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Friedrich Engels avait-il cautionné le légalisme petit-bourgeois de la social-démocratie allemande face à l’Empire du Kaiser ?

mardi 28 avril 2015, par Robert Paris

Friedrich Engels avait-il cautionné le légalisme petit-bourgeois de la social-démocratie allemande face à l’Empire du Kaiser ?

Lire l’Introduction de Friedrich Engels aux "Luttes de classes en France

Cette introduction d’Engels parut d’abord dans le Vorwaerts, organe de la social-démocratie allemande. Elle reprenait, en effet, le problème général de la lutte du prolétariat dans le cadre des circonstances nouvelles de la fin du XIX° siècle, et, comme elle s’appuyait en grande partie sur l’expérience allemande, elle était d’une actualité directe pour les lecteurs du Vorwaerts. Toutefois, à sa grande surprise, Engels vit paraître dans le journal une version tronquée de son texte. Indigné de la liberté qu’on avait prise, il écrivit à Kautsky le 1er avril 1895 :

« A mon grand étonnement, je vois aujourd’hui que l’on a publié sans m’en avertir dans le Vorwärts des extraits de mon Introduction et qu’on les a combinés de telle façon que j’apparais comme un adorateur pacifiste de la légalité à tout prix. Je souhaite d’autant plus vivement que l’Introduction paraisse sans coupures dans la Neue Zeit, afin que cette impression ignominieuse soit effacée. Je ferai part avec la plus grande fermeté de mon sentiment à Liebknecht et aussi à ceux qui, quels qu’ils soient, lui ont fourni l’occasion de déformer l’expression de ma pensée. »

Malheureusement, la Neue Zeit, tout en donnant un texte plus complet, ne publia pas le texte intégral de l’introduction. Et l’édition des Luttes de classes de 1895 non plus.

En réalité, les social-démocrates allemands, notamment Bernstein et Kautsky, avaient pratiqué des coupures qui prenaient un sens tout particulier. Engels, tenant compte des menaces de la loi d’exception qui pesaient alors sur le socialisme en Allemagne, avait subtilement distingué entre la tactique du prolétariat en général et celle qui était recommandée au prolétariat allemand à cette époque. Il dit dans une lettre à Lafargue du 3 avril 1895 :

« W... [Il vise probablement le rédacteur en chef du Vorwaerts, W. Liebknecht (N.R.)] vient de me jouer un joli tour. Il a pris de mon introduction aux articles de Marx sur la France 1848-1850 tout ce qui a pu lui servir pour soutenir la tactique à tout prix paisible et anti-violente qu’il lui plait de prêcher depuis quelque temps, surtout en ce moment où on prépare des lois coercitives à Berlin. Mais cette tactique, je ne la prêche que pour l’Allemagne d’aujourd’hui et encore sous bonne réserve. Pour la France, la Belgique, l’Italie, l’Autriche cette tactique ne saurait être suivie dans son ensemble, et pour l’Allemagne, elle pourra devenir inapplicable demain. » (Correspondance Engels-Lafargue, Éditions sociales 1956-1959, tome III, p. 404)

En coupant certains passages, Kautsky et Bernstein accréditaient leur propre thèse et ils essayèrent même, en faisant passer le texte tronqué de l’introduction d’Engels pour une sorte de testament politique, de la couvrir de l’autorité du grand disparu. C’est là une manifestation bien caractéristique de la déformation opportuniste qu’ils introduisaient dans le marxisme et qui devait conduire la social-démocratie allemande à ses tragiques démissions de 1914 et de 1918 et à son impuissance totale en 1933.

En ce qui concerne la fameuse introduction d’Engels aux « Luttes de classes en France » qui a été diffusée par la social-démocratie allemande comme justification de son réformisme, on se souvient que c’est une version mensongère et tronquée.

Remarquons en particulier que l’édition allemande biffait entièrement le passage suivant :

« Cela signifie-t-il qu’à l’avenir le combat de rue ne jouera plus aucun rôle ? Pas du tout. Cela vaut dire seulement que les conditions depuis 1848 sont, devenues beaucoup moins favorables pour les combattants civils, et beaucoup plus favorables pour l’armée. À l’avenir un combat de rues ne peut donc être victorieux que si cet état d’infériorité est compensé par d’autres facteurs. Aussi, l’entreprendra-t-on plus rarement au début d’une grande révolution qu’au cours du développement de celle-ci, et il faudra le soutenir avec des forces plus grandes. Mais alors celles-ci, comme dans toute la grande révolution française, le 4 septembre et le 31 octobre 1870 à Paris, préfèreront « sans doute l’attaque ouverte à la tactique passive de la barricade. »

La thèse selon laquelle Engels aurait été bien plus doux que Marx face à l’opportunisme est une légende. C’est à propos de la social-démocratie allemande qu’Engels écrivait avec Marx que « Le socialisme allemand « s’est trop préoccupé de gagner les masses, négligeant de faire une propagande énergique (!) dans les soi-disant couches supérieures de la société ». Car le parti « manque encore d’homme capables de le représenter au parlement ». Il est pourtant « désirable et nécessaire de confier les mandats à des hommes qui disposent de suffisamment de temps pour se familiariser pleinement avec les principaux sujets. le simple ouvrier et le petit artisan… n’en ont que très rarement le loisir nécessaire ». Donc, votez pour les bourgeois ! Bref : la classe ouvrière, par elle-même, est incapable de s’affranchir. Elle doit donc passer sous la direction de bourgeois “instruits et aisés” qui seuls “ont l’occasion et le temps” de se familiariser avec les intérêts des ouvriers. Puis, il ne faut à aucun prix combattre la bourgeoisie, mais, au contraire, il faut la gagner par une propagande énergique… Pour enlever à la bourgeoisie la dernière trace de peur, on doit lui prouver clairement que le spectre rouge n’est vraiment qu’un spectre, qu’il n’existe pas. Mais qu’est-ce que le secret du spectre rouge si ce n’est la peur de la bourgeoisie de l’inévitable lutte à mort qu’elle aura à mener avec le prolétariat ? La peur du résultat fatal de la lutte de classe moderne ? Qu’on abolisse la lutte de classe, et la bourgeoisie et “tous les hommes indépendants” ne craindront plus “de marcher avec les prolétaires, la main dans la main” ! Ceux qui seront alors les dupes, c’est justement les prolétaires (…) Le programme ne sera pas abandonné mais simplement ajourné – pour un temps indéterminé. On l’adopte, mais non pas pour soi-même et pour le présent, mais à titre posthume, comme un legs destiné aux générations futures. En attendant, on emploie “toute sa force et toute son énergie” pour toutes sortes de bricoles et de rafistolages de la société capitaliste, pour faire croire qu’il se passe quand même quelque chose et pour que la bourgeoisie n’en prenne pas peur (…) Ce sont les représentants de la petite-bourgeoisie qui s’annoncent ainsi, de peur que le prolétariat, entraîné par sa situation révolutionnaire, “n’aille trop loin”. »

« On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d’employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre. » écrivait Engels en 1894.

Roger Dangeville écrit en introduction à La social-démocratie allemande et Marx-Engels

Idéologie petite - bourgeoise et État fort

Bismarck utilisa contre les ouvriers la violence armée, les brutalités policières et les parodies judiciaires dans toutes les combinaisons possibles. L’aristocrate qu’il était employait sans scrupules tous les moyens. Il avait fait la révolution bourgeoise en Allemagne, pratiquement sans apporter de législation libérale au peuple, et donc de liberté d’association, de réunion, de parole et de presse que les ouvriers durent imposer par leur force, et il ne manquait pas une occasion pour rendre illusoires tous ces droits, montrant avec cynisme que celui qui fait les lois - et c’est toujours vrai aujourd’hui, comme l’histoire de tous les pays le démontre - peut les tourner et les appliquer comme il l’entend, voire peut les nier. Et ce furent les perquisitions domiciliaires, la fermeture des sièges des deux partis ouvriers lassalléen et eisenachien, les condamnations pour incitation à la haine de classe, pour vilipendation des institutions, pour lèse - majesté ; de lourdes amendes, des peines de prison, la mise sous séquestre des organes du parti pour des articles qualifiés de dangereux pour l’ordre public ou infamant pour l’oligarchie au pouvoir, etc. Tout servait de prétexte au gouvernement pour entraver l’organisation des ouvriers - comme aujourd’hui.

Cette brutalité et ce mépris pour les « libertés démocratiques » ont cela de bon qu’ils démystifient les rapports entre les classes et obligent chacune d’elles à se cantonner sur ses positions classistes - cela aussi durera longtemps en Allemagne. A peine les libertés élémentaires de parole, de presse et d’organisation étaient - elles arrachées par les ouvriers, qu’elles étaient remises en question par le pouvoir. Sans cesse le parti social-démocrate était ramené sur le terrain de la lutte de classe... en cette période de développement idyllique et pacifique du capitalisme ! Parfois, les ouvriers triomphaient, mais ce n’était jamais pour longtemps - tant que l’ennemi n’était pas abattu.

Une victoire ne faisait que préparer une autre bataille : « La loi antisocialiste est abrogée et Bismarck renversé », écrivait Engels en 1890. « Le puissant Empire allemand avait mis en œuvre tous ses moyens de puissance : le parti s’est joué de lui, jusqu’à ce qu’enfin l’Empire allemand dût baisser pavillon devant nous. Le gouvernement impérial veut, POUR L’HEURE, instaurer de nouveau, dans ses rapports avec nous, le droit légal s’appliquant à tous et, POUR L’HEURE, nous voulons bien, nous aussi, tâter des moyens légaux que NOUS AVONS RECONQUIS GRÂCE A UN VIGOUREUX RECOURS AUX MOYENS EXTRA - LÉGAUX... Si le gouvernement tente, soit par de nouvelles lois d’exception, soit par des jugements contraires à la loi, par la praxis des juridictions impériales et par l’arbitraire policier, soit par d’autres empiétements illégaux de l’exécutif, de placer une nouvelle fois notre parti hors du droit commun - alors la social-démocratie allemande sera poussée une nouvelle fois dans l’illégalité, la seule qui lui soit ouverte. » Et de conclure, de manière optimiste : « La seconde fois, l’Empire allemand ne tiendra pas douze ans [8] ! »

De nos jours, toute la bourgeoisie mondiale s’efforce de reprendre les méthodes de gouvernement totalitaires et autocratiques de Bismarck : ces méthodes reposent sur la force de l’État, d’une part, et la servilité petite - bourgeoise des citoyens - sujets, d’autre part, d’où les justifications hypocrites, « chrétiennes », d’une pratique couarde et féroce. La « majorité silencieuse » comme les bandes « fascistes » se complètent et s’appuient complaisamment sur l’État fort, leur base matérielle. Cependant les marxistes ne se laissent pas mystifier par l’État fort, ni par sa violence si terrible soit - elle, car le méchant colosse a les pieds d’argile, parce qu’il repose, d’une part, sur la prospérité capitaliste et, d’autre part, sur la masse des sujets soumis, et ce qui caractérise cette énorme multitude moutonnière petite - bourgeoise à laquelle correspond l’ « État fort », c’est : « plus on lui fait face de manière tranchée et énergique, plus elle plie et se courbe pour vous servir. C’est de la sorte que le parti ouvrier [et l’État aussi] obtient d’elle le maximum de concessions. Tout cela, nous l’avons expérimenté et vécu (en Allemagne ) » [9].

Engels disait aux sociaux-démocrates impressionnés par les violences de Bismarck : « Pourquoi donc bougonnez - vous contre la violence en prétendant qu’elle est condamnable en soi, alors que, vous tous, vous savez fort bien qu’à la fin rien n’est faisable sans violence [10] ! »

Aujourd’hui les vieux textes de Marx - Engels qui conseillaient aux dirigeants ouvriers de ne pas perdre la tête et de demeurer inébranlablement sur la voie révolutionnaire, sont plus actuels que jamais. C’est faute d’avoir perdu complètement cette claire vision de classe, à laquelle tous les partis faussement « communistes » ou socialistes, ont substitué le défaitisme petit - bourgeois social-démocrate, critiqué sans pitié par Marx - Engels, que le prolétariat international est impuissant de nos jours, dans un monde où la force seule a voix au chapitre.

C’est la raison pour laquelle le prolétariat lui-même réagit si souvent de façon petite - bourgeoise, en l’absence d’une véritable organisation de classe, et que l’on applique partout la méthode bismarckienne : frapper fort l’adversaire que l’on a isolé et diffamé au nom de la morale et du citoyen pour l’écraser sous le poids de la violence de l’État policier, toute action parce que faite à l’ombre de l’État ou de la force armée étant bonne, c’est-à-dire légalisée. Qui plus est, ce sont toujours l’État et la société qui - se disent agressés et parlent de se défendre, et l’on déchaîne la meute sur le trouble - fête. La répression est toujours massive et ORGANISÉE, et elle ne manque jamais de prendre à témoin l’esprit conformiste et bien pensant de la benoîte classe moyenne - c’est-à-dire de la nation - soit l’esprit servile des sujets - citoyens. Dès lors, l’État de droit, chrétien, démocratique ou « fasciste » comme l’appellent les idéologues, mais simplement bourgeois pour les marxistes, fait tuer ses adversaires politiques jusque dans les prisons - Holger Meins - et on assassine avec la conscience du devoir accompli.

La tactique des classes dominantes est la même, en Allemagne de l’Est et de l’Ouest, où - elle a été perfectionnée encore par l’action démocratique des troupes d’occupation russes et américaines, etc. : en R.D.A. toute opposition est criminelle, par définition, et en R.F.A. on ne, tolère que les sujets soumis - tout le reste est antidémocratique, donc hors la loi - ce qui revient proprement au même, car, dans les deux cas, la seule violence admise est celle de la loi, et la moindre revendication verbale de la violence révolutionnaire est « illégale » et liquidée par la répression policière au milieu d’une propagande « à feu et à sang » contre les terroristes ! Seule la Russie et l’Amérique, les pays phares du monde, sont plus efficaces sur le plan de la répression, la chasse aux sorcières.

En Allemagne, plus clairement que dans d’autres pays de capitalisme moins concentré, la question mystificatrice de la justice, de la liberté, du droit, de la démocratie apparaît pour ce qu’elle est sous le capitalisme, - une phrase creuse, tout en étant simplement un problème de rapports de force et d’énergie révolutionnaire ici ou contre - révolutionnaire là.

Bismarck a inauguré la tactique, inchangée depuis manier la loi de manière arbitraire et illégale sous l’égide de l’État - ce qui est certes un comble pour l’État qui légifère comme il veut, mais ne doit - il pas remplir de terreur le philistin et le révolutionnaire velléitaire et pousser l’opposition prolétarienne dans la voie des revendications stériles du légalitarisme, de la démocratie et du pacifisme ? La méthode a réussi - après l’abolition de la loi anti-socialiste en 1891 - avec la social-démocratie allemande, qui a fini par trahir le prolétariat dont elle prétendait défendre la cause. Mais, n’ont cessé de répéter Marx - Engels, elle ne doit pas mordre sur les marxistes révolutionnaires. Ceux-ci ne se laissent pas mystifier et savent que la force décidera le jour où la société sera en crise, ébranlant le géant aux pieds d’argile, qui sera abattu par la violence révolutionnaire, sous les yeux effarés de l’impuissante petite bourgeoisie.
Force et légalité

Les dirigeants sociaux-démocrates avaient déjà lâché pied une première fois devant les foudres de Bismarck au moment de la promulgation de la loi anti-socialiste (1879) par peur. Et Engels d’expliquer qu’ils étaient contaminés par l’esprit de servilité et de soumission, « ce vieux poison du philistinisme borné et de la veulerie petite - bourgeoise » : « il se trouve qu’au premier choc après les attentats et la loi anti-socialiste, les chefs se sont laissés gagner par la panique - ce qui prouve qu’eux-mêmes ont vécu beaucoup trop au milieu des philistins et se trouvent sous la pression de l’opinion petite - bourgeoise [11]. » La loi avait atteint son but mystificateur !

D’après la conception marxiste, le législateur et le juge expriment seulement la sentence de la FORCE, le droit dérivant de la force et non l’inverse. Bismarck, au moment de la promulgation de la loi anti-socialiste, le confirmait lui-même : A la suite d’attentats perpétrés par des malades mentaux contre le Kaiser, et faussement attribués aux sociaux-démocrates, Bismarck, par ce déni de justice mettait les socialistes hors la loi pour les écraser non seulement avec la rigueur des lois, mais encore avec l’arbitraire policier, la violence pure et simple. La loi apparaissait clairement pour ce qu’elle est dans ces passages de la violence à la légalité, puis l’illégalité et enfin à la violence ouverte sous couvert de la loi : C’était toujours la violence, dans un cas potentielle, dans l’autre cinétique. La violence ouverte, quand elle n’était pas appliquée, devait terroriser et paralyser l’adversaire, et lorsque celui-ci sortait de sa léthargie, c’était la violence ouverte, légale et illégale. La force est toujours en mouvement : si elle s’arrête devant les sociaux-démocrates, c’est parce qu’une force aussi puissante s’oppose à elle, lui fait contrepoids - comme le couvercle sur la marmite. Mais, pour les moralistes, la peur du gendarme avec quelques coups bas bien assénés suffit à les paralyser dans leur esprit et leurs actes.

La loi est une violence potentielle, qui couve et n’éclate que si la paralysie due à la terreur cesse. Dès que l’adversaire bouge de nouveau, alors la loi (la violence potentielle) devient cinétique, entre en mouvement, et c’est la violence répressive. Un exemple dans le domaine de la physique : entre deux fils du circuit électrique, immobiles et froids, il ne se produit aucun échange tant que nous ne les mettons pas en contact ; si nous approchons un conducteur, il se produit un dégagement d’étincelles, de chaleur, de lumière, avec de violents effets sur les muscles et sur les nerfs si ce conducteur est notre corps. Les deux fils inoffensifs avaient un certain potentiel énergétique qui est passé à l’état cinétique [12].

Quelle est l’attitude du marxisme ? Au moment de la promulgation de la loi anti-socialiste, Engels dit simplement : Considérons le rapport de forces entre Bismarck et nous ? Et après avoir constaté que « nous sommes dans le rapport de 1 à 8 », il conclut : il faudrait être fou pour rechercher maintenant le contact (et le heurt) ; nous l’établirons lorsque nous aurons une chance de l’emporter, « mais le parti révolutionnaire ne peut jamais se soumettre moralement, dans son for intérieur - par peur philistine - à la légalité ou à la terreur ». Il ne considère jamais que l’emploi de la violence est une simple rétorsion à une autre violence, mais aussi un moyen indispensable d’initiative politique.

Au cours même de la phase « idyllique », paisible du capitalisme à la fin du siècle dernier en Europe, Marx et Engels n’ont jamais considéré qu’il fallait renoncer à la violence. Durant toute cette période, le capitalisme « chargeait ses batteries », transformant toute la violence cinétique en potentielle : le développement industriel PACIFIQUE se faisait grâce au réarmement généralisé qui devait éclater avec la guerre en énergie cinétique - au moment de la crise industrielle. Autrement dit, la longue paix, où tous les antagonismes étaient étouffés, préparait la boucherie de la guerre [13].

L’erreur d’abord, la trahison de la social-démocratie ensuite, ce fut de croire que les antagonismes, au lieu de s’accumuler et d’éclater immanquablement, allaient s’atténuant, et de ne plus croire, qu’en les moyens légaux, pacifiques. Le développement idyllique les avait mystifiés. Mais que dire des socialistes et « communistes » d’aujourd’hui qui prônent le passage pacifique au socialisme, alors que la moindre levée de bouclier anti-capitaliste déchaîne des torrents de violence et que, même sans rébellion, le monde ne cesse d’être à feu et à sang : il leur faut non seulement renier la conception marxiste, mais encore fermer les yeux à la réalité moderne qui s’étale devant leurs yeux. Bref, si, pour le marxiste Lénine, les sociaux-démocrates furent des renégats, les partisans du passage pacifique au socialisme sont de nos jours des escrocs qui désarment le prolétariat devant le violence bourgeoise non seulement future, mais encore quotidienne.
Politique social-démocrate et communiste

La social-démocratie allemande est née dans un climat ardent de lutte de classe dans un pays où domine la terreur policière et bureaucratique et où la peur fait partie des réflexes nationaux petits bourgeois. Dans leurs écrits, Marx - Engels montrent que ces phénomènes n’ont rien de spécifiquement allemand, mais dépendent de l’intensité de l’exploitation capitaliste. Cet après - guerre a démontré que la terreur, atomique ou non, a triomphé de ce qu’on appelle fascisme, allemand ou nippon, et aggravé encore les phénomènes de la violence et de la terreur, destinés à tenir les masses dans la passivité et les soumettre aux colosses étatiques qui prétendent imposer leur loi sans conteste pour faire marcher leur économie et donc leurs profits.

La réponse à ce phénomène universel contemporain se trouve dans les directives données par Marx - Engels aux dirigeants du parti social-démocrate allemand, et leurs conseils sont plus actuels que jamais, aujourd’hui où tous les prétendus partis ouvriers mènent une politique crassement sociale-démocrate, qui n’était jamais celle de Marx - Engels eux-mêmes [14] et de toute façon n’a plus de justification historique de nos jours [15].

Bismarck avait encore pu mystifier la social-démocratie, à partir d’une base matérielle - bonapartiste - historiquement déterminée. En effet, comme la bourgeoisie allemande n’avait pas fait sa révolution, les rapports sociaux, économiques et politiques, n’étaient pas radicalement bourgeois en Allemagne après l’unité de 1871, de sorte qu’en face de la défaillance de la bourgeoisie, le prolétariat avait encore certaines tâches bourgeoises progressives à mettre en œuvre (droits démocratiques d’association, de presse, de réunion, etc.) avant de pouvoir instaurer son programme et son règne. Bref, il fallait encore tout un processus révolutionnaire progressif pour que la bourgeoisie qui, avec l’unité, avait connu un grand essor économique et social, règne politiquement aussi.

Après la chute de Bismarck en 1891, la bourgeoisie était en fait au pouvoir en Allemagne, et l’Empereur, se prenant pour l’homme fort, des puissances du passé, se mit à menacer la social-démocratie d’un coup d’État et d’une réédition de la loi anti-socialiste, qui ne pouvaient plus être qu’une parodie de la loi anti-socialiste, étant donné les nouveaux rapports de force où les forces semi-féodales n’étaient pratiquement plus au pouvoir et les forces capitalistes n’y étaient pas encore solidement installées. C’est alors que les sociaux-démocrates se laissèrent véritablement mystifier et changèrent leur programme révolutionnaire en programme de réforme démocratique, légalitariste et pacifiste, et devinrent des révisionnistes [16]. Certes, ils ne le crièrent pas sur les toits, tant qu’Engels vécut - au reste, il fallait qu’ils trompent aussi les masses.

Certes, au moment de cette espèce de vacance de pouvoir, les sociaux-démocrates ne purent passer à l’assaut révolutionnaire : la bourgeoisie sut éviter la crise aiguë, malgré le changement de ministère, car le rapport de forces dans le pays était encore de 1 à 7 en faveur des classes dominantes.

Le crime impardonnable des sociaux-démocrates fut alors qu’ils abandonnèrent définitivement les principes révolutionnaires, s’installant dans la légalité pour ne plus en bouger, même lorsque le rapport des forces fut bientôt en leur faveur dans le pays et que la crise sociale décisive était enfin arrivée. Ils couronnèrent leur trahison en acceptant la violence de leurs classes dominantes et en envoyant le prolétariat prendre une part active au carnage de la guerre impérialiste.

La révolution si longtemps attendue par Marx - Engels éclate enfin en 1918, et le formidable prolétariat allemand se battit comme jamais le prolétariat d’un pays pleinement développé ne l’avait fait jusque - là : durant près de quinze ans, il lutta pour renverser le capitalisme dans sa forteresse européenne, il renversa la bourgeoisie à Munich, en Saxe - Thuringe, relança l’assaut à Hambourg, à Berlin et dans dix autres villes ; même vaincu en 1923, il continua de lutter, de s’organiser et de s’agiter, lorsque l’Internationale était dégénérée et sa direction plus qu’incertaine. Sa défaite n’est pas due au manque de combativité des masses allemandes qu’Engels tenait toujours pour supérieures à leurs chefs. Elle est due à la trahison de la social-démocratie, - maudite depuis lors - qui fit échouer l’occasion unique en Allemagne. La victoire y eût sans doute été décisive pour le reste de l’humanité : en faisant pencher la balance en faveur du prolétariat, déjà victorieux en Russie.

Tactique d’Engels

Du fait de la prolétarisation rapide - à une époque où le prolétariat avait un sain instinct et une vive conscience politiques - les ouvriers d’Allemagne étaient devenus d’année en année plus nombreux et plus forts, alors que le régime bonapartiste (bismarckien) mi - féodal, mi - bourgeois devait s’affaiblir pour céder la place à un gouvernement bourgeois non encore solidement installé et expérimenté, ce qui permettait d’espérer une victoire relativement facile, presque pacifiquement, avec un peu d’initiative et d’énergie révolutionnaires. Engels écrivait : « C’est précisément cette absence de précipitation, ce progrès mesuré, mais sûr et irrésistible, qui a quelque chose de formidablement imposant et qui doit susciter chez nos gouvernants le même sentiment d’angoisse qu’éprouvait le prisonnier de l’Inquisition d’État à Venise à la vue des murs de sa cellule qui avançaient d’un pouce chaque jour, si bien qu’il pouvait calculer avec précision le jour où il devait être broyé entre les quatre murs [17]. »

Ce jour devait sonner, lorsque le rapport de forces changea en faveur du prolétariat. Mais alors il eût fallu que son parti soit encore révolutionnaire et constitue une menace réelle pour les classes dirigeantes. Or, le révisionnisme avait triomphé, et se fit le défenseur de la bourgeoisie capitaliste. Elle joua le rôle infâme du parti de la démocratie pure, contre les spartakistes révolutionnaires : « En ce qui concerne la démocratie pure et son rôle à l’avenir, je ne suis pas de ton avis [celui de Bebel]. Il est dans l’ordre des choses qu’elle jouera un rôle bien inférieur en Allemagne que dans les pays de développement industriel plus ancien. ’Mais cela n’empêche pas qu’au moment de la révolution elle prendra une importance MOMENTANÉE sous la forme d’un parti bourgeois autonome extrême, jouant le même rôle qu’à Francfort en 1848, lorsqu’elle fut la dernière planche de salut de l’économie bourgeoise et même féodale. Dans un tel moment, toute la masse réactionnaire se tiendra derrière elle et lui donnera une force accrue - tout ce qui est réactionnaire se donne alors des airs démocratiques [18]. » Lorsque l’édifice impérial s’effondra sous les coups de la révolution allemande de 1918, ce fut la renégate social-démocratie qui, portant la division au sein des ouvriers eux-mêmes, se transforma en ultime planche de salut de toutes les classes anti - prolétariennes et assassina Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, scellant la défaite du prolétariat le plus fort, le plus combatif et le plus conscient, au cœur de l’Europe, celui qui, en étendant la révolution de la Russie à l’Europe avancée eût réglé facilement un problème aujourd’hui infiniment difficile.
La contribution ineffaçable du prolétariat allemand

Si, en internationalistes prolétariens, Marx - Engels n’avaient jamais fondé de grands espoirs sur la bourgeoisie allemande [19], et ne se trompèrent pas, ils attendaient beaucoup de l’autre protagoniste de la révolution anti-féodale - le prolétariat allemand, et ce, non seulement pour l’Allemagne, mais tous les pays du monde. De par les conditions sociales, le prolétariat allemand n’avait - il pas une vocation spécifiquement « philosophique » ?

« Il saute aux yeux que le prolétariat allemand est le théoricien du prolétariat européen, comme le prolétariat anglais en fut l’économiste et le prolétariat français son politicien [20]. » Déjà les premiers soulèvements de l’embryon du prolétariat allemand qu’étaient les tisserands silésiens, avaient manifesté un « caractère plus théorique et conscient qu’aucun des soulèvements ouvriers précédents de France et d’Angleterre » (ibid).

En fait, le monde devait être plus profondément ébranlé sous « les coups du socialisme scientifique, cet apport du prolétariat allemand » que sous le fracas des révolutions anglaise ou française, car ils annonçaient la ruine de tout le monde bourgeois moderne et son remplacement inévitable par un monde humain, après le stade de la dictature du travail sur toutes les autres classes d’improductifs, d’oisifs et de parasites. Déjà sous la direction théorique de Marx - Engels, la Ligue des communistes allemands avait lancé dans le Manifeste du Parti communiste de 1848 le programme d’une société nouvelle et crié aux classes dirigeantes en place : « Malheur à toi, ô bourgeoisie ! » Le spectre du communisme qui hantait l’Europe et le monde, trouvait une base scientifique (développée jusque dans le détail par le Capital [21] et une organisation politique et militante efficiente dans la Première Internationale, conduite par Marx - Engels.

La social-démocratie allemande réalisa de manière exemplaire pour les ouvriers de tous les pays du monde la formule lancée par Marx - Engels dans le Manifeste en vue d’ORGANISER une force capable de renverser le système de domination bourgeois tout entier : la constitution du prolétariat en classe autonome et distincte de toutes les autres, donc en parti sur la base du socialisme scientifique comme condition sine qua non au succès de la lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie et de l’érection du prolétariat en classe dominante par la conquête du pouvoir politique.

Certes, les ouvriers anglais et surtout français avaient déjà tenté de renverser l’ordre bourgeois et de prendre en main le pouvoir d’État, mais le socialisme « allemand » avait théorisé scientifiquement ces tentatives et en avait concrétisé en tous lieux et à tout moment, bien avant l’assaut du pouvoir, la menace dans l’ORGANISATION durable, permanente et systématique des ouvriers.

La social-démocratie montre que, pour réussir à vaincre un ennemi qui s’est approprié tous les moyens matériels, les richesses et les armes de la société, le prolétariat doit se donner une organisation unitaire de classe rassemblant et dirigeant la classe la plus nombreuse de la société : force des moyens matériels contre force des masses humaines. Elle a donné au prolétariat de tous les pays l’exemple de l’organisation des masses en une armée de combattants qui, trente ou quarante ans avant l’assaut révolutionnaire, fait déjà trembler la bourgeoisie, pour laquelle tout ouvrier devient une menace, car elle voit se profiler derrière lui l’ouvrier organisé. C’est ce que Lénine avait bien compris.

Depuis que les ouvriers dans le monde entier cherchent à s’organiser sur la base du programme marxiste, que la social-démocratie allemande a fait triompher dans tous les partis de la Il° Internationale, la bourgeoisie, elle, a cessé de croire en la pérennité de son système capitaliste, et elle sait qu’elle mourra de mort violente. La social-démocratie fut le fruit décisif de Marx - Engels, en quelque sorte la pierre de touche de leur théorie - et leurs contemporains ne s’y sont pas trompés, eux qui les rendaient responsables des idées et de l’action du parti allemand. De fait, la social-démocratie allemande a démontré la justesse de la thèse fondamentale de Marx - Engels sur le parti : l’organisation du prolétariat est l’arme absolue qui seule permet de remporter la victoire finale : c’est en captant à leur profit l’organisation du prolétariat que les révisionnistes et autres renégats du marxisme eux-mêmes l’ont emporté ! Si les révolutionnaires ont parfois oublié cette leçon, les réformistes et autres traîtres l’ont toujours sue.

L’organisation n’est pas une forme neutre, mais dépend de son orientation, révolutionnaire ou opportuniste. La marge entre ces deux cours est extrêmement mince au commencement, lorsque le parti se cherche, hésite ou oscille parfois, et tout le recueil sur la social-démocratie montre la lutte acharnée de Marx - Engels pour contrecarrer les tendances opportunistes et imposer le cours révolutionnaire : Lénine ne cessa d’y puiser des leçons politiques pour la direction consciente de l’organe révolutionnaire.
La lutte théorique

Ce recueil réfute à chaque page l’affirmation éhontée selon laquelle Marx - Engels ont donné leur sanction au cours opportuniste qui a conduit la social-démocratie allemande à la trahison de 1914 : tant qu’ils vécurent, tous leurs efforts ont consisté, à l’inverse, à dénoncer la moindre déviation ou marchandage de principe, qui pouvait porter le parti dans cette direction.

Chaque page de ce recueil dénonce les faux disciples de Marx - Engels - ceux qui tentent non seulement de justifier leur opportunisme en se référant au marxisme, mais encore de discréditer ce même marxisme par une pratique contraire à ses principes, tout en se déclarant marxistes. Ils sont particulièrement dangereux, car ils discréditent la théorie et embrouillent toute vision de classe : ceux que Jupiter veut perdre, il les rend d’abord fous.

La social-démocratie a porté les heurts de classe jusque sur le terrain de la théorie, et le marxisme l’a emporté sur toutes les autres idéologie bourgeoises, petites bourgeoisies et ouvriéristes. Depuis lors, dit Lénine, le combat est mené au nom du marxisme jusque par ceux - là mêmes qui le combattent.

C’est dans la social-démocratie que l’adversaire insidieux a commencé à mener la lutte théorique pour démontrer d’abord que le marxisme était lacunaire, dépassé et erroné, puis, ne parvenant pas à vaincre sur ce terrain, il s’est mis à revendiquer le marxisme pour combattre les marxistes orthodoxes, révolutionnaires. Lénine a mené toute sa lutte sur le fonds de sa polémique contre le révisionnisme, et l’on a, bien tort de parler de léninisme, puisqu’il ne pensait qu’à restaurer le marxisme tout court.

Il savait d’expérience quelle arme puissante était le marxisme [22]. Combien de fois n’a-t-il pas dénoncé tel social-démocrate qui avait mis sous le boisseau un texte de Marx gênant pour lui ! La révolution russe de 1917 sortit de l’ombre une partie importante de l’œuvre de Marx - Engels, jusqu’à ce que Staline, avec ses thèses anti-marxistes, s’en prit d’abord à Engels, puis, ne pouvant se permettre d’aller bien loin dans cette voie, jugea qu’il valait mieux tuer par le silence ce qui le gênait le plus. Dans notre recueil, nous mentionnons dans les notes les lettres de Marx - Engels « qui n’ont pas été retrouvées », lorsqu’eux-mêmes y font allusion dans leur correspondance. On peut dire que plus leurs lettres aux dirigeants sociaux-démocrates sont louangeuses, moins elles ont de chance d’être « égarées », mais plus elles, sont dures, moins elles risquent d’avoir été conservées. C’est donc ici une critique minimale.

Les méthodes utilisées par les dirigeants sociaux-démocrates opportunistes et révisionnistes refleurirent de plus belle lorsque la III° Internationale se mit à dégénérer. Citons un exemple relatif à des textes sur la social-démocratie allemande : en 1932, les éditions de Moscou annonçaient la parution de la correspondance de Marx - Engels et des principaux dirigeants du mouvement allemand, ce qui était assurément une contribution importante à la connaissance de la social-démocratie allemande et de ses rapports avec le marxisme. Dès le premier volume [23], on pouvait être méfiant : Riazanov qui avait consacré sa vie à dénicher les textes de Marx - Engels, afin de les publier en Œuvres complètes venait d’être liquidé par Staline et, dans la préface, il était accusé d’avoir dissimulé les textes au lieu de les publier [24] ! Sur les deux volumes annoncés, il n’en parut qu’un seul, sur la période de 1870 - 1886 : la correspondance devenait gênante pour les nouvelles positions de Moscou - et le second volume de 1887 à 1895 ne parut jamais. Cet exemple d’un combat qui jette dans la balance l’homme et les principes a été amorcée par la social-démocratie, allemande et s’est généralisé de nos jours. Il témoigne de l’intensité de la lutte autour de la théorie révolutionnaire de Marx - Engels. Leurs principes ne sont - ils pas du feu ?

Roger Dangeville - 1975

Engels expliquait qu’il fallait insister sur ce que Marx avait dit de la Commune, à savoir qu’elle devait détruire la puissance de l’Etat tel qu’il était jusqu’ici. Il écrivait :
« Et l’on croit déjà avoir fait un pas prodigieusement hardi, quand on s’est affranchi de la foi en la monarchie héréditaire, et qu’on jure par la République démocratique. Mais, en réalité, l’Etat n’est rien d’autre qu’une machine pour l’oppression d’une classe par une autre, et cela, tout autant dans la République démocratique que dans la monarchie. »

En 1891, Engels écrivait son introduction à La Guerre Civile en France qui s’achevait par un message sans ambiguïté adressé à tous les éléments non révolutionnaires qui avaient commencé d’infiltrer le parti :
« Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat. »
En 1895, Engels publia, dans le journal du SPD Vorwarts, une introduction su livre de Marx Les luttes de classes en France, ce dernier développant l’analyse des événements de 1848. Dans son article, Engels argumente tout à fait correctement que l’époque où les révolutions pouvaient être accomplies par des minorités de la classe exploitée, en utilisant seulement les méthodes des batailles de rue et des barricades, était terminée et que la future conquête du pouvoir ne pouvait être que l’œuvre d’une classe ouvrière consciente et organisée massivement. Cela ne voulait pas dire qu’Engels rejetait les combats de rue et les barricades et qu’il ne les considérait pas comme faisant partie d’une stratégie révolutionnaire plus large. Mais, ces précisions furent supprimées par l’éditeur du Vorwarts. Engels protesta vivement dans une lettre adressée à Kautsky : « A ma grande surprise, je lis aujourd’hui dans le Vorwarts un extrait tiré de mon "Introduction", imprimée à mon insu et arrangée de telle sorte qu’on me fait apparaître comme un adorateur pacifique à tout prix de la légalité. »

Le coup monté vis-à-vis d’Engels fonctionna parfaitement : sa lettre de protestation ne fut pas publiée (elle ne l’a été qu’en 1924) et, durant ce laps de temps, les opportunistes ont pu utiliser pleinement son « Introduction » pour faire de lui leur mentor politique. D’autres, qui en général aiment à se présenter comme des révolutionnaires enragés, ont utilisé le même article pour justifier leur thèse selon laquelle Engels est devenu un vieux réformiste à la fin de sa vie et qu’il existe un vrai gouffre entre les visions de Marx et d’Engels sur ce point comme sur beaucoup d’autres.

Mais au delà du tripatouillage du texte par les opportunistes, un problème persistait. II fut mis en évidence par Rosa Luxemburg dans son dernier discours-lors du congrès de fondation du KPD en 1918. II est vrai qu’à ce moment-là, Luxemburg ne savait pas que les opportunistes avaient dénaturé les mots d’Engels. Mais ceci dit, elle trouva des faiblesses importantes dans certains articles qu’elle n’hésita pas, avec son style caractéristique, à soumettre à une critique marxiste rigoureuse.

Le problème posé à Rosa Luxemburg était le suivant : le nouveau parti communiste était en tain de se constituer. La révolution était dans les rues, l’année se désintégrait, les conseils d’ouvriers et de soldats se multipliaient à travers le pays et le marxisme « officiel » du parti social-démocrate - qui avait encore une énorme influence au sein de la classe en dépit du rôle que sa direction opportuniste avait joué durant la guerre - en appelait à l’autorité d’Engels pour justifier l’utilisation contre-révolutionnaire de la démocratie parlementaire comme antidote à la dictature du prolétariat.

Comme nous l’avons dit, Engels n’avait pas eu tort de mettre en avant que la vieille tactique de « 48 » du combat de rue plus ou moins désorganisé ne pouvait plus désormais être la méthode pour la prise de pouvoir par le prolétariat. Il a montré qu’il était impossible pour une minorité déterminée de prolétaires de s’attaquer aux armées modernes de la classe dominante. En effet, la bourgeoisie était tout à fait prête à provoquer de telles escarmouches afin de justifier une répression massive contre l’ensemble de la classe ouvrière (en fait, ce fut précisément la tactique qu’elle utilisa contre la révolution allemande quelques semaines après le congrès du KPD, en poussant les ouvriers de Berlin dans un soulèvement prématuré qui conduisit à la décapitation des forces révolutionnaires, y inclus Luxemburg elle-même). En conséquence, il soutint : « Un combat de rue ne peut donc à l’avenir être victorieux que si cette infériorité de situation est compensée par d’autres facteurs. Aussi se produira-t-il plus rarement au début d’une gronde révolution qu’au cours du développement de celle-ci, et il faudra l’entreprendre avec des forces plus grandes. Mais alors, celles-ci, comme dans l’ensemble de la grande Révolution française, le 4 septembre et le 31 octobre 1870 à Paris, préféreront sans doute l’attaque ouverte à la tactique passive de la barricade. » ([6]) En un sens, c’est précisément ce que la révolution russe a accompli. En se constituant lui-même en tant que force irrésistible organisée, le prolétariat y a été capable de renverser l’Etat bourgeois dans une insurrection bien planifiée et relativement sans effusion de sang en octobre 1917.

Le vrai problème est la façon avec laquelle Engels envisageait ce processus. Rosa Luxemburg avait devant les yeux l’exemple vivant de la révolution russe et son équivalent en Allemagne, où le prolétariat avait développé son auto-organisation à travers le processus de la grève de masse et la formation des soviets. Ces derniers étaient les formes d’action et d’organisation qui non seulement correspondaient à la nouvelle époque des guerres et des révolutions mais aussi, dans un sens plus profond, exprimaient la nature fondamentale du prolétariat comme classe qui ne peut affamer son pouvoir révolutionnaire qu’en faisant éclater en morceaux les règles et les institutions de la société de classes. La faiblesse fatale de l’argumentation d’Engels, en 1895, était d’insister sur le fait que le prolétariat devait construire ses forces à travers l’utilisation des institutions parlementaires, c’est-à-dire à travers des organismes spécifiques de cette même société bourgeoise qu’il avait à détruire. Là, Luxemburg part de ce qu’Engels a vraiment dit et elle critique ses véritables insuffisances.

« Ensuite il expose comment la situation a évoluée depuis, et en arrive à la question pratique des tâches du Parti en Allemagne. "La guerre de 1870-71 et la défaite de la Commune ont transporté momentanément le centre de gravité du mouvement ouvrier de la France vers l’Allemagne, comme Marx l’a prédit. A la France, il fallait naturellement des années pour se remettre de la saignée du mois de mai 1871. En Allemagne cependant, où l’avalanche des milliards français fit croître l’industrie comme dans l’atmosphère d’une serre chaude, la social-démocratie se développa bien plus vite et d’une manière plus tenace que le capitalisme lui-même. L’intelligence avec laquelle les ouvriers allemands utilisèrent le suffrage universel, introduit en 1866, a porté rapidement ses fruits. Tout le monde peut constater le développement extraordinaire du parti par des chiffres indiscutables."

Vient ensuite la fameuse énumération marquant l’accroissement des voix social-démocrates, d’une élection au Reichstag à l’autre, jusqu’à en compter des millions ; et voici ce qu’en conclut Engels : "Cette bonne utilisation du suffrage universel entraîna un tout nouveau mode de lutte du prolétariat, mode qui se développa rapidement. On s’aperçut que les administrations d’Etat dans lesquelles s’organise le pouvoir de la bourgeoisie offrent à la classe ouvrière d’autres moyens de combattre ces mêmes organisations d’Etat. On participa aux élections des parlements provinciaux, des conseils municipaux, des conseils de prud’hommes, on disputa à la bourgeoisie chaque poste. En toutes ces occasions, une bonne partie du prolétariat dit son mot. Et ainsi la bourgeoisie et le gouvernement en vinrent à craindre bien plus faction légale que faction illégale du parti ouvrier, bien plus les résultats de l’élection que ceux de la révolte". » ([7])

Luxemburg, tout en comprenant le rejet d’Engels de la vieille tactique du combat de rue, n’a pas hésité à mettre en avant les dangers inhérents à cette approche.

« Cette conception eut deux conséquences :

1°La lutte parlementaire, antithèse de l’action révolutionnaire directe du prolétariat, fut considérée comme seul moyen de la lutte de classe. C’était la chute dans le parlementarisme pur et simple.
2° L’organisation la plus puissante de l’Etat, son instrument le plus effectif resta complètement hors de cause. On prétendit conquérir le parlement, le faire servir à des fins prolétariennes, et l’armée, la masse des prolétaires en uniforme, fut supposée parfaitement inattaquable, comme si celui qui est soldat devait être dans tous les cas, et rester une fois pour toutes, le défenseur inébranlable de la classe dominante. Cette erreur jugée, du point de vue de nos expériences d’aujourd’hui, serait incompréhensible de la part d’un homme ayant une responsabilité à la tête de notre mouvement, si l’on ne savait pas dans quelles circonstances défait ce document historique a été rédigé. » ([8])

L’expérience de la vague révolutionnaire avait définitivement réfuté le scénario d’Engels. Loin d’être alarmée de l’utilisation de faction « constitutionnelle » par le prolétariat, la bourgeoisie avait compris que la démocratie parlementaire était son rempart le plus fiable contre le pouvoir des conseils ouvriers. Toute faction de la social-démocratie (conduite par d’éminents parlementaires parmi les plus réceptifs aux influences bourgeoises) n’avait pour but que de persuader les ouvriers d’inféoder leurs propres organes de classe, les conseils, à l’assemblée nationale supposée plus « représentative N. Par ailleurs, la révolution en Russie et en Allemagne avait clairement révélé la capacité de la classe ouvrière, à travers son action et sa propagande révolutionnaires, à désintégrer les armées de la bourgeoisie et à gagner la masse des soldats à la cause de la révolution.
Ainsi Luxemburg n’a pas hésité à qualifier l’approche d’Engels de « bévue ». Mais elle n’a pas conclu de cela qu’Engels avait cessé d’être un révolutionnaire. Elle était convaincue qu’il aurait reconnu son erreur à la lumière de l’expérience la plus récente : « Tous ceux qui connaissent les travaux de Marx et d’Engels, tous ceux qui sont bien instruits de leur authentique esprit révolutionnaire qui a inspiré tous leurs enseignements et tous leur écrits, seront absolument sûrs qu’Engels aurait été le premier à protester contre la débauche de parlementarisme, contre le gaspillage des énergies du mouvement ouvrier, qui était caractéristique en Allemagne durant les décennies précédant la guerre. »

Luxemburg poursuivit en fournissant un cadre pour comprendre l’erreur faite par Engels : « Il y a soixante dix ans, lorsqu’on révisa les erreurs, les illusions de 1848, on croyait que le prolétariat avait un chemin infiniment long à parcourir jusqu’à ce que le socialisme puisse, devenir une réalité, c’est ce qui ressort de chaque ligne de la préface en question, qu’Engels a écrite en 1895. » En d’autres termes, Engels écrivait dans une période où la lutte directe pour la révolution n’était pas encore à l’ordre du jour ; l’effondrement de la société capitaliste n’était pas encore devenue une réalité tangible comme ce sera le cas en 1917. Dans de telles circonstances, il n’était pas possible pour le mouvement ouvrier de développer une vision totalement lucide de sa route vers le pouvoir. En particulier, la distinction nécessaire, conservée dans le Programme d’Erfurt, entre le programme minimum des réformes économiques et politiques et le programme maximum du socialisme, contenait le danger que ce dernier soit subordonné au premier ; il en était de même pour l’utilisation du parlement qui avait représenté une tactique valable dans la lutte pour des réformes mais risquait de devenir une fin en soi.

Luxemburg a montré que même Engels n’avait pas été immunisé contre une certaine confusion sur ce point. Mais elle reconnaissait également que le vrai problème résidait dans les courants politiques qui incarnaient activement les dangers rencontrés par les partis sociaux-démocrates de cette période, c’est-à-dire les opportunistes et ceux qui les couvraient à la direction du parti. C’était en particulier ces derniers qui avaient consciemment manipulé Engels aboutissant à un résultat très éloigné de ses intentions : « Je dois vous rappeler le fait bien connu que la préface en question a été écrite par Engels sous une forte pression de la part du groupe parlementaire. A cette époque en Allemagne, au début des années quatre vingt dix après l’abrogation des lois antisocialistes, il se produisit un fort mouvement vers la gauche, le mouvement de ceux qui voulaient empêcher le parti d’être complètement absorbé dans la lutte parlementaire. Bebel et ses fidèles cherchaient des arguments convaincants, soutenus par la grande autorité d’Engels ; ils souhaitaient une formulation qui les aiderait à maintenir une main ferme sur les éléments révolutionnaires. » ([9]) Comme nous l’avons dit au début, le combat pour un programme révolutionnaire est toujours un combat contre l’opportunisme dans les rangs du prolétariat ; de même, l’opportunisme est toujours prêt à s’emparer de la moindre défaillance dans la vigilance et la concentration des révolutionnaires et utiliser leurs erreurs à ses propres fins.

Kautsky : l’erreur devient l’orthodoxie

« Entre les mains d’un Kautsky le "marxisme" servit à dénoncer et à briser toute résistance contre le parlementarisme... Toute résistance de cette sorte était excommuniée comme anarchisme, comme anarcho-syndicalisme, ou antimarxisme. Le marxisme officiel servit de couverture à toutes les déviations et à tous les abandons de la véritable lutte de classe révolutionnaire, à toute cette politique de semi position qui condamnait la social-démocratie allemande, et le mouvement ouvrier en général, y compris le mouvement syndical, à s’emprisonner volontairement dans les cadres et sur le terrain de la société capitaliste, sans volonté sérieuse de l’ébranler et de la faire sortir de ses gonds ». ([10]).

Nous ne faisons pas partie de cette école moderniste de pensée qui aime à présenter Karl Kautsky comme la source de tout ce qui était mauvais dans les partis sociaux-démocrates. Il est vrai que son nom est souvent associé à de profondes erreurs théoriques - telle sa théorie de la conscience socialiste comme produit des intellectuels, ou son concept d’ultra-impérialisme. Et de fait, Kautsky devint au bout du compte un renégat du marxisme, pour employer le propre terme de Lénine, surtout à cause de son rejet de la révolution d’Octobre. De telles erreurs font qu’il est souvent difficile de se rappeler que Kautsky était véritablement un marxiste avant de devenir un renégat. Tout comme Bebel, il avait défendu la continuité du marxisme à de nombreux moments cruciaux de la vie du parti. Mais comme Bebel, ainsi que beaucoup d’autres de sa génération, sa compréhension du marxisme révéla plus tard qu’elle souffrait d’un nombre significatif de faiblesses ; celles-ci, en retour, reflétaient des faiblesses plus répandues, des faiblesses du mouvement en général. Dans le cas de Kautsky, c’était avant tout son « destin » de devenir le champion d’une approche qui, au lieu de soumettre à la critique les erreurs contingentes du mouvement révolutionnaire du passé du fait des conditions matérielles changeantes, figea ces erreurs en une « orthodoxie »non contestable.

Comme nous l’avons vu, Kautsky ferrailla souvent contre les révisionnistes de droite dans le parti, d’où sa réputation de pilier du marxisme « orthodoxe ». Mais si nous regardons un peu plus profondément la façon dont il mena la bataille contre le révisionnisme, nous voyons aussi pourquoi cette orthodoxie était en réalité une forme de centrisme, une manière de concilier avec l’opportunisme ; et c’était le cas bien avant que Kautsky, qui se voulait à mi-chemin entre les « excès de droite et de gauche », ne revendique ouvertement le label de centriste. Les hésitations de Kautsky pour mener une lutte intransigeante contre le révisionnisme se sont révélées dès la parution des articles de Bernstein, quand son amitié personnelle avec ce dernier le fit hésiter quelques temps avant de lui répondre politiquement. Mais la tendance de Kautsky à concilier avec le réformisme est allée plus loin que cela comme le notait Lénine dans L Etat et la Révolution :

« Chose infiniment plus grave encore (que les hésitations de Kautsky dans sa lutte contre Bernstein) jusque dans sa polémique avec les opportunistes, dans sa manière de poser et de traiter le problème nous constatons maintenant, en étudiant l’histoire de la récente trahison de Kautsky envers le marxisme, une déviation constante vers l’opportunisme, précisément dans la question de 1’ Etat. » ([11]) Un des travaux que Lénine choisit pour illustrer cette déviation fut celui dont la forme est celle d’une réfutation en règle du révisionnisme mais dont le véritable contenu révèle sa tendance croissante à s’en accommoder. Il s’agit de son livre La révolution sociale, publié en 1902.
Dans ce livre, Kautsky nous fournit quelques arguments marxistes très solides contre les principales « révisions » mises en avant par Bernstein et ses adeptes. Contre leur argumentation (qui nous est si familière aujourd’hui) - selon laquelle le développement des classes moyennes mène à une atténuation des antagonismes de classe, ce qui revient à dire que le conflit entre la bourgeoisie et le prolétariat peut se résoudre dans le cadre de la société capitaliste - Kautsky répondit en insistant, comme Marx l’avait fait, sur le fait que l’exploitation de la classe ouvrière augmentait en intensité, que l’Etat capitaliste devenait plus et non pas moins oppressif et que cela exacerbait plutôt que cela n’atténuait les antagonismes de classe : « plus... la classe dominante les soutient avec l’appareil d’Etat et l’emploie abusivement pour les desseins de l’exploitation et de l’oppression, plus l’animosité du prolétariat contre elles grandit, la haine de classe croît, et les efforts pour conquérir la machine d’Etat augmente en intensité. » ([12])

De même, Kautsky réfuta l’argumentation selon laquelle le développement des institutions rendait la révolution sociale superflue et que « par l’exercice des droits démocratiques dans la situation présente la société capitaliste s’avance graduellement et sans aucun heurt vers le socialisme. Par conséquent, la conquête révolutionnaire du pouvoir politique par le prolétariat n’est pas nécessaire, et les efforts vers elle sont directement nuisibles, puisqu’il suffit qu’ils interfèrent lentement mais sûrement dans ce processus en cours . » ([13]) Kautsky affirma que ceci était une illusion parce que, s’il est vrai que le nombre des élus socialistes étaient en augmentation, « simultanément avec cela, la démocratie bourgeoise part en morceaux » ([14]) ; « le Parlement qui autrefois était un moyen défaire pression sur le gouvernement sur la route du progrès, devient de plus en plus le moyen d’annuler les petits progrès que /es conditions contraignent le gouvernement à faire. Dans la mesure où la classe qui domine à travers le parlementarisme est devenue superflue et même nuisible, la machine parlementaire perd toute signification . » ([15]) Cela montrait une grande perspicacité vis-à-vis des conditions qui se développeraient de plus en plus à mesure que le capitalisme approcherait de son époque de décadence qui mettraient en évidence le déclin du parlement même en tant que tribune de conflits inter-bourgeois (que le parti ouvrier pouvait parfois exploiter à son profit), sa transformation en une simple feuille de vigne masquant un appareil d’Etat de plus en plus bureaucratique et militariste. Kautsky reconnaissait même que, étant donné la vacuité des organes « démocratiques » de la bourgeoisie, l’arme de la grève - y inclus- la grève politique de masse dont les contours étaient déjà apparus en France et en Belgique - « jouera un grand rôle dans les combats révolutionnaires du futur. » ([16])

Cependant, Kautsky ne fut jamais capable de pousser ces arguments jusqu’à leur conclusion logique. Si le parlementarisme bourgeois était en déclin, si les ouvriers étaient en train de développer de nouvelles formes d’action comme la grève de masse, tous ces éléments étaient des signes de l’approche d’une nouvelle époque révolutionnaire dans laquelle l’axe central de la lutte de classe était en train de s’éloigner de façon définitive de l’arène parlementaire et de se placer sur le terrain de classe spécifique au prolétariat, dans les usines et la rue. En effet, loin de voir les implications du déclin du parlementarisme, Kautsky tira de cela la plus réactionnaire des conclusions, que la mission du prolétariat était de sauver et ranimer cette démocratie bourgeoise moribonde :

« Le parlementarisme... devient toujours plus sénile et impuissant, et ne peut retrouver une nouvelle jeunesse et force que lorsque, à l’instar de tout le pouvoir gouvernemental dans son ensemble, il sera conquis par le prolétariat renaissant et mis au service de son but. Le parlementarisme, loin de rendre la révolution inutilisable et superflue, a besoin d’une révolution pour être revivifier. » ([17])

Ces visions n’étaient pas, comme dans le cas d’Engels, en contradiction avec les nombreux autres arguments bien plus clairs. Ils constituaient un fil rouge dans la pensée de Kautsky, renvoyant en partie à ses commentaires sur le Programme d’Erfurt au début des années 1890 et anticipant son œuvre bien connue Le chemin du pouvoir en 1910. Cette dernière œuvre scandalisa les réformistes déclarés avec son affirmation audacieuse selon laquelle « l’ère révolutionnaire a commencé », mais elle maintenait la même vision conservatrice sur la prise du pouvoir. Commentant ces deux travaux dans L’Etat et la Révolution,Lénine était particulièrement frappé par le fait que, nulle part dans ces livres, Kautsky ne défendait la position classique du marxisme sur la nécessité de détruire l’appareil d`Etat bourgeois et de le remplacer par un Etat-Commune :
« Dans cette brochure (La Révolution Sociale), il est partout question de la conquête du pouvoir d’Etat, sans plus ; c’est-à dire que l’auteur a choisi une formule qui est une concession aux opportunistes, puisqu’elle admet la conquête du pouvoir sans la destruction de la machine d’Etat. Kautsky ressuscite en 1902 précisément ce qu’en 1872 Marx déclarait "périmé" dons le programme du Manifeste communiste. »

Avec Kautsky, et avec le marxisme officiel de la deuxième Internationale, le parlementarisme était devenu un dogme immuable.

[6] Introduction à Les luttes de classes en France.

[7] Luxemburg, « Discours sur le Programme du Congrès de fondation du KPD. »

[8] Ibid.

[9] Traduit de l’anglais par nous.

[10] Luxemburg, « Discours sur le Programme du Congrès de fondation du KPD »

[11] Chapitre VI, 2, « Polémique de Kautsky avec les opportunistes ».

[12] The Social Revolution, Chicago, 1916, p. 36-7, traduit de l’anglais par nous.

[13] Ibid. p. 66.

[14] Ibid. p. 75.

[15] Ibid. p. 78-79.

[16] Ibid. p. 90.

[17] Ibid. p. 79-80.

Citation du CCI

Rosa Luxemburg écrivait dans Socialisme ou Barbarie ? (1915)

La chute de la Commune de Paris avait scellé la première phase du mouvement ouvrier européen et la fin de la Ire Internationale. A partir de là commença une phase nouvelle. Aux révolutions spontanées, aux soulèvements, aux combats sur les barricades, après lesquels le prolétariat retombait chaque fois dans son état passif, se substitua alors la lutte quotidienne systématique, l’utilisation du parlementarisme bourgeois, l’organisation des masses, le mariage de la lutte économique et de la lutte politique, le mariage de l’idéal socialiste avec la défense opiniâtre des intérêts quotidiens immédiats. Pour la première fois, la cause du prolétariat et de son émancipation voyait briller devant elle une étoile pour la guider : une doctrine scientifique rigoureuse. A la place des sectes, des écoles, des utopies, des expériences que chacun faisait pour soi dans son propre pays, on avait un fondement théorique international, base commune qui faisait converger les différents pays en un faisceau unique. La théorie marxiste mit entre les mains de la classe ouvrière du monde entier une boussole qui lui permettait de trouver sa route dans le tourbillon des événements de chaque jour et d’orienter sa tactique de combat à chaque heure en direction du but final, immuable.

C’est le parti social-démocrate allemand qui se fit le représentant, le champion et le gardien de cette nouvelle méthode. La guerre de 1870 et la défaite de la Commune de Paris avaient déplacé vers l’Allemagne le centre de gravité du mouvement ouvrier européen. De même que la France avait été le lieu par excellence de la lutte de classe prolétarienne pendant cette première phase, de même que Paris avait été le coeur palpitant et saignant de la classe ouvrière européenne à cette époque, de même la classe ouvrière allemande devint l’avant-garde au cours de la deuxième phase. Au prix de sacrifices innombrables, par un travail minutieux et infatigable, elle a édifié une organisation exemplaire, la plus forte de toutes ; elle a créé la presse la plus nombreuse, donné naissance aux moyens de formation et d’éducation les plus efficaces, rassemblé autour d’elle les masses d’électeurs les plus considérables et obtenu le plus grand nombre de sièges de députés. La social-démocratie allemande passait pour l’incarnation la plus pure du socialisme marxiste. Le parti social-démocrate occupait et revendiquait une place d’exception en tant que maître et guide de la II° Internationale. En 1895, Friedrich Engels écrivit dans sa préface célèbre à l’ouvrage de Marx les luttes de classes en France :

« Mais, quoi qu’il arrive dans d’autres pays, la social-démocratie allemande a une position particulière et, de ce fait, du moins dans l’immédiat, aussi une tâche particulière. Les deux millions d’électeurs qu’elle envoie aux urnes, y compris les jeunes gens et les femmes qui sont derrière eux en qualité de non-électeurs, constituent la masse la plus nombreuse et la plus compacte, le " groupe de choc " décisif de l’armée prolétarienne internationale. »

La social-démocratie allemande était, comme l’écrivit la Wiener Arbeiterzeitung le 5 août 1914 « le joyau de l’organisation du prolétariat conscient. » La social-démocratie française, italienne et belge, les mouvements ouvriers de Hollande, de Scandinavie, de Suisse et des États-Unis marchaient sur ses traces avec un zèle toujours croissant. Quant aux Slaves, les Russes et les sociaux-démocrates des Balkans, ils la regardaient avec une admiration sans bornes, pour ainsi dire inconditionnelle. Dans la II° Internationale, le « groupe de choc » allemand avait un rôle prépondérant. Pendant les congrès, au cours des sessions du bureau de l’Internationale socialiste, tout était suspendu à l’opinion des Allemands. En particulier lors des débats sur les problèmes posés par la lutte contre le militarisme et sur la question de la guerre, la position de la social-démocratie allemande était toujours déterminante. « Pour nous autres Allemands, ceci est inacceptable » suffisait régulièrement à décider de l’orientation de l’Internationale. Avec une confiance aveugle, celle-ci s’en remettait à la direction de la puissante social-démocratie allemande tant admirée : elle était l’orgueil de chaque socialiste et la terreur des classes dirigeantes dans tous les pays.

Et à quoi avons-nous assisté en Allemagne au moment de la grande épreuve historique ? A la chute la plus catastrophique, à l’effondrement le plus formidable. Nulle part l’organisation du prolétariat n’a été mise aussi totalement au service de l’impérialisme, nulle part l’état de siège n’est supporté avec aussi peu de résistance, nulle part la presse n’est autant bâillonnée, l’opinion publique autant étranglée, la lutte de classe économique et politique de la classe ouvrière aussi totalement abandonnée qu’en Allemagne.

Or, la social-démocratie allemande n’était pas seulement l’avant-garde la plus forte de l’Internationale, elle était aussi son cerveau. Aussi faut-il commencer par elle, par l’analyse de sa chute ; c’est par l’étude de son cas que doit commencer le procès d’autoréflexion. C’est pour elle une tâche d’honneur que de devancer tout le monde pour le salut du socialisme international, c’est-à-dire de procéder la première à une autocritique impitoyable. Aucun autre parti, aucune autre classe de la société bourgeoise ne peut étaler ses propres fautes à la face du monde, ne peut montrer ses propres faiblesses dans le miroir clair de la critique, car ce miroir lui ferait voir en même temps les limites historiques qui se dressent devant elle et, derrière elle, son destin. La classe ouvrière, elle, ose hardiment regarder la vérité en face, même si cette vérité constitue pour elle l’accusation la plus dure, car sa faiblesse n’est qu’un errement et la loi impérieuse de l’histoire lui redonne la force, lui garantit sa victoire finale.

L’autocritique impitoyable n’est pas seulement pour la classe ouvrière un droit vital, c’est aussi pour elle le devoir suprême. Sur notre navire, nous transportions les trésors les plus précieux de l’humanité confiés à la garde du prolétariat, et tandis que la société bourgeoise, flétrie et déshonorée par l’orgie sanglante de la guerre, continue de se précipiter vers sa perte, il faut que le prolétariat international se reprenne, et il le fera, pour ramasser les trésors que, dans un moment de confusion et de faiblesse au milieu du tourbillon déchaîné de la guerre mondiale, il a laissé couler dans l’abîme.

Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. C’est une folie insensée de s’imaginer que nous n’avons qu’à laisser passer la guerre, comme le lièvre attend la fin de l’orage sous un buisson pour reprendre ensuite gaiement son petit train. La guerre mondiale a changé les conditions de notre lutte et nous a changés nous-mêmes radicalement. Non que les lois fondamentales de l’évolution capitaliste, le combat de vie et de mort entre le capital et le travail, doivent connaître une déviation ou un adoucissement. Maintenant déjà, au milieu de la guerre, les masques tombent et les vieux traits que nous connaissons si bien nous regardent en ricanant. Mais à la suite de l’éruption du volcan impérialiste, le rythme de l’évolution a reçu une impulsion si violente qu’à côté des conflits qui vont surgir au sein de la société et à côté de l’immensité des tâches qui attendent le prolétariat socialiste dans l’immédiat toute l’histoire du mouvement ouvrier semble n’avoir été jusqu’ici qu’une époque paradisiaque.

Historiquement, cette guerre était appelée à favoriser puissamment la cause du prolétariat. Chez Marx qui, avec un regard prophétique, a découvert au sein du futur tant d’événements historiques, on peut trouver dans les luttes de classes en France ce remarquable passage :

« En France, le petit bourgeois fait ce que, normalement, devrait faire le bourgeois industriel ; l’ouvrier fait ce qui, normalement, serait la tâche du petit-bourgeois ; et la tâche de l’ouvrier, qui l’accomplit ? Personne. On ne la résout pas en France, en France on la proclame. Elle n’est nulle part résolue dans les limites de la nation ; la guerre de classes au sein de la société française s’élargit en une guerre mondiale où les nations se trouvent face à face. La solution ne commence qu’au moment où, par la guerre mondiale, le prolétariat est mis à la tête du peuple qui domine le marché mondial, à la tête de l’Angleterre. La révolution, trouvant là non son terme, mais son commencement d’organisation, n’est pas une révolution au souffle court. La génération actuelle ressemble aux Juifs que Moïse conduit à travers le désert. Elle n’a pas seulement un nouveau monde à conquérir, il faut qu’elle périsse pour faire place aux hommes qui seront à la hauteur du nouveau monde. »

Ceci fut écrit en 1850, à une époque où l’Angleterre était le seul pays capitaliste développé, où le prolétariat anglais était le mieux organisé et semblait appelé à prendre la tête de la classe ouvrière internationale grâce à l’essor économique de son pays. Remplacez l’Angleterre par l’Allemagne et les paroles de Marx apparaissent comme une préfiguration géniale de la guerre mondiale actuelle. Cette guerre était appelée à mettre le prolétariat allemand à la tête du peuple et ainsi à produire un « début d’organisation » en vue du grand conflit général international entre le Capital et le Travail pour le pouvoir politique.

Et quant à nous, avons-nous présenté d’une façon différente le rôle de la classe ouvrière dans la guerre mondiale ? Rappelons-nous comment naguère encore nous décrivions l’avenir :

« Alors arrivera la catastrophe. Alors sonnera en Europe l’heure de la marche générale, qui conduira sur le champ de bataille de 16 à 18 millions d’hommes, la fleur des différentes nations, équipés des meilleurs instruments de mort et dressés les uns contre les autres. Mais, à mon avis, derrière la grande marche générale, il y a le grand chambardement. Ce n’est pas de notre faute : c’est de leur faute. Ils poussent les choses à leur comble. Ils vont provoquer une catastrophe. Ils récolteront ce qu’ils ont semé. Le crépuscule des dieux du monde bourgeois approche. Soyez-en sûrs, il approche ! »

Voilà ce que déclarait l’orateur de notre fraction, Bebel, au cours du débat sur le Maroc au Reichstag.

Le tract officiel du parti, Impérialisme ou Socialisme, qui a été diffusé il y a quelques années à des centaines de milliers d’exemplaires, s’achevait sur ces mots :

« Ainsi la lutte contre le capitalisme se transforme de plus en plus en un combat décisif entre le Capital et le Travail. Danger de guerre, disette et capitalisme - ou paix, prospérité pour tous, socialisme ; voilà les termes de l’alternative. L’histoire va au-devant de grandes décisions. Le prolétariat doit inlassablement oeuvrer à sa tâche historique, renforcer la puissance de son organisation, la clarté de sa connaissance. Dès lors, quoi qu’il puisse arriver, soit que, par la force qu’il représente, il réussisse à épargner à l’humanité le cauchemar abominable d’une guerre mondiale, soit que le monde capitaliste ne puisse périr et s’abîmer dans le gouffre de l’histoire que comme il en est né, c’est-à-dire dans le sang et la violence, à l’heure historique la classe ouvrière sera prête et le tout est d’être prêt. »

Dans le Manuel pour les électeurs sociaux-démocrates de l’année 1911, destiné aux dernières élections parlementaires, on peut lire à la page 42, à propos de la guerre redoutée :

« Est-ce que nos dirigeants et nos classes dirigeantes croient pouvoir exiger de la part des peuples une pareille monstruosité ? Est-ce qu’un cri d’effroi, de colère et d’indignation ne va pas s’emparer d’eux et les amener à mettre fin à cet assassinat ? »
« Ne vont-ils pas se demander : pour qui et pourquoi tout cela ? Sommes-nous donc des malades mentaux, pour être ainsi traités ou pour nous laisser traiter de la sorte ? »
« Celui qui examine à tête reposée la possibilité d’une grande guerre européenne ne peut aboutir qu’à la conclusion que voici : »
« La prochaine guerre européenne sera un jeu de va-tout sans précédent dans l’histoire du monde, ce sera selon toute probabilité la dernière guerre. »

C’est dans ce langage et en ces termes que nos actuels députés au Reichstag firent campagne pour leurs 110 mandats.

Lorsqu’en été 1911 le saut de panthère de l’impérialisme allemand sur Agadir et ses cris de sorcière eurent rendu imminent le péril d’une guerre européenne, une assemblée internationale réunie à Londres adopta le 4 août la résolution suivante :

« Les délégués allemands, espagnols, anglais, hollandais et français des organisations ouvrières se déclarent prêts à s’opposer avec tous les moyens dont ils disposent à toute déclaration de guerre. Chaque nation représentée prend l’engagement d’agir contre toutes les menées criminelles des classes dirigeantes, conformément aux décisions de son Congrès national et du Congrès international. »

Cependant, lorsqu’en novembre 1912 le Congrès international se réunit à Bâle, alors que le long cortège des délégués ouvriers arrivait à la cathédrale, tous ceux qui étaient présents furent saisis d’un frisson devant la solennité de l’heure fatale qui approchait et ils furent pénétrés d’un sentiment d’héroique détermination.

Le froid et sceptique Victor Adler s’écriait :

« Camarades, il est capital que, nous retrouvant ici à la source commune de notre pouvoir, nous y puisions la force de faire ce que nous pouvons dans nos pays respectifs, selon les formes et les moyens dont nous disposons et avec tout le pouvoir que nous possédons, pour nous opposer au crime de la guerre. Et si cela devait s’accomplir, si cela devait réellement s’accomplir, alors nous devons tâcher que ce soit une pierre, une pierre de la fin. »
« Voilà le sentiment qui anime toute l’Internationale. »
« Et si le meurtre et le feu et la pestilence se répandent à travers l’Europe civilisée - nous ne pouvons y penser qu’en frémissant et la révolte et l’indignation nous déchirent le coeur. Et nous nous demandons : les hommes, les prolétaires, sont-ils vraiment encore des moutons, pour qu’ils puissent se laisser mener à l’abattoir sans broncher ?... »

Troelstra prit la parole au nom des « petites nations » ainsi qu’au nom de la Belgique :

« Le prolétariat des petits pays se tient corps et âme à la disposition de l’Internationale pour tout ce qu’elle décidera en vue d’écarter la menace de guerre. Nous exprimons à nouveau l’espoir que, si un jour les classes dirigeantes des grands États appellent aux armes les fils de leur prolétariat pour assouvir la cupidité et le despotisme de leurs gouvernements dans le sang des petits peuples et sur leur sol - alors, grâce à l’influence puissante de leurs parents prolétaires et de la presse prolétarienne, les fils du prolétariat y regarderont à deux fois avant de nous faire du mal à nous, leurs amis et leurs frères, pour servir cette entreprise contraire à la civilisation. »

Et après avoir lu le manifeste contre la guerre au nom du bureau de l’Internationale, Jaurès conclut ainsi son discours :

« L’Internationale représente toutes les forces morales du monde ! Et si sonnait un jour l’heure tragique qui exige de nous que nous nous livrions tout entiers, cette idée nous soutiendrait et nous fortifierait. Ce n’est pas à la légère, mais bien du plus profond de notre être que nous déclarons : nous sommes prêts à tous les sacrifices ! »

C’était comme un serment de Rutli. Le monde entier avait les yeux fixés sur la cathédrale de Bâle, où les cloches sonnaient d’un air grave et solennel pour annoncer la grande bataille à venir entre l’armée du Travail et la puissance du Capital.

Le 3 décembre 1912, David, l’orateur du groupe social-démocrate, déclarait au Reichstag :

« Ce fut une des plus belles heures de ma vie, je l’avoue. Lorsque les cloches de la cathédrale accompagnèrent le cortège des sociaux-démocrates internationaux, lorsque les drapeaux rouges se disposaient dans le choeur de l’église autour de l’autel, et que le son de l’orgue saluait les délégués des peuples qui venaient proclamer la paix - j’en ai gardé une impression absolument inoubliable. ... Les masses cessent d’être des troupeaux dociles et abrutis. C’est un élément nouveau dans l’histoire. Auparavant les peuples se laissaient aveuglément exciter les uns contre les autres par ceux qui avaient intérêt à la guerre, et se laissaient conduire au meurtre massif. Cette époque est révolue. Les masses se refusent désormais à être les instruments passifs et les satellites d’un intérêt de guerre, quel qu’il soit. »

Une semaine encore avant que la guerre n’éclate, le 26 juillet 1914, les journaux du parti allemand écrivaient :

« Nous ne sommes pas des marionnettes, nous combattons avec toute notre énergie un système qui fait des hommes des instruments passifs de circonstances qui agissent aveuglément, de ce capitalisme qui se prépare à transformer une Europe qui aspire à la paix en une boucherie fumante. Si ce processus de dégradation suit son cours, si la volonté de paix résolue du prolétariat allemand et international qui apparaîtra au cours des prochains jours dans de puissantes manifestations ne devait pas être en mesure de détourner la guerre mondiale, alors, qu’elle soit à moins la dernière guerre, qu’elle devienne le crépuscule des dieux du capitalisme. » (Frankfurter Volksstimme.)

Le 30 juillet 1914, l’organe central de la social-démocratie allemande s’écriait :

« Le prolétariat socialiste allemand décline toute responsabilité pour les événements qu’une classe dirigeante aveuglée jusqu’à la démence est en train de provoquer. Il sait que pour lui une nouvelle vie s’élèvera des ruines. Les responsables, ce sont ceux qui aujourd’hui détiennent le pouvoir ! »
« Pour eux, il s’agit d’une question de vie ou de mort ! »
« L’histoire du monde est le tribunal du monde. »

Et c’est alors que survint cet événement inoui, sans précédent : le 4 août 1914.

Cela devait-il arriver ainsi ? Un événement d’une telle portée n’est certes pas le fait du hasard. Il doit résulter de causes objectives profondes et étendues. Cependant ces causes peuvent résider aussi dans les erreurs de la social-démocratie qui était le guide du prolétariat, dans la faiblesse de notre volonté de lutte, de notre courage, de notre conviction. Le socialisme scientifique nous a appris à comprendre les lois objectives du développement historique. Les hommes ne font pas leur histoire de toutes pièces. Mais ils la font eux-mêmes. Le prolétariat dépend dans son action du degré de développement social de l’époque, mais l’évolution sociale ne se fait pas non plus en dehors du prolétariat, celui-ci est son impulsion et sa cause, tout autant que son produit et sa conséquence. Son action fait partie de l’histoire tout en contribuant à la déterminer. Et si nous pouvons aussi peu nous détacher de l’évolution historique que l’homme de son ombre, nous pouvons cependant bien l’accélérer ou la retarder.

Dans l’histoire, le socialisme est le premier mouvement populaire qui se fixe comme but, et qui soit chargé par l’histoire, de donner à l’action sociale des hommes un sens conscient, d’introduire dans l’histoire une pensée méthodique et, par là, une volonté libre. Voilà pourquoi Friedrich Engels dit que la victoire définitive du prolétariat socialiste constitue un bond qui fait passer l’humanité du règne animal au règne de la liberté. Mais ce « bond » lui-même n’est pas étranger aux lois d’airain de l’histoire, il est lié aux milliers d’échelons précédents de l’évolution, une évolution douloureuse et bien trop lente. Et ce bond ne saurait être accompli si, de l’ensemble des prémisses matérielles accumulées par l’évolution, ne jaillit pas l’étincelle de la volonté consciente de la grande masse populaire. La victoire du socialisme ne tombera pas du ciel comme fatum, cette victoire ne peut être remportée que grâce à une longue série d’affrontements entre les forces anciennes et les forces nouvelles, affrontements au cours desquels le prolétariat international fait son apprentissage sous la direction de la social-démocratie et tente de prendre en main son propre destin, de s’emparer du gouvernail de la vie sociale. Lui qui était le jouet passif de son histoire, il tente d’en devenir le pilote lucide.

Friedrich Engels a dit un jour : « La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie. » Mais que signifie donc une « rechute dans la barbarie » au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd’hui ? Jusqu’ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un coup d’oeil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie. Le triomphe de l’impérialisme aboutit à l’anéantissement de la civilisation - sporadiquement pendant la durée d’une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. C’est exactement ce que Friedrich Engels avait prédit, une génération avant nous, voici quarante ans. Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un ou bien - ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l’avenir de la civilisation et de l’humanité en dépendent. Au cours de cette guerre, l’impérialisme a remporté la victoire. En faisant peser de tout son poids le glaive sanglant de l’assassinat des peuples, il a fait pencher la balance du côté de l’abime, de la désolation et de la honte. Tout ce fardeau de honte et de désolation ne sera contrebalancé que si, au milieu de la guerre, nous savons retirer de la guerre la leçon qu’elle contient, si le prolétariat parvient à se ressaisir et s’il cesse de jouer le rôle d’un esclave manipulé par les classes dirigeantes pour devenir le maître de son propre destin.

La classe ouvrière paie cher toute nouvelle prise de conscience de sa vocation historique. Le Golgotha de sa libération est pavé de terribles sacrifices. Les combattants des journées de Juin, les victimes de la Commune, les martyrs de la Révolution russe - quelle ronde sans fin de spectres sanglants ! Mais ces hommes-là sont tombés au champ d’honneur, ils sont, comme Marx l’écrivit à propos des héros de la Commune, « ensevelis à jamais dans le grand coeur de la classe ouvrière ». Maintenant, au contraire, des millions de prolétaires de tous les pays tombent au champ de la honte, du fratricide, de l’automutilation, avec aux lèvres leurs chants d’esclaves. Il a fallu que cela aussi ne nous soit pas épargné. Vraiment nous sommes pareils à ces Juifs que Moïse a conduits à travers le désert. Mais nous ne sommes pas perdus et nous vaincrons pourvu que nous n’ayons pas désappris d’apprendre. Et si jamais le guide actuel du prolétariat, la social-démocratie, ne savait plus apprendre, alors elle périrait « pour faire place aux hommes qui soient à la hauteur d’un monde nouveau ».

Messages

  • Une des réflexions les plus remarquables, sinon la plus remarquable, que nous trouvons dans les oeuvres de Marx et d’Engels relatives à l’Etat, est le passage suivant de la lettre d’Engels à Bebel, datée du 18-28 mars 1875. Cette lettre, notons-le entre parenthèses, a été reproduite pour la première fois, à notre connaissance, dans le tome II des Mémoires de Bebel (Souvenirs de ma vie) , paru en 1911 ; c’est-à-dire qu’elle fut publiée trente-six ans après sa rédaction et son envoi.

    Engels écrivait à Bebel pour critiquer le projet de programme de Gotha (que Marx a également critiqué dans sa fameuse lettre à Bracke). Parlant spécialement de la question de l’Etat, Engels disait ceci :

    "L’Etat populaire libre est devenu un Etat libre. D’après le sens grammatical de ces termes, un Etat libre est un Etat qui est libre à l’égard de ses citoyens, c’est-à-dire un Etat à gouvernement despotique. Il conviendrait d’abandonner tout ce bavardage sur l’Etat, surtout après la Commune, qui n’était plus un Etat, au sens propre. Les anarchistes nous ont assez jeté à la tête l’Etat populaire, bien que déjà le livre de Marx contre Proudhon, et puis le Manifeste communiste, disent explicitement qu’avec l’instauration du régime social socialiste l’Etat se dissout de lui-même (sich auflöst) et disparaît. L’Etat n’étant qu’une institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour réprimer par la force ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler d’un Etat populaire libre : tant que le prolétariat a encore besoin de l’Etat, ce n’est point pour la liberté, mais pour réprimer ses adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’Etat cesse d’exister comme tel. Aussi proposerions-nous de mettre partout à la place du mot Etat le mot "communauté" (Gemeinwesen), excellent vieux mot allemand, répondant au mot français "commune"" (pp. 321-322 de l’original allemand).

    Il ne faut pas perdre de vue que cette lettre a trait au programme du parti, critiqué par Marx dans une lettre écrite quelques semaines seulement après celle-ci (la lettre de Marx est du 5 mai 1875), et qu’à l’époque Engels vivait à Londres avec Marx. Aussi, en disant "nous" dans la dernière phrase, c’est sans aucun doute en son nom propre et au nom de Marx qu’Engels propose au chef du parti ouvrier allemand de supprimer dans le programme le mot "Etat" et de le remplacer par le mot "communauté ".

    Comme on les entendrait hurler à l’"anarchisme", les chefs du "marxisme" moderne accommodé au goût des opportunistes, si on leur proposait un semblable amendement au programme !

    Qu’ils hurlent. La bourgeoisie les en louera.

    Quant à nous, nous poursuivrons notre oeuvre. En révisant le programme de notre Parti, nous devrons absolument tenir compte du conseil d’Engels et de Marx, pour être plus près de la vérité, pour rétablir le marxisme en l’expurgeant de toute déformation, pour mieux orienter la classe ouvrière dans sa lutte libératrice. Il est certain que le conseil d’Engels et de Marx ne trouvera pas d’adversaires parmi les bolchéviks. Il n’y aura de difficulté, croyons-nous, que pour le terme à employer. En allemand, il existe deux mots signifiant "communauté", et Engels a choisi celui qui désigne non pas une communauté à part, mais un ensemble, un système de communautés. Ce mot n’existe pas en russe, et il faudra peut-être choisir le mot français "commune" bien que cela présente aussi des inconvénients.

    "La Commune n’était plus un Etat, au sens propre", telle est l’affirmation d’Engels, capitale au point de vue théorique. Après l’exposé qui précède, cette affirmation est parfaitement compréhensible. La Commune cessait d’être un Etat dans la mesure où il lui fallait opprimer non plus la majorité de la population, mais une minorité (les exploiteurs) ; elle avait brisé la machine d’Etat bourgeoise ; au lieu d’un pouvoir spécial d’oppression, c’est la population elle-même qui entrait en scène. Autant de dérogations à ce qu’est l’Etat au sens propre du mot. Et si la Commune s’était affermie, les vestiges de l’Etat qui subsistaient en elle se seraient "éteints" d’eux-mêmes ; elle n’aurait pas eu besoin d’"abolir" ses institutions : celles-ci auraient cessé de fonctionner au fur et à mesure qu’elles n’auraient plus rien eu à faire.

    "Les anarchistes nous jettent à la tête l’"Etat populaire"". Ce disant, Engels songe surtout à Bakounine et à ses attaques contre les social-démocrates allemands. Engels admet que ces attaques sont justes pour autant que l’"Etat populaire" est un non-sens, une dérogation au socialisme, au même titre que l’"Etat populaire libre". Il s’efforce de corriger la lutte des social-démocrates allemands contre les anarchistes, d’en faire une lutte juste dans ses principes, de la débarrasser des préjugés opportunistes sur l’"Etat". Hélas ! la lettre d’Engels est restée pendant trente-six ans enfouie dans un tiroir. Nous verrons plus loin que, même après la publication de cette lettre, Kautsky s’obstine à répéter, au fond, les erreurs qui avaient déjà motivé la mise en garde d’Engels.

    Bebel répond à Engels, le 21 septembre 1875, par une lettre dans laquelle il déclare, entre autre, qu’il "partage entièrement" son point de vue sur le projet de programme, et qu’il a reproché à Liebknecht de se montrer trop conciliant (Mémoires de Bebel, édit. allemande, tome II, p. 334). Mais si nous prenons la brochure de Bebel intitulée Nos buts, nous y trouverons, sur l’Etat, des réflexions absolument fausses :

    "L’Etat fondé sur la domination d’une classe doit être transformé en Etat populaire" (Unsere Ziele , édit. allemande, 1886, p.14)

    Voilà ce qui est imprimé dans la neuvième (la neuvième !) édition de la brochure de Bebel ! Rien d’étonnant si la social-démocratie allemande s’est pénétrée de ces conceptions opportunistes sur l’Etat si obstinément répétées, d’autant plus que les éclaircissements révolutionnaires d’Engels étaient enfouis dans un tiroir et que la vie elle-même "déshabituait" pour longtemps de la révolution.

    Lénine, l’Etat et la Révolution

  • Lorsqu’on analyse la doctrine marxiste de l’Etat, on ne peut passer sous silence la critique du projet de programme d’Erfurt adressée par Engels à Kautsky le 29 juin 1891, - et qui ne fut publiée que dix ans plus tard dans la Neue Zeit , - car elle est consacrée surtout à la critique des conceptions opportunistes de la social-démocratie dans les problèmes relatifs à l’organisation de l’Etat…

    Engels donne ici trois indications particulièrement précieuses : 1. sur la question de la république ; 2. sur le lien qui existe entre la question nationale et l’organisation de l’Etat ; 3. sur l’autonomie administrative locale.

    Pour ce qui est de la république, Engels a fait de cette question le pivot de sa critique du projet du programme d’Erfurt. Et si nous nous rappelons l’importance acquise par le programme d’Erfurt dans toute la social-démocratie internationale, et qu’il a servi de modèle à l’ensemble de la IIe Internationale, on pourra dire, sans exagération, qu’Engels critique ici l’opportunisme de la IIe Internationale tout entière.
    "Les revendications politiques du projet, écrit Engels, ont un grand défaut. Ce que justement il eût fallu dire ne s’y trouve pas ." (Souligné par Engels.)

    Il montre ensuite que la Constitution allemande est, à proprement parler, une réplique de la Constitution ultra-réactionnaire de 1850 ; que le Reichstag n’est, suivant l’expression de Wilhelm Liebknecht, que la "feuille de vigne de l’absolutisme", et que vouloir réaliser, - sur la base d’une Constitution consacrant l’existence de petits Etats et d’une confédération de petits Etats allemands, - la "transformation des moyens de travail en propriété commune" est "manifestement absurde".

    "Y toucher [à ce sujet] serait dangereux", ajoute Engels, sachant parfaitement qu’en Allemagne on ne peut légalement inscrire au programme la revendication de la République. Toutefois, Engels ne s’accommode pas purement et simplement de cette considération évidente, dont "tous" se contentent. Il poursuit : "Mais, de toute façon, les choses doivent être poussées en avant. Combien cela est nécessaire, c’est ce que prouve précisément aujourd’hui l’opportunisme qui commence à se propager [einreissende ] dans une grande partie de la presse social-démocrate. Dans la crainte d’un renouvellement de la loi contre les socialistes ou se souvenant de certaines opinions émises prématurément du temps où cette loi était en vigueur, on veut maintenant que le Parti reconnaisse l’ordre légal actuel en Allemagne comme pouvant suffire à faire réaliser toutes ses revendications par la voie pacifique."

    Que les social-démocrates allemands aient agi par crainte d’un renouvellement de la loi d’exception, c’est là un fait essentiel qu’Engels met au premier plan et qu’il taxe, sans hésiter, d’opportunisme. Il déclare que, précisément parce qu’il n’y a ni république ni liberté en Allemagne, il est absolument insensé de rêver d’une voie "pacifique". Engels est assez prudent pour ne pas se lier les mains. Il reconnaît que, dans les pays de république ou de très grande liberté, "on peut concevoir" (seulement "concevoir" !) une évolution pacifique vers le socialisme. Mais en Allemagne, répète-t-il, "... en Allemagne, où le gouvernement est presque tout-puissant, où le Reichstag et les autres corps représentatifs sont sans pouvoir effectif, proclamer de telles choses en Allemagne, et encore sans nécessité, c’est enlever sa feuille de vigne à l’absolutisme et en couvrir la nudité par son propre corps."

    Ceux qui couvrirent l’absolutisme, ce sont en effet, dans leur immense majorité, les chefs officiels du Parti social-démocrate allemand, lequel avait mis ces indications "sous le boisseau".

    "Une pareille politique ne peut, à la longue, qu’entraîner le Parti dans une voie fausse. On met au premier plan des questions politiques générales, abstraites, et l’on cache par là les questions concrètes pressantes, qui, aux premiers événements importants, à la première crise politique, viennent d’elles-mêmes s’inscrire à l’ordre du jour. Que peut-il en résulter, sinon ceci que, tout à coup, au moment décisif, le Parti sera pris au dépourvu et que sur les points décisifs, il régnera la confusion et l’absence d’unité, parce que ces questions n’auront jamais été discutées ?...

    Cet oubli des grandes considérations essentielles devant les intérêts passagers du jour, cette course aux succès éphémères et la lutte qui se livre tout autour, sans se préoccuper des conséquences ultérieures, cet abandon de l’avenir du mouvement que l’on sacrifie au présent, tout cela a peut-être des mobiles honnêtes. Mais cela est et reste de l’opportunisme. Or, l’opportunisme "honnête" est peut-être le plus dangereux de tous...
    Une chose absolument certaine, c’est que notre Parti et la classe ouvrière ne peuvent arriver à la domination que sous la forme de la République démocratique. Cette dernière est même la forme spécifique de la dictature du prolétariat, comme l’a déjà montré la grande Révolution française."

    Engels reprend ici, en la mettant particulièrement en relief, cette idée fondamentale qui marque comme d’un trait rouge toutes les oeuvres de Marx, à savoir que la république démocratique est le chemin le plus court conduisant à la dictature du prolétariat. Car une telle république, bien qu’elle ne supprime nullement la domination du Capital, ni par conséquent l’oppression des masses et la lutte des classes conduit inévitablement à une extension, à un développement, à un rebondissement, à une aggravation de la lutte tels qu’une fois apparue la possibilité de satisfaire les intérêts vitaux des masses opprimées, cette possibilité se réalise inéluctablement et uniquement dans la dictature du prolétariat, dans la direction de ces masses par le prolétariat. Pour la IIe Internationale tout entière, ce sont là encore des "paroles oubliées" du marxisme, et cet oubli est apparu avec beaucoup de relief dans l’histoire du parti menchévik durant les six premiers mois de la révolution russe de 1917.

    Traitant de la république fédérative en rapport avec la composition nationale de la population, Engels écrit :

    "Que faut-il mettre à la place de l’Allemagne actuelle ? [avec sa Constitution monarchique réactionnaire, et subdivision, non moins réactionnaire, en petits Etats, subdivision qui perpétue les particularités de "prussianisme" au lieu de les dissoudre dans une Allemagne formant un tout]. A mon avis, le prolétariat ne peut utiliser que la forme de la République une et indivisible. En somme, sur le territoire immense des Etats-Unis, la République fédérative est aujourd’hui encore une nécessité, bien qu’elle commence d’ores et déjà à être un obstacle dans l’Est. Elle constituerait un progrès en Angleterre, où dans deux îles habitent quatre nations et où, malgré un parlement unique, existent côte à côte, encore aujourd’hui, trois législations différentes. Dans la petite Suisse, il y a longtemps qu’elle constitue un obstacle tolérable seulement parce que la Suisse se contente d’être un membre purement passif dans le système d’Etats européen. Pour l’Allemagne, une organisation fédéraliste à la manière suisse serait un recul considérable. Deux points distinguent un Etat fédéral d’un Etat unitaire ; c’est d’abord que chaque Etat fédéré, chaque canton possède sa propre législation civile et pénale, sa propre organisation judiciaire ; c’est ensuite qu’à côté de la Chambre du peuple, il y a une Chambre des représentants des Etats, où chaque canton, petit ou grand, vote comme tel." En Allemagne, l’Etat fédéral forme la transition vers un Etat pleinement unitaire, et il ne faut pas faire rétrograder "la révolution d’en haut", accomplie en 1866 et 1870, mais au contraire la compléter par un "mouvement d’en bas".
    Loin de se désintéresser des formes de l’Etat, Engels s’attache au contraire à analyser avec le plus grand soin précisément les formes transitoires, afin de déterminer dans chaque cas donné, selon ses particularités historiques concrètes, le point de départ et le point d’aboutissement de la forme transitoire considérée.

    Engels, de même que Marx, défend, du point de vue du prolétariat et de la révolution prolétarienne, le centralisme démocratique, la république une et indivisible. Il considère la république fédérative soit comme une exception et un obstacle au développement, soit comme une transition de la monarchie à la république centralisée, comme un "progrès" dans certaines conditions particulières. Et, parmi ces conditions particulières, il met au premier plan la question nationale.

    Lénine, L’Etat et la révolution

  • Engels écrit à Richard Fischer, 8 mars 1895.

    « J’ai tenu compte autant qu’il était possible de vos graves préoccupations, bien que, avec la meilleure volonté, je ne comprends pas pourquoi vos réticences commencent à la moitié du texte. Je ne peux tout de même pas admettre que vous ayiez l’intention de prescrire, de tout votre corps et de toute votre âme, la légalité absolue, la légalité en toutes circonstances. la légalité même vis-à-vis de ceux qui ’frisent la légalité, bref la politique qui consiste à tendre la joue gauche à celui qui vous a frappé la joue droite. Dans le Vorwärts, bien sûr, certains prêchent parfois la révolution avec la même énergie que d’autres la repoussent. Mais je ne peux considérer cela comme une solution de la question.
    J’estime que vous n’avez absolument rien a gagner, si vous prêchez sous la contrainte le renoncement absolu du recours à la violence. Personne ne vous croira, et aucun parti d’aucun pays ne va aussi loin dans le renoncement au droit de recourir à la résistance armée, à l’illégalité.
    En outre, je dois tenir compte des étrangers - Français, Anglais, Suisses, Autrichiens, Italiens, etc. - qui lisent ce que j’écris : je ne peux me compromettre aussi totalement à leurs yeux.

    J’ai cependant accepté vos modifications, avec les exceptions suivantes : 1º Épreuves à corriger, p. 9, pour les masses, il est dit : « il faut qu’elles aient compris pourquoi elles interviennent ». 2º Le passage suivant : barrer toute la phrase depuis « le déclenchement sans préparation de l’attaque », votre proposition contenant une inexactitude flagrante : le mot d’ordre « déclenchement de l’attaque » est à tout propos en usage chez les Français, Italiens, etc., seulement ce n’est pas si sérieux. 3° Épreuves à corriger, p. 10 : « Sur la révolution sociale-démocrate qui va actuellement fort bien », vous voulez enlever « actuellement », autrement dit vous voulez transformer une TACTIQUE VALABLE MOMENTANÉMENT et toute relative en une tactique permanente et absolue. Cela je ne peux pas le faire, sans me discréditer à tout jamais. J’évite donc la formule d’opposition, et je dis : « Sur la révolution sociale-démocrate, qui se porte bien, en ce moment précis, en se conformant à la loi. » Je ne comprends absolument pas pourquoi vous trouvez dangereuse ma remarque sur l’attitude de Bismarck en 1866, lorsqu’il viola la Constitution. Il s’agit d’un argument lumineux, comme aucun autre ne le serait. Mais je veux cependant vous faire ce plaisir.

    Mais je ne peux absolument pas continuer de la sorte. J’ai fait tout mon possible, pour vous épargner des désagréments dans te débat. Or vous feriez mieux de préserver le point de vue, selon lequel l’obligation de respecter la légalité est de caractère juridique, et non moral, comme Bogouslavski vous l’a si bien montré dans le temps, et qu’elle cesse complètement lorsque les détenteurs du pouvoir violent les lois. Mais vous avez eu la faiblesse - ou du moins certains d’entre vous - de ne pas contrer comme il fallait les prétentions de l’adversaire : reconnaître aussi l’obligation légale du point de vue moral, c’est-à-dire contraignant dans toutes les circonstances, au lieu de dire : vous avez le pouvoir et vous faites les lois ; si nous les violons, vous pouvez nous traiter selon ces lois - cela nous devons le supporter, et c’est tout. Nous n’avons pas d’autre devoir, vous n’avez pas d’autre droit. C’est ce qu’ont fait les catholiques sous les lois de Mai, les vieux luthériens à Meissen, le soldat memnonite qui figure dans tous les journaux - et vous ne devez pas démordre de cette position. Le projet anti-subversif (Umsturzvorlage) est de toute façon voué à la ruine : ce qu’il recherche il ne peut même pas le formuler et, moins encore, le réaliser, et dès lors que ces gens en ont le pouvoir, ils réprimeront et séviront de toute façon contre vous, d’une manière ou d’une autre.

    Mais si vous voulez expliquer aux gens du gouvernement que vous attendez uniquement parce que vous n’êtes pas encore assez forts pour agir vous-mêmes, et parce que l’armée n’est pas encore complètement minée, mais alors, mes braves, pourquoi ces vantardises quotidiennes dans la presse sur les progrès et les succès gigantesques du Parti ? es gens savent tout aussi bien que nous que nous avançons puissamment vers la victoire, que nous serons irrésistibles dans quelques années - et c’est pourquoi ils veulent passer à l’attaque maintenant, mais hélas pour eux ils ne savent pas comment s’y prendre. Nos discours ne peuvent rien y changer : ils le savent tout aussi bien que nous ; de même qu’ils savent que si nous avons le pouvoir nous l’utiliserons à nos fins et contre eux.
    En conséquence, lorsque la question sera débattue au Comité central, pensez un peu à ceci : préservez le droit de résistance aussi bien que Bogouslavski nous l’a préservé, et n’oubliez pas que de vieux révolutionnaires - français, italiens, espagnols, hongrois, anglais - figurent parmi eux et vous écoutent, et que - sait-on jamais combien rapidement - le temps peut revenir où l’on devra sérieusement envisager les conséquences de l’élimination du mot « légal » qui fut entreprise en 1880 à Wyden. Regardez donc les Autrichiens qui, aussi ouvertement que possible brandissent la menace de la violence, si le suffrage universel n’est pas bientôt instauré. Pensez à vos propres illégalités sous le régime des lois anti-socialistes auquel on voudrait vous soumettre de nouveau.
    Légalité aussi longtemps que cela nous arrange, mais pas légalité à tout prix-même en paroles ! »
    Ton F. E.

    Le 14 mars 1895, R. Fischer répondit à Engels :

    « Cher général ! Mes meilleurs remerciements pour l’esprit de conciliation (Bereitwilligkeit) dont tu fais preuve à propos des corrections d’épreuves. Mais dans tes observations tu pars de suppositions complètement fausses : il ne vient à l’esprit de personne d’entre nous de « prescrire de tout notre corps et de toute notre âme, en toutes circonstances, la légalité », pas plus que nous ne pensons à « prêcher la renonciation absolue à la violence ». Tu as parfaitement raison : cela personne ne nous le croirait, et justement à l’heure actuelle moins que jamais. Si c’était donc là un jeu niais, il ne serait pas moins insensé de vouloir, justement à l’heure actuelle, chercher notre force dans des menaces perpétuelles contre un adversaire qui nous tient à la gorge avec sa loi antisubversive, en criant : attends seulement ! Dès que j’aurai de nouveau ma liberté de mouvement, alors je te couperais carrément la gorge. Non ! nous faisons ici comme cela se fait avec toute fille raisonnable de village qui déclare à son maladroit et hésitant gaillard : de cela on ne parle pas, mais on le fait ! Tu nous accuses également à tort, quand tu admets que nous nous sommes laissés pousser par nos adversaires à la reconnaissance morale de l’obligation de demeurer sur le plan de la légalité. Aucun d’entre nous ne ferait jamais cela ! Au contraire, Liebknecht aussi bien que Bebel ont précisément répété à plusieurs reprises ces derniers temps, avec beaucoup de tranchant, que la violation de la Constitution et de la légalité par les autorités supérieures abolissait toute obligation du bas pour le haut. »

    Et malgré cela, les censeurs avaient demandé à Engels de barrer le passage suivant : « Comme Bismarck nous en a donné si bien l’exemple en 1866. Si donc vous brisez la Constitution impériale, la social-démocratie est libre, libre de faire ce qu’elle veut à votre égard. Mais ce qu’elle fera ensuite, elle se gardera bien de vous le dire aujourd’hui. « Nous sommes aujourd’hui pour la légalité, parce qu’elle est avantageuse pour nous et - soit dit en passant - parce que les autres sont encore assez forts pour nous y contraindre ; et nous en appelons même aujourd’hui à cette légalité, parce que celle-ci leur est, précisément aujourd’hui, particulièrement désagréable et leur gâche le métier. Voilà tout ! Et tu verras aussi que nous ne donnerons aucune occasion aux Français, Italiens, etc. de faire la lippe, pas plus que nous n’oublierons ou renierons que nous avons barré le « légal » de notre programme à Wyden et que nous ne l’avons plus repris à Erfurt. »

  • Une introduction d’Engels aux « Luttes de classe en France » de Marx, qui avait paru d’abord dans le Vorwaerts, organe de la social-démocratie allemande, avait déjà été trafiquée. Elle reprenait, en effet, le problème général de la lutte du prolétariat dans le cadre des circonstances nouvelles de la fin du XIX° siècle, et, comme elle s’appuyait en grande partie sur l’expérience allemande, elle était d’une actualité directe pour les lecteurs du Vorwaerts. Toutefois, à sa grande surprise, Engels vit paraître dans le journal une version tronquée de son texte. Indigné de la liberté qu’on avait prise, il écrivit à Kautsky le 1er avril 1895 : « A mon étonnement, je vois aujourd’hui dans le Vorwaerts un extrait de mon introduction reproduit à mon insu, et arrangé de telle façon que j’y apparais comme un paisible adorateur de la légalité à tout prix. Aussi, désirerais-je d’autant plus que l’introduction paraisse sans coupure dans la Neue Zeit [organe théorique de la social-démocratie allemande (N. R.)], afin que cette impression honteuse soit effacée. Je dirai très nettement à Liebknecht mon opinion à ce sujet, ainsi qu’à ceux, quels qu’ils soient, qui lui ont donné cette occasion de dénaturer mon opinion. »

    Malheureusement, la Neue Zeit, tout en donnant un texte plus complet, ne publia pas le texte intégral de l’introduction. Et l’édition des Luttes de classes de 1895 non plus. En réalité, les social-démocrates allemands, notamment Bernstein et Kautsky, avaient pratiqué des coupures qui prenaient un sens tout particulier. Engels, tenant compte des menaces de la loi d’exception qui pesaient alors sur le socialisme en Allemagne, avait subtilement distingué entre la tactique du prolétariat en général et celle qui était recommandée au prolétariat allemand à cette époque. Il dit dans une lettre à Lafargue du 3 avril 1895 : « W... [Il vise probablement le rédacteur en chef du Vorwaerts, W. Liebknecht (N.R.)] vient de me jouer un joli tour. Il a pris de mon introduction aux articles de Marx sur la France 1848-1850 tout ce qui a pu lui servir pour soutenir la tactique à tout prix paisible et anti-violente qu’il lui plait de prêcher depuis quelque temps, surtout en ce moment où on prépare des lois coercitives à Berlin. Mais cette tactique, je ne la prêche que pour l’Allemagne d’aujourd’hui et encore sous bonne réserve. Pour la France, la Belgique, l’Italie, l’Autriche cette tactique ne saurait être suivie dans son ensemble, et pour l’Allemagne, elle pourra devenir inapplicable demain. » (Correspondance Engels-Lafargue, Éditions sociales 1956-1959, tome III, p. 404)

    En coupant certains passages, Kautsky et Bernstein accréditaient leur propre thèse et ils essayèrent même, en faisant passer le texte tronqué de l’introduction d’Engels pour une sorte de testament politique, de la couvrir de l’autorité du grand disparu. C’est là une manifestation bien caractéristique de la déformation opportuniste qu’ils introduisaient dans le marxisme et qui devait conduire la social-démocratie allemande à ses tragiques démissions de 1914 et de 1918 et à son impuissance totale en 1933.
    Il a fallu attendre que le Parti bolchévik, héritier et continuateur de la pensée de Marx et d’Engels, ait pris le pouvoir pour que paraisse enfin en U.R.S.S. le texte intégral d’Engels restauré par Riazanov. Mais les hâbleurs amateurs du conservatisme social et du faux socialisme bobo continuent à trafiquer l’histoire d’un mouvement qui leur est totalement étranger.

  • Des auteurs ont la prétention d’affirmer qu’Engels serait plus réformiste que Marx…
    En ce qui concerne la fameuse introduction d’Engels aux « Luttes de classes en France » qui a été diffusée par la social-démocratie allemande comme justification de son réformisme, on se souvient que c’est une version mensongère et tronquée.

    Rappelons qu’Engels écrivit à Kautsky dans une lettre du 1er avril :

    « A mon grand étonnement, je vois aujourd’hui que l’on a publié sans m’en avertir dans le Vorwärts des extraits de mon Introduction et qu’on les a combinés de telle façon que j’apparais comme un adorateur pacifiste de la légalité à tout prix. Je souhaite d’autant plus vivement que l’Introduction paraisse sans coupures dans la Neue Zeit, afin que cette impression ignominieuse soit effacée. Je ferai part avec la plus grande fermeté de mon sentiment à Liebknecht et aussi à ceux qui, quels qu’ils soient, qui lui ont fourni l’occasion de déformer l’expression de ma pensée. »

    Remarquons en particulier que l’édition allemande biffait entièrement le passage suivant :
    « Cela signifie-t-il qu’à l’avenir le combat de rue ne jouera plus aucun rôle ? Pas du tout. Cela vaut dire seulement que les conditions depuis 1848 sont, devenues beaucoup moins favorables pour les combattants civils, et beaucoup plus favorables pour l’armée. À l’avenir un combat de rues ne peut donc être victorieux que si cet état d’infériorité est compensé par d’autres facteurs. Aussi, l’entreprendra-t-on plus rarement au début d’une grande révolution qu’au cours du développement de celle-ci, et il faudra le soutenir avec des forces plus grandes. Mais alors celles-ci, comme dans toute la grande révolution française, le 4 septembre et le 31 octobre 1870 à Paris, préfèreront « sans doute l’attaque ouverte à la tactique passive de la barricade. »

    La thèse selon laquelle Engels aurait été bien plus doux que Marx face à l’opportunisme est une légende. C’est à propos de la social-démocratie allemande qu’Engels écrivait avec Marx que « Le socialisme allemand « s’est trop préoccupé de gagner les masses, négligeant de faire une propagande énergique (!) dans les soi-disant couches supérieures de la société ». Car le parti « manque encore d’homme capables de le représenter au parlement ». Il est pourtant « désirable et nécessaire de confier les mandats à des hommes qui disposent de suffisamment de temps pour se familiariser pleinement avec les principaux sujets. le simple ouvrier et le petit artisan… n’en ont que très rarement le loisir nécessaire ». Donc, votez pour les bourgeois ! Bref : la classe ouvrière, par elle-même, est incapable de s’affranchir. Elle doit donc passer sous la direction de bourgeois “instruits et aisés” qui seuls “ont l’occasion et le temps” de se familiariser avec les intérêts des ouvriers. Puis, il ne faut à aucun prix combattre la bourgeoisie, mais, au contraire, il faut la gagner par une propagande énergique… Pour enlever à la bourgeoisie la dernière trace de peur, on doit lui prouver clairement que le spectre rouge n’est vraiment qu’un spectre, qu’il n’existe pas. Mais qu’est-ce que le secret du spectre rouge si ce n’est la peur de la bourgeoisie de l’inévitable lutte à mort qu’elle aura à mener avec le prolétariat ? La peur du résultat fatal de la lutte de classe moderne ? Qu’on abolisse la lutte de classe, et la bourgeoisie et “tous les hommes indépendants” ne craindront plus “de marcher avec les prolétaires, la main dans la main” ! Ceux qui seront alors les dupes, c’est justement les prolétaires (…) Le programme ne sera pas abandonné mais simplement ajourné – pour un temps indéterminé. On l’adopte, mais non pas pour soi-même et pour le présent, mais à titre posthume, comme un legs destiné aux générations futures. En attendant, on emploie “toute sa force et toute son énergie” pour toutes sortes de bricoles et de rafistolages de la société capitaliste, pour faire croire qu’il se passe quand même quelque chose et pour que la bourgeoisie n’en prenne pas peur (…) Ce sont les représentants de la petite-bourgeoisie qui s’annoncent ainsi, de peur que le prolétariat, entraîné par sa situation révolutionnaire, “n’aille trop loin”. »

    « On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d’employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre. » écrivait Engels en 1894.

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