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Edito – Qu’est-ce qui ruine les paysans ?

dimanche 26 juillet 2015, par Robert Paris

Edito – Qu’est-ce qui ruine les paysans ?

La révolte des paysans (éleveurs, producteurs de fruits et légumes ou de lait notamment) qui les a amenés à se mobiliser pour bloquer les routes, a souligné un fait qui n’était pas connu du grand public : ils travaillent à perte. Cela signifie qu’il ne leur suffit pas de vendre leur production pour s’en sortir puisqu’on leur achète celle-ci en dessous des coûts de fabrication !!! D’où la nécessité vitale des aides étatiques et européennes pour s’en sortir, avec sans cesse la menace de la faillite comme épée de Damoclès suspendue sur leurs têtes. Du coup, même s’ils ont une exploitation conséquente, qui fonctionne bien, avec de nombreux acheteurs, c’est sans cesse la crainte de la ruine qui pèse sur eux.

Ce qui frappe dans ce conflit paysan, c’est la distance entre ce qu’expliquent les paysans interviewés et le discours des gouvernants, des hommes politiques et des média. En effet, les paysans, eux, ne sollicitent pas des aides et les gouvernants ne leur parlent que d’aides. Inversement, les paysans incriminent les industriels de l’agro-alimentaire, les grandes surfaces et les capitalistes de la distribution qui ramassent l’essentiel des profits réalisés dans ces filières en vendant à des prix qui n’ont rien à voir avec les prix payés aux paysans.

Ce sont les capitalistes qui pompent les profits réalisés et ce sont eux qui sont toujours réellement protégés par l’Etat, ce qui explique que les gouvernants et commentateurs politiques se refusent à mettre en avant le caractère réel du conflit : une lutte contre les capitalistes de l’agriculture, de la transformation et de la distribution de produits agricoles.

Bien sûr, tous les Hollande comme tous les Valls ou tous les Sarkozy ou encore Le Pen ont toujours prétendu que l’agriculture était victime des producteurs agricoles étrangers, européens notamment, et non des capitalistes français. C’est tellement plus facile de semer la xénophobie et de faire croire que l’ennemi serait extérieur, qu’il faudrait cultiver le slogan « achetons français » ou « consommons français », comme vient encore de le faire Hollande, exactement sur la même longueur d’onde sur ce thème que Sarkozy ou Le Pen.

Cependant, cela ne correspond à aucune réalité. Les grandes surfaces proposent largement des « produits français » et la population en consomme aussi massivement dans le domaine des produits agricoles. Ce n’est nullement là que réside le problème des paysans. D’autant moins que ce problème n’est pas un manque d’acheteurs ni une baisse des ventes mais le fait que les paysans vendent à perte. Ils n’ont cessé de le répéter devant des gouvernants volontairement sourds : ils ont un problème de prix et pas un problème d’acheteurs et de quantités vendues. Et ce problème de prix n’a rien d’innocent : c’est un problème avec les capitalistes qui détournent l’essentiel des plus-values réalisées sur le dos des clients.

Ce n’est certainement pas sur l’Etat bourgeois qu’il faut compter pour combattre les intérêts de la bourgeoisie, que ce soit celle de l’agriculture ou celle de l’industrie. Qu’il s’agisse des paysans ou des salariés, il faudrait cesser de croire que, normalement, l’Etat serait au service de l’ensemble de la population, ce qui est exactement le contraire de la vérité, quels que soient les gouvernants, gauche, droite ou extrême droite aux affaires ce qui n’y change rien.

Les Hollande comme les Sarkozy ou les Le Pen ont toujours prétendu que les agriculteurs devaient s’entendre avec les capitalistes, comme ils ont toujours soutenu le syndicat FNSEA dirigé par les gros paysans et certains paysans capitalistes. Or ce conflit démontre justement le contraire : c’est l’agro-industrie qui tue l’agriculteur. Ce n’est pas l’activité qui décline. Ce n’est pas les acheteurs qui baissent. Ce ne sont pas les prix de consommation qui baissent (même si on nous rebat les oreilles sur la soi-disant désinflation). Ce qui baisse, c’est le prix d’achat aux paysans des grandes surfaces et des industriels.

Les gouvernants capitalistes, de toutes couleurs politiques, font comme si c’était naturellement que l’activité agricole n’était plus rentable et qu’il fallait aider les paysans avec des soutiens financiers, qu’ils soient nationaux ou européens. Faire passer les paysans pour des assistés est leur objectif et ils en profitent pour aider directement les capitalistes de la terre, les plus gros paysans en distribuant des aides proportionnées à l’activité, se gardant bien de déterminer et d’imposer un revenu minimum paysan et des prix minima des produits agricoles qui seraient imposés aux industriels de l’agriculture.

Tout cela pour cacher que le pouvoir aide ainsi la bourgeoisie capitaliste et non les paysans. Car l’activité agricole profite à toute la bourgeoisie et pas aux paysans moyens ou petits et les aides, si elles permettent à une fraction des paysans de continuer à travailler aux limites de la misère, permettent surtout aux industriels d’imposer des prix marges scandaleuses réalisées entre la production et la distribution/vente. Quant aux dettes des paysans, elles profitent d’abord aux banquiers et autres capitalistes de la finance.

Oui, la question des paysans pose une question de classe ! Celle de la classe capitaliste qui ponctionne l’immense majorité de la population.

Cela pose la question d’une alliance entre travailleurs des villes et des champs. La faucille et le marteau, l’union de salariés et des paysans, est toujours autant d’actualité pour lutter contre le grand capital !

Car, si on laisse les petits paysans s’unir plutôt aux gros paysans, comme le souhaite la FNSEA et le gouvernement, si on laisse les petits artisans s’unir plutôt aux gros patrons, si on laisse les petits pêcheurs, les petits commerçants et autres petits bourgeois s’unir au grand capital, si nous salariés, restons neutres et même opposés aux mouvements de la petite bourgeoisie au lieu de mettre à notre programme la défense de tous ceux qui vivent de leur travail, nous serons bel et bien battus car, si la crise s’aggrave, la petite bourgeoisie sera aisément une masse de manœuvre du fascisme.

Mais, pour nous battre sur un programme concernant l’immense majorité de la population, petite bourgeoisie, jeunesse, femmes, chômeurs, sur un programme de transformation fondamentale de la société, il faut cesser de suivre les méthodes revendicatives purement catégorielles auxquelles nous engagent les centrales syndicales. Il faut nous organiser nous-mêmes en comités interprofessionnels de travailleurs et débattre ensemble d’un tel programme social pour toute la société, pour toutes les couches travailleuses, les paysans notamment.

C’est seulement ainsi que les paysans peuvent battre le grand capital car ils ne peuvent pas y arriver seuls, pas plus que nous, travailleurs, pouvons battre le capital seuls, comme nous le constatons tous les jours dans les impasses des luttes auxquelles nous convient les centrales syndicales.

Puisque le problème des paysans, c’est celui des intermédiaires, c’est-à-dire des capitalistes, puisque le problème des salariés, c’est aussi celui des capitalistes, puisque celui des salariés du public, c’est encore le fait que l’Etat est au service des capitalistes, supprimons les intermédiaires entre le producteur et le consommateur, c’est-à-dire le rôle des propriétaires de capitaux. C’est exactement cela le socialisme !

Que le capital ponctionne le travail n’est pas une nouveauté. Qu’il empêche même la production de marchandises, par contre, est un sous-produit du nouvel état du système d’exploitation capitaliste, état dans lequel la production de la plus-value elle-même est remise en cause par les capitalistes, leur tendance aveugle à n’investir que dans les domaines permettant le profit maximum devenant contradictoire avec la production de la plus-value elle-même et avec toute production. C’est la première fois de l’Histoire que le fonctionnement même du capitalisme empêche toute régulation par les crises, impose même au secteur public de se mettre en faillite, et détruise aussi bien l’agriculture, l’industrie, le commerce et toute activité économique. Ce n’est pas une crise du capitalisme qui est ainsi produite mais un bout de course du système. L’avenir n’est plus à la lutte pour des améliorations au sein du système mais à celle pour fabriquer une nouvelle société fondée sur les besoins des être humains et plus sur ceux du grand capital. Mais cet avenir ne va pas se bâtir tout seul. Il nécessite notre action consciente et elle reste entravée par les limites des organisations de la classe ouvrière qui, elles, restent attachées à l’ancien système d’exploitation. L’avenir dépend donc de notre capacité à nous organiser de manière autonome !

Messages

  • Les prix baissent et les prix montent !

    On est tous étonnés à chaque fois que l’on entend un homme politique ou un commentateur économique annoncer que l’une des principales menaces pour l’économie serait la désinflation. En effet, nous constatons sans cesse que les prix d’achat sont loin de baisser pour le consommateur. Et pourtant, il est exact que les prix d’achat au producteur sont en baisse. On vient encore de le rappeler récemment en ce qui concerne tous les prix agricole qui sont payés au paysan. D’où vient cette divergence croissante entre les prix payés au produit fabriqué et les prix payés par le consommateur ? D’une évolution de la répartition des marges entre la production et la finance (banques, prêteurs, assurances, bourses, actions, etc). Il faut de plus en plus d’euros de prêt pour permettre la production d’un euro de marchandise. Or ce processus que l’on ne peut arrêter atteint ses limites : la production n’est plus rentable. Et cela décourage toute vélléité de produire, qu’il s’agisse d’agriculture, d’industrie ou d’autres activités. Résultat : c’est le capitalisme lui-même qui atteint ses limites et les interventions d’Etats ou des banques centrales peuvent retarder l’échéance mais pas inverser le processus qui est donc irréversible et mortifère pour le système d’exploitation. Plutôt que de regretter ce système d’exploitation, mieux préparer son remplacement par une société fonctionnant au service de tous les hommes plutôt que ceux d’une minorité de possesseurs de capitaux.

  • Il en va de même dans l’hôtellerie que dans le travail agricole. Ce sont les banquiers qui ont fait disparaître un tiers des hôtels en vingt ans (les petits hôtels bien entendu) et cela fait que les petits prix ont disparu… En effet, les prêteurs ont refusé de prêter aux petits et n’ont prêté qu’aux gros hôteliers…

  • Concernant la paysannerie l’ éditorial de LO est révoltant :

    les intérêts des éleveurs ne sont pas ceux de la classe ouvrière. Ils représentent une autre catégorie sociale avec d’autres perspectives. (...) les éleveurs ne visent pas à contester cet ordre, ils visent à s’y faire une place et à conforter leur propriété.

    Certes l’édito fait des nuances entre « les gros et les petits ». Mais le fait que les travailleurs des villes doivent rompre le silence de leurs organisations de salariés lors de tels mouvements ; que si le prolétariat n’est pas capable de lier ses luttes à celle de la petite-bourgeoisie exploitée par la moyenne ou la grande il ne fera jamais SA propre révolution, ceci est omis par cet édito de LO.

    Mais, reconnaissons-le, LO aime la discipline et ne se lance pas dans des aventures théoriques. Quand cette orga ne veut plus s’inspirer de Lénine (Adresse aux paysans pauvres) ou Trosky elle est prudente et reprend un « classique ». N’a-t-on pas dans l’édito un retour de LO à la thérorie de Ferdinand Lassalle sur les classes bourgeoises formant une « masse réactionnaire » ? :

    4.- L’affranchissement du travail doit être l’œuvre de la classe ouvrière, en face de laquelle toutes les autres classes NE forment QU’UNE MASSE REACTIONNAIRE.

    Dans la « Critique du programme de Gotha » Marx critique ainsi cette position de Lassalle reprise par LO :

    Le premier couplet provient du préambule des statuts de l’internationale, mais sous une forme « améliorée ». Le préambule dit : « L’affranchissement de la classe des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » ; tandis qu’ici c’est la « classe des travailleurs » qui doit affranchir - quoi ? le « travail ». Comprenne qui pourra.

    En compensation l’antistrophe est, par contre, une citation lassalienne de la plus belle eau « [la classe ouvrière] en face de laquelle toutes les autres classes ne forment qu’une masse réactionnaire ».

    Dans le Manifeste communiste, il est dit : « De toutes les classes qui, à l’heure présente, s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique. »

    La bourgeoisie est ici considérée comme une classe révolutionnaire, - en tant qu’elle est l’agent de la grande industrie, - vis-à-vis des féodaux et des classes moyennes résolus à maintenir toutes les positions sociales qui sont le produit de modes de production périmés. Féodaux et classes moyennes ne forment donc pas avec la bourgeoisie une même masse réactionnaire.

    D’autre part, le prolétariat est révolutionnaire vis-à-vis de la bourgeoisie parce que, issu lui-même de la grande industrie, il tend à dépouiller la production de son caractère capitaliste que la bourgeoisie cherche à perpétuer. Mais le Manifeste ajoute que « les classes moyennes... sont révolutionnaires... en considération de leur passage imminent au prolétariat ».

    De ce point de vue, c’est donc une absurdité de plus que de faire des classes moyennes, conjointement avec la bourgeoisie, et, par-dessus le marché, des féodaux « une même masse réactionnaire » en face de la classe ouvrière.

    Lors des dernières élections, a-t-on crié aux artisans, aux petits industriels, etc., et aux paysans : « Vis-à-vis de nous, vous ne formez, avec les bourgeois et les féodaux, qu’une seule masse réactionnaire » ?

    Lassalle savait par cœur le Manifeste communiste, de même que ses fidèles savent les saints écrits dont il est l’auteur. S’il le falsifiait aussi grossièrement, ce n’était que pour farder son alliance avec les adversaires absolutistes et féodaux contre la bourgeoisie.

    Dans le paragraphe précité, sa maxime est d’ailleurs bien tirée par les cheveux, sans aucun rapport avec la citation défigurée des statuts de l’internationale. Il s’agit donc ici simplement d’une impertinence et, à la vérité, une impertinence qui ne peut-être nullement déplaisante aux yeux de M. Bismarck : une de ces grossièretés à bon compte comme en confectionne le Marat berlinois .

  • Un millier de tracteurs prévus à Paris le 3 septembre !

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