous « la loi des suspects ». Messieurs les fabricants n’eurent plus dès lors besoin de se gêner. Ils se déclarèrent en révolte ouverte, non seulement contre la loi des dix heures, mais encore contre toute la législation qui depuis 1833 cherchait à refréner dans une certaine mesure la « libre » exploitation de la force de travail. Ce fut une rébellion esclavagiste (Proslavery Rebellion) en miniature, poursuivie pendant plus de deux ans avec l’effronterie la plus cynique, la persévérance la plus féroce et le terrorisme le plus implacable, à d’autant meilleur compte que le capitaliste révolté ne risquait que la peau de ses ouvriers.

Pour comprendre ce qui suit, il faut se souvenir que les lois de 1833, 1844 et 1847 sur le travail dans les fabriques, étaient toutes trois en vigueur, en tant du moins que l’une n’amendait pas l’autre ; qu’aucune ne limitait la journée de travail de l’ouvrier mâle âgé de plus de dix-huit ans, et que depuis 1833 la période de quinze heures, entre 5 h 30 du matin et 8 h 30 du soir, était restée le « jour » légal dans les limites duquel le travail des adolescents et des femmes, d’abord de douze heures, plus tard de dix, devait s’exécuter dans les conditions prescrites.

Les fabricants commencèrent par congédier çà et là une partie et parfois la moitié des adolescents et des ouvrières employés par eux ; puis ils rétablirent en revanche parmi les ouvriers adultes le travail de nuit presque tombé en désuétude. « La loi des dix heures, s’écrièrent-ils, ne nous laisse pas d’autre alternative [17]. »

Leur seconde agression eut pour objet les intervalles légaux prescrits pour les repas. Ecoutons les inspecteurs :

« Depuis la limitation des heures de travail à dix, les fabricants soutiennent, bien que dans la pratique ils ne poussent pas leur manière de voir à ses dernières conséquences, que s’ils font travailler, par exemple, de 9 heures du matin à 7 heures du soir, ils satisfont aux prescriptions de la loi en donnant une heure et demie pour les repas de la façon suivante : une heure le matin avant 9 heures et une demi-heure le soir après 7 heures. Dans certains cas ils accordent maintenant une demi-heure pour le dîner, mais ils prétendent en même temps que rien ne les oblige à accorder une partie quelconque de l’heure et demie légale dans le cours de la journée de travail de dix heures [18]. »

Messieurs les fabricants soutenaient donc que les articles de la loi de 1844, qui règlent si minutieusement les heures de repas, donnaient tout simplement aux ouvriers la permission de manger et de boire avant leur entrée dans la fabrique et après leur sortie, c’est-à-dire de prendre leurs repas chez eux. Pourquoi, en effet, les ouvriers ne dîneraient-ils pas avant 9 heures du matin ? Les juristes de la couronne décidèrent pourtant que, le temps prescrit pour les repas devait être accordé pendant la journée de travail réelle, par intervalles, et qu’il était illégal de faire travailler sans interruption dix heures entières, de 9 heures du matin à 7 heures du soir [19].

Après ces aimables démonstrations, le capital préluda à sa révolte par une démarche qui était conforme à la loi de 1844 et par conséquent légale.

La loi de 1844 défendait bien, passé 1 heure de l’après-midi, d’employer de nouveau les enfants de huit à treize ans qui avaient été occupés avant midi ; mais elle ne réglait en aucune manière les six heures et demie de travail des enfants qui se mettaient à l’ouvrage à midi ou plus tard. Des enfants de huit ans pouvaient donc, à partir de midi, être employés jusqu’à 1 heure, puis de 2 heures à 4 heures et enfin de 5 heures à 8 h 30, en tout six heures et demie, conformément à la loi ! Mieux encore. Pour faire coïncider leur travail avec celui des ouvriers adultes jusqu’à 8 h 30 du soir, il suffisait aux fabricants de ne leur donner aucun ouvrage avant 2 heures de l’après-midi, et de les retenir ensuite, sans interruption dans la fabrique jusqu’à 8 h 30.

« Aujourd’hui, l’on avoue expressément, que par suite de la cupidité des fabricants et de leur envie de tenir leurs machines en haleine pendant plus de dix heures, la pratique s’est glissée en Angleterre de faire travailler jusqu’à 8 h 30 du soir des enfants des deux sexes, de huit à treize ans, seuls avec les hommes, après le départ des adolescents et des femmes [20]. »

Ouvriers et inspecteurs protestèrent au nom de la morale et de l’hygiène. Mais le capital pense comme Shylock :

« Que le poids de mes actes retombe sur ma tête ! Je veux mon droit, l’exécution de mon bail et tout ce qu’il a stipulé. »

En réalité, d’après les chiffres produits devant la Chambre des communes le 26 juillet 1850, et malgré toutes les protestations, il y avait le 15 juillet 1850, trois mille sept cent quarante-deux enfants dans deux cent soixante-quinze fabriques soumis à cette « pratique » nouvelle [21]. Ce n’était pas encore assez ! L’œil de lynx du capital découvrit que la loi de 1844 défendait bien, il est vrai, de faire travailler plus de cinq heures avant midi sans une pause d’au moins trente minutes pour se restaurer, mais aussi qu’il ne prescrivait rien de pareil pour le travail postérieur. Il demanda donc et obtint la jouissance non seulement de faire trimer de 2 à 9 heures du soir, sans relâche, des enfants de huit ans, mais encore de les faire jeûner et de les affamer.

« C’est la chair qu’il me faut, disait Shylock ; ainsi le porte le billet [22]. »

Cette façon de s’accrocher à la lettre de la loi, en tant qu’elle règle le travail des enfants, n’avait pour but que de préparer la révolte ouverte contre la même loi, en tant qu’elle règle le travail des adolescents et des femmes. On se souvient que l’objet principal de cette loi était l’abolition du faux système de relais. Les fabricants commencèrent leur révolte en déclarant tout simplement que les articles de la loi de 1844 qui défendent d’employer ad libitum les adolescents et les femmes en leur faisant suspendre et reprendre leur travail à n’importe quel moment de la journée, n’étaient qu’une bagatelle comparativement tant que le temps de travail demeurait fixé, à douze heures, mais que depuis la loi des dix heures il ne fallait plus parler de s’y soumettre [23]. Ils firent donc entendre aux inspecteurs avec le plus grand sang-froid qu’ils sauraient se placer au-dessus de la lettre de la loi et rétabliraient l’ancien système de leur propre autorité [24]. Ils agissaient ainsi, du reste, dans l’intérêt même des ouvriers mal conseillés, « pour pouvoir leur payer des salaires plus élevés ». « C’était en outre le seul et unique moyen de conserver, avec la loi des dix heures, la suprématie industrielle de la GrandeBretagne [25]. » « Possible que la pratique du système des relais rende quelque peu difficile la découverte des infractions à la loi ; mais quoi ? (What of that ?) Le grand intérêt manufacturier du pays doit-il être traité par-dessous la jambe, pour épargner un peu de peine (some little trouble) aux inspecteurs de fabrique et aux sous-inspecteurs [26] ? »

Toutes ces balivernes ne produisirent naturellement aucun effet. Les inspecteurs des fabriques procédèrent juridiquement. Mais bientôt le ministre de l’Intérieur, Sir George Grey, fut tellement bombardé de pétitions des fabricants, que dans une circulaire du 5 août 1848, il recommanda aux inspecteurs « de ne point intervenir pour violation de la lettre de la loi, tant qu’il ne serait pas prouvé suffisamment qu’on avait abusé du système des relais pour faire travailler des femmes et des adolescents plus de dix heures ». Aussitôt l’inspecteur de fabrique, J. Stuart, autorisa le susdit système dans toute l’Écosse, où il refleurit de plus belle. Les inspecteurs anglais, au contraire, déclarèrent que le ministre ne possédait aucun pouvoir dictatorial qui lui permît de suspendre les lois et continuèrent à poursuivre juridiquement les rebelles.

Mais à quoi bon traîner les capitalistes à la barre de la justice, puisque les county magistrates [27] prononcent l’acquittement ? Dans ces tribunaux, messieurs les fabricants siégeaient comme juges de leur propre cause. Un exemple : un certain Eskrigge, filateur, de la raison sociale Kershaw, Leese et Cie, avait soumis à l’inspecteur de son district le plan d’un système de relais destiné à sa fabrique. Econduit avec un refus, il se tint d’abord coi. Quelques mois plus tard un individu nommé Robinson, filateur de coton également, et dont le susdit Eskrigge était le parent, sinon le Vendredi, comparaissait devant le tribunal du bourg de Stockport, pour avoir mis à exécution un plan de relais ne différant en rien de celui qu’Eskrigge avait inventé. Quatre juges siégeaient, dont trois filateurs de coton, à la tête desquels l’inventif Eskrigge. Eskrigge acquitta Robinson, puis fut d’avis que ce qui était juste pour Robinson était équitable pour Eskrigge. S’appuyant donc sur son propre arrêt, il établit immédiatement le système dans sa propre fabrique [28]. La composition de ce tribunal était déjà assurément une violation flagrante de la loi [29]. « Ce genre de farces juridiques », s’écrie l’inspecteur Howell, « exige qu’on y mette bon ordre... Ou bien accommodez la loi à ces sortes de jugements, ou bien confiez-la à un tribunal moins sujet à faillir et qui sache mettre ses décisions en accord avec elle... Dans tous les cas semblables, combien ne désire-t-on pas un juge payé [30] ! »

Les juristes de la couronne déclarèrent absurde l’interprétation donnée par les fabricants à la loi de 1844, mais les sauveurs de la société ne s’émurent pas pour si peu.

« Après avoir essayé en vain, rapporte Leonhard Horner, de faire exécuter la loi, au moyen de dix poursuites dans sept circonscriptions judiciaires différentes, et n’avoir été soutenu qu’en un seul cas par les magistrats, je regarde toute poursuite pour entorse donnée à la loi comme désormais inutile. La partie de la loi qui a été rédigée pour créer l’uniformité dans les heures de travail, n’existe plus dans le Lancashire. D’autre part mes sous-agents et moi, nous ne possédons aucun moyen de nous assurer que les fabriques, où règne le système des relais, n’occupent pas les adolescents et les femmes au-delà de dix heures. Depuis la fin d’avril 1849, il y a déjà dans mon district cent dix-huit fabriques qui travaillent d’après cette méthode et leur nombre augmente tous les jours rapidement. En général elles travaillent maintenant treize heures et demie, de 6 heures du matin à 7 h 30 du soir ; dans quelques cas quinze heures, de 5 h 30 du matin à 8 h 30 du soir [31]. » En décembre 1848, Leonhard Horner possédait déjà une liste de soixante-cinq fabricants et de vingt-neuf surveillants de fabrique qui déclaraient tous d’une voix, qu’avec le système des relais en usage, aucun système d’inspection ne pouvait empêcher le travail extra d’avoir lieu sur la plus grande échelle [32]. Les mêmes enfants et les mêmes adolescents étaient transférés (shifted) tantôt de la salle à filer dans la salle à tisser, tantôt d’une fabrique dans une autre [33]. Comment contrôler un système « qui abuse du mot relais pour mêler les « bras » comme des cartes les unes avec les autres en mille combinaisons diverses et pour varier chaque jour les heures de travail et de répit à tel point pour les différents individus, qu’un seul et même assortiment de « bras » complet ne travaille jamais à la même place et dans le même temps » [34] !

Indépendamment de l’excès de travail qu’il créait, ce susdit système de relais était un produit de la fantaisie capitaliste, tel que Fourier n’a pu le dépasser dans ses esquisses les plus humoristiques « des courtes séances » ; mais il faut dire que le système remplaçait l’attraction du travail par l’attraction du capital. il suffit, pour s’en assurer, de jeter un coup d’œil sur les cadres fournis par les fabricants, sur cette organisation que la presse honnête et modérée exaltait comme un modèle « de ce qu’un degré raisonnable de soin et de méthode peut accomplir » (what a reasonable degree of care and method can accomplish). Le personnel des travailleurs était divisé parfois en douze et quatorze catégories, dont les parties constitutives subissaient de nouveau des modifications continuelles. Pendant la période de quinze heures formant la journée de fabrique, le capital appelait l’ouvrier, maintenant pour trente minutes, puis pour une heure, et le renvoyait ensuite pour le rappeler de nouveau et le renvoyer encore, le ballottant de côté et d’autre par lambeaux de temps disséminés, sans jamais le perdre de l’œil ni de la main jusqu’à ce que le travail de dix heures fût accompli. Comme sur un théâtre les mêmes comparses avaient à paraître tour à tour dans les différentes scènes des différents actes. Mais de même qu’un acteur pendant toute la durée du drame appartient à la scène, de même les ouvriers appartenaient à la fabrique pendant quinze heures, sans compter le temps d’aller et de retour. Les heures de répit se transformaient ainsi en heures d’oisiveté forcée qui entraînaient le jeune ouvrier au cabaret et la jeune ouvrière au bordel. Chaque fois que le capitaliste inventait quelque chose de neuf - ce qui avait lieu tous les jours - pour tenir ses machines en haleine pendant douze ou quinze heures, sans augmenter son personnel, le travailleur était obligé, tantôt de perdre son temps, tantôt d’en profiter à la hâte pour avaler son repas. Lors de l’agitation des dix heures, les fabricants criaient partout que si la canaille ouvrière faisait des pétitions, c’était dans l’espoir d’obtenir un salaire de douze heures pour un travail de dix. Ils avaient maintenant retourné la médaille ; ils payaient un salaire de dix heures pour une exploitation de douze et quinze heures [35] ! Voilà comment la loi des dix heures était interprétée par les fabricants ! C’étaient cependant les mêmes hommes, les mêmes libre-échangistes confits d’onction, suant par tous les pores l’amour de l’humanité, qui pendant dix ans, tant que dura l’agitation contre la loi des céréales, ne se lassaient pas de démontrer aux ouvriers, par sous et liards, que dix heures de leur travail quotidien suffiraient amplement pour enrichir les capitalistes, si un nouvel essor était donné à l’industrie anglaise par la libre importation des grains [36].

La révolte du capital, après avoir duré deux années, fut enfin couronnée par l’arrêt d’une des quatre hautes cours d’Angleterre, la cour de l’Echiquier. A propos d’un cas qui lui fut présenté le 8 février 1850, cette cour décida que les fabricants agissaient, il est vrai, contre le sens de la loi de 1844, mais que cette loi elle-même contenait certains mots qui la rendaient absurde. « Par suite de cette décision la loi des dix heures fut en réalité abolie [37]. » Une foule de fabricants qui jusqu’alors n’avaient pas osé employer le système des relais pour les adolescents et les ouvrières, y allèrent désormais des deux mains à la fois [38].

Mais ce triomphe du capital en apparence définitif fut aussitôt suivi d’une réaction. Les travailleurs avaient opposé jusqu’alors une résistance passive, quoique indomptable et sans cesse renaissante. Ils se mirent maintenant à protester dans le Lancashire et le Yorkshire, par des meetings de plus en plus menaçants. « La prétendue loi des dix heures, s’écriaient-ils, n’aurait donc été qu’une mauvaise farce, une duperie parlementaire, et n’aurait jamais existé ? » Les inspecteurs de fabrique avertirent avec instances le gouvernement que l’antagonisme des classes était monté à un degré incroyable. Des fabricants eux-mêmes se mirent à murmurer. Ils se plaignirent de ce que

« grâce aux décisions contradictoires des magistrats il régnait une véritable anarchie. Telle loi était en vigueur dans le Yorkshire, telle autre dans le Lancashire, telle autre dans une paroisse de ce dernier comté, telle autre enfin dans le voisinage immédiat. Si les fabricants des grandes villes pouvaient éluder la loi, il n’en était pas de même des autres qui ne trouvaient point le personnel nécessaire pour le système de relais et encore moins pour le ballottage des ouvriers d’une fabrique dans une autre, et ainsi de suite. »

Or le premier droit du capital n’est-il pas l’égalité dans l’exploitation de la force du travail ?

Ces diverses circonstances amenèrent un compromis entre fabricants et ouvriers, lequel fut scellé parlementairement par la loi additionnelle sur les fabriques, le 5 août 1850. La journée de travail fut élevée de dix heures à dix heures et demie dans les cinq premiers jours de la semaine et restreinte à sept heures et demie le samedi pour « les adolescents et les femmes ». Le travail doit avoir lieu de 6 heures du matin à 6 heures du soir [39], avec des pauses d’une heure et demie pour les repas, lesquelles doivent être accordées en même temps, conformément aux prescriptions de 1844, etc. Le système des relais fut ainsi aboli une fois pour toutes [40]. Pour ce qui est du travail des enfants, la loi de 1844 resta en vigueur.

Une autre catégorie de fabricants s’assura cette fois comme précédemment, des privilèges seigneuriaux sur les enfants des prolétaires. Ce furent les fabricants de soie. En 1833 ils avaient hurlé comminatoirement que « si on leur ôtait la liberté d’exténuer pendant dix heures par jour des enfants de tout âge, c’était arrêter leur fabrique (if the liberty of working children of any age for ten hours a day was taken away, it would stop their works) ; qu’il leur était impossible d’acheter un nombre suffisant d’enfants au-dessus de treize ans », et ils avaient ainsi extorqué le privilège désiré. Des recherches ultérieures démontrèrent que ce prétexte était un pur mensonge [41], ce qui ne les empêcha pas, dix années durant, de filer de la soie chaque jour pendant dix heures avec le sang d’enfants si petits qu’on était obligé de les mettre sur de hautes chaises pendant toute la durée de leur travail. La loi de 1844 les « dépouilla » bien, à vrai dire, de la « liberté » de faire travailler plus de six heures et demie des enfants au-dessous de onze ans, mais leur assura en retour le privilège d’employer pendant dix heures des enfants entre onze et treize ans, et de défendre à leurs victimes de fréquenter l’école obligatoire pour les enfants des autres fabriques. Cette fois le prétexte était que : « la délicatesse du tissu exigeait une légèreté de toucher qu’ils ne pouvaient acquérir qu’en entrant de bonne heure dans la fabrique » [42]. Pour la finesse des tissus de soie les enfants furent immolés en masse, comme les bêtes à cornes le sont dans le sud de la Russie pour leur peau et leur graisse. Le privilège accordé en 1844 fut enfin limité en 1850 aux ateliers de dévidage de soie ; mais ici, pour dédommager la cupidité de sa « liberté » ravie, le temps de travail des enfants de onze à treize ans fut élevé de dix heures à dix heures et demie. Sous quel nouveau prétexte ? « Parce que le travail est beaucoup plus facile dans les manufactures de soie que dans les autres et de beaucoup moins nuisible à la santé [43]. » Une enquête médicale officielle prouva ensuite que bien au contraire « le chiffre moyen de mortalité, dans les districts où se fabrique la soie, est exceptionnellement élevé et dépasse même, pour la partie féminine de la population, celui des districts cotonniers du Lancashire » [44]. Malgré les protestations des inspecteurs renouvelées tous les six mois le même privilège dure encore [45].

La loi de 1850 ne convertit que pour « les adolescents et les femmes » la période de quinze heures, de 5 h 30 du matin à 8 h 30 du soir, en une période de douze heures, de 6 heures du matin à 6 heures du soir. Elle n’améliora en rien la condition des enfants qui pouvaient toujours être employés une demi-heure avant le commencement et deux heures et demie après la fin de cette période, bien que la durée totale de leur travail ne dût pas dépasser six heures et demie. Pendant la discussion de la loi les inspecteurs de fabrique présentaient au Parlement une statistique des abus infâmes auxquels donnait lieu cette anomalie. Mais tout fut inutile. L’intention secrète cachée au fond de ces manœuvres était, en mettant en jeu les enfants, de faire remonter à quinze heures pendant les années de prospérité, la journée de travail des ouvriers adultes. L’expérience des trois années suivantes fit voir qu’une semblable tentative échouerait contre la résistance de ces derniers [46]. La loi de 1850 fut donc complétée en 1853 par la défense « d’employer les enfants le matin avant et le soir après les adolescents et les femmes ». A partir de ce moment, la loi de 1850 régla, à peu d’exceptions près, la journée de travail de tous les ouvriers dans les branches d’industrie qui lui étaient soumises [47]. Depuis la publication du premier Factory Act il s’était écoulé un demi-siècle [48].

La législation manufacturière sortit pour la première fois de sa sphère primitive par le Printwork’s Act de 1845 (loi concernant les fabriques de cotons imprimés). Le déplaisir avec lequel le capital accepta cette nouvelle « extravagance » perce à chaque ligne de la loi ! Elle restreint la journée de travail pour enfants et pour femmes, à seize heures comprises entre 6 heures du matin et 10 heures du soir sans aucune interruption légale pour les repas. Elle permet de faire travailler les ouvriers mâles, au-dessus de treize ans, tout le jour et toute la nuit à volonté [49]. C’est un avortement parlementaire [50].

Néanmoins, par la victoire dans les grandes branches d’industrie, qui sont la création propre du mode de production moderne, le principe avait définitivement triomphé. Leur développement merveilleux de 1853 à 1860 marchant de pair avec la renaissance physique et morale des travailleurs, frappa les yeux des moins clairvoyants. Les fabricants eux-mêmes, auxquels la limitation légale et les règlements de la journée de travail avaient été arrachés lambeaux par lambeaux par une guerre civile d’un demi-siècle, firent ressortir avec ostentation le contraste qui existait entre les branches d’exploitation encore « libres » et les établissements soumis à la loi [51]. Les pharisiens de « l’économie politique » se mirent à proclamer que la découverte nouvelle et caractéristique de leur « science » était d’avoir reconnu la nécessité d’une limitation légale de la journée de travail [52]. On comprend facilement que lorsque les magnats de l’industrie se furent soumis à ce qu’ils ne pouvaient empêcher et se furent même réconciliés avec les résultats acquis, la force de résistance du capital faiblit graduellement, tandis que la force d’attaque de la classe ouvrière grandit avec le nombre de ses alliés dans les couches de la société qui n’avaient dans la lutte aucun intérêt immédiat. De là, comparativement, des progrès rapides depuis 1850.

Les teintureries et les blanchisseries [53] furent soumises en 1860, les fabriques de dentelles et les bonneteries en 1861, à la loi sur les fabriques de 1850. A la suite du premier rapport de la « Commission des enfants », les manufactures de toute espèce d’articles d’argile (non pas seulement les poteries) partagèrent le même sort, ainsi que les fabriques d’allumettes chimiques, de capsules, de cartouches, de tapis, et un grand nombre de procédés industriels compris sous le nom de « finishing », (dernier apprêt). En 1863, les blanchisseries en plein air [54] et les boulangeries furent soumises également à deux lois particulières, dont la première défend le travail de nuit (de 8 heures du soir à 6 heures du matin) pour enfants, femmes et adolescents, et la seconde l’emploi de garçons boulangers au-dessous de dix-huit ans, entre 9 heures du soir et 5 heures du matin. Nous reviendrons plus tard sur les propositions ultérieures de la même commission, qui, à l’exception de l’agriculture, des mines et des transports, menacent de priver de leur « liberté » toutes les branches importantes de l’industrie anglaise [55].

Notes

[1] « Il est certainement très regrettable qu’une classe quelconque de sonnes doive chaque jour s’exténuer pendant douze heures. Ajoute-t-on a per- cela les repas et les aller et retour de l’atelier, c’est quatorze heures par jour sur vingt-quatre... Question de santé à part, personne ne niera, je l’espère, qu’au point de vue moral, une absorption si complète du temps des classes travailleuses, sans relâche, depuis l’âge de treize ans, et dans les branches d’industrie « libres » depuis un âge plus tendre encore ne constitue un mal extrêmement nuisible, un mal effroyable. Dans l’intérêt de la morale publique, dans le but d’élever une population solide et habile, et pour procurer à la grande masse du peuple une jouissance raisonnable de la vie, il faut exiger que dans toutes les branches d’industrie, une partie de chaque journée de travail soit réservée aux repas et au délassement. » (Leonhard Horner dans : lnsp. of Fact. Reports 31 déc. 1841.)

[2] Voyez : Judgment of M. J. H . Otwey. Belfast. Hilary Sessions, 1860.

[3] Un fait qui caractérise on ne peut mieux le gouvernement de Louis-Philippe, le roi bourgeois, c’est que l’unique loi manufacturière promulguée sous son règne, la loi du 22 mars 1841 ne fut jamais mise en vigueur. Et cette loi n’a trait qu’au travail des enfants. ’Elle établit huit heures pour les enfants entre huit et douze ans, douze heures pour les enfants entre douze et seize ans, etc., avec un grand nombre d’exceptions qui accordent le travail de nuit, même pour les enfants de huit ans. Dans un pays où le moindre rat est administré policièrement, la surveillance et l’exécution de cette loi furent confiées à la bonne volonté « des amis du commerce ». C’est depuis 1853 seulement que le gouvernement paye un inspecteur dans un seul département, celui du Nord. Un autre fait qui caractérise également bien le développement de la société française, c’est que la loi de Louis-Philippe restait seule et unique jusqu’à la révolution de 1848, dans cette immense fabrique de lois qui, en France, enserre toutes choses.

[4] Rep. of Insp. of Fact., 30 avril 1860, p.5 1

[5] « Legislation is equally necessary for the prevention of death, in any form in which it can be prematurely inflicted, and certainly this must be viewed as a most cruel mode, of inflicting it ».

[6] Rep. of lnsp. of Fact., 31 oct, 1849, p 6.

[7] Rep. of Insp. of Fact., 31 oct . 1848, p.98.

[8] Cette expression « nefarious practices », se trouve également dans le rapport officiel de Leonhard Horner (Rep. of lnsp. of Fact., 31 oct. 1859, p.7).

[9] Rep. etc., for 30 th. sept. 1844, p.15.

[10] L’acte permet d’employer des enfants pendant dix heures, quand au lieu de travailler tous les jours ils travaillent seulement un jour sur deux. En général, cette clause resta sans effet.

[11] « Comme une réduction des heures de travail des enfants serait cause qu’un grand nombre d’entre eux serait employé, on a pensé qu’un approvisionnement additionnel d’enfants de huit à neuf ans couvrirait l’augmentation de la demande. » (L.c., p.13.)

[12] Rep. of insp. of Fact., 31 st. oct. 1848, p.16.

[13] « Je vis qu’on prélevait un shilling sur les gens qui avaient reçu dix shillings par semaine, en raison de la baisse générale du salaire de dix pour cent, et un shilling six pence en plus, à cause de la diminution du temps de travail, soit en tout deux shillings six pence ; mais cela n’empêcha point le plus grand nombre de tenir ferme pour le bill des dix heures. » (L.c.)

[14] « En signant la pétition, je déclarai que je n’agissais pas bien. - Alors, pourquoi avez-vous signe ? - Parce qu’en cas de refus on m’aurait jeté sur le pavé. » Le pétitionnaire se sentait en réalité « opprimé » mais pas précisément par la loi sur les fabriques. » (L.c., p. 102.)

[15] p.17, l.c. Dans le district de M. Horner, dix mille deux cent soixante-dix ouvriers adultes furent interrogés dans cent quatre-vingt-une fabriques. On trouve leurs dépositions dans l’appendice du rapport de fabrique semestriel d’octobre 1848. Ces témoignages offrent des matériaux qui ont beaucoup d’importance sous d’autres rapports.

[16] L.c. Voy. les dépositions rassemblées par Leonhard Horner lui-même, n° 69, 70, 71, 72, 92, 93, et celles recueillies par le sous-inspecteur A, n° 51, 52, 58, 59, 60, 62, 70 de l’Appendice. Un fabricant dit même la vérité toute nue. Voy. n° 14 après n° 265, l.c.

[17] Reports, etc., for 31 st. october 1848, p.133, 134.

[18] Reports, etc., for 30th. april 1848, p. 47.

[19] Reports, etc., for 31st. oct. 1848, p.130.

[20]Reports, etc., 1.c. p.42.

[21] Reports, etc., for 31 st. oct. 1850, p.5, 6.

[22] La nature du capital reste toujours la même, que ses formes soient à peine ébauchées ou développées complètement. Dans un code octroyé au territoire du Nouveau-Mexique, par les propriétaires d’esclaves, à la veille de la guerre civile américaine, on lit : « L’ouvrier, en tant que le capitaliste a acheté sa force de travail, est son argent (l’argent du capitaliste) « The labourer is his (the capitalist’s) money. » La même manière de voir régnait chez les patriciens de Rome. L’argent qu’ils avaient avancé au débiteur plébéien, se transsubstantiait par l’intermédiaire des moyens de subsistance, dans la chair et le sang du malheureux. Cette « chair » et ce sang étaient donc « leur argent ». De là la loi des douze tables, toute à la Shylock ! Nous passons naturellement sur l’hypothèse de Linguet, d’après laquelle les créanciers patriciens s’invitaient de temps à autre, de l’autre côté du Tibre, à des festins composés de la chair de débiteurs, cuite à point, ainsi que sur l’hypothèse de Daumer à propos de l’eucharistie chrétienne.

[23] Reports, etc., for 31 st. oct. 1848, p.133.

[24] C’est ce que fit, entre autres, le philanthrope Ashworth dans une lettre suintant le quakerisme, adressée à Leonhard Horner.

[25] L.c., p.134.

[26] L c., p.140.

[27] Ces « county magistrales », les « grands non-payés » (great unpaid), comme les nomme W. Cobbett, sont des juges de paix, pris parmi les notables des comtés et remplissant leurs fonctions gratuitement. Ils forment en réalité la juridiction patrimoniale des classes régnantes.

[28] Reports, etc., for 30 th. april 1849, p. 21, 22. V. des exemples semblables, ibid., p.4, 5.

[29] Par les art. 1 et 2, IV, ch. 24, p.10, connus sous le nom de Factory Act de Sir John Hobhouse, il est défendu à n’importe quel propriétaire de filature ou de tisseranderie, et de même aux père, fils et frère d’un tel propriétaire, de fonctionner comme juges de paix dans les questions qui ressortissent du Factory Act.

[30] L.c.

[31] Reports, etc., for 30 th. april 1849, p.5.

[32] Reports, etc., for 31 oct. 1849, p.6.

[33] Reports, etc., for 30 th. april 1849, p.2 1.

[34] Reports, etc., for 1° déc. 1848, p.95.

[35] Voy. « Reports, etc., for 30 th. april 1849, p.6, et l’explication détaillée du « Shifting system » donnée par les inspecteurs de fabrique Howell et Saunders dans les Reports for 31 oct. 1848. Voy. de même la pétition du clergé d’Ashton et des alentours, adressée à la reine (avril 1849) contre le « Shift system ».

[36] Comp. par ex. « The Factory Question and the Ten Hauts Bill. By R. H. Greg., 1837 ».

[37] F. Engels : Die Englische Zehnstundenbill (dans la Neue Rh. Zeitung, revue politique et économique, éditée par Karl Marx, liv. d’avril 1850, p.13). Cette même « haute » cour découvrit aussi pendant la guerre civile américaine une ambiguité de mots qui changeait complètement le sens de la loi dirigée contre l’armement des navires de pirates, et la transformait en sens contraire.

[38] Reports, etc., for 30 th. april 1850.

[39] En hiver, de 7 heures du matin à 7 heures du soir, si l’on veut.

[40] « La présente loi (de 1850) a été un compromis par lequel les ouvriers employés livraient le bénéfice de la loi des dix heures en retour d’une période uniforme, pour le commencement et la fin du travail de ceux dont le travail est restreint. » (Reports, etc., for 30 th. april 1852, p.14.)

[41] Reports, etc., for 30 th. sept. 1844, p.13. - 2. L.c.

[42] « The délicate texture of the fabric in which they were employed requiring a lightness of touch, only to be acquired by their early introduction to these factories. » (L.c., p.20.)

[43] Reports, etc., for 31 oct. 1861, p.26.

[45] On sait avec quelle répugnance les « libre-échangistes » anglais renoncèrent aux droits protecteurs des manufactures de soie. Le service que leur rendait la protection contre l’importation française, leur rend maintenant le manque de protection pour les enfants employés dans leurs fabriques.

[46] Reports, etc., for 30 th. april 1853, p.31.

[47] Pendant les années de la plus haute prospérité pour l’industrie cotonnière anglaise, 1859 et 1860, quelques fabricants essayèrent, en offrant des salaires plus élevés pour le temps de travail extra, de déterminer les fileurs adultes, etc., à accepter une prolongation de la journée. Ceux-ci mirent fin à toute tentative de ce genre par un mémoire adressé aux fabricants, dans lequel il est dit entre autres : « Pour dire toute la vérité, notre vie nous est à charge, et tant que nous serons enchaînés à la fabrique presque deux jours de plus (vingt heures) par semaine que les autres ouvriers, nous nous sentirons comme des ilotes dans le pays, et nous nous reprocherons d’éterniser un système qui est une cause de dépérissement moral et physique pour nous et notre race... Nous vous avertissons donc respectueusement qu’à partir du premier jour de la nouvelle année, nous ne travaillerons plus une seule minute au-delà de soixante heures par semaine, de 5 h du matin à 6 h du soir, déduction faite des pauses légales de une heure et demie. » (Reports, etc., for 30 th. april 1860, p.30.)

[48] Sur les moyens que fournit la rédaction de cette loi pour sa propre violation, compulser le rapport parlementaire : « Factory Regulations Acts » (6 août 1859) et dans ce rapport les observations de Leonhard Horner « Suggestions for Amending the Factory Acts to enable the Inspectors to prevent Illegal Working, now become very prevalent ».

[49] « Des enfants de huit ans et d’autres plus âgés ont été réellement exténués de travail dans mon district, de 6 h du matin à 9 h du soir pendant le dernier semestre de l’année 1857. » (Reports, etc., for 31 oct. 1857, p.39)

[50] « Il est admis que le « Printwork’s Act » est un avortement pour ce qui regarde soit ses règlements protecteurs, soit ses règlements sur l’éducation. » (Reports, etc., for 31 oct. 1862, p.62.)

[51] Ainsi par ex. B. E. Potter dans une lettre adressée au Times du 24 mars 1863. Le Times lui rafraîchit la mémoire et lui rappelle la révolte des fabricants contre la loi des dix heures.

[52] Entre autres M. W. Newmarch, collaborateur et éditeur de « L’Histoire des Prix » de Tooke. Est-ce donc un progrès scientifique que de faire de lâches concessions à l’opinion publique ?

[53] La loi concernant les blanchisseries et les teintureries publiée en 1860, arrête que la journée de travail sera réduite provisoirement à douze heures le 1° août 1861, et à dix heures définitivement le 1° août 1862, C’est-à-dire dix heures et demie pour les jours ordinaires, et sept heures et demie pour les samedis. Or, lorsque arriva la fatale année 1862, la même vieille farce se renouvela. Messieurs les fabricants adressèrent au Parlement pétitions sur pétitions, pour obtenir qu’il leur fût permis, encore une petite année, pas davantage, de faire travailler douze heures les adolescents et les femmes... Dans la situation actuelle, disaient-ils (pendant la crise cotonnière), ce serait un grand avantage pour les ouvriers, si on leur permettait de travailler douze heures par jour et d’obtenir ainsi le plus fort salaire possible... La Chambre des communes était déjà sur le point d’adopter un bill dans ce sens ; mais l’agitation ouvrière dans les blanchisseries de l’Écosse l’arrêta. (Reports, etc., for 31 oct. 1862, p.14, 15.) Battu par les ouvriers au nom desquels il prétendait parler, le capital empruntant les besicles des juristes découvrit que la foi de 1860, comme toutes les lois du Parlement « pour la protection du travail » était rédigée en termes équivoques qui lui donnaient un prétexte d’exclure de la protection de la loi les « calendreurs et les finisseurs » (finishers). La juridiction anglaise, toujours au service du capital, sanctionna la chicanerie par un arrêt de la cour des plaids communs (common pleas). « Cet arrêt souleva un grand mécontentement parmi les ouvriers, et il est très regrettable que les intentions manifestes de la législation soient éludées sous prétexte d’une définition de mots défectueuse. » (L.c., p.18.)

[54] Les « blanchisseurs en plein air » s’étaient dérobés à la loi de 1860 sur les blanchisseries, en déclarant faussement qu’ils ne faisaient point travailler de femmes la nuit. Leur mensonge fut découvert par les inspecteurs de fabrique, et en même temps, à la lecture des pétitions ouvrières, le Parlement vit s’évanouir toutes les sensations de fraîcheur qu’il éprouvait à l’idée d’une « blanchisserie en plein air ». Dans cette blanchisserie aérienne on emploie des chambres à sécher de 90 à 100 degrés Fahrenheit dans lesquelles travaillent principalement des jeunes filles. « Cooling » (rafraîchissement), tel est le terme technique qu’elles emploient pour leur sortie de temps à autre du séchoir. » Quinze jeunes filles dans les séchoirs, chaleur de 80 à 90° pour la toile, de 100° et plus pour la batiste (cambrics). Douze jeunes filles repassent dans une petite chambre de dix pieds carrés environ, chauffée par un poêle complètement fermé. Elles se tiennent tout autour de ce poêle qui rayonne une chaleur énorme, et sèche rapidement la batiste pour les repasseuses. Le nombre des heures de travail de « ces bras » est illimité. Quand il y a de l’ouvrage, elles travaillent jusqu’à 9 heures du soir ou jusqu’à minuit plusieurs jours de suite. (Reports, etc., for 31 oct. 1862, p.56.) Un médecin fait cette déclaration : « Il n’y a point d’heures fixes pour le rafraîchissement, mais quand la température est insoutenable, ou que la sueur commence à salir les mains des ouvrières, on leur permet de sortir deux minutes... Mon expérience dans le traitement des maladies de ces ouvrières me force à constater que leur état de santé est fort au-dessous de celui des ouvrières en coton (et le capital, dans sa pétition au Parlement, les avait dépeintes comme plus roses et plus joufflues que les Flamandes de Rubens). Leurs maladies principales sont : la phtisie, la bronchite, les affections de l’utérus, l’hystérie sous sa forme la plus horrible et le rhumatisme. Elles proviennent toutes, selon moi, de l’atmosphère surchauffée de leurs chambres de travail et du manque de vêtements convenables qui puissent les protéger, quand elles sortent dans les mois d’hiver, contre l’air froid et humide. » (L.c., p.56,57.) Les inspecteurs de fabrique remarquent à propos de la loi arrachées ensuite en 1863, à ces joviaux blanchisseurs en plein air : « Cette loi non seulement n’accorde pas aux ouvriers la protection qu’elle semble accorder, mais elle est formulée de telle sorte, que sa protection n’est exigible que lorsqu’on surprend en flagrant délit de travail, après 8 heures du soir, des femmes et des enfants ; et même dans ce cas la méthode prescrite pour faire la preuve a des clauses telles, qu’il est à peine possible de sévir. » (L. c., p. 52.) « Comme loi se proposant un but humain et éducateur, elle est complètement manquée. Car enfin, on ne dira pas qu’il est humain d’autoriser des femmes et des enfants, ou, ce qui revient au même, de les forcer à travailler quatorze heures par jour et peut-être encore plus longtemps, avec ou sans repos, comme cela se rencontre, sans considération d’âge, de sexe, et sans égard pour les habitudes sociales des familles voisines des blanchisseries. » (Reports, etc., for 30 th. april 1863, p. 40.)

[55] Depuis 1866, époque à laquelle j’écrivais ceci, il s’est opéré une nouvelle réaction. Les capitalistes, dans les branches d’industrie menacées d’être soumises à la législation des fabriques, ont employé toute leur influence parlementaire pour soutenir leur « droit de citoyen » à l’exploitation illimitée de la force de travail. Ils ont trouvé naturellement dans le ministère libéral Gladstone des serviteurs de bonne volonté.

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