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Qu’est-ce que le stalinisme ?

mardi 3 juillet 2018, par Robert Paris

Qu’est-ce que le stalinisme ?

Que le stalinisme est un produit de la vieille société

La Russie a fait dans l’histoire le bond en avant le plus grandiose : les forces les plus progressistes du pays ont fourni cet effort. Dans la réaction actuelle, dont l’ampleur est proportionnée à celle de la révolution, l’inertie prend sa revanche. Cette réaction, le stalinisme en est devenu l’incarnation. La barbarie de la vieille histoire de Russie, resurgie sur de nouvelles bases sociales, parait plus écœurante encore, car elle doit user d’une hypocrisie telle que l’histoire n’en connut jamais jusqu’ici.

Les libéraux et les sociaux-démocrates d’Occident, que la révolution d’Octobre fit douter de leurs idées surannées, ont senti des forces leur revenir. La gangrène morale de la bureaucratie soviétique leur parait réhabiliter le libéralisme. On les voit sortir de vieux aphorismes éculés de ce genre : "Toute dictature porte en elle-même les germes de sa propre dissolution" ; "la démocratie, seule, assure le développement de la personnalité" et cætera. L’opposition de la démocratie à la dictature, impliquant en l’occurrence la condamnation du socialisme au nom du régime bourgeois, étonne, considérée sous l’angle de la théorie, par l’ignorance et la mauvaise foi dont elle procède. L’infection du stalinisme, réalité historique, est mise en comparaison avec la démocratie, abstraction supra-historique. La démocratie a pourtant eu une histoire, elle aussi, et dans laquelle les abominations n’ont point manqué. Pour définir la bureaucratie soviétique, nous empruntons à l’histoire de la démocratie bourgeoise les termes de "Thermidor" et "bonapartisme", car — que les doctrinaires attardés du libéralisme en prennent note — la démocratie ne s’est pas établie par des méthodes démocratiques, loin de là. Les cuistres seuls peuvent se contenter des raisonnements sur le bonapartisme "fils légitime" du jacobinisme, châtiment historique des atteintes portées à la démocratie, etc. Sans la destruction de la féodalité par les méthodes jacobines, la démocratie bourgeoise eût été inconcevable. Il est aussi faux d’opposer aux étapes historiques réelles : jacobinisme, thermidor, bonapartisme, l’abstraction "démocratie" que d’opposer aux douleurs de l’enfantement le calme du nouveau-né.

Le stalinisme n’est pas, lui non plus, une "dictature" abstraite, c’est une vaste réaction bureaucratique contre la dictature prolétarienne dans un pays arriéré et isolé. La révolution d’Octobre a aboli les privilèges, déclaré la guerre à l’inégalité sociale, substitué à la bureaucratie le gouvernement des travailleurs par les travailleurs, supprimé la diplomatie secrète ; elle s’est efforcée de donner aux rapports sociaux une transparence complète. Le stalinisme a restauré les formes les plus offensantes du privilège, donné à l’inégalité un caractère provocant, étouffé au moyen de l’absolutisme policier l’activité spontanée des masses, fait de l’administration le monopole de l’oligarchie du Kremlin, rendu la vie au fétichisme du pouvoir sous des aspects dont la monarchie absolue n’eût pas osé rêver.

La réaction sociale, quelle qu’elle soit, est tenue de masquer ses fins véritables. Plus la transition de la révolution à la réaction est brutale, plus la réaction dépend des traditions de la révolution, — en d’autres termes plus elle craint les masses et plus elle est obligée de recourir au mensonge et à l’imposture dans sa lutte contre les tenants de la révolution. Les impostures staliniennes ne sont pas le fruit de l’amoralisme "bolchevik" ; comme tous les événements importants de l’histoire, ce sont les produits d’une lutte sociale concrète et de la plus perfide et cruelle qui soit : celle d’une nouvelle aristocratie contre les masses qui l’ont portée au pouvoir. Il faut, en vérité, une totale indigence intellectuelle et morale pour identifier la morale réactionnaire et policière du stalinisme avec la morale révolutionnaire des bolcheviks. Le parti de Lénine a cessé d’exister depuis longtemps ; les difficultés intérieures et l’impérialisme mondial l’ont brisé. La bureaucratie stalinienne lui a succédé et c’est un appareil de transmission de l’impérialisme. En politique mondial, la bureaucratie a substitué la collaboration des classes à la lutte des classes, le social-patriotisme à l’internationalisme. Afin d’adapter le parti gouvernant aux besognes de la réaction, la bureaucratie en a "renouvelé" le personnel par l’extermination des révolutionnaires et le recrutement des arrivistes.

Toute réaction ressuscite, nourrit, renforce les éléments du passé historique que la révolution a frappés sans réussir à les anéantir. Les méthodes staliniennes achèvent, portent à la plus haute tension, et aussi à l’absurde, tous les procédés de mensonge, de cruauté et d’avilissement qui constituent le mécanisme du pouvoir dans toute société divisée en classes, sans en exclure la démocratie. Le stalinisme est un conglomérat des monstruosités de l’Etat tel que l’histoire l’a fait ; c’en est aussi la funeste caricature et la répugnante grimace. Quand les représentants de la vieille société opposent sentencieusement à la gangrène du stalinisme une abstraction démocratique stérilisée, nous avons bien le droit de leur recommander, comme à toute la vieille société, de s’admirer eux-mêmes dans le miroir déformant du Thermidor soviétique. Il est vrai que, par la franchise de ses crimes, le Guépéou dépasse de loin tous les autres régimes. C’est par suite de l’ampleur grandiose des événements qui ont bouleversé la Russie dans la démoralisation de l’ère impérialiste.

août 1930

Léon Trotsky

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Messages

  • Faut-il rappeler l’hommage involontaire rendu à ses adversaires trotskystes des années trente par le chef de l’« Orchestre rouge », Léopold Trepper, stalinien désenchanté ?

    « Les trotskystes ont le droit d’accuser ceux qui jadis hurlèrent avec les loups. Qu’ils n’oublient pas toutefois qu’ils possèdent sur nous l’avantage immense d’avoir un système politique cohérent susceptible de remplacer le stalinisme et auxquels ils pouvaient se raccrocher dans la détresse profonde de la Révolution trahie. Eux n’ "avouaient" pas, car ils savaient que leurs aveux ne servaient ni le parti, ni le socialisme. »

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